I.30 - Pure expérience de l'Inde, parti 8 : la Joie

01/01/2018

La vie peut paraître injuste, la destinée arbitraire, mais le chemin conduit toujours de l'ombre à la lumière, de l'oubli à la Présence, de la souffrance à la Joie, de la solitude à l'Amour. Réaliser notre véritable nature, c'est déployer toutes les dimensions de notre être en pleine conscience et dans leur totale acceptation.

La vie est acceptation. Vivre, c'est accepter d'échouer, de souffrir, de réussir, d'aimer. C'est nous libérer du moi, exprimer notre véritable nature. Nos souffrances naissent de l'opposition du moi pour qui l'empêchement à satisfaire ses désirs apparaît comme une soumission. L'idée de renoncement est le point de vue de l'ego pour qui accepter revient à abandonner le contrôle. La souffrance naît du refus de lâcher-prise, du déni et de la rétention de notre être profond. La véritable acceptation est une libération, c'est embrasser le possible avec sérénité, la vie avec Joie, l'être avec Amour.

Vivre, c'est éprouver, expérimenter, connaître. La connaissance n'est pas un savoir détaché de tout support, abstrait de tout objet, fruit de la raison pure, conçu ou rêvé par un cerveau isolé dans une cuve. La connaissance est l'enfant de l'union de l'être avec l'expérience, la communion du Soi avec la vie.

L'expérience est acceptation. C'est accueillir l'imprévu pour cueillir le possible, consentir à la différence pour sentir l'identité, reconnaître l'altérité pour se connaître soi-même. Le jugement est une projection, une certaine idée du monde selon moi. La pensée est un filtre, l'ombre de l'ego qui voile la perception. Connaître, c'est accepter avec le cœur pur.

La compréhension jaillit de l'acceptation comme la lumière inonde le vide, l'évidence éclaire l'entendement, la lucidité illumine l'esprit. Cet éclair féconde l'intelligence et fait résonner les dimensions de notre être au diapason. Opposer la raison à l'intuition, la logique à la perspicacité, l'argumentation à la clairvoyance est un non-sens. Le corps est l'instrument d'une connaissance intégrative. Comprendre est un processus holistique. C'est procréer par l'intuition et créer par la raison, approuver par l'expérience et prouver par la logique.Privilégierune faculté, c'est se méprendre sur nos possibilités d'atteindre la connaissance vraie.

L'expérience met en œuvre des modalités relatives aux conditions qui gouvernent l'univers, la compréhension résulte de leur abstraction. La vie s'éprouve « ici et maintenant » par le corps, l'intellect conceptualise le connu hors de la temporalité de l'expérience, mais pas hors de toute référence à l'individu.

Comme un souvenir est une reconstruction de l'esprit, influencé par l'idée que nous avons de nous-mêmes et du monde, il n'y a pas d'expérience sans influence de l'observateur. Notre instrument est empoisonné de toxines mentales, notre perception colorée de pensées négatives qui voilent et déforment notre sensibilité. Hors de l'état de témoin, hors du samâdhi, connaître n'est pas la perception pure de l'essence subtile des objets.

La science s'applique à comprendre l'univers dans un dialogue permanent entre théorie et expérience. S'agissant de la vie, la connaissance est un point de vue sur le monde à travers un point de vue sur nous. L'objectivité n'a pas d'intérêt, car se serait priver la vie de sa substance. Nous devons trouver le juste milieu entre le corps et l'esprit, l'intuition et l'intellect, le sensoriel et le discursif. La connaissance de soi est un équilibre entre nos facultés composantes au sein des modalités de l'expérience.

Cette abstraction, certains darshanas la visent pourtant. Dans la recherche de la libération de la souffrance - par la délivrance du Soi du point de vue erroné du moi - kaivalya (isolement et indifférence du témoin par son total détachement), « La solution du Sâmkhya rejette l'homme hors de l'humanité, car elle n'est réalisable que par la destruction de la personnalité humaine[i] ».

A trop cultiver l'attention sans prêter conscience à la manière de s'y prendre, le risque est d'aller vers trop de contrôle, de s'imposer une discipline rigoriste en réponse à une recherche d'habileté qui n'a rien avoir avec la finalité du yoga. Les asanas exigent de la concentration et la méditation requiert de développer l'acuité de la présence à soi-même pour atteindre au silence du mental. Le novice à tendance à bloquer sa respiration dans l'effort. Avec la pratique, il apprend à coordonner sa respiration aux mouvements. Mais, le pratiquant avancé respire-t-il dans ses émotions ?

L'atmosphère, quelque peu solennelle, dans laquelle baigne une classe d'asanas et plus encore de méditation n'incite pas à la plaisanterie (pourtant utile pour délier les tensions). Le sérieux est requis pour réaliser une asana et encore plus pour se connecter à ici et maintenant. Se replier vers l'intérieur de soi n'est pas de la claustration, ni suspendre le moi un renoncement à vivre.

Mais, la question du retrait de nos émotions dans le pratyhara ne se pose même pas tant leur ascétisme semble implicite. Le yoga ne nous demande pas de mettre à l'écart nos émotions, ni d'y renoncer, mais nous avons tendance à les écarter et à les contenir parce que nous pensons à tort qu'elles sont antinomiques à la concentration et contraires à l'objectif visé.

Le corps est un résonateur. Emotions et sentiments sont des modes de vibrations sensorielles, l'expression de notre être dans ses différentes dimensions. Établir une séparation entre les types d'ondes existentielles, distinguer le « négatif » (peur, tristesse, colère) qui seraient propres au corps, du « positif » (Joie, Amour) qui seraient inhérents au Soi, c'est dissocier ce qui forme un tout, séparer ce qui est uni, exclure ce qui est inclut.

Cette séparation phénoménale conduit à considérer notre capacité émotionnelle à l'instar de nos pensées, comme un obstacle à la réalisation de notre véritable nature, contre lequel l'arrêt des fluctuations du mental implique l'inhibition de nos émotions. Une optique contre-productive, car nier le corps nous prive de ce qui présente un caractère libératoire à notre accomplissement.

La Joie n'est pas intrinsèquement bonne, la colère et la tristesse intrinsèquement malsaines. Leur source diffère mais elles utilisent un vecteur commun. Pour le corps, la joie sensible ne se distingue pas de la Joie émanant du Soi. Le corps résonne à chacune de leur fréquence, à des degrés et intensités diverses. Développer notre discernement permet d'en discriminer la source en pleine conscience et d'éviter de nous laisser emporter par certaines émotions en nous y identifiant comme aux pensées du mental.

Le discernement s'obtient par l'écoute consciente du corps ici et maintenant. La concentration sur le moment présent permet de lever les deux barrières qui bloquent la perception : les pensées mentales qui occultent la conscience ; le champ d'énergie du mental qui recouvre le monde et empêche notre corps de se connecter à la nature, à l'univers et à la vie. Ces barrières font obstacles au Soi et créent une confusion qui fait nous méprendre sur l'origine du signal à l'impulsion duquel notre corps résonne.

Toutefois, cette écoute n'est pas une « javellisation » de notre résonateur visant la pureté aseptisée d'un « ici et maintenant » austère et froid, vidé de tout attrait et dépourvu de toute saveur. C'est une perception saine et vivante, une appropriation gaie et colorée de notre résonateur corporel pour laquelle nous devons apprendre à respirer dans nos émotions.

Notre attitude face au yoga peut parfois être déroutante. Pourquoi nous placer en position d'attente, nous préparer avec abnégation en suivant à la lettre des recettes patanjaliennes à accueillir un événement prescrit, en escomptant que cet événement survienne lorsque nous serons prêts, comme si l'agréable, sukham, allait naître de la fermeté, sthira, ou comme si la pratique persévérance, abhyasa, allait enfanter du détachement, vairagya.

Dans la pratique des asanas, les fondations définissent « les parties du corps en contact avec le sol ». Nous approprier nos émotions, c'est mettre de la joie dans ce qui est en contact avec la fondation de la vie, l'expérience. Respirer dans nos émotions, c'est respirer la joie dans la pratique, c'est RESPIRER la joie comme lorsque nous inspirons avec délectation l'air pur des montagnes, inhalons avec lenteur les embruns marins ou humons avec légèreté les senteurs bucoliques des sous-bois.

La joie est acceptation. Elle est la base. Pour l'établir, il nous suffit de sourire. Dans l'effort, nous avons tendance à nous crisper, à tendre nos muscles du visage comme ceux des parties du corps réellement mobilisées. Notre visage reflète l'intensité de l'effort et contrairement à ce que nous pensons, l'accroît et l'intensifie.

Sourire envoie au cerveau le message que tout va bien, message qu'il répercute en retour dans l'ensemble du corps. L'action de sourire relâche les tensions, décontracte les muscles, allège le poids du corps. L'action de sourire dans une asana permet de se sentir plus aérien, plus sûr, diminue son degré de difficulté. Le sourire est pavlovien. Dans une asana en équilibre ou dans une inversion, le sourire réduit l'inquiétude et la peur. L'action de sourire augmente la confiance en soi.

La joie n'est en rien incompatible avec l'attention. Elle peut même devenir un vecteur de concentration. Sourire peut être un drishti, un point de fixation du regard intérieur que nous portons sur nous-mêmes dans la pratique. Sourire permet d'établir un climat psychologique de joie qui s'exprime par une sensation corporelle agréable, une atmosphère de paix dans laquelle nous pouvons respirer, le mental léger, tandis que nous ancrons notre corps dans la posture avec une juste fermeté.

La pratique du « sourire persévérant » aide à l'acceptation, condition du lâcher-prise. Respirer dans nos émotions prend du temps, comme apprendre à accorder la respiration au mouvement. Mais si sourire dans les asanas ne devient pas un automatisme, cela nous oblige à maintenir notre concentration. Dès lors que le terrain est occupé par une joie contenue et apprivoisée qui constitue le socle d'une pratique structurée, d'autres émotions, plus sauvages de par leur nature, plus violentes de par leurs effets, ne peuvent surgir et nous emporter brutalement.

Lorsque la sérénité s'installe dans notre esprit et la paix dans notre cœur, ces émotions ne sont plus prédatrices. La tristesse n'a plus la force d'un tsunami, la colère la fulgurance de l'éclair, mais elles demeurent car la vie ne cesse pas pour autant.

Respirer dans ces émotions, ce n'est pas nous affranchir de la douleur ou de l'exacerbation, c'est ne pas nous y associer, ne pas nous unir à leur résonance. Plus qu'un socle de joie, ce type de respiration requiert de voir la beauté cachée sous ce que la vie peut avoir de tragique et de révoltant. Cette vision n'est pas une perception pénétrante et subtile de la nature sensible, c'est un appel vibrant et profond de notre être intérieur à sublimer de son rayonnement la montagne sous la pluie, l'océan sous la tempête, la vie sous la misère, l'espoir sous la souffrance.

La beauté cachée n'est pas enfouie sous terre, engloutie sous les eaux ou perdue dans l'infini de l'espace, elle est dissimulée par la tristesse, occultée par la peur, voilée par la colère, comme les nuages masquent le soleil, la pluie enveloppe la montagne ou la tempête déforme la surface de l'océan. Lorsque le soleil cesse d'éclairer la montagne, c'est à nous de rayonner de notre propre soleil intérieur pour illuminer la vie.

Les montagnes existent depuis des milliers, voire des millions d'années. Les océans étaient là bien avant notre naissance et seront encore là bien après. Qu'est-ce que la pluie ou la tempête en regard d'une telle durée, un battement d'aile de papillon, une fraction de seconde sur l'échelle du temps terrestre ?

Sublimer la beauté cachée, c'est voir le continu sous le discontinu, le permanent sous l'impermanent, la stabilité sous le chaos. La pluie et la tempête ne font pas seulement que nous masquer l'essentiel, elles nous font confondre l'être avec ses états passagers. La tristesse fait de la vie un drame, la colère une tragédie shakespearienne, « une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien[ii] ».

Quel sens y a-t-il de vivre dans la misère ? Quel but à la vie sans l'amour ?

La montagne est bien plus grande que la pluie, l'océan bien plus vaste que la tempête. La vie est bien plus extraordinaire que les conditions dans lesquelles se déroulent nos vies. Être en vie est une chance, un cadeau. Si nous sommes en vie, c'est grâce à l'amour de deux êtres. Or, l'amour est une émanation de l'être profond. Il est plus grand que la vie, plus grand que la tristesse, bien plus grand que la misère et la souffrance.

Sublimer la beauté cachée, c'est percer la couche nuageuse de nos émotions, voir au-delà des intempéries passagères de la vie, disperser les illusions d'optique du mental, dépasser la perspective du moi, saisir l'être au-delà de l'horizon de l'ego.

Lorsque la pluie tronque notre vision, voir la montagne requiert un discernement, exige un effort d'imagination et de créativité. Cette créativité n'est pas la capacité d'inventer, son effet. C'est un mode de perception, c'est établir des connexions inédites, c'est voir différemment. C'est voir ce que nous ne voyons pas d'ordinaire, confinés à une illusion d'optique issue d'un mirage.

Si nous pouvons poser un autre regard sur la vie, c'est parce que quelque chose à l'intérieur de nous, qui n'est pas le « je » subjectif et égocentré, peut voir distinctement. Ce discernement vient de notre véritable nature. C'est la lumière qui émane de notre être profond, amplifie la sensibilité de notre perception et stimule la perspicacité de nos facultés d'intellection.

Le mot regard est employé au sens métaphorique, cette forme de discernement ne se limite pas à la vue. C'est non seulement « voir autrement », mais également écouter, sentir, goûter, toucher, de manière différente. C'est tout notre être sensible qui participe de cette perception et rayonne à travers elle. La créativité artistique, sous toutes ses formes : peinture, dessin, sculpture, littérature, poésie, calligraphie, musique, danse, théâtre, cuisine, humour... est la partie visible du spectre de la lumière du coeur qui émane du discernement de notre être profond.

La Joie rayonne de la créativité culinaire par le mariage de la saveur des mots, de l'humour par leur liaison comique, de la poésie par leur musique, de la danse par les arabesques de leur ronde. La Joie naît sous les coups du burin et du marteau du sculpteur, les traits du pinceau, la plume du poète, qui donnent forme à la matière, densité à la pensée, corps à nos sentiments.

Ce discernement confère une acuité qui dissipe le rideau de pluie et lève le voile de la tempête sur l'essence des choses. D'un être à un autre, il exprime un potentiel, relaie un élan intérieur profond qui traduit notre véritable nature d'autant de manières que notre corps compte de voies sensorielles. Notre corps est un résonateur, nos sens en sont les cordes. Nous ne choisissons pas la manière de jouer de son instrument, elle nous appelle.

La reconnexion à l'essentiel qui opère par immersion à Maitreyi vedic village confère un caractère holistique à ce discernement. Elle met en œuvre : la vue par le spectacle de la nature, les flammes du feu rituel de la puja, l'ouie par les bruits de la jungle, la récitation des mantras par les prêtres, l'odeur par les senteurs d'encens, de santal, de cannelle, le goût par les saveurs épicées, la subtilité des mets végétariens, le toucher par les pratiques de yoga et les soins ayurvédiques.

Tous ces vecteurs du discernement sont une forme de langage. La cuisine est un langage dont les aliments sont le vocabulaire, les saveurs la grammaire, les épices la syntaxe. La poésie est une musique[iii] et la musique est un langage pour le cerveau[iv]. La prose et la musique subliment la beauté cachée au sens alchimique du terme, en produisant en nous un changement d'état.

Le moi est non seulement un récit, un mythe fabriqué de toutes pièces autour d'un signifiant psychologique à l'identité duquel nous nous identifions, c'est une histoire contée par le mental, jugée et contrôlée par l'ego dans une narration ininterrompue. Le récit du moi doit non seulement être narré sans interruption parce que la neuroplasticité réagence en permanence notre cerveau entraînant la réécriture de notre mémoire, mais parce que le moi n'existe que tant qu'il est conté. La montagne reste voilée tant que la pluie tombe, tant que la tristesse nous masque l'essentiel.

Le silence du mental entraîne la dissipation des nuages du moi et révèle beauté de la montagne hors de tout apparat. Le mental ne cesse de nous persuader d'une fiction : «je suis ceci » ou « je suis cela ». La beauté cachée n'a pas de fable à raconter. Le Soi n'est pas un récit, c'est une musique, une vibration qui - hors de toute forme de langage - ne dit rien d'autre que « je suis ».

Selon la Bible, « au commencement était le verbe ». Mais lorsque le verbe apparaît le commencement a déjà eu lieu ! L'apparition du verbe est concomitante à l'apparition du sujet. Le langage naît avec le « je » de la narration. Son commencement est celui du récit fictif du moi, lorsque le mental fait de la résonance du corps à la vibration du Soi un langage avec ses règles propres, qui nous identifient à son interprétation comme le sens d'une phrase en sanscrit dépend de la façon dont on y découpe les mots.

Le Purusha est saccidânanda[v]. La pulsation qui émane de notre être profond rayonne sous forme de Joie et d'Amour. Le corps est l'instrument par lequel nous captons sa vibration, les émotions le langage dans lequel nous en réalisons une lecture interprétative. Lorsque le mental voile notre regard, l'illusion du moi déforme sa résonance et nous identifie à la tristesse, la peur ou la colère. Mais, lorsque notre regard est éclairé par le discernement, la Joie sublime la montagne sous la pluie, l'Amour transcende la vie et les conditions sous lesquelles nous vivons nos vies.

Développer notre discernement, c'est faire acte de créativité en regardant la vie autrement, c'est exprimer notre potentiel par la prose ou la musique, c'est dissiper le voile de tristesse par la sublimation de la Joie, notre véritable nature.

Cet autre regard sur nous-mêmes participe de l'ensemble des modes de sensorialité. Il émerge de leur consonance, de leur accord. Mettre la pensée en mots, les mots en musique ou la musique en mots est analogue, chacun participe des autres à des degrés divers, conjonctifs dans leurs mécanismes.

L'Ayurvéda est holistique. C'est l'union de toutes les dimensions de notre être, physique, psychique, spirituelle. C'est réaliser la paix avec soi-même, avec nos émotions, par notre reconnexion à la vie et à l'univers. La capacité de voir autrement met en œuvre notre sensibilité émotionnelle, notre intellect et notre être profond. Le discernement est un phénomène intégratif qui unit le corps, l'esprit et l'âme en une perception synthétique par la conjonction de leurs résonances.

Les singularités de cette mosaïque sont gommées sous l'éclairage de notre soleil intérieur. Sa lumière les parcours, circule entre eux, irradie de l'énergie propre à leur résonateur : les émotions pour le corps, la pensée discursive pour l'esprit, la Joie pour l'âme. Sa radiance constitue un échange, instaure un dialogue, établit une forme de conversation entre le corps, l'esprit et l'âme. Accepter de croire nourrit cette discussion, reforme le puzzle de notre unité au point d'équilibre de notre être.

L'harmonie des composants de notre être naît de leur discussion symphonique. Sous l'éclairage du discernement, la conversation avec autrui permet de nous ouvrir à des perspectives différentes sur la vie et sur nous-mêmes dans un dialogue bienveillant, sans jugement, qui recourt à une parole honnête et juste.

Pour changer de point de vue sur nous-mêmes, nous devons suspendre notre jugement, nous autoriser à croire dans une autre perspective, avoir confiance dans notre véritable nature. La conjonction entre le bon moment, le bon endroit et le bon interlocuteur implique également de suspendre notre jugement. Cette conjugaison est au cœur du discernement créatif.

Dans le théâtre, elle prend la forme de la règle des trois unités, temps, lieu et action. Commune à tous les arts, elle se décline en autant de modulations que notre discernement est susceptible de résonnances sensorielles, chacune des trois unités pouvant varier d'un instant fugitif à la durée d'une vie. Pour le calligraphe, le lieu est la feuille de papier, le temps la durée d'une respiration, l'action le geste sûr qu'il doit accomplir dans un souffle. Tous les arts sont un instrument de transformation. La vie est un théâtre où nous jouons un rôle derrière le masque du moi que le discernement créatif nous permet de lever pour révéler notre véritable nature.

Le rayonnement de notre soleil intérieur ne s'arrête pas à la périphérie du corps, il brille aussi loin que la Joie éclaire de nous tel un phare, aussi intensément que la pureté de notre flamme le rend authentique, plonge aussi loin dans l'âme de ceux dont la sensibilité leur permet d'entrer en résonance.

Le dialogue introspectif né de ce rayonnement, propagé par la réverbération d'une conversation, est la continuité de la discussion symphonique qui assure l'équilibre holistique des différentes composantes de notre être. La voix à la tonalité cristalline qui s'élève dans notre esprit, la lumière qui grandit au sein de notre âme, réanime de son flambeau le moteur de l'ignition de notre propre discussion, résonne et illumine de notre soleil intérieur à la Joie retrouvée. La présence de l'autre en nous est le reflet de notre être profond au rayonnement de son âme.

L'équilibre gravitationnel de notre soleil intérieur avec la force de marée émanant de son propre soleil engendre la formation d'un système spirituel double, une étoile binaire, en équilibre sur la masse aperceptive du point de vue qu'elle nous offre sur nous-mêmes et sur notre horizon par l'adéquation de nos discussions. L'éclat de son discernement rayonne d'une authenticité et d'une vérité qui subliment nos natures respectives.

Libéré de nos souffrances qui voilaient notre rayonnement, en accord avec notre être profond, établit dans l'équilibre holistique de la discussion harmonieuse entre notre corps vibrant de gratitude, notre esprit ardent d'espoir et notre âme irisée de Joie, notre étoile compagnon peut ressentir notre rayonnement, entrer en connexion avec elle, vivre le sens véritable de la définition du mot namasté : « mon âme salue ton âme ».

Ainsi se clôture le dernier chapitre de l'enseignement de cette pure expérience. Par notre reconnexion à l'essentiel, dans cet oasis de pureté de Maitreyi, dans cet espace de sincérité du cœur, grâce à de savants soins ayurvédiques, à des pratiques d'asanas équilibrées, à des discussions libres et bienveillantes, rendues possibles par la bonté d'âmes rayonnantes, qui ont permis de nous découvrir, de mieux nous comprendre et de nous aider à nous reconstruire, c'est accomplit un acte d'amour authentique à l'adresse de l'être.

De cet acte a surgi l'évidence : le yoga est de la Joie, la vie est de la Joie, mettre de la Joie dans la pratique de notre art, dans le déroulé de nos vies, c'est rayonner de tout notre être. Exprimer notre créativité est un signe de santé. La créativité traduit le retour à l'équilibre holistique de notre être.

La vie est plus grande que les conditions dans lesquelles nous vivons nos vies. Laissez-vous rayonner, laissez-vous sublimer, laissez-vous aimer.


Namasté

Love & light



[i] Patanjali et le yoga, Mircea Eliade, page 45

[ii] Macbeth, Shakespeare

[iii] https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/sante-science-decalee-poesie-douce-musique-cerveau-49572/ 

[iv] https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/biologie-science-decalee-musique-langue-notre-cerveau-53659/ 

[v] sat = l'être ; cit = conscience ; ânanda = béatitude