I.74 – « Ce n’est pas réel ! »

20/09/2020

Une illusion ne peut affecter ce qui est insubstantiel. Un caillou jeté dans l'eau avec rage ne trouble pas la Lune. Si « je » souffre de ce qui (m')arrive, c'est uniquement parce que je crois en la réalité de ce supposé « moi » ! Si j'en reconnais la vacuité, même l'eau ne pourra plus être troublée.

L'esprit invente tout, et la seule chose à faire, c'est de le maîtriser, comme Tilopa l'enseigne à Naropa :

Ce n'est pas l'objet qui te lie, Naropa, mais l'attachement : Coupe donc l'attachement ! ACC-155

Dans la voie des sutras, il est important de bien comprendre la philosophie des enseignements avant de les mettre en pratique. Cependant, placer une trop grande confiance dans le pouvoir de la raison peut engendrer un quiproquo. Si comprendre véritablement le sens des enseignements nous rend plus sage, sagesse n'est pas raison car la comprendre ce n'est pas réaliser.

Selon la philosophie bouddhiste, les apparences conventionnelles ne sont pas réelles, elles n'existent pas « en-soi », de manière autonome, mais sont des projections de notre esprit voilé par l'ignorance et les émotions perturbatrices qui nous font les saisir comme attirantes ou repoussantes. « C'est en prenant conscience des objets extérieurs que l'esprit les classe par catégories. Il est alors attiré par ceux qui lui semblent agréables et fait tout pour éviter ceux qu'il trouve déplaisants. Dès lors apparaissent la souffrance d'être privé de ce que l'on souhaite et celle de devoir subir ce que l'on voudrait éviter... ». Si les qualités étaient propres aux choses, rien de ce qui est beau jamais ne flétrirait, rien de ce qui un jour nous plait, jamais une fois fané ne nous rebuterait ! « ... l'expérience de l'agréable et du désagréable n'est pas inhérente aux objets que l'on perçoit : elle n'a d'existence que dans l'esprit » ACC-154.

Le comprendre, réaliser intellectuellement ce que cela signifie en termes de « vérité ultime », le mettre en pratique avec une intention authentique (dans la finalité d'atteindre l'Éveil pour le bien de tous les êtres), ne nous rends pas libres de souffrance pour autant ! Nous ne le serons que lorsque nous pourrons saisir ce qui arrive dans l'équanimité libre d'attachement et d'aversion parce que nous aurons réalisé la sagesse du non-soi de la personne et des phénomènes.

Voir que, malgré leur apparente beauté,

Les objets plaisants n'ont pas plus de réalité

Qu'un arc-en-ciel un jour d'été

Et ne pas s'y attacher, c'est agir en bodhisattva ACC-163

La raison est un outil extrêmement puissant qui nous permet de concevoir ce que nos sens ne peuvent percevoir. Grâce à la « méditation analytique », nous pouvons nous représenter la vacuité, la nature véritable de tout phénomène. Mais, aussi subtile et claire que soit notre compréhension et la symbolique du langage qu'elle manipule, l'usage de la raison est circonscrit à l'ordre du relatif. L'évidence qui surgit de l'assentiment de l'esprit n'est pas une expérience mais un objet intellectuel, alors que « la sagesse qui réalise la vacuité » est une connaissance au-delà du sujet et de l'objet (prajñāparamita).

Comprendre et réaliser (au sens spirituel de « transformer son esprit ») sont des phénomènes distincts, comme le reflet de la Lune dans un miroir. Grâce aux télescopes, nous pouvons observer la Lune, l'étudier et la comprendre. Mais, aussi précise que soit notre compréhension, elle n'est qu'une « expérience des apparences » et non l'expérience de la « saisie directe » de la « réalité ultime » de la Lune, inaccessible à l'instrumentalité conventionnelle de nos sensations, perceptions et représentations conceptuelles. Réaliser la « saisie directe » de la vacuité ne procède pas de la raison pure, mais de la « claire lumière » de l'esprit, épurée de tout voile émotionnel et cognitif.

Autrement dit, le basculement qui traduit le passage du relatif à l'ultime (de la compréhension analytique à la réalisation expérientielle) ne s'opère pas entre le reflet et son objet, c.à.d. entre la « raison pure » - usant d'un raisonnement fait de symboles, d'opérateurs et de règles de logique - et la « vue pénétrante », mais au sein de l'expérientiel par l'expérientiel !

22. Les apparences sont notre propre esprit dont la nature

Est depuis toujours libre des limites conceptuelles.

Le reconnaître et ne plus entretenir les idées

De sujet et d'objet, c'est agir en bodhisattva ACC-154

Au sein du bouddhisme tibétain, le terme de « méditation » outre de se définir comme la «familiarisation » avec le sens des enseignements - lorsqu'il devient une évidence par la réalisation sur la plan intellectuel de ce qu'ils impliquent véritablement -, se définit sur le plan de la pratique comme l'intégration de l'expérience du Dharma ou « Dharma de réalisation ».

Le processus par lequel la « méditation analytique » se transforme en « sagesse pratique » consiste à imprégner nos comportements du sens du Dharma jusqu'aux racines de nos intentions, afin que « nos actions se mettent progressivement à refléter d'elles-mêmes les qualités de l'Éveil et les perfections du bodhisattva » DEB. Sous la perspective du « temps linéaire », ce processus d'imprégnation par laquelle s'opère la transformation de notre esprit est en fait constitutif d'un nettoyage (de nos voiles) qui révèle notre nature véritable (tathāgatagarbha) à notre conscience.

Comprendre n'est pas synonyme de prendre conscience de notre bouddhéité ! A l'instar du «Dharma de transmission », dont nous réalisons intellectuellement la compréhension du sens grâce à un discours et des métaphores appropriées à notre capacité, il nous faut expérimenter une visualisation (via la méditation Vipasyanā expérientielle) qui nous permette de saisir la prajñāparamita...


  • Je ferme les yeux. J'inspire lentement, j'expire lentement... Je suis à Katmandu, au pied du stupa de Bodnath dans la foule des fidèles en circumambulation... J'inspire et je ralentis... le temps ! Les passants ralentissent et se figent... Le silence enveloppe tout... J'expire lentement dans l'immobilité... J'inspire et je compresse le temps, jusqu'à figer la rotation de la Terre... j'expire dans la tension du ressort... J'inspire une dernière fois et à l'expire, tout en maintenant le monde figé, je libère ma catapulte mentale et je me projette à toute vitesse...

  • Je fais le tour du stupa en un instant ! Derrière mes paupières, mes yeux suivent cette course folle. L'instant suivant, je décris deux tours, puis le suivant trois tours... J'accélère encore, tout en continuant de suivre ce mouvement du regard... La foule semble encore plus figée... Je parcours plusieurs dizaines fois le stupa dans une seule et lente inspiration. A l'expire, je relâche toute l'énergie emmagasinée... Le monde défile devant mes yeux à grande vitesse...

  • L'effet de fronde me projette sur les chemins de trek... J'en parcours le souvenir en accéléré en continuant les mouvements oculaires rapides... Je gravis les marches des sentiers de montagnes qui défilent par milliers en l'espace d'un souffle... Je traverse les forêts de rhododendrons en l'espace d'un battement de cœurs... Je franchis les lignes de crêtes dans un inspire, j'arrive au sommet dans un expire... Je m'arrête immédiatement et j'inverse la perspective.

  • Je me fige, immobile, en regardant le monde défiler à grande vitesse... De mes yeux, j'en suis le mouvement. Mes compagnons de route deviennent des rets de lumière. J'assiste à une séance de yoga en accéléré tandis que les sherpas et les habitants des villages s'activent avec une vélocité encore plus grande...

  • Le soleil se couche en un instant. La nuit défile. Dans un inspire, les étoiles parcourent le ciel, le zébrant de lignes circulaires qui figent leurs trajectoires. A l'expire, le jour se lève. J'inverse alors la course. Je repars à grande vitesse tandis que le monde s'immobilise. D'inspires en expires, je refais tout le chemin de mon dernier trek des monastères. A l'inspire, je cours... A l'expire, j'assiste statufié aux cérémonies bouddhiques qui se succèdent tels le film des nuages qui parcourent le ciel en accéléré...

  • J'alterne ainsi pendant plusieurs longues minutes de temps relatif, du temps de ma méditation, dans le référentiel duquel se trouve mon corps, tandis que mon esprit parcours des centaines de kilomètres. J'inspire dans le déroulé du dernier trek, j'expire dans le déroulé du trek précédent... Les minutes se dilatent dans le référentiel temporel de l'endroit où je médite, tandis que le temps visualisé se compresse à mesure que je passe en revue mes voyages à grande vitesse...

  • L'intérieur et l'extérieur ? J'oscille entre les deux... Les contours sont flous, les frontières imprécises... Un instant, je suis assis en méditation chez moi, l'instant suivant je suis projeté à Bodnath ! Tout change et se succède instantanément... Je bascule « entre » les mondes où plutôt ce sont les « mondes » qui permutent comme dans un morphing d'images dont les éléments se recomposent : la pièce autour de moi devient la cabine d'un avion qui survole le Népal, l'avion se transforme en bateau dans les eaux autour de Bali... Un instant, je sens les turbulences de l'air qui agitent l'avion, l'instant suivant elles deviennent les vagues de l'océan ! Dans un expire, je relâche soudain le contrôle mental. J'arrête brusquement toute visualisation volontaire. J'inspire et j'observe...
  • Un nuage de poussières, la neige sur un poste de télévision cathodique ! Tout fourmille, danse et se mélange autour de moi. Plus rien n'a d'apparence, de dimension, de formes, de couleurs ! Rien n'a de profondeur. Le premier plan se fond dans l'arrière-plan, puis l'arrière-plan dans le premier plan... Tout n'est que poussière d'atomes, sans propriété, étendue sans volume ni durée du "champ des possibles", susceptible de revêtir en un clin d'œil n'importe quel aspect dans l'infinie diversité d'infinies combinaisons !

  • Je suis "ici" et l'instant suivant à dix milles kilomètres de "là" ! Ce n'est pas moi qui "change d'endroit", c'est l'espace tout entier qui se transforme ! Ce ne sont pas les paysages, les objets, les personnes, qui permutent, ce sont les apparences de la réalité qui se métamorphosent alors qu'en son essence ultime elle demeure vacuité ! Les arbres des forêts l'Himalaya se changent en pierre, les briques se changent en eau de l'océan, les vagues se figent en métal... Le sol devient montagne, la montagne devient ciel...

  • Tout fluctue, impermanent, inconstant, incertain ! Tout peut absolument devenir tout car rien n'a d'en-soi. Tout n'est qu'apparences infinies façonnées à partir de ce "tissu de poussières" composé de pures statistiques au potentiel illimité ! Selon la manière dont je choisi d'observer ce phénomène, je peux visualiser/matérialiser n'importe quelle forme, n'importe quel lieu, là où je me suis déjà rendu en ma vie actuelle, là où je n'ai pas le souvenir d'être allé en mes vies passées ! Dans cet espace sans dimension, ni forme, le temps lui-même est le produit de mon esprit. Les notions de "passé" et "futur" n'ont pas plus de sens que "ici" et "là-bas" ! Rien est tout, sans être en-soi ...

C'est parce que les phénomènes sont naturellement vides qu'ils peuvent apparaître sans que rien ne les arrête, de même que c'est l'espace vide [la vacuité] qui permet à l'univers tout entier de prendre forme avec ses continents et ses montagnes ACC-164

Nous sommes si habitués à voir le monde qui nous entoure sous la forme sous laquelle nous le connaissons, implicitement, depuis que nous en avons pris conscience (en cette vie actuelle), que nous sommes incapables de nous rendre compte que la manière dont les choses nous apparaissent est une construction de notre esprit. « La perception de tout ce qui vous entoure dans cette vie, aussi multiple et variée qu'elle puisse être, a lieu dans votre esprit (...) Ce processus commence au niveau sensoriel avec la perception des formes, des sons, des odeurs, des saveurs et des tangibles » ACC-154.

Le comprendre est une chose - et c'est déjà faire un pas vers la sagesse que de saisir que notre réaction émotionnelle, combinée à la croyance en la réalité des choses, sont causes de souffrance -. Mais, cela ne change pas le monde tel qu'il nous apparaît ni ne déracine les poisons imprégnés dans notre esprit ! 

Si nous voulons, véritablement, voir la réalité telle qu'elle est (nous libérer de nos voiles cognitifs et passionnels), il nous faut parvenir à déconstruire notre perception. Il ne s'agit pas seulement de nous familiariser avec l'idée que la réalité n'est pas ce que nous croyons, mais d'entraîner notre esprit à saisir les apparences telles qu'elles sont véritablement, c.à.d. à « réaliser » que rien de tout ce que nous percevons n'a de réalité en soi !

Dans le mythe de la caverne de Platon, ce que les hommes croient connaître est une illusion faite d'ombres projetées sur les murs d'une grotte. Pour accéder à la connaissance vraie des choses dissimulées « derrière les apparences », ils doivent «sortir du référentiel » de l'illusion pour comprendre comment elles sont produites et réaliser l'expérience de leur nature véritable.

Il est difficile de surveiller notre esprit. Il faut de l'entraînement pour être capable de réagir à temps au moindre indice émotionnel afin d'éviter de commettre des actes karmiques nuisibles. Ce n'est pas seulement une question d'attention et de vigilance, qu'une pratique patiente et en « pleine conscience » permet de cultiver. L'origine du problème n'est pas située à un moment de notre passé où notre manière de réagir trouverait là l'origine de son « schéma de pensée » (dans une « blessure de l'âme » ou un traumatisme de notre petite enfance, refoulés dans notre inconscient), dont nous pourrions œuvrer à la résilience.

L'instant où l'illusion s'empare de notre esprit et où les émotions nous emportent est consubstantiel à la perception. « L'objet perçu est une forme particulière dans le monde extérieur, l'organe sensible à la forme est l'œil, et ce qui perçoit l'image et la catégorise est la conscience... ». Nous ne décidons pas sur une base logique qui enclenche une réaction émotionnelle, les émotions participent et façonnent nos décisions. « Si cette forme est une personne ravissante, un être cher, cela vous réjouira. Mais s'il s'agit d'une chose laide ou d'une personne malintentionnée qui vient se moquer de vous ou vous agresser, vous voici contrarié, angoissé ou irrité » ACC-156.

Les voiles ne recouvrent pas notre esprit, notre cognition est littéralement tissée par le poison des émotions. Lorsque les consciences sensorielles nous donnent à voir le monde, notre perception est donc déjà enchâssée d'émotions. Cependant, ce n'est pas parce que la lumière se déplace plus vite que nos yeux ne peuvent la suivre que nous ne pouvons pas découvrir comment les ombres se forment sur les parois de la caverne ni comprendre que ce n'est pas réel !

Lorsque nous rêvons, tout semble « vrai ». Aussi extravagants que puissent être nos rêves, ils ne nous donnent pas d'impression d'être faux. Même s'il peut arriver de savoir que l'on rêve cela ne fait pas du rêve une illusion ! Tout ce que nous voyons, vivons, en rêve paraît « réel ». C'est seulement à notre réveil que l'illusion se dévoile et que le rêve se révèle fruit de l'imaginaire, souvent torturé voire cauchemardesque. Ce qui nous terrifiait l'instant précédent cesse alors de nous faire peur et ce qui nous semblait inouï perd tout caractère extraordinaire. Sur quelle base nous fondons-nous pour distinguer le rêve de la réalité ?

Dans les deux cas, nous basculons entre des univers que nous croyons exister par eux-mêmes lorsque nous y évoluons et voyons comme illusion lorsque nous les quittons ! Lorsque nous rêvons, nous ne nous posons pas la question de savoir si ce que nous voyons est « vrai », nous sommes emportés sans prendre le temps de nous interroger... et c'est la même chose pour ce que nommons « réalité » ! C'est comme si nous ne pouvions déterminer la nature de ce qui nous entoure qu'en franchissant un seuil... 

Comment être certains que le monde tel qu'il nous apparaît à l'état de veille est « réel » ? Qu'est-ce qui nous permet d'affirmer que ce monde est « vrai », qu'il possède une existence (vide d'en-soi) et qu'il n'est pas une autre forme de projection mentale issue de notre esprit ?

Pour la philosophie bouddhiste tibétaine (de l'école Mādhyamika prāsangika), il n'y a nul doute à avoir quant au caractère illusionné de cette réalité dont nous percevons l'existence sous une forme purement conceptuelle (« nominale » ou « conventionnelle »). « Les apparences sont notre propre esprit » ACC-154.

Nous n'en avons toutefois pas conscience, ce que le bouddhisme désigne par le terme «d'ignorance ». Ce que nous nommons « réalité » n'a pas plus de caractère tangible que l'étoffe dont sont faits nos songes ! 

Étoile, mirage, bougie ; 

Illusions, gouttes de rosées, bulles ; 

Rêves, éclairs et nuages : 

Regardez tous les phénomènes composés comme tels. 

Formule rituelle du bouddhisme tibétain

Nul besoin d'une technologique avancée pour faire naître la magie... Le traitement que fait notre cerveau des perceptions sensorielles produit l'illusion du monde tel qu'il nous apparaît et auquel nous attribuons le qualificatif de « réalité ». Au regard de notre perception, cette construction nous apparaît réelle car nous ne la voyons pas comme le produit de notre esprit ! Nous sommes des enfants charmés par un spectacle de marionnettes que nous croyons douées d'une vie et d'une volonté autonomes parce que ne voyons pas les fils qui les animent ni leurs manipulateurs cachés dans les coulisses.

Pour pouvoir saisir par l'expérience directe que la « réalité conventionnelle » est l'apparence sous laquelle la vacuité transparaît à notre esprit voilé, il nous faut lever le «voile de la cognition » par l'entraînement à la méditation de la « vision pénétrante ». Prendre conscience de la manière dont l'illusion du « monde des apparences » se forme à notre esprit, c'est saisir le caractère de la relativité de l'observation. 

Pour mettre en évidence en quoi la projection de notre esprit voilé forme un «référentiel des apparences » dont les « ornements de la phénoménologie » en occultant la vacuité nous le fait paraître « réel », il nous faut déconstruire notre expérience de la perception de manière à le faire apparaître « irréel » en nous la faisant apparaître voilée !

Notre vision des apparences est une « vue erronée » qui induit un état d'esprit erroné car affligé des poisons des émotions destructrices. La saisie directe de la nature des phénomènes est synonyme de « vue juste ». Dans le mythe de la Caverne, les hommes démystifient leur croyance en la réalité des ombres prises pour les choses elles-mêmes en découvrant que la caverne est un référentiel cognitif propre à leur conscience. L'on pourrait en déduire que le monde « du dehors » est la réalité et la caverne son apparence. 

Or, ce n'est pas le sens de la « vérité conventionnelle » qui n'existe pas relativement à une «vérité ultime » qui posséderait une substantialité qui constituerait le fondement de tous les phénomènes, mais relativement à la vue qu'en à l'esprit, dont la nature de « claire lumière » est elle-même vacuité !

Tous les phénomènes apparaissent dans la vacuité [sous la perspective de la réalité conventionnelle] comme l'effet de la combinaison de causes et de conditions illusoires. 

L'infini déploiement des phénomènes [conventionnels] n'est possible que parce que tout est essentiellement vide, comme le dit Nagarjuna : 

Ce n'est que parce qu'elles sont vides [de réalité] Que les choses sont [conventionnellement] possibles ACC-104

Ce qui nous fait croire « réelle » et les apparences et la vacuité est notre ignorance de l'ainsité des phénomènes masquée par notre perception erronée formant un référentiel de connaissance. Si la mise en évidence de l'illusion des apparences instille en nous un «sentiment d'irréalité » envers ce qui, implicitement, induit en nous un « sentiment de réalité», cet « effet de seuil » cognitif ou subjectif n'infère cependant pas d'une dualité.

Si l'eau d'un lac déforme le reflet de la Lune, nous n'en déduisons pas que cette image trouble est la véritable forme de la Lune, nous cherchons à la corriger, avec un télescope par exemple. Or, plus nous obtenons une image claire, nette et précise, plus celle-ci nous apparaît étonnamment vraie, dissipant en nous le sentiment de dissonance cognitive causée par sa vue déformée, jusqu'à ce que la fidélité du rendu visuel nous persuade que telle est la Lune « en réalité » !

Ce n'est pas parce que le processus de perception et de représentation du monde (auquel participent cerveau et esprit) à partir des informations perçues par nos «consciences sensorielles » présente à notre conscience une image nette, détaillée, riche en couleurs qu'elle n'en ait pas moins une construction ! En voyant l'image de la Lune dans un télescope, nous oublions qu'il s'agit d'une « vue conventionnelle » dont la seule différence avec un reflet dans l'eau est le degré de crédibilité que nous lui accordons quant à ce quoi doit être la réalité supposée de celle-ci. Autrement dit, le «sentiment de réalité » est un jugement porté sur notre représentation du monde et non sur ce dernier !

Le monde des phénomènes [conventionnel] parce qu'il n'est qu'une succession perpétuellement mouvante et enchevêtrée de causes et d'effets apparaît aux ignorants comme une Réalité stable, existant par elle-même, alors qu'elle est le fruit du jeu de son imagination CT-140 

Le monde tel qu'il nous apparaît nous semble d'autant plus « vrai » que la perception que nous en avons est vrai(semblable). La « réalité du monde » nous apparaît à travers un ensemble géométrique de dimensions, de formes, de surfaces, de volumes, à travers un ensemble de propriétés physiques comme le poids et la masse, la densité et la pesanteur, l'élasticité ou la solidité, à travers un ensemble de caractéristiques et d'aspects, comme la couleur, la texture, etc. Tous ces qualificatifs semblent appartenir «en propre » aux objets dont ils définissent la matérialité et nous font croire en leur réalité autonome, mais la notion « d'objet» est de nature conceptuelle, c'est le produit de notre esprit !

Les phénomènes existent, mais ils ne sont pas réels ! Au sens bouddhiste la différence est essentielle. La nature des phénomènes est vacuité, ce qui veut dire dépourvu d'en-soi, rien n'est à lui-même sa propre cause. Le monde dans lequel nous vivons, les autres, nous-mêmes, existons pour l'école philosophique Mādhyamika prāsangika par le fait de l'interdépendance des phénomènes. « Il n'y a pas d'essence dans les phénomènes, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne sont rien. Ils existent [du point de vue de la réalité conventionnelle], ils ont une efficience [de ce point de vue] puisqu'ils concourent à produire de nouveaux phénomènes [conventionnels], mais ils ne sont pas des essences en eux-mêmes iv ».

L'apparence sous laquelle le monde nous apparaît est un « effet d'échelle ». En effet, tout ce qui nous entoure, le sol sur lequel nous marchons, les murs, les portes, les meubles, les maisons, etc. qui à notre échelle physique paraît solide, concret, tangible, n'est plus que vide incommensurable, clairsemé de particules, à l'échelle atomique ! Et ses mêmes particules perdent leur localité et propriétés matérielles à l'échelle quantique qui se résument à des probabilités de trouver une particule ou une onde selon le résultat de leur décohérence

Ce que nous appelons « réalité » n'est qu'apparence, « illusion de surface », dont la phénoménalité est relative à une échelle constitutive d'un référentiel qui détermine les caractéristiques que nous en percevons et à la définition de la « vue conventionnelle » desquelles participe l'esprit voilé« En vérité, tous les phénomènes de l'univers apparaissent dans leur infinie variété comme le résultat d'une combinaison momentanée de causes et de conditions particulières. Vous considérez ces phénomènes comme des entités réellement existantes parce que vous ne les avez pas examinés correctement. En fait, ils sont dépourvus de toute réalité, de toute existence propre [en terme ultime] » ACC-186.

L'instantanéité de la conscience masque le processus de construction de notre représentation, contribuant à son illusion. Nous ne discernons pas ses phases (de la perception sensorielle à la construction de la représentation des objets) non seulement parce qu'elles sont trop rapides pour que nous puissions les saisir, mais parce que ce dont nous avons conscience est un résultat. Nous ne pouvons pas saisir les étapes de notre représentation, car elles ne font pas partie du « contenu conscient » qui en est le produit !

Et parmi les facteurs d'élaboration de notre « vue nominale » des phénomènes, nous ne discernons pas la part du poison des émotions. Nous ne voyons pas que l'attrait et la répulsion ne sont pas inspirées par la vue d'objets ou de personnes, mais que ce sont nos émotions qui sont inspirantes de notre vue façonnée par le désir-attachement et l'aversion !

C'est instantanément que le désir-attachement et d'aversion surgissent, nous submergent et nous emportent si nous n'y mettons pas un frein immédiat car leur participation est intrinsèque à l'élaboration de la représentation de ce que nous appelons « réalité » et que nous percevons comme tel. Cette emprise des émotions destructrices est d'autant plus grande que nous naissons avec ! Plus exactement, les poisons sont à l'origine de notre incarnation en cette vie actuelle (et en toutes nos vies), comme produit de la « coproduction conditionnée » qui résulte des « douze liens d'interdépendance ». « Notre existence d'êtres animés est composée d'une succession de conditions qui s'enchaînent invariablement à la suite des autres. La chaîne formée de douze maillons décrit notre conditionnement issu des actes passés, notre condition présente et les causes de notre existence à venir » DEB-152.

D'où vient que l'on vieillit et que l'on meurt

D'où vient le fait que l'on est né ? D'où vient le devenir

D'où vient le désir de posséder ? D'où vient la conscience

La conscience de cette vie-ci provient de la forme compulsive induite par les conditionnements karmiques antérieures déposés par les "facteurs de composition" qui viennent de l'ignorance de notre vraie nature et la confusion qui s'ensuit qui nous pousse à agir inconsidérément DEB-154

Autrement dit, en elle-même, la conscience est un processus karmique ! Les quatre «voies d'action » du karman sont intriquées à la prise de conscience du monde tel qu'il nous apparaît : la base (sensorielle) qui identifie les objets par la reconnaissance (visuelle et des autres consciences sensorielles) ; l'intention qui les catégorise (j'aime ou j'aime pas) ; l'action posée (désir ou répulsion) ; le résultat (agréable ou désagréable). «Esclave de ses perceptions erronées, il [l'esprit] classe toutes choses en plaisantes et déplaisantes, essaie de jouir de ce qui est plaisant, en évitant ce qui ne l'est pas, aveugle au fait que ce n'est pas la bonne méthode pour être heureux et ne pas souffrir. L'ignorance l'accule constamment à générer des sentiments de désir ou d'aversion » ACC-155.

Sous cet angle, nos décisions sont une confirmation de nos émotions ! Elles sont inspirantes de nos réactions par leur « force de suggestion ». Toutefois, vouloir « jouir de ce qui est plaisant, en évitant ce qui ne l'est pas » ACC-155 ne signifie pas que nous recherchions cette fin systématiquement et nécessairement, mais que nous sommes implicitement enclins à le faire. Ce ne sont que des pensées et les pensées sont à l'esprit ce que les apparences sont à la « réalité », rien d'autre qu'un emballage qui recouvre le vide !

Vous aurez beau regarder autant que vous voudrez, vous ne pourrez rien montrer du doigt en disant : 

« Voici la pensée ! » 

Et la raison pour laquelle vous ne pourrez le faire, c'est que la pensée est vide par nature

Il n'y a rien d'autre que la vacuité ACC-157

Cependant, nous savons l'influence qu'exercent nos pensées sur notre crédulité dont le pouvoir d'efficience est capable de nous amener à croire en la réalité autonome du monde et à voir dans ce qui nous attire et dans ce qui nous repousse une caractéristique propre des objets, des choses et des êtres. Sans y prendre garde, nos pensées peuvent insidieusement devenir obsessionnelles. Nous pouvons faire de l'autre notre antagoniste, voir son attitude à notre égard comme de la calomnie et son comportement comme du harcèlement. « Quand la haine vous envahit, elle peut s'amplifier au point de vous donner envie de tuer. Quand l'attachement et le désir s'enflamment, il se peut que vous soyez prêt à faire n'importe quoi et à donner jusqu'à votre dernier sou pour avoir ce que vous désirez - un homme, une femme ou autre chose » ACC-156.

Pour autant, que les émotions participent de l'édification du contenu conscient comme de nos « prises de décisions » n'induit pas qu'il soit impossible de les en démêler. Le nirvāna affirme le contraire et plus encore l'Éveil ! Si nous avons confiance dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha, et prenons refuge en eux avec foi, nous sommes assurés de nous libérer de la tyrannie de nos émotions.

Comment nous détacher de nos émotions destructrices ? Comment couper le lien du désir-attachement et, ce qui semble plus difficile, celui de l'aversion ?

La réponse réside dans la vacuité. Nos pensées ne sont pas réelles, pas plus que le monde tel qui nous apparaît ! Ils n'ont de pouvoir sur nous que parce que nous les croyons réels. « Les pensées sont dépourvues de réalité tangible. Il n'y a aucune raison logique pour que les pensées, insubstantielles, aient tant de pouvoir sur vous et que vous en deveniez esclave » ACC-157.

La compréhension profonde et vécue de la vacuité est le seul antidote contre la croyance au soi, à un soi réellement existant ACC-191 

D'aucuns aurons mal vécu le (premier) confinement. Quant au « second », qui consiste à devoir porter un masque en permanence, en entreprise, à l'école, dans la rue, ce «confinement portatif » est anxiogène, surtout lorsqu'il s'érige en obligation avec une part autoritaire qui instille un sentiment d'insécurité... Ce n'est pas une question de légitimité de la mesure qui répond à la nécessité de diminuer les risques de contamination et de ralentir la propagation du COVID [i]. « Aucune norme, loi, institution, ne peut nous dire ce que nous devons faire, ce qui est juste. Cependant, nos actions et nos choix impactent les autres et parce que ces actions sont libres nous devons répondre de leurs conséquences. Une conception radicale de la liberté implique une conscience accrue du fait que nous tenons la vie (et la liberté) de toute autre personne entre nos mains [ii] ».

Nos décisions ne se fondent pas seulement sur des arguments logiques qu'une analyse objective suffit à fédérer. Nos émotions les influencent autant qu'elles façonnent notre perception. Le contexte pandémique met la « préoccupation du sort des autres » en exergue, encore faut-il que les mesures de « confinement » ne soient pas les catalyseurs de sentiments d'aversion et de colère...

La vue des personnes qui ne respectent pas le port du masque ou qui ne le portent pas correctement (la base) est susceptible de déclencher une réaction négative (j'aime pas) et d'entraîner à « poser une action » du même type ayant la souffrance pour résultat karmique ! Lorsque vous sentez poindre la colère à cette occasion, songez combien il est stupide de vous fabriquer des ennemis alors que dans un autre contexte vous n'auriez nulle antipathie pour les mêmes personnes ! 

Examinez cette colère et vous découvrirez qu'elle n'est qu'une pensée. Si cette pensée disparaît, elle n'entraînera pas l'acte pourvu de conséquences karmiques négatives qui s'en serait autrement suivi. 

Pulvérisez la colère au moyen de la réalisation [la vacuité] : elle s'évanouira comme un nuage dans le ciel, entraînant avec elle la notion même d'ennemi ACC-151

Si voir une personne ne pas porter de masque est susceptible de déclencher une peur paranoïaque que dire de voir tout le monde en porter ? L'obligation peut induire l'impression de passer du statut de « potentiel contaminant » à celui de « coupable », condamné pour son crime à devoir porter un masque en permanence! Outre d'induire le sentiment d'être pris dans l'étau d'une « société prison », l'uniformisation n'est pas sans évoquer des relents totalitaires...

Ce n'est pas une question de rhétorique de « privation de liberté », mais d'un vécu toxique, c'est comme de se sentir étouffer... Lorsque la peur l'emporte, il est difficile de «ramener à la raison » les esprits mus par leurs émotions. La raison achoppe à l'apaisement. Dans la panique, l'instinct de survie recentre sur ce « moi » dont l'on cherche à se libérer et pour lequel seul importe de se dégager, de se libérer, de ce qu'il perçoit comme une camisole de force...

Si vous sentez un sentiment d'angoisse monter en vous, pensez que ces sensations de peur, de panique, de culpabilité ne sont pas réelles ! « L'esprit invente tout ». Songez à quel point vous vous sentirez stupide en découvrant que ceux que vous croyez animer d'intentions nuisibles à votre égard ont en fait pour seule préoccupation de « tous nous protéger » !

Lorsque l'aversion tend à s'emparer de nous opposons-lui l'antidote de la vacuité. Ce n'est pas réel ! Les pensées : « je n'aime pas »; « j'ai peur »; « on veut me culpabiliser »; «on veut me museler ! » ; ne sont pas réelles ! Ce que vous percevez comme «angoissant », « infantilisant », «arbitraire», etc. sont des vues de l'esprit. Ce n'est pas réel ! C'est le fruit de peurs dont vous entretenez le brasier des pensées en y ajoutant le bois vert de vos arguments...

Ne vous attachez pas aux apparences, au domaine « mondain ». Voyez toujours ce qui arrive sous l'angle (supra-mondain) de la « vérité ultime ». Ne vous attachez pas à l'idée d'avoir raison ! Ne pensez pas que vos arguments sont « meilleurs et plus justes » que ceux des autres parce que ce sont les vôtres et parce que vos émotions vous font croire que vous détenez la vérité !

Pratiquez la patience et ne cédez jamais à la colère. 

Prenez les choses de manière positive, faites-en l'occasion d'éliminer votre propre orgueil. 

Pratiquez la générosité et la compassion en offrant la victoire à autrui et en vous réjouissant de perdre ACC-139

Le domaine de la « réalité conventionnelle » est par définition sujet à des débats sans fin. Nul ne pourra jamais y trouver la paix, encore moins cultiver le « calme mental » nécessaire pour développer la « sagesse qui réalise la vacuité ». Pour libérer votre esprit n'entretenez pas la controverse qui, sous l'emprise de l'aversion, de la colère, de la peur, vous pousse à avancer des arguments en faveur de votre point de vue biaisé et de dénier toute légitimité au point de vue de l'autre, que l'angoisse et la frustration vous poussent à croire « réels » !

Être un « contributeur volontaire », animé de l'intention de ne pas nuire aux autres, ne nous épargne pas plus que les esprits qui se déclarent « insoumis » de croire en la réalité de notre aversion et de nos pensées, qui reflètent en miroir la croyance dans la réalité du « soi de notre personne » et en la réalité de notre esprit ! « Ce que vous appelez "mon esprit" désigne une chose à laquelle vous accordez une certaine continuité. On ne peut pas concevoir une entité qui serait un amalgame de pensées dont certaines auraient cessé, d'autres ne seraient pas encore nées et d'autres enfin existeraient au présent » ACC-160.

Non seulement notre aversion n'est pas réelle, comme l'objet que nous croyons en être la cause est lui-même sans en-soi, mais nous-mêmes, notre personne, notre esprit, rien de cela n'est réel ! Lorsque nous réalisons, véritablement, que notre peur est une pensée et que comme toute pensée, elle est sans consistance et que notre esprit lui-même est intangible, nous ne sommes plus envahi par la colère car il n'y a rien en nous qui puisse être la proie de l'aversion ! 

L'esprit est ce qui est conscient de toute chose ; c'est une clarté qui perçoit les objets extérieurs et les événements. Mais essayez de le trouver, il s'avérera aussi impossible à saisir et fuyant qu'un arc-en-ciel ACC-160

Lorsque notre intention est d'atteindre l'Eveil pour le bien (supra-mondain) des êtres, nous devons laisser les autres gagner sur le plan mondain. En termes de vérité ultime, personne n'impose rien à personne dès lors que l'on réalise qu'il n'y a personne qui soit réel ! L'intention d'aider les autres devient spontanée par compassion pour les souffrances qu'ils s'affligent du fait de se croire et de croire leurs pensées réelles « Le bodhisattva qui a réalisé la vacuité n'éprouve ni découragement ni orgueil face au nombre d'êtres à libérer et au temps que cela prendra. De son esprit éveillé s'élève librement une compassion qui embrasse tout, libre des concepts de sujet et d'objet. Et pour avoir réalisé l'égalité des autres et de soi, il est immuable comme la dimension absolue » ACC-190.

« Ce n'est pas réel », cet antidote aux « trois poisons », s'applique à : la perception par nos «consciences sensorielles » (et globalement les agrégats physiques constitutifs de notre corps) ; l'objet sur lequel se fixe le poison (son « déclencheur émotionnel ») ; l'esprit qui y réagit (et en alimente l'idée) du fait de nos voiles cognitifs et karmiques. La formule n'est pas un mantra plutôt un « inducteur » (au sens hypnotique) d'un état de méditation au-delà de toute logique où la « réalité conventionnelle » révèle sa vacuité, un état de paix et de sérénité départi de tout antagonisme.

Il ne s'agit pas de se répéter mentalement « ce n'est pas réel » jusqu'à parvenir à voir le piège de l'illusion sans en être victime. Il s'agit d'induire en nous un état de profond détachement méditatif, du type de celui que comme « êtres ordinaires » nous approchons (avec de l'entraînement) pendant nos pratiques de méditation les plus profondes, si profond qu'il endort complètement nos émotions, si profond qu'il nous éloigne du monde, si profond qu'il nous le fait apparaître chimérique et, par dissonance cognitive, totalement irréel !

Ainsi, lorsque j'affirme « la perception de mon aversion n'est pas réelle » et « le ressenti de mon aversion n'est pas réelle », c'est un appel que je m'adresse à moi-même (jusqu'à ce que ce contre-feu finisse par devenir un réflexe) pour que dès l'instant où je sens l'aversion poindre dans mon esprit, aussitôt, je visualise cette aversion comme une ombre mentale formée dans mon esprit par la projection d'une émotion, une ombre «qui n'est pas moi », une ombre « qui n'est pas vraie », une ombre « qui n'est pas réelle » et à laquelle donne vie mon esprit égaré du fait de « mon » égarement émotionnel !

Lorsque j'affirme « l'idée de mon aversion n'est pas réelle », c'est une manière de m'entraîner (jusqu'au réflexe) à endiguer la rhétorique de mes pensées - dont l'enchaînement nourrit l'émotion de l'aversion en avançant des arguments dont la logique va dans son sens - en visualisant les idées qui surgissent dans mon esprit aussi insaisissables que la nature de l'espace vide de substance...

L'esprit qui conceptualise « mon » aversion par un discours rhétorique à l'appui de son affirmation n'est pas réel ! Il est vide d'en-soi comme les agrégats formant « mon » corps, dont ni les parties ni le tout ne contiennent la moindre présence de « ma personne ». «Bien que l'esprit soit doué de cette conscience [claire], dire qu'il existe un esprit, c'est affirmer l'existence réelle d'une chose qui n'est qu'un nom donné à une succession d'événements ["mentaux"] » ACC-159.

Lorsque j'affirme « la vue de mon aversion n'est pas réelle », c'est une manière de m'habituer (jusqu'à ce que cela devienne un automatisme) à suspendre la croyance dans la réalité de ce que me donnent à percevoir mes « consciences sensorielles », en visualisant les formes que je perçois aussi transparentes que l'eau claire, aussi inaudibles que le silence, aussi impalpables que l'air ! « Il est aussi insensé d'attribuer une réalité à l'aversion que de prendre dans la pénombre une corde enroulée sur le sol pour un serpent » ACC-54.

Lorsque j'affirme « l'objet de mon aversion n'est pas réel », c'est un moyen de me familiariser (jusqu'à en intégrer l'intention) à inhiber le déclencheur de la chaîne d'interdépendance du mécanisme de l'aversion, en visualisant la base sur laquelle je l'impute à un nuage de poussières d'atomes qui forment un voile dans la texture intangible est faite de pures probabilités sans substrat réel...

L'objet perçu, le sujet qui perçoit, l'acte d'observation - le connaissable, le connaissant, le connu - rien de tout cela n'est réel. Si l'objet n'est pas réel, je ne peux donc pas donner une base à mon émotion et sans identification, je ne peux pas la catégoriser. Et puisque les notions de « moi », de « mon » et de « mien » ne sont pas réelles, il n'y pas non plus de « je » pouvant émettre une intention, poser un acte » et en éprouver la rétribution. Autrement dit, réaliser véritablement que les poisons de nos émotions « ne sont pas réels » nous amène à adopter un comportement qui n'est pas créateur de karman ! 

À l'issue de cette méditation [sur la vacuité], en vous engageant sur la voie de l'action, vous reconnaîtrez clairement le rapport direct qui existe entre les actes et leurs conséquences, et cela vous permettra de distinguer facilement les actions positives des actions négatives ACC-105

Si l'entraînement à la pratique de « l'échange de soi avec l'autre » (tonglen) a pour visée spécifique de développer la compassion, elle met également en relief la vacuité. « Nous sommes la somme de tous les autres » signifie que chacun de nous est « l'ensemble différencié de tous les autres » (qui ont été nos parents et dont nous avons tenu tous les rôles dans nos vies passées). C'est une somme de « différences » qui se révèlent dans leurs infinies multitudes et dont l'infinie diversité met en relief notre propre identité.

Adopter le point de vue de l'autre procède de la relativité, ce qui n'implique pas de cesser d'être soi-même ! Si l'on pouvait remplacer notre mémoire par celle d'un autre, nous ne pourrions pas discerner le subterfuge et serions persuadés d'être cet autre comme nous sommes sûrs « d'êtres nous-mêmes »...

Savoir ce que cela fait d'être un autre implique de mettre cette « connaissance expérientielle » en opposition à l'impression de ce que cela fait d'être soi. Or, si nous pouvions partager complètement la mémoire d'une autre personne, elles se télescoperaient. Nous aurions l'impression d'avoir deux vies antithétiques, car nous ne pouvons « être et avoir vécu » à deux endroits en même temps ! 

Comment discerner laquelle est la « vraie » (l'originale) dès lors que toutes les deux nous apparaissent aussi « réelles » l'une que l'autre ?

Il est vraisemblable que le sentiment qui émanerait d'une tel « partage de mémoire » créerait une dissonance cognitive telle que les deux paraîtraient fausses ! Si l'Éveil coïncide avec la dissolution du moi, pour autant le moi est nécessaire pour pouvoir se détacher du moi ! C'est en comparant notre perspective à celle des autres « à la première personne » qu'il nous est possible de prendre conscience de la vacuité de la croyance qui s'attache à la « saisie du soi ». 

Quelle raison légitime puis-je en effet invoquer pour affirmer que ce que je crois être ma vie est plus « vrai » que ce qu'un autre croit être la sienne ?

Le relativisme des points de vue se fonde sur leur hétérogénéité qui est nécessaire pour faire ressortir leur vacuité et conséquemment mettre en lumière la vacuité de la croyance en la réalité du soi. Échanger mon point de vue avec celui de l'autre permet de m'interroger, et par la méditation de « mettre en situation » cette interrogation, de façon à prendre conscience que ce que je considère comme la mémoire de mon «expérience personnelle » n'a pas plus de raison d'être vraie (chez moi ou chez quiconque) que je n'ai de raison de croire vraies la perception, le ressenti, la pensée et l'objet de « mon » aversion !

Dans une situation de pandémie, les différences s'estompent. La COVID-19 efface les notions de frontières, de pays, de nations, de cultures, d'individus... La menace que fait peser un fléau mondial instille le sentiment d'appartenance à l'humanité. Si l'angoisse pour notre propre sort croit avec l'augmentation de l'incertitude du sort de l'autre, notre empathie croit également en proportion de la diminution de nos différences !

C'est l'altérité qui rend possible le relativisme des points de vue et c'est la pratique de «l'échange de soi avec l'autre » qui, en réduisant nos différences, réduit corrélativement la prégnance de l'ego. Nous avons paradoxalement besoin que les autres s'affirment en leurs différences pour gommer nos propres différences - qui nous empêchent, du fait de notre égocentration, de nous préoccuper de leur sort - et de là développer notre compassion.

Or, ce à quoi contraint le développement de la compassion, c'est la lutte du « moi » pour sa survie, qui devient d'autant plus critique que l'ego est poussé dans ses retranchements ! La peur la plus profonde induite par la croyance dans la réalité du «moi » n'est pas la mort, mais la dissolution et la perte totale de notre individualité. La peur terrible que les frontières du « moi » se dissolvent et que l'on continue cependant d'exister, conscient de n'être plus... Pour le « moi », par nature attaché à l'idée de lui-même, « aucune mort, aucune extrême angoisse ne peut se comparer à l'excès de désespoir qui le submergea à la pensée d'avoir perdu son identité (...) être conscient de son existence et savoir que l'on n'est plus un être défini distinct des autres êtres - que l'on n'a plus un soi - voilà le sommet indicible de l'épouvante et de l'agonie » [iii].

C'est métaphoriquement que la résistance du « moi » à l'ouverture aux autres est un combat. L'ego n'est pas une entité indépendante et autonome qui nous possède et nous contrôle, c'est un schéma de pensée auquel sous souscrivons implicitement parce que nous croyons en la réalité du « soi » et que nous nous persuadons que notre bonheur est conditionné à sa satisfaction. Ce à quoi la pratique de « l'échange de soi avec l'autre » nous confronte, c'est à notre (désir-)attachement à cet état d'esprit du «moi, du mien et du mon » et à sa face sombre, l'aversion et les autres poisons destructeurs.

Le « moi » nous instille la peur de disparaître parce que nous nous identifions à lui. Mais, où est le « moi » ? 

Il n'est nulle part ! Il n'est pas dans les agrégats physiques et mentaux qui composent notre corps qui ne sont qu'un ensemble d'éléments interdépendants vides d'en-soi, ni dans notre mémoire qui n'est qu'un recueil d'événements vécus en lien avec une dénomination apposée sur ces agrégats, ni dans notre esprit dont le désignant ne recouvre aucune réalité existant par elle-même.

Dès lors que vous reconnaissez que ces concepts de corps, d'esprit et de nom sont vides, il ne reste plus rien du soi-disant moi. Le moi est une pure invention, une imposture résultant d'une méprise ACC-159

Que sont mes possessions ? Des biens, des objets, de l'argent, qui ne sont ni ma chair ni mon sang. Si je m'en sépare, pourquoi devrais-je en souffrir ? 

Que sont mes agrégats ? Des membres, des organes, des cellules faites d'atomes intangibles. S'ils se désagrègent, pourquoi mon esprit devrait-il en souffrir ? 

Qu'est-ce que l'esprit ? Une suite de pensées, d'impressions, de ressentis instillés par les trois poisons. S'ils cessent pourquoi devrais-je en souffrir ?

Rechercher le calme profond de la méditation peut nous aider à apaiser nos émotions perturbatrices. Sur ce plan, le contexte pandémique de cette année 2020 constitue une opportunité majeure de se confronter à des situations qui présentent un caractère particulièrement anxiogène pour les êtres ordinaires que nous sommes (risque de contamination, d'être gravement malade et de mourir, contraintes liées au confinement, à l'obligation du port du masque, etc.).

Si la pratique régulière de la méditation de « calme mental » apporte un répit pour faire face à la situation exceptionnelle, elle n'est toutefois pas suffisante. L'entraînement au «calme mental » est bénéfique et le pratiquer avec « l'effort joyeux » le rend vite indispensable à l'équilibre mental. L'état d'apaisement et de concentration intérieures qu'il est possible d'atteindre (avec de la patience) a pour effet immédiat d'inhiber toute réaction émotionnelle pendant les séances. Il devient progressivement possible de méditer « à la croisée des chemins » sans être affecté par les bruits environnant, la circulation, les cris des enfants...

Au sortir de la méditation toutefois, les effets tendent à se diluer et les émotions par se réactiver. Au mieux, nous ne faisons qu'éteindre le feu de l'aversion en le privant temporairement du « carburant de la pensée » (jugement, contestation, débat...). 

Les émotions participent de notre perception et ce n'est qu'en les « écartant » du processus de représentation du monde tel qu'il apparaît à notre conscience que nous pourrons, véritablement, nous libérer des souffrances causées par leurs poisons. Cela ne peut être obtenu qu'en associant le développement de la « vision pénétrante » au « calme mental » de sorte à réaliser la vacuité du soi des phénomènes et du soi de la personne.

C'est une « vue erronée » de croire que rechercher ce qui m'est agréable et fuir ce qui m'est désagréable peut faire mon bonheur, comme c'est une « émotion erronée » de croire que me séparer de la croyance dans la réalité du « moi » de ma personne entraînera une terreur et une agonie sans nom. C'est également une « pensée erronée » de croire que me préoccuper des autres est une cause de souffrance, comme c'est une « suggestion erronée » d'imaginer que prendre sur moi leurs souffrances et leur donner mon bonheur me projettera dans leurs enfers personnels et me privera de mes atouts pour atteindre la libération.

  • C'est par aversion, désir-attachement et ignorance que « je » persiste à croire dans le «moi » affabulé de ma personne illusoire... 
  • C'est par peur, avidité et mépris que « je » m'interdis de songer, de m'émouvoir et de partager le sort des autres... 
  • « Je » cours sans cesse après le carburant limité, périssable et toxique des possessions, de la gloire et du bonheur mondains... 
  • Plus j'alimente le feu de mes émotions destructrices, plus son pouvoir « me » corrompt, « me » brûle et « me » consume... 

Les souffrances engendrées par de tels actes nuisibles sont inversement proportionnelles aux vertus qu'il est possible d'accumuler en nombre infini par le comportement vertueux qui consiste à aider les autres par altruisme et par compassion. 

Songeons-y, pourquoi devrions-nous avoir peur de perdre ce qui, en « vérité ultime », n'a ni substance ni réalité ? 

Du point de vue de la vérité absolue, il n'y a pas la moindre différence entre le gain et la perte, le plaisir et la souffrance, le renom et l'infamie, la louange et la critique. Vides par nature, ces préoccupations se valent toutes ACC-141

S'infliger des tortures sans fin parce que l'on croit que l'on possède un soi qui nous distingue des autres alors qu'en réalité, il nous détourne de la source véritable du bonheur par son chérissement excessif et par aversion pour les êtres, voilà quel est le sommet indicible de l'épouvante et de l'agonie !


  • J'inspire et j'expire lentement... Je suis assis devant un lac, au sein d'un cercle formé par l'ensemble des êtres sensibles et migrateurs. Nos images se reflètent sur les eaux mêlées à celle de la Lune dont la lumière éclatante émane du bouddha Tchenrézi (Avalokitésvara) flottant au-dessus de nous, haut dans le ciel. J'inspire et j'expire lentement... OM MANI PÉMÈ HOUNG 

  • Du centre immaculé de son cœur, encerclé de milles bras rayonnants, des rayons de lumière jaillissent vers tous les êtres pour y répandre le nectar de la compassion. Le flot de lumière entre par le chakra au sommet de la tête. Je sens ses bienfaits s'écouler dans mon corps et venir purifier les négativités accumulées par mes actes négatifs. J'inspire et j'expire lentement... OM MANI PÉMÈ HOUNG

  • Tandis que le nettoyage commence à opérer, des morceaux de bois sortent de nos têtes et vont former trois tas derrière le cercle des êtres sensibles. Celui-ci est entouré d'un cercle plus large de lotus, encerclé par un anneau de vajra, lui-même clos par une cercle de feu. La noria prend fin. Une étincelle jaillit. Les brasiers enflamment la nuit. J'inspire et j'expire lentement... OM MANI PÉMÈ HOUNG


  • La fumée produite par les brasiers recouvre le lac d'un voile épais, occultant les reflets de la Lune et des étoiles. Au centre, une colonne d'eau se forme soudain et se dirige vers le premier brasier. J'inspire lentement... J'émets le vœu « que tous les êtres sensibles et migrateurs puissent éteindre spontanément et définitivement le feu de l'aversion », OM MANI PÉMÈ HOUNG... J'expire lentement... Je reformule mon souhait. J'inspire et j'expire lentement, plusieurs fois, jusqu'à ce que le brasier de l'aversion s'éteigne et qu'il ne reste plus qu'un tas de cendres fumantes...

  • L'eau attaque le second feu. J'inspire lentement... J'émets le vœu « que tous les êtres sensibles et migrateurs puissent éteindre spontanément et définitivement le feu du désir-attachement », OM MANI PÉMÈ HOUNG.... J'expire lentement... Je reformule mon souhait jusqu'à ce que le brasier du désir-attachement s'éteigne et ne forme plus qu'un tas de cendres fumantes...

  • L'eau se dirige vers le dernier feu. J'inspire lentement... J'émets le vœu « que tous les êtres sensibles et migrateurs puissent éteindre spontanément et définitivement le feu de l'ignorance », OM MANI PÉMÈ HOUNG.... J'expire lentement... Je reformule mon souhait jusqu'à l'extinction du brasier né de l'ignorance et qu'il n'en reste plus qu'un tas de cendres...

  • Les feux éteints, le lac est toujours recouvert d'une épaisse fumée. J'inspire lentement par le nez et je visualise que j'expire lentement par la bouche. Tous dans le cercle font de même. Un souffle se lève qui chasse la fumée. J'inspire lentement... Je formule le vœu « que tous les êtres sensibles et migrateurs puissent dissiper spontanément et définitivement le voile des émotions destructrices », OM MANI PÉMÈ HOUNG.... J'expire et je reformule mon souhait jusqu'à ce que le voile qui recouvre le lac se dissipe totalement...

  • La Lune se reflète. Je sens les rayons de compassion du bouddha Tchenrézi qui purifient les négativités accumulées par mes actes négatifs commis par mes paroles. Des vagues se forment, une pluie monte vers le ciel comme si la gravité était inversée. Une pluie fine s'élève et s'évapore. J'inspire et expire lentement... J'émets et reformule le vœu « que tous les êtres puissent dissiper spontanément et définitivement l'illusion des apparences sensibles », OM MANI PÉMÈ HOUNG...

  • Le lac s'est totalement évaporé. C'est maintenant la terre qui se soulève, s'émiette, se disperse en poussière, se disperse au vent. J'inspire et expire lentement... J'émets et reformule le vœu « que tous les êtres puissent dissiper spontanément et définitivement la croyance en la réalité des apparences sensibles », OM MANI PÉMÈ HOUNG...

  • Le lac fait désormais place au vide. Les forêts, les montagnes qui l'entourent, se désagrègent et partent en poussière. Le vide s'étend à la Terre, à l'intérieur de ma visualisation et dans le monde « au-dehors »... Il n'y a plus de différence entre l'intérieur de ma visualisation et l'extérieur... La pièce où je me trouve se dissout, puis mon logement, puis le quartier entier. Tout se désagrège de proche en proche, jusqu'à la planète entière qui dissout en poussière... OM MANI PÉMÈ HOUNG...


  • Les rayons de l'infinie compassion du bouddha Tchenrézi continuent leur travail d'épuration de nos négativités. Les unes après les autres, les planètes du système solaire jusqu'au soleil laissent place au vide d'une nuit noire et sans fond. Les étoiles sont éclipsées les unes après les autres, la voie lactée se désagrège. Seul demeure le cercle des méditant surmonté du bouddha Tchenrézi qui l'éclaire de ses rayons d'argent. J'inspire lentement... J'émets le vœu « que tous les êtres puissent spontanément et définitivement réaliser la vacuité de tous les phénomènes », OM MANI PÉMÈ HOUNG... 

  • J'expire lentement... ... Le bouddha Tchenrézi continue à déverser un flot de nectar qui purifie nos impuretés par la porte de la parole. Je reformule mon vœu jusqu'à ce que l'espace soit entièrement vide à l'exception du mandala formé par les cercles des êtres sensibles entouré d'un cercle de lotus, de vajra et de feu... OM MANI PÉMÈ HOUNG..

  • Soudain, le bouddha Tchenrézi devient transparent tandis que ses contours se mettent à scintiller d'éclats d'argent. A la place du lac, au centre du mandala cerné du cercle des méditant, se dessine la forme scintillante du stupa de Bodhnat. Au premier niveau, apparaît la cour intérieure du monastère de Chiwang, surplombée par les yeux de Bouddha...

  • Les rayons d'argent illuminent de proche en proche, toute la planète, toutes les planètes, le soleil, les étoiles et les galaxies, révélant leur présence dissimulée au sein du vide ! Rien n'avait disparu, rien ne s'était dissout. Le vide n'est pas le vide. Le vide n'est pas le néant ! Seule s'est dissipée l'illusion des apparences (formes, surfaces, dimensions, couleurs, etc.). Les phénomènes brillent désormais de l'éclat scintillant de leur vacuité fondamentale...

  • Je sens les rayons de compassion du bouddha Tchenrézi qui purifient les négativités accumulées par les actes négatifs que j'ai commis par mon esprit. J'inspire lentement... J'émets le vœu « que tous les êtres puissent réaliser spontanément et définitivement la vacuité du soi des phénomènes », OM MANI PÉMÈ HOUNG... J'expire et je reformule mon souhait jusqu'à ce que les frontières entre l'intérieur et l'extérieur se soient totalement évanouies...

  • Nos corps deviennent transparents. Tous nous levons et circumambulons autour du mandala. J'inspire lentement... J'émets le vœu « que tous les êtres puissent spontanément et définitivement réaliser la vacuité du soi de la personne », OM MANI PÉMÈ HOUNG... 

  • J'expire et je reformule mon souhait jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de différence entre l'intérieur et l'extérieur, entre le mouvement et l'absence de mouvement, la forme et le sans-forme, jusqu'à ne plus savoir qui tourne dans cette révolution sans commencement ni fin...


  • Sur le tableau noir de l'espace sans profondeur, la structure diaphane du mandala rayonne. Superposition de contours sans surface, enchevêtrement de filaments luminescents. Les méditant entrent dans le stupa, gravissent un escalier qui ouvre sur la cours du monastère de Chiwang aux dimensions gigantesques. Tous les êtres y prennent place sans exception, reforment le cercle de méditant en prières, OM MANI PÉMÈ HOUNG...

  • Je prends place à l'angle de la cour intérieure, là où au monastère de Chiwang je fis l'expérience d'une mémoire passée. Je suis là où je devais être, je suis là où j'ai toujours été, baigné d'un aura de lumière d'or qui émane du sol qui se pare d'énormes pétales de lotus : blanche, or, rouge rubis au centre, vert émeraude et bleu saphir, les couleurs des cinq familles de bouddhas... De chaque pétale jaillit une pluie de pétales de mêmes couleurs s'élèvent vers le ciel, vers le bouddha Tchenrézi qui surplombe le mandala... OM MANI PÉMÈ HOUNG...


  • Le cœur du bouddha Tchenrézi rayonne de rayons de lumière éblouissante qui jaillissent en un flot ininterrompu de son cœur emplis de compassion, traversent les corps de tous les êtres sans exception, consument les impuretés de nos esprits, révèlent en la sublimant la nature du corps, de la parole et l'esprit de bouddha. Tous nous devenons pareils au bouddha Tchenrézi, d'une blancheur immaculée, dotés de milles bras et de onze têtes, le cœur rayonnant de compassion, OM MANI PÉMÈ HOUNG...


Le bouddha Tchenrézi est un phare de lumière immaculée qui se pare de franges de couleur blanche, or, rouge rubis au centre, vert émeraude et bleu saphir, les couleurs des cinq familles de bouddhas... L'arc-en-ciel s'étend vers le cercle des êtres tout en bas et s'étire sans fin vers le haut. Les dimensions fluctuent et s'étirent. Ce qui est en haut et comme ce qui est en bas, OM MANI PÉMÈ HOUNG...

Le cercle des méditant touchent la base immense de l'arc-en-ciel dont chaque tour de couleur  s'étire sur des centaines de mètres de largeur et sur des kilomètres de hauteur. Les rayons arc-en-ciel traversent la clarté prismatique de tous les êtres peuplant l'univers, révélant partout la présence de la nature de bouddha, OM MANI PÉMÈ HOUNG...

Sur fond de nuit noire, entièrement dépouillés du vêtement des apparences, les phénomènes scintillent dans un immense halo d'argent. Au centre de chaque être brille incomparable l'éclat du camaïeu resplendissant des couleurs des cinq familles de Bouddha, blanc immaculé, or, rouge rubis, vert émeraude, bleu saphir, qui dessinent l'emblème du Kalachakra, OM MANI PÉMÈ HOUNG...

Derrière mes paupières closes, je tourne mon regard vers le haut, vers le Kalachakra couronne... J'inspire et j'expire lentement... J'émets le vœu « que tous les êtres puissent réaliser spontanément et définitivement l'union de la clarté et de la vacuité de l'esprit »OM MANI PÉMÈ HOUNG...

Les yeux tournés vers le ciel dans une intense concentration, je baigne dans la cascade de couleurs de l'arc-en-ciel. Ces rayons me traversent, pénètrent au cœur de mon être. Je me sens totalement purifiéOM MANI PÉMÈ HOUNG...  

Dans un même mouvement, je sens tous les êtres qui se fondent dans la cascade arc-en-ciel de la compassion du Kalachakra, qui se fond en moi tandis que je me fonds en eux. Toute notion d'identité individuelle se dissout. 

Je suis, nous sommes, la « somme de tous les autres »OM MANI PÉMÈ HOUNG... Vide d'espace, contours sans forme ni dimension, mon-notre corps est vacuité, OM MANI PÉMÈ HOUNG... Continuum tissé de filaments scintillant d'argent, mon-notre esprit est vacuité, OM MANI PÉMÈ HOUNG...

Blanc, or, rouge, vert, bleu... aquarelle de couleurs irisées, mon-notre-nature vaste et profonde, est la nature véritable de Bouddha, tathāgatagarbha, qui est en nous, OM MANI PÉMÈ HOUNG... Je suis, nous sommes, résonances de formes et couleurs, d'échos de sons et de lumières, OM MANI PÉMÈ HOUNG...

Quand on est imprégné de l'idée du vide, la fausse impression de l'existence disparaît ; en se répétant que rien n'existe, l'idée même du vide finit par disparaître BC-133

Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།


Références :

ACC : Au cœur de la compassion, Commentaire des 37 pratiques des bodhisattvas de Thogmé Zangpo par Dilgo Khyensté https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/154-au-coeur-de-la-compassion-ebook-format-pdf-9782916915814.html?search_query=Au+coeur+de+la+compassion&results=34 

BC : Bodhicaryāvatāra, Shantidéva https://archive.org/details/lamarchelalumi00sant?q=Bodhicary%C4%81vat%C4%81ra 

CT : La Connaissance Transcendante, Alexandra Davil Neel https://archive.org/details/AlexandraDavidNeelLaConnaissanceTranscendante/page/n7?q=Prajna%2Bparamita 

DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html  


[i] https://theconversation.com/masques-et-protection-inhaler-moins-de-coronavirus-signifie-tomber-moins-gravement-malade-144915 

[ii] https://theconversation.com/le-masque-pour-la-liberte-de-tous-143968 

[iii] Démons et Merveilles, A travers les portes de la clé d'argent, HP Lovecraft https://www.decitre.fr/livres/demons-et-merveilles-9782264035356.html 

iv L'enseignement du Bouddha avec Philippe Cornu https://www.youtube.com/watch?v=aLBRybEbceI