I.29 - Pure expérience de l'Inde, partie 7 : l'essentiel

24/12/2017

Chaque jour est un commencement, l'aube d'une espérance, la clarté naissante d'un renouveau. Le lever du soleil est un moment de conscience augmentée, un instant de communion subtile avec l'êtreté des choses, un intervalle intemporel qui nous reconnecte à l'essentiel et rétablit notre sensibilité au vrai.

Lorsque l'aube se lève sur Maitreyi vedic village, cette lumière se répand sur chaque maison, chaque arbre, chaque portion de terre. Elle nous englobe dans une aura d'authenticité, nous imprègne de sa pureté, s'insinue dans chaque fibre de notre corps et colore notre âme d'un sentiment de complétude. Tout est connecté. Le lever de l'astre céleste appelle au lever de notre être profond.

Le spectre de la lumière révèle une fréquence supplémentaire, autrement invisible aux instruments scientifiques, car elle ne vient pas du soleil - fils d'Aditi, la mère cosmique infinie et puissance créatrice inépuisable - mais du plus profond de nous-mêmes. Ces rayons révèlent un continuum qui s'étend jusqu'au centre du Soi. Lorsque notre nature véritable s'exprime dans la Joie de sa propre conscience, sa résonance forme une harmonique qui relie le cœur battant de notre être aux percussions de la nature dans une symphonie à l'hymne de la liberté.

Ce qui manque à nos vies nous paraît toujours le plus important, mais nous sommes remplis de tant de fausses satisfactions, courrons après tant de faux plaisirs, de similis bonheurs, attribuons tant d'importance aux superlatifs que nous devenons aveugles au vrai. L'essentiel nous échappe. Le moi cherche à nous combler de faux besoins pour asseoir son hégémonie et nous détourner de notre véritable nature et de nos réelles aspirations.

Lorsque l'ego souffre, nous éprouvons une sensation de manque, un sentiment d'abandon, de trahison, de l'incompréhension, de la colère et de l'affliction. Notre réflexe est de chercher à nous désensibiliser. Comme sur le plan physique où étouffer nos intolérances nous paraît préférable que d'écouter ce que veut nous dire notre corps, sur le plan existentiel le moi-du-désir cherche à se prémunir de souffrir en maintenant le contrôle à l'origine même de nos souffrances.

S'il peut être difficile d'entrer en silence, de ne pas nous laisser capter par des pensées vagabondes pendant la méditation, ce n'est pas tant en raison de leur véhémence que du seuil de sensibilité élevé de notre ego. Le yoga amène progressivement à plus de calme, de sérénité et de quiétude. Il ne s'agit pas de nous désensibiliser, mais bien de nous réorienter vers l'essentiel.

Réaliser la paix intérieure ne signifie pas que tous nos obstacles sont levés, tous nos doutes réduits, tous nos questionnements résolus. Atteindre l'équilibre intérieur permet de développer une Sensibilité plus vraie, plus pure, qui est l'expression de notre véritable nature. La sensibilité est une émanation de l'ego. La dépendance affective est proportionnée à la force du désir qui déforme le sentiment d'amour vrai, résonance de notre être profond à la reconnaissance de l'être profond de l'autre.

La souffrance amplifie l'ego, mais la sensibilité du moi n'asphyxie pas la Sensibilité au vrai, car si elles ont des origines différentes, leur mode d'expression transite par le même canal. Le mental n'est doué d'aucune forme de sensibilité, c'est le corps et le cerveau qui forment un résonateur pouvant vibrer à des fréquences provenant de sources différentes.

Notre corps est une antenne radio qui ne peut capter qu'un seul signal à la fois. Les autres signaux sont là, tout autour de nous, en permanence, mais nous n'en avons pas conscience, car nous ne percevons que les messages venant de l'ego qui monopolisent les ondes et nous voilent l'essentiel. Lorsque le moi prend le pas sur nos vies, il occulte notre conscience et nous empêche d'adopter un mode d'être vrai.

Notre seuil de sensibilité augmente à mesure que s'amplifient nos souffrances. L'ego crée une intolérance qui peut nous jeter dans l'abîme. Toutefois, l'existence d'un même modulateur pour émuler différents types de fréquences permet également de développer la Sensibilité de notre véritable nature. La souffrance attise la flamme d'un brasier qui nous consume ou nous transcende.

Certains des plus grands chefs d'œuvres de la poésie tragique tirent leur portée évocatrice et leur résonance émotionnelle des tourments, des affres existentielles, des tragédies amoureuses et de la solitude affective de leurs auteurs. Le vide au centre du cœur est mortifiant, mais il entraîne également une extrême Sensibilité. Lorsque nous comprenons que le corps n'est pas l'ennemi, qu'il nous faut contraindre au silence par l'étouffement de nos émotions, mais le vecteur de notre libération, l'acuité du Soi se fait plénière et la Joie transcende alors la souffrance.

La souffrance ne nous masque pas le chemin, elle l'éclaire de l'arrière-plan, sans que nous en ayons conscience parce que notre modulateur ne fait pas la distinction de l'origine du signal. C'est donc à nous qu'il appartient de réorienter nos antennes sur le bon canal en nous ouvrant, en pleine conscience, à d'autres perspectives pour rayonner de notre être profond.

Ce changement s'effectue en regard de conditions propices, l'écoute d'un tiers bienveillant, le moment favorable et le lieu adapté. Voyager permet de nous déconnecter du quotidien, d'arrêter le flot rugissant des pensées qu'il génère et, abstrait de nos inquiétudes, de nous installer dans le calme et la paix. Maitreyi vedic village nous offre plus encore, la capacité précieuse de nous reconnecter à l'essentiel.

Son atmosphère de simplicité et d'authenticité tranche avec le monde moderne plein d'agitation et d'animosité. Maitreyi ne nous extrait pas seulement de la gangue de la société de production et de consommation, il retire les couches d'artifices pesants qui recouvrent notre être. Cette sensation est palpable, elle révèle le monde d'où nous venons dans sa dimension mentale.

La société nous modèle, filtre notre perception, façonne la manière dont nous pensons, dont nous agissons et dont nous vivons nos vies. Des vies dictées par une matrice conceptuelle qui a la même force d'attraction que nos pensées, la même pesanteur que ces idées qui tournent dans nos esprits, cherchent à nous attirer dans leur mouvement et à nous détourner de nous-mêmes. La société n'est pas seulement le reflet de notre mental, elle est un univers mental condensé, le produit de la densification de nos pensées.

Le mental n'est pas simplement une fonction de notre psyché, c'est un champ d'énergie dont l'influence s'étend bien au-delà de la sphère phénoménologique de l'esprit. La méprise qui naît de l'identification à nos pensées tire sa force de notre ignorance quant à la nature du phénomène auquel nous sommes confrontés. Nous ne devons pas seulement nous prémunir contre la tendance à nous laisser captiver par nos pensées pendant la pratique de asanas ou la méditation, nous devons considérer chacun des gestes que nous faisons dans ce monde, chacun des actes que nous accomplissons dans cette société comme des pensées. La société est une vue de l'esprit, une construction mentale. Nous travaillons, nous vivons, nous aimons à l'intérieur d'un univers mental projeté, densifié, matérialisé.

Le champ du mental englobe le monde physique. Notre corps est l'expression de notre mental. La façon de nous tenir (le dos droit ou voûté), la manière de marcher (légère ou pesante), la façon de manger (avec délectation ou par pur appétit), la manière de parler (rapide ou lente), le ton employé (posé ou agressif), le regard porté (fixe ou fuyant), tout - pour qui n'en a pas réalisé l'éveil - est le prolongement, la continuité du mental et donc de l'ego.

Le problème n'est pas que nos pensées s'insinuent dans chaque chose que nous faisons, les détournent ou les orientent, parce que notre mental nous dicte en permanence ce que nous devons faire, comment et pourquoi, sous l'égide d'un contrôle implicite - sous-tendu par une certaine idée de nous-mêmes devenue, à force de conviction, le signifiant de notre identité psychologique -. Le fait est que notre corps est de la pensée en actes.

Cela ne signifie pas que tous nos actes sont le reflet du mental. Encore une fois, il convient de faire la distinction de l'origine et du type du signal. Un stimulus externe peut induire une réaction interne, un débit de parole accéléré entraîner une pensée rapide. Mais plus généralement, c'est un stimulus mental qui induit une manifestation corporelle, une pensée inquiète se traduit ainsi par un comportement agité et un débit de parole précipité.

La méditation nous permet de suspendre le mental par le silence intérieur, de mettre un temps d'arrêt à nos pensées, d'instaurer un état de calme profond et de paix durable. Prolonger le silence du mental dans notre vie quotidienne, par la suspension du jugement, nous permet de mieux gérer des événements susceptibles de déclencher des réactions de stress et de tensions émotionnelles, par l'identification aux pensées qui les sous-tendent.

Cependant, si notre esprit s'apaise et s'il nous appartient de faire de notre vie ce que nous voulons vraiment au plus profond de nous-mêmes, le monde dans lequel nous vivons demeure le même sauf à le changer. Une tâche que nous pensons à tort insurmontable non pas parce qu'elle serait hors de nos capacités, mais du fait de notre ignorance de la nature mentale de ce monde d'artifice. Le champ d'énergie du mental inclut : notre corps, nos actions, notre habitat, notre environnement familial, notre milieu professionnel, tout ce que le moi circonscrit.

La manière de nous habiller, de meubler nos maisons, de décorer nos appartements, d'entretenir notre voiture, de nous entourer de certains objets, tout cela est mental. Conserver des objets année après année malgré les changements dans nos vies, nous attacher aux choses, rester liés à des personnes où nous contraindre à un métier, qui ne nous apportent plus de satisfaction, tout cela est mental. Nos habitudes, nos attachements, les blocages que nous posons à nos potentiels, les freins que nous mettons à l'expression de notre véritable nature, tout cela est mental. Le monde dans lequel nous vivons, que nous avons créé de toutes pièces, est mental, fruit de l'accrétion de nos pensées et reflet de notre moi.

Pour en prendre conscience, il nous faut être pleinement présent à nous-mêmes, nous observer avec attention et sans jugement en ayant, qui plus est, à l'esprit de nous demander en quoi chacun de nos actes, chacun de nos mouvements est de la pensée. Lorsque nous réalisons une asana, chacun de nos déplacements, chacun de nos mouvements, chacune de nos actions est mesurée, dosée, équilibrée. Une asana est la concrétisation d'une pensée en pleine conscience du corps, de la respiration et de l'esprit.

Lorsque nous prenons le temps de nous observer dans notre quotidien en pleine conscience, sans juger ni intervenir - en devenant notre propre témoin - nous pouvons mesurer en quoi notre manière de marcher ou notre façon de parler traduit nos pensées sous une forme corporelle. Le corps exprime la pensée, l'êtreté du corps manifeste le mental, lui donne un caractère physique tangible. L'origine de ce phénomène provient de la nature de la conscience de soi qui est extérieure au cerveau.

Notre cerveau est dans le noir, enfermé dans une boîte et isolé du monde extérieur. Il est alimenté en données sensorielles qu'il traite et organise de façon à produire une représentation du réel sur la base de laquelle nous prenons conscience de nous-mêmes à un degré juste suffisant pour assurer notre survie.

Sans ces données sensorielles, ce « nous » sur lequel s'établit la définition de soi n'aurait aucune conscience du monde ni de lui-même. Sur le plan neurologique, ce « nous » qui marche, parle, expérimente, c'est un cerveau qui traite des quantités de données par des sous-programmes imbriqués et réalise des sommes de calculs répartis sur l'ensemble des aires cérébrales entre des assemblées de neurones rivales dont le nombre de connexion dépasse le nombre d'étoiles de notre galaxie.

Cet instrument prodigieux engendré par la nature ne serait rien sans l'univers qui le contient, sans le corps qui l'héberge, à partir duquel il puise les informations nécessaires à son fonctionnement.

La conscience de « qui je suis », le signifiant de mon identité psychologique - qui réunit sous une construction de synthèse : un corps, un ensemble d'expériences vécues, une histoire structurée autour d'un mythe (le moi) - est une projection phénoménale, holographique, du cerveau dans le monde, qui rend possible son existence. La réalité est intrinsèquement constitutive de la nature de la conscience. Au sens littéral, la conscience de soi est captée depuis l'extérieur du corps. La conscience est l'identification du cerveau (l'instrument par lequel se fait la perception) à cette projection.

Le cerveau est un « résonateur ». Le type de résonnance qu'il produit n'est pas seulement la traduction des données sensorielles perçues à partir du monde sensible - qu'il met en forme sous l'apparence de la projection phénoménologique de la conscience de soi -. Le cerveau peut également résonner à une fréquence émise du plus profond de notre être et projeter le « principe de conscience » sur la toile de fond de la nature.

À l'intersection phénoménale de ces deux projections, qui ne se distinguent pas dans leur essence, le moi et le Soi se confondent. Le Purusha se méprend sur sa véritable origine et s'identifie à la conscience phénoménologique, au corps support de sa projection et au mental son point de fixation.

Le moyen d'éviter cette identification requiert de discerner l'origine du signal, d'accroître notre Sensibilité au ressenti de notre être profond en diminuant notre sensibilité au mental. Ce discernement s'obtient par le retrait du champ mental dans le périmètre de sa sphère originelle, ainsi que par le silence méditatif envers son contenu phénoménologique. Une fois reconnectés à la vie et au cosmos, nous pouvons écouter, entendre et identifier sans confusion possible la vibration de notre être profond et en discerner la résonance véritable en nous.

Cette reconnection à l'essentiel est une perception directe du réel, hors des catégories de la représentation. Elle est une saisie pure de la vie, de la beauté, de la vérité. Maitreyi vedic village est un environnement intégratif, un espace psychophysique, calibré selon les principes de l'Ayurveda dont il concrétise la philosophie holistique. L'architecture, la nourriture, les soins, les pratiques de yoga, les cérémonies rituelles, se combinent pour former un mantra dont la fréquence fait résonner notre être profond.

Maitreyi ne retire pas tant les couches superficielles qui nous recouvrent (le monde mental, le corps mental, le mythe du mental) qu'il ajoute des dimensions à notre être. Par l'Ayurveda, Maitreyi nous fait prendre conscience que notre nature profonde n'est pas située à un niveau infra-conscient mais supraconscient.

Maitreyi induit un mouvement qui va du dehors vers le dedans, sorte de pratyâhâra inversé où notre être se remplit de l'essentiel. Après nous avoir nettoyé et détoxifié, ce traitement repeuple les espaces obstrués, repliés, occultés de notre être, nous réapprend à ressentir, redonne de la densité, de la vie, à notre être tronqué, morcelé, corrompu par le monde mental, asservi par le contrôle de l'ego, en nous nourrissant de sensations vraies, de sentiments purs qui forment la substance de la reconnexion à l'essentiel.

Ce processus heuristique réorganise les dimensions de notre être pour nous reconstruire sur un mode plus équilibré, plus juste, plus vrai, en harmonie avec le cosmos et la vie. Nous cessons alors de projeter notre champ mental sur le monde et de vivre dans la projection de nos pensées. Désormais, notre corps résonne en pleine conscience de la vibration de notre être profond. Chacun des gestes que nous faisons, chacun des actes que nous accomplissons, est le produit de notre véritable nature.

La question de la transmission se pose alors. Comment faire pour que chacun puisse trouver la Paix intérieure ?

La première chose est de faire prendre conscience du problème de l'identification à nos pensées de sorte à permettre à chacun de développer le discernement nécessaire pour discriminer l'influence du mental et la réduire. Pour cela, il faut comprendre qu'il n'y a de différence entre la sphère de notre esprit et le monde qu'en regard du type de pensée que nous y faisons résonner.

Mais, c'est en rayonnant au chant de la Joie qui émane de notre véritable nature et en exprimant notre potentiel en tant que dimension constitutive de notre être profond, que nous montrons le chemin et éclairons la voie. Notre propre reconstruction est la première pierre de la reconstruction du monde.


Namasté