I.80 – La Joie facteur de développement et d’Éveil
L'état d'esprit de la joie commune est conditionnée et impermanente. La Joie est l'état de l'esprit en équilibre méditatif, détaché des objets du désir et du monde de la forme, sur lequel les événements mondains des apparences conventionnelles n'ont nul effet d'obstacle, d'adversité et de souffrance.
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Une foule en colère, électrisée par le discours fantasmatique d'un manipulateur avide de pouvoir et haineux de défaite, envahit violemment le capitole, haut lieu symbolique de la démocratie américaine. Une incitation à l'insurrection qui fera cinq morts et signera le ridicule caricatural d'un mandat glaçant de dédain. Telle sera l'image que les livres d'histoire conserveront d'un président populiste et démagogue en proie à un égocentrique forcené, qui se hissa à la tête du pouvoir en devenant le « conteur-en-chef[i] » d'un peuple désabusé et désormais consterné, sans qu'aucun de ses actes ne libère quiconque de ses souffrances.
Face à une personne animée par un tel comportement narcissique que faire, qu'elle attitude adopter ? Comment contrer les agissements d'un ego si nuisible pour qui le sort de ceux qu'il prétend aimer et enivre de sermons mystificateurs n'est que le moyen de galvaniser leur hargne afin de les lancer à l'assaut d'ennemis qu'il considère comme responsables de « sa » défaite ?
Les mécanismes du populisme sont complexes, mais ils se nourrissent de la colère des personnes en souffrance qui se laissent séduire par leurs auteurs eux-mêmes aveuglés d'orgueil, capturés par une rhétorique de puissance et une apologie victimaire qui fait d'un bouc émissaire la cause de leur détresse et de leur désespoir, dont ils vont rechercher la défaite pour punir leur injustice.
Vouloir être libéré de ses souffrances et vouloir trouver le bonheur sont des fins légitimes et naturelles... qui n'autorisent nullement à nuire aux autres pour y parvenir ! Or, cela est inévitable si l'on considère que notre bonheur dépend de causes « extérieures » et réside dans la réussite et le succès de nos relations avec les autres (sociales, professionnelles, amoureuses, etc.).
Pour atteindre la Joie « vaste et profonde » du bonheur supra-mondain, doté des qualités incommensurables de l'équanimité, de la compassion, de l'amour et de la Joie, il faut comprendre sa nature véritable. Cultiver les conditions idoines pour accéder au bonheur supra-mondain (du nirvāna et de l'Éveil) procède de la réflexion, car avant d'être un ressenti, le bonheur véritable naît d'un état de l'esprit vertueux qui connaît et agit avec claire lucidité.
Tel que l'entend la philosophie bouddhiste tibétaine, le bonheur supra-mondain n'est ni la « bonne fortune », ni un événement propice à satisfaire nos désirs communs, ni un état « moral » qui coïnciderait avec l'accomplissement de nos aspirations mondaines. Croire que le bonheur nous est dû, que ne pas être heureux est une injustice et en cultiver de la rancune sont des vues erronées qui nous exposent aux manipulateurs toxiques, populistes et sectaires...
Pour le bouddhisme, la réalisation du bonheur véritable est en lien direct avec une intention vertueuse. Toutes actions (du corps, de la parole et de l'esprit) qui entraîne le regret, la culpabilité, des perturbations mentales et émotionnelles, du fait de son caractère nuisible, est cause de souffrance, c.à.d. que ses fruits karmiques revêtirons la même forme que l'acte négatif qui les a produit. Il n'y a rien de magique, le bouddhisme c'est logique !
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Le bonheur n'est pas une récompense ni la souffrance un châtiment. Il nous appartient de créer les conditions de notre bonheur. Il n'y a pas de « puissance supérieure » qui nous condamne à l'enfer d'avoir mal agi. L'enfer, c'est un état d'esprit en proie aux afflictions violentes résultantes de la violence que nous avons fait subir à autrui du fait de nos émotions empoisonnées. « L'enfer est un état de conscience (...) le monde des phénomènes n'est qu'esprit. Si la roue de l'activité imaginative est arrêtée, le jeu du samsāra l'est aussi » CT-140.
La situation humaine est suprême selon le bouddhisme. L'homme est son propre maître et il n'y a pas d'être plus élevé, ni de puissance qui siège, au-dessus de lui, en juge de sa destinée EB-WR-8
Là où un tribun populiste mystifie les foules
avec des discours qui alimentent la vindicte populaire de la haine de l'autre -
« Je connais votre souffrance. Je sais que vous avez mal », « C'est
incroyable, ce que nous avons à subir ! Nous ne l'accepterons plus[ii] »
- un être spirituellement réalisé tel que le Bouddha témoigne que le bonheur dépend
directement de notre attitude et de nos actes. « L'homme
a le pouvoir, par son effort personnel et son intelligence, de se libérer de
toute servitude (...) le Bouddha a découvert et indiqué le Sentier qui conduit à
la Libération. Mais c'est à nous de marcher sur le sentier » EB-WR-9.
Le bouddhisme s'adresse à notre intelligence et en appelle à notre « esprit critique » pour établir notre adhésion sur la base d'une réflexion méditée ouvrant sur une « confiance éclairée» - distincte des religions basées sur l'acception du caractère « absolu » d'une doctrine -. La réalisation de l'état de bouddha (« au-delà du par-delà » de toute conception) implique de dépasser y compris la doctrine bouddhiste du bonheur ! « Cette liberté de pensée permise par le Bouddha est nécessaire parce que l'émancipation de l'homme dépend de sa propre compréhension de la Vérité » EB-WR-9.
Le Bouddha Sakyamuni a montré la voie qui permet d'atteindre le nirvāna et l'Éveil en 84000 soutras comme antidotes aux « perturbations mentales », dont le nombre s'élève également... à 84000 ! Dans la philosophie bouddhiste tibétaine, l'intelligence est l'instrument de la transformation vaste et profonde de nos négativités en sagesses par la méditation analytique de la phénoménologie de l'esprit. « La modification ou la transformation des émotions s'obtient en utilisant l'étendue de nos capacités intellectuelles, le raisonnement ouvre la voie vers une cognition pertinente » PRAT.
Il s'agit de nous observer dans l'agir, d'analyser nos pensées, notre ressenti, nos réactions à « ce qui arrive » de façon neutre afin de mettre objectivement en lumière les désavantages d'un comportement nuisible pour soi et les autres en comparaison aux vertus d'une attitude bienveillante et altruiste. L'analyse de notre fonctionnement passionnel est opposé à l'examen rationnel des sagesses jusqu'au surgissement lucide de notre approbation. « La confiance se bâtit sur des conclusions élaborées par l'analyse. La sagesse réalisant l'impermanence est suscitée par l'analyse, comme la sagesse réalisant l'absence du soi » PRAT.
L'essentiel consiste à ne rien faire que l'on doive regretter par la suite ; voilà pourquoi nous devons nous observer en toute honnêteté.
Si, après un examen soigneux, nous pouvons joindre nos mains devant notre cœur et penser honnêtement que toutes nos actions sont justes, cela prouve que nous commençons à acquérir de l'expérience dans l'entraînement de l'esprit AEC-94
Peut alors s'ensuivre la « transposition phénoménologique » de cette cognition. L'enseignement des soutras vise à dépassionner nos émotions et à les transmuter en sagesses grâce (non pas à la « raison pure » mais) au « raisonnement méditatif », c.à.d. à passer du négatif au positif par le vecteur de l'abstraction conceptuelle, dont la conversion se fait « réalisation spirituelle ». «L'érudition est ici insuffisante, ce qu'il faut, c'est une mise en œuvre à un niveau de profonde conscience : la complète méditation » PRAT.
Sous la perspective karmique, tout ce qui nous arrive est un résultat de même nature que les actes que nous avons commis par le passé. Nous souffrons aujourd'hui d'être une victime du fait d'avoir été hier l'agresseur ! Et si nous nous retrouvons dans la position d'agresser à nouveau quelqu'un, c'est parce qu'ayant été antérieurement agressés, notre désir de vengeance envers ceux que nous considérons comme nos « ennemis » nous y conditionne. Le samsāra est une tragédie cyclique sans commencement ni fin...
Toutefois, tout le monde ne réagit pas de la même manière face à une situation donnée. Untel ne trouvera pas d'exécutoire à sa rancune et prolongera le cycle sans fin de ses souffrances, tandis qu'un autre y mettra un terme en accordant son pardon par amour et en concédant la victoire par compassion. La victime d'une rumeur développera de la rancœur la poussant à commettre un acte plus nuisible encore, tandis qu'une autre qui se retrouvera dans la position de se venger choisira de ne pas faire subir à autrui la souffrance qu'elle a endurée...
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Voir la souffrance chez les autres ne suffit pas (toujours) à faire naître en nous la compassion pour leur sort, il nous faut parfois la vivre dans notre propre chair ! « Prendre sur nous » la souffrance des êtres revient ainsi à faire l'expérience (introspective et tout aussi réelle) de ce que cela fait de souffrir de nos mauvaises actions.
Lorsque nous prenons la pleine mesure de cette souffrance, est-il seulement possible de souhaiter que, même, notre pire ennemi puisse en partager le sort ?
Il est essentiel de ne pas voir la souffrance comme une punition, mais de la saisir comme une opportunité de ne pas nuire aux êtres sensibles et d'agir vertueusement pour leur bonheur
Vouloir s'affranchir de la souffrance est le corollaire du désir d'être heureux. Mais tant que nous verrons dans la souffrance un état contre nature, nous n'en débusquerons jamais les causes [iii]
La vie nous offre de multiples occasions de nous confronter à l'adversité, même si les obstacles ne jonchent (heureusement) pas toujours notre route et que la souffrance n'est (heureusement) pas notre lot permanent. La souffrance n'en constitue pas moins une condition de libération de la souffrance ! Pourquoi voudrions-nous être libérés d'un monde sans maladie, ni guerre ni difficulté d'aucune sorte, dans lequel nous baignerions en permanence dans un bonheur, certes relatif mais, où tous nos désirs seraient exhaussés ?
Nous souhaitons être heureux, mais tant que nous demeurons dans l'inconnu de la nature véritable du bonheur, nous ne pouvons que nous faire souffrir en faisant du mal aux autres. Ce n'est pas que nous n'ayons pas d'autre choix. Aveuglés par nos émotions perturbatrices, « la saisie du soi» déterminant nos possibilités, nous ne savons pas comment faire autrement !
Mais, si la souffrance est la conséquence karmique de nos actes, comment peut-elle nous laisser le choix d'y réagir eut égard au conditionnement de notre esprit ?
Face à une situation qui semble ne nous laisser aucune « liberté de choix », aucune possibilité d'échappatoire (pas même une minuscule lueur d'espoir), nous éprouvons un sentiment de détresse qui peut se muer en désespoir. Nous ne souffrons pas de ne pas pouvoir agir librement - d'être contraints par la pandémie de COVID-19 à rester confinés -, mais de nous croire dépossédés de notre « libre-arbitre », condamnés à obéir tel des esclaves ou des robots sans âme ! « Si l'existence est relative, conditionnée et interdépendante, comment la volonté pourrait être libre ? Non seulement ce qui est appelé libre arbitre n'est pas libre mais l'idée même du libre arbitre n'est pas libre de conditions » EB-WR-38.
Que notre libre-arbitre soit conditionné ne signifie pas qu'il nous est impossible d'agir sur les déterminants (interdépendants) de sa causalité. Écouter et méditer l'enseignement du karman, nous permets ainsi de prendre conscience que nous avons la capacité d'influer, positivement, sur la conditionnalité de nos actes et leurs conséquences en adoptant, dès maintenant, l'intention d'atteindre l'Éveil pour le bien de tous les êtres sensibles, de sorte à nous donner la possibilité d'agir dans le futur de manière vertueuse.
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Fort de l'usage éclairé de notre raison par la méditation des enseignements de la philosophie bouddhiste tibétaine, nos actions deviennent l'opportunité de « choisir » de ne plus nous laisser ensorceler par les affabulations de l'ego et d'agir de manière non violente, altruiste et compassionnelle, afin de nous libérer de toute souffrance et de trouver le bonheur véritable. «Celui qui voit dukkha, voit aussi la naissance de dukkha ; la cessation de dukkha et le sentier qui conduit à la cessation de dukkha (...) Cette constatation ne rend pas du tout mélancolique ou désolée la vie d'un bouddhiste » EB-WR-29.
Un vrai bouddhiste est le plus heureux des êtres. Il n'a ni crainte ni anxiété. Il est toujours calme et serein. Ni les bouleversements, ni les calamités ne peuvent le troubler. Il voit les choses telles qu'elles sont EB-WR-29
La liberté n'est pas de choisir entre ce qui se présente à nous, mais de déterminer quels sont les choix qu'il nous est possible de faire ! Pour autant, si le libre-arbitre se limite à la détermination de choix mondains cela ne change rien à notre capacité de trouver le bonheur. Le vrai « libre-arbitre » est spirituel. C'est la capacité éclairée d'inclure parmi les choix auxquels nous serons confrontés demain celui du bonheur véritable (le seul à même de nous emplir de la Joie supra-mondaine à sa réalisation) comme la conséquence de notre attitude et de notre manière d'agir vertueuses d'aujourd'hui.
Cette Joie supra-mondaine ne reflète pas un dualisme opposant la définition du sens philosophique profond de dukkha « d'imperfection, d'impermanence, de conflit, de vide, de non-substantialité » EB-WR-21 à l'essence nouménale du bonheur véritable, soit un état contraire de «perfection, permanent, d'harmonie immuable, plein et substantiel » caractéristique d'une réalité en-soi !
Que la « souffrance commune » soit la forme superficielle de l'impermanence des phénomènes - qui avec l'interdépendance et la vacuité constituent leur « vérité ultime » - n'induit pas que le bonheur ordinaire est l'aspect extérieur du bonheur véritable. Ils ne sont pas deux... Tout ce qui est apparent est soumis à l'impermanence car composé d'agrégats interdépendants et vides. « Même les très purs états spirituels de recueillement (dhyâna), de bonheur sans mélange ; état de recueillement libéré de toute sensation agréable (sukha) ou désagréable (dukkha), qui n'est plus que sérénité et attention pure, sont compris dans dukkha (...) parce que tout ce qui est impermanent est dukkha » EB-WR-22.
Le « bonheur véritable » (du nirvāna et de l'Éveil) n'est pas l'opposé dualiste mais l'abolition complète et irréversible de toute souffrance. La Joie, faite de causes vertueuses, naît de la perspective « vaste et profonde » qu'éveille en nous le Dharma quant à la fin concevable du samsāra et à la libération de tous les êtres. C'est une « joie cognitive » qui résulte de l'étude, de la réflexion et de la méditation (l'intégration) des enseignements de la voie vers l'Éveil, et qui constitue l'antidote au désespoir car elle nous permets de lâcher-prise sur ses causes (le désir-attachement, l'aversion, l'ignorance...).
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Cet enthousiasme éclaire chaque pas du chemin spirituel et illumine l'aspiration à les lumières de l'étude (sutrā) : de la valeur de la « précieuse vie humaine » ; de l'essence de sagesse des enseignements ; de « l'effort Joyeux à pratiquer la vertu » AAM-6 ; et les lumières des pratiques (tantrā) : du bonheur au développement de la compassion en « prenant sur nous » les souffrances des êtres ; au développement de l'amour par le « don » de nos bonheurs ; à la « Joie incommensurable » à la vue du bonheur vertueux des autres, etc. Cette Joie trouve son origine dans la compréhension simple et lumineuse de la nature du « véritable bonheur », l'agir vertueux et le renoncement à la violence envers tous les êtres sensibles sans exception.
Ce corps est un navire en partance pour la libération,
Sinon, une ancre qui nous retient au samsara.
Ce corps est l'agent de nos actions
Positives autant que négatives AEC-15
La Joie naît de l'examen des avantages de la « précieuse vie humaine » et de la méditation sur les raisons grâce auxquelles nous bénéficions des « conditions favorables » pour recevoir et mettre en pratique le Dharma : qui sont les « huit libertés » - dont celle de ne pas être né dans un pays en guerre où dans une région que le Dharma n'atteint pas ; ne pas être atteint de déficience intellectuelle qui empêche son écoute et sa compréhension, etc. [iv] - ; et les « dix richesses » - dont celle d'être né en tant qu'humain et de posséder les capacités intellectuelles requises pour réaliser la cognition du Dharma, etc. -.
Ces libertés et richesses ne résultent pas de la chance (d'un tirage au sort aléatoire à la loterie de l'évolution), mais de nos mérites accumulés dans nos vies passées, comme résultats positifs de nos actes vertueux et de l'abandon de la violence, soit la preuve par les faits du raisonnement philosophique de la voie vers l'Éveil (et de notre liberté à déterminer notre « libre-arbitre »...).
Le Dharma est source de Joie. Au-delà du bonheur « ordinaire », temporaire et impermanent, source d'insatisfactions et d'afflictions qui entraînent les êtres migrateurs à s'enchaîner dans le samsāra, l'existence du bonheur supra-mondain est avérée par le Bouddha et accessible à chacun en déployant les efforts requis pour suivre le chemin qu'il nous a montré. « Le Bouddha attribua sa réalisation au seul effort et à la seule intelligence humaine. Chacun possède en lui-même la possibilité de le devenir, s'il le veut et en fait l'effort » EB-WR-8.
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La Joie qu'inspire le Dharma se nourrit du choix raisonné (éclairé par la confiance qui nait de l'étude savante à la compréhension et à la méditation analytique des enseignements) de cultiver l'esprit d'Éveil en intention et de développer, sans peur ni relâche, l'esprit d'Éveil en action.
Le développement de la bodhicitta - le processus de transmutation de la cognition en sagesse qui abouti au bonheur de la réalisation de notre nature véritable, l'état de Bouddha qui inclut le nirvāna - s'édifie ainsi dans la Joie. « Toutes les accumulations de mérites et toutes les actions de purification se trouvent réunies dans une seule pensée de bodhicitta. C'est pourquoi il faut pratiquer la bodhicitta avec une joie et un enthousiasme indéfectibles » AEC-112.
J'échangerai mon bonheur pour le Dharma, et du Dharma jaillira une source de bonheur qui, elle, sera inépuisable. Je ferai en sorte que pratique du Dharma et bonheur se soutiennent mutuellement LGU-46
« L'effort Joyeux » impulse la pratique bouddhiste de l'enthousiasme à écouter le Dharma, à en intégrer le sens par la méditation, à expérimenter les effets positifs des actions vertueuses, etc. L'effort joyeux éveille, soutient et constitue, le levain des paramitas (ou « vertus transcendantes ») dont il fait partie. « Toutes les qualités suivent l'effort joyeux (...) on ne pourra pas réaliser nos accumulations de mérites et d'intelligence sans lui » EVE-330.
La motivation du pratiquant repose sur l'intention conditionnée par la volonté d'être libéré de la souffrance (l'aspiration du Hīnayāna) ou, dès le début chemin, de trouver le véritable bonheur pour en faire bénéficier les autres (l'aspiration du Mahāyāna). Notre intelligence est l'instrument privilégié dont nous disposons pour juger avec objectivité et impartialité (comme le recommande le Bouddha), de la validité de l'argumentaire de la philosophie bouddhiste tibétaine sur le plan logique et pour en déterminer la pertinence en relation à notre propre existence.
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Toutefois, le seul examen intellectuel des enseignements, fut-il entrepris de manière rationnelle avec la plus grande attention au discernement de la vérité et la plus grande vigilance à l'impartialité de notre réflexion, ne saurait avaliser la logique du système de pensée bouddhique, ni entériner sa congruence à notre sort, sans en vérifier les effets vertueux sur notre continuum mental, c.à.d. sans les mesurer en termes de « réalisations spirituelles ».
Réaliser la vacuité ne se réduit pas à comprendre « intellectuellement » l'ainsité des phénomènes. La vacuité peut être appréhendée par notre intellect, mais elle n'est pas un objet de la pensée. Sa réalisation procède du passage du conventionnel à l'ultime par une cognition (prajñāpāramitā) dont la « saisie directe » par l'esprit est « au-delà du par-delà » de toute conceptualisation.
La connaissance transcendante consiste à réaliser que les phénomènes sont dénués d'existence propre (...) La réalisation du nirvāna relève de la sagesse éveillée et non de l'intellect ordinaire ou de l'esprit discursif ACC-248
Pour pouvoir la qualifier de « véritable », nous devons nous assurer que la Joie supra-mondaine nous protège (« telle une armure ») jusqu'au refuge ultime contre la souffrance, l'état de Bouddha. Pour cela, nous devons soumettre les enseignements à l'épreuve des faits, soit expérimenter les effets des actes vertueux sur notre phénoménologie mentale au cœur de l'adversité !
Le bouddhisme se distingue des religions parce qu'il n'implique pas de croire à une doctrine sans s'interroger. « Toute doctrine, produit de conceptions nées dans la sphère du relatif, est le fruit de l'imagination » CT-74. Le questionnement est précisément le vecteur par lequel jaillit la vérité. « La Doctrine des Bouddhas est, par excellence, l'instrument de la Délivrance par la Connaissance » CT-29.
Le Bouddha insista, particulièrement, pour ne pas le « croire sur parole » et pour cultiver un esprit critique (au sens positif du terme, non pas le « doute sceptique » qui relève de la catégorie des «cognitions invalides ») avec lequel il convient d'aborder les enseignements de sorte à développer la sagesse qui réalise la nature véritable des choses. « Tout comme on vérifie la qualité de l'or en le chauffant, le coupant et le frottant, acceptez mes paroles seulement après les avoir bien examinées et non par respect pour moi » AAM-8.
Une mise en garde qui repose sur le présupposé... de la croyance qu'il s'agit bien d'or, en regard duquel il convient de recourir aux procédés adéquats pour en « vérifier la qualité », non pour déterminer si telle est bien sa nature ! Vérifier les paroles du Bouddha vise à étayer notre «confiance éclairée par la raison » de sorte à développer la foi. Il ne s'agit pas de chercher à en valider le fondement à l'aide d'une démarche scientifique telle que celle basée sur le « principe de réfutabilité » de Karl Popper. « Toute vraie science nécessite des énoncés potentiellement réfutables. Par conséquent, un certain type de tests qui ne peut obéir, logiquement, qu'à des procédures visant à mettre à l'épreuve les théories. Sachant que ces procédures consistent en des tentatives de réfutation, elles aboutissent donc soit à une réfutation effective, soit à la corroboration[v] ».
Examiner la validité des enseignements a ses limites, relatives au cadre de notre existence lui-même déterminant des conditions de notre expérimentation. Il m'est aisé de vérifier par les faits la logique causale selon laquelle toutes mes souffrances découlent de mon désir-attachement et de mon aversion (ainsi que des poisons de l'orgueil, de la jalousie, etc.) qui m'instillent des « pensées conceptuelles » (ruminations) sources de perturbations et d'afflictions mentales.
En entraînant mon esprit à la méditation de concentration (« calme mental »), en mettant de côté ma personne pour me préoccuper du sort des autres, je peux vérifier qu'en relâchant la pression sur ce que je souhaite et sur ce que je crains de voir (m')arriver (à moi), c.à.d. en me détachant de l'espoir et de la peur (et en faisant preuve de patience !), progressivement mes ruminations mentales diminuent, mon esprit s'apaise et j'entre dans un état de paix intérieure durable.
Lorsque mes émotions perturbatrices se dissipent et que mon discernement s'éclaircit, il devient évident que mes souffrances proviennent « à leur racine » de la considération par trop importante que j'accorde à ma propre personne. A mesure que j'abandonne les désirs futiles et l'entêtement à servir l'ego, que je remets les choses en perspective pour repenser ce qui vraiment important, que je me désensibilise de l'insatisfaction et laisse glisser les peurs parasites, alors la pacification de mes réactions, la stabilisation de mon humeur, l'équilibre de mon état d'esprit, confirment peu à peu la pertinence des enseignements.
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Mais, s'agissant de réfuter le postulat selon lequel la racine des poisons est la saisie et la conception d'un soi
des phénomènes, réaliste et autonome, nos capacités d'expérimentation ne trouvent
pas là leurs limites rationnelles ?
La philosophie bouddhiste tibétaine infère que nous sommes mus par l'ego en raison du « voile d'ignorance » qui recouvre notre esprit et nous fait croire que nous possédons un « Soi » propre et indépendant (l'ātman du Yoga ou l'âme au sens chrétien du terme). Mais nous est-il possible d'en valider l'inférence ?
Il ne suffit pas de questionner la doctrine, il nous faut aussi interroger les capacités de notre «instrument de cognition » afin de déterminer s'il nous est possible de connaître la « vérité ». Car, ce n'est pas de comprendre une chose qui la rend vraie ! Pour démontrer l'irréfutabilité de sa logique, il faudrait que nous soyons, tel Kant ou Wittgenstein, parfaitement versés dans l'étude de la science du raisonnement de sorte à pouvoir nous assurer personnellement et sans erreur de la pertinence des inférences du système de pensée bouddhique.
Or, même si notre discernement était aussi aiguisé que celui de Nagarjuna ou de Shantidéva, nous n'atteindrions pas moins aux limites conceptuelles de la doctrine. Tant que nous n'avons par réalisé la vacuité, elle demeure un concept auquel il nous est possible d'appréhender et d'adhérer mais qui demeure un pur « objet de pensée » ! Les moyens de cognition dont nous disposons eut égard à notre condition spirituelle « d'être ordinaire » ne nous permettent pas de réfuter par l'expérience la nature ultime des choses au sens « philosophique profond » (impermanence, interdépendance et vacuité).
Seul celui qui a développé « la sagesse qui réalise la vacuité », en épurant la « claire lumière » de son esprit du poison de l'ignorance, peut affirmer ce qui est vrai au sens ultime. Il en va de même de la bouddhéité dont la validation empirique implique, par définition, de devenir soi-même un bouddha !
Pour abolir la souffrance et atteindre le bonheur, vainement ils errent à travers l'espace, ceux qui n'ont point cultivé cet esprit mystérieux qui contient en lui la totalité des phénomènes BD-17
Les effets de l'agir vertueux ne peuvent, également, se vérifier que dans les limites de notre vie actuelle - et encore nous faut-il les discriminer d'une morale sociale -, mais leur perspective karmique échappe totalement à notre vue ! Seuls les Bouddhas peuvent voir les « chaînes d'origines combinées » qui président aux existences enchaînées du samsāra. Heureusement, nous n'avons pas besoin d'obtenir « par nous-mêmes » de telles preuves pour considérer que les enseignements du bouddhisme sont fondés, ni pour les adopter...
Suivre les enseignements de la philosophie bouddhiste tibétaine, c'est d'abord reconnaître avec humilité l'étendue de notre ignorance et mesurer sans effroi l'effort intellectuel que nous avons à réaliser pour les comprendre ! C'est avec reconnaissance, nous en remettre aux maîtres spirituels pour leur engagement à transmettre le Dharma, et aux sages du passé qui nous les ont légué depuis le Bouddha Sakyamuni afin que nous puissions à notre tour (choisir de) prendre le chemin de la libération. Nous devons aussi mettre notre curiosité en suspens, eut égard à notre désir de connaissance et développer la patience d'aborder les sujets avec la progression qui convient à leur complexité et à notre édification spirituelle. Or, pour tout cela, la motivation ne peut se départir de la foi !
Autrement dit, tout en procédant d'une démarche « scientifique », axée sur l'usage de notre intelligence, le bouddhisme se distingue d'une science en tant que l'aspiration qui nous incite à suivre sa voie spirituelle, fut-elle nourrie par une « confiance éclairée » par la raison (animée par l'expérience et impulsée par la vertu) l'est aussi par une foi qui ne dit pas son nom, c.à.d. dont la nature ne pourra être reconnue telle qu'au terme de sa réalisation.
Si chacun en vient à adopter la sagesse bouddhique d'une manière qui lui est propre et selon ses capacités, par questionnement, par compassion, par effet karmique vertueux, etc., toutefois nul n'adopte sa spiritualité par pure curiosité (scientifique) ou simple désir de vérité. La motivation éclot de la « confiance éclairée » par l'usage vertueux de la raison à l'étude des enseignements. Ce premier stade de développement est celui de la « foi inspirée ».
La motivation prend racine dans la croyance en la possibilité d'être libéré de la souffrance et de trouver le bonheur. Nul besoin d'obtenir la preuve incontestable de la véracité des énoncés de la philosophie bouddhiste tibétaine, les prémices d'une pacification intérieure suffisent à l'impulser. Ce second stade est celui de « la foi désirante ». Nous voulons en apprendre plus, méditer plus, agir plus vertueusement, parce que sentons que cela est bon pour nous.
L'entraînement de l'esprit poursuit la germination de la foi en étendant ses ramifications dans le terreau nutritif de la « confiance pragmatique » par le non-agir égotiste dans le lâcher-prise de l'attachement et de l'aversion, et déploie ses ailes dans l'espace ouvert de la « confiance vertueuse» par l'agir altruiste. Ce troisième stade érige la foi au stade de « conviction ». « Comme vous réfléchissez aux enseignements, les pratiquez et les assimilez, une confiance absolue dans leur vérité et dans la perfection illimitée du Bouddha grandit en vous (...) Vous comprenez clairement la causalité karmique et la nécessité de vous y conformer. À ce stade, vous n'avez plus de doutes » ACC-97.
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Ainsi, la foi serait la première de nos « réalisations spirituelles ». Mais comment peut-elle animer notre motivation avant même de naître croyance ?
L'Éveil, l'objectif du Mahāyāna, est le résultat de la transformation de notre esprit par un processus désigné sous le terme de... « méditation » (bhāvanā) ! « désignant un ensemble d'exercices de l'esprit et d'états spirituels développés grâce à ces pratiques. En sanskrit, bhāvanā peut être rendu par culture dans le sens d'un développement mental. En tibétain, gom signifie s'habituer » DEB-378.
C'est donc le chemin spirituel bouddhiste dans son ensemble qui est une « méditation » en tant qu'il constitue un processus de développement » qui regroupe des « sous-processus » dont les noms résonnent du sens commun de méditation : de « concentration en un point » ou Samatha, dite du « calme mental » ; et « analytique » ou Vipāssyana.
Ces étiquettes sont conventionnelles. Il est tout aussi recevable de voir dans Samatha et Vipāssyana des « phases » d'entraînement ou des « étapes » de la transformation de l'esprit. « La bhāvanā bouddhiste est une culture mentale dans le vrai sens du terme. Elle vise à débarrasser l'esprit de ses impuretés (...) et à cultiver des qualités (...) conduisant finalement à la plus haute sagesse qui voit les choses telles qu'elles sont, la Vérité Ultime » EB-WR-42.
Dans le yoga, la méditation de « concentration en un point » est dite samādhi état de «recueillement, d'absorption et de stabilisation méditative » DEB-378 où la connaissance s'abstrait de la dualité sujet-objet. La philosophie de Patanjali est cependant réaliste, conception d'un « soi » des phénomènes et d'un soi de la personne où le yoga est « l'union » de l'âme individuelle et de l'âme universelle (l'ātman au brāhman). La Vipāssyana bouddhique vise spécifiquement à réaliser le non-soi de l'essence ultime de tous les phénomènes, la vacuité.
Puisque la bhāvanā bouddhique consiste dans le développement de « l'esprit d'Éveil », les voies de la sagesse et de la méthode peuvent êtres vues comme des « méditations ». Les techniques de visualisation des tantras, de purification de nos négativités, l'accumulation de mérites par l'agir vertueux, mais également l'écoute et la réflexion des soutras, toutes sont des formes de méditation qui visent la transformation, vaste et profonde, de l'esprit. « Il n'existe pas de méditation en tant que telle, seulement le fait de s'habituer » DEB-378.
La « phylogenèse » de la motivation à suivre la voie spirituelle bouddhique croît ainsi, telle une plante médicinale, à partir de l'espoir de trouver, non pas le bonheur relatif à cette vie actuelle mais, le bonheur véritable résultant de la culture du « pur renoncement souhaitant la libération du samsāra et au précieux esprit d'Éveil qui aspire à pratiquer les actes du Bodhisattva enraciné dans l'amour universel et la grande compassion » AAM-14.
Cette motivation s'origine à partir d'une forme antérieure de la foi, annonciatrice de ses formes futures, dont l'expansion culmine dans l'émergence de « la foi irréversible, si bien ancrée en vous qu'elle est devenue indéracinable, même au péril de votre vie » ACC-97, et dont l'œuvre débute bien avant que nous en soyons conscients (à l'instar de l'impulsion à la pratique du yoga). Latente, larvée, en attente de développement, cette foi qui « ne dit pas son nom » n'est autre que le principe de notre véritable nature (tathāgatagarbha) qui murmure à notre intuition, masquée par les voiles qui recouvrent notre esprit et dont les « graines de la bouddhéité » éclosent dans la Joie que nous inspire chaque étape de la bhāvanā bouddhique au sentiment de sa reconnaissance.
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Sous la perspective de la transformation de l'esprit, la foi se nourrit ainsi de la Joie à la pratique vertueuse qui amplifie en retour notre intention à chaque étape de son développement, comme un jardinier qui cultive ses plantes avec un amour qui grandit en lui à la contemplation bienveillante de leur croissance.
La Joie engendrée par la pratique des actes vertueux ne relève pas de l'état mental de la « joie ordinaire », instable car tributaire des conditions qui la produisent qui ne durent que le temps où elles persistent, et source d'affliction car impulsée par la recherche de satisfaction égotiste. La Joie de la bhāvanā Mahāyāniste s'origine d'une cognition qui se mue en sagesse sous les effets de la pratique de l'étude vertueuse et de l'action altruiste motivées par la « foi désirante » de l'authentique bonheur de tous les êtres.
La croissance de l'arbre phylogénétique de la « foi confiante et joyeuse » ne suit toutefois pas le même schéma qu'il s'agisse du développement de la sagesse et de celle de la méthode. La Joie qui naît à la culture ordonnée de la sagesse est graduelle. La réalisation de la vacuité découle : du développement de la « vision supérieure » qui résulte du ; « calme mental » qui provient de l'entraînement de l'esprit qui procède ; de la volonté de suivre la bhāvanā Mahāyāniste inspirée par ; la décision réfléchie inspirée par ; la compréhension des enseignements.
La Joie qui nourrit l'ampliation de la méthode consiste dans le développement des « quatre incommensurables » (ou sublimes, Brahmavihāra), l'amour, la compassion, l'équanimité et la « Joie illimitée », qui est l'antidote de la jalousie. « Plutôt que de jalouser celui qui est plus fortuné ou heureux que soi, il s'agit de se réjouir de son bonheur et de souhaiter qu'il s'amplifie dans l'avenir » DEB-743.
Cultiver conjointement les quatre « incommensurables » évite que la sérénité équanime, c.à.d. la félicité du hīnayāna (visé en intention), ne fasse obstacle à l'Éveil. En effet, si la souffrance et le bonheur « communs » ne peuvent plus nous affecter, pourquoi nous préoccuperions-nous du sort des êtres sensibles ?
Toutes les formes et les degrés de la Joie qui surgissent de la culture de la méthode rejoignent celles qui jaillissent du développement de la sagesse. L'état de Joie qui s'installe au final dans l'esprit totalement pacifié de ses voiles est l'ultime refuge contre la souffrance. En amont, « Nous devons unir au Dharma toutes les joies et tous les bonheurs qui se présentent à nous (...) Être heureux et ne pas en être conscient n'aiderait pas à pratiquer le Dharma » LGU-46.
Aussi aiguisées que soient nos facultés, elles ne peuvent demeurer optimales. Elles sont sujettes à fluctuation, épuisement et saturation, entraînant torpeur, relâchement et distraction. Que pouvons-nous faire ? Nous armer de patience « en attendant que ça passe » et nous raccrocher aux conseils des maîtres... ?
Vouloir « conserver le contrôle » est contradictoire avec le non-agir. Il nous faut reconnaître et accepter qu'à ce stade de notre chemin spirituel, il ne nous est pas possible de demeurer en état de « sérénité méditative », ni de conserver un état d'esprit de « pure clarté ». Le meilleur usage que nous puissions faire de notre condition « ordinaire » est d'utiliser tous les moments favorables pour pratiquer (étudier, réfléchir, nous familiariser avec les enseignements du Dharma) et agir de manière vertueuse, c.à.d. entraîner notre esprit jusqu'à produire spontanément des «réalisations spirituelles » véritablement à même de « faire barrage » à l'adversité et à la souffrance.
Quand vous rencontrez la formidable armée des émotions, Revêtez la solide et excellente armure de la patience Pour que, insensible aux armes des mots blessants et des coups vengeurs, Vous passiez à travers et atteigniez la terre du nirvāna ACC-177
La vision bouddhiste renverse notre manière de penser. Lorsque nous sommes harassés de fatigue et que nous échouons à mobiliser nos facultés physiques et intellectuelles, nous pensons que nous ne disposons plus ni d'énergie ni d'entrain. La philosophie bouddhiste tibétaine conçoit, a contrario, le manque de force et d'enthousiasme à la pratique des actes vertueux non pas comme une soustraction, mais comme l'expression d'énergies et de forces « négatives » !
Le relâchement, la torpeur, le sommeil ne sont pas la conséquence de l'usage de nos aptitudes et dispositions résultant de leur épuisement naturel, mais des « forces contraires » opposées à la pratique de la vertu et constitutives de « facteurs mentaux » grâce auxquels l'esprit fonctionne. « Ces facteurs psychiques associés ou concomitants à l'esprit ont pour fonction d'appréhender les caractéristiques particuliers et les conditions des phénomènes, alors que la conscience appréhende la chose elle-même, sans plus » DEB-215.
Subdivisés en négatifs et en positifs, les « facteurs mentaux » favorisent ou défavorisent le développement de l'esprit auxquels ils font « obstacles » ou leviers (« antidotes »). La fonction de la torpeur « procure un aspect embrouillé et rend le corps et l'esprit lourds et ineptes. Sa fonction est d'assister toutes les émotions perturbatrices » COLL-102, alors que la fonction de la vigilance, son antidote, est de protéger du relâchement (et de l'agitation) par la surveillance.
La philosophie bouddhiste tibétaine conçoit ainsi l'esprit comme un jeu de forces (grossières) et d'influences (subtiles) dont l'issue est déterminante de notre souffrance ou de notre bonheur, le véritable bonheur de l'Éveil étant le résultat de la transformation des facteurs mentaux des passions en sagesses.
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Dans la bhāvanā Mahāyāniste, la Joie est intimement liée au facteur mental de la foi (« support au développement de l'aspiration, générée en dépendance de la foi » COLL-87). La confiance nourrit le facteur mental de « l'effort joyeux » (« la joie de l'esprit lors de l'observation d'actions vertueuses » COLL-90) qui développe la « foi confiance » à la pratique des enseignements. La « foi joyeuse » reflète le développement de l'esprit qui entremêle les effets vertueux de Samatha à la sagesse de Vipāssyana, tels deux arbres n'en formant qu'un seul...
Dans le Mahāyāna, la « concentration en un point » n'est pas dissociable du développement de la sagesse (qui réalise la vacuité). Il y a une dimension analytique dans Samatha et de focalisation dans Vipāssyana ! Si le « calme mental » précède, causalement, la « vision pénétrante » (en tant que stabiliser l'esprit constitue le support et la condition du développement de cette dernière), pour être en capacité d'analyser parfaitement le sens profond des phénomènes et ainsi d'atteindre à la connaissance de leur véritable nature, il nous faut user d'une sagesse qui soit, par définition, elle-même correcte et valide !
Le calme mental est l'aspect de concentration de la méditation, et la vision profonde son aspect de sagesse.
Le calme mental prépare l'esprit à la compréhension de la vision profonde qui montre au pratiquant que tous les phénomènes sont essentiellement vides d'existence propre ACC-243
Or, si la sagesse était innée, notre esprit ne serait pas voilé par l'ignorance ! La sagesse résulte d'un acquis culturel dont la qualité s'affine en proportion de la dissipation de nos voiles, c.à.d. à mesure de la « clarification » de notre esprit par l'étude et la compréhension des enseignements. « Si la racine est médicinale, les branches et les feuilles seront aussi médicinales», Atisha. Comme la Joie à la pratique des actes vertueux naît d'une foi qui revêt la forme d'une intention vertueuse, la sagesse émerge du questionnement analytique qui réalise la véritable nature des phénomènes.
Cependant, à l'instar du mot « méditation », notre compréhension dépend de la traduction et du sens que celui-ci induit. Ainsi, dans les textes bouddhiques, le « calme mental » est décrit comme un « état de concentration stable, détendu et sans distraction, où l'esprit reste focalisé sur son objet » ACC-275. Dans la sagesse du Vedanta et la philosophie du yoga de Patanjali, le terme samādhi désigne « un état de méditation profond que l'on peut traduire par "recueillement", "absorption méditative" ou "stabilisation méditative" » DEB-378.
Si l'état obtenu justifie le qualificatif de « calme », c'est en tant que résultat de « l'arrêt des fluctuations du mental » - le relâchement, l'agitation, la distraction, dont les obstacles en nombre illimité se résument aux poisons des émotions perturbatrices -, mais aussi parce qu'il constitue le support à la sagesse. Il n'est en effet pas possible de réfléchir correctement, distrait par des stimuli extérieurs ou obnubilé par des préoccupations mondaines. « Il [le samādhi] implique la capacité de demeurer l'esprit concentré sur un seul point, sans vaciller ni tomber sous l'emprise des passions et des pensées discursives » DEB-378.
Le choix des mots est essentiel à l'expression des idées et le travail d'écriture confronte à l'ouvrage de leur excavation que la réflexion mentale est insuffisante à dégager des tréfonds d'une connaissance indicible tant que non réalisée. Dans l'édification de la pensée raisonnée, il est de ces mots qui surgissent telle l'évidence, comme une vague qui se forme subitement à la surface de l'océan d'un esprit soulevé par l'élan d'un courant « vaste et profond ». « On n'écrit qu'à la pointe de son savoir, à la pointe extrême qui sépare notre savoir et notre ignorance, et qui fait passer l'un dans l'autre », Deleuze[vi].
La forme sous laquelle nous percevons le monde est relative au point de vue que nous en donne notre échelle et au voile de l'ignorance qui nous fait prendre les apparences pour la réalité alors qu'elles sont (la projection de) notre esprit. Il n'y a pas plus de sens à subdiviser la bhāvanā bouddhiste en « technique de méditation » Samatha et Vipāssyana distinctes qu'il n'y a de sens à vouloir tracer une frontière entre les myriades de particules au niveau atomique, qui ne sont elles-mêmes que mouvement ! « Techniquement, le samādhi comprend la méditation du calme mental et la vision supérieure » DEB-378.
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Du moins, il n'y a de sens à les différencier en techniques spécifiques qu'en tant que ceux auxquels elles s'adressent sont mus par des capacités (intentions) elles-mêmes différentes, qui distinguent les êtres désireux d'atteindre le nirvāna pour eux-mêmes (auditeurs, shravaka et «bouddha-par-soi », pratyekabuddha) des êtres animés par « l'esprit d'Éveil » (bodhisattvas) qui visent la libération de l'ensemble des êtres sensibles de leurs souffrances. Une distinction qui permet aux hīnayānistes de suivre ensuite, s'ils le souhaitent, la voie du Mahāyāna.
La différenciation entre Samatha et Vipāssyana n'est donc pas de nature mais de culture et résulte d'une approche volontairement réductionniste, appuyée sur le choix d'un vocabulaire énonçant des objectifs distincts et complémentaires : apaiser les turbulences du mental par la concentration (ou fixation) de l'esprit en un point de la « conscience mentale » - et non des consciences sensorielles - (par exemple, en visualisant mentalement le Bouddha comme s'il était devant soi) de sorte à ce que l'état de « calme mental » obtenu puisse ainsi permettre... ; par la réflexion « analytique » de reconnaître la véritable nature des phénomènes.
Si votre esprit est capable de s'apaiser de lui-même et à demeurer simplement dans sa pure conscience claire, vous n'avez besoin d'aucune méthode. Pour la grande majorité, il est difficile de parvenir immédiatement à cet état, notre esprit est si indiscipliné et distrait qu'il nous faut un moyen habile, une méthode LTVM-104
Sujets à la paresse, à l'oubli, au relâchement et à l'agitation, ô combien avons-nous besoin d'une motivation solide et d'une méthodologie robuste, surtout lorsque l'objectif visé est l'Éveil ! Ainsi, la voie du Mahāyāna (comme celle du hīnayāna) est divisée en cinq étapes : l'accumulation (des mérites) ; l'application (ou préparation) ; la vision ; la méditation ; et la voie « où il n'y a plus rien à apprendre » DEB-710. Le « calme mental » est l'état de l'esprit parvenu au terme de la première, l'union avec la « vision supérieure » est la voie de l'application.
Union en effet, car « diviser l'indivis » implique de devoir... le (ré)unir ! Une opération aisée pour «l'inégalable Enseignant compatissant » que fut le Bouddha mais qui pour les « êtres ordinaires » est difficile à appréhender du fait de l'ancrage de nos esprits dans une vision dualiste dont tout l'enjeu est le dépassement. En effet, ni les états de concentration (dhyâna) ni les états dits de «l'entrée dans l'égalité » (samāpatti) « ne sont en soi libérateurs du point de vue bouddhiste s'ils ne s'accompagnent pas du développement de la prajñā (...) c'est la méditation analytique sur les phénomènes et la réalisation directe de l'inexistence du soi et de l'insubstantialité des phénomènes par la sagesse qui caractérisent la voie méditative bouddhique authentique » DEB-379.
Un exemple donné pour décrire le « calme mental » est le parcours de l'eau qui tombe avec tumulte d'une cascade, s'écoule dans les turbulences d'une rivière de montagne, coule librement dans un fleuve qui alimente à son tour un lac à la surface lissée jusqu'à finir par former un océan paisible (cf. ACC-243). Sur certains thangka, ce parcours est figuré à l'inverse des étapes du chemin de Samatha dont « l'absorption méditative » coïncide avec l'état d'apaisement total du lac.
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L'on peut arrêter là la pratique méditative
et demeurer en état « d'égalité parfaite » empreint d'une profonde sérénité
comme aboutissement de la culture Hīnayāniste de
l'esprit où poursuivre avec la pratique Mahāyāniste de
la « vision supérieure ». La surface apaisée du lac symbolise le miroir de
l'esprit sur lequel se réfléchissent les objets qui, libre de toutes impuretés
(émotionnelles) et de toutes « vues erronées », peut dès lors discerner
parfaitement le reflet du phénomène, c.à.d. l'esprit de ce qu'il perçoit, sans
les confondre tous deux.
Dans la méditation du Mahāmudrā, le caractère « analytique » de la pratique s'emploie ainsi à saisir l'essence de « clarté lumineuse » de l'esprit que, dans notre ignorance, nous confondons avec les objets qui s'y reflètent - à l'instar de la lumière dont le trajet est dévié dans l'eau, la vue des objets sous-marins figurant l'opposé de la « vision juste » -. « L'esprit est un courant de clarté conscient qui s'engage [dans les objets] sans discontinuité. Cependant, l'esprit appréhende son objet comme existant de la manière dont il apparaît » MHM-3.
Sous cet angle, le
« calme mental » et la « vision supérieure » ne sont pas
deux méditations, mais un continuum. Un mot atteste l'évidence de
leur union (autre traduction de samādhi et dhyâna), « absorption
» ! S'absorber dans la visualisation d'un
objet mental en « équilibre méditatif» de la méditation Samatha ;
s'absorber dans la compréhension « analytique » de l'ainsité
des phénomènes et du soi de la personne par la méditation Vipāssyana ; s'absorber
dans la réalisation de la saisie directe de leur connaissance « au-delà
du par-delà » (Prajñāpāramitā) par l'union des méditations Samatha et
Vipāssyana ; ces différentes (phases d') absorptions n'en font qu'une...
Absorption ! Un mot qui gomme toute frontière entre l'observateur et l'observé, entre le connaissant et le connu, qui transcende la vue illusionnée issue du voile d'ignorance qui recouvre l'esprit et subsume toute perspective réductionniste, qui occulte l'unité du processus menant à la réalisation de la vacuité en le découpant en étapes graduelles. « Quand, quel que soit ce qui apparaît à l'esprit, vous êtes parfaitement conscient que c'est une apparence existant simplement comme ce qui peut-être appréhendé par la pensée conceptuelle, vous expérimentez la sphère de la réalité la plus profonde... » MHM-3.
S'absorber complètement, s'absorber totalement, s'absorber absolument... jusqu'à s'oublier soi-même, jusqu'à oublier ce « soi » dont la saisie nous fait croire en sa réalité propre et autonome, ce « soi » de la vue erronée de laquelle s'origine l'ego cause de toutes nos souffrances, s'oublier jusqu'à s'abstraire de la dualité sujet-objet, s'oublier jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que la « claire lumière » reflétant la vérité ultime... « ...Quand cela apparaît immergez votre conscience dedans et absorbez-vous complètement, quelle merveille ! » MHM-3.
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En termes relativistes, la bhāvanā bouddhiste est une « correction de perspective » qui rétablit l'alignement de la « claire lumière » de l'esprit à sa connaissance dans la « saisie directe » de la connaissance ultime de la nature véritable des phénomènes. Sous l'aspect conventionnel, Samatha et Vipāssyana apparaissent constituer des référentiels propres, mais en vérité ultime, il n'y a pas plus de frontière entre ces méditations que de limite entre l'eau d'une rivière de celle d'un lac, ou de division entre la cause et l'effet en soi qui formeraient les maillons de la « chaîne des origines combinées » !
Fruit de l'absorption méditative induite par le « calme mental » dans la contemplation du sens issu de la compréhension analytique de son objet par la « vision supérieure », la sagesse émergeant de l'union (par le yoga suprême) s'ouvre sur l'espace sans fin d'une connaissance «au-delà du par-delà » du conceptuel (prajñāpāramitā). Que traduit la dédicace de l'union de Samatha et Vipāssyana, « Inspirez-moi afin de compléter la perfection de la sagesse par le biais du yoga semblable à l'espace, la totale absorption sur le sens ultime, combinée à la grande félicité issue de la souplesse induite par la sagesse discernant les particularités de l'ainsité » AAM-87.
Si le mot « absorption » constitue le témoin philosophique de la bhāvanā, qui relie entre elles les étapes de l'entraînement de l'esprit, il se veut également signifiant d'un état final (de développement) de l'esprit au-delà de tout contraire et de toute dualité, où la notion (et le sentiment) de sujet est abolie ! « L'union du calme mental et de la vision profonde conduira, pour finir, à l'état d'égalité dans lequel les concepts de sujet et d'objet disparaissent totalement » ACC-243.
Le point essentiel est que le changement de perspective qui s'opère au sein de l'esprit au cours des différentes phases de la bhāvanā entraîne la disparition du point de vue égocentré de la conscience, qui emporte à son tour la dissolution progressive de l'ego ! Or, puisque la saisie erronée du soi (qui instille la croyance en sa réalité autonome) est la cause de toutes nos souffrances, dès lors que la réalisation de la vacuité du soi de la personne libère l'esprit de son ignorance, l'illusion du « moi » s'en trouve également levée et les poisons des émotions perturbatrices ne conditionnent plus nos actions.
La dissolution complète de l'ego confine avec l'alignement d'un esprit totalement absorbé dans l'espace ultime de la connaissance véritable, soit au moment de la réalisation de sa nature de Bouddha. L'état d'équanimité issu de la première phase de ce mouvement par la méditation du «calme mental » (résultat du lâcher-prise sur l'attachement et l'aversion) n'est pas synonyme d'abolition du « moi ». L'arrêt des fluctuations du mental n'entraîne pas la disparition du sujet à l'arrêt des ruminations mentales ! Si l'étoffe dont est fait l'esprit est tissée des fils de la pensée, le sentiment « d'être soi » n'est pas un dessin à sa surface...
Le « calme mental » authentique est l'état d'esprit sous la perspective duquel la conscience cesse de résonner de stimuli extérieurs et de vibrer sous l'impulsion aux émotions intérieures. Libéré de leurs poisons, l'esprit n'est plus sujet à la distraction ni enclin à l'agitation et demeure serein en toutes circonstances. Quoi qu'il se produise, les événements apparaissent désormais décohérés de tout caractère égotiste, sans rapport avec le « je » et le « moi » (mais pas sans lien avec ce que nous sommes au plus profond de nous...).
Dans cet état d'absorption, le « moi » est endormi, mais la conscience demeure témoin. Acteur lucide de l'agir, abstrait de l'emprise des poisons, le sujet observe ses propres actions, indifférent à toutes peurs et à tous espoirs à son endroit. La psychologie désigne cet état de « fonctionnement automatique » par le terme de « Flow », soit un « état mental atteint par une personne lorsqu'elle est complètement plongée dans une activité et qu'elle se trouve dans un état maximal de concentration, de plein engagement. Fondamentalement, le Flow se caractérise par l'absorption totale d'une personne par son occupation[vii] ».
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L'expression « pleine conscience » convient aussi dès lors que le sens retenu, plutôt que d'être celui d'un « effort mental » pleinement conscient de nos actions à chaque instant, est vu comme l'abstraction à la conscience d'agir ! « Attention ou prise de conscience ne signifie pas que vous devez penser et être conscient : "Je fais ceci" ou "Je fais cela". Vous devez vous oublier complètement et vous perdre dans ce que vous faites » EB-WR-46.
Un « être ordinaire » ne peut tenir un tel effort sur le long terme. D'ailleurs, ce qui nous fatigue au quotidien, ce n'est pas l'action en elle-même, quelle que soit la difficulté physique ou intellectuelle de la tâche à accomplir. Ce qui nous use, c'est le débat permanent auquel nous nous livrons dans le jugement incessant du « moi » qui ne cesse de critiquer, tiraillé entre passé et avenir, sous l'emprise de l'ego qui n'a de soif que la recherche de sa satisfaction personnelle.
S'absorber dans le « calme mental » équivaut à entraîner notre esprit à la post-méditation d'un agir sans contrainte, ni contrariété ou affliction, car affranchit des poisons des émotions. Le meilleur moyen pour cela est de toujours agir de manière vertueuse (bienveillante et altruiste) ce qui nous évite d'avoir à le regretter plus tard... « Rester imperturbablement dans un état libre de pensées et de croyance vous conduira à une absorption méditative où vous percevrez les phénomènes sans avoir d'attachement » ACC-244.
Développer « l'équanimité incommensurable » à l'appui de « l'absorption méditative » permet de surmonter tous les obstacles. Lorsque l'on parvient à faire taire la pensée, la notion même d'adversité finit par ne plus faire sens, tant son signifiant de négativité découle de la « saisie du moi» !
En concentrant l'esprit sur un point (samādhi), nous diminuons sa susceptibilité naturelle (son aspect voilé), à l'agitation et à la dispersion. Dans le parcours symbolique de Samatha, le « facteur mental » de la dispersion est représenté par le singe, dont la couleur noire figure l'agitation. Attiré par les objets sensoriels, le singe distrait l'éléphant de l'esprit et l'entraîne à des actes non vertueux qui l'écartent de la bhāvanā. « L'agitation mentale est un état d'esprit non pacifié qui se disperse vers l'extérieur lors de l'observation de signes attrayants chez les objets de plaisirs sensoriels. Sa fonction est d'empêcher la demeure sur l'objet d'observation. Ce facteur mental fait partie de la même catégorie que le désir-attachement » COLL-103.
L'agitation est une excitation à la vue des
objets du « monde du désir » que l'ego nous fait voir comme une source
de bonheur. En concentrant notre esprit sur un point avec fermeté (c.à.d. en
visualisant mentalement un objet vertueux), il nous est possible d'empêcher les
émotions perturbatrices de nous distraire et de nous détourner d'un
comportement vertueux. Concentrer notre esprit sur un point à ainsi pour effet d'inhiber
les comportements de « lutte » (pour l'appropriation) et de « fuite » (pour
la survie) impulsés par les poisons de l'attachement et de l'aversion,
soit de lâcher-prise sur l'espoir et la peur, et de réduire notre stress en nous
absorbant dans le « flow » de l'agir altruiste ! « Lorsque l'éléphant fou de l'esprit est distrait,
attachons-le avec la corde du rappel des instructions au pilier de l'objet
visualisé solide comme le mont Merou et maîtrisons-le avec le crochet de la
sagesse. Si l'éléphant indiscipliné de l'esprit est contrôlé par un gardien, il
ne pourra pas aller où il veut » AAM-41.
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À la huitième étape du « calme mental », la focalisation est telle que le singe a complètement disparu, symbole d'une inhibition de l'ego dont l'Éveil signera la disparition définitive. Ainsi exposé, le schéma de la méditation Samatha n'en demeure pas moins déroutant, voire dissuasif pour qui n'a aucune expérience de la méditation. Toutefois, les effets de la « concentration de l'esprit en un point » sont plus rapides à se manifester que l'on aurait tendance à le croire... « Les maîtres de méditation bouddhistes savent à quel point l'esprit est souple et malléable. Si nous l'entraînons, tout est possible. Consacrons notre esprit à se libérer de l'illusion : avec l'entraînement approprié, notre esprit graduellement se dénouera et connaîtra la félicité et la limpidité de sa vraie nature » LTVM-96.
Par la pratique de la méditation de « calme mental », l'on comprend également le choix de privilégier le terme « concentration » pour qualifier l'état de samādhi en ce qu'il décrit le ressentir de ce qui se passe en nous lorsque nous entrons en « concentration méditative », alors que le terme « absorption » est plus adéquat pour éclairer la compréhension de l'interdépendance (intrication) des méthodes de méditation de la bhāvanā bouddhiste en regard de sa finalité.
Visualiser un Bouddha de la taille d'un pouce à deux mètres de distance, à hauteur du front, exige un effort de concentration très important. Les traditions diffèrent quant à la manière de visualiser. Une « déité de visualisation » est toutefois privilégiée (représentation des sagesses d'un Bouddha, reflets des sagesses de notre nature véritable), pouvant être jointe à la récitation de son mantra. Quelle que soit la technique, il s'agit de maintenir l'esprit concentré, sans agitation, distraction ou relâchement, afin de développer la sagesse.
Avec de l'entraînement, il devient possible de fixer notre attention sur le même objet mental vertueux avec stabilité (signe de concentration) et clarté (signe de l'usage intelligent de la vigilance). S'il est difficile de garder la focale plus de quelques instants au rythme desquels la concentration se délite - obligeant un replacement constant et une vigilance accrue jusqu'à atteindre un « placement continu » -, c'est suffisant pour éprouver une sensation d'intemporalité...
Alors, les clameurs des stimuli sensoriels et les rumeurs des pensées se taisent. Lors de cet intervalle cours et paisible en regard du tumulte mental qui l'entoure (et de notre capacité à le maintenir...), les choses apparaissent telles qu'elles sont et l'on cesse alors de leur porter un regard catégoriel, comme si l'attachement et l'aversion avaient été siphonnées de leur sens...
Avec l'entraînement, cet état se prolonge ostensiblement et ses effets perdurent en post-méditation, comme si sous l'effet d'une concentration prolongée la méditation de « calme mental » induisait une forme d'insensibilisation à ce qui (nous) arrive en diminuant nos réactions émotionnelles à l'adversité, entraînant par là même un état de calme et de sérénité indépendant des circonstances...
Plus la concentration s'intensifie et plus la frontière avec l'absorption se dissipe, comme si nous nous immergions dans l'eau et que notre corps s'y confondait jusqu'au cœur de nos cellules ! Lorsque la concentration dépasse un certain degré, l'esprit entre dans un état d'absorption tel que l'observateur semble se fondre en l'observé, « dès que nous entrons en équanimité méditative, nous expérimentons la dissolution du corps dans l'objet de méditation et plus rien d'autre ne nous apparaît, pas même notre propre corps » AAM-60.
Concentrer l'esprit en un point, c'est comme d'orienter une loupe pour focaliser les rayons du soleil de façon à pouvoir enflammer un tas de bois. Dans cette métaphore, la conscience mentale est la loupe, l'esprit est la « claire lumière » de la connaissance, le feu est la vérité, l'intention est la volonté de développer l'esprit par la bhāvanā bouddhiste afin d'atteindre à la vérité ultime.
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Samatha est un moyen de nettoyer notre esprit de ses voiles, conditionné par nos karman négatifs, de sorte à nous éviter de reproduire sans fin les mêmes causes de souffrances, et de trouver le véritable bonheur. « L'intention incite la conscience et les facteurs mentaux qui l'accompagnent à se diriger, sans autre choix, vers l'objet déterminé (...) tous les karmas sont intentionnels » AAM-51.
Deux voies distinctes mènent toutefois à l'état de libération de la souffrance : dans le Hīnayāna, le nirvāna résulte de la dissolution du « voile des émotions » qui entraîne la cessation de «l'attachement à la solidité et à l'existence apparentes des phénomènes » ACC-248 ; alors que dans le Mahāyāna, c'est la dissolution du « voile cognitif » par la sagesse, qui réalise l'insubstantialité des phénomènes et du soi de l'observateur, qui est libérateur du samsāra.
A court terme, méditer le « calme mental » inhibe les émotions perturbatrices et induit un état de «Flow méditatif » dans lequel le sujet s'absorbe impassible dans l'agir. L'action devient alors une «méditation en mouvement » dans laquelle l'ego se dissipant, cela qui arrive « ne m'arrive plus à moi »...
Toute la pratique de la méditation peut se résumer à ces trois points essentiels :
- ramener l'esprit en lui-même [à l'état appelé demeurer paisiblement, grâce à la pratique de l'attention],
- le relâcher [libérer l'esprit de la prison de la saisie dualiste. Vous reconnaissez que toute douleur, toute peur et toute détresse proviennent du désir insatiable de l'esprit qui saisit],
- se détendre [devenir plus spacieux et permettre à l'esprit d'abandonner ses tensions] LTVM-102
Qu'est-ce qui fait d'un obstacle un obstacle ? Est-ce la peur de la douleur qui nous retient de plonger la main dans les flammes ou parce que nous croyons que nos agrégats seront endommagés, voire détruits irréversiblement ?
Les phénomènes paraissent posséder une réalité en-soi du fait du regard que nous projetons sur eux, imprégnés par la croyance en notre propre réalité (et les émotions qu'elle induit). Et puisque « la saisie du soi » disparaît dans l'état d'absorption méditatif, la croyance dans le caractère « réel » des phénomènes disparaît conséquemment avec elle. C'est comme si en nous absorbant dans la contemplation de la neige, d'un nuage, d'une bulle, nous devenions aussi vaporeux, évanescents et impalpables que ces phénomènes...
Dans le développement de la bhāvanā bouddhiste, Samatha est le support du développement de Vipāssyana qui ouvre sur la connaissance de notre véritable nature par « l'union de la concentration et de la sagesse », dont la perspective révèle la vacuité de la souffrance. « Un grand Bodhisattva qui médite sur ces deux qualités dominera ses cinq sens. Il pourra tolérer plusieurs souffrances, n'entretiendra pas les perturbations mentales, ne sera pas dupé par les mauvaises vues, abandonnera définitivement les pensées négatives » AAM-31.
Si elle ne libère pas de l'ego, Samatha constitue un formidable levier pour « transformer l'adversité en voie d'Éveil », en chassant de notre esprit nos préoccupations égotistes et leur cause, la « saisie du soi ». Saisie qui nous entraîne à chérir excessivement notre personne (cause de toute souffrance) et à nous détourner de la préoccupation du sort des autres (cause de tout bonheur), « C'est un état libre de tout souci, exempt de toute compétition, désir de possession, libre de lutte angoissée, de soif de réussite, sans ambition où ne se manifeste ni acceptation ni refus, ni espoir ni peur ; un état dans lequel nous relâchons les émotions et les concepts qui nous emprisonnaient » LTVM-96.
S'il ne culmine pas encore à « l'équanimité incommensurable », ce lâcher-prise sur l'attachement et l'aversion établit toutefois la paix de l'esprit, qui se traduit non seulement par une profonde sérénité mentale, mais par un bien-être physique. C'est comme un malade souffrant d'une affection chronique dont la douleur le harcèle en permanence et où, dans les rares moments où elle se tait, le « vide » qui lui fait place créé un appel d'air de plaisir et de félicité...
D'où vient que l'on rencontre des obstacles, subit l'adversité et la souffrance ?
D'un karman négatif fruit des actes non vertueux commis pour notre satisfaction égotiste à la croyance que les objets du « monde du désir » vont nous apporter le bonheur.
D'où vient que l'on rencontre peu d'obstacles, que l'on subit peu d'adversité et que l'on parvient à transformer la souffrance en cause de bonheur ?
D'un karman positif fruit des actes vertueux accomplis pour le bien de tous les êtres sensibles et par le renoncement au « moi », source de sérénité et de Joie incommensurable à l'agir altruiste.
Facteur d'Éveil, la Joie transforme l'adversité et nourrit « l'effort joyeux » de trois manières : intellectuelle, par l'écoute et l'étude des enseignements ; émotionnelle (au sens positif), par l'action vertueuse ; énergétique, par la malléabilité de l'esprit qui est l'aspect de la félicité cultivée par la méditation.
Cette « souplesse de l'esprit » se développe en lien avec la « souplesse du corps », son support énergétique - par l'alignement de la circulation de l'énergie des chakras dans la posture physique de méditation -. C'est un « facteur mental qui procure une totale maniabilité du corps et de l'esprit permettant de les utiliser à sa guise lors de l'observation d'un objet vertueux » AAM-58.
Opposée de la souffrance, qui est une sensation du corps qui paralyse la volonté sous le poids de la détresse, de la douleur et du désespoir, la Joie qui anime (et que nourrit) la bhāvanā bouddhiste est une sensation de l'esprit caractérisée par la félicité issue de la « souplesse méditative » à la familiarisation au « calme mental » (dont elle précède l'atteinte authentique en tant que « facteur mental » cultivé par les antidotes de l'attention, de la vigilance, de « l'effort joyeux», etc.) et de la félicité issue de « la sagesse qui réalise la vacuité » par la méditation de la « vision supérieure ».
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Joie de « l'effort vertueux » à l'écoute des enseignements du Dharma ; Joie à l'entraînement méditatif et post-méditatif ; Joie d'un agir libre des afflictions instillées par l'espoir et la peur ; Joie d'un agir décohéré de tout caractère égotiste ; Joie d'un agir altruiste tourné vers le bien des êtres sensibles...
S'absorber complètement, s'absorber totalement, s'absorber absolument dans l'objet vertueux pendant la méditation et dans la pratique des actes vertueux en post-méditation, au point culminant d'une « extase » - précédent la 9ème étape de Samatha qui ouvre sur l'enstase de «l'équilibre méditatif » - au ressentir du détachement de l'esprit de la souffrance et des causes de la souffrance.
Joie à la culture des « incommensurables » : Joie de la « compassion illimitée » qui illumine l'espace ouvert de l'esprit par l'absorption (« prendre sur nous ») des souffrances et des causes de souffrances des êtres aux fins de les en libérer ; Joie de « l'amour illimité » qui résonne dans l'esprit au don de nos bonheurs aux autres ; « Joie illimitée » qui s'expand dans toutes les directions de l'esprit absorbé, fondu, uni, au bonheur vertueux des êtres sensibles...
Namasté
Tashi delek
བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།
Références :
ACC : Au cœur de la compassion, commentaire des 37 pratiques des bodhisattvas Dilgo Khyensté https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/154-au-coeur-de-la-compassion-ebook-format-pdf-9782916915814.html?search_query=Au+coeur+de+la+compassion&results=34
AEC : Audace et compassion Dilgo Khyentsé https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/160-audace-et-compassion-ebook-format-pdf-9782916915876.html?search_query=audace+et+compassion&results=28
BC : Bodhicaryāvatāra, L'entrée dans la conduite des Bodhisattvas, Shantidéva https://archive.org/details/lamarchelalumi00sant?q=Bodhicary%C4%81vat%C4%81ra
COLL : Collection de sujets, cognitions et connaissance raisons et raisonnements https://www.centreparamita.org/gallery/view_album.php?set_albumName=album04
CT : La Connaissance Transcendante, Alexandra David Neel https://archive.org/details/AlexandraDavidNeelLaConnaissanceTranscendante/page/n7?q=Prajna%2Bparamita
DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html
EB-WR : L'enseignement du Bouddha Walpola Rahula https://www.ffmt.fr/articles/paritta/pdf/enseignement-du-bouddha.pdf https://archive.org/details/LEnseignementDuBouddhaDaprsLesTextesLesPlusAnciensWalpolaRahula_201807/page/n19/mode/2up
EVE : L'essence de la voie vers l'Éveil, Lama Samten Lama Samten https://www.centre-paramita.fr/collections/livres
LGU : Le goût unique du bonheur et de la souffrance, Djigmé Tenpai Nyima https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/178-gout-unique-le-ebook-format-pdf-9782916915975.html?search_query=Le+gout+unique+&results=7
LTVM : Le Livre Tibétain de la Vie et de la Mort Rinpoché Sogyal
MHM : Un texte racine du Mahamoudra de la précieuse tradition Géloug/Kagyu https://www.institutvajrayogini.fr/pdf/Mahamoudra_texte_racine_A4.pdf
PRAT : Pratiquer c'est cultiver la qualité de son mental ! https://www.centre-paramita.fr/blogs/philosophie-bouddhiste/lamrim-2?utm_campaign=newsletter-featured_blog_posts-3aed8aa0d3ea42b9b24def41b5c8c11b&utm_medium=email&utm_source=seguno
VVM : Les versets du milieu, Nagarjuna https://btr2010.files.wordpress.com/2014/04/versets-du-milieu-nagarjuna.pdf
[ii] Ibid.
[iii] Sa Sainteté le Dalai-Lama - L'art du bonheur https://www.facebook.com/photo?fbid=4028080773868998&set=gm.2698774093768245
[iv] Cf. L'essence de la voie vers l'éveil, Lama Samtem
[v] https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Popper#R%C3%A9futer_ou_falsifier,_terminologie
[vi] https://xenoswarm.files.wordpress.com/2016/11/deleuze-et-dune.pdf
[vii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Flow_(psychologie)