I.41 – L’identification, partie 2 – Le temps de la pensée

15/09/2018

L'identification s'origine dans le référentiel symbolique de la représentation mentale. Par cécité de la māyā, l'accrétion analogique de la pensée forme la « boucle étrange du je », du sentiment asmitā de laquelle duquel émerge l'ego ahaṃkāra. Ce processus de la conscientisation de la pensée est créateur de la durée et de l'illusion du temps.

Lorsqu'un maillet frappe un bol tibétain, il fait vibrer les différentes couches de ses métaux au niveau moléculaire. Cette vibration se propage à son tour aux molécules présentes dans l'air. Chaque son a un rythme, un début et une fin. L'audition n'est en rien synonyme de la durée complète d'un phénomène vibratoire. Un bol tibétain continue de vibrer lorsque la dernière onde sonore s'est dissipée, comme une voiture de rouler au loin alors que le bruit de son moteur ne parvient plus à nos oreilles ou qu'elles ne peuvent plus le capter.

Lorsque le bol n'émet plus aucun son, nous en déduisons qu'il ne vibre plus. Inférence qui peut être invalidée par le toucher. Notre sensibilité tactile ne nous permet toutefois pas de ressentir d'infimes vibrations en-deçà du seuil moléculaire. De plus, nos sens sont très spécialisés. Nos yeux ne peuvent voir la propagation des sons dans l'air, sauf si nous plaçons du sable sur un support vibratoire où il s'ordonne selon des motifs reflétant la signature des ondes sonores qui le parcourent. « Un son possède une structure qui se déroule dans le temps (...) Il semble naturel que des structures rythmiques inscrites dans le temps puissent avoir des correspondances avec des structures géométriques inscrites dans l'espace[i] ».

Nous accordons le statut de réalité aux phénomènes dont nous sommes les témoins « au niveau où nous les percevons directement » LOOP-43 et de la manière dont nous les percevons, sans remettre en cause ni la forme ni les limites de nos facultés sensorielles. Or, l'image que nous donne notre perception de la réalité est très éloignée de sa vraie nature et marquée par l'empreinte de notre » référentiel symbolique »[ii]. L'identification commence par l'oubli de cette évidence, les événements dont nous sommes les témoins participent de l'observation de nous-mêmes. Et parmi les caractéristiques du point de vue de l'observateur conscient figure en premier lieu la catégorie du temps posée comme a priori à la perception.

Tous les phénomènes physiques nous paraissent avoir lieu dans le temps, une perspective qui se développe parallèlement à l'intelligence des êtres vivants - essentielle à leur survie en regard du « pouvoir causal » que leur octroie la capacité d'anticipation - mais qui ne possède pas de réalité pour la science, « la distinction entre le passé, le présent et le futur n'est qu'une illusion, quoique persistante. La seule chose qui soit bien réelle, c'est l'ensemble de l'espace-temps » LMC-241. Dans le concept d'espace-temps, un objet est décrit par sa position « dans le temps » par rapport à la position « dans l'espace » d'un observateur. Passé, présent, futur ne sont pas des propriétés de la dimension du temps, mais un langage conventionnel propre à la relativité de l'observateur.

Des observateurs en mouvement relatif ont des conceptions différentes de ce qui existe à un instant donné ; ils ont donc des conceptions différentes de la réalité LMC-232.

Autrement dit, le temps n'est pas un absolu. Non seulement, le monde tel qu'il est n'est pas le monde tel que nous le voyons (sa représentation) - bien que celle-ci soit la même pour tous car notre fonctionnement cérébral est identique, malgré nos différences psychologiques individuelles -, mais du point de vue de la relativité einsteinienne, le «moment présent » n'est pas le même pour tous les observateurs.

Le caractère spatio-temporel de l'univers nous fait accorder le statut de réalité aux phénomènes dont nous sommes les témoins à la vitesse à laquelle nous nous déplaçons[iii] lorsque nous les percevons. La vitesse du déplacement d'un objet détermine la forme que le temps revêt pour lui - la vitesse de la lumière étant la valeur de référence -. Pour un corps se déplaçant à un pourcentage (très) faible de c2, le temps semble s'écouler (de manière séquentielle), alors qu'il s'étire à mesure qu'il approche de c2 jusqu'à l'immobilité complète et (en théorie) s'inverse en la dépassant[iv].

Dans ce référentiel en mouvement constant qu'est l'univers (où il n'existe aucun point absolu), le fait que quelque chose puisse s'établir dans un état de « complète immobilité» se doit d'être précisé. Le temps s'arrête pour la lumière dans son déplacement non pas comme si la dimension du temps avait littéralement « cessé d'exister », mais bien parce qu'elle a atteint son état extrême. Ce qui donne au concept de « position locale » son caractère relativiste[v]. Notre perception (fragmentée) du temps, qui nous paraît s'écouler de manière séquentielle, a pour origine l'échelle de la vitesse de la lumière, notre « vélocité » étant relative à son « immobilité » à c2.

Le temps doit également son caractère directionnel à cette absolue relativité. « Le temps semble doté d'une direction intrinsèque, pointant de ce que l'on appelle le passé vers ce que l'on appelle le futur, et tout évolue dans un alignement universel avec cette seule et unique direction » LMC-224. Les événements s'alignent sur la « flèche du temps » de l'absence à c2 de toute direction en l'absence de tout écoulement, donnant les effets de la māyā[vi], les «attributs de la multiplicité manifestée : la naissance, l'existence (relative), la croissance, le changement, la décrépitude et l'annihilation » CDSS-104.

La relativité a cet effet étonnant que le « temps séquentiel » et directionnel, bien qu'il soit une illusion relative au mouvement de l'observateur - à une vitesse inférieure à c2 - est néanmoins mesurable, c'est-à-dire qu'il possède un « potentiel causal », à l'instar de la boucle étrange du «je », émergeant d'une illusion analogique à partir d'un référentiel de « symboles ».

Sous l'économie psychologique du jivātman, produit de l'identification (analogique) au « je » - et sous l'économie du corps[vii], annamayakośa « formé de nourriture » GHUET - le Témoin, sâkshin, immanent, réalise son observation sous les conditions de la relativité de l'espace-temps. C'est par l'Expérience de son essence, la dimension pure de l'être, qu'il se libère de l'illusion temporelle.

Le présent (...) est l'unique chose en soi (...) L'éternel présent est le creuset au sein duquel toute vie se déroule, le seul facteur constant (...) l'instant présent est l'unique point de référence qui puisse vous transporter au-delà des frontières limitées du mental. Il est votre seul point d'accès au royaume intemporel et sans forme de l'Être PMP-65.

En affirmant que le changement n'est qu'une question de point de vue relatif à l'observateur, la théorie de la relativité atteste de l'équivalence absolue de tous les instants, c'est-à-dire l'existence simultanée du passé, du présent et du futur. « La relativité restreinte met tous les instants sur un pied d'égalité. Bien que la notion de maintenant joue une rôle central dans notre vision du monde (...) notre Univers est un univers égalitaire, dans lequel tout instant est tout aussi réel que n'importe quel autre » LMC-228. Cet arrière-plan physique, support de tout événement, doit être distingué de «l'éternel prēsent », immuable et immanent, au-delà de «l'horizon des événements » de la māyā. Il se définirait plutôt comme un « présent continu », non diffracté par l'observation du fait de son point de vue englobant la totalité de l'univers.

Si nous découpons mentalement l'espace-temps en tranches de plusieurs années-lumière, comprenant chacune une planète peuplée d'observateurs intelligents, à un instant donné à l'échelle de l'univers, leurs habitants se situeront dans le passé ou dans le futur en regard de leur position relative, « notre passé fait partie du présent de certains observateurs et notre futur du présent de certains autres observateurs[viii] ». La relativité rend possible l'existence d'une infinité d'événements simultanés dans une infinité d'instants différents. L'éternel prēsent n'est pas de l'ordre de l'instant. Il n'apparaît pas en regard d'une perspective (relativiste) qui englobe l'ensemble des tranches d'espace-temps (l'univers entier). Du point de vue relativiste, l'éternel prēsent est un seul et même instant. Du point de vue (non relativiste) de son essence, cet instant est sans attribut de durée, hors du temps.

L'expérience de pensée des « jumeaux de Langevin » est souvent citée pour expliquer la relativité. Un frère A reste sur Terre. Son jumeau B se déplace dans un vaisseau spatial à une vitesse proche de c2. De retour sur Terre, le temps s'est écoulé moins vite pour B qui est donc moins âgé que son jumeau A. Que donnerait cette expérience avec les « réincarnations de Lāngevīn» ?

L'atman de Lāngevīn a vécu de nombreuses existences et en vivra d'autres avant sa libération du saṃsāra. L'un de ses jivatman vit en ce moment sous l'identité de Lāngevin, un autre vivra au siècle suivant sous Langevīn[ix]. A cette époque, le voyage dans le temps sera devenu possible permettant à Langevīn de remonter dans le passé pour rencontrer Lāngevin.

Dans cette histoire, les jivatman sont différents (de corps et de psychisme), seul l'atman est unique quelle que soit son incarnation[x]. Chaque jivatman représente un instant différent du référentiel de l'espace-temps relativiste,un moment présent « singulier » qui, du fait du caractère égalitaire de l'univers, coexiste en simultanéité avec d'autres moments présents mais distincts. A contrario, le prēsent de l'atman est identique, immuable, immanent et demeure donc inchangé de quelque position relativiste que ce soit.

Le pouvoir de la māyā nous fait concevoir le « temps relativiste » comme un référentiel déterminant de notre mode de conscience, des conditions et des modalités (attributs de la «multiplicité manifestée ») de l'expérience sensible. Son « potentiel causal » découle de la réalité de l'existence simultanée de ces tranches d'espace-temps, qui induit la perspective relativiste du temps séquentiel et origine l'illusion de la causalité[xi].

Le premier pas est de prendre conscience que le « présent relativiste » est une représentation mentale dont la pensée est le substrat. Les lignes que vous lisez en ce moment exposent un raisonnement qui, pensez-vous, s'il ne s'inscrivait pas dans le cours du temps ne serait pas compréhensible. Or, nous nous méprenons en croyant que c'est grâce au temps que notre intellect peut modeler nos pensées par la dialectique, que c'est grâce à sa séquentialité et à la « flèche du temps » que nous sommes capables de penser. La pensée occulte l'être, car la pensée est temporelle. Par l'identification à son mode, elle recouvre le prēsent atemporel du Soi des attributs de la fragmentation et de la directionnalité du temps.

La pensée est temporelle. Elle s'appuie sur les mots qui s'expandent dans le mental comme les ondes sonores produites par la parole se propagent dans l'air. Entre le début de cet article et l'instant présent où vous lisez ces mots, il s'est écoulé une certaine durée. Circonscrite à une seule phrase, à un seul mot, la pensée procède de la relativité du temps. Le temps est la séquence ordonnée de la pensée. Le début de cette phrase sera passé au moment où vous lisez « ce mot », qui n'est pas la fin de la phrase située dans un futur qui deviendra présent, puis passé, après ces trois derniers mots !

Tout contenu phénoménologique (pensée, image, émotion, sentiment...) s'étend dans la durée et comme le temps séquentiel est une conception relative aux conditions d'observation (les modalités de « l'instrument de conscience »), toute pensée est de facto une identification à un temps relativiste qui masque le prēsent de l'être, seule véritable Réalité.

Nous comprenons une phrase à mesure de sa lecture. Pourtant, à chaque instant correspondant à la lecture d'un mot, l'instant correspondant au mot précédent fait déjà partie du passé. C'est comme si la pensée procédait d'un mécanisme de cécité à l'écoulement du temps à mesure de son expansion ! Mais si le temps s'écoule vraiment, comment notre cerveau peut-il former un agrégat de moments qui n'existent physiquement plus et nous les présenter à la conscience comme co-existant toujours au présent ?

C'est le travail de la mémoire (à court terme) de conserver les traces de chaque instant et de les (re)présenter à la conscience selon une séquence logique qui correspond à leur écoulement. Or, dans l'espace-temps, passé, présent, futur n'ont pas d'existence propre. Ils sont le produit relativiste de la position de l'observateur lors de son déplacement. La relativité nous permet de faire l'économie de la démonstration de la stratégie par laquelle le cerveau parvient à « enregistrer » la trace de ce qui, en réalité, n'a jamais existé sous une forme passée ! Le « moment présent » est une construction, un artifice formé à partir de l'illusion de la relativité du temps.

L'activité du mental produit un « espace-temps analogique ». Le cerveau émule, par un processus d'analogie, l'illusion du temps relativiste et ses attributs (séquentialité, écoulement, causalité) qui forment le substrat, les conditions et les modalités opératoires de la pensée. Nous vivons à l'intérieur de cet univers d'illusion de la pensée dont le « je » est le produit. 

Le monde empirique [de l'expérience (éveillée)] n'existe que pour autant que le sujet correspondant (celui qui perçoit) existe lui-même CDSS-136.

Les activités de « l'instrument de cognition » (le cerveau), la perception, la représentation, la conscience (citta), sont des constructions conceptuelles. Le présent de la pensée recouvre du voile d'illusion de la temporalité le prēsent de l'être. « La clé, c'est de mettre fin à l'illusion du temps, car le temps et le mental sont indissociables. Si vous éliminez le temps du mental, celui-ci s'arrête » PMP-64. La Taittiriya Upanishad va plus loin dans le caractère subjectif de la réalité telle que nous la voyons et l'intrication du temps à la pensée.

Selon que le mental cesse de fonctionner ou qu'il entre en action, l'univers tout entier disparaît ou apparaît TULC-26.

L'appel sincère à « vivre en pleine conscience au moment présent » est le chemin que nous devons suivre pour nous libérer du pouvoir de la māyā. On l'aura compris, il ne s'agit pas du «présent relativiste », du temps de la pensée, par nature changeant et éphémère, mais du «prēsent du Soi » par essence atemporel et immanent. « Le temps, qui est la succession des modifications du mental, prend fin pour faire place à l'éternel maintenant[xii] ».

Malgré les apparences, il est infiniment plus facile d'apprendre à concentrer notre attention sur le « moment présent », à ne pas nous laisser détourner par nos pensées à ressasser le passé ou anticiper le futur, à ne pas juger ni analyser nos décisions et nos actes, que d'entrer véritablement et pleinement dans cet « état modifié de conscience » - modifié en regard du «présent relativiste » car en lui-même le Soi est sans changement -, hors du temps, qui est l'archétype du Samâdhi, « un état d'être et de Connaître où il y a identité totale entre l'observateur, l'observation et la chose observée » JSO-27.

La manière dont nous percevons, nous représentons et avons conscience des phénomènes que nous considérons comme réels est déterminé par l'échelle à laquelle notre cerveau a évolué. La fourmi ne possède pas le même référentiel de « symboles » neuronaux et abstraits que nous. Notre situation macroscopique a permis le développement d'un cerveau dont la complexité nous assure la possibilité de contourner nos limites et d'étendre notre degré de «conscience physique ». « Ce que nous sommes est en continuité avec l'univers, les sens ouverts au fini autant qu'à l'infini» TULC-17. Nous pouvons ainsi recourir à des stratagèmes élaborés pour percevoir des phénomènes inaccessibles directement à nos sens, comme de placer du sable sur une plaque vibrante pour « voir » les sons ou de fabriquer un instrument comme un microscope électronique pour « voir » les atomes.

Si tant est que nous soyons capables de percevoir l'espace intemporel d'un instant sans durée pourrions-nous le (re)connaître ? Notre intelligence nous permet de dépasser nos limites physiques - de poser des théories avant d'obtenir leur validation par les faits -, mais l'outil ne fait pas tout si nous ne connaissons pas son usage, si nous ne disposons pas du « référentiel symbolique » idoine pour comprendre ce que nous percevons. Comment notre cerveau peut-il appréhender le prēsent hors du référentiel de l'espace-temps relativiste ? Il ne le peut pas ! Le cerveau n'est qu'un instrument à la forme de pensée (de conscience) duquel nous nous identifions par l'illusion temporelle de son activité. Mais, nous le pouvons car cette prēsence immanente et éternelle nous habite. Nous sommes Cela.

C'est déjà un pas important que de parvenir à faire taire nos pensées. Cela peut paraître une tâche insurmontable tant le flot de notre phénoménologie mentale peut être puissant et incontrôlé, tant ses eaux tumultueuses peuvent charrier un nombre effrayant d'arguties, de critiques et de sentences, comme une foule révoltée et insoumise. C'est oublier que ce flux est le résultat de notre propre fait.

Soyez présent en tant qu'observateur de votre mental, de vos pensées, de vos émotions et de vos réactions dans différentes situations (...) Regardez la pensée, sentez l'émotion, surveillez la réaction. N'en faites pas une problématique (...) S'identifier au mental, c'est lui donner de l'énergie. Observez le mental, c'est lui enlever de l'énergie PMP-71.

La paix est en nous. Nous n'avons pas à la chercher à l'extérieur, nous avons seulement à nous intérioriser jusqu'au moment imprévisible (en regard du temps relativiste) où la sérénité et la joie qui sont notre véritable nature jailliront spontanément. Si nous « identifier au mental accentue la dimension temporelle » alors qu'à l'inverse « observer le mental donne accès à la dimension intemporelle » PMP-71, le silence et le vide du mental ne qualifient toutefois pas l'essence immanente du prēsent de l'être.

L'observation nous permet d'adopter un point de vue objectif et ainsi de nous déconnecter de la perspective égocentrée du « je » (ce qui nous rapproche de facto de la position d'observateur-témoin), mais nous restons ancrés dans la localité. Le temps relativiste a cette particularité qu'il peut s'étirer, ralentir et s'arrêter à la vitesse de la lumière, sans que l'immobilité dans laquelle il nous englobe soit signifiante d'une sortie hors du référentiel de l'espace-temps.

Nous restons enchâssés dans le « présent », car la pensée est la temporalité du «sentiment du je ». La pensée conjugue la relativité du temps sous la forme d'une illusion relativiste au nombre des modalités desquelles figurent la localité, la fragmentation, la séquentialité du temps, la causalité[xiii], sous lesquelles s'exprime le caractère opératoire du « je » par le jugement, l'anticipation, la volonté, le désir. « La conscience est la danse des symboles dans le crâne (...) la conscience, c'est la pensée (...) il y a bien une sorte de perception de l'activité symbolique mais (...) celui qui "perçoit" n'est lui-même qu'une autre activité symbolique plus éloignée » LOOP-364/9.

Comment pouvons-nous atteindre le cœur infrangible du « prēsent du Soi », non-local, non fragmenté, non séquentiel, acausal, et asubjectif ?

Au sein du « référentiel symbolique » qui définit la perspective analogique du sujet, l'aperception du Soi ne peut être réalisée directement par l'instrument de conscience, par l'entremise du mental (manas), la conscience (citta) ou le canal de l'intellect (buddhi, reflet de l'intelligence pure). Toutefois, en raison du caractère schizophrénique de la nature humaine, l'instrument de cognition présente des interstices qui permettent de l'entrapercevoir.

Nous avons dans le moment pr[ē]sent, l'intuition du Réel, mais en raison des upâdhis [attributs du manifesté] (...) nous donnons à l'expérience une interprétation défectueuse. Il est indispensable que nous sortions de l'état où a eu lieu l'expérience pour que nous soyons capables de distinguer le Réel (sac-cid-ānanda) de l'irréel (nāma-rupā), puisque toute expérience de la manifestation (...) présente un assemblage de ces deux éléments CDSS-133.

La symbolique de Ganesh éclaire le vecteur de cette intuition. Sa monture, la souris Mūshaka « a pour domaine l'intérieur des choses ». Son signifiant est que « le Soi, l'Atman omniprésent, est une souris qui vit dans un trou appelé l'intellect » DAN-451. En modulant la focale de notre conscience, nous pouvons voir à travers les apparences, percer le voile d'illusion du «je». « L'homme, doué d'intelligence et de sagacité, est capable, en partant de ces effets, de remonter jusqu'à Elle (l'illusion ou l'ignorance), par une attention soutenue. Il comprend que c'est Elle [la māyā] qui projette tout l'univers » TULC-23.

Prenez une poignée de sable. Faite-le couler dans votre autre main. Il paraît se comporter comme s'il formait un tout, animé d'un mouvement propre. Zoomez sur le sable et en même temps ralentissez mentalement sa vitesse d'écoulement. A mesure que vous approchez du niveau microscopique et que le temps ralenti, une cascade chaotique de grains distincts apparaît dont le mouvement brownien était masqué par le comportement macroscopique du sable. Augmentez le grossissement jusqu'à ce qu'un grain occupe tout votre champ de vision. Puis descendez encore. L'espace s'ouvre alors sur un vide immense au cœur des atomes qui composent cet unique grain de sable.

Pour le réductionnisme, les propriétés et le comportement de la matière à une échelle considérée sont le résultat des propriétés et du comportement de ses composants. Une vision qui gomme toute séparation.

Quand on ne perçoit que des myriades de particules, le monde devient dépourvu de frontières (...) découper l'univers en zones bordées de frontières spatio-temporelles macroscopiques infranchissables n'a aucun sens LOOP-58.

« L'unité » est une idée, un concept, dont les modalités locales sont relatives au niveau d'échelle. Tout angle de vue est un « angle mort ». A quelque niveau que ce soit (sable, grain, atome), la perception du multiple est un effet de perspective qui occulte la perception de l'unité. « Les vedas enseignent - non pas l'Un sans second - mais l'Un immanent dans la multiplicité » CDSS-21. La localité est une perspective.

A toutes les échelles, le point de vue de l'observateur est créateur de frontières entre le local et le global, le plein et le vide, qui se contiennent et se masquent mutuellement. De toute position locale, le point de vue segmente le temps en passé, présent et futur, qui se confondent à l'échelle globale. A l'extrémité opposée, le (point de vue du) réductionnisme amène à la situation paradoxale où un système « ranchit les barrières de l'espace et du temps pour devenir, en fin de compte, l'univers entier qui envahit tout » LOOP-59.

La conscience trouve toujours un chemin vers la connaissance, la nature vers l'essence. La neuroplasticité crée de nouvelles voies neurales pour connecter des aires cérébrales et compenser des fonctions déficientes. L'intuition du Soi perce à la surface de la conscience lorsqu'à « l'état [la perspective sous laquelle] a eu lieu l'expérience » - le référentiel du «je» et dans les conditions relativistes sous lesquelles elle a lieu - nous substituons la perspective du « moment prēsent » qui est le substrat de l'intuition non conditionnée de l'être. « Il s'agit d'un savoir au-delà de l'intelligible ou de l'exprimable, de l'ordre de l'intuition (...) l'instant avant le temps, ni temps, ni mémoire, le permanent » TULC-37.

« Avant et après », « devant et derrière », sont des pensées relativistes. Une porte divise l'espace. Du côté de « horizon des événements » de la māyā, sous l'angle de la perspective du « je », « lorsqu'une pensée s'efface, il se produit une discontinuité dans le flux mental, une intervalle de non mental » PMP-35. Cette brèche dans le flux phénoménologique de la pensée ouvre sur une expérience supramentale qui induit l'existence d'un autre côté. La philosophie du yoga en postule la forme. « Le Soi est une continuité dans laquelle les objets, pensées et perceptions, apparaissent de manière discontinue » JSO-25. Les deux versants (sensible et subtile) de l'expérience se rejoignent par une « serrure cognitive » qui relie entre elles, discontinuité et continuité, conscience et Conscience, réel relativiste et Réel atemporel.

Tout porte a une clé qui joint deux pans d'existence. La méditation est la clé qui mène du présent à la prēsence. Mais, comment des actions locales, telles que l'attention portée à la respiration, l'observation de l'immobilité du corps, la focalisation du mental sur l'écoute du son intérieur, la concentration sur le silence, peuvent-elles permettre de passer du temporel à l'atemporel ?

La connaissance est donnée par le buddhi, à la fois « cosmique et individuel, organe (...) de l'intuition et vision des essences[xiv] ». L'expérience mène à l'être au point de jonction de «l'identification de l'âme universelle et de l'âme individuelle, le point où tous les êtres deviennent un » DAN-46. L'expérience est le souffle sensible qui attise le feu subtil dont rayonne l'être.

Le Soi possède cette double caractéristique : il ne saurait devenir un objet de connaissance et cependant il accompagne invariablement toutes les modalités de la conscience (...) le Soi est le révélateur de tout objet de connaissance CDSS-124.

Cette articulation du local et du non-local est « le point bindu », un concept hybride entremêlant physique et métaphysique, « ce premier instant dans lequel une chose n'existe pas et va exister en un lieu donné, est représenté par le point, limite du manifesté » DAN-525, où se combine sans se confondre l'être du Purusha à la forme de la Prakriti, « la limite entre la conscience (cit) universelle, passive et sans extension, et l'intellect (buddhi) universel, actif et qui requiert une sphère d'activité, une forme d'extension » DAN-46.

Le point bindu semble flotter entre deux eaux, ni totalement indifférencié ni totalement différencié, à la fois immatériel et matériel, prélude et « point de départ de toute manifestation », préalable et concomitant, dissimulé à toute observation et objet propre d'observation. 

Lorsqu'un stade non manifesté d'existence commence à se manifester, sa manifestation doit commencer quelque part en un point de l'espace, en un point du temps DAN-525.

La relativité démontre toutefois que dans des conditions extrêmes de vitesse ou de gravité, des « états limites » paraissent abstraits du référentiel espace-temps mais n'en sont pas moins pleinement relativistes. Le temps ralenti à l'approche d'un trou noir jusqu'à se figer à « l'horizon des événements », dans un moment où un point « n'a pas encore d'extension et où pourtant il a commencé d'avoir une localisation ». Dans un vaisseau au départ de cet état limite et s'éloignant de l'attraction d'une singularité, un observateur verrait (comme au premier instant du Big Bang) se déployer « l'espace, le temps et toutes les formes de la manifestation » dans un cycle sans fin où, au final, c'est « dans ce point qu'elles sont finalement résorbées » DAN-525.

L'expérience est un prisme qui diffracte l'intuition du Soi. Comme la lumière, son spectre s'étend sur une large « longueur d'ondes » : du sensible au subtil, de l'illusion à la lucidité, de l'identification à la clairvoyance, de la confusion de notre véritable nature avec le « je » sous l'artifice du « temps relativiste », de la pensée-objet à « l'état-connaissance » du Samâdhi, cette réalisation vécue du Soi prélude à sa libération définitive.

Cela n'est pas une théorie, encore moins un dogme, ni une philosophie, encore moins une religion. Cela est une expérience, à partir des éléments des plus simples aux plus complexes, des plus superficiels aux plus profonds TULC-36.

L'identification, c'est faire une chose en oubliant que l'on est en train de la faire (regarder un film en oubliant ce qui nous entoure, la pièce dans laquelle où nous sommes, les personnes présentes, l'heure, etc.). Observer nos pensées, c'est changer de focale (de l'échelle de la plage au sable), pour nous voir « ici et maintenant », dans ce corps, dans cette pièce, devant cet écran en train de regarder un film. A un degré d'intériorité plus profond, c'est devenir le spectateur de la scène, tel un observateur extérieur à notre corps (de l'échelle des grains de sable à celle de l'atome). C'est regarder à travers l'illusion du « je » et de la matière la vacuité qui les contient, c'est devenir le témoin de l'abstraction.

La nature même de l'univers est connaissance (...) l'univers en tant qu'espace perceptible. Il ne s'agit pas de l'univers en tant que distance qui obligerait à un parcours, donc un temps, donc un avant et un après, donc la mémoire. Cela est l'univers perceptible, maintenant, les perceptions (et les sens) sont des éléments de l'univers, sans limite TULC-36.

Le « flux de pensées » est une singularité phénoménale formée de percepts, d'émotions, de sentiments, d'idées inconscientes ou réfléchies, mues par un mouvement d'accrétion mental. «Tout cela tourne en rond, faisant émerger un cycle fertile d'activité symbolique - une danse de symboles » LOOP-368. Du spectacle hypnotique de cette ronde mécanique autoréférentielle naît la conscience relativiste à laquelle nous nous identifions. « Étant le témoin de ces objets, nous ne pouvons être ni le corps, ni l'émotion, ni la pensée, mais l'ultime Spectateur et l'ultime Connaisseur » JSO-34.

Le point de vue du « je » confère une illusion de permanence à ce « flux de symboles » en vertu duquel il transcende les états modifiés de conscience et les interruptions produites par la succession des états de veille, de sommeil et de rêve. De sa source à l'océan, l'eau d'un fleuve n'est pas la même, pourtant nous disons qu'il s'agit du même fleuve. Le « je » (...) est l'exemple par excellence de cette réalité perçue ou inventée » LOOP-476.

Une pensée est obsédante lorsqu'elle « tourne en boucle » dans notre tête, mais c'est tout ce « flux de symboles » qui boucle en continu autour de son axe d'animation pour émuler la « pensée obsédante du je », de sorte à « si bien à expliquer notre comportement qu'il devient le moyen autour duquel semble tourner le reste du monde » LOOP-476. La conscience, c'est ce « flux de symboles » en mouvement et sa course relativiste dans l'espace du mental, c'est le temps. La pensée est une « boucle temporelle fermée » dans l'illusion de laquelle nous nous piégeons et la (ré)identification à sa perspective, c'est le « moment présent ».

La formation de cette boucle entraîne l'enchâssement du témoin dans les « lianes de la pensée ». En se refermant, elle rend invisible les « racines puisant dans la terre [des] branches puisant dans la lumière » TULC-8. Leur point de départ et d'arrivée, là où «commencent l'espace, le temps et toutes les formes de la manifestation » DAN-46, deviennent indiscernables. Plus cette boucle s'expand dans la durée d'un nombre in(dé)fini d'événements, plus sa topologie étrange (évoquant un anneau de Moebius) disparaît à nos yeux.

Deux faces pour un seul et unique côté, deux aspects du réel (sensible et subtil), deux voies d'accès (comprendre et expérimenter) ; deux modes de cognition (la pensée par objet et « l'état-connaissance » du Samadhi) ; deux moments (le présent relativiste et le prēsent de l'être) ; pour une seule et unique Réalité, à la fois nature et essence, prakriti et purusha, ātman et brāhman. « Le Soi est au dedans, le Soi est au dehors ; Le Soi est par devant ; le Soi est par derrière ; Le Soi est au nord ; le Soi est au sud ; Le Soi est au‐dessus ; le Soi est au‐dessous » TULC-29.

Le yoga est un dualisme des essences. La « boucle temporelle fermée » produite par notre (ré)identification à la pensée s'inscrit, elle-même, dans une autre « boucle étrange» générée par le pouvoir de la māyā créateur d'un « horizon des événements » qui enchâsse en les dissimulant l'un à l'autre les deux référentiels du purusha et de la prakriti, l'un et le multiple. 

On ne peut dire d'Elle [la māyā] (...) qu'Elle participe, en même temps, de l'existence et de la non‐existence (...) Elle n'est pas composée de parties. Elle ne constitue pas un tout indivisible. Elle est à la fois, l'un et l'autre TULC-23.

Cette illusion nous donne à croire que l'imbrication de ces deux « boucles étranges » fait obstacle à la clairvoyance. « Notre nature exacte consiste à nous empêcher de comprendre pleinement sa nature exacte » LOOP-477. Étant hors du domaine de la nature et du référentiel de la pensée, le Soi ne peut être discerné que par l'intelligence pure (le buddhi universel). Cependant, la (ré)identification du Soi à la conscience participe de l'identification du Réel à la māyā, car tout n'est que Conscience. 

La pure Conscience, dépouillée de toute apparence accidentelle et contingente est la Réalité suprême ou ontologique que l'on désigne par la formule sac-cid-ānanda ; la Réalié conçue en tant qu'Existence est sat : la pure Conscience d'être CDSS-42.

L'état « où a eu lieu l'expérience », nous amène à (conce)voir deux côtés à la porte (deux faces à « l'anneau de Moebius »). L'intuition du Soi n'en donne à saisir qu'un seul, «l'Expérience non duelle de notre véritable nature » JSO-23. L'intuition est (A)perception. L'intuition du Réel est l'Expérience du Soi. L'ignorance (avidyā) est l'autre face de la délivrance, « jnāna où la conviction intellectuelle aboutit en sa maturité à l'Expérience directe » CDSS-15 par la permutation du « moment présent » au « prēsent de l'être ».

De la pensée temporelle au prēsent atemporel de l'être, la transition s'opère par la (dé)sunion des perspectives divergentes, dans la Joie (ānanda) de la l'union de la Conscience (cit) à l'Existence (sat). « Cela où se séparent l'existant et le non-existant. Cela où se retrouvent l'existant et le non-existant. Cela se nomme la Conscience » TULC-36. Lorsque l'illusion du « je », de la pensée, du temps, s'évanouissent, notre identité Réelle s'illumine, c'est « le stade atteint par le yogin dans son ultime expérience d'identification » DAN-446.

Namasté


Références :

YS : Les yogas-sutras de Patanjali, Bernard Bouanchaud

JSO : La joie sans objet, Jean Klein

LOOP : Je suis une boucle étrange, Douglas Hofstadter

LMC : La magie du cosmos, Brian Green

CDSS : Comment discriminer le spectateur du spectacle, Swami Siddheswârananda https://archive.org/details/CommentDiscriminerLeSpectateurDuSpectacle 

TULC : Taittiriya Upanishad - Les lianes de la conscience, Bruno Journe https://www.medecineyoga.com/wp-content/uploads/2017/09/LIANES_CONSCIENCE_BJ-180714.pdf 


[i] https://www.spirit-science.fr/doc_musique/SonForme.html 

[ii] « l'image que nous donne notre perception de la réalité est très éloignée de sa vraie nature et marquée par la forme que nous en donne notre référentiel symbolique » : notre « référentiel symbolique » peut se comparer aux instruments scientifiques qui nous permettent de percevoir la réalité en-deçà et au-delà des limites de nos facultés sensorielles, c'est-à-dire comme une ressource nous permettant de dépasser nos limites perceptuelles. Sans les outils idoines nous ne pouvons pas percevoir la plus grande partie de la réalité, mais même avec ces outils si nous ne disposons pas des symboles correspondants nous ne pouvons pas comprendre ce que nous voyons. Le cerveau humain est un outil fabuleux qui nous permet de comprendre une chose avant même de savoir qu'elle existe (car inaccessible à notre perception directe) et d'inventer les moyens de la démontrer.

[iii] « Nous accordons le statut de réalité aux phénomènes dont nous sommes les témoins à la vitesse où (nous déplaçons lorsque) nous les percevons » et à la vitesse où eux se déplacent. Pour un observateur éloigné d'un trou noir (en-deçà de « l'horizon des événements »), un vaisseau qui s'approcherait de la singularité paraîtrait ralentir jusqu'à se figer totalement, alors qu'à l'intérieur (de « l'horizon des événements ») le temps continuerait de s'écouler (relativement) à la même vitesse.

[iv] Au sens strict, seul un objet doté d'une masse ne peut pas se déplacer plus vite que la lumière. Or, l'espace fait exception, car il ne possède pas de masse. Ce qui autorise le phénomène « d'inflation cosmique » qui suivit le Big Bang et au cours duquel l'univers multiplia sa taille d'un facteur considérable en un temps infime.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Inflation_cosmique 

[v] « Niveau de perception » purement hypothétique puisqu'un corps doté d'une masse ne peut atteindre la vitesse de la lumière sans une énergie infinie.

[vi] « C'est le pouvoir de māyā qui présente l'univers "comme s'il était distinct de Brahman" (...) l'univers apparaît comme le déploiement de Brahman lui-même. Ce déploiement s'effectue par la vertu de l'incrustable pouvoir de Brahman et c'est ce pouvoir que l'on appelle māyā (...) Du point de vue causal, Brahman est ainsi la cause matérielle et efficiente du monde », CDSS-100.

[vii] Nous nous identifions à ce que nous mangeons autant qu'à nos pensées.

[viii] La magie du cosmos, Brian Green, https://www.youtube.com/watch?v=lVJd3VfdRps 

[ix] En sanskrit, le signe « diacritique » permet de distinguer la vocalique. Il est utilisé ici pour distinguer un mot de son homonyme.

[x] Dans cette expérience de pensée, la présence de l'atman au même moment dans deux enveloppes corporelles différentes s'explique par le fait que le multiple est la déclinaison de l'Un.

[xi] Si l'effet est simultané à la cause, qu'en est-il du libre-arbitre ? Le libre-arbitre est une question purement temporelle, inhérente à notre identification au « je » sous l'emprise de l'illusion de la māyā. Le Soi est pur observateur témoin, qui évolue dans le moment prēsent où il n'y a ni « flèche du temps », ni causalité. Le Soi est libre par essence.

[xii] Les yogas sutras de Patanjali, commentaires, Etude comparative et ésotérique du sanscrit, page 764.

[xiii] « l'ultime Réalité ne saurait être conçue en termes de relation : la Réalité existe toujours; elle est à tout jamais, aussi bien dans l'état de manifestation que dans l'état de non-manifestation. (...) la fausse notion de relation - notion qui donne naissance à celle de causalité - surgit dès que l'indivisible Réalité est conçue en termes de noms-et-formes (nāma-rῡpa), indépendamment du substrat : atman ou Brahman qui leur est commun à tous » CDSS-73.

[xiv] www.economie-spiritualite-yoga.com/article/la-bhagavad-g%C3%AEt%C3%A2