I.100 – Compassion, sagesse, joie et non-dualité

08/01/2023

En toute situation, nous avons le choix d'agir pour le bien des êtres sensibles. Agir vertueusement ne se fait toutefois pas sans créer de friction, car « ne pas nuire » aux autres peut nuire aux égoïsmes puérils... Grand mal cela fasse s'il leur permet un jour de goûter au bonheur immense d'agir par compassion au bien des êtres !

Ne vous fiez pas à ce qui a été acquis du fait de l'avoir entendu de façon répétée ; ni du fait de la tradition ; ni du fait de la rumeur ; ni du fait que ça se trouve dans une écriture ; d'une supposition ; d'un axiome ; d'un raisonnement spécieux ; d'un parti-pris en faveur d'une notion à laquelle on a pu réfléchir ; de l'apparente habileté de quelqu'un d'autre ; de la considération « Le moine est notre maître ».

Lorsque vous savez de vous-mêmes : « Ces choses sont mauvaises ; ces choses sont blâmables ; condamnées par les sages ; si on les entreprend les observe, ces choses conduisent au dommage et au malheur, abandonnez-les » KAL

La pensée n'est pas l'action, cela semble évident. Dans le bouddhisme toutefois, les choses sont plus subtiles. Si les effets de leur karman ne sont pas aussi forts, rapides et intenses que les actions du corps, les actions de « la porte de l'esprit » n'en engendrent pas moins les fruits d'une inévitable rétribution. Il en va du négatif comme du positif, mais s'agissant de la compassion, ô combien semble lent et laborieux le passage de l'intention à l'action, à l'instar des photons qui luttent avec force pendant des durées incommensurables pour s'arracher des profondeurs du cœur du soleil et pouvoir enfin briller dans l'espace interstellaire...

Aussi noble soit-il, tant qu'il demeure la simple pensée d'une intention, « l'esprit d'Éveil » n'est pas encore une vertu et ne le deviendra véritablement que lorsque qu'il se sera concrétisé en action. Avant cela, il est facile de revendiquer être mû par compassion, voire de tromper son entourage et de s'abuser soi-même en s'imaginant un parangon de vertu ! C'est seulement lorsque nous réagissons spontanément (en pensant sans hésitation aux autres et sans préoccupation mondaine pour notre propre sort), de sorte à ce que nos actions concrétisent les effets vertueux de notre vœu de « ne pas nuire » et de notre éthique « d'agir pour le bien des êtres », que notre compassion devient infaillible.

C'est parce qu'elles sont vides que les choses existent ! Il y a seulement deux manières possibles pour les choses d'exister : soit, elles possèdent une réalité ontologique (hypothèse réfutée par la logique nāgārjunienne dans la lignée de la pensée du Bouddha) ; soit, étant dépourvues d'un soi substantiel, intrinsèque et autonome, les choses sont produites en interdépendance forte ! Si la production interdépendante était approximative, celle ne fonctionnerait pas ! Puisqu'elles sont vides de toute réalité propre, il est nécessaire que « la cause à effet » soit une loi infaillible pour que les choses puissent exister - sachant que dans l'absolu, les choses ne sont ultimement ni existantes ni non existantes ! -.

Du point de vue de la forme, la pensée (l'imagination, le rêve) est approximative - cherchez à en saisir le soi et vous ne trouverez rien -, alors que du point de vue du résultat, elle produit un effet karmique certain. A contrario, aussi bien en termes de forme que de résultat, l'action est infaillible. Ce n'est pas contradictoire avec l'affirmation selon laquelle les choses ne pourraient pas exister si elles ne résultaient pas d'une « interdépendance forte ». Si toutes choses étaient aussi approximatives que la pensée, c.à.d. si le monde était purement imaginaire, nous serions autant en proie aux trois types de souffrance, mais il nous serait impossible de nous en délivrer! C'est parce que la loi de causalité est certaine que nous sommes notre propre ennemi, mais aussi notre propre protecteur...

Tout ce qui est soumis à la loi de l'origine est complètement soumis à la loi de cessation (...) Ainsi, le dharma, en tant que loi de détermination causale et origine de la douleur, est également, aussi surprenant que cela puisse paraître, l'essence de la Loi de la Doctrine NDV-76

Les « vues extrêmes » de l'éternalisme et du nihilisme ne font pas seulement obstacle à la compréhension et conséquemment à la réalisation de la vacuité, elles font également obstruction au développement de la compassion universelle en s'opposant à une action éthique vertueuse.

Il n'y a pas de lien de causalité entre sagesse et compassion, la réalisation de l'une n'entraîne pas de facto celle de l'autre. Toutefois, la « saisie directe » de la vacuité (c.à.d. voir la coémergence des apparences et de l'esprit), constitue un terrain propice à la germination de la graine de la compassion. Lorsque l'esprit est pris dans les « filets d'acier » de la conception du soi, le rapport à l'autre s'articule sur une « dualité forte » entre l'identité personnelle et l'altérité, basée sur la croyance en leur existence intrinsèque et véritable (autonome).

C'est là l'état d'esprit de « l'être ordinaire » (au sens voilé), dont la compassion est partiale, conditionnée par les actions des autres à notre égard et envers ceux que nous aimons. Dans ces conditions, même si l'on parvenait à faire naître la compassion pour tous les êtres sensibles, sans distinction ni préférence, il n'en resterait pas moins que sans la sagesse qui réalise la vacuité du soi, cette compassion s'inscrirait toujours dans un rapport duel à l'autre. A l'opposé, la mauvaise (ou trop radicale) compréhension de la vacuité emporte le sens d'une action compassionnelle sous le nihilisme de l'être. Si tout est inexistant au sens strict, à quoi bon se préoccuper de la souffrance, la mienne ou celle d'autrui ?

C'est lorsque nous parvenons à voir simultanément que les apparences sont des productions interdépendantes infaillibles du fait de leur vide d'existence inhérente et autonome que la compassion universelle peut surgir. Réaliser la production interdépendante, c'est réaliser que nous dépendons pour exister de la bonté et de l'existence des autres, sans qu'il n'y ait ultimement de frontière, de discontinuité et d'obstruction entre eux et nous, du fait de notre essence commune qui est la vacuité d'existence substantielle autonome.

Dominés par un fort attachement à la vacuité, certains semblent nier l'interdépendance des actes et de leurs effets, versant dans le grand nihilisme. Ils y remédieront en acquérant la compréhension définitive et la vision claire de l'interdépendance subtile des actes et leurs effets. Il est très important de combiner une parfaite connaissance de l'infaillible causalité et la compréhension définitive de la vacuité, le manque de nature propre de toute chose RL-342

Tant que la compassion demeure une intention, telle une graine stockée dans un grenier, aussi belle qu'elle soit à contempler, elle n'exige aucun effort, ni aucune peine pouvant survenir de la difficulté, voire de l'échec à la faire germer ! La mettre en œuvre implique un dur labeur, et parfois un bras de fer, contre les tendances innées en nous à éviter la peur de la perte, du déshonneur, de la souffrance et de la critique, et à rechercher l'attrait pour le gain, les honneurs, le plaisir et les louanges, autrement dit les « huit préoccupations mondaines » qui meuvent les êtres sous l'emprise du chérissement et de la « saisie (innée) du soi ».

Or, l'on ne saurait se revendiquer et encore moins agir par compassion sans adopter une éthique vertueuse. Où a-t-on jamais vu que nuire (ou laisser une situation nuire) aux autres était un comportement éthique ? Où a-t-on jamais vu une quelconque action bienveillante effectuée dans l'indifférence du sort et de la souffrance d'autrui ? Où a-t-on jamais vu que dissimuler, mentir et induire de fausses vues, c'était agir pour le bien d'autrui, sa sécurité et son calme mental ?

Il n'y a pas là seulement une cause de souffrance psychologique et physique pour ceux qui en sont les destinataires des actes, et un karman négatif pour ceux qui les commettent voire les fomentent à dessein, cela n'a tout simplement rien de cohérent avec l'intention d'agir par compassion pour le bien des êtres sensibles !

Il ne saurait y avoir de compassion sans une éthique vertueuse, ni de possibilité d'agir vertueusement sans abandonner l'attitude égotisme du « chérissement de soi » et les « fausses vues » qui le sous-tendent. C'est au moment du passage (ou du non passage) à l'acte que l'on mesure véritablement le caractère de l'intention qui anime une personne et la profondeur de ses sentiments...

Agir mû par l'éthique de la vertu tel que l'entend le bouddhisme n'est en rien un combat contre les autres, puisque nous n'avons en définitive de véritable ennemi que notre seul ego ! Les bouddhas sont également appelés « vainqueurs », car ils ont abandonné le chérissement du soi cause de toutes souffrances pour agir par préoccupation du sort des autres. Pour autant, nous ne devrions pas avoir à nous battre y compris avec nous-mêmes pour développer la compassion !

De l'extérieur, pour le profane, le bouddhisme apparaît bienveillant, altruiste et compassionnel, mais semble aussi exigeant voire quelque peu austère, dans sa transmission s'agissant du bouddhisme tibétain (très scolastique), comme dans sa pratique s'agissant du zen (eut égard à son dépouillement). Toutes choses qui font peur à l'ego, mais dont la plupart des êtres ordinaires ont besoin pour épurer leurs voiles, car aussi rigide que puisse paraître la vie monastique, la nécessité de ses règles et de ses vœux (de pratiquant laïc, de monial et de bodhisattva) se comprennent comme des « moyens habiles » pour transformer notre esprit.

Pour autant, lorsque l'on comprend le sens du Dharma, que sa familiarisation se développe en nous et écarte à mesure les voiles de l'ego, l'infaillibilité de la loi du karman ne présente plus un caractère effrayant ou fataliste. Traduire le sentiment naissant de la compassion d'intention en action par une éthique vertueuse se révèle une source d'inépuisable réjouissance ! Cultiver l'éthique de la compassion pour transformer notre esprit, ce n'est pas assécher notre cœur, c'est y faire germer la joie ! La joie de ne pas nuire aux êtres sensibles, la joie de venir en aide aux uns, la joie d'éviter aux autres le fruit d'un karman négatif, la joie de pratiquer pour le bien de tous les êtres sensibles...

La méditation ne va nulle part, elle ne cherche rien, elle est dépourvue d'objet. Elle se manifeste dans une absence de relation. Elle n'est qu'espace dans lequel le Réel se repose du besoin d'être quelque chose de particulier. Le silence intérieur ne découle pas de la méditation, il est sa manifestation et dans ce silence la musique se déploie. La méditation est un état de créativité alerte, de limpidité mentale qui s'exerce dans notre lien avec le Réel et trouve sa plus belle expression dans l'action. Nul besoin de se retirer du monde pour toucher pleinement la vie et la liberté PJ-36

Certes, nous ne pouvons pas changer l'esprit des autres même avec l'intention la plus pure, ni leur éviter un karman négatif (du moins sans avoir développé de réalisations spirituelles le permettant). C'est à chacun de faire le travail par lui-même, ce qui n'est aucunement contradictoire avec la joie d'œuvrer pour le bien d'autrui ! Une joie dont le pouvoir nous abstrait des préoccupations mondaines et nous emplis de bonheur à l'abandon du « chérissement de soi ».

Pour les captifs de l'ego, la vérité fait peur, car la recherche de satisfaction du moi est confiscatoire de toute joie saine, et privative de tout bonheur véritable. De fait, nous ne pouvons l'occulter, leur résistance égotiste nous semblera difficile, leur aveuglement fera obstacle à l'émergence d'une éthique vertueuse et à leur propre bonheur. C'est un mécanisme que la philosophie bouddhiste connaît bien, nous cherchons le bonheur mais par ignorance ne faisons qu'alimenter sans fin nos souffrances ! Nonobstant, ce sentiment d'injustice qu'instille le comportement non vertueux d'autrui n'est que le reflet... de notre propre ego meurtri, de notre colère et de notre réaction, laquelle traduit notre propre karman !

Lorsque la joie nous habite à la pensée d'œuvrer au bien des êtres sensibles ou de ne pas leur nuire, l'esprit s'éclaire. A cet instant, il apparaît évident qu'il n'y a pas de combat affligé ni de lutte amère à mener pour triompher du sentiment et des émotions perturbatrices que le soi nous instille. La joie à la fois simple et profonde qui s'empare de nous dans l'agir éthique accompagne la prise de conscience, et le rappel incessant de notre vigilance et de notre attention, de la compassion qui nous meut. « Ne pas nuire », œuvrer au bonheur des êtres, etc. remplissent alors notre esprit de bonheur...

A contrario, comment la compassion peut-elle nous emplir d'une si grande joie à sa pratique si l'éthique de sa vertu repose sur un ascétisme radical ?

En se livrant à des austérités extrêmes pendant six années passées dans la forêt, le Bouddha Sakyamuni a démontré que souffrir pour atteindre la libération n'était pas la solution. Hormis son caractère volontariste, les souffrances que Siddharta s'est infligé pour tenter d'atteindre au nirvāṇa et à l'Éveil ne se départagent pas des souffrances vécues par les êtres migrateurs. Nous souffrons déjà depuis des débuts sans commencement du fait des conséquences de nos actes, pourquoi devrions-nous encore (voire davantage) souffrir pour nous libérer du samsāra ? « En payer le prix » n'est-il pas plutôt une pensée spécifique à l'esprit attaché aux préoccupations mondaines du fait de sa captivité à la « saisie (innée) du soi » ?

Si elle ne s'accompagne pas de joie à l'impulsion et à la pratique de son éthique, la compassion n'est pas seulement un geste vide, elle est cause de souffrance par saturation de l'empathie ! La vue des souffrances des êtres en proie à la servitude dans « les filets du samsāra » ne permet de détruire notre attitude égoïste que sous la chaleur du brasier ardent du bonheur qui émane de l'éthique de l'agir vertueux pour le bien de tous les êtres sensibles.

Le renoncement, la prise de refuge, la prise de vœux, etc. ne sont pas des actes privatifs de liberté mais au contraire les conditions de l'accès à la libération. La « voie du milieu » que nous a montré le Bouddha n'est pas un chemin de pénitence mortifère, c'est un chemin d'allégresse et de bonheur ! Elle est la « joie du milieu » qui rend possible d'atteindre à la félicité ultime de l'état libre d'attachement et d'aversion qu'est la bouddhéité !

Saraha chante : point de délivrance pour les ascètes qui tourmentent leur corps, car ils se privent de la Réalité

La conscience est immaculée, ne la pollue pas par la pratique !

Cesse de te tourmenter et demeure dans l'intime félicité !

Libère-toi de l'égarement et abandonne toute recherche !

A l'origine le ciel est pur, mais l'être lié finit par le voir trouble.

L'imperfection des choses tient à ta propre pensée LGSE-58

Il en va tout autant de la compassion qui s'accompagne de la joie à la pratique vertueuse de l'éthique que de la sagesse dont la vue induit un sentiment de félicité à son développement. Lorsque la compréhension du sens de la vacuité se fait jour à l'esprit, le silence nāgārjunien face au caractère « libre d'assertion » de l'essence des choses (lequel rend impossible de définir la vacuité comme un « existant premier ») n'est en rien perçu, ni vécu, comme une abdication de la raison et un abandon de toute propension à saisir l'ontologie du réel, mais se révèle au contraire totalement libérateur de l'étau de pensée conceptuelle ! Pour autant, l'on ne saurait voir dans cette connaissance encore intellectuel le remède à nos souffrances, lequel consiste ultimement en la réalisation intuitive de la vacuité qui coupe la racine des émotions perturbatrices et du karman...

L'enseignement du Bouddha a une visée sotériologique, mais aussi puissant que soit le médicament (et aussi forte que soit la motivation compassionnelle à le délivrer aux êtres sensibles) son effet n'est pas immédiat, il ne le devient qu'à proportion de la lente et progressive transformation de notre esprit qui, elle seule, permet de faire face, ultimement, aux obstacles et aux épreuves de l'existence conditionnée. Le Bouddha est le refuge ultime, car c'est seulement en devenant soi-même un Bouddha que l'on sera définitivement protégé de la souffrance. Toutefois, sous le coup de l'adversité comme sous celui d'une vive douleur, ce dont les êtres ont besoin, là maintenant, dans « l'instant présent », c'est d'un soulagement immédiat, non d'un médicament qui ne fera effet que dans plusieurs années (au mieux grâce au Vajrayana) ou si ce n'est après plusieurs éons incommensurables, et dans tous les cas avec la motivation adéquate...

A l'instar de la « petite, moyenne et grande capacité » - qui correspondent à la motivation et à l'aptitude de chacun à trouver le bonheur, dans cette vie, de manière définitive (le nirvana) ou ultimement (l'Éveil) -, venir en aide aux êtres implique (d'autant plus lorsque l'on s'affirme mû par la compassion) de délivrer le « médicament des enseignements » de la philosophie bouddhiste d'une manière qui soit adaptée au caractère de leur souffrance, c.à.d. aux fins de leur apporter un apaisement à court terme autant qu'une solution à long terme. Prendre refuge ne suffit pas à œuvrer au bien des êtres si la réponse qu'on leur apporte reste dans des hauteurs abstraites de la contingence de leurs souffrances, et ne s'accompagne pas d'un comportement éthique vertueux !

Cela ne veut pas dire que délivrer l'explication du mécanisme de la souffrance et la manière de s'en libérer ne peut produire un effet d'apaisement instantané, à l'instar de l'immersion dans la nature qui a pour effet immédiat de reléguer nos problèmes au second plan. Toutefois, si l'ouverture à une perspective « plus vaste que soi » est lénifiant, elle reste toutefois... une simple ouverture !

L'on se méprend de croire que la seule compréhension d'un raisonnement suffit à le faire sien. Animés par le souhait que les personnes soient libérées de leurs souffrances, nous pouvons leur expliquer « l'inexistence du soi de la personne », il est même possible qu'avec les mots idoines et les métaphores adaptées, elles saisissent le concept de vacuité. Toutefois, elles seront fort probablement dans l'incapacité de reproduire par elles-mêmes, avec leurs propres mots, la logique du raisonnement qui y amène, car leur esprit n'est pas familiarisé avec le sens profond de l'ainsité, à la fois production interdépendante et libre d'assertion...

Sur le coup de l'immédiateté de la souffrance, l'exposé de la vacuité du soi de la personne et des phénomènes peut sembler une solution pertinente pour qui en a saisis le sens (ne serait-ce que conceptuel), et certainement la réponse apparaît-elle évidente pour les esprits totalement versés dans son enseignement, qui plus est, s'ils en ont un début de réalisation. Or, cette confiance, aussi justifiée soit-elle par l'éclairage de sa logique, peut être un leurre qui empêche de saisir pleinement la profondeur de la souffrance des personnes !

Face à la souffrance, la réponse à apporter pour le maître (le guide ou l'ami spirituel) n'est pas une solution hypostasiée à un problème métaphysique, mais un appui conventionnel qui passe par un soutien amical, une main tendue, et par la Sangha (la communauté des pratiquants bouddhistes) celle de tendre un « parapluie spirituel » sous un ciel d'orage. Simplement demander à la personne de se concentrer sur sa respiration peut avoir un effet apaisant, non pas tant par qu'il induit une reconnexion à l'instant présent, mais par le geste d'humanité ainsi témoigné à l'autre dans ce moment de détresse...

Ce n'est ni magique ni logique, c'est de l'empathie et de la compassion ! Aussi puissante que soit la logique, elle n'est pas libératrice ! Face au désarroi dans lequel la souffrance plonge les personnes, il est essentiel de savoir adapter la transmission des enseignements du Bouddha, non parce que ceux-ci devraient être adaptés (ils le sont) pour être à même de véritablement aider les êtres, mais parce que le Bouddha lui-même savait user des mots et de l'approche qui convenait à chacun. Certes, l'omniscience est une aide indubitable, mais la joie qui illumine la compassion est ici d'une aide insurpassable.

Captifs de la « saisie (innée) du soi » depuis des temps sans commencement, la plupart des individus sont de fait plus préoccupés par leur sort personnel que par celui des autres. Certaines personnes toutefois font preuve d'un grand altruisme à l'égard de leurs semblables, donnent de leur temps et de leurs forces pour aider les autres sans compter ni rien attendre en retour, voire sans ménager leur propre santé. L'altruisme authentique est inclusif de la compassion ! Or, même un enseignant, laïc ou y compris monial, par ailleurs parfaitement versé dans le Dharma, peut transmettre la parole du Bouddha à longueur d'années sur plus d'un continent par pure générosité et toutefois... manquer de compassion !

Ce n'est pas une critique ni une accusation. Tant que n'avons pas atteint l'état de Bouddha, par définition... nous manquons tous de compassion ! Comme « êtres ordinaires », nous devons faire des efforts constants, vigilants et répétés, pour épurer notre esprit des voiles des mauvaises habitudes accumulées depuis des temps sans commencement, développer la sagesse et la compassion. Il n'est donc pas incohérent ni paradoxal qu'une personne pleinement dévouée à servir les autres, soit en même temps... en déficit de compassion à leur égard !

Fort heureusement, la philosophie bouddhiste enseigne comment développer la compassion - présente en chacun à l'état naturel, mais partiale, conditionnée par les relations que nous avons avec les autres et le regard que nous portons sur leurs actes - pour tous les êtres sensibles sans distinction par la familiarisation de notre esprit à la vue de leurs souffrances. « En réfléchissant aux souffrances qui nous affligent personnellement, on développe le renoncement, puis en analysant celles qui affligent les autres, on développe la compassion » EVE-205.

Ce n'est toutefois pas par une simple analyse intellectuelle que l'on peut faire naître et développer la compassion, ni en répétant chaque jour (comme un perroquet) le vœu que les êtres soient libérés de leurs souffrances sans action concrète, mais en ouvrant notre cœur pour développer notre empathie ! Ainsi, lorsque survient une situation qui présente un risque pour la santé d'autrui, la manière dont nous y réagissons témoigne de la profondeur du sentiment. Si nous ne sommes pas animés par l'altruisme authentique, l'importance de « ne pas nuire » peut ne pas apparaître évidente, alors que si l'empathie soutien la compassion, la seule idée que les autres puissent souffrir nous inspire à saisir l'opportunité d'une action éthique vertueuse ! « Lorsqu'une compassion telle que l'esprit est incapable de tolérer de voir les êtres sensibles affligés de souffrances se développe, alors l'aspiration, le souhait, l'intention résolue, etc. de les voir libérés de la souffrance naîtront aisément et spontanément » EVE-268.

Comment le souhait de voir les êtres sensibles libérés de leurs souffrances peut-il germer du plus profond de notre cœur et embraser tout notre être si la vue de leurs souffrances ne fait pas résonner en nous l'écho de notre propre souffrance ?

Il ne suffit pas de savoir les autres souffrir pour éprouver de la compassion, nous devons être capables de « souffrir avec eux », ce qui est la faculté propre de l'empathie, laquelle ne signifie pas qu'il faille souffrir nous-mêmes dans notre être des mêmes maux qui les affectent pour pouvoir les comprendre, ne pas rester indifférent et y réagir pour leur venir en aide, mais de ressentir comme nous étant totalement insupportable la souffrance de n'importe quel être sensible comme s'il s'agissait des êtres qui nous sont les plus chers !

Il n'y a rien de grave à ce que la compassion ne soit pas innée chez tout le monde, et que nous n'éprouvions pas spontanément de l'empathie face au sort et à la souffrance d'autrui, car tout ça se travaille ! Nombreuses sont les histoires des grands maîtres qui (tel Gyalsé Thogmé Zangpo qui résuma le Bodhicaryāvatāra de Śāntideva) dès leur plus jeune âge montrèrent une immense compassion à l'égard des êtres sensibles, fruit du développement de leurs vies passées. « Dès qu'il commença à parler, chacun vit qu'il n'était que compassion. Un jour il se mit à pleurer alors qu'un coup de vent entraînait au loin une feuille. Pourquoi pleures-tu ? demanda sa mère. Le vent emporte un animal vers le ciel ! » ACC-17.

Les neurosciences commencent à comprendre que la conscience n'est pas à l'origine de nos décisions, qui émergent des méandres du cerveau d'une myriade de processus interreliés dont la mécanique est trop complexe pour en avoir conscience, laquelle n'en est... que le reflet ou l'écho ! « Il faut vingt trois centièmes de secondes au cerveau pour effectuer les opérations qui précèdent l'action, la partie consciente du cerveau ne fait que choisir ce que l'inconscient a déjà choisi (...) Le spontané serait simplement l'acceptation immédiate des choix inconscients (...) être spontané, c'est être inconscient » LPJ-42.

Il nous est toutefois possible de reprogrammer ce processus, c.à.d. de remplacer nos schémas de pensée négatifs de sorte à ce que nos décisions spontanées deviennent vertueuses. La compassion s'apprend ! C'est toute la finalité de la bhāvanā bouddhiste qui vise la transformation de l'esprit par la purification de nos voiles et l'actualisation du potentiel de notre nature de Bouddha, pour nous emplir d'une compassion sans discrimination à l'égard de tous les êtres sensibles.

Comment peut-on faire naître la compassion sans se rapprocher des autres, sans toucher du doigt leur condition de souffrance, « sans s'égaliser et s'échanger avec les autres » (laquelle technique n'est pas qu'un simple vœu pieux) ?

Siddhârta est sorti de son palais pour y découvrir la souffrance de la maladie, de la vieillesse et de la mort, et en se livrant lui-même à une ascèse extrême pendant six longues années, il a expérimenté la souffrance dans son corps. Étant donné qu'il avait déjà atteint l'Éveil et résidait dans les « Terres pures de Tusita », il n'avait nul besoin de se mettre à la hauteur des êtres migrateurs, pourtant il n'a pas hésité pour leur montrer la voie de la libération de toutes souffrances !

L'adversité, ça n'est pas seulement l'affaire des autres ! Hormis les Bouddha qui n'ont plus rien à apprendre (mais qui sont toujours présents pour aider les êtres sensibles et migrateurs), qu'il s'agisse de la personne directement touchée par la souffrance, d'un témoin, d'un ami ou d'un guide (et maître) spirituel, nous avons tous à découvrir et à approfondir de sa souffrance pour notre propre développement. Pas plus que nous ne pouvons tourner le dos à une personne qui nous est chère alors que nous la savons en proie à la souffrance, le maître spirituel ne peut humainement écarter une situation d'adversité vécue par les êtres ordinaires sous couvert qu'il ne s'agit là que de « perturbations mentales » (ce qui est toujours ultimement le cas sous la vue de la vacuité) ! Le Bouddha lui-même l'a démontré, même lorsque l'on est un être réalisé, ce n'est pas parce que l'on n'a « plus rien à apprendre » que, pour autant, l'on n'a plus à rien à montrer, à commencer par l'importance de développer de l'empathie pour la souffrance des autres comme le premier pas vers la compassion !

Le seul respect du précepte de « ne pas nuire » aux autres, pas plus que son énoncé et sa répétition quotidienne ne sont suffisant si la compassion ne trouve pas l'énergie du moteur de l'empathie, laquelle permet de passer de l'intention de voir les êtres libérés de leurs souffrances à l'action concrète de les en libérer. Le défaut de cette même empathie peut entraîner au « surmenage altruiste », la compassion pour soi - le renoncement aux causes de la souffrance que sont nos propres actes négatifs - étant le premier pas du développement de la compassion pour les autres, relativement au fait que c'est de l'incapacité ou de la difficulté à ressentir de la souffrance pour son propre sort qui peut conduire une personne, par aveuglement, à s'épuiser au nom du bien des autres !

Ne nous y trompons pas, l'altruisme est un état d'esprit magnifique, mais s'il ne s'accompagne ou n'est pas mû par compassion, il ne suffit pas à compenser le besoin vital de l'amour humain, comme dans les bidonvilles de Calcutta[i] où les soins apportés aux plus démunis sont affectés par un cruel défaut d'empathie. Certes, face aux manques de moyens de l'Inde en matière de santé et le nombre considérable de malades, la compassion la plus profonde ne suffit pas venir à bout des souffrances des mauvaises destinées. Mais, sans l'empathie qui meut la compassion et rend l'altruisme « authentique », ce dernier est insuffisant pour lutter efficacement contre l'égocentrisme et renverser le chérissement excessif de soi. « Voyant que cette maladie chronique qu'est le chérissement de soi est la cause produisant toutes les souffrances non désirées, inspirez-moi afin que je l'identifie avec hargne comme le causeur de trouble et que j'anéantisse ce monstrueux démon qu'est l'adhésion à un soi » EVE-282.

Une autre caractéristique, plus signifiante encore, de cet écueil est l'absence de la joie qui jaillit de l'agir visant à ne pas nuire aux autres, à œuvrer à leur bonheur, à leur éviter de développer un karman négatif, etc. L'altruisme n'est pas exempt de joie s'il est mû par compassion, mais le fait qu'il soit possible de s'épuiser à l'agir altruiste témoigne d'un défaut d'auto compassion par manque d'écoute de son corps, parce que l'incapacité à éprouver de l'empathie envers soi-même finit par mener au surmenage ! A contrario, la joie éprouvée à la simple idée de savoir que l'on agit en vue de libérer les autres de leurs souffrances est le bouclier de « l'effort joyeux » à la pratique de la compassion en action.

Cette joie n'est pas conditionnée par un résultat, ce sur quoi il nous faut apprendre à lâcher-prise afin de ne pas être captif des préoccupations mondaines. Cette joie n'est pas non plus synonyme de réalisation de l'inexistence du soi de la personne. Il y a toujours dualité d'un « je » qui agit pour un « je » autre que soi, mais comme « simples désignations » en-deçà de l'ego. L'on n'agit plus avec l'intention de ne pas nuire parce que l'on est animé par le désir d'en retirer un intérêt pour soi ou par l'impulsion de l'attachement aux autres parce qu'ils nous sont chers.

Pour savoir ce que cela fait, il n'y a pas d'autre moyen que d'éprouver cette joie et pour se faire, il n'y a pas d'autre vecteur que l'empathie ! Il est donc essentiel de développer notre compassion par la technique des « sept causes et effet » d'Atisha ou le tonglen de Shantidéva, jusqu'au moment où l'agir par compassion deviendra spontané, et où la joie immense qu'il induit s'accompagne de la clarté de l'évidence à la prise de conscience que tout sur notre chemin nous amenait à cet instant précis du jaillissement de la compassion au cœur de notre être...

Pour nous y entraîner, un « maître spirituel » est essentiel. Or, il faut des années pour s'assurer de son « authenticité », à la fois parce qu'il faut vivre à ses côtés et user d'un discernement constant pour apprendre à le connaître, mais parce que notre capacité à prendre des décisions éclairées, comme la confiance envers le Bouddha, le Dharma et la Sangha (surtout conventionnelle), se cultive. Puisque nos décisions sont déjà prises avant de croire (sous l'illusion du libre-arbitre) que c'est nous qui les prenons, comment pouvons-nous être sûrs que sans y avoir instillé l'éclairage de la raison... la première impression soit la bonne ?

N'abordez pas le bouddhisme, en particulier tibétain, sous le principe de la seule dévotion au maître comme condition sine qua none pour atteindre l'Éveil. Jamais un « maître spirituel authentique » ne vous demandera d'abdiquer votre raison et votre intelligence au profit de sa seule parole. Sans la motivation de transformer votre esprit par compassion afin de développer les « réalisations spirituelles » qui vous permettrons, ultimement, d'œuvrer au bien de tous les êtres, le suivi aveugle des instructions ne vous mènera pas à la libération.

Il est de votre devoir d'user de votre raisonnement pour développer la « confiance éclairée » dans le bouddhisme, lequel ne se conçoit pas (dans sa philosophie et ses pratiques) comme une relation « de maître à disciple », mais d'enseignant à élève, un respect qui ne fonctionne... que s'il est réciproque ! Le respect de l'élève pour l'enseignant doit s'accompagner du respect de l'enseignant pour l'élève, car il est pour chacun d'eux, en essence, le respect pour le Bouddha et le Dharma. Ce qui implique que le maître se doit également... d'apprendre et d'évoluer de par ses relations avec ses élèves !

La perte de cette vision absolue de la relation [les disciples doivent faire travailler les maîtres spirituels en les renvoyant sans cesse à leur pratique, instaurant ainsi un véritable échange] est la cause de toutes les désillusions, de toutes les tromperies, de tous les abus LGSE

Le doute, lorsqu'il n'est pas constructif, est un poison qui ronge toute certitude. Mais, si à forte dose un poison est nocif, voire mortel, à « dose médicinale », ce n'est rien d'autre qu'un médicament ! Le Dharma est parfois comparé à un remède, le Bouddha à un médecin et la Sangha à une infirmière. Or, si les signifiés sont ultimement purs, de par leur caractère mondain les signifiants peuvent présenter un caractère trompeur... Vérifiez ! Lorsque je suis en proie au doute, celui que je considère comme votre maître, guide ou simplement ami spirituel se préoccupe-t-il de mes incertitudes, voire de mon désarroi ?

Nos réactions nous appartiennent. Elles ne sont pas le fait des autres, mais de nos propres voiles et de notre karman. Pour autant, même en dehors du cadre de toute spiritualité, un ami (pour peu qu'il soit véritable) tentera de nous apportez son aide. L'éclairage de la philosophie bouddhiste nous permets de comprendre que même animé d'une immense compassion, nous ne pouvons pas changer les autres, et d'apprendre à lâcher-prise sur l'attachement à le vouloir. Pour autant, cela n'exempte pas untel qui se présente comme un « précepteur spirituel » de laisser l'autre gérer seul ses problèmes en se retranchant derrière la position que c'est à chacun de dissiper ses doutes et de développer sa confiance !

Nous projetons sur les maîtres spirituels un rêve de perfection qui finit par étouffer les plus authentiques. Pris au piège de l'admiration sans nuance de leurs disciples, ils se réfugient derrière l'institution de la «sainte folie » qui reconnaît aux maîtres le droit à la folie authentique et leur offre l'assemblée des disciples en guise de camisole de force LGSE-10

Pour le maître, rester en retrait le préserve des risques de dérive de son propre ego et évite à l'élève d'aller jusqu'à lui vouer une dévotion sans retenue parce qu'il aura abdiqué son esprit critique ! Pour autant, comment concilier l'amour, qui au sens bouddhiste est le souhait de voir tous les êtres trouver le bonheur, et une position non-interventionniste ou de non-ingérence qui laisse l'autre, seul, pour résoudre ses doutes et se libérer des perturbations mentales qu'il engendre ?

Comme il nous faut cultiver notre empathie à la vue de la souffrance des autres pour développer notre compassion, s'agissant du choix d'un maître spirituel, développer en lui notre « confiance éclairée » implique, très certainement, d'interroger sans cesse son authenticité, ce qui passe par l'adéquation de son fonctionnement au respect des vertus que nous développons en nous... grâce à son enseignement - dont il nous faut par ailleurs reconnaître la bonté - !

Il est clair que nous préférerions tous rencontrer, et pouvoir suivre en toute sûreté, un guide spirituel exempt de tous défauts, une Sangha conventionnelle libre de toutes préoccupations mondaines, et que jamais aucun débordement ou incident, mensonge ou faux-semblant ne vienne ternir l'image du bouddhisme. Mais, la perfection n'existe que chez les Bouddhas. Réfléchissez ! N'est-ce pas flatter mon ego que d'exiger de « mon » maître spirituel qu'il soit un Bouddha ? Ne vaut-il pas plutôt mieux qu'il soit encore lui-même en chemin, de sorte à ce que ses imperfections me soient utiles pour apprendre et progresser sur le mien ?

Ne croyez jamais que le chemin est tout tracé, que vous n'aurez jamais à vous remettre en question et y compris à remettre en question celui que vous voyez aujourd'hui comme un maître, un guide ou simplement un ami spirituel. Tout est impermanent et donc rien n'est garanti d'avance ! Croire le contraire est cause de trouble. Mais puisque tout est impermanent... rien non plus n'est perdu d'avance ! Lâcher-prise sur toute certitude est le meilleur moyen de faire taire le doute que nous inspire la croyance... d'avoir des certitudes ! Écoutez le Bouddha, «doutez de tout, surtout de ce que je vais vous dire » LGSE-13.

Nous doutons de l'extérieur, des événements, des autres, nous affirmons même « ce n'est pas possible, je n'arrive pas y croire », mais ne serait-ce pas plutôt (ou du moins autant) de nous-mêmes que nous devrions commencer par douter ?

Tout événement, surtout lorsqu'il touche à une relation spirituelle, est toujours un rappel que nous sommes des êtres ordinaires, éminemment perfectibles, et que ne pouvons pas nous permettre de faire l'économie d'une vigilance et d'une attention constantes envers la confiance que nous accordons aux autres, mais aussi à la manière dont se forme cette confiance en nous...

Lorsqu'une situation remet en cause notre rapport à un ami, un guide ou à un maître spirituel, cela doit nous interroger sur notre propre motivation, sur notre intention profonde, sur nos vœux de pratiquant si nous en avons pris et sur notre propre capacité à les respecter. Au quotidien, agissons-nous toujours dans l'esprit du Dharma ? Ne pas pouvoir répondre « oui » n'est pas grave, car nous sommes tous en chemin, mais se leurrer et tromper les autres en l'affirmant nous est non seulement préjudiciable, mais impacte l'image que nous donnons du Dharma à ceux qui s'emploient, sincèrement, à en faire l'instrument de leur libération !

Réfléchissez sagement. Comment puis-je transformer les obstacles, l'adversité, et les réactions qu'ils déclenchent en moi pour évoluer sur le chemin ?

C'est par une constante surveillance et une remise en question (constructive) sous l'éclairage du Dharma, qu'il est possible de progresser. Lorsque nous nous rétablissons en accord avec notre nature profonde par un comportement éthique adéquat, nous avons l'impression d'être «libéré d'un poids », et nous emplissons de la joie qui accompagne notre harmonie intérieure retrouvée...

La joie naît de l'adéquation entre la compassion comme intention (le souhait que tous les êtres sensibles soient délivrés de la souffrance) et l'agir par compassion, qui met en œuvre le précepte (et le vœu) de « ne pas nuire », en lien avec l'amour (le souhait que tous les êtres puissent trouver le bonheur) et l'action visant à leur permettre de le trouver. L'enseignant du Dharma peut s'éprouver satisfait de transmettre les enseignements de manière « pure », c.à.d. sans que son esprit ni celui de ses élèves ne soient troublés par des perturbations mentales, des préoccupations mondaines ou des élaborations conceptuelles erronées. Mais, ce sentiment est à distinguer de la véritable joie de la transmission, laquelle implique la cohérence du message et des actes du messager...

Pour développer « la sagesse de l'écoute », c.à.d. de recevoir correctement les enseignements (et pouvoir ensuite les méditer), il est important d'éliminer les défauts des « trois bols » (sale, troué, renversé). Si la salle d'opération, les instruments du chirurgien et la zone à opérer ne sont pas stériles, le patient peut être infecté par de mauvaises bactéries et tenter de le soigner n'aura servi à rien ! Il importe donc de balayer les impuretés (mentales) afin de recevoir le Dharma qui, souillé, perd de son pouvoir. Cependant, il y a un risque de biais qui est, pour l'enseignant, de croire que la pureté des conditions de transmission du Dharma (incluant sa motivation), garanti la pureté de ses engagements. Lorsque le maître perd (ou coupe) la relation de réciprocité avec ses élèves, il en vient à considérer son comportement comme n'entrant pas dans l'équation ! Or, comment peut-on enseigner la compassion si ses propres actes ne sont pas en adhésion avec l'intention de ne pas nuire et d'œuvrer au bonheur des êtres ?

Et comment, par ailleurs, peut-on simplement considérer possible de transmettre le Dharma d'une manière « pure » à des êtres plongés dans le samsāra et en y étant plongé soi-même ? Cela revient à croire possible des conditions d'asepsie totale en occultant, et la nature de biotope, et notre propre qualité d'être vivant ! Un élément de réponse est à rechercher dans la raison pour laquelle, comme l'explique Daniel Odier, la transmission du Dharma tend à s'abstraire (chez certains) d'un rapport de symétrie entre l'enseignant et l'élève, le premier n'ayant rien à retirer de sa relation au second vu comme miroir pour sa propre évolution...

Il y a là un point d'achoppement qui touche à la conception par le bouddhisme tibétain de la transmission du Dharma, un constat qui n'est pas représentatif d'une généralité, mais plutôt de l'oubli (par ailleurs naturel pour tout « être ordinaire ») du caractère interprétatif et non définitif y compris de la vacuité !

En considérant la transmission du Dharma comme une « chaîne » interrompue depuis le Bouddha Sakyamuni (constituée par une lignée d'éveillés, de grands maîtres et de maîtres jusqu'à notre ère actuelle), l'enseignant s'inscrit dans un courant initié par un être réalisé qui, n'ayant plus rien à apprendre, transmet sa sagesse sans que celle-ci n'ait besoin d'être amendée, complétée, actualisée. Dans cette optique, le rôle de l'enseignant est de transmettre de la manière « la plus pure ». Bien sûr, cela implique d'être (et de viser à être) soi-même pur, via ses engagements et sa pratique spirituelle. Toutefois, le Dharma n'est pas une langue morte, c'est une philosophie à visée sotériologique pour soi et les autres, laquelle ne se limite pas à transmettre, mais implique d'agir par compassion avec une éthique en accord avec les principes enseignés !

En Occident, les personnes qui poussent la porte des centres bouddhistes de toutes traditions en quête de solutions et de réponses à leurs souffrances ont une forte propension à l'indépendance de pensée (devrait-on dire à l'individualisme !), et un « esprit critique » d'autant plus développé. De débutant candide pour le moins perdu dans la complexité du bouddhisme à simple pratiquant laïc qui a pris refuge dans le Bouddha sans être toutefois plus éclairé, nul n'a toutefois besoin d'une capacité de discernement maturée par de nombreuses années d'études de philosophie bouddhiste pour saisir la simplicité du cœur du message du Bouddha, agir par compassion et sagesse pour le bien de tous les êtres sensibles !

Or, s'il y a une chose de moins en moins tolérée dans notre société (hormis les discours fallacieux), c'est que les actes des prescripteurs ne soient pas en accord avec les principes qu'ils prônent. Autant dire, que nous avons tous une certaine aptitude à reconnaître les agissements non vertueux ! Dans le bouddhisme, il est encore plus évident de distinguer les incohérences entre les actes de l'enseignant et l'enseignement, du moins lorsque celui-ci n'est pas déformé et que l'élève n'est pas entraîné à adopter une posture de dévotion aveugle...

Nous sommes tous des « êtres ordinaires », éminemment perfectibles et sujets à l'erreur, et dès lors que la compréhension du karman fait sens, nous ne saurions en rendre les autres responsables. Prendre refuge dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha implique un certain respect, mais lorsque nous sommes témoins d'un décalage manifeste entre un discours, qui affirme vouloir sincèrement le bonheur des autres et leur éviter de souffrir, et des actes qui vont en contresens, nous sommes en droit... de faire acte de désobéissance !

Cela peut sembler antithétique au regard de « l'émotion perturbatrice » qu'est la colère - outre la question de savoir s'il existe une « saine colère » qui ne soit pas une colère déguisée sous des atours qui la font passer pour vertueuse -. Mais, cet « acte d'insoumission », dès lors qu'il est décohéré du sentiment délétère de la colère (et vise à ne pas nuire aux êtres sensibles et/ou à leur tendre la main pour essayer de les amener au bonheur) se révèle témoigner de plus de compassion et être emprunt de plus d'amour qu'une posture de « retrait », voire de «distanciation » ! Cette neutralité qui se justifie comme la conception d'une relation entre le maître et l'élève expurgée de toute « créativité réciproque » - si ce n'est érigée comme interdit pour ne pas « contaminer la transmission » - oblitère tout enrichissement spirituel mutuel permise par un Dharma vivant !

Il y a quelque chose de paradoxal à enseigner comment devenir une personne bienveillante, emplie d'amour et de compassion, oeuvrant pour tous les êtres sensibles à chaque instant du quotidien, en plaçant l'enseignant au-dessus de toute contingence mondaine, dans une bulle déconnectée du réel conventionnel, où l'élève doit se placer comme en réception d'une «manne céleste » !

Ce qui fait une religion, ce n'est pas la nature du message, c'est la forme de sa transmission. Isoler le fond et le poser comme un absolu dans un rapport du maître à l'élève où l'enseignant est érigé en garant de la pureté du message de par sa distanciation au domaine mondain, est le propre de toutes les religions. Les prophètes et prêtresses ont toujours été considérés comme « sacrés », car dépositaires de la parole divine. Maintenir la distance avec les croyants garanti la pureté du message. Remettre en cause le messager, c'est douter du message !

Il ne suffit donc pas, en tant qu'élève, d'être libres de questionner le corpus de la doctrine bouddhiste, pour établir son caractère philosophique. Il faut encore que le maître s'autorise à être redevable d'une conduite éthique (et encourager ses élèves à le remettre en question s'il vient à y faillir), conduite qui témoigne du développement (voire de la réalisation) des vertus qu'il transmet non seulement par l'enseignement, mais à travers son propre exemple.

Réfléchissez ! Le mérite du don du Dharma abstrait de la préoccupation de toutes les contingences qui affectent les êtres sensibles vaut-il la joie éprouvée à l'action éthique de ne pas nuire aux êtres sensibles et/ou d'œuvrer à leur bonheur ?

Qu'il soit possible de laisser sous-entendre que l'on puisse (intentionnellement ou non) réduire une situation à risque pour des personnes vulnérables (quelle que soit la nature de ce risque) à une simple « conception mentale perturbée », est pour le moins une croyance (voire un désir) qui s'appuie sur la surévaluation des capacités de l'esprit des élèves, et sur la sous-évaluation comparée de la joie que leur communique l'exemplarité du comportement du guide spirituel. Ultimement, certes, une seule chose est l'essence de toutes choses (de la maladie comme de la santé, de l'adversité comme du bonheur, de la matière comme des pensées), mais saisir la vacuité, ce n'est pas sombrer dans le nihilisme qui abolit le karman, c'est réaliser comment la vacuité apparaît comme la cause et l'effet infaillible !

Au fil du lignage de sa transmission, l'invocation du Bouddha à « douter de tout » (y compris du Dharma !), n'aurait-elle pas mis de côté l'enseignant eut égard à la pureté de la source («l'excellence de l'auteur ») ? A moins que l'insistance des maîtres à souligner « l'excellence du Dharma » ne l'ait exclu dès le départ ?

A son niveau le plus élevé, la philosophie bouddhiste questionne l'existence du soi, mais avant de pratiquer la « vision supérieure », elle nous demande de nous interroger sur nous-mêmes, sur notre rapport au monde et aux autres, lesquels conditionnent nos relations avec chacun. Cette mise en questionnement n'est pas un exercice de rhétorique abstrait du réel !Il ne s'agit pas « de méditer au désert » loin des sources d'agitation et de distraction mondaines - ce qui est nonobstant utile pour « fortifiez votre persévérance afin d'accomplir rapidement votre bien-être éternel » 3AV -, mais d'interroger l'authenticité de notre intention dans le miroir de nos actes. La philosophie bouddhiste ne saurait être autrement qualifiée de « philosophie » si elle cessait de se livrer à cet examen ! « Ne plus philosopher, c'est admettre que ses pensées passées sont devenues des faits, que notre responsabilité présente n'est plus engagée à leur endroit. Quand la pensée retourne au fait, elle cesse d'être pensée, et c'est ainsi que la philosophie produit des doctrines et des systèmes (...) la pensée ne peut être que le dynamisme même de la réflexivité critique et du jugement[ii] ».

La transmission du Dharma est une œuvre de grande générosité, de compassion et d'amour, qui vise à produire les causes et conditions permettant de transformer l'esprit pour atteindre le bonheur véritable, par le développement de la sagesse qui procède d'une pensée qui se pense jusqu'à réaliser ultimement qu'il n'y a rien à penser ! « La pensée philosophique a pour condition première de ne pas se coucher devant "le fait" (...) puisque ce qui pourrait se présenter comme tel exclut par principe qu'il y ait quelque chose à en penser. La pensée philosophique s'instaure quand les faits deviennent des questions et des problèmes ibid.».

La tentation pour l'ego est grande, afin de poursuivre en toute tranquillité sa quête de satisfaction personnelle, d'étouffer toute question et tout problème par le mensonge et la dissimulation avant qu'ils n'engendrent la controverse, surtout s'il s'ajoute déjà à une montagne d'artifices ! Il est certes possible de neutraliser la critique et le jugement par la mystification de la vérité, de sorte à empêcher « la pensée de se penser » et ainsi se réfugier derrière «l'inamovibilité des faits ». Toutefois, ce karman ne protège en rien d'une pensée qui, lorsque le fruit de la tromperie arrivera à maturation, se révèle d'autant plus résolue à « penser l'éthique » en proportion des efforts déployés jusque-là à vouloir l'en empêcher !

Quant à ne rien faire alors que le respect d'une éthique vertueuse (et de ses vœux s'agissant d'un pratiquant bouddhiste) l'exige, ce n'est aucunement s'épargner d'être mis hors de cause lorsqu'il s'agit d'éviter une possible souffrance à autrui. Il est d'autant plus difficile de comprendre (hormis d'y voir l'aveuglément de l'ego à son implication personnelle) comment il est possible de ne pas réagir à un tel problème lorsque l'on sait que toute action, négative, positive ou neutre, s'inscrit dans le Dharma et relève de la loi de causalité dont la rétribution est infaillible !

Pour autant, ce n'est pas surprenant si nous occultons le fait que « l'excellence de la parole » n'est en rien garante de la vertu des actes, et plus insidieusement encore que le fait de transmettre un message fusse-t-il excellent n'est en rien garant de conférer aux actes de son vecteur un caractère d'excellence ! A force de trop se fier au label, on finit par l'ériger en fait et par oublier que le Dharma (qui vise à transformer notre esprit pour atteindre le bonheur) ne révèle sa valeur que dans le dynamisme même de l'action.

« Doutez de tout, surtout de ce que je vais vous dire » LGSE-13 est ce qu'en logique on appelle une « proposition (formellement) indécidable » ! Établir la validité d'un raisonnement implique de pouvoir s'appuyer sur la validité de l'instrument qui permet d'établir sa véracité. Or, si l'instrument de mesure est faussé, la mesure le sera aussi ! Si la capacité du connaisseur n'est pas fiable, il n'est pas possible d'établir la véracité du connu, mais également de déterminer sa fausseté, c'est donc la possibilité même du connaissable qui est mise en question !

Ces limitations du connaître sont relatives à la pensée conceptuelle dont est abstraite la «saisie (yogique) directe ». Connaître la véritable nature des choses, réaliser leur vacuité d'existence (et de non-existence) substantielle, autonome et ontique, il faut « sortir du cadre » de la réalité conventionnelle, passer au-delà du par-delà de la pensée conceptuelle, à laquelle il ne faut pas conférer une valeur absolue comme instrument de détermination de la réalité.

La philosophie bouddhiste nous dit que rien n'arrive par hasard, aucune chose ne peut être issue de rien, de son propre pouvoir, de quelque chose complètement opposée, ou d'aucun des deux. Tout est issu de causes et de conditions, ce que l'on peut résumer par « ce n'est pas magique, c'est logique ! ». Cependant, pour être complet, il faut préciser « relativement logique » ! Sans le conventionnel, il ne serait pas possible d'affirmer que « les apparences sont des productions interdépendantes infaillibles et la vacuité est libre d'assertion », laquelle vérité n'est... qu'une assertion relative ! De plus, oublier le fait que la vacuité est une « vérité conventionnelle », c'est risquer de tomber dans le piège aporétique de la croire réelle en lieu et place de la substance dont elle vise à réfuter l'existence.

Doutez de tout inclut... y compris du Dharma ! Le sens de « douter » ne se veut pas négatif et dénigrant, ni même « critique » au sens positif du terme. Doutez, signifie « mettre le Dharma à l'épreuve des faits » afin d'éviter la dérive qui consiste à « penser le Dharma comme un fait », inamovible et irrécusable, dont le caractère dogmatique est le propre des religions et de tout extrémisme.

La raison pour laquelle le Bouddha Sakyamuni transmis le Dharma, c'est par compassion et par amour pour permettre aux êtres sensibles et migrateurs de se libérer de leurs souffrances et d'atteindre au bonheur ultime. Le Dharma n'est pas une langue morte ni un savoir scolastique qui s'enseigne dans les amphithéâtres des académies, et sanctionné par un diplôme à l'issue de la réussite du passage d'un examen ! Le Dharma est un état qui résulte de la transformation de l'esprit par l'épuration de ses voiles, le développement de la sagesse et de la compassion. Son actualisation (qui est l'état de Bouddha) est indissociable de la vie et s'opère par l'expérience, au contact des obstacles et de l'adversité de « l'existence conditionnée », par la mise en œuvre des « vertus transcendantes » (ou paramita) dont l'une des premières est... une éthique vertueuse !

Verser de l'eau (propre) dans un bol sale, elle sera souillée. Verser de l'eau dans un bol (propre), avec des mains sales, elle sera souillée ! Verser de l'eau dans un bol, avec des mains (propres), dans un air empli d'impuretés, elle sera souillée ! Le maître enseigne dans le samsara. Il ne peut faire abstraction des contingences matérielles (fussent-elles de simples apparences et conceptions mentales), ni s'abstenir d'agir avec sagesse et compassion pour éviter aux êtres de souffrir alors que son enseignement vise à le leur en inculquer les moyens !

La racine sanskrite du mot « dharma » (dhr-) signifie « porter, tenir », ce qui peut se résumer par «ce qui porte et maintient (les caractéristiques de) sa propre identité », laquelle définition se décline comme : « tous les connaissables ou phénomènes ; la voie de la vérité ; le nirvāṇa ; les objets de l'esprit ; les mérites vertueux ; les écritures du Dharma ; les objets matériels ; les vœux» DEB-172.

L'enseignement du Dharma est à la fois celui des phénomènes (composés et incomposés) du samsāra, et de « la voie de la libération » du nirvāṇa. Ultimement, étant donné que les apparences sont coémergentes de l'esprit, il n'existe aucun phénomène qui existe en-soi, de manière indépendante de la pensée. Il y a seulement la vue biaisée « d'isolats » conceptuels qui, à l'instar de la forme et du vide, apparaissent distincts en manifestation et en essence, alors qu'ils sont « séparés mais non séparables » - leur séparation relative étant l'expression d'un « effet de perspective » de l'esprit voilé -.

A l'extrême, lorsque cette dualité devient dogmatique (que la philosophie se pétrifie en fait), elle pourrait entraîner à penser la vertu sous l'angle de la primauté de l'intention sur l'action. La perte de vue de l'indissociabilité du « dharma comme terrain » au « Dharma comme enseignement » biaise, voire se fait inhibitrice, du discernement d'une situation pour laquelle l'inaction est susceptible de nuire aux êtres sensibles ! « Une traduction a besoin d'être incarnée dans la chair de l'expérience. Cette incorporation [qui dépasse les traductions linguistiques et intellectuelles] passe par l'expérience et la réalisation de ce dont il s'agit. Les traditions qui perdent l'esprit sont celles qui perdent le contact avec l'expérience de ce qu'elles disent[iii] ».

Un autre mot a sa pleine importance dans ce contexte pour comprendre ce mécanisme, «karman » dont la racine sanskrite (kr-) signifie « agir, acte, action, dans un sens qui souligne l'efficience de l'acte (...) chargé d'une valeur favorable ou défavorable selon l'intention qui l'anime, et son résultat mûrit toujours au sein du samsāra en bien ou en mal selon l'intention de départ » DEB-299.

Or dans le bouddhisme, les actions ne sont pas uniquement celles du corps, mais également celles de la parole et de l'esprit, « les trois portes (tri dvāra), les trois agents par lesquels sont accomplies toutes les activités » FRS-197. L'on distinguera ainsi « les karmans motivants ou intentionnels liés à l'intention de l'esprit, et les karmans voulus ou motivés liés à l'acte lui-même quand il s'accomplit », dans une articulation ou l'intention préside à la pensée « l'intention est un karman motivant, parce qu'il peut entraîner la production de karman du corps, de la parole et de l'esprit, qui sont des karmans motivés, suscités par l'esprit » DEB-301.

Le bouddhisme pose quatre « voies » qui doivent être réunies pour qu'un karman soit « complet» : l'intention, l'objet, l'acte, et le sentiment qui en découle. Par exemple, un mercenaire qui part à la guerre avec l'intention de tuer, voit un ennemi, tire et le tue, puis se satisfait de son acte, produit un karman négatif -dont le « fruit » ou la « rétribution » à son encontre sera de même nature -. S'agissant des paramitas, il y a un non-dit ! La générosité par exemple peut se traduire par une action de la « porte de l'esprit » (développer l'état d'esprit du don, qui ne nécessite pas de donner concrètement), une action de la « porte de la parole » comme de transmettre le Dharma, ou une action de la « porte du corps » comme d'aider les plus démunis avec de l'argent, des vêtements, de la nourriture.

Mais, curieusement, l'on ne parle pas dans ce contexte d'une « action méritoire ou vertueuse complète ». Pourtant, si l'on se réfère à la définition du karman, une action ne produit pas un « fruit de vertu » parce qu'elle est (simplement) de nature vertueuse, mais parce qu'elle est motivée par une telle intention y préside, qu'elle porte sur un objet (un être en l'occurrence), procède de l'une des « trois portes » de l'action, et induit un sentiment de réjouissance à son accomplissement.

Si l'on considère le fait que nos décisions sont élaborées dans l'inconscient, la conscience ne faisant que suivre, et étant donné que les « actions motivées » du corps sont l'expression corporelle effective des « actions motivantes » de l'esprit (c.à.d. la matérialisation de nos pensées), un moyen d'évaluer le degré de transformation (vertueuse) de notre esprit par la familiarisation avec le Dharma, est d'observer le caractère des actions spontanées de nos «trois portes » !

Le bouddhisme liste les actions non vertueuses et leurs opposées vertueuses. Le précepte « ne pas nuire » est transversal aux « agents de l'activité ». Il implique aussi bien, s'agissant du corps de « s'abstenir de prendre la vie : sauver des vies », pour ce qui est de la parole « ne pas mentir : dire la vérité », et concernant l'esprit « s'abstenir d'être malveillant : être bienveillant » DEB-301. Si l'on considère une situation où l'inaction présente un risque de mise en danger de la vie d'autrui, penser et affirmer ne pas vouloir nuire est insuffisant pour ne pas produire un karman sans l'action idoine de ne pas chercher à l'éviter ! A en oublier que le Dharma et les dharmas sont « séparés mais non séparables », l'incomplétude de l'intention, de l'objet et de la réaction de « ne pas nuire » finira par enfanter un karman (incomplet) de l'action de « la non-action » du corps !

Lorsque l'esprit voilé use et s'enferre dans la dissimulation, le mensonge et la tromperie, l'antidote à appliquer se doit alors d'être la vérité et la transparence. Toutefois, au vu des conséquences souvent délétères d'un simple mensonge, il est toujours étonnant de constater comment l'attitude qui consiste à dissimuler son implication, voire à nier un fait, ou à embellir son rôle, est plus facile et spontanée que de dire la vérité en toute humilité, transparence et clarté !

La raison ? Les préoccupations mondaines : l'attrait pour le gain et la peur de perdre ; l'appétit pour les honneurs et la peur du déshonneur ; l'attirance pour le plaisir et la peur de la souffrance ; la soif de louanges et la peur de la critique. A contrario, la seconde attitude est plus difficile à développer, car elle implique de l'empathie et de la compassion, des dispositions qu'il importe de cultiver jusqu'à ce qu'elles trouvent à s'incarner spontanément en chacune de nos actions (et ne les laissent pas incomplètes ni n'engendrent d'effets de bord) !

Mais, la cause de l'agir non vertueux est plus profonde ! A travers la « pensée mystificatrice de son objet (le fait) », dont la propension induite par le « réflexe pavlovien » d'éviter la punition se commue en instrument de manipulation du menteur patenté, se lit la « saisie du soi des phénomènes » (la croyance en leur existence substantielle, autonome et ontologique). A travers la « pensée affabulatrice du sujet », des replis égotistes de la conscience duelle desquels émerge le serviteur zélé de l'ego, se lit la croyance en la « saisie (innée) du soi » de la personne. A travers la « pensée adorant le succès et abhorrant l'échec », du chaudron duquel jaillit la souffrance du changement attisée par le feu des émotions perturbatrices, se lit le «chérissement excessif de soi ».

Pour nous libérer de l'emprise et conséquemment de la souffrance que ces modes de pensées induisent, nous devons cultiver leur antidote : la déréalisation[iv] de l'illusion du monde ; la désidentification (dépersonnalisation) au moi ; la suspension (désensibilisation) aux émotions perturbatrices. Chacune peut être illustrée par une analogie : la carte n'est pas le territoire ; le masque n'est pas l'acteur ; le cavalier n'est pas sa monture...

Nous voyons le monde comme une réalité en-soi, un « existant premier » doté de caractéristiques et de propriétés lui appartenant en propre - ce que l'on désigne comme «l'ontologie du réel » -, dont notre esprit élabore la cognition sous la forme d'une représentation conceptuelle, un « existant second », à partir de données extérieures transmises à notre cerveau par nos facultés sensorielles. Nous croyons en faire l'expérience sous des modalités «physiques » (chaud, froid, solide, liquide, etc.). Or, cette dualité n'est rien d'autre qu'une illusion, une « vue (erronée) de l'esprit » qui n'a pas plus de consistance qu'un rêve !

Pour en saisir la nature véritable, il nous faut inverser la perspective. Comprenez par-là que nous ne faisons pas « l'expérience de la matérialité » d'un monde extérieur, existant indépendamment de notre esprit, mais l'inverse ! C'est notre expérience cognitive qui revêt (les différents aspects de) la forme (dimensions, directions, couleurs, etc.) de ce qui nous apparaît (par ignorance) de manière trompeuse comme constitutif d'un « monde » ! 

Puisque toute chose se passe en vous-mêmes et que tout est un événement dans votre propre demeure, pourquoi dites-vous ne pas comprendre ? Simplement parce que vous ne résidez pas en vous-même (...) ne vous laissez pas aller à l'oubli de votre propre nature LGSE-109

Qu'il nous apparaisse comme étendue, forme ou intérieur aux formes, c'est le même espace perçu sous des angles différents, lesquels n'ont pas d'existence autonome, et la même essence apparaissant sous différents aspects qui est la vacuité d'existence substantielle.

Se comprend dès lors que les humains perçoivent l'eau comme de l'eau, les esprits avides comme du sang et les dieux comme du nectar, dont aucune n'est la nature propre de l'eau, mais des manifestations qui sont le reflet de l'expérience cognitive des différentes catégories d'êtres du samsāra !

Pour autant, que le(s) monde(s), les objets et la perception que les êtres sensibles en ont, soient des « productions de l'esprit », là n'est pas le problème. C'est de l'ignorer et de voir la nature des apparences et de l'esprit comme duelles par essence. En occultant la vue de la coémergence de l'esprit aux apparences, l'esprit origine de lui-même l'expérience cognitive (hallucinée) du samsāra, qui est la cause de toutes souffrances et c'est en réalisant son erreur qu'il parvient à s'en libérer. Du caractère de notre expérience (relatif à nos voiles) dépend le fait qu'elles nous apparaissent comme samsāra ou comme nirvāna !

La carte n'est pas le territoire. Ni la représentation du territoire (aussi précise) soit-elle, ni l'imagination ou le rêve du territoire (aussi réalistes soient-elles, au point d'en oublier qu'il s'agit d'un rêve !), ni « l'expérience de pensée » de la carte (aussi proche que puisse être la simulation de ses conditions réelles) ne peuvent nous donner l'expérience de ce que cela fait de vivre l'expérience du territoire. Non que les mathématiques soient une invention de l'esprit, non que l'interaction de l'observateur modifie l'objet de son observation (dont il n'est que l'ombre de la mesure), mais parce que le territoire n'est ni extérieur ni indépendant de l'esprit que son ignorance lui fait percevoir comme un monde ! Le territoire est le reflet d'une « expérience cognitive » sur lequel l'esprit projette un autre « effet de perspective » qui le lui fait apparaître... comme une « carte du réel » !

Les bardos sont une expérience cognitive, c.à.d. de l'esprit qui connaît ("ce que je suis et vis"). Les différents bardos expliquent les pulsations de la conscience individuelles qui se gonflent avec l'individualité et se dégonflent dans la désidentification. 

Tout le processus de la méditation est la « dessaisie » de l'ego - la non saisie du soi « sujet-objet » qui permet d'arrêter le cycle samsarique - l'épochè grecque, à la fois suspension du jugement, suspension de la conception, mais aussi suspension de la conscience ! 

Car la conscience (pour le cittamatra) est toujours un processus cognitif de saisie duelle, qui se découvre et se cultive jusqu'à devenir l'état naturel et stable (l'Éveil)

Dans la relation du maître/élève, l'élève ne doit pas accorder une foi aveugle (ni cultiver du désir-attachement !) envers le maître, comme des randonneurs ne doivent pas vouer une confiance aveugle en la personne de leur guide, mais en ses compétences (tout en pratiquant la pleine conscience à chaque pas !). Ultimement, notre véritable guide est intérieur, le maître n'est qu'un support extérieur pour nous permettre d'en « actualiser le potentiel » - telle les déités du Vajrayana dont la visualisation inspire au pratiquant à développer les mérites -.

De son côté, le guide ne doit pas confondre sa compétence de lire une carte avec la capacité de se déplacer sur le terrain, car il ne pilote pas un groupe à distance comme un oiseau depuis les airs ! Un guide authentique apprend en permanence, seul et en groupe. La relation maître/élève s'articule autour de la transmission, et pour cela, le « guidant » doit établir une interaction avec le « guidé » par laquelle ils vont cheminer conjointement, le plus avancé dans la pratique se mettant au niveau du moins avancé à l'appui de ses propres réalisations.

Les Bouddhas enseignent aux grands bodhisattvas sur les « terres pures de Tusita » sous la forme de leur corps de « pleine jouissance », dont l'esprit de leurs élèves peut percevoir l'apparence eut égard au niveau de purification de leurs voiles et de clarification de leur discernement. Mais, le Sambhoyakāya n'est pas perceptible à ceux dont l'esprit est voilé ! Pour enseigner aux « êtres ordinaires », le Bouddha Sakyamuni s'est« mis à leur niveau » en adoptant un « corps d'émanation », le Nirmānakāya, dont la manifestation leur apparaît similaire à leur propre corps et soumis aux mêmes contingences - sachant que « le corps est une conscience [un état de conscience] devenue visible » LTM-14 -.

Dissocier l'enseignement au réel (du Dharma aux dharmas), mais aussi du maître au réel (lorsque la primauté est donnée à l'ultime sur le conventionnel) peuvent causer - outre une expansion pensée comme une entreprise économique sur la base de la scolastique du bouddhisme tibétain - un décalage entre les intentions, les paroles et les actes, qui est en contradiction avec l'éthique vertueuse et la compassion, voire en opposition par l'instauration d'une relation de domination-soumission du maître sur le disciple qui ouvre à toutes les exactions...

Le bouddhisme ne peut être considéré comme une philosophie que si deux conditions (a minima) sont réunies : l'élève doit pouvoir questionner la doctrine en usant de son « esprit critique » (lequel à une visée constructive) ; le maître doit être capable d'adapter l'enseignement de manière dynamique, en interdépendance avec (et dans la contingence de) l'expérience commune. Transmettre le Dharma, ce n'est pas simplement communiquer un savoir ou enseigner une connaissance, ce n'est pas seulement faire comprendre le sens, c'est amener à en inspirer la vue, à la saisir, à la faire réaliser !

Si la capacité à expliquer une chose est causalement liée à sa compréhension, ce n'est pas le cas de celle de l'auditeur (le « territoire de sa compréhension » n'est pas le reflet de la parfaite connaissance de la « carte mentale » du locuteur). A l'appui de la structuration forte d'un formalisme comme celui du Lamrim, le maître/enseignant peut croire que la clarté de son enseignement (pour lequel il a développé une « foi irréversible » sur la base de « l'excellence » du Dharma et de l'auteur) est, dès lors que son auditoire est dans les conditions idoines (à éliminé les « défauts des trois bols ») garante d'être parfaitement compris...

En regard de cette conjonction de conditions, qu'une confiance incorrectement ou faussement éclairée peut faire passer pour déterminante, l'élève peut (se laisser aller à) croire qu'il en réalisera la parfaite intégration. S'ensuit une boulimie d'enseignements de plus en plus complexes et subtils sans que l'élève n'ait le temps d'y réfléchir en profondeur, alors même que la « sagesse de la réflexion » est prônée comme conditionnelle à la réalisation du sens par sa méditation !

Lorsque l'enseignant, surestimant les capacités de son auditoire, sa confiance et sa méthode, ne prend pas la précaution de s'assurer que chacun de ses élèves a bien assimilé chacune des étapes de l'enseignement avant de passer à la suivante, il les enchaîne à vive allure sans autre préoccupation que la continuité de la transmission... En regard, imaginant que la pensée du maître s'écoule dans son esprit tel un nectar dont il est le récipient fortuné, l'élève/disciple abdiquant toute volonté de réflexion autonome, s'abîme dans une réception contemplative dans l'attente extatique de la voir devenir sa propre pensée !

Il y a là une confusion quant à la « force de l'imprégnation ». En regard d'un maître spirituel authentique qui possède des réalisations (et s'inscrit dans une filiation spirituelle qui dépasse tout caractère de filiation physique), il y a certes plus dans la transmission que ce qui ne saurait se définir avec des mots et des idées... Toutefois, transmettre est un acte dualiste, qui passe par un canal vulgaire, dans les conditions duquel un message est copié à l'identique. Pour que le reflet soit net, et la lumière qui transporte l'image et le miroir qui la renvoie doivent être purs. Pour s'en assurer, il est nécessaire de rapprocher l'émetteur et le récepteur, en les établissant dans une relation d'échanges et de réciprocité.

Pour qu'une chose soit véritablement comprise, il faut être capable d'établir par soi-même le raisonnement menant à sa compréhension, ce qui ne peut s'obtenir que par la (sagesse de la) réflexion. S'agissant du sens de ce qui est au-delà de tout concept et de toute conception, l'enseignant doit avoir lui-même développé des réalisations spirituelles pour être en mesure de le communiquer, car ce n'est que par l'expérience du terrain que l'on est à même de la « faire saisir », étant entendu que ni la parfaite compréhension de la carte ni le récit hypnotisant du terrain ne sont à même d'en développer la saisie directe !

Il est nécessaire d'avoir une bonne compréhension, non pas pour construire des « échafaudages intellectuels » (théologiques, métaphysiques, philosophiques), mais pour pointer vers la pratique, et renvoie toujours à l'expérience, de différentes façons, à partir de différentes perspectives[1].

Toutefois, il y a dans l'enseignement du bouddhisme tibétain un risque auquel l'enseignant peut se laisse entraîner - par dévotion ou ayant lui-même été instruit de cette manière s'agissant des lamas dans les monastères au Tibet et en Inde -, celui d'entrer dans une « relation à tiroir » où le maître présente un savoir (théorique et pratique) auquel l'élève est amené à croire qu'il ne peut s'ouvrir l'accès à la connaissance que s'il y est prédisposé ! Le postula étant que si l'élève n'est pas à même d'en saisir le sens, c'est parce qu'il n'est pas prêt ou, ce qui revient au même, parce qu'il n'a pas « le bon karman » ! Il lui faut alors épurer ses voiles par des pratiques idoines... et par le suivi répété des enseignements !

Pour ce qui est de sa forme tibétaine (toute proportion gardée des différences entre les lignées et les maîtres, dont chacun est susceptible d'apporter sa pierre à l'édifice), la manière d'enseigner le Dharma, de par la rigidité de son formalisme (sous couvert des deux excellences), peut se révéler tout aussi inamovible que les pratiques - lesquelles suivent le même schéma : préparation, partie principale, dédicace, comme condition, avec la motivation, (arguée) de leur efficience -.

Or, comme en mécanique quantique où « l'objet observé », l'acte d'observation et l'observateur sont interreliés, l'enseignement du Dharma est indissociable d'une relation d'interdépendance (pour ne pas dire « d'intrication spirituelle ») entre le maître, l'élève et le Dharma c.à.d. le réel ! Chacun s'interrogera sur l'expérience pour déterminer l'authenticité du maître spirituel, pour vérifier si l'enseignement prodigué s'inscrit dans une « visée herméneutique » (à l'interprétation du sens), fait appel à « l'esprit critique », sous une «approche maïeutique », laquelle vise à faire accoucher (sous l'acception platonicienne) l'esprit de l'élève du sens profond d'une connaissance qui, ultimement, consiste en la reconnaissance de notre nature véritable qui est celle de Bouddha !

Pour nous libérer de l'erreur qui nous enferre dans les souffrances du samsāra, il est essentiel de développer la sagesse qui réalise la vacuité d'existence du soi (de la personne et des phénomènes), laquelle est « l'intelligence du Dharma » dont la compréhension mène à la saisie directe. A l'instar, le respect dans un maître spirituel authentique n'implique pas une dévotion aveugle, par l'abandon du libre arbitre et de l'esprit critique, mais de développer et cultiver (avec attention et vigilance) une « confiance éclairée » !

L'enseignant adopte-t-il une posture de maître et cherche-t-il à imposer à l'élève celle de disciple ? Réduit-il son esprit critique ou cherche-t-il à le développer ? La transmission du Dharma est-elle l'opportunité d'échanges créatifs et de dialogues constructifs ? L'enseignement peut-il être questionné avec l'intelligence et les réponses qui permettent de sortir des sentiers battus ? Permet-il de faire émerger la sagesse de l'élève, mais aussi de développer celle du maître ?

Se laisser imprégner « comme une éponge » de l'enseignement, c'est mieux que de laisser les émotions vous vampiriser, mais la finalité n'est pas de baigner dans le Dharma en croyant faussement que cela suffit à faire de soi un bon pratiquant ! Devenir un « récipient adéquat » n'est pas synonyme d'abdiquer son intelligence sous couvert de l'excellence du propos et de l'excellence de l'auteur, qui ne peuvent se substituer à l'esprit critique de l'élève-pratiquant. Vérifier la validité des enseignements « comme l'on vérifie l'or en le coupant, en le faisant fondre» est une méthode très... substantialiste ! Or, il faut douter de tout, y compris du Dharma, pour pouvoir dépasser toute conception et atteindre à la connaissance transcendante... Développer « l'intelligence du Dharma », c'est être capable de penser, de rayonner, le Dharma, non « d'être pensé » par le Dharma !

Le Bouddha Sakyamuni n'enseigna d'ailleurs pas de manière figée, adaptant son enseignement en fonction de ses interlocuteurs (de leur questionnement, de leur capacité, de leur motivation) ! « L'incomparable enseignant » était capable de s'adresser à une multitude de personnes, chacune ayant un degré d'intelligence différent, et de les amener à comprendre (saisir et « faire réaliser ») le Dharma, comme un système de traduction instantanée qui permet à un vaste auditoire parlant plusieurs langues de se faire comprendre simultanément...

Le Bouddha ayant atteint l'omniscience, l'exercice (exprimer un même signifié à l'appui d'une infinie diversité de signifiants eux-mêmes combinés d'une infinité de manières différentes) lui était sans aucun doute aisé, ce qui n'empêche pas un maître mu par la compassion de vouloir libérer les êtres de leur ignorance, de faire « le don du Dharma » dans une approche dynamique et constructive !

Sans omniscience, c'est un art et une opportunité pour le maître-étudiant de parfaire ses réalisations en amenant au développement de l'intelligence de ses étudiants-enseignant ! L'on cherche à devenir Bouddha pour aider les êtres sensibles et migrateurs à se libérer de leurs souffrances, car les Bouddhas possèdent la connaissance exhaustive de leur passé karmique, et celle de leurs esprits (du mental-ego, de comment il fonctionne), non pas seulement théorique, distante et abstraite, mais empirique, mouvant... empathique ! De même qu'il est peu censé pour l'individu de croire que souffrir est la condition pour atteindre le bonheur ultime, passer à côté de la précieuse l'opportunité d'apprendre à connaître l'esprit de ses étudiants à travers la transmission du Dharma, si tant est qu'il ne s'agisse pas là d'une incohérence, relève du moins... du paradoxe !

Tendre le « miroir du Dharma » à l'élève, à charge pour ce dernier de faire cet exercice de maïeutique « avec lui-même », est-il plus bénéfique aux deux partis qu'un véritable échange basé sur la réciprocité et la créativité qui sont au cœur même du « dialogue maïeutique » ? Que penser d'une méthode de transmission qui renvoie dos-à-dos maître et élève, en les confinant à leur propre pratique pour développer la sagesse alors que l'enseignement peut en être le lieu ?

Certes, du fait de son caractère karmique (la responsabilité de) toute souffrance appartient à chacun en conséquence de ses actes, sans être en contradiction avec l'interdépendance ! Puisque tout acte est accompli en relation avec les autres, les fruits de leur rétribution, bien qu'inexorables une fois à maturation, ne peuvent surgir de par leur « propre pouvoir » ! Même la maladie ne peut surgir ainsi, il lui faut un corps pour s'exprimer, lequel provient... de nos parents!

Peut-on invoquer le karman comme cause à l'incapacité de l'élève à comprendre l'enseignement (voire le laisser mijoter dans l'état de détresse qu'elle lui instille), alors qu'un dialogue créatif avec le maître pourrait dissiper sa confusion ?

Comment se croire inepte alors que la clarté, la conscience et l'espace sont notre propre réalité ? Comment croire que la pensée nous limite alors que pensée et libération naturelle de l'esprit sont simultanées ? LGSE-100

Il n'y a pas de rétribution karmique sans « déclencheur ». Si nous ne pouvons empêcher la maturation du fruit du karman, par compassion afin de ne pas nuire, ne soyons pas l'instrument de sa récolte ! Ce qui se passe lorsque l'on se laisse « agir par le Dharma » mû par une vision inaboutie (voire trompée), soutenue par des bribes de raisonnement que l'élève-disciple ne fait pas l'effort de dépasser, par cécité ou adhésion tacite, plutôt que d'en appeler à une transmission ouverte, participative et vivante, où le Dharma est enseigné dans le dynamisme de la vie. Pensez et agissez Dharma ! Cultivez un « esprit de rébellion », contre le soi, contre le chérissement de l'ego, contre l'ego des autres, contre toute tentative de soumission à une pensée formelle, rationalisant toute spiritualité, dans la simple joie de la sagesse de l'agir par compassion !

Cessez de surestimer ceux que vous avez choisis, entrez dans un rapport direct fondé sur la non-différence. Observez, dites ce que vous voyez, contestez ce qui vous semble contestable (...) Si l'on n'y prend garde, enseigner mène tout droit à l'asphyxie, à la mort. Les disciples clouent les maîtres dans le ciel pour les y rejoindre au plus vite. Finalement, dans ce rapport névrotique, chacun tue l'autre (...) Aidez les maîtres, réveillez les éveillés ! LGSE-38

C'est en stimulant l'intelligence qu'il est possible de réaliser la sagesse. Toutefois, il y a là une autre méprise quant à la nature de la transmission du Dharma qui réside encore une fois dans la « pensée des isolats », le grand hiatus de l'esprit enferré dans la dualité qui ne parvient pas à saisir simultanément la forme-vide et le vide-forme. La question peut se résumer à « qui écoute l'enseignement ? » : si c'est le mental, vous vous éloignez de l'intelligence ; si c'est l'intelligence, vous vous éloigner du sensible ; si c'est le sensible, vous vous éloignez de la sagesse ; si c'est la sagesse, vous vous éloignez de l'essence ! En fait, tant que vous rester bloqué sur un seul canal, réglé sur une seule fréquence, vous vous éloignez !

A l'instant où vous touchez aux signes, vous êtes déjà perdus, lorsque vous voulez le manifester au moyen de la lumière de la connaissance, vous l'avez déjà obscurci. Alors ne vous accrochez pas à mes mots LGSE-108

Ne voyez pas la transmission comme un câble dans lequel courent deux fils électriques, l'un qui transmet un « signal intelligent » sous forme d'un langage que seule votre raison peut capter, déchiffrer et comprendre, l'autre qui véhicule un « signal sensible » sous la forme d'une énergie vibratoire et subtile que seuls les récepteurs tout aussi subtils de votre corps peuvent saisir. Opposer, diviser, dissocier, l'intelligence et la sagesse, l'esprit et le corps, le conventionnel et l'ultime, la production interdépendante et la vacuité, sont caractéristiques d'une vision dualiste ! « Lorsque nous dépassons notre seuil de compréhension mentale, il arrive qu'une réelle compréhension surgisse. Tout discours sur la non-dualité a cet effet potentiel, car la non-dualité est incompréhensible, ne peut être saisie que par le corps, car elle est un écho de sa nature profonde » LGSE-35.

Par le corps est une expression qui possède un caractère duel. Pour être plus juste, il conviendrait de dire comme le corps, « car le corps n'a aucun projet, aucune question ; il n'éprouve aucun manque, n'a pas conscience de la dualité ni des limites, il est paisible, ouvert, sans désir aucun » LGSE-32. La biologie et la génétique ne seraient toutefois pas d'accord sur cette définition... A minima, l'on peut dire que le corps n'a pas les outils pour conceptualiser ses projets (tels que maintenir son homéostasie, procréer, etc.), pour dire ses manques et besoins avec des mots. C'est pourquoi, l'écoute du corps est apaisante, car elle éloigne de la cacophonie du mental ! « On ne peut pénétrer un mental agité par l'hyperagitation d'un désir de connaître le mental (...) Le corps peut être appréhendé directement, sans obstacle [de la pensée], et lorsqu'il y a perception du corps, l'esprit, soudain apaisé, peut réintégrer la totalité » LGSE-32.

Prenons garde toutefois de ne pas glisser vers les extrêmes en opposant (qui plus est d'une manière tendancieusement manichéenne), le corps et la pensée (mentale) avec comme soubassement l'opposition dualiste entre la nature et l'essence, qui sont autant de conceptions et de catégorisations qui, en nous enferrant dans la dualité, nous éloignent de la « voie du milieu» et de l'Éveil !

Le cavalier n'est pas le cheval du point de vue relatif, grossier et perceptuel, mais « l'esprit qui chevauche le vent » n'en est pas ultimement distinct ! Suivre la « voie du milieu » - laquelle n'a d'existence que relativement aux extrêmes, eux-mêmes relatifs ! -, c'est apprendre à lire entre les lignes, à s'établir et à demeurer en équilibre (c.à.d. sans jugement) entre les contraires, de sorte à éviter toutes querelles et perturbations mentales quant à la pensée de leur incompatibilité !

Voilà pourquoi, le corps est le lieu de la compréhension. Notre corps est un grand sutrā et notre esprit le grand roi du sens LGSE-35

Ne regardez pas l'objet, regardez ce qui le fait apparaître comme objet, et vous fait croire à un objet réel existant de son propre côté... Votre propre esprit ! Les apparences et l'esprit sont coémergent, c.à.d. que l'un ne peut exister sans que l'autre n'existe simultanément, tel le cavalier et le cheval du cavalier (nul ne précédant l'autre). A l'instar de tous les phénomènes, l'intelligence (c.à.d. la compréhension conceptuelle) et la sagesse (la « saisie directe », intuitive, non-conceptuelle, non-référentielle) sont simultanément sans discontinuité ultime et sans obstruction relative ! La carte n'est pas le territoire, mais chacun définit l'autre... Toutes choses ne sont pas séparées en la vacuité de leur essence (par-delà tout concept de séparation et de non-séparation), mais nous apparaissent séparables sous un « effet de perspective » qui se manifeste en interdépendance de « l'effet de perspective » qui fait s'apparaître la conscience comme sujet.

L'expérimentateur dont la conscience est contractée perçoit l'univers sous sa forme contractée.

La conscience absolue devient conscience individuelle par cette contraction même, provoquée par les objets de conscience LGSE-118

Le corps n'est pas le « lieu de la compréhension » au sens littéral du terme, mais plutôt l'instrument ou le vecteur qui permet à l'esprit de revenir à son état de paix naturel, dont l'écarte la mentalisation et l'agitation de la pensée. Comment un tel « lieu » pourrait-il seulement exister en propre puisque la non-dualité ne peut se définir en référence de la localité ? Si le corps était ontologiquement distinct de l'esprit, comment cet « existant second » pourrait-il comprendre le langage dans lequel est écrit « le sutrā du corps » ? Et si le sutrā et le sens sont une seule et même chose, non duelle et non-référentielle, ce « lieu de la compréhension» ne saurait exister en tant que monde, étant simplement... un état de conscience !

« Notre corps est un grand sutrā et notre esprit le grand roi du sens » se lit comme le corps dans l'action est le territoire de l'expérience pure (non duelle, non-référentielle) ou « le sutrā du dharma des phénomènes », dont l'esprit forme la carte (intellectuelle) ou le « Dharma de la voie ». Le sens profond, véritable et direct, de la non-dualité émerge à la confluence de la carte et du territoire, comme « la sagesse de l'expérience éclairée », qui est l'union (par-delà toute unité et totalité) du Dharma en action (où l'esprit est le vent et le vent est l'esprit).

L'expérimentateur dont la conscience est contractée perçoit l'univers sous sa forme contractée.

La conscience absolue devient conscience individuelle par cette contraction même, provoquée par les objets de conscience LGSE-118

D'où se comprend l'importance d'une herméneutique appliquée à l'intellection des dharmas, sous l'éclairage critique du Dharma, via un dialogue maïeutique entre maître et étudiant, pour revenir à l'état de « cohérence naturelle » de l'esprit dont la pensée mentale a entraîné la décohérence (pour employer un terme quantique). Outre de développer la sagesse, cette transmission dynamique du Dharma a également pour intérêt de développer l'ouverture du cœur ! Il y a de la compassion dans la maïeutique et de la maïeutique dans la compassion !

Dans le bouddhisme, la compassion est pensée comme la condition pour développer l'esprit d'Éveil dans une relation de réciprocité, où la capacité de se mettre à leur place des autres produise, au sentiment insupportable de la vue des souffrances de tous les êtres sensibles, l'irrépressible intention de les en libérer. « Tout le jeu est de replacer celui qui se croit "autre" dans l'espace de la non-différence (...) Mais comment voulez-vous que celui qui n'est pas présent à lui-même soit présent à celui qui se croit autre ? LGSE-74.

Tout est souffrance... pour qui se perçoit séparé de la totalité ! Toute souffrance cesse spontanément dès lors que cesse la pensée de se croire distinct. Il n'y a de souffrance que relative, par rapport à soi ou aux autres. Dans la totalité non duelle et non-référentielle, sans centre ni bord, sans limite, sans obstruction, « libre d'assertion », il n'y a ni être, ni non-être... ni souffrance ! Le vide d'être est par essence vide de souffrance, laquelle n'est que le reflet de la perspective sous laquelle nous nous croyons une entité autonome qui, en s'affirmant « moi », souffre de sa propre affabulation ! « Lorsque vous êtes l'autre et que vous-mêmes n'êtes rien, que vous n'avez aucune intentionnalité, ce qui se passe est merveilleux (...) C'est un jeu où vous ressentez physiquement tout ce que ressent l'autre, il y a une communication totale » LGSE-73.

La compassion est vue comme un état d'esprit incomparable, car elle permet de vaincre l'ennemi qu'est l'ego et de trouver le bonheur ultime. Et si c'était là une approche dualiste, basée sur la peur et l'espoir d'une véritable ouverture à l'autre, de « corps à cœur » ? Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi, parmi les dix paramita (vertus transcendantes) ne figurait pas la compassion ?

Ne fais pas l'erreur de te distinguer d'autrui, car tout est Bouddha, immaculé et suprême, Pure Conscience, dans sa nature authentique LGSE-66

Si dans un rêve vous êtes attaqués et vous défendez en saisissant un objet, avez-vous conscience que vous brandissez... un artefact tissé d'un songe pour vous défendre contre... une illusion issue de votre imagination onirique ? Pour qui souffre de sa propre mystification, la compassion est simplement un outil pour contrer l'errement de « se saisir soi » et tenter de se libérer de son illusion ! Pour pouvoir concevoir l'interdépendance des phénomènes, il faut être capable de penser les choses en indépendance. Pour « s'égaliser avec autrui », « voir l'autre comme notre mère », « s'échanger soi et autrui », il faut être deux. La compassion ne peut se développer dans la vacuité des « trois sphères », il lui faut la base sensible d'une conscience qui se pense sujet ! Il ne peut y avoir de pratique du tonglen s'il n'y a personne, ni rien (autre que le « goût unique » de l'ainsité indivise) avec qui s'échanger !

Qui se pense « un » a besoin de la compassion pour les autres pour pouvoir se réunir à la totalité. Mais, sous sa perspective égocentrée, il ne voit pas que la « totalité » n'est pas un existant premier, mais une simple pensée qui n'est que le reflet de la pensée mentale de l'un! « La conscience a le pouvoir de déployer la réalité face à son propre miroir. La multiplicité illusoire de l'univers apparaît à travers la relation du sujet et de l'objet » LGSE-117.

Les tantrikâ comme les bouddhistes ont eu recours à un subterfuge pour nous aider à saisir l'activité de l'esprit, ils l'ont scindé temporairement en deux : manas, l'esprit différenciateur [celui qui fixe] [qui pris dans l'alternative inhibe l'action] ; manovijñāna, [qui accompagne la fluidité] LGSE-52

En voyant un archer zen, la conscience-mentale qui fragmente et divise voit un archer, un arc, une flèche, une cible existant en propre dans un espace et un temps défini. En se fragmentant en mental-ego, celui-ci fait de l'action de tirer une flèche au centre de la cible, l'objectif de l'archer. En se fragmentant encore, l'ego devient désir-attachement, aversion, orgueil, jalousie, etc.

Le fruit (bon ou mauvais) n'est qu'un fragment du karman égocentré, lequel est un fragment de l'ego, qui n'est qu'un fragment de la conscience-mentale, qui n'est elle-même qu'un fragment d'une pensée qui se pense divise de la totalité indivise. Par cette objectivation affabulatrice, la pensée qui sort du courant de la pensée, comme la vague de l'océan - car vous l'aurez compris, il y a pensée sans qu'il n'y ait de penseur -, sous l'emprise de l'illusion du mental-ego sourdre alors du projet de mettre la flèche au cœur de la cible l'illusion du bonheur...

Si l'on pose la conscience absolue comme inhérente à chaque être, la voie est simple. Si on pose la conscience absolue comme un fruit à obtenir, la voie est absurde LGSE-99

Pour atteindre à ce bonheur fallacieux, la pensée égotiste trompeuse est prête à tous les efforts, à tous les sacrifices, à toutes les souffrances... Or, « ce qui la désire est précisément ce qui ne peut l'appréhender, car c'est l'ego » LGSE-70.

Envoûté par le désir d'atteindre le sommet, à la réalisation de l'objectif duquel rien ne saurait l'amener au renoncement car l'idée même qu'elle puisse être la cause de sa souffrance ne germe dans son courant de pensées, la conscience-sujet ne voit même plus la montagne ! En s'obstinant sur le centre de la cible, le mental-ego occulte la présence au geste, le ressentir de l'action, le silence de l'instant. Et si le bonheur, ce n'était pas le sommet mais le chemin ?

Si l'on pose la conscience absolue comme inhérente à chaque être, la voie est simple. Si on pose la conscience absolue comme un fruit à obtenir, la voie est absurde LGSE-99

Combien de temps avez-vous passé à écouter, avides, des enseignements vides, à méditer des mantras, à vos pratiques rituelles plusieurs fois par jour ? Pendant combien de temps encore vous acharnerez-vous à ressasser ce qui n'est plus, à confrontez l'objet de votre souffrance, à mettre la main sur le feu pour observer et analyser vos réactions sous la « saisie du soi » en pensant que cela va vous permettre de la dépasser ? 

La souffrance n'est pas une nécessité, c'est un prétexte ! Arrêtez de vous flageller avec un fantasme ! Laissez filer l'ego !

La référence à un ego est une paralysie de la fluidité naturelle (...) Lorsque rien n'est bloqué dans le flux naturel, il y a pensée sans qu'il ait penseur, sensation sans qu'il ait sujet sensoriel, émotion sans qu'il ait noyau émotif. Toute l'incompréhension, toute la souffrance peuvent se définir simplement comme une obstruction au rythme naturel de l'être LGSE-100

En voyant un archer zen, la conscience non duelle, fluide et spontanée, qui saisit sans se saisir, voit les apparences de la flèche en tension, de la flèche tendue, de la flèche en mouvement... sans division ni séparation entre l'archer et la cible, sans obstruction entre l'espace qui les contient, l'espace qui les forme, l'espace qu'ils contiennent... coulant sans mouvement, fluant sans se mouvoir, en courant de conscience coémergent à sa propre perception, asubjective et atemporelle...

Sans objectif pas de visée, sans projet pas d'attente, sans espoir pas de crainte. Sans quête de libération pas de fourvoiement dans une voie spirituelle qui n'est qu'un autre prétexte de l'ego à son hégémonie... Sans obstination car sans enjeu, sans contrainte car sans entrave, sans exigence car sans nécessité, sans zèle car il est l'espace ! Libre par nature, libre d'assertion par essence, au-delà de « l'horizon des événements » du jeu mondain des forces gravitationnelles et centripètes qui s'opposent d'interminables éons ou un mala d'années miroitées en récompense à la dévotion à une cause extérieure à ce qui est sans intérieur !

Sans fruit car sans branche, sans souffrance car sans racine, sans perturbation car sans conception, la pensée qui switche spontanément en perspective de non-pensée, comme l'eau versée dans l'eau, affranchie de tout opposé et de toute division, au-delà de l'un et de l'autre, par-delà même toute totalité, vision libre de tout observateur et de toute vue, n'étant pas un soi n'a nul besoin de se battre pour revenir à elle par-delà elle-même !

Désenvoûtée, désaliénée, décorporée, déconceptualisée, simple courant dans le flux mouvant du courant, c'est parce qu'elle ne désire rien qu'elle transcende tout désir, c'est par qu'elle est inconnaissable qu'elle transcende toute connaissance !

Lorsque notre mental est raide, il s'imagine être une personne et un ego à la place du cœur. A ce moment, nous ne sommes qu'un infime fragment du temps qui se prend pour quelqu'un (...) Dès l'instant où nous abandonnons cette fixation nous sortons de notre chrysalide mentale et retrouvons la totalité (...)

Finalement, tout cela est extrêmement simple. Dès l'origine nos portons la totalité, et en cette seconde même nous pouvons la retrouver (...) une continuité incommensurable, une conscience spatiale, un corps infini LGSE-124


Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།


Références :

ACC : Au cœur de la compassion, commentaire des 37 pratiques des bodhisattvas Dilgo Khyensté https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/154-au-coeur-de-la-compassion-ebook-format-pdf-9782916915814.html?search_query=Au+coeur+de+la+compassion&results=34 

EVE : L'essence de la voie vers l'Éveil, Lama Samten Lama Samten https://www.centre-paramita.fr/collections/livres 

LGSE : Le grand sommeil des éveillés, Daniel ODIER https://www.babelio.com/livres/Odier-Le-grand-sommeil-des-eveilles/134652 

NDV : Nagarjuna est la doctrine de la vacuité https://www.decitre.fr/livres/nagarjuna-et-la-doctrine-de-la-vacuite-9782226122278.html 

LPJ : Les portes de la joie, Daniel ODIER https://www.babelio.com/livres/Odier-Les-Portes-de-la-joie/610812 

RL : Rayons de Lune, les étapes de la méditation du Mahāmudrā https://www.padmakara.com/livres-numeriques/196-rayons-de-lune-ebook-format-pdf-9782370410139.html?search_query=rayons+de+lune&results=5 


[i] https://www.youtube.com/watch?v=kqp068ITzoo 

[ii] https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-1999-3-page-65.htm 

[iii] Théories bouddhiques de la méditation : aux sources de la « pleine présence » https://www.youtube.com/watch?v=Py49Htyb5nc&t=6065s 

[iv] https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-mentaux/troubles-dissociatifs/trouble-de-d%C3%A9personnalisation-d%C3%A9r%C3%A9alisation