I.76 – Sept pratiques de la respiration méditative – partie 2

22/11/2020

Respirez dans l'instant présent et observez avec attention. Laissez le calme venir. Lorsqu'il n'y aura plus de différence entre « ce qui passe dans » votre esprit et « ce qui passe dans » le monde, vous entrerez dans une méditation en action, sans obstacle, ouverts à la préoccupation des autres, emplis de la joie d'apaiser leurs souffrances.

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Je respire et j'observe qu'un référentiel naît de la répétition d'un flux sensoriel ou mental

Je respire et j'observe que ce référentiel émule une dualité entre l'observateur et ses pensées

Je respire et j'observe que la dualité naît de la croyance en la réalité du soi de l'observateur

En conservant avec vigilance notre attention concentrée sur la respiration en dehors des périodes de méditation, nous pouvons apaiser nos perturbations émotionnelles et calmer l'instabilité de notre esprit. Lorsque le « calme mental » s'installe durablement et que la sérénité nous accompagne où que nous allions dans le domaine mondain et quoi que nous fassions, nous pouvons également conserver la vue de « l'interdépendance des phénomènes » dans le relativisme de l'observation continue de l'esprit. Toutefois, s'il est possible de s'entraîner à cultiver un état d'esprit d'équanimité, l'atteindre véritablement et le conserver définitivement implique de se libérer de tout attachement et de toute aversion.

Il est facile de constater que la respiration n'est pas le véritable refuge, lorsque au cours d'une méditation surgit brusquement un stimulus comme des cris d'enfants ou les aboiements d'un chien... Si, nous sommes familiers avec la pratique de l'échange de soi avec l'autre et que notre compréhension est empreinte de relativisme, nous savons qu'un parent éprouvera plus d'angoisse à l'idée que les cris de son enfant puissent signifier qu'il soit en danger qu'il n'éprouvera de souffrance du fait de leur intensité, alors que s'agissant de l'enfant d'un autre... les décibels seront perçues comme une agression sonore !

Méditer à « la croisée des chemins », dans le bruit des voitures, des klaxons, des conversations des passants, etc. peut être un jeu d'enfant en comparaison de l'aboiement d'un chien pendant la méditation... Même si l'on se concentre avec persévérance sur sa respiration, que l'on se répète «cela n'est pas réel », que le cri du chien ne dure qu'un instant « qui déjà passé n'existe plus », que l'on se rappelle l'importance de ne pas nuire aux êtres sensibles y compris en esprit, cela n'empêche pas l'instant de se répéter inlassablement...

L'on mesure d'autant son état « d'être ordinaire » que, même si l'on éprouve de la compassion pour l'animal qui doit avoir perdu son maître (si tant est qu'il en possède un) ou dont l'espèce est conditionnée à aboyer depuis des millénaires, même si on lui envoie des ondes d'amour pour l'apaiser, même si l'on se demande s'il ne serait pas un bouddha venu nous aider à progresser sur la voie... sous l'emprise du poison de l'aversion, une sensation d'irritation enfle ostensiblement en colère sourde. Impossible de regarder ailleurs, de penser à autre chose en cet instant interminable où l'on prend conscience que, si le présent est la seule chose qui existe, cela ne l'empêche pas de se répéter encore et encore ! La seule chose à faire est alors de s'armer de patience...

Quand vous rencontrez la formidable armée des émotions,

Revêtez la solide et excellente armure de la patience

Pour que, insensible aux armes des mots blessants

et des coups vengeurs,

Vous passiez à travers et atteigniez la terre du nirvāna ACC-177

Le passé n'est que mémoire, mais comment inhiber son mécanisme ? Les cris du chien, la conscience sensorielle qui me donne à les percevoir, sont vides, mais sans avoir réalisé la vacuité comment ne pas en être affecté ? Sans avoir épuré mes négativités comment rester impassible à l'aversion ? Sans avoir accumulé suffisamment de vertus pour que ma compassion soit plus forte que mes impulsions karmiques négatives, comment demeurer en équanimité ?

  • Vous êtes devant un lac. Des gouttes de pluie éparses commencent à tomber. En heurtant la surface, chaque goutte crée des ondes circulaires. A mesure qu'elles s'éloignent de l'épicentre leur amplitude diminue et leur longueur d'onde augmente jusqu'à se fondre avec la surface de l'eau. L'esprit est comme le lac, la respiration est comme la pluie, l'instant présent est comme les ondes qui se forment à la surface du lac de l'esprit...


Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous méditez, vous remarquerez que votre respiration forme « un motif de répétition ordonné ». Vos inspires et vos expires bornent « l'instant présent », ensemble d'abord puis à tour de rôle à mesure que vous allongez votre respiration, jusqu'à ce que vous ne distinguiez plus de différence entre les deux et que votre esprit se fonde en un pur mouvement sans forme ni direction...

Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous relâchez l'attention sur le souffle et laissez les pensées vous emporter, vous remarquerez qu'elles sont sans bornes. Comme dans le rêve, une pensée en suit une autre sans lien de causalité apparent, dans un flux (parfois) constant d'images qui surgissent, aléatoires et imprévisibles, jusqu'à ce que vous ne distinguiez plus de différence entre vous et vos pensées et que votre esprit, emporté par leur divagation, ne perçoive plus son propre mouvement...

L'expérience de la méditation nous permet ainsi d'observer que l'esprit se fixe dans « l'instant présent » par l'attention portée à un mouvement dont « le motif de répétition » émule un référentiel, que le relâchement de l'attention et la distraction de l'imaginaire font s'évaporer tel un mirage.

La respiration possède une fréquence répétitive propice pour fixer l'attention de l'esprit, c'est aussi le cas de chanter ou de réciter (mentalement) des mantras. Toutefois, il est plus facile (surtout pour les débutants) de porter l'attention à un stimulus sensoriel qui présente un caractère tangible plutôt qu'à une visualisation impalpable de la « conscience mentale » pour s'entraîner à « attachez l'esprit avec la corde de l'attention pour le soustraire au vent des pensées » ACC-182.

Si la respiration a pour effet de nous (r)établir dans l'instant présent, c'est parce que son caractère répétitif (ordonné) émule un référentiel - même si dans la profondeur méditative, nous ne distinguons plus l'inspire de l'expire et que seul le mouvement semble exister -. « L'instant présent » n'est pas de la nature de l'objectivable, mais il peut toutefois être considéré comme un phénomène « physique » en tant qu'il procède de la relativité.

L'expérience ne permet, certes, pas de ressentir « l'instant présent » comme le produit d'une chaîne de causalité. La raison me suggère que l'instant « actuel » ne peut exister sans un instant «antérieur», mais l'observation de mon esprit pendant la méditation ne me donne pas à percevoir l'enchaînement linéaire de ces « instants passés » qui relèvent d'un passé révolu !

Les pensées écoulées ne sont plus, les pensées futures pas encore nées et le flux de conscience n'est qu'une succession d'instants présents. Comment peut-il y avoir quelque chose de permanent et distinct qui existerait alors que ces instants disparaissent ? PREAS-116

De plus, j'éprouve « l'instant présent » relativement à l'attention fixée sur ma respiration, dont le caractère répétitif forme un référentiel à l'intérieur duquel la « coproduction de causes » à l'origine de la genèse de cet instant disparaît ! « Ce qui était en mouvement n'est plus en mouvement ; Ce qui n'est pas encore en mouvement n'est pas en mouvement ; En dehors du mouvement accompli et non encore accompli, On ne peut trouver aucun mouvement » VVM-7.

La raison s'avère incapable de démontrer que « l'instant présent » est le produit d'une «coproduction de causes », comme l'a formulé Nagarjuna, « un présent existant en soi ne peut dépendre du passé. Car ce qui est établi en dépendance ne peut exister en soi. Si le présent était indépendant du passé, il ne pourrait pas exister » VVM-62. Comment la jarre serait-elle pleine sans avoir été remplie ?

Pour exister, le présent doit dépendre du passé, mais comment le peut-il si ce passé n'existe plus ? Et si le passé existe (encore) en soi comment un présent dépendant peut-il advenir ? « Si un présent existant en soi dépendait du passé sans exister dans le passé, comment pourrait-il en être dépendant ? » VVM-62.

De plus, si le présent était dépendant du passé, le futur serait alors prévisible et inévitable ! Dès que des gouttes d'eau commencent à tomber dans la jarre, elles ne s'arrêteraient plus jusqu'à ce qu'elle soit totalement remplie. Or, le présent conditionne le futur, il ne le détermine pas. « Tout ce à quoi un bhikkhu pense fréquemment devient une inclination de son esprit. S'il abandonne la pensée du désir envers les objets sensoriels pour cultiver des pensées de renoncement, son esprit sera enclin aux pensées de renoncement[i] ».

Si du point de vue du présent, le futur est imprévisible, alors « le présent est totalement imprévisible du point de vue du passé[ii] » ! Autrement dit, « le niveau inférieur, bien qu'il soit entièrement responsable de ce qui se passe, est sans rapport avec le résultat (...) c'est un fait à part entière, à son propre niveau » LOOP-51. Tant que la mesure ne provoque pas sa décohérence, l'existence de l'électron est statistique. Autrement dit « le présent n'existe pas de manière inhérente que ce soit en dépendance ou indépendamment du passé » VVM-62.


C'est une question de relativité ! La répétition ordonnée d'un phénomène (l'eau qui tombe goutte à goutte dans une jarre, les inspires et expires de la respiration, les itérations d'un mantra...) simule une temporalité relativement au référentiel duquel (la pluie, la respiration, la récitation...) un instant donné est défini comme « présent ». « Il en est de même pour le passé et l'avenir par rapport au présent, le passé et le présent par rapport à l'avenir, le haut, le milieu et le bas, le bien, le mal et le neutre, l'unité et la dualité, etc... » VVM-63.

L'existence de « l'instant présent » se conçoit uniquement dans les termes d'une « coproduction de causes » relatives ! A l'instar des coordonnées d'un référentiel physique, l'inspire et l'expire (début et fin relatives de la respiration) bornent « l'instant présent », permettant ainsi d'identifier au sein de l'esprit ce « qui se passe à un endroit précis, à un instant précis » TRR-SE. La respiration émule un référentiel dans le motif ordonné duquel « l'instant présent » est l'horloge qui permet d'observer l'esprit en conscience de son observation.

C'est pourquoi, se concentrer avec attention sur la respiration a pour effet de nous (r)établir dans «l'instant présent » en opposition avec les pensées qui, étant sans commencement ni fin (qui plus est, insubstantielles par nature et vide par essence) ne bornent aucun référentiel. Toutefois, il faut bien comprendre qu'en lui-même (c.à.d. du point de vue la « vérité ultime ») le désignant conventionnel de « l'instant présent » est vide - cela m'inclus également en tant qu'observateur de mon propre esprit... - ! « L'existence cyclique est sans début ni fin réels. Il n'y a rien qui commence ou finisse réellement. Là où il n'y a ni commencement ni fin, comment y aurait-il un milieu ? » VVM-43

La vie dure le temps d'une pensée ; lorsque la pensée disparaît, la vie de l'être est terminée et ce qui lui succède, c'est un être différent bien que résultant de celui qui l'a précédé (...) Cela que l'on nomme esprit, ou pensée, ou connaissance, cela se produit et disparaît dans un changement perpétuel BB-211

Le processus de « répétition » ordonné dont procède la respiration (inducteur de la formation d'un référentiel qui nous connecte à « l'instant présent » au niveau conventionnel) met en jeu la mémoire. Si, les notions de présent et de passé dont il est question ici n'ont pas de caractère physique, mais relèvent de la « psychologie de la conscience », pour autant ils ne sont pas à confondre avec l'œuvre de l'imagination qui confère son existence hallucinée au temps.

Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous méditez, vous remarquerez que si l'attention à la respiration neutralise et réduit (parfois jusqu'à l'extrême) le risque de se laisser emporter par les pensées et les émotions perturbatrices, elle n'en inhibe pas pour autant le flux. C'est que les deux processus ne font pas appel aux mêmes fonctions !

Concentrer l'attention sur la respiration n'a pas pour but de canaliser la mémoire afin d'éviter qu'elle soit le vecteur des pensées. Si tel était le cas, lorsque nous sommes véritablement concentrés sur « l'instant présent », il serait impossible d'observer un flux de pensées - pour autant, les pensées ne remplissent pas le référentiel de « l'instant présent » comme une jarre -. L'effort de concentration vigilante a pour fin de nous éviter de divaguer sous l'effet de l'instabilité de l'esprit (cf. la pièce en équilibre), c.à.d. d'empêcher de basculer (cf. le chat de Schrödinger) de la perspective de sujet-observateur à celle de sujet-acteur.

Maîtriser son esprit, ce n'est pas le soumettre par la censure de l'imagination et l'inhibition de l'imaginaire, c'est l'orienter, le guider, le conduire, de sorte à ce que les poisons des émotions destructrices ne puissent nous entraîner à commettre des actes « non vertueux » par nos trois portes.

Si un rythme ordonné permet de fixer l'esprit sur « l'instant présent », pourquoi sommes-nous toutefois captivés par des pensées chaotiques ?


Les pensées qui surgissent lors de la méditation sont parfois aussi fugitives que des étoiles filantes sur le fond (en comparaison) immobile de la voûte céleste de l'esprit. Bien qu'elles disparaissent aussi rapidement qu'elles sont apparues, elles parviennent à nous distraire de notre objet de méditation. Est-ce dû à un manque de concentration (reflet d'un manque d'entraînement à la pratique de la méditation) ou un véritable pouvoir de séduction ? 

S'agit-il d'une aptitude du cerveau développée sur des milliers d'années sous l'impulsion des lois de l'évolution ou du propre à l'esprit, qui en sa nature de « claire lumière » discerne et reflète toute chose y compris la plus infime, la plus subtile et la plus fugitive ?

  • Une bille est en équilibre sur une crête. Un léger souffle de vent la fait basculer. En descendant la pente, elle accumule de la vitesse et remonte aussitôt la pente opposée. Elle se déplace ainsi de crêtes en creux jusqu'à ce que son énergie s'épuise. Elle demeure alors immobile au fond d'un creux. La bille est l'esprit, l'équilibre sur la crête est l'attention sur un objet, ses déplacements sont l'agitation de l'esprit, le creux d'une vallée est le relâchement de l'esprit...

Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous méditez, vous remarquerez que la pensée la plus éthérée (telle une plume qui vient se poser sur le fléau d'une balance) vous fait perdre votre équilibre attentionnel et entraîne votre esprit à changer de référentiel relatif - à sortir de « l'instant présent » émulé par le métronome régulier de la respiration - dès lors qu'il se fixe sur un « motif de répétition désordonné ».

  • Un colibri vol, immobile, devant une cascade. Des millions de gouttes d'eau forment un rideau ajouré de lumière. L'oiseau-mouche guette l'occasion de le traverser, son attention est totalement fixée sur l'écoulement du flux. Plus sa concentration augmente et plus sa perception du temps ralenti. Lorsque la course de chaque goutte d'eau se fige et que la chute toute entière s'immobilise à sa vue, le battement de ses ailes se fait simultanément immobile. Le colibri est l'esprit, la cascade est le flux des pensées, le battement des ailes est le métronome de la respiration, le vol stationnaire est son référentiel...

Notre perception « psychologique » du temps diffère de la durée du temps réellement mesurée. Le temps passe plus ou moins vite selon notre humeur du moment. Lorsque nous regardons un film, le temps semble ralentir ou accéder selon le rythme ou la manière de filmer, à d'autres moment, l'action s'accélère, mais le temps semble paradoxalement ralentir ! Les personnes ayant frôlé un accident mortel témoignent avoir perçu des détails si rapides et si infimes qu'elles les auraient totalement occultés en temps normal [iii]...

Le temps est relatif par nature et ce phénomène de « dilatation temporelle » est un effet de perspective qui caractérise le glissement de l'esprit dans un autre référentiel relatif par le détournement de l'attention. Une pensée est comme un son. Il faut plusieurs sons, rapprochés et accordés ensembles, pour faire une mélodie, beaucoup de gouttes d'eau pour faire une cascade et de pensées pour constituer un flux mental. Une seule pensée n'emporte pas l'esprit (...du moins, si elle ne charrie pas le poison d'une émotion). C'est « l'effet de cascade » produit par le flux de pensées qui a le pouvoir d'hypnotiser l'esprit !

Lorsque dans la méditation, l'esprit est bombardé de pensées fulgurantes comme une pluie d'étoiles filantes, celles-ci sont trop rapides pour être perçues individuellement et trop irrégulières pour former un référentiel. Telles les « particules virtuelles » qui peuplent le « vide quantique », elles apparaissent et disparaissent dans le même temps, soit simultanément en regard de nos facultés de perception... « Voir le tout au lieu des parties » (la cascade vs les gouttes d'eau) a pour effet subjectif de ralentir la phénoménologie de notre perception et, eut égard à « l'ordre qui surgit du chaos », d'émuler un nouveau référentiel à l'intérieur duquel il devient possible de saisir chaque élément isolément

Comprendre la mécanique des pensées permet-il toutefois de nous en prémunir et de conserver notre attention sur « l'instant présent » ?

Si vous observez attentivement (ce qui se passe dans) l'esprit lorsque vous méditez, vous remarquerez que toutes les pensées ne sont pas fulgurantes. Certaines présentent un caractère rémanent (tel un éclair inscrit dans le ciel quelques secondes), tandis que d'autres sont persistantes, les secondes ayant fâcheusement tendance à nous attirer dans des divagations imaginaires... En inférer une relation de proportionnalité entre la vitesse relative des pensées et leur pouvoir de détourner notre attention n'est toutefois pas pertinent.

Les plus fugitives de nos pensées reflètent-elles un processus qui, lorsqu'il parvient à maturité (de sa « charge émotionnelle »), leur confère la capacité de détourner notre attention ? Ou est-ce « le continuum (voilé) de l'esprit » qui façonne le flux d'une phénoménologie mentale dont la forme et le caractère des pensées qui le traversent sont le reflet du karman ?

Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous méditez, vous remarquerez que vous êtes conscients d'être l'observateur de vos pensées. Vous percevez « ce qui se passe » à l'intérieur de votre esprit (les mouvements de votre phénoménologie mentale) de façon distincte de vous (la « saisie de soi » à laquelle vous vous identifiez). Vous distinguez les pensées des émotions et ressentez leur attraction comme un pouvoir propre qui entraîne votre attention et détourne votre concentration contre votre volonté.

Croyez-vous que l'esprit des éveillés soit encore traversé d'un flux de pensées autonomes mais que, parce qu'ils sont établis dans « un état d'équanimité libre de toute aversion et de tout attachement », ce flux ne peut plus détourner leur attention qui demeure en parfait état de « calme mental » total et permanent ? Ou croyez-vous que la paix et la concentration ultime de leur esprit résultent du fait qu'il ne soit plus recouvert ni déformé par aucun voile ?

La forme de notre méditation reflète notre état d'esprit actuel. Nous ne pouvons pas percevoir autre chose que ce que la vue (déformée) du miroir de l'esprit nous permet de saisir à cet instant. Les échos radars fugitifs des pensées que nous émettons, les réverbérations émotionnelles que nous amplifions, les divagations imaginaires que nous distillons, sont la réfraction de notre état karmique. Au sein du référentiel, le référentiel disparaît... Nous ne voyons pas ce qui émule le référentiel de notre « vue subjective » d'une conscience de soi indépendante des pensées qui la produisent, c'est comme de marcher sur une plage lorsque chaque trace du pas que nous venons de faire s'efface derrière nous à mesure que nous faisons un nouveau pas.

Ce qu'en tant qu' « êtres ordinaires » nous observons de « ce qui se passe dans » l'esprit lors de la méditation, ce sont les effets illusionnés de nos voiles, non la vue de ces derniers. Sous cet angle, pensées et émotions apparaissent duelles, tantôt causes (inducteur) tantôt effets (induction). Sont-ce les pensées qui induisent les émotions ou l'inverse ? « Il faut se garder de voir, là, une dualité (...) le Vide et la forme ne doivent pas être divisés en deux (parties). Ils ne sont pas deux, il ne faut pas en faire deux » CT-86.

Ainsi, en est-il du référentiel de la vue « d'observateur » à laquelle nous nous identifions à travers le référentiel de la vue de « la comédie des pensées » que nous croyons indépendantes, sur la scène du « théâtre relativiste » d'un mental orchestré par le poison de l'ignorance. C'est la croyance erronée en la réalité du « soi de la personne » et sa saisie comme entité autonome qui originent cette dualité, implicite à la « conscience (relativiste) de soi ».

Nous croyons être le colibri alors que nous sommes la cascade de gouttes d'eau ! Le comprendre permet d'exercer une rétroaction sur l'illusion qui réalise la vacuité du soi des phénomènes et la vacuité du soi de la personne.

Ce qui nous fait croire « être un soi » et avoir l'impression d'exister en propre est l'effet d'un basculement relativiste entre la vue des parties (les gouttes d'eau), subsumée par la perspective d'ensemble (la cascade), elle-même substituée à un angle de vue extérieur à ce « plan de conscience » (le colibri).Réaliser la vacuité du soi (du colibri), c'est déconstruire l'illusion du « point de vue » du soi par la réduction du tout (la cascade) aux parties (l'eau) jusqu'à l'échelle infinitésimale (l'espace) où son essence se révèle vacuité.


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Je respire avec contrôle et j'observe avec attention que je respire

Je respire et j'observe ce qui se passe dans l'esprit avec une attention analytique

Je respire et j'observe l'observateur observant l'objet de son observation 

Libérée des tâches répétitives par l'automatisation (le battement des ailes, la respiration, la marche, etc.), l'on peut alors s'enquérir d'activités nécessitant une « application attentionnelle » et la mobilisation active de nos facultés d'analyses (l'écoute du Dharma, l'observation de l'esprit...). Toutefois, si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous méditez, vous remarquerez que l'attention reste plus aisément fixée sur son objet (sensoriel pour la respiration ou mental avec une visualisation) lorsque vous y exercez la fermeté d'un contrôle assidu et d'une attention appliquée.

Respirer avec contrôle pendant l'inspire et pendant l'expire. Ralentissez votre souffle pendant toute la durée de son assimilation et de son extension, jusqu'à leur extrême. Ne cherchez pas la rétention poumons pleins ou poumons vides, simplement accompagnez le souffle en conscience jusque « là où il va », dans toute l'amplitude de son mouvement, dans toutes les parties de votre corps... Si vous parvenez à maintenir ce « contrôle », progressivement les pensées se feront plus clairsemées, leur flux moins dense et votre esprit divaguera moins :

  • Respirez et observez en continu (très) attentivement « ce qui se passe dans » le corps lorsque vous respirez ainsi, lentement, calmement et avec attention...
  • Respirez et observez ce qui se passe sur la respiration, sur sa qualité, sur les effets que cela produit sur le corps, le sentiment de bien-être physique qui s'en dégage (le plaisir de respirer !) tout en maintenant la posture engagée...
  • Respirez et observez en continu (très) attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous portez une attention soutenue à l'observation elle-même...
  • Respirez et observez ce qui se passe sur la capacité attentionnelle, sur l'aptitude à la concentration « en un point »...

L'on a souvent tendance à se fustiger de ne pas parvenir à conserver l'attention sur son objet de méditation, de ne pas pouvoir demeurer « sans pensée », sans perturbation mentale (d'autant plus lorsque l'on acquiert de la pratique...). Pour lâcher-prise sur cet « obstacle intérieur », l'on doit se départir de l'idée - issue d'un « esprit de compétition » - que s'entraîner et pratiquer sont synonymes d'acquérir des techniques, de développer de la force et des aptitudes visant à réaliser un objectif (sportif) d'endurance et de perfection. Dans la méditation, il ne s'agit pas de rester concentré fixement sur un objet, mais de maintenir l'observation attentionnelle à « ce qui se passe »... quoi qu'il se passe !

Il y a deux manières de faire l'expérience d'une chose, écouter une musique, regarder un paysage, sentir un mets, goûter un plat, visualiser une image mentale : l'une contemplative ; l'autre analytique. La première consiste en un lâcher-prise, une immersion et une fusion dans l'objet. C'est l'union de l'esprit qui déclenche un « sentiment océanique ». La seconde procède de la réflexion logique, de l'examen critique, de l'analyse « scientifique ». C'est le processus par lequel l'on parvient à la compréhension rationnelle. Elles sont telles les deux directions du mouvement dans les asanas : « l'étirement musculaire » dans une expansion dosée pour l'analytique ; versus son opposé le « relâchement musculaire » où l'on se laisse emporter dans la contemplation.

Méditer, c'est en respirant avec contrôle observer « ce qui se passe dans » l'esprit avec une «attention analytique » constante, visée à laquelle la pratique de la méditation en séance formelle permet de s'entraîner dans l'optique d'acquérir cette maîtrise de l'esprit au quotidien.

Pour nous, « êtres ordinaires », la méditation nous mets face à face avec l'illusion de la « saisie du soi » de sorte à ce que, en développant la « vue pénétrante » (qui réalise la vacuité du soi de la personne), nous puissions la saisir comme telle... et ne plus en être dupes ! « Ce qui se passe dans» l'esprit pendant la méditation n'est pas à identifier, ni à confondre, avec « ce que nous sommes » - le soi étant le fruit de l'ignorance de notre nature véritable -, mais à reconnaître comme le reflet de notre état d'esprit voilé.

Plongés dans un film, les sens complètement captifs du rythme de l'action, envoûtés par l'intrigue, emplis par les émotions suscitées par les événements vécus par les protagonistes, notre esprit critique se relâche et s'inhibe. Si nous visionnons le film une seconde fois, l'effet de découverte passé, nous pouvons ainsi procéder à un examen méticuleux et critique. « Ce qui se passe dans » l'esprit, pendant la méditation ou en post-méditation, n'est pas un loisir ! Dès qu'un contenu phénoménal se présente à la conscience, nous devons le saisir avec une attitude attentionnelle appliquée.

Ouvrir la porte de l'esprit et observer « ce qui s'y passe » reste fécond tant que nous n'en franchissons pas le seuil (c.à.d. que nous ne basculons pas dans un autre référentiel de conscience), autrement dit tant que nous parvenons à maintenir notre attention à l'observation analytique de son contenu. Il ne s'agit pas d'en faire l'examen critique, ni d'en rechercher l'interprétation - telle celle des rêves par ailleurs aussi subjective - ni même d'identifier les impulsions émotionnelles qui nous animent, reflets des tendances karmiques dont nous devons épurer les négativités en utilisant les antidotes adéquats.

La croyance en la réalité du soi de la personne, fruit de sa saisie sous l'emprise de l'illusion des apparences, est la racine de toutes souffrances et du perpétuel retour dans le samsāra. Et c'est l'immersion dans « le sentiment du soi », par l'envoûtement de la croyance en la réalité de notre existence propre, qui confère son caractère nuisible au pouvoir d'efficience de l'ego.

Nous avons insidieusement tendance à occulter et nier nos défauts, un biais auquel la pratique de « l'examen attentionnel » de nos pensées pendant la méditation contribue à infléchir en nous plaçant face à face avec l'illusion que constitue la croyance dans le soi de la personne. Observer l'esprit avec une attention analytique est un outil en tant que tel !

Il est peu probable que vous fassiez des progrès spirituels si vous n'avez pas le courage d'affronter vos défauts cachés, chaque personne ou situation qui vous les révèle, aussi pénible et humiliante soit-elle, vous rend un grand service. 

Comme Atisha l'explique :

Le meilleur ami spirituel est celui qui s'attaque à vos fautes cachées.

Les meilleures instructions sont celles qui visent ces fautes.

Les meilleurs instigateurs à la pratique sont les ennemis,

les obstacles et les souffrances de la maladie ACC-141

Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous « observer l'observateur », vous remarquerez que l'attention analytique portée au contenu phénoménal (qu'il s'agisse du mental ou de ce qui arrive dans le monde) a pour effet de vous faire réaliser que sa nature n'est que pensée ! Or, les pensées ne sont pas réelles, elles ne sont que chimères, phantasmes d'un esprit dont la vue est déformée par les voiles karmiques.

Respirez avec contrôle et appliquez-vous avec attention à l'examen de « ce qui se passe dans » l'esprit. Demandez-vous pourquoi telle pensée surgit, pourquoi telle émotion est récurrente ? Voyez leur véritable nature, fruit de l'imaginaire d'un ego né de l'ignorance et des poisons des passions destructrices auxquelles il est subordonné. Observez l'observateur observant l'objet de son observation et réalisez que « les apparences » de l'objet, de l'observation et de l'observateur «sont notre propre esprit » ! Et passez au-delà de toute dualité...

  • Il y a de cela longtemps dans un recoin profond des contreforts de l'Himalaya,, les pêcheurs d'un petit village au bord d'un lac étaient colériques, possessifs, orgueilleux et jaloux. Un jour, ils ne relevaient dans leurs filets que des poissons colorés, blanc, bleu, rouge, vert et jaune. D'abord réjouis, ils tombèrent malades en mangeant leurs chairs. Sans nourriture, les habitants dépérirent tandis que leur colère et leur désespoir grandirent.

  • Un pêcheur alla demander conseil au monastère le plus proche. « Pourquoi t'aiderai-je ? » lui demanda le lama. « Si je guérissais les maladies dont sont affectés les poissons, vous les mangeriez à nouveau et vous nuiriez ainsi à des êtres sensibles ! Tu dois trouver la solution à l'intérieur de toi... ».

  • Le pêcheur revint au village, s'assit et médita à ses propos. La nuit passa puis le jour suivant. Les habitants s'interrogèrent et allèrent à leur tour au monastère demander conseil au lama qui leur dispensa la même réponse. En revenant au village, ils s'assirent et méditèrent à leur tour. Les jours passèrent.

  • Le pêcheur sorti de sa méditation suivi alors de tous les autres pêcheurs. Il saluèrent tour à tour, en se prenant dans les bras et en louant leurs vertus. Puis, ils prirent leur barques, partirent sur le lac, jetèrent leurs filets et attendirent. Rapidement, tous les filets furent remplis. Les poissons avaient retrouvé leur couleur normale et lorsqu'ils les mangèrent, ils ne tombèrent pas malades.

  • Le jour suivant, le pêcheur ne prit pas sa barque, mais alla acheter du riz au village voisin. Les autres pêcheurs l'imitèrent. Le village entier se mit alors à la culture du riz. La paix et l'harmonie régnèrent alors dans les cœurs et plus aucun habitant du village ne se nourrit de chair animale.

  • Le pêcheur s'en retourna alors au monastère voir le lama.

  • « As-tu trouvé la solution à ta souffrance ? » lui demanda-t-il.

  • « Oui et je vous en remercie humblement ! » répondit le pêcheur.

  • « Et qu'as-tu découvert ? » lui demande le lama.

  • « Que ce qui rendait malade les poissons du lac étaient les mêmes poisons qui envenimaient nos cœurs. Pour les guérir, nous devions guérir nos cœurs : la patience chassa le bleu de la colère ; le renoncement dissipa le rouge du désir-attachement ; la joie effaça le vert de la jalousie ; l'humilité dispersa le jaune de l'orgueil ; et la sagesse gomma le blanc de l'ignorance ». Le pêcheur rendit hommage au maître et au Bouddha, et leur fit des offrandes, puis s'en repartit.

  • Un moine demanda à son lama, « Maître, pourquoi les pêcheurs ont-ils cessé de pêcher et de manger les poissons du lac alors qu'ils étaient guéris ? ».

  • « Un homme ne fait que ce qu'il est prêt à faire... » lui répondit le lama. Puis il ajouta, «L'esprit est comme un lac, les pensées comme des poissons. Leur nature n'a pas de couleur, ce sont les eaux de l'esprit qui les colorent. En nettoyant son miroir, le pécheur prend conscience que les poisons ont trompé sa vue. Dès lors, il est prêt à agir de manière vertueuse ».

  • « Et pourquoi ont-ils cesser de manger la chair animale ? » demanda le moine.

  • Le lama répondit, « Parce qu'ils ont vu que le lac était vide ! ». 

  • Puis, il ajouta « Lorsque l'esprit retrouve la pureté de sa claire lumière, il connaît que, les phénomènes comme la maladie des trois poisons n'ont pas de réalité en soi. Les pensées ne sont que des fluctuations évanescentes nées de l'agitation de sa surface. Dès lors, il est prêt à œuvrer au bien de tous les êtres »...


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Je respire et j'observe les fluctuations de l'ordre impermanent du monde des apparences

Je respire et j'observe l'agitation désordonnée de l'esprit dans l'agir égocentré

Je respire et j'observe l'acteur agissant dans le « non-agir » de l'ego

La méditation n'est pas une fin en soi, ni un espace-temps borné à une pratique réglée. C'est un entraînement à développer un état de détachement, de « calme mental » et d'équanimité émotionnelle en post-méditation. « Ce qui se passe dans » l'esprit pendant la méditation, c.à.d. ce que nous percevons de sa phénoménologie et la manière dont nous y réagissons, constitue le pendant de « ce qui se passe dans » le monde au quotidien de nos activités mondaines.

En physique, l'entropie est la mesure de la dégradation de la quantité d'ordre d'un système et son caractère est aussi infaillible que le karman ! Sans le maintien d'un apport constant en énergie, l'eau portée à ébullition redescend infailliblement en température. Sans l'application ferme et constante des forces de l'attention et de la vigilance à « l'observation attentionnelle » de l'esprit, le degré de concentration que peuvent atteindre les « êtres ordinaires » se disperse inévitablement au sortir de la méditation (si ce n'est bien avant...).

L'entropie est en lien avec l'information. La capacité de prédire l'évolution d'un système diminue proportionnellement à l'augmentation de son degré d'entropie.

L'évolution spirituelle vers l'Éveil peut se « mesurer » à l'accroissement du « calme mental » jusqu'à atteindre un état irréversible chez un Bouddha - bien que non mesurable en terme d'information puisque cet état est « au-delà du par-delà » du conceptuel -. Mais, nul besoin de mesure pour éprouver le calme d'un état d'esprit d'équanimité face aux émotions perturbatrices et la profondeur du détachement à la croyance dans le soi de la personne et des phénomènes. Tout « ce qui se passe dans » l'esprit a-t-il un sens ? La moindre pensée qui surgit, même fugitivement, pendant la méditation a-t-elle une raison d'être ?

Pour le savoir, regardons le monde. Lorsque nous observons « ce qui se passe » au quotidien, les événements semblent, souvent, aller en se dégradant. Ce n'est pas la pandémie du COVID-19 qui fera dire le contraire ! Mais, même sans cela, lorsque le ciel est calme, il y a toujours un accident quelque part qui ternit le paysage. L'entropie s'exerce tout le temps, en tous lieux et en toutes choses. Cela fait-il pour autant que les apparences sont régies par l'entropie ?

Les apparences ne nous apparaissent comme nos ennemies qu'en tant qu'elles reflètent notre ignorance. Selon la maxime, « un malheur n'arrive jamais seul » et parfois l'univers, le destin (ou le nom que vous voudrez lui donner) semble vouloir s'acharner contre quelqu'un... et comme nous avons tendance à prendre les choses personnellement, c'est souvent contre nous... En fait, il n'en est rien. Il n'y a pas (plus) de raison pour que les choses aillent de Charybde en Scylla qu'il n'y a de raison pour que les choses aillent de « mieux en mieux » !

Les apparences cessent d'être nos ennemies lorsque nous prenons conscience qu'elles sont la projection de notre vision déformée, de notre état d'esprit voilé, par les émotions destructrices. Puisque rien n'a d'en-soi, aucun événement n'est intrinsèquement « bon » ou « mauvais » par nature. Et puisque rien n'est à lui-même sa propre cause, rien n'est déterminé.

Les événements ne possèdent pas en propre une nature positive ou négative et ne se produisent pas pour une raison qui nous est spécifique. Le destin n'est pas écrit ! Cela ne veut pas dire que «ce qui arrive » n'ait pas de sens, seulement que le sens n'est pas inhérent à « ce qui se produit ». C'est à nous qu'il appartient de voir dans « ce qui arrive » un obstacle ou une opportunité.

C'est surtout à nous, avec l'aide du Bouddha, du Dharma et de la Sangha, de cesser d'agir de manière non vertueuse et d'œuvrer de manière vertueuse pour notre bien et celui de tous les êtres sensibles. Et c'est à nous également qu'il appartient de voir « ce qui se produit » de manière positive, comme revêtant (possiblement) le caractère d'une bénédiction d'un bouddha, y compris sous une forme qui peut paraître un « obstacle » à notre esprit voilé - c'est pourquoi, il faut développer la confiance (et la foi) de sorte à toujours considérer « ce qui (nous) arrive » comme l'intercession de l'infinie compassion des bouddhas -.

Du point de vue de la « vérité ultime », c.à.d. « au-delà du par-delà » de nos voiles qui leur confèrent un caractère individualisé et les transforment dans notre esprit en « ce qui (m')arrive à (moi) », les événements qui ont lieu dans l'univers sont simplement « quelque chose qui se produit ». Les phénomènes surgissent relativement en « coproduction de causes » de l'interdépendance des phénomènes, sans être régis par un déterminisme absolu et transcendant.

« Ce qui arrive » dans notre vie par voie de causes et d'effets est dénué de nature bonne ou mauvaise et n'en a l'apparence qu'à la vue de notre esprit voilé. L'entropie que nous attribuons aux événements est une mesure du degré d'agitation et de dégradation de notre état d'esprit, non la mesure du désordre des phénomènes dont l'essence est vacuité ! Cet indicateur de notre « vue » (et des actions qui en découlent) traduit en sa forme erronée notre degré de domination par les poisons des passions destructrices (et l'emprise de nos conditionnements karmiques) et corrélativement reflète en son opposée de la « vue juste » notre degré de détachement et d'équanimité émotionnelle.

Dire que le type, l'intensité, la densité, l'attractivité des pensées en méditation reflètent la mesure de « l'entropie de l'attention » revient à affirmer le caractère (pré)déterminé des pensées et leur nature autonome. Or, il n'y a pas plus de raison qui légitime le jaillissement d'une pensée singulière que la survenue d'un événement particulier. Dans un cas comme dans l'autre, « ce qui se passe dans » le monde et « ce qui se passe » dans l'esprit - la pensée est un « événement » de la phénoménologie mentale - est probabiliste, susceptible d'adopter l'apparence et le caractère projeté dont notre esprit les revêt.

Pour la science, « l'incertitude quantique » signifie qu'un élément individuel est indéterminé en son aspect et en sa nature, ce à quoi le bouddhisme ajoute... en la vacuité de son essence. La théorie de la relativité décrit l'univers au niveau macroscopique, car il est le niveau auquel un « référentiel ordonné » peut perdurer de manière stable (à l'instar de l'espace-temps qui structure l'univers).

A l'échelle quantique, un référentiel apparaît lors d'une « transition » ou d'un changement de comportement entre un élément et un ensemble. Un électron ne fait pas un référentiel. L'ordre est relatif aux caractéristiques émergentes d'un tout « supérieur à la somme de ses parties ». Isolément indéterminées, les propriétés des électrons deviennent quantifiables lorsqu'ils s'alignent et évoluent en nombre. « Un électron unique suit une trajectoire imprédictible mais une population d'électrons se distribuera selon une figure calculable d'interférence ou de diffraction. Le déterminisme ne s'applique pas à l'électron unique, il devient collectif. La liberté quantique de l'électron individuel est contrainte pour construire un projet de concert avec l'ensemble des électrons[i] ».

Une goutte d'eau ne fait pas une cascade, des millions oui ! Un flux de pensées est pareil à une cascade en ce qu'il forme un « motif de répétition ordonné » capable d'émuler un référentiel qui, à l'instar de la respiration, peut dès lors capter et détourner notre attention de « l'instant présent ». Une pensée est une information sans valeur en soi. Mais, comme les mots qui acquièrent un sens en entrant dans la composition de phrases structurées, la pensée peut véhiculer du sens dans certaines conditions, lorsqu'elle entre dans la formation d'un flux.

D'un côté les phénomènes et de l'autre l'esprit, « ce qui se produit » et « ce qui connaît », l'objet (indéfini) versus la connaissance (indéterminée) d'un « témoin indifférent ». L'aspect versus l'essence des choses. Leur base est neutre mais au sens « ultime », ils ne sont pas deux... « Le monde tel qu'il (nous) apparaît » reflète les voiles cognitifs et émotionnels qui recouvrent notre perception de la vacuité. Croyant en la réalité du soi de notre personne et des phénomènes, mus par des impulsions karmiques, cette combinaison de causes mentales déclenche la «décohérence » des possibles qui entraîne à son tour leur réification sous la forme des apparences conventionnelles.

Pour les êtres éveillés, il n'y a rien qui se « produise » ! C'est au regard de « l'êtres ordinaire » (à l'esprit voilé) que les pensées et les choses « (m')arrivent (à moi) ». Tant que nous n'avons pas réalisé la vacuité et des phénomènes et du soi de la personne (ni épuré notre karman), notre esprit reste soumis aux éléments déclencheurs de la « décohérence ». Pour les êtres dont la vue est erronée, l'existence constitue un flux ininterrompu de souffrances au regard de laquelle les choses semblent arriver (s'acharner) d'elles-mêmes en cascade[*3]...

Tant que vous n'aurez pas réalisé la vacuité, ne vous départissez jamais de l'attitude éveillée de la bodhicitta. Lorsque vous aurez atteint la parfaite réalisation de la vacuité, aucun effort ne sera plus nécessaire pour que se manifeste la compassion inconditionnelle, car la compassion est l'expression de la Vacuité ACC-118

Lorsque la tempête règne à l'extérieur, tournons-nous vers l'intérieur par la méditation. Nul besoin de nous isoler du monde, nous pouvons trouver la paix à « la croisée des chemins » en développant la « vue juste » de ce qui se produit. Dans l'œil du cyclone le calme règne, mais comment y trouver la sérénité si notre regard est constamment (dé)tourné par le chaos ? C'est à ce moment qu'il est important d'exercer une « observation attentionnelle », ferme et vigilante, à un référentiel qui nous permet de pacifier notre esprit, comme la respiration. 

Mais, comment faire lorsque la tempête règne à l'extérieur et à l'intérieur, lorsque le flot d'activités incessantes du monde nous poursuit jusque dans l'immobilité de la méditation et nous assaillit d'un flux de pensées incessantes ?

De tels moments sont l'occasion de nous entraîner à percevoir le miroir au-delà des images qu'ils reflètent... Ce que nous voyons (ou ne voyons pas) sur « l'écran de cinéma » de notre phénoménologie mentale, qu'ils s'agissent d'éclairs de pensées assourdissantes qui nous entraînent dans des divagations imaginaires instillées par le poison des émotions destructrices ou de battements lents et à peine audibles dans le silence de la méditation, tout est le fait de la capacité (déformée ou non) de notre esprit à connaître.


  • Regardons les gouttes d'eau tomber. Dans le (référentiel du) ralenti de leur chute se dessine le motif ordonné d'une cascade. 
  • Regardons l'écoulement chaotiques des pensées. A travers le voile de « l'entropie des apparences » se forme un motif de répétition ordonné, axé sur la concentration en un point et la pacification de l'esprit par le « calme mental ». 
  • Et demeurons là, neutres et insensibles, tel un rocher au passage des flots tumultueux de la rivière...


Fixe comme un rocher au fond du torrent

J'observe immobile de mes pensées l'écoulement

Sous la surface agitée les flots s'apaisent

Indifférent au courant aucun poids ne pèse

Figé par le spectacle, je les regarde s'éloigner

Sans me toucher ni m'entraîner

Je suis les pierres, le limon et les berges

Dans la stabilité mon corps s'immerge

Le mental asséché devenu limpide

Mon esprit filtré réside dans le vide

Il se peut toutefois que cela ne suffise pas toujours. Notre esprit est parfois si électrisé qu'il est impossible de le calmer, même si nous passons trois fois plus de temps à méditer (sauf à y consacrer la journée, ce qui revient à accréditer l'idée que la qualité de notre pratique dépend exclusivement de conditions extérieures...). Or, à moins d'adopter une vie monastique, nous devons trouver le moyen de concilier « l'agir » des activités mondaines avec la paix de l'esprit. Pour cela, il convient de nous interroger sur les raisons d'une telle excitation...

Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous méditer avec un mental électrisé, vous remarquerez que ce n'est pas tant la tempête de pensées qui fait obstacle à la concentration de votre attention que votre incapacité à vous détacher des activités mondaines. Autrement dit l'ego ! Soit qu'il se trouve mis en échec dans sa recherche de satisfaction (professionnelle ou personnelle) et nous fasse ressentir de l'aversion pour ce qui la contrarie, soit que sa réussite nous en fasse éprouver de l'orgueil...

La solution « ultime » est le développement de la vue « pénétrante ». Mus par la foi dans le bouddha, animés par l'intention d'œuvrer à la libération de tous les êtres sensibles, lorsque vous réaliserez que la personne (c.à.d. « vous ») est vide, que vos actions sont vides et que leurs résultats quels qu'ils soient (au-delà du caractère positif ou négatif des apparences) sont vides également, établis dans l'équanimité libre d'attachement et d'aversion, vous ne serez plus affectés par l'ego dans « l'agir » des activités conventionnelles

Dans l'intervalle (qui peut être longue et laborieuse...), comment agir dans le « non-agir » de toute perspective égocentrée et égotiste ?

Avant l'éveil, coupe du bois et va chercher de l'eau. 

Après l'éveil, coupe du bois et va chercher de l'eau. 

Proverbe zen 

Sans réaliser la vacuité, nous serions dupes de croire que d'aucuns puissent œuvrer au bien des êtres de manière authentiquement désintéressée, surtout dans les activités de « développement (personnel) » du corps et de l'esprit. Sans cesser de croire en la « réalité du soi », c.à.d. sans nous être départis de l'illusion de sa « saisie », l'ego (mondain ou « spirituel ») est un piège car notre condition d'ignorance de notre nature véritable nous le fait oublier...

L'antidote à la colère est la patience, celui de l'orgueil est l'humilité. Pour contrer le risque de dérive, nous devons nous armer de la même motivation sincère à développer notre compassion et nous appuyer sur le même principe, la pratique de « l'échange de soi » avec l'autre. Ayons toujours à l'esprit que nous ne sommes qu'un instrument au service de quelque chose de « plus grand que soi ». Et là encore, il ne faut pas s'emballer, mais rester humble !

S'agissant des activités mondaines et plus particulièrement professionnelles « plus grand que soi » signifie l'organisation (le service, la direction, la société, l'entreprise ou l'administration) pour laquelle nous travaillons. Quelle que soit le travail à accomplir, l'importance de la tâche et les enjeux pour lesquels il s'agit de la mener à bien, nous devons nous placer dans la perspective d'agir comme un vecteur au service de ce qui est « plus grand que soi ».

En élargissant notre regard à une perspective plus large que l'étroitesse de notre personne, en embrassant l'horizon de nos actions (métiers), en prenant dès le départ le parti d'œuvrer à un travail d'équipe, dans un objectif de réussite commun visant de manière collective le bien des êtres, fort de la préoccupation de leur sort, nous nous détachons de la sorte de toute visée égotiste.

Ne pas s'impliquer personnellement (égoïstement afin de recevoir des lauriers et de nourrir l'orgueil) ne signifie pas « ne pas s'engager », comme se détacher de « ce qui arrive » (en entrant dans un « état d'équanimité libre d'attachement et d'aversion ») ne signifie pas être indifférent (étranger) aux choses et aux personnes, cela même (et surtout) dès lors que nous prenons conscience (sans en réaliser encore la « saisie directe ») de leur caractère d'apparence illusoire.

Être le canal d'action de ce qui est « plus grand que soi » n'est pas synonyme de soumission et n'interdit pas l'esprit critique. C'est une confusion de croire que devenir un instrument « au service » d'une cause - dès lors qu'elle est juste, ce dont nous devons être en capacité de pouvoir juger clairement - implique que nous devions renoncer à notre volonté et à notre libre-arbitre. C'est par choix que nous décidons d'agir « dans l'esprit » d'être utile au bien des êtres et adoptons une posture d'humilité de sorte à neutraliser l'ego.

D'aucun rétorquera qu'il ne peut y avoir de « sens » au travail s'il n'y pas d'investissement personnel si les efforts que nous produisons pour atteindre un objectif (légitime) ne sont pas récompensés à leur « juste valeur », encore plus s'ils sont contraints par une opposition incompréhensible (de notre hiérarchie). Le milieu professionnel peut facilement nous entraîner à alimenter le brasier des poisons des émotions si nous n'y prenons pas garde. Ce qui ne veut pas dire que nous devions renoncer à exprimer notre opposition, mais que nous devons ne pas en faire « une affaire personnelle » ! Œuvrer en conscience à « ce qui est plus grand que soi », c'est inscrire la recherche de la réalisation du non-soi de notre personne par le « non-agir » comme le sens du travail...


7 -

Je respire et j'observe l'épuisement des êtres aux souffrances du monde

Je respire avec contrôle et j'observe avec attention ma détresse et celle des êtres

Je respire et j'observe la fierté du méditant agissant spontanément par compassion

Nous consacrons une grande partie de notre vie à l'exercice d'un travail souvent usant tant sur le plan mental que physique. La pression accumulée sur le mental peut conduire à « l'épuisement professionnel ». Il suffit de comparer sa pratique de méditation à l'issue d'une journée de travail et en week-ends. Leur qualité varie d'un extrême à l'autre. Même avec une pratique régulière, si l'on parvient à inhiber les poisons des émotions et à se sentir apaisé après une heure de méditation, l'esprit s'électrise à nouveau dès la reprise du travail...

Il faut distinguer différentes formes « d'épuisement professionnel » : « direct », induit par un métier qui confronte au quotidien à la souffrance des autres et à sa propre impuissance (les professionnels de santé) ; « indirect », instillé par une hiérarchie qui reporte la pression par «ruissellement » du haut vers le bas ; « collatéral », qui provient des humeurs et énergies négatives des collègues de travail ; et « personnel », lié à la pression que l'on se met soi-même.

Leurs effets sont cumulatifs et tous procèdent d'un mécanisme de résonance (prolongée) à la douleur, à la nervosité (et au harcèlement) d'autrui qui entraîne une « fatigue empathique », contre laquelle « l'amour altruiste crée en nous un espace positif qui sert d'antidote à la détresse émotionnelle, et empêche la résonance affective de proliférer jusqu'à ce qu'elle devienne paralysante et engendre l'épuisement émotionnel caractéristique du burn-out[ii] ».

« L'épuisement professionnel » est un épuisement émotionnel qui, s'il rend une personne physiquement et mentalement « incapable d'agir », ne résulte pas de l'épuisement de ses ressources physiques, ni de ses facultés cognitives et intellectuelles qui seraient poussées à l'extrême de leurs possibilités.

Dans l'état de flow, c.à.d. de pilotage automatique » par le cerveau, les fonctions conscientes sont «mises en pose » et une personne peut aller au-delà que ce qu'elle croit possible physiquement et mentalement. Face à une situation ou à un problème compliqué (ce qui est souvent le cas dans le monde du travail, surtout en situation de crise...), nos décisions sont soumises à de nombreuses variables, à un manque de visibilité et une part d'incertitudes croissantes. Cependant, ce n'est pas l'usage d'une pensée « algorithmique » en constante redéfinition de ses schémas procéduraux qui est épuisant en soi.

La différence avec l'état de Flow ne provient pas non plus de la « préoccupation du moi ». Avant d'être physiques, intellectuelles ou cognitives, nos limites sont émotionnelles ! Nous sous-estimons la part véritable de nos émotions à notre comportement. Il est d'ailleurs d'autant plus curieux que nos émotions soient déterminantes de nos choix qu'elles bloquent l'usage de nos capacités. Si l'adrénaline booste nos réactions et nos capacités, la peur les inhibe, la colère les pervertit, la tristesse et la joie les détournent, etc.

Qu'est-ce qui fait que « l'agir » professionnel puisse être si épuisant et que l'esprit puisse s'électriser et obscurcir davantage ses voiles par cette activité ? 

Ou, pour reprendre notre méthode d'investigation, qu'est-ce que je fais pendant la méditation qui a pour effet de neutraliser les poisons des émotions et que je ne fais plus en post-méditation et qui a pour effet de les enflammer ?


Ce n'est pas de méditer en tant que « non-sujet » dans le « non-agir » de toute perspective égotiste et égocentrée qui s'inscrit dans l'optique de « quelque chose de plus grand » par pur équanimité libre détachement et d'aversion...

La méditation présente une dimension intentionnelle qui mobilise les forces de l'attention et de la vigilance, et se caractérise par un état de concentration « sur un point », c.à.d. sur un objet qu'il soit sensoriel comme la respiration ou mental comme la visualisation d'un objet ou d'une scène fictive. Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit à l'issue d'une méditation, vous remarquerez que les « déclencheurs » des poisons redeviennent effectifs dès que vous vous désunissez de l'état induit par la concentration, c.à.d. dès qu'un stimulus détourne votre attention et vous fait perdre votre calme.

Impassible pendant la méditation, vous réagissez avec impétuosité en post-méditation et alors que vos émotions étaient neutralisées, elles se réactivent et vous devez produire un effort de volonté plus important à mesure qu'elles vous électrise pour tenter de contrer leurs impulsions. Cet effort contribue à vous épuiser, mais ce n'est pas la cause principale. Si vous observez attentivement «ce qui se passe dans » l'esprit pendant une méditation, vous constaterez qu'il n'est en rien épuisant de maintenir votre concentration sur un seul et unique objet (et de vous y (re)concentrer constamment) !

En sa nature, l'esprit est « ce qui connaît », mais en sa condition karmique, il devient « ce qu'il perçoit ». Dans sa propension de « faire un » avec l'objet de sa connaissance - jusqu'à abolir toute différence entre le connaissant, le connu et le connaissable -, il se (con)fond avec les objets des sens et par une sollicitation excessive de stimuli jaillissant de directions multiples et contraires, finit par être submergé par l'épuisement émotionnel. La bonne nouvelle est que l'esprit est plus enclin à la concentration que nous le croyons !

Les événements qui se produisent dans le monde et dans nos vies sont de puissants catalyseurs de nos réactions émotionnelles. Plus la situation est à « entropie forte », plus elle impacte de personnes, à l'instar des catastrophes naturelles ou la pandémie de la COVID-19 et plus elles stimulent l'empathie (« contributeur volontaire ») ou l'indifférence (« non contributeurs ») ! En fait, ce ne sont là que des révélateurs de l'état de notre « continuum mental » à un moment donné de notre existence et de notre chemin spirituel...

Certes, les crises nous permettent de mesurer l'authenticité de notre motivation. En ces occasions, notre comportement témoigne de la considération que nous avons pour ce qui nous importe le plus, soi-même ou les autres. Pour autant, ne tenons pas rigueur à qui n'exprimerait pas d'empathie ou de sollicitude pour les souffrances d'autrui et n'agirait pas avec altruisme pour lui venir en aide. Les crises ne constituent pas le terreau du développement de la compassion.

Lorsqu'elle devient collective et nous affecte à des degrés divers, la souffrance des autres nous rappelle notre propre impermanence. Or, en même temps qu'elle rapproche les êtres, elle rend également palpable la finitude de notre condition ! Nos interactions se parent alors d'un caractère sensible (tel les réactions au port du masque...). Les circonstances sont dès lors autant propices à ce que la solidarité grandisse qu'à ce que l'antipathie augmente.

Et lorsque la peur stimule l'aversion, elle obscurcit les esprits et engendre des tensions croissantes entre individus. Sous l'empire de leurs conditionnements karmiques, certaines personnes auront ainsi plus naturellement tendances à se replier sur elles-mêmes plutôt qu'à se préoccuper du sort des autres.

Tandis que ceux dont l'esprit est plus clair œuvreront avec altruisme (chacun à sa manière et selon ses capacités) au secours de leurs semblables. Ce ne sont pas les situations qui sont déterminantes du type de nos réactions, mais notre état d'esprit. Celui dont l'esprit est profondément obscurcit par les voiles des poisons des émotions destructrices, bien qu'il n'ignore pas la souffrance des autres à sa vue ne réagit pas avec empathie ni ne ressent spontanément l'intention de lui venir en aide par altruisme.

Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous méditer, vous remarquerez que les pensées détournent votre attention dès lors que votre esprit s'obsède des préoccupations de « l'agir » mondain sous une perspective individualiste. Colère, désir, orgueil, jalousie, nous détournent et nous rendent indifférents au sort des autres sous l'enfer de nos souffrances. Ce qui est à l'intérieur est comme ce qui est à l'extérieur... Développer notre compassion passe d'abord par notre propre libération !

Dans la philosophie bouddhiste tibétaine, l'entraînement à la méditation vise à atteindre le « calme mental », qui est à la base du développement de la « vue pénétrante » visant elle-même à réaliser la vacuité des phénomènes et du soi de la personne, dont l'objectif s'inscrit dans l'intention du Mahāyāna. Au départ du chemin, le pratiquant bouddhiste n'est qu'un « être ordinaire », qui n'adopte pas spécifiquement la vie monastique. La « paix intérieure » que nous cultivons, pas à pas, par la pratique quotidienne de la méditation nous permet d'œuvrer dans « l'agir » mondain en neutralisant les poisons des émotions destructrices (c.à.d. en restant aussi « calme et détaché » que possible...).

Vouloir développer la compassion « pour elle-même » n'est pas une intention correctement posée. Chercher comment concilier notre état « d'être ordinaire » avec un comportement altruiste et compassionnel sans avoir totalement épuré nos voiles, ni réalisé la vacuité, ni être parfaitement établis dans une parfaite équanimité libre d'attachement et d'aversion, ainsi exprimée cette visée paraît surhumaine et hors de portée ! Simplement et humblement, astreignons-nous à une seule tâche, méditer ! Pratiquez, pratiquez et tout arrivera...

Écoutez le Dharma, réfléchissez aux enseignements du bouddha, expérimentez par vous-mêmes, intégrez leurs sagesses à votre cœur pour agir vertueusement sans nuire aux autres et, à mesure que votre état intérieur s'apaisera, que votre esprit se clarifiera, vous éprouverez spontanément de l'empathie pour le sort des autres, vous ressentirez l'impulsion spontanée du « non-agir » altruiste et l'intention d'œuvrer au bien des êtres avec compassion.

Chacun de vos actes et chacune de vos pratiques du corps, de la parole et de l'esprit doivent être accomplis dans l'intention d'aider l'infinité des êtres animés. Dès lors que cette aspiration est entièrement altruiste et dépourvue de toute croyance au soi, la perfection naît d'elle-même ACC-210

Aider vous remplira de joie pour ceux qui souffrent de solitude, d'angoisse ou se sentent abandonnés. Vous ne pouvez pas encore aider les êtres comme les bouddhas, mais vous pouvez prendre sur vous une partie de leur souffrance par la pratique du tonglen dans l'action, c.à.d. en supportant la charge de leurs souffrances dans le « non-agir » de l'ego. Détaché de toute entrave égotiste (tel le pratiquant vajrayana se visualisant déité d'invocation) vous éprouverez alors la «fierté humble » d'être une source de bénédiction pour autrui.

Méditez ! La méditation apaise l'esprit.

Méditez ! Le calme mental induit l'essor de la compassion spontanée.

Méditez ! A mesure que vos voiles se dissiperont, vous réaliserez que les apparences «ennemies » sont des chances de transformer la souffrance en bénédiction sur la voie de l'Éveil.

Quand vous serez paisible par nature, ce sera le signe d'une parfaite assimilation de l'étude du Dharma, et quand vous serez libéré des émotions perturbatrices, celui d'une parfaite intégration de la méditation ACC-79

Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།



Références :

ACC : Au cœur de la compassion, commentaire des 37 pratiques des bodhisattvas Dilgo Khyensté https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/154-au-coeur-de-la-compassion-ebook-format-pdf-9782916915814.html?search_query=Au+coeur+de+la+compassion&results=34 

BC : Bodhicaryāvatāra, Shantidéva https://archive.org/details/lamarchelalumi00sant?q=Bodhicary%C4%81vat%C4%81ra 

CDC : Conseils du cœur, Dalaï Lama

DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html 

LOOP : Je suis une boucle étrange, Douglas Hofstadter https://www.decitre.fr/livres/je-suis-une-boucle-etrange-9782100702114.html 

PREAS : Le puissant remède qui éradique l'attachement au soi https://www.padmakara.com/fr/editions-padmakara/259-le-puissant-remede-qui-eradique-l-attachement-au-soi-9782370411051.html 

VVM : Versets de la voie du Milieu, Nagarjuna https://btr2010.files.wordpress.com/2014/04/versets-du-milieu-nagarjuna.pdf  


 [1] https://www.facebook.com/photo/?fbid=798791290940044&set=gm.717526308835446 

[1] https://www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/ian-mcewan-un-de-elements-les-plus-important-de-la-creativite-cest-lhesitation-0 

[1] Au cœur du cerveau - Suis-je maître de moi-même ? https://www.youtube.com/watch?v=AO13T4hIIr4 

[1] https://theconversation.com/le-libre-arbitre-entre-einstein-et-heisenberg-143032 

[1] De l'empathie à la compassion dans un laboratoire de neurosciences https://info-buddhism.com/Empathy-Compassion-Neuroscience-Ricard-Altruism.html