I.68 – Graines de Bouddha

17/05/2020

La plante n'est pas une entité distincte de la graine. C'est un état qui diffère dans la forme et dans le temps, non en nature et en essence. La bouddhéité est l'état de réalisation d'un état de potentiel dont nous sommes la forme. Nous pouvons devenir un Bouddha par la transformation de cet état.

Nul ne naît Bouddha, il le devient ! A condition d'obtenir la « précieuse vie humaine » qui, seule, en offre la possibilité. « Le corps humain devient le grand navire des méritants qui aspirent à la liberté, mais il entraîne également vers les mondes de douleur ceux qui accumulent les crimes et le vil karma. Il est à la croisée de chemins pour monter ou descendre » OCM-114.

Comment pourrions-nous « naître Bouddha » qui est un état permanent et irréversible, puis l'oublier et sombrer dans l'ignorance ? Comment pourrions-nous «naître » par la propulsion karmique des actes de nos vies antérieures dès lors que l'état de Bouddha ne produit plus de karman ?

Pour le spectateur que nous sommes, la vie commence au moment où nous prenons conscience de nous-mêmes. Mais, ce n'est pas le tout début du film, c'est seulement le moment que nous croyons être son début. En fait, nous prenons l'histoire en cours de route sans nous rendre compte qu'elle a commencé depuis très longtemps ! Nous ignorons quelles furent nos vies antérieures, combien de fois nous avons vécus et combien de fois nous sommes morts. A nos yeux, notre histoire commence sur la base de la saisie de notre corps, ici et maintenant. Notre « moi psychologique » se construit sur la base de nos expériences et de notre histoire en cette vie-ci.

Le chemin est long pour abandonner la « préoccupation de moi » et désirer se «préoccuper des autres ». Qui plus est, cela ne dissout par le « moi ». Que l'ignorance en soit la cause ne signifie pas que « la sagesse qui réalise la vacuité » suffit, à elle seule, à dissoudre le « je ». Développer notre compassion n'est qu'une étape sur la voie de l'esprit d'Éveil.

Le chemin n'est qu'un effet de perspective. Développer l'esprit d'Éveil prend un nombre incalculable d'existences, mais l'on peu devenir un Bouddha en « un seul corps et une seule vie» ! Tel Milarépa, ermite, poète et mystique tibétain du XIIe siècle. Milarépa commis des crimes « majeurs » qui l'auraient condamné à errer dans l'enfer du samsāra, si la « force du regret », la totale dévotion à son maître, Marpa, et son application ascétique de la doctrine tantrique ne lui permirent de purifier son karman et de devenir un Bouddha.

Milarépa
Milarépa

Le film de notre histoire, en cette vie, a un début et une fin. Quel que fut le caractère exceptionnel de sa réalisation, Milarépa ne serait pas devenu un Bouddha s'il n'avait pas obtenu la « précieuse vie humaine » ! Dans le christianisme, l'histoire de l'âme, immanente et transcendante, est celle d'une chute dans la matière et son chemin est celui, sans retour, vers le paradis ou l'enfer. Dans l'hindouisme, issu du courant philosophique des védas et du Védanta, l'âme individuelle, l'ātman ou le Soi, est immortelle, immuable. Son erreur, c'est de s'identifier au « je » par confusion de sa véritable identité. Son « Éveil », c'est de réaliser son unité (yoga) à l'âme universelle, Brāhman. Dans le bouddhisme, il n'existe pas d'en-soi (Anātman), donc pas de Dieu. Mais là encore, tout est question du sens que nous mettons dans les mots...

A la base, la bouddhéité est une graine ! Rien qu'une graine mais au potentiel incommensurable puisqu'elle contient en elle-même les « trois corps » d'un Bouddha ou dimensions : du corps (Nirmānakāya), de la parole (Sambhogakāya), et de l'esprit (Dharmakāya) - la vacuité, la compassion et la sagesse de l'Éveil -. Des «graines » qui, si nous savons les faire germer correctement produiront la fleur d'un Bouddha réalisé !

Là où le Bouddha Sakyamuni fait commencer le film de l'histoire de la vie, c'est par la souffrance et le fait se terminer par le nirvāna (la cessation définitive du cycle des réincarnations, samsāra dans lequel tous les êtres sont propulsés continuellement) pour s'achever dans le bonheur ultime de l'Éveil. 

La question qui se pose tout au long du film, c'est « comment nous libérer » de la «base d'imputation » de la croyance que nous sommes cet agrégat périssable en proie à la souffrance et qui disparaît avec la mort ?

Pour comprendre la raison de cette « imputation », il faut comprendre que pour le bouddhisme, l'essence de la « réalité ultime » est l'absence d'en-soi, la vacuité. Tout existe en interdépendance causale et l'esprit y joue un rôle central. L'esprit ne produit pas les phénomènes, mais il les « nomme » d'après la manière dont ils lui apparaissent et qui forme les apparences de la réalité « conventionnelle ». Nous ne voyons pas le monde tel quel, ce que nous en voyons est une représentation qui n'existe que relativement à l'observateur. La «réalité ultime » est vacuité, inconnaissable à notre cognition, mais pas aux Bouddha dont la vue est la « saisie directe » du réel « au-delà du par-delà » de toute connaissance conceptuelle.

L'identification implicite que je fais à cette base que je désigne comme « mon corps » est relative à la « conscience de soi » que me donnent implicitement les agrégats des « facteurs mentaux » dont elle est le produit. 

Tous les phénomènes existent en tant que simples imputations par la pensée sur leur base d'imputation. 

Notre "je" est imputé par la pensée sur notre corps ou notre esprit. 

En percevant notre corps ou notre esprit, la pensée "je" ou "mien" se produit naturellement en nous BMV2-167.

Nous nommons les phénomènes à l'aide d'un langage de symboles que nous permet de concevoir notre « instrument de cognition », dont les capacités de représentation conceptuelle sont le résultat du développement de notre cerveau sous l'égide de l'évolution naturelle. La plante est le produit du milieu dans lequel elle pousse et le «milieu » de germination du « je » (sa base d'imputation), ce sont nos actes, terreau du karman, et le ressenti émotionnel de la perception consciente que nous en avons.

Au-delà de la raison pour laquelle nous « imputons » notre existence sur cette base conventionnelle, le film met en évidence la nécessité de disposer d'un milieu « base d'imputation ». La vacuité est l'essence de l'esprit, mais nous ne le réalisons véritablement qu'avec Éveil ! Il nous est impossible à notre première naissance - lorsque notre esprit, phénomène lui-même impermanent, vient pour la première fois à s'agréger - d'imputer l'identité de « qui » nous sommes vraiment sur la base de cela qui nous apparaît comme ce que nous sommes. Nous imputons l'identité de notre «je» sur la seule base dont nous disposions et qui se fait, alors, sens à elle-même !

Pour être en mesure de pouvoir abandonner la « base d'imputation » erronée sur laquelle nous définissions notre « je », nous devons comprendre au préalable ses «quatre vérités » : 

  • le  « je » (caractère imputé du) ; 
  • les causes (de son imputation) ; 
  • la cessation (de son imputation) ; 
  • et la voie de la cessation (de son imputation).

La première vérité est que le « je » n'est pas une entité qui existe par elle-même, il est imputé sur la base des attributs de notre esprit, c.à.d. de ce que nous percevons par l'intermédiaire de nos sens comme extérieur et de ce que nous éprouvons intérieur en notre phénoménologie mentale dans la saisie subjective, immédiate et implicite, de la «conscience de soi ».

La seconde vérité (la cause de l'imputation du « je ») est l'ignorance, c.à.d. le fait qu'à notre (première) naissance nous ne percevons pas que notre esprit est vacuité parce que n'avons pas, encore, réalisé l'Éveil. Nous imputons le « je » sur la base des «apparences ordinaires », ce que nos sens nous donnent à voir (l'environnement, le monde, notre corps...) et ce qu'il nous donne à ressentir (plaisirs, douleurs, effort, fatigue...). « Le "je", le "mien" et tout autre phénomène existant intrinsèquement qui nous apparaissent sont également des apparences ordinaires » BMV2-162. Et comme nous n'avons pas développé « la sagesse qui réalise la vacuité », ignorant la distinction entre réalité « conventionnelle » et « ultime », nous croyons ces «apparences ordinaires » exister par elles-mêmes. Cette croyance constitue une « conception ordinaire ». «L'esprit qui donne son assentiment à ces apparences ordinaires [la saisie du soi et toutes les autres perturbations mentales] en les tenant pour vraies est une conception ordinaire» BMV2-162.

La troisième vérité est que la condition de la cessation de l'imputation du « je » est de changer sa « base d'imputation ». Puisque la base du corps et de l'esprit impurs induit en nous la confusion et que les émotions perturbatrices nous enchaînent au samsāra par l'ignorance, nous devons la changer, de même que pour cesser de souffrir, nous devons remplacer notre quête d'un bonheur illusoire par celle du bonheur pur, en nous détachant du désir-attachement de tout ce qui nous en détourne. « Nous vivons dans le cycle de souffrances sans fin, parce que la base d'imputation de notre "je" est contaminée par le poison de l'ignorance de saisie du soi. Afin de nous libérer définitivement de la souffrance, nous avons besoin de passer d'agrégats contaminés à des agrégats non contaminés » BMV2-168.

La quatrième vérité est que la Voie qui permet de changer la base d'imputation du «je» ne peut résulter de la seule compréhension (et donc de l'étude des soutras), mais requiert la pratique des tantras. Dans le « tantra du yoga suprême », le méditant imagine ainsi son corps et son esprit comme étant ceux du Bouddha Hérouka - « déité pleinement éveillée, manifestation de la compassion de tous les bouddhas » BMV2-165 - «et se met à penser "Je suis Bouddha Hérouka" » BMV2-166, ce qui empêche de la sorte les « conceptions ordinaires » de se former. Puis, il se concentre en un point sur la « fierté divine » d'être le Bouddha Hérouka et «l'apparence claire » de son essence. « La profonde réalisation de la fierté divine empêche l'ignorance de saisie du soi de se manifester (...) À ce moment-là, il aura changé la base d'imputation de son "je" » BMV2-166.

L'important n'est pas le vecteur mais la méthode. Que le « je » soit un artifice de l'esprit et une illusion à lui-même ne signifie pas qu'il ne puisse se former un « Je » émergeant à l'Éveil, « notre "je" imputé sur notre « corps et notre esprit qui résident continuellement ne cessera jamais, mais passera d'une vie à l'autre. Cette personne-là, ce "je"-là, finalement deviendra un bouddha... ». Changer la « base d'imputation » n'induit pas qu'il existe un « Je » primordial révélée par sa purification, comme un diamant enchâssé dans la roche. Considérer ce « Je » né de la réalisation comme « inné » doit plutôt être vu comme un « levier » à la pratique des tantras qu'une réalité avérée. « ... Nous pouvons donc comprendre que, du point de vue du tantra du yoga suprême, il existe une personne, un "je", immortel qui possède un corps immortel dans le continuum mental de chaque être vivant » BMV2-181.

Le pratiquant du yoga du tantra suprême doit être convaincu qu'il existe en lui un « Je » ultime qu'il fait correspondre au « Je » du Bouddha Hérouka par la fierté divine jusqu'à ce que « la force de l'imitation » transforme son « continuum mental ». C'est aussi le moyen de la constance du rappel de l'importance des actes vertueux par la familiarisation à l'impérissable.

S'entraîner à se voir comme « le corps qui réside continuellement » BMV2-210, participe du remède pour changer la « base d'imputation » du « je ». Développer la faculté de «pure vision» (« vue pénétrante ») qui permet de le saisir, c'est « purifier les perceptions ordinaires. Ainsi, l'on voit le Maître semblable au Bouddha, la maison tel un palais merveilleux et tous les êtres vivants aussi précieux que le sont nos parents » OCM-334.

Du point de vue de la cohérence logique, si l'Éveil à la bouddhéité résultait de la purification d'un « je » qui s'avérait, finalement, ultime et avoir toujours été là, cette conception rejoindrait celle de la philosophie du Védanta et du yoga qui conçoivent le Soi éternel et immuable. Or, «toutes les apparences sont dans la nature de l'esprit, et l'esprit est par nature vacuité » BMV2-158.

Toutes les apparences, cela inclus le « je » ! Ce qu'il nous faut « purifier », ce n'est donc pas le « je » lui-même, c'est le « continuum mental » de l'esprit qui, aveugle à sa vraie nature, émule un « je » indépendant avec lequel il se confond sur la « base d'imputation » des agrégats du corps et de l'esprit « qui ne résident pas continuellement ».

Le film a une progression. L'histoire de l'esprit est semblable à celle du cerveau, sur une échelle de temps plus grande... C'est à nous de choisir si nous voulons ou non développer son plein potentiel. 

Nous possédons ce corps, cette parole et cet esprit très subtil [qui réside continuellement, notre véritable nature de bouddha] depuis des temps sans commencement (...) bien qu'aucun ne soit habituellement manifeste BMV2-210.

Cela « qui réside continuellement » à l'état de pur potentiel fait du « continuum de l'esprit » un champ de culture, du pratiquant bouddhiste un paysan et du maître spirituel un grainetier. Pour produire une plante, il faut réunir éléments et conditions favorables, une graine, un sol, de l'eau, les plus sains possibles, ainsi que les efforts et la persévérance du paysan. Le plus important, ce n'est l'état initial, mais la conjonction, c.à.d. la combinaison des bons ingrédients, du bon endroit, du bon moment et des bonnes actions.

Réaliser l'état de Bouddha implique de réunir : un continuum « qui réside continuellement » (potentiel des graines de son corps, de sa parole et de son esprit) ; un agrégat de matériaux animés ; un support de conditions « précieuses » ; l'entraînement (à l'éthique, à la concentration et à la sagesse) enseigné par les soutras, et les pratiques de génération et d'achèvement enseignées par les tantras.

La vie humaine est dite « précieuse », car difficile à acquérir en regard de la diversité des formes de vie et de la multiplicité des mondes habités dans l'univers - des statistiques qui ne tiennent pas compte d'un multivers à 10500 itérations possibles d'univers -. Le « continuum qui réside continuellement » n'a pas de sexe, ni de genre, ni de couleurs de peau, ni de forme corporelle déterminée. Toutefois, plus grandes sont les probabilités de trouver des planètes habitables dans un référentiel lui-même proche d'un infini et plus nombreuses sont les formes de vie intelligentes susceptibles d'héberger le continuum, mais ce n'est pas la seule condition ou « richesse » requise...

Derrière l'argument de la difficulté à obtenir la « précieuse vie humaine » se reflète en miroir la difficulté de l'obtenir à nouveau, à quoi s'ajoute le risque de la perdre si nous nous abandonnons à la recherche d'un bonheur illusoire et, pire encore, si nous commettons un crime « majeur » !

Insister sur les difficultés qui en font une loterie (« le hasard ne favorise que les esprits préparés[i] », ici par l'entraînement de l'esprit en des vies passées) a clairement pour finalité de nous motiver et de nous donner confiance pour atteindre l'Éveil, comme Milarépa, « en une seule vie et en un seul corps ».

Toutefois, la connotation « statistique » de l'argumentaire fait de l'état de Bouddha un phénomène, lui-même, aussi précieux que rare ! La conjonction de toutes les conditions nécessaires à l'Éveil ferait de l'événement une finalité téléologique si la philosophie bouddhiste ne posait qu'il ne peut y avoir de cause « première » et donc «finale ». 

L'état de Bouddha est le produit de conditions dont la « base de la conjonction », au sein de cet univers, est l'homme. La bouddhéité ne confère pas sens à son existence, mais à la «précieuse vie humaine », support des conditions indispensables pour réaliser (réifier le potentiel de) l'état de Bouddha.

Premier alpiniste à avoir gravit la montagne de l'Éveil, le Bouddha Sakyamuni a atteint le sommet sans autre pratique que la méditation. C'est en se frayant un chemin qu'il nous a montré la voie de l'Éveil et c'est aidé de la vue panoramique du sommet qu'il l'a balisé par ses enseignements.

La doctrine est une carte, le moyen d'apprendre qu'il existe un chemin pour atteindre le bonheur pur et comment l'emprunter pour parvenir à destination. Le pensum philosophique magistral des quatre vingt quatre mille soutras du Bouddha Sakyamuni transcrit par les lignées de grands maîtres bouddhistes et synthétisés dans « la voie de l'enseignement vers l'Éveil » du Lamrim est un instrument précieux pour qui possède la «précieuse vie humaine » et développe le précieux « esprit d'Éveil » de la bodhicitta, comme le sont les enseignements transmis de maître à disciple dans le Vajrayana. Mais, cela reste des outils dont il faut dépasser et le conceptuel et l'application pour aller « au-delà du par-delà » du connu, du connaissable et du connaissant.

En faisant abstraction des enseignements des soutras et les tantras (dont Gautama ne bénéficia pas pour atteindre l'Éveil !), comment s'opéra le basculement de son continuum qui le fit devenir un Bouddha ?

La plante née de la graine est le produit du milieu, mais si sa pousse dépend, pour partie, du phénotype (des conditions environnementales), la plante porte également en elle son génotype, dont les caractéristiques sont déterminantes de son individualité. A sa naissance, l'esprit-agrégé impute son identité sur la base des informations sensorielles que son aperception lui en donne. Or, la forme sous laquelle il s'apparaît est le reflet de la forme sous laquelle il en réalise la cognition, sans avoir conscience que la phénoménologique de cette «représentation de soi » est elle-même le produit d'un mécanisme cérébral.

Si, en sa nature, la « conscience de soi » reflétait l'esprit en sa « Claire lumière », celui-ci ne ferait pas l'erreur d'imputer son identité sur la base des agrégats du corps grossier. C'est parce que sous sa forme agrégée, sa forme naturelle ne lui est plus visible, occultée et déformée par le filtre perceptuel de l'instrument de cognition par l'intermédiaire duquel l'esprit se saisit, que son aperception est une « vue erronée ».

S'il est possible de démontrer que le monde tel qu'il nous apparaît n'est pas le monde tel qu'il est, pouvons-nous cependant mettre en évidence l'artificialité de la conscience ?

Chaque matin au réveil, nous reprenons conscience de nous-mêmes de manière implicite. Tout nous revient (quasi) instantanément en mémoire comme si nous étions brusquement reconnectés. Mais, il arrive parfois qu'au sortir d'un rêve, les choses nous paraissent étranges, voir irréelles...

Ce phénomène de dissipe rapidement et « l'illusion de la normalité » reprend le dessus. Il en va autrement dans des conditions telles que l'isolement et la privation sensorielle, qui peuvent déstabiliser notre perception de ce que nous considérons «d'habitude », sans doute ni a priori, comme la « réalité ». « De longues périodes passées dans une situation où rien ne change peuvent inciter au repli sur soi. Pour ceux qui ne sont pas habitués à l'introspection, une telle expérience peut susciter des émotions négatives, et dans des cas extrêmes brouiller la frontière entre ce qui se passe dans l'esprit du sujet et ce qui se passe réellement autour de lui»[ii].

Lorsqu'elles présentent un caractère extrême, de telles expériences peuvent brouiller la frontière entre la réalité extérieure et le monde de l'esprit, qui se met alors à halluciner un contenu fantasmagorique en le prendre pour vrai. L'esprit devient alors incapable de faire la différence entre cela qui est le produit de son imaginaire délirant et cela qui ne l'est pas.

A proprement parlé, ce n'est pas la conscience qui a des ratés, c'est l'esprit qui dysfonctionne... En elle-même, la conscience est toujours « conscience d'un objet », ce qui change, c'est son impossibilité à en discriminer la nature. Étant donné que la conscience est relative à l'esprit-agrégé - « l'esprit qui réside continuellement », pur potentiel, n'a pas de mode de conscience propre -, la « déchirure dans le réel » (la porosité entre les productions imaginaires de l'esprit-agrégé et les apparences conventionnelles) révèle le caractère artificiel de la phénoménologie de la «conscience-agrégée » à travers les déformations de son miroir.

Sur les représentations du bhavacakra, « la roue de la vie », qui ornent les monastères bouddhistes, est figuré l'enfer en une iconographie qui a valeur symbolique. Les esprits y subissent d'atroces supplices, à l'exception d'un seul... Nombreux sont ceux à ne pas supporter l'isolement et rester confiner pendant la crise sanitaire du Coronavirus leur est un supplice.

Cette solitude qu'ils abhorrent d'autres l'accueillent comme une bénédiction, à l'instar des ermites qui s'éloignent de la société pour mieux s'éloigner de leur propre « moi » et, en tournant le regard vers l'intérieur de leur être, trouver la félicité. « Pour accéder au paradis de leur contemplation, les anachorètes ont élu des paysages infernaux : grottes obscures ou déserts torrides. Lieux qui rendent l'absolu perceptible, qui éloignent de l'agitation pour laisser le renonçant face à sa véritable nature » OCM-227.

Gautama s'isola dans la profondeur des forêts, Milarépa dans les grottes des montagnes de l'Himalaya, coupés de tout contact social, tournés sur eux-mêmes dans le « repli des sens », avec la détermination ferme de méditer jusqu'à l'Éveil. Après avoir reçu la transmission tantrique de son Lama, Milarépa parti « méditer au désert » dans un ascétisme extrême. Son exil dura neuf ans, pendant lesquelles il vécut en ermite dans le froid glacial des montagnes, vêtu d'un simple habit de coton (d'où son nom «Mila l'ascète vêtu de coton » OCM-13), avec pour seule chaleur celle produite par la pratique du tum-mo, le « feu intérieur » - un yoga spirituel visant à produire un « état psychique d'unité et de plénitude » OCM-319 - et ne se nourrissant que de soupe d'orties jusqu'à ce que la couleur de peau devienne verte !

Quand il ne méditait pas, Milarépa chassait les démons qui sourdaient des recoins obscurs de sa grotte. Des démons nés des privations de nourriture, enfantés par l'isolement, conçus dans l'absence totale de contact humain, qui le firent halluciner leur présence (telles les ombres déformées du monde sur les parois de la caverne de Platon que ses prisonniers prennent pour réalité). « Dès le premier Chant, l'anachorète a atteint l'infinie potentialité de l'état de Bouddha mais il est encore soumis à quelques émotions démoniaques qu'il lui faudra subjuguer et transmuer en énergies » OCM-214.

Moi le yogi je tiens à la solitude.

Par mon pouvoir de méditer le Vide de l'esprit,

Des démons et lutins je subis les maléfices

Qui sont Grands Ornements de l'ascète OCM-252 

Ces passions qui viennent le tourmenter sous des apparences démoniaques sont la rémanence de l'attrait exercé par la base d'imputation du « je ». C'est contre l'avidité de l'emprise égotiste des objets des sens qu'il livre combat pour ne pas succomber à la tentation de ces obstacles démoniaques qui le détournent de l'émancipation spirituelle, et c'est avec la sagesse qui réalise la vacuité qu'il s'oppose à ces forces et en dissipe l'illusion.

En brouillant la frontière entre l'extérieur et l'intérieur, jusqu'à ce que la conscience ne puisse plus faire de différence entre les fruits hallucinés de l'imagination et le monde, l'ascétisme et l'isolement extrêmes, mettent en évidence le caractère «conventionnel » de leur réalité. Le monde tel qu'il nous apparaît se révèle représentation, élaboration mentale, matérialisation de l'univers de nos pensées, qui ne se distingue que par l'étiquette que nous y apposons. L'isolement ascétique est le lieu atemporel et l'espace non-local d'une confrontation à soi-même dans laquelle l'esprit entreprend de démystifier, sans y succomber, l'illusion qui l'envoûte.

Le monde visible existe, mais contenu en l'esprit.

La vraie nature de l'esprit appartient à la clarté.

Cela est, sans qu'on l'identifie concrètement.

Voici l'énoncé des trois clés de la vue OCM-326. 

L'isolement peut rendre fou, mais qu'est-ce que la folie si ce n'est la rupture d'une normalité que nul ne remet en question ? Puisque sa base d'imputation est « le plus grand nombre partageant une même vue », quiconque s'en éloigne en la solitude de son jugement est de facto dans l'erreur ! Et lorsqu'un pouvoir, religieux ou temporel, l'érige en dogme, il en vient à façonner jusqu'au mode de fonctionnement de notre cerveau. Les intuitions visionnaires d'Einstein se heurtèrent ainsi à l'opposition farouche de la communauté scientifique. L'homme ne comprend l'univers que lorsqu'il cesse d'être captif des vues (et des mèmes) qui restreignent son imagination.

La folie se trouve dans la vue impartiale,

Dans la méditation qui s'éclaire seule, sans images,

Dans l'activité qui se libère seule, sans rien à saisir OCM-968

La nourriture est le tissu du corps. Lorsqu'il en est diminué par le jeûne ou privé par un ascétisme plus extrême encore, le cerveau doit trouver d'autres ressources (comme l'autophagie) pour assurer ses besoins vitaux. La société est l'étoffe de la personne, le fruit de l'interdépendance d'infinies combinaisons de relations établies sur la base d'imputation de «modèles sociétaux » - qu'Aldous Huxley nomme « univers-îles AH-PP » ou Don Miguel Ruiz « le rêve de la planète [iii] » -.

C'est en dépendance de nos expériences avec les autres que s'édifie notre histoire personnelle et que se forme notre « moi psychologique ». L'isolement prive l'ego de sa source de nourriture, trouble le schéma conventionnel de soi et perturbe jusqu'au fonctionnement cérébral dans lequel il inscrit ses schémas. L'émulation du « moi » dépend étroitement de la diversité et de la richesse de l'activité des flux qui parcourent sa base d'imputation, car le «je» est une « structure dynamique » en perpétuelle réécriture.

Telle une vague sur l'océan qui se forme sous l'action du brassage de l'eau par la force du vent, le « je » se tisse dans l'écheveau des échanges sociaux. Que la météo s'apaise, que le vent tombe et que les flots se calment, l'océan devient « mer d'huile ». Que le monde se retire autour de soi dans le reflux de la distanciation sociale du confinement de toute une population et que s'arrête avec lui le tourbillon d'activités sociales pourtant aliénantes, et la base d'imputation du «je » se réduit à l'écologie d'un mental soudain siphonné d'une source essentielle d'aliments, faisant naître de nouvelles perturbations sans que par ailleurs ne s'apaisent les émotions qui s'y attachent.

Cet assèchement met en exergue notre dépendance à la relation aux autres. Privés de nourriture sociale, nous cherchons le moyen de sustenter notre esprit toujours agrégé à la base d'imputation du « je » sous laquelle nous nous identifions. La prégnance du phénotype social du « rêve de la planète », véhiculé et reflété par les autres, conjuguée à nos impulsions karmiques (foyer de notre « génotype psychologique ») entraînent une souffrance qui devient vite insupportable pour qui ne parvient pas à s'en détacher lorsque son maelström fait place au vide et le laisse seul avec lui-même.

Pour autant, l'isolement ne cause pas le changement de la base d'imputation du «je». Il nous met face à l'alternative du détachement, qui est sa condition, en nous obligeant à confronter son artifice : par la douleur du déchirement qu'il provoque en nous ; par la félicité qu'il engendre lorsque se délitent les nœuds du filet du samsāra et que s'ouvre alors un état de paix et de sérénité sur la vacuité de notre réalité intérieure.

En ne réalisant pas le vide des notions conçues et créées par l'esprit,

La racine de la confusion jaillit de l'esprit.

Reconnaître la nature intrinsèque de l'esprit,

C'est voir la claire lumière sans allées ni venues OCM-296

Lorsqu'il devint le disciple de son Lama, Marpa, Milarépa lui fait « le don total de son corps, de sa parole et son esprit » OCM-13. La relation de maître à disciple est au cœur de l'enseignement des tantras. La transmission s'opère par le vecteur de l'énergie d'un maître réalisé, de manière plus confidentielle et intimiste donc que l'enseignement «doctoral » des soutras. « La pratique tantrique ne s'apprend pas dans les textes, elle repose sur la grâce accordée ou reçue et sur le lien sacré qui unit maître et disciple » OCM-14.

Lorsqu'il se livre à un ascétisme extrême, Milarépa ne cherche pas à détruire la base d'imputation phénotypique du « je » par l'aban-don total de son corps aux pires privations de la faim et aux terribles agressions du froid, ni à briser sa base d'imputation génotypique par un isolement absolu de tout contact social humain, ni à anéantir son identité psychologique fruit de l'ignorance de son esprit-agrégé occulté par l'emprise de l'illusion de ses agrégats.

En ces trois aspects relativistes, le corps (la substance), la parole (la société) et l'esprit (l'individualité), la base d'imputation du « je » n'est pas, à elle seule, responsable de «l'enveloppement karmique » dans le samsāra. Ce qui nous y attache, c'est l'attrait que nous en perpétuons. Cette force d'attraction passionnelle, l'isolement la distord et la distend jusqu'à son point de rupture.

A l'instar du yoga du tantra suprême, où la base d'imputation du « je » est redirigée vers la figure d'un Bouddha, la force de la passion est transférée sur un objet dont la valeur n'a pas de caractère intrinsèque, mais réside dans l'attitude et le comportement vertueux qui s'attachent à sa considération.

Là où nombreux sont ceux qui dans l'isolement sont accablés par un ennui mortel, plongent dans la mélancolie, sombrent dans la dépression ou sont la proie d'hallucinations schizophréniques, dans l'isolement extrême, Milarépa, lui le disciple zélé qui répond aux ordres de son lama avec une détermination à toute épreuve, découvre une félicité sans nom par une technique « refusant d'emprisonner l'esprit dans le carcan des obligations » OCM-221 !

Ce à quoi il est fait allusion par « obligations » se sont des instructions de méditation comme : «fixer son attention », « rester vigilant », « éviter la distraction », afin de rester concentré sur un point. Ce peut être le souffle ou les mouvements de la respiration dans la méditation vipassanā, une image créée par la conscience mentale dans la méditation Samatha, ou tout objet intérieur (mental) ou extérieur (sensoriel) sur lequel maintenir notre esprit par l'usage de la force de la mémoire, de la vigilance, de la persévérance, etc.

A contrario de ces types de méditation, qui s'inscrivent en continuité l'une de l'autre dans un processus d'entraînement de l'esprit, dans cette méditation dégagée de toute obligation, « il n'y a pas d'objet à méditer, rien à prendre, rien à rejeter, pas de comportement à exiger de soi dans la douleur, il faut seulement reconnaître pensées et manifestations extérieures sans s'y attacher ni chercher à les bannir » OCM-221.

Alors que l'on pense : c'est la méditation,

Cette réflexion n'est pas méditation.

Méditer ou non, il n'y a pas de dualité.

La source de l'erreur est dans la discrimination OCM-296

Ce monde tel qu'il nous apparaît est nominal. Superposition d'étiquettes mentales collées sur des « objets des sens » qui, de part leur caractère perceptuel, sont eux-mêmes des constructions élaborées par notre cerveau à partir du matériau brut capté par nos «consciences sensorielles ».

Ce que nous voyons, entendons, sentons, goûtons, ce que notre instrument de notre cognition nous donne à saisir est un « représenté » sous une forme établie par des processus et des langages psychiques, par des normes et des conventions sociales. «Tout individu est le bénéficiaire et la victime de la tradition linguistique dans laquelle l'a placé sa naissance, victime en ce qu'elle le confirme dans la croyance (...) que ce que la religion appelle "ici-bas", c'est l'univers du conscient réduit, pétrifié par le langage » AH-PP-28.

« Le je est un réflexe de crispation ». Le sentiment égotiste se forme dès l'instant où (tel un insecte irrésistiblement attiré par la lumière) notre attention est captivée par les objets des sens que nous classifions dans des catégories (agréable ou désagréable, bon ou mauvais, etc.), en regard desquelles nous adoptons un comportement connoté (saisir, s'emparer, conserver, rejeter, éviter, fuir, etc.) et développons un désir-attachement (« je le veux », « c'est à moi », « c'est le mien » !) duquel naissent les émotions perturbatrices à leur possession et à leur privation.

Méditer sans objet, c'est méditer chaque objet entrant dans le champ de conscience avec une attention proportionnelle à la durée pendant laquelle il y demeure et l'espace qu'il y occupe. Il y a à saisir ce qui arrive, tel quel, sans chercher à l'identifier, le juger, s'y attacher ou le retenir. Simplement laisser venir et partir sans rien changer, prendre en l'état à l'instant où « cela arrive » et relâcher dans le même état à l'instant où « cela part ». La méditation « devient alors l'état dans lequel il n'existe plus de dualité, la méditation est la vie quotidienne, l'expérience de la saveur unique » OCM-221.

Quand il n'y a rien à regarder, sublime est la vue

Quand il n'y a rien à chercher, sublime est la découverte OCM-221 

Pour beaucoup, la solitude et l'isolement sont vécus comme un manque ou une défaillance, la distanciation sociale et le confinement comme une privation et une épreuve. Puisque nous sommes des êtres sociaux, « vivre seul » est perçu comme anormal, voire comme un trouble psychiatrique !

Mais qu'est-ce que la normalité si ce n'est le conditionnement par lequel nous sommes habitués à voir les choses d'une manière telle que toute autre façon de penser et de se comporter apparaissent en anomalie ?

En développant une attirance pour « ce qui arrive », en éprouvant un vif émoi en pensant au fait que « cela m'arrive à moi », en nourrissant de la passion à l'idée que «cela m'arrive encore », en ressentant de la colère lorsque « cela cesse de m'arriver », ce n'est pas la base de mon imputation qui est en cause, ni les aspects de la parole, du corps et de l'esprit qui fondent le «je», c'est l'attitude et le comportement que je développe à leur égard !

Dans l'isolement et l'ascétisme extrêmes, perché sur les flancs glacés des montagnes de l'Himalaya, à nul moment l'ermite Milarépa en quête de libération ne se sent seul, démuni ou dépossédé, car jamais il n'épuise la richesse du réel au sein duquel il baigne.

Je suis heureux de me poser sur un coussin dur,

Heureux de la toile de coton qui me couvre,

Affamé ou rassasié, mon corps ne distingue plus,

Je suis heureux de l'esprit en sa nature, simplement attentif OCM-170 

La nature en ses multiples facettes regorge d'une infinie diversité dont le méditant qui ouvre sans réserve son esprit à l'observation attentive peut épouser l'horizon illimité en un flux sensoriel incessant. « Ses sens appréhendent là l'essentiel. L'anachorète qui ne s'emmure pas, au sens propre, découvre l'infinitude du non-créé, sans le craindre. Éveillant en lui le divin jour après jour, le contemplatif, dans sa pleine ouverture d'être, devient bienfaisant au monde » OCM-232.

En fixant notre attention sur la réponse causée par les activités de la nature humaine : le corps (le sensuel), la parole (le relationnel), l'esprit (la pensée) ; nous développons des représentations de plaisir et de douleur qui façonnent l'imputation du « je, du moi, du mien ». Autrement dit, la base d'imputation du « je » n'est pas constituée par les agrégats de notre corps, par notre réseau de relations sociales et par l'agitation mentale de nos pensées. Ce sont les signifiants sous lesquels les choses nous apparaissent qui nous font imputer la croyance en l'existence d'un « je existant intrinsèquement » et nous y confondre par identification. C'est cette confusion qui nous fait croire que notre nature est celle des « apparences ordinaires», de cette part périssable qui ne survit pas au processus de la mort.

Lorsque nous fixons notre attention sur les réactions que le contact avec les choses peut faire naître en nous, nous filtrons le flux extérieur (le monde) et intérieur (nos pensées). L'observation partisane, la dénomination nominale, la qualification émotionnelle, réduisent « l'infinitude du non-créé » à la finitude du « réifié conventionnel » (comme la mesure d'un système quantique provoque la décohérence de sa « fonction d'onde » en une série de valeurs caractéristiques d'un objet physique, onde ou particule).

Notre « nature véritable objective », en l'essence réalisée du corps, de la parole et de l'esprit de Bouddha, est pure vacuité, tel le lit où s'écoule un fleuve dans une parfaite fluidité. Mais, sous l'action des agrégats impurs du corps, de la parole et de l'esprit agrégés, nous capturons et retenons les stimulus du monde et le flot de nos pensées aux aspérités de nos passions.

A contrario d'une perception non différenciée, d'une conscience non discriminante, surgit la «saveur unique » qui n'est : ni chaud ou froid, ni sucré ou salé, ni agréable ou désagréable ; sans être non plus les deux « en même temps » tel l'équilibre de sthira et sukham dans le yoga de Patanjali. C'est une « vue hors de toute vision » dont tout caractère binaire est aboli. Ni zéro ni un (sorte de qubit à la fois zéro et un), une valeur unique dont la somme est supérieure à celle de ses parties. Les contraires cessent alors dans l'unité indivisible de la vacuité, c'est «l'expérience de shûnyatâ, l'expérience de la non-existence de la dualité » OCM-270 !

Lorsque sous une forme agrégée impure, nous fixons notre attention sur notre propre observation, nos réactions émotionnelles, nos jugements, nos ressentis, au passage du fleuve du « réel ultime », nous faisons obstruction à son écoulement phénoménologique au sein de notre « continuum mental ». L'acte conceptuel de désigner la vacuité dans un langage symbolique engendre la « réalité conventionnelle » qui, couplée à son étiquetage passionnel, fait dans le même temps apparaître la dualité sujet-objet.

S'entraîner par une méditation sans contrainte à poser notre attention sans préhension ni crispation, à observer le réel sans y réagir ni modifier « cela qui surgit et disparaît aussitôt » dans l'impermanence du mouvement incessant de l'univers (telle une corde de violon vibrant au passage de l'archet et tels le corps, la parole et l'esprit du violon résonnant de ces vibrations et d'elles seules), abolit la dualité sujet-objet et restaure la «vue juste » de la vacuité de l'essence ultime des phénomènes et du soi de la personne.

Lorsque c'en est fini de celui qui regarde et de ce qui est regardé,

Surgit alors la réalisation de la vue OCM-270. 

Nous réagissons aux fluctuations du courant de ce fleuve par le caractère captivant de son spectacle et aussi parce que notre attention est prédisposée à « se laisser capturer», car nous sommes conditionnés par des croyances et des schémas de pensées profondément enfouis dans notre inconscient.

Qu'ils résultent d'événements propres à notre existence ou qu'ils soient le fruit karmique d'actions de vies antérieures, ces conditionnements ne se rattachent pas à un « moi existant intrinsèquement », ils le constituent ! 

Ce que nous croyons être le génotype de notre « moi psychologique » est en fait le produit de la conjonction d'un ensemble de liens tissés en interdépendance des tissus, biologique, social, linguiste, constitutifs des agrégats du corps, de la parole et de l'esprit impurs.

En leur essence, nature et aspect, tous les esprits sont identiques, comme les molécules d'eau du fleuve. Nous différons en individualité par la forme, le contenu et le caractère de nos agrégats corporels et mentaux, ainsi que par notre bagage karmique, qui colorent l'eau du fleuve en teintes infinies. Notre individualité est façonnée dans ce milieu en constant mouvement, dans les courants des « chaînes d'origines interdépendantes combinées », par les croisements de nos réactions passionnelles à son flux avec celles des autres, comme les couleurs en se mélangeant donnent de nouvelles couleurs.

Dès lors que par l'entraînement de notre esprit à la méditation non contrainte, nous devenons capables d'embrasser le flow incréé de la « réalité ultime », nous inhibons notre croyance en un « soi existant intrinsèquement » dans l'unité du flow de la vacuité des phénomènes.

Ainsi, l'isolement et l'ascétisme extrêmes, en brouillant les frontières entre l'intérieur et l'extérieur, rendent difficile de différencier la « pensée délirante » de « la pensée conventionnelle ». Entre la première qui dévoile son caractère chimérique et la seconde son caractère nominal, les différences s'annulent. La réalité perd tout réalisme, l'irréel devient réel... Cet abandon par l'ermite de son corps, de sa parole et de son esprit (dans le détachement complet de la recherche du bonheur « ici-bas »), perturbe le schéma de la représentation qui donne à notre conscience son « soi » et provoque le dysfonctionnement de l'instrument de notre cognition en son fondement cérébral.

Cette déréalisation, qui conduit à ne plus distinguer la réalité du rêve, induite par la torture de notre croyance en un « soi des phénomènes existants intrinsèquement », ne suffit toutefois pas à annihiler notre croyance dans un « soi de la personne existant intrinsèquement ». Pour «passer au-delà » l'horizon de son illusion phénoménologique, de sort à ne plus imputer notre «je » sur la base des agrégats impurs (et imparfaits) du corps, de la parole et de l'esprit agrégés, il est nécessaire de « passer par-delà » la dualité sujet-objet inhérente à la saisie égotiste du flux des phénomènes.

Méditer sans contrainte, c'est observer le flux du réel sans le modifier pour sonder notre «nature objective véritable » et les causes de l'imputation erronée du « je » sur une base impure. La bouddhéité est un processus, la « réification d'un potentiel » amené à sa réalisation plénière, par la construction et la déconstruction «analytique» du conventionnel dans « l'expérience de la non-existence de la dualité» OCM-270.

Pour obtenir une fleur, il faut une plante issue une graine. La fleur est le produit de la plante qui est elle-même le résultat de la germination de la graine et la graine est, elle-même, le fruit d'une sélection naturelle au sein d'un milieu. C'est un processus causal ! Tout est produit de cause, rien n'est à lui-même sa propre cause. La « fleur de l'esprit » est le produit d'une graine qui en « sa base universelle » (potentielle) est le « mode d'être primordial, ontologiquement antérieur à toute manifestation, caractérisé par trois aspects : l'essence vide, la nature lumineuse, l'énergie ou compassion » DEB-78.

Réaliser notre potentiel, c'est faire germer les graines de la parole, du corps et de l'esprit de Bouddha dans le milieu réunissant toutes les conditions propices à sa manifestation, la «précieuse vie humaine ». En son mode d'être original (rigpa), la «base universelle » se déploie dans l'espace de la manifestation par l'agrégation des facultés optimales du cerveau humain («consciences sensorielles », « facteurs mentaux», etc.), accompagnées des autres « richesses » du milieu. « Quand elle vient à s'exprimer, son énergie se déploie et elle devient la "base d'émergence". Les apparences manifestées sont celles de la "base en manifestation" » DEB-78.

Le terreau de l'esprit d'Éveil est la « précieuse vie humaine » (authentique). Dans l'ordre du manifesté, l'esprit perçoit la réalité sous la phénoménologie de ces «instruments de cognition ». Or, cette saisie du réel s'effectue sous la « vue » des sens et de la pensée symbolique, nominale et conceptuelle. Et lorsque l'esprit s'identifie à ses agrégats sa confusion recouvre l'ainsité du « réel ultime » du voile des apparences et des conceptions ordinaires.

L'Occident a réduit le yoga à la pratique des postures ou asanas (le troisième membre de l'Ashtanga yoga de Patanjali). Mais, de par sa définition et son objectif (« l'arrêt des fluctuations du mental »), le yoga est méditation ! Dans le bouddhisme, en particulier les tantras, la voie qui mène à l'Éveil est un yoga. La « méditation sans contrainte » de Milarépa consiste en un entraînement qui vise, par la pratique des « quatre yoga », à atteindre « une méditation non duelle sur la nature de l'esprit » DEB-346 et à y résider ou Mahāmudrā, c.à.d. à « ne pas quitter la connaissance de la vacuité » DEB-346.

Au premier stade, le yogi s'entraîne à développer samatha, le calme mental où dans «la concentration unificatrice ou en un seul point (...) l'agitation mentale pareille à une chute d'eau, finit par laisser place à la stabilité relative puis à l'immobilité pareille à l'océan, l'expérience de la stabilité » DEB-347.

Il est essentiel de parvenir à calmer l'agitation du mental avant de poser notre attention et de concentrer notre analyse sur « l'objet » de notre étude, c.à.d. l'observation de l'esprit par lui-même, « l'esprit observe l'esprit, c.à.d. que la présence claire de vipasyanā commence à poindre » DEB-348. Vipasyanā désigne la « vision de la réalité telle qu'elle est » (la vacuité de tous les phénomènes) et la technique de méditation pour y parvenir.

Lorsque c'en est fini de celui qui réfléchit et de l'objet de la réflexion,

Survient alors l'assiduité de la méditation OCM-270. 

C'est le second yoga « la simplicité ou l'absence d'élaborations » DEB-348, sous-entendu «conceptuelles », c.à.d. la saisie de la réalité sous la forme d'un langage de symboles abstraits, support de nos idées, elles-mêmes constitutives des représentations que nous nous faisons de la réalité, et que nous manipulons par la raison pure à l'aide des outils de la logique.

Les Bouddha réalisent la « saisie directe » de la réalité au-delà de toute dualité. Leur connaissance n'est pas de la nature de la pensée conceptuelle, « les élaborations conceptuelles cessent dans la vacuité (...) quand vous réalisez la vacuité, vous pénétrez la véritable nature de l'esprit » FFR-110.

Atteindre cet état est un processus graduel qui, de plus, ne consiste pas à se libérer de la « vue conceptuelle » pour atteindre cette « vue essentialiste », mais à s'appuyer sur elle (à l'instar des deux ailes de l'esprit d'Éveil). Ces deux vecteurs de la connaissance possèdent des spécificités qui les rendent complémentaires pour développer Vipasyanā. « Samatha seul ne donne pas accès à la compréhension de la véritable nature des phénomènes, prajnā. C'est le rôle de Vipasyanā qui allie la stabilité du samādhi à l'utilisation de la vigilance pour pénétrer la nature ultime de la réalité et développer ainsi l'intelligence éclairée de prajnā, la connaissance suprême » DEB-704.

La tradition occidentale, fruit de l'héritage de la pensée grecque, fait de la raison la vertu suprême de l'esprit et de sa pratique une « philosophie en action » (dans l'école pythagoricienne, les philosophes réfléchissaient et débattaient en marchant). En Asie, les spiritualités ont développé l'exercice de la philosophie en lien avec le « non-faire ». La réflexion analytique menant du conceptuel au non duel y adopte la forme et la posture de la méditation.

Le bouddhiste reçoit les enseignements d'un Lama par voie orale ou à travers les écrits du Bouddha et des lignées de grands maîtres. La voie des soutras est principalement celle de la compréhension par le raisonnement philosophique, celle des tantras de sa mise en pratique.

Vipasyanā est la méthode qui consiste à développer « la capacité d'analyser les phénomènes... » et le résultat de cette méthode « ...pour en acquérir la juste compréhension c.à.d. en pénétrer la véritable nature » DEB-704. Son caractère «analytique » recouvre deux sens : celui d'une «méditation analytique », consistant dans les opérations intellectuelles de la raison pure qui manipule des concepts ; et celui d'une « expérience analytique » qui revêt la forme d'une méditation « naturaliste » et «phénoménologique».

Le basculement ne s'opère pas à la manière d'un « saut quantique », ces phases sont progressives : débutante où « le yogi commence à comprendre que toute chose qui s'élève est vacuité, la compréhension est encore très liée à l'intellect » ; médiane où «l'attachement à la réalité des pensées se purifient progressivement » ; et supérieure où est « tranché toute conception concernant, l'extérieur et l'intérieur, les apparences et l'esprit » DEB-348.

Lorsque c'en est fini de l'acteur et de l'acte,

Paraît alors le mode de comportement OCM-270.

Nous libérer du conceptuel est difficile, non seulement parce que les aptitudes du cerveau humain à manipuler la raison pure sont remarquables (ce qui contribue à conférer à la vie humaine une part importante de son caractère « précieux »), mais aussi parce que la pensée est captatrice.

Écouter les enseignements et les comprendre fait partie du chemin, mais lorsque «l'attachement à vouloir comprendre » devient passionnel, il ne se différencie pas du désir-attachement à posséder ! En transformant le flow incréé de la vacuité en objets de la raison pure, la curiosité et le désir de comprendre peuvent devenir des réflexes de préhension et de rétention narcissiques qui renforcent la base d'imputation du «je».

Faire des graines du « corps, de la parole et de l'esprit » de Bouddha les bourgeons du «connaissant, du connaissable et du connaisseur », n'amène pas la purification des trois corps. Nos facultés doivent être optimales pour comprendre les enseignements, mais nous devons rester humbles. Telle l'horizon de l'espace, la raison pure recule l'horizon de la connaissance à mesure que l'on s'en rapproche. En fonction de son degré, «chaque signe prend un sens particulier selon le degré de connaissance » OCM-11.

Pratiquer la méditation « analytique », ce n'est pas s'enferrer dans un samsāra de pensées abscondes et de débats métaphysiques sans fin, c'est le tremplin de «l'expérience analytique ». Il y a un chemin entre le cœur de notre esprit et le cœur de la réalité, car ils partagent la même « nature véritable objective ». De Vipasyanā à Vipasyanā, de la saisie rationnelle à la «saisie directe », une même méditation, analytique et essentialiste. La porte sur l'intérieur de notre esprit ouvre sur l'intérieur de la réalité.

Dans la « simplicité supérieure » (la réalisation du second des quatre yoga) les contraires s'abolissent, le samsāra et le nirvāna, l'intérieur et l'extérieur, les apparences et l'esprit, le conventionnel et l'ultime, « dans la méditation comme dans la veille et le sommeil. Elle équivaut à l'entrée dans la voie de la vision et à l'atteinte de la première terre des bodhisattva » DEB-348.

La connaissance par la raison ne nous donnera jamais la réalisation que donne l'expérience. Atteindre la bouddhéité, c'est nous détacher de la raison pure par « la pleine ouverture du vide, l'impartialité, l'absence de définition, la non conceptualisation des phénomènes » OCM-116

Comprendre la nourriture n'aide pas l'homme affamé, il lui faut manger.

Il en va de même pour la réalisation de la vacuité, en comprendre le sens ne suffit pas, il faut la méditer afin de réaliser la vue pénétrante OCM-116.

Toutefois, pour réaliser la « vue pénétrante » de la vacuité, il ne s'agit pas d'abandonner la pensée analytique pour embrasser la pensée essentialiste, comme d'abandonner la «préoccupation de moi » et « se préoccuper du sort des autres » pour développer notre compassion. La connaissance par la raison pure n'est pas synonyme d'impureté, c'est l'obsession à son opération qui le devient lorsqu'elle nous détourne de l'entraînement à la saisie directe.

Milarépa est un ascète du corps, de la parole et de l'esprit au sens où il rompt par ses austérités avec le désir-attachement pour le bien-être de son corps, avec les relations sociales et les pensées mondaines. Sa doctrine, réduite à l'essentiel, culmine à l'essence de la pratique du tantra yoga. « Sa vie existe sans glose, se comprend sans notes ni exégèse (...) avec une simplicité lumineuse (...) elle dit que ceux qui savent débattre, analyser sans trêve, n'ont pas l'apanage de cette liberté » OCM-11.

Milarépa n'est pas un ascète de l'univers ! Son isolement le raccorde à la perception du monde, ses privations l'enrichissent de sa sensation directe. Ce « yoga analytique » est naturaliste, c'est l'expérience de nos sens et l'observation de cette expérience au cœur de l'esprit qui la pense. « La seule nature offre au pratiquant mille symboles à méditer » OCM-11.

Après avoir exposé la nature du ciel

L'on a établi la qualité de la vérité ultime.

Recherchez à dessein une vue transcendant l'intellect.

Fixez-vous dans une méditation attentive.

Renoncez aux métaphores, aux espoirs et aux craintes pour l'accomplissement !

Clarté, absence d'imagination, attention,

Résument la méditation OCM-315 

Plutôt que de « penser la réalité » à travers des symboles abstraits, l'esprit la comprend par la «saisie naturaliste » des phénomènes. Nous pouvons ainsi comprendre l'interdépendance dans la sensation de l'air qui entre et sort de nos narines, les mouvements de notre diaphragme, le soulèvement de nos côtes, le parcours de la respiration à travers notre corps...

Nous pouvons de la sorte comprendre l'impermanence dans l'observation du ciel, les variations de la lumière du soleil à mesure de son parcours, la formation des nuages, la pluie qui résonne en tombant sur le sol, la terre qui absorbe l'eau qui s'écoule et se mêle au cours d'un ruisseau...

Le nuage du Sud, les éclairs et la foudre,

Qui du ciel même sont venus,

Dans le ciel même se dissolvent.

L'arc-en-ciel, le brouillard, les brumes du matin,

Qui de l'espace même se sont levés,

Dans l'espace même se dissolvent.

Le ruisseau, la vague, l'écume,

Qui de l'océan même ont jailli,

Dans l'océan même se dissolvent OCM-295 

Milarépa n'est pas un ascète de la pensée ! Sa séquestration temporelle le reconnecte à « ici et maintenant » et l'ouvre à l'aperception atemporelle de son esprit. Ce « yoga analytique » devient ainsi phénoménologique, c'est l'observation de l'esprit à travers l'observation du «miroir de l'agrégat » de ses facteurs mentaux et réactions passionnelles (qui pour Milarépa revêtent la projection de ses passions personnalisées en démons).

Tandis qu'il méditait, concentré sur un seul point,

Le jeu grossier des inclinations communes

Et les illusions de sa propre pensée s'agitèrent.

Si l'imagination ne s'était pas en ennemie dressée,

Moi Drag Sinmo, pourquoi aurais-je engagé les hostilités ? OCM-285

Au terme de l'atteinte du yoga de la « concentration en un point » (Samatha) et du yoga de «l'observation de l'esprit » (Vipasyanā), le yogi recouvre son intelligence éclairée, que son identification à la base d'imputation erronée du « je » voilait. Avec le yoga de la « saveur unique» surgit la connaissance non duelle, produit de l'osmose de la saisie expérientielle et de la compréhension conceptuelle. « La distinction des perceptions extérieures (objets) et des perceptions intérieures (pensées) s'abolit et la dualité disparaît » DEB-348.

L'ascétisme extrême de Milarépa n'est donc pas une destructuration par le jeûne du corps et de la pensée, l'isolement social, la privation sensorielle et temporelle, c'est la reconstruction d'une connaissance essentialiste qui, pour atteindre à la connaissance (prajnā) de l'ainsité des phénomènes, s'abstrait du cadre de référence des catégories a priori de la raison pure (l'espace et le temps), celles également de la perception sensorielle.

La « vue » du yogi n'est toutefois pas encore totalement éclairée. Elle le sera au stade du yoga de la « non-méditation », de l'absence de distinction entre les périodes de méditation formelle et le reste du temps. Au terme d'un processus de stabilisation, de clarification, de purification et d'équanimité, mêlant l'enseignement à la pratique yogique, l'aspirant au bonheur ultime accomplira le parfait développement des graines « du corps, de la parole et de l'esprit », « la réalisation totale d'un état au-delà de tout dualisme qui correspond à la connaissance primordiale de l'état de Bouddha » OCM-271.


  • Observez votre esprit... De la méditation analytique des enseignements de la philosophie bouddhiste tibétaine naît la compréhension que l'esprit n'est ni autonome ni immanent ni éternel. Sa méditation naturaliste dévoile un flot de pensées « virtuelles » entremêlées, jaillissant et disparaissant sans cesse.

    Observez ce flot... Sa méditation phénoménologique distingue l'activité des consciences sensorielles et facteurs mentaux. Observez cette activité... Sa méditation essentialiste révèle la forme trouble du « continuum qui réside continuellement » lorsque sont réunies les conditions de la « précieuse vie humaine », mais que ses fluctuations déforment la vue de la réalité.

    Observez cette « vue »... Par l'éthique, la concentration, la sagesse, purifiez-là de son caractère erroné et par le yoga rendez-là « pénétrante ». Il n'y a alors plus rien à observer et plus personne qui observe... Plus d'exégèse, le sens éclaire l'instant présent. Cet « état qu'est l'esprit » n'est plus celui d'une ignorance confuse, c'est l'état d'une connaissance claire et lumineuse, l'état de réification d'un potentiel, l'état d'omniscience et de félicité des Bouddhas.

Félicité de la vue qui ne s'attache pas aux réalités matérielles !

Félicité de la méditation sans interruption !

Félicité du comportement immuable !

Félicité d'une réalisation sans espoir ni crainte !

Voilà le bien-être de l'esprit OCM-316