I.77 – L’esprit et le monde
Le plus important dans la méditation... c'est ce qui se passe après ! Dans le miroir de l'attention vigilante, ce qui se produit dans l'esprit reflète ce qui se passe dans le monde. Lorsqu'elle révèle que les apparences sont notre esprit, la méditation propage dans l'agir mondain, le calme et la sagesse compatissante du non-agir.
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000793-ec12dec12f/abstraction_fractal6.jpg?ph=bc4d23e248)
La méditation est un entraînement et un nettoyage. La méditation purifie les voiles de l'esprit, non pas en tant qu'elle élimine directement les impuretés accumulées par les actes du corps, de la parole et de l'esprit (de cette vie et d'autres vies), mais en tant qu'elle nous permet de clarifier notre « vue » par l'intégration des enseignements du Dharma.
En appliquant la « force du regret » (et les trois autres forces spécifiques), nous controns le karman négatif de nos actes passés de sorte à ce que leur fruits ne viennent pas à éclore, et lorsque nous méditons avec une intention authentique dans « l'esprit du Dharma », nous rendons pur et vertueux l'esprit de nos actes en devenir.
- « L'esprit d'Éveil » (bodhicitta) a deux niveaux :
- relatif, qui s'appuie sur nos capacités de conceptualisation, d'analyse et de compréhension, où méditer (se « familiariser » au sens tibétain) constitue un processus « analytique » basé sur l'écoute et la réflexion ;
- et absolu (ultime), celui de la « saisie directe » qui est une réalisation spirituelle dans laquelle la méditation culmine en «expérience essentialiste ».
- « L'esprit d'Éveil relatif » a lui-même deux aspects :
- l'intention, de vouloir amener tous les êtres à l'Éveil ;
- et l'action, l'entraînement aux fins de post-méditation, visant la réalisation proprement dite de la bodhicitta.
Le visible et le tangible sont à la base de l'impalpable et du profond.
Pour méditer dans les meilleures conditions lorsque nous débutons, nous devons préparer le lieu de telle sorte à ce que l'apaisement extérieur induise le calme intérieur. Pour développer « l'esprit d'Éveil relatif », nous devons préparer notre esprit par la « prise de refuge » et l'aspiration à l'Éveil, en procédant d'abord au développement analytique de la « confiance éclairée » dans le Dharma, par l'écoute et la réflexion de la philosophie des enseignements, qui mène à son tour à l'émergence de la foi dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha.
L'intention de développer « l'esprit d'Éveil » est le souhait compatissant d'aider tous les êtres sensibles et migrateurs (prisonniers du cycle des existences conditionnées) à se libérer de leurs souffrances. « Puisque les êtres sont innombrables, le fait de souhaiter leur bonheur apporte un bienfait sans limite » AEC-42. Cette recherche de « bienfaits » n'est pas égotiste. Le bodhisattva œuvre dans la visée ultime du bonheur des autres. Ce qui est égoïste, c'est de vouloir aider certains et non pas tous sur la base de critères subjectifs qui reflètent l'emprise des poisons de l'aversion et du désir-attachement - dans l'oubli que nos actes ne sont pas le reflet de notre nature véritable -. « Où que s'étende l'espace, des êtres existent et vivent dans la souffrance. Pourquoi faire des distinctions (...) écarter les uns pour s'attacher aux autres ? » AEC-42.
Du point de vue relatif, nous devons évaluer l'idée de l'importance des autres au regard de la bonté qu'ils nous témoignent, ce malgré leur condition existentielle dans les tourments sans fin du samsāra, puis la mettre en pratique pour mûrir notre compassion jusqu'à ce qu'elle devienne «bodhicitta en intention ».
Ces deux niveaux, relatif (de conceptualisation) et absolu (de réalisation), se retrouvent dans les deux aspects de « l'esprit d'Éveil relatif » : la (sagesse qui réalise la) vacuité ; et la compassion. «Lorsqu'on s'engage dans la pratique de la bodhicitta relative, on a recours à l'esprit ordinaire et conceptuel... ». La réflexion est la porte. La clé qui permet de l'ouvrir est « au-delà du par-delà » de tout concept et de toute conceptualisation, « ... une fois la bodhicitta relative menée à sa perfection, la bodhicitta absolue, sagesse de la Vue pénétrante, réalisation de l'absence de moi, apparaît d'elle-même » AEC-31.
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000796-d7d33d7d35/profond.jpg?ph=bc4d23e248)
Pour saisir le profond, il nous faut embrasser le vaste.
Or, pour l'esprit en son état « ordinaire », la vacuité ne peut se percevoir directement ni la compassion s'éprouver spontanément, c'est pourquoi, la « vue du relatif » prépare à l'ultime, l'analytique prépare à l'expérientiel, la méditation prépare à la post-méditation. Pour pouvoir saisir la vacuité dans et à travers le monde, il nous faut d'abord saisir la vacuité via « ce qui se produit » au sein de notre esprit, par son observation attentionnelle et vigilante pendant la méditation.
- Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » le monde en projetant sur lui un regard analytique, vous remarquerez que comprendre la vacuité, c'est concevoir que tout « phénomène composé » n'existe :
- en son aspect qu'en raison de conditions impermanentes, qui ne persistent que le temps que perdurent ces mêmes conditions ;
- en sa nature, que du fait que ces conditions sont des combinaisons de causes interdépendantes ;
- et en son essence, que parce que ces dernières sont vides de « réalité en soi ».
Pour le comprendre, il s'agit d'une part de discerner le caractère projectif des apparences, fruits de notre esprit voilé (en usant de métaphores et d'analogies comme la goutte d'eau dans une jarre, le colibri et la cascade, « le chat de Schrödinger », etc.) et d'autre part de considérer la souffrance comme relative à notre point de vue subjectif et à la croyance en la réalité de notre existence.
Nous croyons que les phénomènes possèdent des propriétés qui leur sont propres et qui caractérisent une réalité en soi. Or, la forme, les couleurs, la durée d'un arc-en-ciel sont relatives à des conditions extrêmement sensibles et volatiles. En comparaison, les montagnes nous paraissent immuables, comme si elles existaient depuis toujours. Ce n'est toutefois qu'une question de point de vue. A l'échelle du temps de l'univers, la formation et le devenir de la chaîne de l'Himalaya sont aussi fugaces que celles d'un arc-en-ciel après la pluie.
Transposer cette « vue de l'éphémère » aux phénomènes nous familiarise avec l'idée de «conditionnalité » de l'existence de toutes choses (objets inanimés, êtres sensibles, y compris nous-mêmes en tant que combinaison d'agrégats physiques et psychiques) ainsi que celle des événements.
- Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » le monde avec un regard introspectif, vous remarquerez que le développement de la « vision pénétrante » constitue une mise en expérience de la méditation analytique.
- « Méditer la vacuité en action », c'est à travers l'expérience quotidienne adopter un « point de vue relatif » sur ce que nous appelons le « réel », jusqu'à saisir directement que les phénomènes et les événements n'ont d'existence qu'en termes d'apparences qui sont les fruits de notre esprit.
Il ne s'agit pas, uniquement, de contempler une montagne millénaire comme s'il s'agissait d'une bougie qui se consume en quelques heures, de regarder le sol comme s'il s'agissait de la surface vaporeuse d'une goutte de rosée, de voir les murs de nos maisons comme s'ils étaient fait de la membrane vaporeuse d'une bulle de savon ou de ressentir notre corps comme aussi éthéré qu'un nuage. Il ne s'agit pas, seulement, d'embrasser ce qui paraît immuable comme fugitif, d'appréhender ce qui paraît solide comme inconstant, d'empoigner ce qui paraît tangible comme impalpable ou de saisir ce qui paraît réel comme une illusion...
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000797-184f6184f8/bulle.jpg?ph=bc4d23e248)
Concevoir l'apparence des phénomènes telles les projections de notre esprit ne leur retire pas leurs propriétés, ne nous permet pas de traverser les murs ou de ne pas être brûlé par les rayons du soleil ! Voir les événements comme des bénédictions ne transforme pas la douleur d'une blessure en douce caresse ou une maladie incurable en une démangeaison passagère !
Concevoir intellectuellement la vacuité ce n'est pas la réaliser, mais en faire l'expérience n'est pas non plus synonyme de « remplacer » le faux par le vrai, le laid par le beau, le mal par le bien. La «sagesse qui réalise la vacuité » induit un état d'équanimité (reflet de la clarté de l'esprit épuré de ses voiles cognitifs et émotionnels) face à « ce qui se produit », qui confère aux choses une «saveur unique » libre d'attachement et d'aversion.
En termes « ultime », tout est vide qu'il s'agisse de la goutte d'eau qui s'évapore au contact du sol surchauffé, de la jarre qui se remplit et déborde sous une pluie battante, du porteur de la jarre et, y compris, de la nature de l'intention qui le conduit à vouloir la remplir pour son bien et/ou pour celui des autres...
Tout participe de tout ! En focalisant notre attention sur le sujet et l'objet, nous occultons, par effet de réductionnisme, l'interdépendance des causes à l'origine des phénomènes et sous l'emprise des poisons nous portons un jugement de valeur sur les événements qui déforme notre perception.
Adopter un « point de vue pénétrant » sur la vacuité des phénomènes, ce n'est pas seulement s'appliquer à une observation analytique d'un objet en particulier, c'est adopter une vision globale. Il ne s'agit pas simplement de regarder la goutte d'eau qui s'évapore et de s'interroger sur les conditions de sa causalité, mais aussi de saisir la conditionnalité de tout ce qui l'entoure !
Ce renversement de perspective est tel le passage d'une vision « en relief » à une vision « en creux». Il s'agit de voir et la goutte d'eau et la jarre et le climat et le pays et la saison, sous le « point de vue pénétrant » qui révèle leur aspect conditionnés sous lequel l'ainsité des éléments (l'eau, le feu, la terre, l'air, l'espace) et de tout ce qu'ils composent (les rayons du soleil, l'argile de la jarre, l'air que l'on respire, l'espace où l'on se meut, etc.) est « vide d'essence » !
- Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » le monde en portant sur lui un regard fin (relatif au niveau de votre analyse) et global (relatif à son caractère interdépendant), vous remarquerez qu'il est impossible de délimiter une quelconque «frontière » entre les choses qui soit discriminante d'une nature propre et d'une essence fondamentale ! « Quand on ne perçoit que des myriades de particules, le monde devient dépourvu de frontières (...) découper l'univers en zones bordées de frontières spatio-temporelles macroscopiques infranchissables n'a aucun sens » LOOP-58.
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000798-7c79c7c79e/vaste.jpg?ph=bc4d23e248)
Puisque cette « perceptive globale » s'avère insuffisante, il nous faut « passer au-delà » et englober le vaste, c.à.d. non seulement « ce qui est » mais « ce qui pourrait être » et « ce qui pourrait avoir été », soit embrasser l'ensemble du champ des possibles. Il s'agit de voir et les conditions qui font que la goutte d'eau s'évapore lors d'une période de sécheresse caniculaire et les conditions qui font que l'eau déborde de la jarre en période de mousson.
Nous souffrons du chaud comme du froid. Sous un soleil de plomb ou sous une pluie battante, nous croyons qu'elles sont bien « réelles » comme semblent en témoigner leurs effets sur notre corps. Et en termes météorologiques, il est en effet possible de distinguer les deux événements isolément. Du point de vue de notre échelle de réalité, le sol et les murs de nos maisons semblent solides, mais à regarder de très près, ils se révèlent composés de vide (et au niveau quantique, l'existence de particules au sein de ce « vide » est probabiliste !
Tout phénomène paraît exister de manière déterminée... pour un observateur au regard de son référentiel d'observation. Mais, au sein du référentiel de l'objet considéré, les conditions qui caractérisent son existence révèlent d'une illusion. Au sein d'un référentiel en mouvement le mouvement disparaît...
- Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » le monde en portant sur lui un regard vaste, vous remarquerez que lorsque vous tentez de remonter la chaîne de causalités combinées qui origine les phénomènes, leur enchevêtrement se révèle si étroitement intriqué qu'un changement même infime et subreptice de leurs conditions peut entraîner des formes totalement différentes de manifestation !
Rappelons-nous « ce qui se passe dans » la méditation lorsque nous observons attentivement le flot des pensées fugitives qui surgissent et disparaissent tels des éclairs dans un ciel d'orage. Les pensées (pré)existent-elles à un niveau infra-conscient duquel elles émergent par « effet de seuil » ou l'instant où une pensée semble entrer et l'instant où elle semble sortir de notre «champ de conscience » coïncident-ils avec son apparition et sa disparition (à l'instar de la création/destruction des « particules virtuelles » dans le vide quantique) ?
Il nous est impossible de le dire, car il nous est impossible (en l'état ordinaire de nos facultés) de remonter leur origine. Nous ne pouvons que suivre les pensées et nous laisser embarquer dans leurs divagations imaginaires. Dans certains cas, lorsqu'une pensée s'impose avec force sur l'écran de notre conscience mentale, nous identifions immédiatement et clairement ce qui l'a déclenché. Est-ce pour autant-là son origine ? Rien n'est moins sûr. Pour le savoir, il nous faudrait connaître précisément quels mécanismes neuronaux, subconscients et karmiques entrent en jeu pour produire telle pensée à un tel moment particulier (ou alors est-ce le moment qui devient particulier du fait d'une pensée ?).
Notre ignorance des raisons et de l'origine véritable pour lesquelles les pensées surgissent font paraître leur flux chaotique et incohérent. « Ce qui se produit dans » le monde présente toutefois le même caractère désordonné et incongru. Le matraquage médiatique du COVID-19 fait paraître surréaliste un événement dont le caractère sordide fait subitement l'actualité, tel l'assassinat terroriste sanglant d'un enseignant près de Paris. En apparence, ces événements n'ont pas plus de point commun que les pensées surgissant pendant la méditation...
Le karman n'est en rien collectif, mais vu que tous les « êtres migrateurs » sont prisonniers du samsāra et agissent de manière similaire en raison des voiles qui recouvrent leurs esprits et de la mécanique des poisons qui les meuvent, il n'est pas surprenant que des actes nuisibles accomplis dans des vies passées par des personnes distinctes et sans liens entre elles puissent produire un résultat qui coïncide sur une grande échelle comme la pandémie de 2020.
Selon la causalité karmique, toute action produit un résultat de même nature. La différence tient dans la gravité de l'acte et dans le déclencheur du « fruit », mais dans le principe si nous attentons à la vie d'autrui, notre existence (actuelle ou future) en sera pareillement affectée. « Les souffrances que vous endurerez alors seront l'inéluctable conséquence de vos actes nuisibles passés » ACC-83.
Si les conditions de la « rétribution » karmique diffèrent d'une personne à l'autre relativement aux circonstances et à l'élément « déclencheur », la conditionnalité de la cause à l'effet est infaillible. « Il n'existe aucun acte qui disparaîtrait sans laisser de trace. L'empreinte créée par une action négative, le fait de tuer, ne s'effacera jamais tant que vous n'en aurez pas éprouvé les conséquences inévitables ou ne l'aurez pas annulée avec l'antidote approprié » ACC-103.
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000799-465e4465e6/lightpainting.jpg?ph=bc4d23e248)
L'autre point commun entre ces événements qui se télescopent dans l'actualité est la vacuité du «tueur », qu'il soit silencieux (la maladie) ou hystérique (le fanatique) !
Si vous approfondissez votre analyse de la situation, vous verrez que l'agressé, l'agresseur et l'agression sont totalement dépourvus d'existence propre. Qui donc irait se mettre en colère contre des illusions ? Comprenez que tout cela est comparable à l'immensité vide de l'espace ACC-174
Bien que l'on puisse prendre la mesure de la sagesse de ses paroles, en l'état actuel de notre condition (spirituelle) « d'être ordinaire » et sous le coup de l'émotion provoquée par la mort d'un proche ou d'un inconnu, survenant d'une maladie et encore plus par le meurtre, il est difficile d'entendre un tel discours pour qui n'a pas réalisé la vacuité et n'en à pas même une idée approximative !
La philosophie n'est pas destinée à être pratiquée en vase close, hors de portée du fracas de l'impermanence. Comme les moines bouddhistes qui méditent à « la croisée des chemins » pour travailler leur détachement, les événements nous confrontent, individuellement et collectivement, à l'application dans l'agir mondain des questionnements philosophiques vastes et profonds du Dharma.
L'enseignement a l'action pour finalité ! La médiation analytique vise la réalisation (expérientielle) de la vacuité, même si pour réaliser sa « saisie directe », elle implique la souffrance. Le Bouddha Sakyamuni résidait en « terre pure » et avait atteint l'Éveil avant sa dernière incarnation. Mais, nul ne peut devenir Bouddha sans naître ni souffrir d'innombrables tourments dans le samsāra. Si, quelle qu'en soit la forme, « vous parvenez à accepter patiemment le mal qu'on vous inflige, nombre de vos propres actions négatives passées s'en trouveront purifiées, et vous accumulerez mérites et sagesse » ACC-174.
La souffrance est une lumière dans la nuit de l'ignorance. Mais, nos yeux n'étant pas habitués à son éclat, son jaillissement nous aveugle ! Cela (personne ou événement) « qui apparemment vous nuit accomplit en vérité un acte d'une grande bonté et agit en véritable "ami spirituel". En témoignage de votre gratitude, dédiez-lui l'ensemble de vos mérites » ACC-174.
Porter sur le monde un regard (analytique) « vaste et profond », nous permet de mettre en perspective les phénomènes et les conditions de leur survenue. En adoptant une « vision en creux», les phénomènes cessent de nous apparaître comme possédant une nature en soi, qu'une «vision en relief » nous fait croire exister indépendamment, jusqu'en leur essence, de la relativité qui les origine.
« Voir en creux », c'est ne plus voir la goutte d'eau isolément comme si ses propriétés lui appartenaient « en propre » et qu'elle existât « par elle-même », immuable en sa nature et permanente de par son essence. « Voir en creux », c'est percevoir les conditions (combinées et temporaires) qui entraînent l'apparition et la disparition de ces phénomènes dont nous recouvrons « l'apparence relativiste » du caractère de dénominations conceptuelles.
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000800-a9526a9528/escalier.jpg?ph=bc4d23e248)
- Si vous vous entraînez avec l'attention et la vigilance développées pendant la méditation de « calme mental » à considérer (intellectuellement) en périodes de post-méditation tous les phénomènes comme « subordonnés à des causes », vous en viendrez progressivement à ne plus voir le monde en termes « d'objet » mais de « conditions ». Et à force de patience, vous réussirez à voir l'eau, la jarre et celui qui la remplit, de même que l'agressé, l'agresseur et l'agression, comme l'immensité vide de l'espace.
En extrapolant le développement de cette vision à tous
les phénomènes, il est possible d'appréhender ce que cela fait de
« saisir » la vacuité (de voir l'existence conditionnelle de
toutes choses, du moindre brin d'herbe au soleil en passant par notre corps) comme le produit d'un jeu de causes et
d'effets oscillant dans l'espace impermanent entre le possible et le contingent...
Le regard ordinaire avec lequel nous regardons le monde et les apparences que nous renvoient sa représentation (qui nous font croire que les choses possèdent par elles-mêmes un caractère tangible, solide, concret, durable à notre échelle de réalité et relativement à notre référentiel d'observation) font apparaître « en relief » le produit « en creux » de la conjonction d'une multitudes de causes et de conditions entrelacées. Sous la vue de la vacuité, la vie, la conscience, l'esprit se révèlent tissés de « fils » d'événements et de circonstances, eux-mêmes composés de « fibres » de causes et de conditions...
Parmi ces fils, certains sont plus « nécessaires » que d'autres à la survenue d'un phénomène. La formation d'une goutte d'eau et son évaporation sont le résultat de phénomènes relevant de l'ordre « physique ». Si une seule condition à cette alchimie vient à manquer ou à faire défaut, le phénomène ne se produira pas. « Les apparences sont notre esprit » ne signifie pas que ce que nous désignons par « réalité » soit d'essence idéaliste.
Le monde existe en tant que résultat de la conjonction de « chaînes de causes » et de conditions combinées. Ce sont les aspects qu'il revêt qui sont la projection de notre esprit, dont la vue est, elle-même, conditionnée par des voiles tissés par les émotions perturbatrices et le karman accumulés dans nos vies passées.
Les « poisons » sont l'intrus ! Réaliser la vacuité, c'est s'établir dans un état d'équanimité libre d'attachement et d'aversion face à « ce qui se produit ». Les situations et les circonstances nous apparaissent positives ou négatives, constitutives d'obstacles et de souffrances, seulement parce que notre esprit est recouvert des voiles tissés de l'ignorance et des autres poisons.
La goutte de rosée qui se dépose sur une feuille au petit matin, la bulle d'air qui se forme à la surface de l'eau d'une mare, le nuage qui zèbre le ciel, l'éclair qui le déchire pendant l'orage, l'arc-en-ciel au sortir de la pluie, le mirage qui se forme sous l'effet de la chaleur dans le désert, tout phénomène résulte de la conjonction impermanente de causes et de conditions interdépendantes. L'ordre surgit spontanément du chaos, naît des fluctuations constantes du «champ des possibles » dont l'ainsité est vide d'en-soi.
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000801-b4f1ab4f1c/rosee.jpg?ph=bc4d23e248)
Tout est le produit de causes, impermanentes, interdépendantes et vides.
L'état de Bouddha est le produit de causes : le développement de « l'esprit d'Éveil » ; la « prise de refuge » ; la foi dans le Bouddha ; la « confiance éclairée » dans le Dharma ; l'intégration des enseignements par la «méditation analytique » ; le développement du « calme mental » ; l'attention et la vigilance à «l'écoute »...
Tout dans l'univers émerge de causes y compris la finalité qui le transcende en ce quelque chose «de plus grand que soi » dans l'intention de la réalisation (ontologique) de laquelle s'inscrivent les êtres sensibles en prenant conscience que l'issue à la souffrance ne réside pas dans le samsāra et que le bonheur ultime ne peut être obtenu par la recherche de la satisfaction du « moi ».
L'esprit est le produit de causes. En sa « claire lumière », les conjonctions qui l'originent sont constitutives de la connaissance profonde de la nature véritable des choses, abstraite de toute dualité entre sujet et objet. Mais, en son aspect voilé par la « saisie du soi », déformé par la croyance en la réalité du « soi de la personne », l'esprit est comme l'eau agitée de turbulences, chaos de pensées désordonnées, impulsées par les poisons et souillées d'ignorance.
C'est pourquoi, réaliser la vacuité des phénomènes n'est pas suffisant pour abolir les souffrances du samsāra. Les textes sacrés des enseignements bouddhistes contiennent de nombreux exemples où des bodhisattvas font don de tout ou partie de leur corps par pur amour et compassion. Dans une vie antérieure, le Bouddha Sakyamuni se livra en pâture à une tigresse dont les petits mourraient de faim et Dharmarakshita (Serlingpa, maître spirituel d'Atisha) trancha un morceau de chair de sa cuisse pour la donner à un malade. « A cette époque, Dharmarakshita n'avait pas encore réalisé la vacuité et sa blessure le faisait horriblement souffrir. Cette nuit-là, il rêva (...) et reçu la bénédiction de Tchenrézi qui lui dit : C'est pour le bien des êtres qu'il nous faut accomplir pareilles actions de Bodhisattva (...) Lorsqu'il se réveilla, il avait réalisé la nature de la vacuité : complètement guéri, il ne ressentait plus aucune douleur » AEC-33.
Comment la vacuité peut-elle amener à la cessation de la souffrance ? Est-ce parce que réaliser la vacuité est au-delà concept que le bâton est vide, que le coup porté est vide, que celui qui le reçoit et celui qui le donne sont vides (de corps et l'esprit) que comprendre la vacuité ne suffit pas à nous protéger de la douleur, de la sensation de froid (arctique !) qui règne dans les monastères du Bhoutan ou du ressenti glacial du vent qui balaie le sommet du Pike Peak ?
Nous souffrons (de l'idée) de la sensation du froid, de (l'idée) de la sensation de la faim, de la douleur, parce que nous les croyons « réelles », car nous croyons que notre corps et notre esprit eux-mêmes sont « réels » (dotés d'un Soi propre et autonome) !
Cet attachement à l'ego n'a pourtant jamais eu de fondement ; on s'accroche à ce moi, bien qu'en fait il n'y ait rien à quoi s'accrocher AEC-67
- Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » le monde en adoptant un point de vue pénétrant sur ce « phénomène qu'est le soi de la personne », vous remarquerez que la conscience que vous avez de « ce qui (vous) arrive » n'existe qu'en interdépendance de causes extérieures (physiques) et intérieures (la phénoménologie de votre représentation mentale). Or, rien de tout cela n'a « d'en-soi » ! Ni les événements, ni votre esprit qui les perçoit, ni la vue subjective sous l'angle égocentré duquel vous croyez les vivre à la «première personne » et qui vous fait dire : «moi », « mien », « mon » !
- Réaliser la vacuité, ce n'est pas ne plus souffrir de « ce qui se produit », c'est ne plus souffrir de croire en l'ego dont la vue erronée origine toutes nos souffrances ! Le véritable refuge est l'Éveil et pour le réaliser, il nous faut développer la sagesse qui réalise la vue de la vacuité des phénomènes, mais également de la vacuité du soi de la personne.
La vraie cause de notre douleur est notre attachement à l'ego et non l'action de celui qui nous frappe AEC-67
La « réalisation spirituelle » de la vacuité naît de la « familiarisation » de l'esprit avec le concept de vacuité appliqué à nous-mêmes, jusqu'à ce que se produise le basculement de l'analytique à l'expérientiel (du relatif à l'ultime), c.à.d. jusqu'à ce que le « point de vue pénétrant » développé pendant la méditation sur « le phénomène qu'est le soi de la personne » se transmute en «saisissement direct » du non-soi en périodes de post-méditation. « Lorsque l'attachement au moi apparaît, alors qu'il n'est encore qu'une pensée, nous devrions essayer de voir de quoi il retourne : « Cet ego est-il tangible, est-ce une chose ? Se trouve-t-il à l'intérieur de moi, à l'extérieur ? » AEC-70.
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000802-5153451536/anneau.jpg?ph=bc4d23e248)
Quand nous ne voyons pas de cause logique à « ce qui se produit », au sein de l'esprit ou dans le monde, pourquoi nous attacher malgré tout et avec tant de persistance à vouloir absolument leur en trouver une ? Notre désir-attachement à vouloir trouver une cause aux choses ne finit-il pas par leur en conférer une ?
- Si vous observez attentivement « ce qui se passe dans » l'esprit lorsque vous méditez, vous remarquerez qu'alors même que les pensées qui surgissent et disparaissent, en intermittence ou en un flux, sont chaotiques et fugitives, au point de rendre impossible de saisir tout lien apparent, en vous y accrochant sciemment, une « raison d'être » finit par émerger comme si elle semblait leur appartenir en propre et constituer la cause de votre envoûtement !
Que nous soyons conscients ou incapable de le discriminer ne change rien au fait que « tout est issu de causes ». La question n'est donc pas de savoir si le flux disparate et désordonné de nos pensées possède ou non une origine, mais si celle que nous leur « trouvons » est leur vraie cause ou une invention de notre imaginaire corrompu par les voiles qui recouvrent notre esprit?
Nous croyons généralement savoir pourquoi telle ou telle pensée nous obsède jusque dans la méditation, et nous empêche de trouver le calme... Peut-être parce qu'elle reflète le problème qui nous préoccupe, dans lequel nous sommes empêtrés sans visibilité d'une issue, parfois jusqu'au comble du désespoir ? Mes pensées reflètent mes souffrances. Leurs origines sont profondes et façonnent ma vue de sorte à me faire voir « ce qui se produit » comme si le monde et les autres étaient animés d'intentions nuisibles envers « moi » alors qu'ils ne sont que le reflet d'une «réalité fantasmée » par l'ego.
Que nous soyons mû par la recherche d'une cause à toutes choses et que nous trouvions l'appui de la philosophie du bouddhisme pour en soutenir l'idée ne doit pas occulter le fait que toute cause est interdépendante et impermanente, c.à.d. que l'essence de tout phénomène, y compris l'esprit, est vacuité !
Quand en nous se lève la colère, demandons-nous si cette colère est partie intégrante de l'ennemi ou si elle se trouve en nous-mêmes. Et s'il existe des sentiments tels que la colère et l'attachement, ont-ils une forme ou une couleur ?
Quand on ne peut rien trouver, à quoi donc s'attache-t-on avec tant de persistance ? AEC-70
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000686-a7064a7066/train3.jpg?ph=bc4d23e248)
Quand depuis la fenêtre d'un train nous croyons qu'il démarre alors que c'est le train d'à côté, quand en voyant un tourbillon dans l'eau nous croyons qu'il existe par lui-même, quand de l'observation du flot tumultueux des pensées pendant la méditation nous croyons voir émerger un schéma qui se précise à mesure du développement d'un scénario affabulé, tout cela est « vide » et pourtant que ne nous attachons-nous pas avec force et obstination à le croire « réel » !
En persistant à ressentir la colère, nous ne faisons que la nourrir. En persistant dans l'idée que «notre » ennemi en est la cause, nous ne faisons que renforcer la croyance dans le « moi ». En persistant à rechercher la satisfaction de l'ego, nous alimentons sans fin nos souffrances. Regardons la colère comme une perturbation vide, notre ennemi comme un trouble vide, l'ego comme une hallucination vide. « Toutes les difficultés qu'il nous a fallu endurer trouvent leur origine dans quelque chose qui n'a jamais existé ! Alors, dès qu'apparaît l'attachement à l'ego, nous devons nous en débarrasser sur-le-champ et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l'empêcher de réapparaître » AEC-70.
En adoptant un point de vue « pénétrant », il nous est possible de saisir que les phénomènes sont «vides de réalité en soi », mais nous devons également réaliser que l'observateur lui-même est vide ! Vous contemplez un ciel parsemé de nuages et, à vos yeux, ce spectacle semble bien « réel». Pourtant, si vous examinez attentivement ces phénomènes, vous verrez que les nuages, le ciel et l'air sont vides, sous toutes leurs formes et à toutes les échelles...
En persévérant dans l'analyse de l'observation de l'esprit pendant la méditation, vous découvrirez que l'esprit est aussi « vide d'en-soi » que les pensées qui le traversent sont vide de substance ! «Vous pouvez découvrir si l'esprit est une entité existante ou non simplement en vous tournant vers l'intérieur et en réfléchissant soigneusement... ». En adoptant un point de vue en « creux » plutôt qu'en « relief », vous verrez que l'esprit est purement conditionnel (produit de causes interdépendantes et de conditions impermanentes[k1] ).
Lorsque vous tournerez votre esprit vers l'intérieur pour qu'il se regarde lui-même, vous prendrez conscience qu'il est, lui aussi, dépourvu d'existence réelle, que ce soit dans le passé, le futur ou le présent. La nature de l'esprit est aussi inconsistante que l'espace ACC-127
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000803-9c1de9c1e0/vapeur.jpg?ph=bc4d23e248)
Vous pensez que l'esprit
« doit » exister en propre sous une forme entitaire
autonome et immuable (le Soi du Védanta), qu'il ne peut pas ne pas être
car l'observation des pensées implique un «observateur » de ses
pensées... Saint Augustin croyait qu'il devait nécessairement y avoir
une «cause première » aux choses et qu'elle devait être
« absolue » sans quoi rien ne pourrait en découler - ce en quoi il
cru voir une preuve de l'existence de Dieu -. Sans avoir réalisé la vacuité,
difficile de concevoir que « la chaîne des origines combinées »
puisse ne pas avoir de commencement ! En persévérant, « ...vous verrez que l'esprit n'a pas de
commencement, pas de fin, qu'il ne réside nulle part, n'a ni couleur, ni forme,
ne peut être trouvé ni à l'intérieur ni à l'extérieur du corps » AEC-47.
Cherchez l'observateur et vous ne trouverez nulle part une « entité existante » par elle-même, spectateur du « théâtre cartésien de la conscience »[i]. Remonter point par point la chaîne des conditions à partir desquelles surgissent un oasis dans un désert brûlant et vous ne trouverez qu'un mirage ! Remonter pas à pas, de l'observation à l'observateur, et vous ne trouverez à la base de la « saisie du soi » qu'une illusion à la croyance de laquelle vous inférez un caractère « réel ».
Maille par maille décousez « l'étoffe du rêve dont nous sommes faits » et vous ne trouverez que le fil dont est tissée la toile. Or, le fil ne s'arrête pas au métier, le tisserand fait également partie intégrante de l'ouvrage ! Leurs « existences » sont enchevêtrées, l'une ne peut advenir sans l'autre. Elles s'interpénètrent et se prolongent l'une dans l'autre sans distinction ni frontière, comme la notion de limite entre les corps au niveau atomique n'existe pas, car elle ne fait pas sens !
Il serait illogique que les phénomènes soient « vides » et que l'esprit ne le soit pas ! Pourquoi ou à quel « statut » particulier devrait-il de ne pas l'être ? Quel sentiment (de « supériorité » induit par la croyance en l'ego ?) nous fait-il arguer que l'esprit doive être « à part », qu'il ne soit pas lui-même «vide d'en-soi » ?
S'il n'y a pas de soi, Comment ce qui appartient au soi pourrait-il exister ?
Tout ce qui vient à l'existence en dépendance d'autre chose
N'est ni identique à cette chose, ni différent d'elle,
Et n'est donc ni non-existant, ni permanent.
Ni identité, ni diversité, ni non-existence, ni permanence,
Voici le sublime enseignement ! VVM-61
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000804-976f3976f6/toile.jpg?ph=bc4d23e248)
Réaliser la vacuité des phénomènes, c'est conjointement réaliser la vacuité du « soi de la personne» (du reflet, du miroir et de ce qui s'y reflète) - par-delà l'état de « réalisé solitaire » du Hīnayāna libéré de ses voiles émotionnels, mais encore emprunt de l'illusion relativiste de l'observateur -. La vacuité est la clé qui permet de déverrouiller notre vue, voilée par l'hallucination de la croyance en l'existence entitaire du « soi de la personne », et de nous établir dans la « vue juste » de la connaissance de notre véritable nature.
S'ensuit que nos vies ne sont pas séparées en leur aspect de l'aspect de notre esprit. «Comprenons que toutes nos expériences ne sont que le fruit des bonnes et mauvaises actions que nous avons commises dans le passé » AEC-70. Elles ne sont ni le fait du hasard ni celui d'une volonté extérieure (encore moins transcendante) ! Les choses qui (m')arrivent (à moi), les événements auxquels je suis confronté, les obstacles sur mon chemin sont la conséquence de mon karman (c.à.d. de la croyance dans le « moi » de ma personne à l'origine des souffrances du samsara), mais elles constituent également une bénédiction me permettant de réaliser le caractère halluciné de cette croyance et de me libérer de son emprise, « afin de repousser le fauteur de troubles qu'est l'attachement à l'ego, dès qu'il se montre, appliquons l'antidote de la vacuité » AEC-71.
L'antidote à l'ego commence par agir curativement sur les objets des sens à travers la prise de conscience qu'ils sont « vide d'en-soi » (sans caractéristiques propres). Puis, son action thérapeutique s'étend à la phénoménologie de nos pensées pour en démontrer la contingence causale. Et enfin, ses vertus soignantes s'attachent à dissiper l'hallucination du « moi ».
Pour réaliser la vacuité, il nous faut prendre conscience de l'origine de nos souffrances. Le patient qui a foi dans son médecin, connaît la cause de sa maladie et sait qu'il existe un remède, pourquoi refuserait-il de le prendre ? Et dés lors qu'ayant réalisé la vacuité l'on a plus ni aversion ni ennemi ne voudrait-on pas que tous les êtres soient, eux aussi, libérés de l'illusion qui origine leurs souffrances ? « Lorsqu'il sera vaincu [l'attachement à l'ego], il sera impossible de ne pas prendre soin des autres plus que de nous-mêmes » AEC-71.
En effet, la sagesse qui réalise la vacuité ne qualifie pas à elle seule « l'esprit d'Éveil ». Celui-ci procède également du développement de la compassion sans laquelle il n'est pas possible d'atteindre l'état de Bouddha.
Méditer sur la vacuité sans la compassion n'est pas la voie du Grand Véhicule ; méditer sur la compassion sans comprendre la vacuité, ne l'est pas davantage. Vacuité et compassion doivent être toutes deux présentes et en parfaite union AEC-31
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000805-1bd321bd34/tunnel-4.jpg?ph=bc4d23e248)
Parce que nous sommes persuadés de posséder un soi « réel » et croyons que nos actes ont un effet concret sur autrui - c.à.d. « causalement » susceptible de déclencher les « fruits » de son karman -, nous éprouvons de la haine envers celui qui nous fait du mal ou qui fait du mal à nos proches. Nous voulons que cette personne soit punie et qu'elle souffre autant que nous souffrons. Lorsque nous aurons réalisé que l'agressé, l'agresseur et l'agression sont dépourvus d'existence propre, nous ne pourrons éprouver qu'une profonde compassion envers ceux dont l'ignorance les pousse à agir de manière nuisible envers les êtres sensibles et qui se condamnent à souffrir du poids de leurs actes !
Toutefois, nous n'en sommes (peut-être) pas encore au stade d'avoir développé la foi dans le Dharma et ne pouvons (même) pas nous fiers à notre « confiance éclairée » dans les enseignements pour inférer ce lien de causalité. Aussi, de la même manière que nous nous entraînons, avec attention et vigilance, patience et persévérance, à adopter une « perspective pénétrante » sur le monde, les autres et nous-mêmes, jusqu'à ce qu'elle se transforme en expérience directe, nous devons nous familiariser (par l'entraînement) avec la « vue » qui fait naître la compassion universelle pour tous les êtres sensibles sans exception.
L'on ne peut réaliser la « saisie directe » de la vacuité sans l'avoir d'abord conceptualisée, s'être familiarisé avec son idée, entraîné à appréhender sa compréhension à travers le monde et « ce qui se produit », c.à.d. en adoptant un « point de vue pénétrant » sur les choses et soi-même. Comme l'on ne peut éprouver la compassion, spontanée et authentique, pour tous les êtres par le seul fait de notre volonté, avant de commencer la pratique des tantras, il nous faut écouter, réfléchir et méditer les enseignements des sutras.
La méditation permet de développer et d'inscrire dans le « continuum de l'esprit » des qualités (« calme mental », équanimité, « esprit d'Éveil ») dont nous pourrons en post-méditation faire bénéficier les êtres sensibles des fruits vertueux.
Mais comment nous familiariser avec la compassion par la méditation de sorte à pouvoir ensuite l'étendre à nos relations aux autres dans l'agir du quotidien ?
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000806-44f3544f37/relief_creux.jpg?ph=bc4d23e248)
D'abord, il nous faut comprendre que ni la vacuité ni la compassion ne nous sont radicalement étrangères. « L'esprit d'Éveil », ce n'est pas la mécanique quantique, aux antipodes de nos facultés de cognition, façonnée à une « échelle de réalité » où les lois relativistes n'ont pas cours (ce qui ne constitue d'ailleurs pas une limite infranchissable à notre compréhension...).
Nous sommes familiers de « l'impermanence » y compris s'agissant de notre propre existence et n'ignorons pas « l'interdépendance » des phénomènes ni ce que nous devons aux autres, même si nous préférons la plupart du temps l'occulter et nous réfugier dans le déni de notre finitude et dans la recherche de la satisfaction égotiste du « moi ». Saisir la vacuité ne relève pas d'une aptitude inédite, mais de l'effort persévérant pour éclaircir notre vision juste des choses.
Si la compassion au sens bouddhiste est le « souhait que tous les êtres soient libérés de leurs souffrances » - et l'amour celui que « tous les êtres trouvent le bonheur » -, elles ne sont pas des habiletés qui s'obtiendraient par la force de l'entraînement. L'élément important dans ces définitions est le terme « tous ».
Hormis cas particulier, telle l'incapacité psychopathique (innée) de ressentir des sentiments, nous éprouvons de l'empathie à la vue d'une personne qui souffre, souhaitons lui venir en aide par altruisme et sommes donc compatissant (à des degrés divers). Mais, nous ne les ressentons pas de la même manière envers tous les êtres : notre empathie est instinctive ; notre altruisme conditionnel ; notre compassion relative à ce que l'autre représente pour nous ! «
Puisque l'Éveil dépend des autres, nous devons ressentir pour eux une grande reconnaissance et encore plus pour nos ennemis que pour nos amis AEC-72
« Développer la compassion » dans l'esprit de la philosophie bouddhiste (dans l'optique du développement de la bodhicitta), ce n'est pas faire émerger une nouvelle capacité, c'est faire mûrir la disposition naturelle de notre nature véritable (essence de Bouddha ou Tathāgatagarbha) sans distinction ni exception envers « l'ensemble de tous » les êtres sensibles.
« L'esprit d'Éveil » est une émancipation consistant dans l'épuration des voiles qui recouvre notre esprit et nous empêchent d'exprimer notre nature profonde. Pour ne pas faire de distinction en termes de compassion envers les êtres, il faut nous détacher de l'ego, en nous libérant des émotions perturbatrices qui nous font voir les autres comme antipathiques ou comme nos «ennemis » sous l'égide de la saisie hallucinée de la réalité du soi de notre personne.
Afin de nous libérer de cette croyance erronée, à la source de toutes nos souffrances, le seul moyen est de développer la sagesse (« qui réalise la vue ») de la vacuité conjointement au développement de la compassion, « nous devons, pour chasser le démon de l'attachement à l'ego, méditer sur la bodhicitta en essayant de nous établir dans la Vue de la vacuité » AEC-70.
Il va s'en dire qu'en réduisant les occasions de manifester notre amour envers les autres, d'agir avec altruisme et une profonde compassion envers eux, nous en restreignons d'autant la capacité d'exprimer de l'autocompassion... De ce fait, nous portons préjudice à autrui autant qu'à nous-mêmes !
Au regard de la loi du karman, « ce que j'endure de la part des autres vient de mon mauvais karma... ». Lorsqu'une souffrance survient, il est trop tard pour l'en empêcher et il n'y a rien d'autre à faire que d'endurer la « rétribution ». Les autres ne sont pas responsables de mes souffrances. A tout le moins, ils ne sont que les « déclencheurs » (opportunistes) des « fruits » de mon karman. Conservons toujours à l'esprit que nos souffrances sont le moyen d'épurer les négativités que nous avons accumulé par nos actes non vertueux dans le passé. Toutefois, le choix nous appartient de la manière d'y réagir...
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000807-ae3dfae3e1/volcan.jpg?ph=bc4d23e248)
Il n'appartient qu'à nous de ne pas faire d'un événement « douloureux » qui (nous) arrive une source de souffrance future pour nous-mêmes (et pour les autres) en réagissant par la colère, l'aversion ou la haine, qui nous entraîneraient à agir de manière nuisible. Pour cela, commençons par considérer que tout ce que nous endurons en cette vie, sous quelque origine et forme que ce soit (humaine ou accidentelle) vient de notre mauvais karman.
Un obstacle ne constitue pas en lui-même une rétribution karmique, mais notre manière d'y réagir reflète les tendances karmiques profondes qui nous poussent à reproduire les mêmes erreurs, cause infinie de souffrances. Enrayons toute forme d'insatisfaction et de déception dans nos réactions aux comportements des autres, car elles sont le terreau de l'aversion et de la colère[ii] et inversons-en la perspective. Plutôt que de réagir négativement à ce qui va à l'encontre de nos désirs égoïstes et de nos attentes passionnelles, considérons ces derniers comme la véritable origine de nos souffrances. Apprenons à être « satisfaits de l'insatisfaction », car elle est l'opportunité de trouver en nous la cause du véritable bonheur.
Il s'ensuit également que nos réactions à « ce qui (nous) arrive » sont la cause de souffrances pour les autres. «... A cause [de l'aveuglement] de mes propres actions négatives, [celui que, par affabulation égotiste, je vois comme] mon ennemi [en réponse à mon comportement à son égard, par insatisfaction ou déception de mes attentes personnelles] me fait du mal et accumule à son tour du mauvais karma dont il devra faire l'expérience plus tard... ».
Je ne suis peut-être pas responsable de la manière dans les autres réagissent, mais en étant indifférent envers « ce qui (leur) arrive (à eux) », je les prive des bienfaits potentiels que leur aurait valu une réaction tolérante, compréhensive, altruiste et compatissante de ma part ! « ... A cause de moi, cet être a souffert par le passé et souffrira certainement dans le futur » AEC-73.
Nous devrions toujours répondre à autrui par le geste de la « main tendue »... sans dédain, rejet ou violence, mais avec amour, altruisme et compassion.
Comment faire pour que la compassion, qui ne s'éveille par habitude qu'à proportion de la souffrance qui enflamme notre empathie pour ceux qui nous sont proches, puisse s'exprimer «envers tous » spontanément ?
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000795-e951ae951c/guitare.jpg?ph=bc4d23e248)
Pour qu'un instrument de musique produise des notes justes, il faut l'accorder. Sans cette opération indispensable, il est hautement improbable (quelle que soit l'habileté de l'artisan) qu'un instrument puisse émettre des notes exactes dès sa première utilisation. Ce n'est peut-être qu'une simple question de réglage (pour l'instrument), mais elle est essentielle pour contrer l'entropie. A l'instar, bien que notre nature soit celle de bouddha, c.à.d. que « l'instrument » de notre esprit soit capable de produire des ondes d'amour et de compassion, il doit également être « ajusté » de la bonne manière, sur la « longueur d'onde » des (cinq) sagesses et non pas sur celles de leurs passions opposées et destructrices.
Accorder un instrument de musique, c'est aligner sa fréquence de vibration jusqu'à ce que le son émis se superpose parfaitement à une note précise, ce qui implique le choix d'une valeur de référence (le « la du diapason »). Ainsi, pour débuter la pratique de « l'échange de soi avec l'autre » (tonglen), à la base du développement de la compassion, il faut nous accorder avec empathie sur une personne choisie pour sa grande bonté, son affection et son amour envers nous, notre mère ou la personne qui nous est la plus chère - les pratiques bouddhistes tantriques procèdent du même principe, accorder les qualités de notre esprit sur les qualités de « déités » de visualisation de sorte à nous imprégner des vertus des bouddhas jusqu'à ce que notre « continuum de conscience » les reflètent lui-même naturellement et spontanément -.
Tant que nous n'aurons pas épuré notre esprit de ses impuretés, et donc que nous n'aurons pas atteints la sérénité que confère le détachement d'avec l'ego par le développement de la vue de la vacuité du « soi de la personne », nous serons aveuglés par nos émotions qui feront barrage à notre empathie. Songez à une personne envers laquelle vous éprouvez de l'antipathie, vos griefs et votre ressentiment vous permettent-ils de ressentir de la compassion pour elle ? Même si vous la savez malade, il se peut que vous considérer sa souffrance comme la conséquence de son comportement (encore plus s'il est toxique !).
Mais, si nous nous-mêmes sommes malades, notre empathie nous établira dans un état d'esprit qui nous rapprochera naturellement des autres, alors même que nous n'aurions peut-être pas fait la paix avec autrui ni même réalisé que l'agressé, l'agresseur et l'agression sont vides ! La vacuité nous aide à nous libérer de nos « démons intérieurs » (les émotions perturbatrices), mais pour véritablement appréhender le « point de vue de l'autre », le moyen le plus direct est la compassion.
Est-il toutefois réellement possible de comprendre « ce que cela fait d'être l'autre » par l'entremise du « ressenti empathique » ?
Nous pouvons comprendre l'autre « très précisément ». Le médecin établit son diagnostic en regard des symptômes et de l'histoire de son patient (qui éclaire la solution), de même que le psychologue évalue son état mental et affectif. Mais, comprendre n'est pas connaître. Aussi circonstanciées que soit l'analyse et la compréhension de l'état du corps et de l'esprit d'une personne, elles ne peuvent nous donner la connaissance de « ce que cela fait » d'être cette personne, car sa phénoménologie mentale et le ressenti de sa douleur sont incommunicables.
Quoique ce ne soit qu'une question de perspective... Il est en effet possible de stimuler l'aire cérébrale correspondant à une partie du corps et d'émuler une « douleur fantôme » dans la zone concernée sans stimulus local ! Mais, même si nous comprenons l'autre, connaître ce que cela fait d'éprouver ce qu'il éprouve est insaisissable. Dans la souffrance, il y a la spécificité d'une expérience personnelle qui façonne notre point de vue sur le monde, les autres et sur nous-mêmes, relative à notre perspective et qui n'est pas substitutive d'un point de vue tiers.
Comment pourrais-je comparer mon expérience à celles de l'autre si celle-ci la remplace ? La connaissance profonde de l'altérité semble donc bien irréductible. Mais, est-il véritablement nécessaire de connaître l'autre pour éprouver de la compassion ?
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000794-b66f1b66f3/mirror-therapy.jpg?ph=bc4d23e248)
Mise au point par le docteur Ramachandran[iii] afin de soulager les douleurs des « membres fantômes » - ressenties en l'absence d'un membre amputé ! - la « thérapie du miroir » témoigne du fonctionnement étonnant du cerveau. « Une boîte à deux compartiments, séparés par un miroir. Le patient glisse son bras sain dans l'un et le membre amputé dans l'autre. Grâce au miroir, le patient voit ses deux bras intègres. S'il bouge le membre sain, il a la sensation que c'est le bras amputé qui effectue le mouvement » CP-CF.
La douleur n'est pas une sensation physique localisée à l'endroit du corps où nous la ressentons, c'est la manière que le cerveau a développé de concevoir les atteintes physiques du corps et de nous alerter des dangers qui menacent son intégrité. « La douleur, comme toute autre sensation corporelle, est un événement mental dont le siège se situe dans le cerveau » CP-FF.
Organe constitutif du « système nerveux central », le cerveau est informé en permanence par des flux constants de stimuli en provenance de toutes les parties de l'organisme, mais la « conscience » de la douleur est un artifice qui nous fait croire que la douleur est là où nous la ressentons ! La « sensation » du corps est une notion abstraite de sa perception. Sentez-vous votre corps lorsque vous n'y prêtez pas attention ou n'y pensez pas ?
Ce corps que nous percevons à travers chaque souffle, dont nous éprouvons la force ou la faiblesse à travers chaque mouvement, dont nous ressentons la fragilité à travers chaque douleur, ce corps n'est qu'une représentation ! « Ce corps tel que nous le ressentons dans notre vie mentale, c'est ce que Merleau-Ponty appelle le "corps propre". Le corps où nous situons nos sensations n'est pas le corps anatomique, mais le corps tel que nous nous le représentons mentalement. Or le corps anatomique et le corps propre ne coïncident pas forcément : ils ne partagent pas toujours les mêmes frontières » CP-FF.
L'information provient du corps anatomique (un objet physique distant et différencié du cerveau, bardé de capteurs sensitifs), mais la perception résulte d'un processus de « représentation interne » dont la cognition revêt un aspect « conscient » via l'émulation du corps propre. Ce mécanisme rend possible de ressentir un membre absent comme s'il était présent. En théorie, il est possible de simuler la sensation complète du corps entier en l'absence de tout substrat anatomique (cf. l'expérience philosophique du cerveau dans une cuve ») ! Dit autrement, isolé dans sa « boite noire » du monde extérieur, le cerveau ne fait pas de différence entre la « visualisation » et l'action.
C'est une caractéristique de l'illusion de la « saisie du soi ». Lorsque je parle de mon « corps », je fais référence à une « réalité anatomique » dont je pense faire l'expérience sensorielle directe. En vérité, c'est à travers une représentation interne simulée que je fais l'expérience « corporelle » du monde comme si je la vivais véritablement !
D'après la perception de nos sens, l'univers extérieur - terre, pierres, montagnes, rochers et falaises - semble permanent et stable comme une maison en béton armé sensée durer des générations. Mais il n'y a rien de solide dans tout cela, ce n'est rien d'autre qu'un royaume sur lequel on régnerait le temps d'un rêve AEC-44
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000808-ab122ab124/creux.jpg?ph=bc4d23e248)
Ce n'est pas nier le rôle et l'importance du corps anatomique (encore moins son existence) à de multiples niveaux et formes d'interactions que d'affirmer le caractère « déporté » de notre expérience corporelle, mais cela relativise au combien notre regard ! Quelle vanité peut-il y avoir en effet à persister, pour notre plus grande souffrance, à nous attacher à une chose « vide d'en-soi » ?
Certes, le cerveau ne bâtit pas une représentation du corps propre à partir de rien - bien que certaines « douleurs fantômes » semblent imaginaires, produits de l'interprétation de ce que le cerveau « conçoit » comme étant la douleur en l'absence de stimulus local (à l'instar de la pensée qui conçoit un objet en l'absence d'objet...) -. Le corps anatomique n'est pas une fiction et c'est à partir des informations sensitives (corporelles) qu'il transmet au cerveau que celui-ci élabore sa compréhension sensorielle (mentale) du corps et conséquemment du monde. « Cette sorte de neuromatrice est un réseau de connexions neuronales produit dans le cortex par les expériences corporelles » CP-FF.
Le cerveau construit la « représentation mentale » du corps propre à partir des expériences corporelles du corps anatomique, mais ne fait pas différence entre elles ! Pour le cerveau, visualiser une action et la réaliser, c'est la même chose ! Ce qui explique (pour partie) qu'une personne amputée puisse sentir à nouveau sa main absente et se libérer d'une « douleur d'un membre fantôme » grâce à la « thérapie du miroir » - et ressentir à travers l'image miroir sa main absente tout ce que ressent sa main intègre comme si elle l'éprouvait directement -.
Étant donné que pour le cerveau le corps est une « représentation » et que sur plan cérébral et cognitif « représenter » revient à « faire l'expérience », alors comprendre équivaut par le fait à connaître ! Ce que nous appelons le « vécu existentiel » (la connaissance expérientielle) est, du point de vue de la cognition consciente, indiscernable de l'expérience physique.
Il n'est donc pas nécessaire que la compréhension que nous ayons du monde, de notre corps et... des autres soit « parfaite ». Il importe seulement de ne plus distinguer la représentation de la connaissance, le représenté de « cela qui le représente »... C'est là l'élément clé, la faculté d'ajuster notre perspective jusqu'à ce que les choses nous apparaissent comme si !
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000810-bcdc7bcdca/prisme.jpg?ph=bc4d23e248)
Voyons cela comme s'il s'agissait d'un curseur sur une ligne. A une extrémité, une frontière apparaît qui forme une délimitation entre le corps anatomique et le corps propre, entre le stimulus sensitif et sa représentation mentale. A l'autre extrémité, cette frontière disparaît comme si elle n'était qu'un mirage ! La dualité est l'aspect de ce mouvement relativiste, qui devient manifeste lorsque la représentation mentale émule la cognition consciente de son objet.
L'esprit versus la matière, le cerveau versus l'esprit. Depuis toujours, les tenants du spiritualisme s'opposent aux partisans du matérialisme dans le différend philosophique de l'essence et de la substance, du transcendant et de la nature. La manière dont le cerveau bâtit une représentation du corps, peut être vue comme si elle consistait en une codification « des expériences corporelles en connexions neuronales » utilisant une forme de « langage » fait de symboles propres (bio-électro-chimiques...). Peut-on y voir une forme de « concepts » ou le terme est-il réservé aux processus évolués de la pensée ? La douleur est-elle une pensée ou comme si elle l'était ? La question similaire interroge la nature de la « réalité ». Les mathématiques sont un langage symbolique abstrait, mais la nature semble se comporter comme si elle était « d'essence » mathématique.
Voyons cela comme s'il s'agissait d'un mirage de chaleur sur une route qui nous donne l'illusion de se dédoubler à l'horizon. De notre point de vue, une dualité apparaît alors qu'au loin l'objet demeure inchangé. « Tel qu'il nous apparaît » en surface, c'est comme si le monde était fait de formes, de lignes, de couleurs, de propriétés autonomes, alors qu'en profondeur, c'est un nuage de probabilités !
La dualité est un effet de réductionnisme de notre vue. Selon que nous plaçons la focale sur le corps, nous cessons de voir l'esprit... A l'inverse, seul l'esprit semble exister lorsque nous occultons le corps !
Le Bouddhisme a toujours considéré l'esprit et le corps comme intimement reliés (...) il n'existe aucune division entre la pensée dans le cerveau, les émotions dans le cœur et les sensations dans le corps. Toutes sont considérées comme différentes fonctions de l'esprit (...) Les aspects de la conscience, c'est l'esprit [iv].
![](https://bc4d23e248.clvaw-cdnwnd.com/096f880f248939102d01de0b8e3692c9/200000809-54ecb54ecd/abstract.jpg?ph=bc4d23e248)
Voyons cela comme si nous étions dans un rêve dans lequel « les apparences sont notre esprit »... S'il n'y a de différence entre l'esprit et le corps, la pensée et la douleur que relativement au référentiel de l'observateur -comme si la douleur était « corporelle » du point de vue du corps anatomique, et comme si elle était « mentale » du point de vue du cerveau -, alors l'ordre du conceptuel ne se différencie pas de l'ordre de l'expérientiel.
Le passage de « l'au-delà du par-delà » (la Prajñāpāramitā qui caractérise le développement de «la sagesse qui réalise la vacuité ») ne constituerait donc pas un « saut quantique » entre la pensée pure (dialectique, usant d'une logique abstraite de tout support physique ou « matériel ») à l'expérientiel (la « saisie directe ») ! Elles ne sont pas deux, il ne faut pas en faire deux... La « vérité conventionnelle » n'est pas duelle de la « vérité ultime », elle est l'apparence que revêt la vacuité du fait de notre ignorance.
Comprendre n'est pas différent de connaître... tout dépend de là où l'on place le curseur, c.à.d. de la perspective que l'on adopte qui façonne la phénoménalité du référentiel de l'observateur - la «réalité » à l'échelle relativiste émerge de la « réalité » à l'échelle quantique alors que leurs lois diffèrent ! -.
- Le point essentiel, c'est que le même principe s'applique à la compassion et à la vacuité quant à la manière d'en développer et à celle d'en réaliser la sagesse, c.à.d. l'adoption d'une « vue conceptuelle » jusqu'à ce qu'elle se transforme en réalisation. Autrement dit, jusqu'à ce que toute dualité disparaisse par la « connaissance expérientielle » de la véritable nature des phénomènes dont l'altérité est « vide d'en-soi ».
Grâce à la perspective en « miroir (mental) » que nous permet l'empathie, nous pouvons extrapoler le ressentir de l'autre pour le comprendre comme si nous le connaissions. La pratique de «l'échange de soi avec les autres » se fait ainsi substitutive de notre perspective égocentrée axée sur la saisie erronée du « moi ». Au croisement de nos souffrances et de nos bonheurs, le tonglen gomme ainsi graduellement tout antagonisme avec les autres et nous (ré)unis à eux dans la dissipation de l'illusion de l'altérité (non pas de nos différences mais) de nos différends qui révèlent leur vacuité.
Voir les autres comme si tous avaient été nos mères, comme si nous avions vécu la douleur de notre propre enfantement, comme si nous ressentions leur inquiétude toutes les fois innombrables où elles ont été tourmentées de douleur par les soucis que nous leur avons causé, comme si nous étions transportés par le bonheur de leurs incomparables bontés, comme si nous éprouvions leurs souffrances enchaînées dans le samsāra par leur karman et les « démons » de leurs émotions destructrices... développent en nous la compassion pour leur souffrances et l'intention de leur venir en aide pour les en libérer.
Lorsque nous prenons véritablement conscience de ce que cela fait
que « d'être l'autre », lorsque l'expérience
que nous acquérons de son vécu et de ses souffrances nous submerge comme si
nous les éprouvions nous-mêmes à travers le défilé sans nombre de leurs vies, comme
si dans ces instants d'étroite communion où le savoir devient une expérience,
nous devenions « la somme de tous les autres », alors l'intention
spontanée de leur venir en aide s'élève, mue par une compassion authentique
envers tous sans exception.
Namasté
Tashi delek
བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།
Références :
ACC : Au cœur de la compassion, commentaire des 37 pratiques des bodhisattvas Dilgo Khyensté https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/154-au-coeur-de-la-compassion-ebook-format-pdf-9782916915814.html?search_query=Au+coeur+de+la+compassion&results=34
AEC : Audace et compassion Dilgo Khyentsé https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/160-audace-et-compassion-ebook-format-pdf-9782916915876.html?search_query=audace+et+compassion&results=28
CP-FF : Cerveau & psycho « les frontières floues du corps propre » https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/philosophie/les-frontieres-floues-du-corps-propre-6843.php
CP-CF : Cerveau & psycho « Chasseur de fantôme » https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/neurobiologie/vilayanur-ramachandran-chasseur-de-membres-fantomes-9775.php
DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html
LOOP : Je suis une boucle étrange, Douglas Hofstadter https://www.decitre.fr/livres/je-suis-une-boucle-etrange-9782100702114.html
VVM : Les versets du milieu, Nagarjuna https://btr2010.files.wordpress.com/2014/04/versets-du-milieu-nagarjuna.pdf
[1] https://therapiemiroir.com/notre-esprit-selon-le-dr-ramachandran/
[i] Voir Daniel Dennett, La conscience expliquée
[ii] https://www.youtube.com/watch?v=Zx24nIRBwg0
[iii] https://therapiemiroir.com/notre-esprit-selon-le-dr-ramachandran/
[iv] https://www.facebook.com/permalink.php? story_fbid=4623309421076473&id=656159144458207