I.82 – Méditer le vaste

30/05/2021

Se libérer de la souffrance et trouver le bonheur, mais pas seulement pour soi-même ! La sagesse qui réalise l'ainsité mûrit par la compréhension du profond, la compassion universelle par la compréhension de la souffrance. Réaliser notre véritable nature est le but de notre existence, aider les autres en est le sens.

Sans avoir reçu les enseignements, notre manière de réfléchir à la souffrance est pleine de rage, de rancune et d'émotions négatives. En proie à la souffrance ordinaire (naissance, vieillesse, maladie, mort), nous attribuons au mal qui nous afflige une cause impersonnelle. Dans notre cécité cognitive (de la véritable nature des choses), nous faisons de l'autre, du destin, de l'univers, de Dieu... le bouc émissaire de nos tourments ! Dans notre aveuglement émotionnel (sous l'emprise de la « saisie du soi »), nous en faisons « notre » ennemi et y déversons notre colère et notre haine. Nous cherchons alors à nous venger ce qui engendre un cycle sans issue de souffrances pour les autres et pour nous-mêmes.

Focalisée sur la personne, réduite à « l'être en souffrance », cette manière de penser ajoute de la souffrance à la souffrance, et conditionne notre compassion. Tant que nous n'approfondissons pas notre discernement (par l'écoute et la méditation), la manière dont nous percevons la souffrance et éprouvons de l'empathie pour autrui passe par le filtre (voile) de la conception du « je ». Je pense (que je suis réel) donc je (pense que je) suis (la proie de souffrances réelles), et par projection, je perçois les souffrances qui affligent les autres tels des tourments vécus personnellement par d'autres « je » existant en propre...

Lorsque nous devenons un pratiquant bouddhiste de « petite capacité » (dont l'intention est trouver le bonheur en cette vie), en élargissant notre perspective, l'enseignement du karman nous donne à réfléchir aux origines personnelles de la souffrance hors du cadre de « l'être en souffrance » pour la penser sous l'abord « des actes de l'être causes de ses souffrances » !

Dans un système dans lequel nous avons vécu d'innombrables existences, dans des vies entrecroisées où nous nous sommes tous, déjà, rencontrés et avons vécu tous les liens de relation possible, la notion « d'ennemi » ne fait plus sens, et conséquemment celle de « cause extérieure » à nos souffrances. La question de savoir comment ces « renaissances » sont possibles est secondaire à ce stade, ce qui importe c'est de comprendre que, de par la nature de nos actes, nous sommes seuls responsables de ce qui nous arrive, en bien comme en mal !

Dès lors, nous cessons de voir les autres, l'univers, le destin, l'univers, les dieux mondains... comme les causes de nos souffrances et nous cessons de vouloir en faire des boucs émissaires sur lesquels déverser notre colère et toutes nos émotions destructrices quant à l'iniquité de « ce qui (m)'arrive à (moi) »...

Au sortir du brouillard de fumée produit par le feu passionnel de la « saisie du soi », il nous appartient de faire un choix éclairé quant à la qualité de notre avenir, renoncer (a minima) aux actes non vertueux causes de souffrances (voire cultiver les actes vertueux causes de bonheur). Notre compassion s'en ressent, car si le renoncement n'est pas synonyme d'équanimité, nous savons désormais que l'errance sans fin des êtres sensibles dans l'océan de souffrances du samsāra est le fruit de leur ignorance quant à la causalité de leurs actes.

Si chacun de nous se mettait du fond du cœur à cultiver le souhait d'aider l'ensemble des êtres, nous gagnerions alors un solide sentiment de confiance qui mettrait notre esprit dans un état d'aise (...)

Si nous possédons en nous-mêmes calme et contrôle, alors, même si tout devient hostile autour de nous, rien ne nous perturbera. Pour une telle personne, l'environnement entier est amical et contribue au calme mental EMK-75-76

Lorsque après avoir atteint l'Éveil le Bouddha Sakyamuni enseigna à ses quatre premiers disciples, compagnons spirituels durant de longs éons, il leur suffit de trois transmissions pour atteindre le nirvāna. Toutefois, supposer que le Bouddha fut, seul, à l'origine de leur libération serait lui conférer un pouvoir magique ! Certes, l'omniscience d'un Bouddha lui permet de voir à travers le continuum mental de chaque être comme dans un livre ouvert de sorte à leur transmettre un enseignement à leur capacité de compréhension. « Afin de montrer la voie juste aux autres êtres, vous devez d'abord avoir foulé vous-mêmes ce chemin (...) savoir en quoi ce que vous aller enseigner va les aider temporairement et ultimement (...) acquérir différentes catégories de clairvoyance afin d'être à même de connaître l'esprit des êtres et leurs besoins réels » EMK-79.

Bien que ce fut la compassion qui le poussa, indéfectiblement, a vouloir atteindre l'Éveil pour le bien de tous les êtres sensibles, pour autant même le Bouddha ne peut libérer quiconque à sa place. Le nirvāna et l'Éveil résultent de l'intention et de la réalisation de chacun. Le rôle de l'enseignement et du guide spirituel est de montrer le chemin, de la manière qui sera la mieux à même de faire sens à chacun, selon ses capacités, pour faire naître la motivation à suivre la voie.

Le Bouddha dit : Vous devez faire votre travail vous-même. Si le Bouddha doit être appelé un sauveur c'est seulement en ce sens qu'il a découvert et indiqué le Sentier qui conduit à la Libération, au Nirvāṇa. Mais c'est à nous de marcher sur le sentier EB-WR-8

Il est dit que le Bouddha n'aurait pas, spontanément, enseigné après son Éveil, voire même qu'il aurait d'abord refusé tant ce que son omniscience lui aurait révélé était incommensurable. L'enseignement du Dharma doit faire l'objet d'une demande sincère de la part des êtres. S'agissant d'une philosophie, c'est par la réflexion personnelle que chacun acquiert des réalisations. Il n'y a donc pas de méthode parfaite et idéale, seulement une voie à suivre. Il [le Bouddha] ne se présente pas comme investi d'une autorité exceptionnelle pour communiquer aux hommes la teneur d'une révélation qu'il aurait miraculeusement reçue. « Il proclame des faits qui lui sont apparus au cours de ses investigations, de ses méditations et il indique les moyens propres à nous amener à voir ce qu'il a constaté, propres à nous éveiller comme il s'est éveillé, à nous délivrer comme il s'en est délivré » BB-10.

Il n'y a pas de vérité absolue qu'un intellect méticuleusement développé pourrait saisir tel un sportif parfaitement entraîné pour décrocher la médaille d'or de sa disciple, ni de recette secrète unique pour y parvenir. Dans la lignée académique Geloukpa, les moines passent vingt ans à développer le raisonnement logique et à philosopher sur les enseignements des soutras, la dialectique constituant l'outil privilégié pour cultiver la sagesse. A contrario dans la lignée Nyingmapa, la pratique des tantras du Vajrayana est au cœur de la voie. Or, leur source est commune, le Bouddha Sakyamuni et Padmasambhava, « ni le même ni différent » !

Tous les phénomènes composés étant impermanents, rien n'est absolu au sens de transcendant et d'immanent. La vérité ultime est « au-delà du par-delà » de tous concepts et de toutes conceptions, ce qui la rend par définition inconnaissable (non conceptuelle) et confère à sa traduction un caractère relatif à celui qui la transmet et conséquemment... à celui qui la reçoit !

Autrement dit, atteindre l'omniscience ne confère pas, même aux bouddhas, de découvrir La manière parfaite d'enseigner. Et pourtant, la « saisie directe » de la vérité ultime est possible. Il importe en cela de préciser de quel « sens » l'on parle, conceptuel ou de réalisation. Il y a plus d'un fleuve qui se jette dans l'océan. Dans un trek, nous suivons un même chemin sans tous le parcourir de la même manière ni à la même vitesse, mais au sommet, le même spectacle s'offre à tous.

La réflexion mène à la compréhension du connaissable et il y a autant de façon de faire émerger le sens (euréka !) que d'intellects s'appliquant à le saisir, comme il y a autant d'expressions des asanas du yoga qu'il y a d'anatomies différentes. La pratique est le reflet du pratiquant, la pensée le reflet du penseur.

Mais comment la saisie sans objet (la réalisation de la vacuité) peut-elle être contiguë à la connaissance par objet (la conceptualisation du vide de réalité propre) ? Comment cette dualité peut-elle s'inscrire dans une continuité ?

Une chose ne peut apparaître à partir de rien. Le non-être ne peut pas être le prolongement de l'être ni sa cause. Cependant, il ne s'agit pas ici d'opposer l'être au néant, ce dont il est question ce n'est pas le vide, mais la vacuité ! En dessous de la longueur d'onde de la lumière (dans son référentiel) la lumière disparaît sans que pour autant cet « en-deçà » constitue l'au-delà d'un seuil que la mesure franchirait par un « saut quantique » entre deux états diamétralement opposés. L'absence de lumière est contiguë à sa présence. Il n'y a pas d'objets qui se déplacent, mais un mouvement qui relativement à la position et à l'angle de vue d'un observateur lui apparaît sous la forme d'objets en mouvement !

Ils ne sont pas deux, il ne faut pas en faire deux... La réflexion intellectuelle du sens par la manipulation idoine des concepts produit au terme de sa maturation la réalisation dudit sens sous une forme non conceptuelle ! Ce qui se produit à ce moment-là (dont l'atemporalité et la non-localité échappent par définition à toute mesure !), c'est la révélation de la nature véritable des phénomènes qui démasque le caractère illusionné des apparences sans pour autant l'empêcher. La forme est le vide et le vide est la forme...

Pour autant, ladite apparence de dualité a la vie dure eut égard au fait que, n'ayant pas encore réalisé la vacuité, la vue de la continuité des phénomènes nous demeure invisible. Nous croyions ainsi en l'existence d'un seuil dans le processus de la réalisation dont le franchissement matérialise une dualité.

Il est aisé de comprendre la transformation de la glace en eau, mais plus difficile de saisir les conditions qui font que, brusquement, il se met à neiger. Pourtant, puisque toute est le résultat de causes, dès lors que les conditions qui y président changent alors le résultat change également. «C'est dans la nature des choses conditionnées que de changer en fonction de causes et de conditions » EMK-79.

En notre état actuel « d'être ordinaire », il nous est difficile de nous représenter la vacuité, d'imaginer ce que peut être l'état du nirvāna et d'entrevoir celui l'état de l'esprit d'un bouddha, encore moins d'imaginer qu'il nous est possible de les réaliser nous-mêmes un jour ! « Au stade initial, vous pourriez ne pas même comprendre comment il est possible pour vous de cultiver un tel état d'esprit [la bodhicitta en action induite par la bodhicitta en intention] » EMK-79.

Pourtant, la raison est mère de la sagesse. Par l'analyse et le questionnement du sens, il nous est possible d'induire un état de réalisation qui, à terme, sera abstrait de toute pensée conceptuelle et constituera une « expérience [de ce sens] obtenue sans artifice ». « L'expérience provoquée correspond à ces sentiments qui s'élèvent dans votre esprit du fait que vous avez utilisé des raisons subtiles [d'analyse ou d'investigation] (...) si vous continuez ce processus en le renforçant et en le développant, il viendra un moment où vous rencontrerez une situation particulière telle que [sans raisonnement] un fort sentiment surgira automatiquement dans votre esprit » EMK-73

Mais savons nous comment cette induction fonctionne, c.à.d. comment l'esprit produit du sens ? Y a-t-il seulement un mécanisme quantifiable à l'œuvre dans ce phénomène ou la clairvoyance surgit-elle d'une manière elle-même indéfinissable ?

Le fait est que nous n'en savons rien ou plus exactement que nous n'en avons pas conscience en l'état actuel de notre discernement ! Nous voyons seulement le résultat (la lumière qui apparaît ou disparaît) duquel nous déduisons que le phénomène lui-même surgit impromptu et inexplicablement. En tibétain, le mot « méditation » signifie familiarisation, dont le sens est celui d'une progressivité de l'habituation qui conduit au surgissement du sens, « grâce à une pratique répétée et à l'habitude, vous vous en approcherez graduellement » EMK-79.

L'acception du terme ne désigne pas l'idée d'une mesure de graduation « pas à pas » mais celle d'une continuité progressive. Lorsque les causes changent du fait de l'impermanence, leurs effets (les phénomènes) changent également. La moindre variation des valeurs des conditions qui président à la formation de la neige suffit à la transformer en pluie sans que cela ne constitue un effet de seuil. L'apparence de changement que nous observons à notre niveau, le passage d'un phénomène à un autre est la conséquence d'une évolution sensible des causes et conditions qui s'inscrit au sein du mouvement continu de la trame du réseau global, vaste et profond de l'interdépendance.

De la vue en 2D à la vue en 3D de l'anamorphose, de la vue en relief à la vue en creux de l'ombre, tout changement de perspective nous apparaît duelle. Notre cécité nous masque la vue du mouvement sous la vue de l'apparence d'objets qui se meuvent en nous entraînant à croire dans un effet de seuil, de « saut quantique », dans le surgissement du sens. Cette illusion de surface reflète l'imperfection de notre discernement. La saisie du sens au-delà du penseur est le reflet de la clairvoyance de l'esprit par-delà le sens...

L'ignorance est la conception erronée d'une existence réelle. Il s'agit d'un esprit qui interprète de travers et de façon perverse son objet, c'est en cultivant l'antidote d'une compréhension sans erreur que nous pouvons l'éliminer EMK-34

La manière de réfléchir à la souffrance et d'y réagir sont intimement liées à notre expérience, qui en conditionne la conception et la compassion envers nous-mêmes et les autres relativement à l'idée de l'être. « La compassion est un état d'esprit qui se concentre sur les êtres souffrants, le souhait de les libérer de la souffrance. Elle peut être de trois types selon l'aspect de la sagesse qui l'accompagne : concentrée sur les êtres ; sur les phénomènes [l'impermanence] ; sur l'inconcevable [leur absence d'existence inhérente] » EMK-54.

Pour les pratiquants bouddhiste de « moyenne capacité » (visant le bonheur au-delà du samsāra), la manière de penser la souffrance subit une gradation en méditant le renoncement à l'appui des «douze liens interdépendants » (c.à.d. l'enchaînement des causes et des conditions des «renaissances » fruits des perturbations mentales dont la racine est l'ignorance) et des « quatre Nobles Vérités » (qui expliquent par le concept de l'impermanence pourquoi tout ce qui est impermanent est souffrance). « En réfléchissant aux souffrances qui nous affligent personnellement, on développe le renoncement, puis en analysant celles qui affligent les autres, on développe la compassion » EVE-205.

Pour les pratiquants de « grande capacité » (dont l'objectif est d'atteindre l'Éveil), la manière de cultiver la compassion en regard de la réflexion sur la souffrance s'appuie sur le renoncement, couplé à l'esprit de la bodhicitta et à la sagesse qui réalise la vacuité. La manière d'analyser la souffrance devient alors proactive. Il ne s'agit plus d'user d'antidotes après avoir été empoisonné par les émotions destructrices, mais d'éviter de se contaminer en inhibant toute action négative avant même la formation de leur intention au sein de l'esprit...

Méditer la vacuité conduit à la « saisie directe » de l'être dont l'ainsité, décohérée de l'idée de substance, se révèle vide de réalité propre. Dans la lignée de sa réalisation, comment la méditation analytique développe-t-elle la compassion authentique et universelle qui complète «l'esprit d'Éveil » de la bodhicitta ?

Pour réaliser effectivement l'insubstantialité essentielle et non conceptuelle des phénomènes, il est nécessaire de méditer. Bien que les phénomènes soient primordialement vides et libres de toutes conditions limitatives, sans le réaliser par une méditation soutenue et sans vous y accoutumer, vous ne serez jamais libre des souffrances du cercle des existences ACC-248

Avec les « quatre nobles vérités », le Bouddha Sakyamuni expose le problème, la souffrance, son origine, sa solution et le moyen pour s'en libérer et trouver le véritable bonheur (du nirvāna et de l'Éveil). Si la libération s'obtient en coupant la racine de la souffrance (« la saisie du soi » qui induit le « chérissement excessif du moi » et les actes négatifs commis en son nom envers les êtres sensibles) et si la manière de procéder consiste à développer la « vision supérieure » de sorte à réaliser la vacuité du soi de la personne, saisir que le soi n'est qu'une forme vide de réalité propre fait-il naître ipso facto la compassion universelle ?

Du point de vue de la loi de causalité du karman, le seul moyen d'éviter que les actes non vertueux que nous avons commis par le passé, en cette vie ou en d'autres vies, ne produisent des fruits de souffrances est de les épurer par le recours aux quatre forces - le regret, la prise de refuge, l'antidote (la pratique spécifique de méditation de purification) et le vœu de ne pas recommencer -.

Toutefois, c'est une tâche colossale et sans fin qui nous attends que de purifier chacun de nos karman négatifs. Si tant est qu'elle soit possible, sans développer la « vision supérieure » qui permet de couper la racine de nos souffrances par la réalisation de la vacuité du soi de la personne, nous ne ferions au mieux que nous garantir une vie prochaine pacifiée sans être pour autant libérés du samsāra !

De ce point de vue, réaliser la vacuité du soi de la personne est plus efficace car cela entraîne, corrélativement, la disparition des empreintes négatives des karman, dont le « continuum mental» de l'esprit contaminé est imprégné (ce qui l'enchaîne dans le cycle de souffrances sans fin du samsāra), ce qui revient somme tout à inhiber leur maturation en souffrances. Il ne s'agit pas d'une force d'épuration karmique (relative au domaine du « composé »), mais d'un effet de la réalisation de l'ainsité (du référentiel de la forme). Quand ceci est (la saisie du soi), cela est (le karman), alors ceci cessant, cela cesse EB-WR-37.

Selon la philosophie bouddhiste tibétaine, tous les phénomènes sont par nature interdépendants, mais se distinguent en deux catégories : « composés », « tout ce qui est établi sur la base de ses parties » EVE-196 ; et « non-composés », tout ce qui est établi (en opposition) sur la base de l'absence de parties constitutives.

Notre corps (fait d'agrégats physiques), notre esprit conscient (combinaison de « facteurs mentaux»), la souffrance (ordinaire), le bonheur (commun) font partie de la catégorie des «composés interdépendants », telle la goutte d'eau, la neige, l'ombre, l'électron... « constitués par la réunion de causes et de conditions [ayant pour] caractéristiques, l'apparition, la disparition, la durée et l'impermanence » DEB-145. L'espace, la vacuité, le nirvāna, l'état de Bouddha, puisque sans partie et ne pouvant être caractérisés par un début, un milieu, une fin, sont dits des « non-composés interdépendants ». Par opposition à ce qui est impermanent c.à.d. « né de causes et de conditions » DEB-267, ce qui n'est pas le produit de la coproduction conditionnée est permanent. «Tout ce qui est permanent est nécessairement non produit, comme exemple l'espace non-composé » COLL-136.

Permanent ne s'entend pas au sens nouménal d'un absolu transcendant et non produit n'a pas le sens d'indépendant ! L'interdépendance, c'est que tout est vide de réalité propre. Il n'y a donc pas de dualité. Composés et non-composés ne s'opposent pas. Le choix des termes peut toutefois entraîner une confusion...

La notion de « partie » implique que les composés sont eux-mêmes composés, ce qui suggère un élément fondamental incomposé ou une récursivité à l'infini, soient les vues extrêmes de « l'être » (nouménal) et « l'être et du non-être » ! D'autre part, si l'on considère ce qui est impermanent (ce qui apparaît et disparaît) comme interdépendant de l'impermanence de ses parties constitutives (nées de causes, persistant tant que durent ces causes et détruites lorsqu'elles cessent), alors cela revient à concevoir la vacuité hors de l'interdépendance (le vide sans la forme... alors que la forme est le vide !) c.à.d. comme un être en soi !

Selon son sens « réel », l'interdépendance est une question de relativité. Les phénomènes se mesurent en regard d'une « échelle de relativité » sous laquelle leur apparence (la forme de la manifestation qu'ils revêtent) est relative au « niveau de causalité » (locale, là où s'exprime la coproduction combinée), conditionné et conditionnant la perspective de l'observateur. « Le sens réel de la Production Conditionnée est le fait qu'il n'y a pas de créateur, le fait de la causalité, le fait qu'il n'y a pas d'être, le fait de la dépendance (relativité), le fait qu'il n'y a pas de moteur (dirigeant), le fait de l'impermanence, le fait que tout est momentané, qu'il y a une continuité ininterrompue de causes et d'effets, qu'il y a une conformité entre cause et effet, le fait de la variété des causes et des effets, et le fait de la régularité des causes et des effets » CP-64.

Par définition, un phénomène est « ce qui apparaît » et la forme est « l'apparence extérieure, visible de quelque chose » CNRTL. La lumière apparaît sous forme de couleurs qui reflètent ses différentes longueurs d'ondes. Or, ce qui est perçu dépend de la position relative de l'observateur : au-dessus des longueurs d'ondes de la lumière visible (constitutifs de leur référentiel) les couleurs apparaissent, en-deçà elles disparaissent ! Un phénomène est une question de « point de vue ». Tout ce qui est interdépendant, nous apparaît phénoménalement composé ou non-composé... relativement à notre position sur « l'échelle de la relativité »... et relativement à l'état de notre phénoménologie mentale !

Là où les « êtres ordinaires » (enchâssés dans l'illusion de la saisie du soi) voient (en relief) les choses comme si elles existaient de manière indépendante, de leur propre fait, les « êtres extraordinaires » (ayant réalisé la vacuité) voient (en creux) que « la forme est le vide et que le vide est la forme », c.à.d. que les phénomènes résultent de la conjonction combinée de causes et de conditions impermanentes, vides de réalité propre, autrement dit que les apparences sont notre esprit.

Qu'est-ce qu'un phénomène incomposé au sens « réel » ? C'est un phénomène invariant à tous les niveaux de « l'échelle de relativité » et à la perspective de l'observateur. L'espace est invariant de l'infiniment grand à l'infiniment petit autant pour les ārya que pour les êtres ordinaires. Le vide de réalité propre des phénomènes interdépendants se distingue relativement à l'état d'esprit qui en réalise la « saisie directe » ou en demeure ignorant. Le (grand) nirvāna (l'Éveil) ne change pas, de quelque référentiel duquel il est perçu. Au-delà et en-deçà de la « longueur d'onde» de l'état de l'esprit de Bouddha, il demeure permanent !

La véritable question n'est pas de savoir s'il existe des phénomènes composés ou incomposés, coproduits ou non produits, impermanent ou permanent, mais de réfléchir (méditer analytiquement) sur ce qu'est l'existence ?

Arguer de l'en-soi des choses, les distinguer en termes d'opposés ou de dualité, c'est témoigner de notre confusion. Reconnaître leur relativité, c'est à tout le moins faire preuve de discernement, voire de clairvoyance et de sagesse sur la voie. L'existence (conditionnée) est l'état de l'esprit qui subit la causalité des « liens d'interdépendance » dont la combinatoire le maintient dans les souffrances du samsāra relativement à son degré de contamination.

Les apparences sont notre esprit... La forme sous laquelle les phénomènes apparaissent et disparaissent à notre vue, et la manière dont nous y réagissons (par aversion ou désir-attachement), sont le reflet d'une sensibilité relative à l'état et au degré d'imprégnation de notre esprit par la « saisie du soi ». Plus nous sommes empreints par la croyance dans la réalité du « moi», plus nous agissons pour notre compte personnel sans nous préoccuper du sort des êtres sensibles, et plus nos actions non vertueuses commises envers eux (dans une quête de satisfaction sans fin) engendrent de nouvelles causes de souffrances.

Nous sommes dotés de sensibilité et de conscience dans le référentiel relativiste de notre «existence conditionnée », mais cette conscience de soi se trompe quant à sa nature véritable et souffre de par sa propre cruauté karmique de sa méprise sans même en avoir conscience ! Et si cette sensibilité conditionnée est relative à une « longueur d'onde » bien précise en deçà de laquelle elle se révèle vide, elle ne nous en fait pas moins éprouver d'inexorables souffrances.

Voyez cette image (allez sur le site en cliquant sur l'image pour voir l'animation). Elle est en noir et blanc, pourtant si vous fixez le point au centre quelques instants pendant lesquels l'image est saturée de couleurs vives et que vous garder le regard fermement fixé sur ce point sans clignez des yeux, vous continuerez à voir l'image colorée alors même qu'elle est en noir et blanc ! Le monde tel qu'il nous apparaît n'est pas le monde tel qu'il est...

Ce phénomène procède de la persistance rétinienne[i] qui imprime les couleurs vives sur notre rétine et du traitement cérébral qui superpose les deux versions de l'image. Les émotions perturbatrices impriment de manière analogue sur notre « continuum mental » un voile que la «saisie du soi » nous fait confondre avec les phénomènes ! Les empreintes karmiques des actes de nos « trois portes » (corps, parole et esprit) sont l'équivalent des couleurs vives projetées sur l'image en noir et blanc, mais leurs traces perdurent bien au-delà de notre vie actuelle...

A l'instar des teintes psychédéliques qui nous font voir une image colorée alors qu'elles ont disparu, les empreintes de nos karman continuent d'influencer notre état d'esprit et notre comportement de renaissance en renaissance. Les couleurs des passions destructrices (le bleu de l'aversion, le rouge du désir-attachement, le blanc de la confusion, le vert de la jalousie, le jaune de l'orgueil) forment les tonalités du « monde du désir », un mode d'état d'esprit auquel se superpose la croyance dans la réalité du soi (de notre personne et des phénomènes), pour faire des événements l'affaire de « ce qui (m')arrive (à moi) » !

La méditation de « calme mental » amène l'esprit à s'établir dans un mode où les couleurs (les émotions perturbatrices) ne forment plus un voile sur son continuum, le « monde de la forme », sans toutefois le libérer de l'existence samsarique...

En effet, nous soustraire de l'illusion des couleurs ne signifie pas que l'image en noir et blanc est vraie pour autant ! Elle ne l'est que du point de vue conventionnel en tant que forme dont l'interdépendance des conditions constitutives est l'aspect d'un vide de réalité propre. Autrement dit l'image elle-même, en tant que forme perçue par nos sens et comme représentation de notre esprit élaborée sur la base d'une réalité en-soi, est une illusion au même titre que les couleurs, mais dont la nature du voile est cognitive et dont l'origine réside dans l'ignorance, c.à.d. dans la cécité de la connaissance de l'esprit à l'occultation de la vacuité !

La méditation de la « vision supérieure » amène l'esprit à s'établir dans un mode où la forme (« la saisie du soi ») ne constituant plus un voile le fait entrer dans le « monde du sans-forme », sans pourtant que l'esprit ne soit désincarné et que son existence soit purement éthérée. Ce stade ne correspond d'ailleurs pas non plus à celui de la dissolution des voiles émotionnels qui est le caractère du nirvāna - dont l'entrée est le terme de la 5ème voie du hīnayāna, définit spécifiquement comme « la voie où il n'y a plus rien à apprendre » DEB-710 -.

Cette analogie des voiles karmiques avec la persistance rétinienne a pour autre mérite d'éclairer la compréhension de la manière dont la réalisation de la vacuité ouvre sur la compassion authentique et universelle. La compassion universelle s'applique à tous les êtres sensibles sans distinction ni discrimination d'aucune sorte (dans l'équanimité libre d'attachement et d'aversion). La compassion authentique est abstraite de la « saisie du soi » c.à.d. décohérée de la forme qui est l'aspect du vide. La compassion acquiert ce caractère dès lors que les apparences nous apparaissent comme les projections de notre esprit.

A mesure que notre discernement croît, notre intelligence devient de plus en plus sensible à la cohérence. Il est alors essentiel de pouvoir articuler la question de la réincarnation à la philosophie du non-soi, c.à.d. de comprendre « l'être ».

Dans les traditions des courants philosophiques du Vedanta et du yoga, l'être est conçu comme immanent, transcendant, éternel et inchangé, le Soi. Toutefois, mu par une erreur d'identification, il se confond avec le « je » ce qui l'entraîne à se réincarner de vie en vie où sa confusion grandit et se charge de karman négatifs. Ce cycle perpétuel se poursuit jusqu'à ce que le Soi réalise... que la vague est l'océan ! Alors, l'ātman se fond dans l'unité originelle du brāhman. Les traditions religieuses judéo-chrétienne (globalement les « religions du livre »), conçoivent l'idée voisine d'une âme immortelle dans un corps mortel. Sans le karman, c'est un dieu créateur, omniscient, qui (en ses voies impénétrables) régit le destin de l'être, le soumet à des épreuves, le juge et, selon, le récompense ou le punit.

La philosophie bouddhiste tibétaine postule que tout phénomène composé est interdépendant, impermanent et vide de réalité propre. Le postulat du non-soi ne permet donc pas, logiquement, de poser la question de la réincarnation ou de la renaissance (donc de l'être) dans les termes d'une dualité d'essence. Toutefois, même chez les pratiquants bouddhistes, le terme est souvent pris au sens littéral où (couplé au réductionnisme de notre mode de cognition) l'esprit, la conscience, sont conçus comme une entité. « Dans les écritures bouddhistes, notre corps est comparé à une auberge et notre esprit à un hôte qui y séjourne. Lorsque nous mourons, notre esprit quitte notre corps et s'en va vers la vie suivante, tout comme un hôte quitte une auberge pour aller ailleurs »[ii].

Le respect des enseignements, et de l'enseignant, est un préalable à l'écoute. Lorsque nous ne comprenons pas un point de philosophie, il ne s'agit pas de remettre en doute sa validité, mais de poursuivre notre effort de réflexion. « La sagesse (prajñā) est l'investigation des qualités (dharma) d'un objet à examiner. Sa fonction consiste à exclure le doute (samsaya) » CP-28.

La philosophie bouddhiste tibétaine est le fruit d'esprits versés dans la logique, dont certains ont atteint l'omniscience des Bouddhas. Mais, son acceptation ne vaut pas sans réflexion ! Notre réalisation requiert la compréhension éclairée du Dharma. Méditer le profond exige un effort de discernement très subtil...

Que voyez-vous ? Une pierre qui fait des ricochets sur l'eau ? Des motifs d'ondes distincts qui s'entrecroisent ? Des figures d'interférences résultat de la trajectoire d'un objet en mouvement avec une surface invisible ? Un objet qui se déplace ? Un mouvement sans objet ? Une forme vide et un vide à l'apparence de forme ?

Les ricochets d'une pierre dans l'eau constituent une analogie intéressante pour représenter les différents systèmes de croyances de la « réincarnation ». Sous l'angle du dualisme, la pierre figure le Soi du Védanta, les motifs concentriques représentent les enveloppes corporelles successives qu'il revêt de vie en vie, les motifs d'interférences les relations de causalité karmique entre elles. La pierre est solide et infrangible par rapport à l'eau à la surface de laquelle elle dessine des cercles en ricochant. La réincarnation est ici un phénomène corpusculaire. Les ondes disparaissent, mais la pierre continue son parcourt dont la trajectoire subit des variations suivant les impulsions du karman de l'être qui déterminent la forme d'incarnation (corporelle) du Soi et ses conditions d'existence de vie en vie...

Sous l'angle de la philosophie bouddhiste tibétaine, les ondes créées par la pierre résultent de la conjonction de nombreuses causes et conditions (la vitesse de la pierre, son poids, son angle d'incidence avec la surface de l'eau, la force de portance de l'air, de réaction de l'eau, etc.), comme « l'existence samsarique » est le produit de la causalité karmique des douze liens d'interdépendance.

Dans la perspective bouddhiste, la pierre est un phénomène composé de la catégorie des agrégats de matière - « constituée par les quatre éléments [terre, eau, feu, air : solidité, fluidité, chaleur et mouvement] et leurs dérivés » CP-24 -. Sa durée de vie dépend de la durée pendant laquelle perdurent les causes et les conditions qui rendent possibles son agrégation sous la même forme (si la pierre rebondissait sur l'eau indéfiniment, elle finirait par s'éroder aussi sûrement que les vagues ravinent les falaises des bords de mer...).

La psychologie bouddhiste tibétaine définit l'esprit comme un connaisseur qui fonctionne en concomitance avec les facteurs mentaux, lesquels correspondent à l'activité mentale qui appréhende une particularité de l'objet par similarité à la manière dont l'esprit fonctionne. «Comprendre est la fonction de l'esprit » EMK-31. Les termes esprit, conscience et mental sont mutuellement inclusifs en tant qu'ils désignent la faculté de connaître. Ni l'esprit ni les agrégats ne peuvent exister indépendamment. L'esprit n'est pas le témoin de ce qui se passe sur la scène intérieure du « théâtre cartésien » de la conscience, il en est l'activité ! 

En quoi la conception diffère-t-elle toutefois de la philosophie du Yoga qui distingue «l'instrument de cognition » du «principe de conscience » ? Et en quoi l'esprit comme « faculté de connaître » est-il antithétique avec l'idée de transmigration ?

Au sens bouddhiste, l'esprit n'est pas une entité à part qui possède la faculté de connaître, il est l'action mentale même de connaître, la cognition ! Pour éviter toute ambiguïté quant au fait que l'esprit n'est pas une chose en soi, il convient de dire que l'activité que nous nommons « esprit », dont le caractère est la connaissance « par objet », est émulée en interdépendance des facteurs mentaux. L'esprit n'est pas cela qui observe le flux des pensées s'écouler dans le mental, il est le mouvement duquel ces pensées émergent ! « Si l'on parle de continuum de conscience, il ne faudrait pas concevoir la conscience comme une entité stable et durable, mais comme une succession rapide d'actes de connaissance momentané (...) fleuve, en apparence toujours stable à lui-même, et cependant jamais constitué par les mêmes gouttes d'eau » DEB-150.

Ce flux est ce que l'on nomme l'esprit. Ses états sont influencés par la contamination des facteurs mentaux aux empreintes karmiques déposées dans le continuum de son activité par les émotions perturbatrices, comme l'eau d'un fleuve est agitée par des courants et la transparence ternie par la vase issue de ses profondeurs. « L'esprit ordinaire, dualiste confus et tourbillonnant, jouet de l'illusion et producteur de confusion est constitué d'une trame d'impulsions momentanées de pensées, de passions, sa nature est vacuité » DEB-485.

« Ce mouvement qu'est l'esprit », dont l'état est le reflet des facteurs mentaux plus ou moins contaminés par les émotions perturbatrices, dépend étroitement des conditions qui le rendent possible, donc de la durée pendant laquelle ses agrégats perdurent dont le terme est la dissolution à la mort. Esprit, conscience, mental sont donc impropres à qualifier cela qui persiste et qui transmigre.

Le bouddhisme désigne par le terme de « Claire lumière » cette nature subtile et trace une frontière entre le mode ultime et le « connaisseur ». La lumière éclaire les objets et sa nature est une onde. La cause diffère de l'effet. Mais, si la nature de la lumière n'était pas ce qu'elle est, son interaction avec les objets ne pourrait pas avoir pour effet de les rendre apparents puisque c'est la relation entre sa longueur d'onde et la taille des objets qui les fait apparaître visibles !

Comment la fonction apparaît-elle ? N'y a-t-il aucun lien de causalité entre la « Claire Lumière » et le « connaisseur » ? La « Claire lumière » est-elle l'essence (non substantielle) du connaître en son mode le plus subtil ? Ce mode devient-il faculté lorsque les conditions de son interaction changent avec le changement d'échelle relativiste des phénomènes composés sous forme d'agrégats ?

Rien ne surgit de rien et un effet (même relatif à son propre niveau) ne surgit pas sans lien avec l'état inférieur qui le cause. La corrélation est trop forte entre « Claire lumière » et « connaisseur» pour qu'il n'y ait pas de causalité entre nature et fonction. Quel que soit ce subtil, son interaction rend possible l'émergence du « connaisseur ». L'ordinaire surgit du profond...

Un effet ne peut s'inscrire que dans l'ordre d'une continuité sérielle avec sa cause. Le résultat conserve intrinsèquement la même nature que sa cause. Chaque moment de conscience produit un résultat ultérieur de même catégorie ; un autre moment de conscience EMK-61

Le spectre électromagnétique de la lumière s'étend sur une très large gamme de longueurs d'ondes dont seulement une fraction nous est visible. Sur l'échelle de l'esprit, « Claire lumière » et «connaisseur » sont aux antipodes. Seul la vue de l'esprit ordinaire (en notre état ordinaire), nous est accessible sous le mode mental de la phénoménologie (connaissance interne) qui est une saisie par objet. « Une conscience est définie comme l'instance qui connaît distinctement (...) connaissance des aspects, qui sépare, distingue et discrimine » DEB-150.

Le connaisseur et ses facteurs mentaux ne seraient donc que la partie visible de l'iceberg ! En-deçà de la lumière visible, les longueurs d'onde des ultraviolets, des rayons X et des rayons gamma sont bien trop petites pour être perçues par notre œil, mais c'est toujours la même onde ! A l'instar, la « Claire lumière » est par trop subtile pour que l'esprit en son mode ordinaire la saisisse (et la conceptualise), mais, c'est toujours la même nature du connaître (« l'essence de sa fonction»)!

Se comprend dès lors que la « Claire lumière » nous soit d'ordinaire invisible et qu'elle ne puisse s'entrapercevoir que dans les états d'absorption méditative les plus profonds (c'est comme d'écouter le silence...) et que les voiles recouvrant l'esprit deviennent transparents, en raison du fait que sa cognition relève d'un au-delà du conceptuel... « Lors de la dissolution de l'esprit ordinaire, entre deux pensées, se manifeste une présence vide et lumineuse, sans objet, qui transcende tout ce qui appartient au domaine de la pensée. Rigpa désigne cette Base primordiale incomposée, à la fois vacuité et luminosité » DEB-485.

En comparaison à la philosophie du yoga, la « Claire lumière » ne recoupe donc pas l'idée du «principe de conscience » pas plus que le « connaisseur » celui de « l'instrument de cognition ». Ils sont une seule chose, « ni différent ni le même » selon la perspective adoptée... Reste à déterminer si la dualité du corps et de l'esprit s'inscrit, elle aussi, dans la même logique ?

Selon la philosophie bouddhiste tibétaine, le cycle du samsāra se décline en six mondes (enfers, domaine des esprits avides, monde animal, humains, des demi-dieux, et des dieux), ainsi qu'en trois domaines (désir, forme et sans-forme) une déclinaison qui n'est toutefois pas à prendre au pied de la lettre...

Les six mondes figurent des états d'esprits contaminés, respectivement : la colère et la haine ; l'avidité et l'avarice ; la stupidité ; le désir tempéré ; l'envie et la jalousie ; l'autosatisfaction et l'orgueil. De ces six modes d'existence, « l'humain » est le seul permettant d'atteindre le nirvāna et l'Éveil - à condition de posséder les (dix) libertés et les (huit) richesses de la « précieuse vie humaine »... et d'en faire bonne usage ! -. « Elle permet à ceux qui s'y efforcent de gagner la libération du cycle du samsāra, les autres états d'existence étant sujets à une obnubilation passionnelle telle qu'elle bloque ce désir d'Éveil » DEB-504.

L'existence samsarique est l'éternel recommencement des mêmes souffrances qui résultent de la même chaîne de causalités qui entraîne l'esprit - sous la racine de l'ignorance et des impulsions karmiques - à reproduire sans cesse les mêmes actions non vertueuses. « Il ne s'agit pas de lieux dans l'univers où vivraient des êtres mais des états d'existence successifs conditionnés par l'ignorance et le karman subséquent (...) au sein de différents domaines et conditions d'existence, au gré de la rétribution des actes accomplis par l'être illusionné » DEB-504.

Les domaines sont des états ou niveaux de conscience de degrés décroissant en termes d'influence du karman et des émotions perturbatrices : le domaine du désir est sous l'emprise du désir-attachement ; celui de la forme l'obtention du « calme mental » authentique ; celui du sans-forme correspond aux états d'absorption méditative profondes. L'esprit n'y est pas encore libéré du désir-attachement, mais les voiles des cinq sens sont plus subtils permettant un pas de plus dans le discernement du profond. D'ailleurs, « aucun de ses états d'existence n'échappe à la mort et à la transmigration, pas même celui du sans-forme » DEB-505.

Même si ces mo(n)des sont mentaux, le vide demeure indissociable de la forme comme les ricochets sur l'eau sont inconcevables de la pierre... Comme le lac reflète la Lune, il n'y a pas de reflet sans surface réfléchissante, ni d'ombre sans lumière ni bâton ! « Lorsque notre corps est détendu et immobile, notre esprit peut être très agité, sautant d'un objet à l'autre. Cela indique que notre corps et notre esprit ne sont pas la même entité[iii] »

Que les choses puissent nous apparaître d'une manière tout en paraissant exister d'une autre suggère-t-il qu'elles sont effectivement opposées et duelles en leur essence ou cela constitue-t-il autant d'indices que la vérité est plus subtile et requiert plus de souplesse d'esprit ?

La mer peut être d'huile et agitée de courants marins profonds ! A notre échelle, les objets paraissent solides et tangibles comme s'ils possédaient ces propriétés en propre, alors qu'au niveau atomique elles sont composées d'un vide physique immense ! Les plaines de nos campagnes sont parfois planes sur des kilomètres, mais au niveau quantique le vide est agité d'un bouillonnement constant causé par l'apparition et la disparition incessante des particules virtuelles !

Au sens profond, le corps peut-il se concevoir indépendamment de l'esprit ? N'est-il pas tout simplement étonnant que tous les phénomènes puissent résulter de la combinaison de causes combinées, ultimement, vides de réalité propre ?

S'il faut un milieu idoine pour propager les sons, les cordes d'un violon ne vibrent pas moins dans le vide ! Sous leurs longueurs d'ondes respectives, les couleurs disparaissent sans que la lumière ne cesse d'exister au-delà ! D'un côté, la forme de l'autre, le vide... D'un côté, la pensée conceptuelle, de l'autre, les états de pensée sans objet... Singuliers échos des ricochets d'une pierre sur l'eau...

Quand on regarde les différents chemins du sacré, les religions, le mysticisme, la spiritualité, la philosophie (pour ce qui est du bouddhiste tibétain), l'on observe un syncrétisme parfois surprenant entre les croyances (comme au Japon entre le shintoïsme et le bouddhisme). C'est que toutes les voies du sacré comprennent une dimension éthique qui les rapprochent et en font une aspiration essentielle à l'humain. Toutefois, sur le plan profond, la cohérence logique ne tient plus entre l'animisme, qui s'appuie sur la croyance dans une nature dans laquelle chaque chose est « animée d'une âme », et le « non-soi » de la philosophie bouddhiste...

Pour autant, si l'on met de côté les systèmes de pensées qui supportent toutes les traditions religieuses, l'on retrouve un autre point commun de l'accès au sacré, l'introspection qui mène au cœur de notre intériorité par l'isolement, le silence, la méditation, etc. dont les pratiques entraînent l'abolition des frontières du « moi » et ouvrent sur le « sentiment océanique » de faire partie d'un tout...

Là encore, la manière de concevoir le « tout » pâtit d'une inspiration dualiste en la croyance d'une réalité propre de l'être qui biaise l'expérience du sacré. Dans les religions issues du courant philosophique du Védanta et du Yoga (tel que l'hindouisme), la réalisation du sacré est « l'union » du Soi individuel au Soi universel. Dégagé de son identification au « je » le Soi s'unit au Tout, comme la vague se fond dans l'océan... 

Le sens profond du non-soi est double, saisir la vacuité du soi, c'est saisir le non-soi ! Il n'y a rien à unir, il a à lever les « entraves des vues » qui nous empêchent de (re)connaître notre véritable nature ! L'abolition des frontières du « moi » ouvre sur un tout qui ne relève ni de l'idée du soi, ni de la conception des extrêmes, ni des fausses vues.

Celui qui est entravé par les vues cherche et s'attache à une fausse délivrance imaginaire. S'attachant à une fausse délivrance, il commet des actes défavorables et ne commet pas d'actes favorables. Ainsi, produisant la souffrance future, il est entravé par la souffrance CP-91

Toute la difficulté à penser la « réincarnation » en cohérence avec la philosophie bouddhiste tibétaine (et conséquemment à établir notre « confiance éclairée » sur ce point) réside, paradoxalement, dans la spécificité même de cette pensée, la réfutation des extrêmes qui mène au « juste milieu » !

Le bouddhisme réfute l'idée d'un Soi immanent et éternel, l'éternalisme ou la « vue extrême de l'être » - la « saisie du soi » est l'ignorance fondamentale innée que le moi est les agrégats -... tout en considérant l'idée que « le soi ne renaîtra pas et qu'il sera anéanti après la mort [nihilisme] » EVE-215 comme la « vue extrême » du non-être ! 

Or, s'il n'y a pas de soi substantiel ou d'âme individuelle et si la conscience (ou l'esprit) est un phénomène interdépendant comment peut-il à la fois être un agrégat produit d'une conjonction de causes impermanentes et transmigrer de vie en vie par-delà les conditions qui lui confèrent l'existence ?

Cela qui transmigre doit posséder un caractère de permanence ne serait-ce que relativement aux autres phénomènes impermanent, car sinon il cesserait d'exister à la mort ! Or, qu'il puisse y avoir une essence fondamentale de l'être qui ne soit ni nouménale ni phénoménale constitue la « vue extrême » de l'être et du non-être ! Quant à l'impossibilité de qualifier cela qui transmigre ni en termes d'être ni en termes de non-être, cette quatrième « vue extrême » complète l'ensemble !

Comme si la quête de l'explication nous obligeait à un effort de renversement radical de notre perspective... Et c'est précisément en renvoyant « dos à dos » chacune de ces inférences que la philosophie bouddhiste tibétaine nous éclaire sur la manière de raisonner pour saisir le sens profond du « juste milieu » et sortir de cette aporie en replaçant la relativité au cœur du raisonnement...

La forme et le vide, la pensée conceptuelle et la pensée sans objet, le corps et l'esprit ne sont pas duels ! Comme les couleurs qui apparaissent ou disparaissent en relation de la taille des objets avec la longueur d'onde de la lumière qui interfère avec eux, au-dessus d'un seuil la connaissance de l'esprit procède de la forme, en-deçà du sans-forme... Pour comprendre la signification profonde du « non-soi » (et comment la réalisation de la vacuité débouche sur la compassion authentique au-delà de « la saisie du soi »), il nous faut saisir l'analogie non pas sous l'angle de la «mesure », mais sous celui de la sensibilité...

Lorsque l'on regarde les définitions de la sensibilité dans les différents domaines de la science, que ce soient en optique où elle désigne « la grandeur utilisée pour définir la capacité d'un capteur à percevoir la lumière », en électronique où elle est le désignant du « niveau minimum de signal détectable par un récepteur », en physiologie où elle signifie la « propriété d'un être vivant de capter un stimulus et d'y répondre », l'on s'aperçoit que toutes rejoignent (par anthropomorphisme) la définition philosophique de la « faculté à percevoir par les sens ».

Sensibilité et mesure sont des termes « mutuellement inclusifs » au sens de la philosophie bouddhiste tibétaine, « lorsque [deux] phénomènes différents sont mutuellement déterminés par les huit portes de recouvrement » COLL-18, ce qui ne veut pas dire synonymes, mais implique entre autres que : ce qui est mesurable est assurément sensible, ce qui est sensible est assurément mesurable ; s'il y a mesure, il y a assurément sensibilité, s'il y a sensibilité, il y a assurément mesure. Toutefois, à l'instar de la vacuité, « zéro » n'est pas égal à rien ! Qu'il n'y ait pas mesure n'implique pas, assurément, qu'il n'y ait pas sensibilité...

En physique des matériaux, la sensibilité se définit comme une « diminution de la résistance (...) variable aux facteurs pouvant provoquer une rupture » CNRTL. Sous cet angle, un objet est mesurable (dans le spectre de la lumière visible) tant que la sensibilité à l'impermanence de « la conjonction de causes combinées » dont il résulte oppose une résistance proportionnée à « la combinatoire conditionnée » de la lumière. La diminution de cette résistance (par la réduction de la taille de l'objet) entraîne la dégradation de la sensibilité de sa forme (progressivement transparente et intangible) jusqu'au point de rupture ou de « basculement » (en-deçà de la mesure zéro) où la forme se révèle vide de réalité propre...

Selon la logique formelle, s'il n'y a pas de forme, assurément il n'y a pas de matière et réciproquement (termes « mutuellement inclusifs »). Or, la forme peut être occultée par le passage sous la longueur d'onde de la lumière - à l'instant de la mort, la conscience disparaît du corps pour réapparaître miraculeusement (sans explication) dans le bardo et inversement à l'instant de la naissance ! -. Qu'elle est donc cela dont les variations de la sensibilité le font apparaître tantôt comme forme tantôt comme vide ?

A un niveau focal plus profond, les ricochets se révèlent pur mouvement. Non pas « l'expression phénoménale » de la trajectoire de la pierre qui produit d'autres mouvements en ricochant, mais mouvement ultimement indifférencié ! L'électron est l'ombre de la mesure, la forme est « l'ombre phénoménologique » (l'état d'esprit ou de la conscience mentale) de la sensibilité de la « claire lumière » du connaisseur à la connaissance. « Il n'y a pas d'objet qui se meuvent, c'est le mouvement qui constitue les objets qui nous apparaissent » ESBT-26.

Par analogie, le « cycle des renaissances » apparaît comme un phénomène ondulatoire. Sous cet angle, la vie et la mort ne se conçoivent pas en terme de création et de destruction. Il faudrait plutôt y voir les variations de l'amplitude d'une onde dans son mouvement autour d'un seuil, au-delà ou en-deçà duquel elle s'exprime dans des conditions de phénoménalité différenciées. La vie et la mort exprimeraient les variations de la phénoménologie de la longueur d'onde de l'esprit de « Claire lumière », dont la sensibilité se traduirait sous la forme de conditions de manifestation (ou d'états de conscience) du plus grossier au plus subtil (du matériel à l'énergétique pur), dans un mouvement où « l'effet n'est pas autre chose qu'une transformation de la cause qui change d'aspect (...) Il est l'œuvre de courants, de moments continus et efficients » CT-112.

Plutôt que de penser la vie et la mort, le corps et l'esprit en opposition radicale, l'approche relativiste les aborde comme des référentiels dont les modes de manifestation phénoménales sont relatives au point de vue de l'observateur. En cela, elle nous fait réinterroger notre conception de l'être. Qu'est-ce que l'électron sans la mesure, l'ombre sans le bâton, la forme sans le vide ?

Dans un cadre philosophique où tout phénomène composé est interdépendant et impermanent, où les « mondes » et leurs « domaines » sont des états ou des niveaux de conscience, où « les apparences sont notre esprit », où le samsāra est la « roue de l'activité imaginaire », la vue ondulatoire fait sens avec la logique de l'insubstantialité de l'être (non-soi), et y compris avec le darwinisme, la biologie et la physique comme cadre de manifestation dont les lois déterminent les formes et le caractère opératoires de ces états de conscience...

Le bouddhisme conçoit la mort dans les termes d'une destruction, la vie d'une création, avec le passage par un état intermédiaire le bardo qui s'apparente à une disparition et à une apparition relativement au référentiel de l'observateur. La mort est une dé-composition des cinq agrégats sous l'effet de conditions karmiques - à partir du stade d'Arya, la mort n'est plus conditionnée par les perturbations mentales -. L'esprit et les « facteurs mentaux » qui l'accompagnent (les cinq consciences sensorielles) font partie de ce qui meurt. L'esprit de « claire lumière » (la conscience mentale), les empreintes des « facteurs mentaux » vertueux ou non vertueux qui impriment le «continuum mental », font partie de ce qui ne meurt pas et se continue d'une autre manière, « ni différent ni le même »...

Ce qui meurt, c'est le phénomène composé des cinq agrégats, la personne physique, le sentiment du moi de cette vie. Ce qui perdure, bien qu'impermanent, c'est le continuum de la conscience mentale porteur des semences du karman.

Ce qui transmigre de vie en vie n'est ni une âme personnelle ni un soi permanent (ātman), mais le continuum d'impulsions instantanées de la conscience, chaque nouvelle impulsion étant conditionnée par l'impulsion du moment immédiatement précédent et par les circonstances des objets rencontrés, les facteurs de composition internes ou empreintes du passé DEB-390

Dans la philosophie bouddhiste tibétaine, rien n'a caractère d'en-soi. L'esprit de « Claire lumière » est un phénomène non réductible à une essence nouménale - dans l'école Nyingmapa, la conscience de « base universelle » comprend elle-même les bases : primordiale, d'émergence et de manifestation -.

De la naissance à la mort, du passage de la « claire lumière » de la mort dans le bardo à une nouvelle vie, la conception corpusculaire, « l'idée d'états d'existence successifs encadrés par deux ruptures temporelles (mort et conception) » DEB-70, s'éclaire au complément du point de vue ondulatoire où le discontinu se révèle continu sous l'angle de la relativité. Leur recoupement stimule l'intuition et permet d'entrapercevoir la vérité du profond sur la base de l'interdépendance et de la vacuité dans une quête libératrice du sens. « L'atome est déterminé (définit) au moyen d'analyse ultime par l'intellect, en vue de l'abandon de l'idée de groupe, et en vue de la pénétration dans la non-réalité de substance de la matière » CP-85.

L'idée que le samsāra est infini (permanent car sans commencement ni fin), peut paraître contradictoire avec l'impermanence. L'acception n'est toutefois valable qu'au sein de son référentiel dont il est possible de s'extraire de par sa cessation (nirvāna). Considérer le « cycle des renaissances » comme une succession de « sauts quantiques[iv] » qui emportent y compris le connaisseur, la cognition et la connaissance assure que ceux-ci sont soumis à l'interdépendance !

Dire que l'esprit de « claire lumière » meurt en passant de l'état intermédiaire pour renaître au bardo et y mourir à nouveau pour renaître à la vie, c'est à travers l'affirmation d'une causalité poser celle d'une discontinuité qui distingue la conception bouddhiste des courants du Védanta et du Yoga qui prônent a contrario l'existence de la continuité infrangible et immuable du Soi !

La philosophie bouddhiste tibétaine atteint ainsi le « juste milieu » en évitant les extrêmes de l'être (Soi non soumis à la causalité) et du non-être (une conscience épiphénomène, produit de l'activité du cerveau, qui disparaît à la mort). De plus, que la « claire lumière » ne prenne pas fin avec la mort du corps induit également que la causalité du réseau vaste, global, profond et sensible de l'interdépendance des phénomènes n'a pas de fin, et corrélativement que la vacuité est sans commencement !

Le bouddhisme concilie ainsi le principe de l'impermanence avec l'idée que rien ne meurt véritablement ! « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » selon Lavoisier. Dès lors que l'on considère l'interdépendance des phénomènes sous l'angle ondulatoire, la cause devient consubstantielle de l'effet, sans disjonction ni réelle disruption, vide d'impulsion et de résultat...

Ce que nous dit le bouddhisme en arguant d'une différence entre le corps et l'esprit, ce n'est pas qu'il y a dans « l'agrégat de l'être pensant » un élément qui ne puisse pas se réduire au corps - un principe de connaissance duel à un instrument de cognition tels que conçus par la philosophie du Yoga de Patanjali - mais que l'émergence (l'apparition, la naissance) d'un « être sensible » n'est pas tributaire de la « claire lumière » à elle seule, mais dépend du réseau (cognitif) de l'esprit à la trame (mentale) duquel il participe.

Le non-soi signifie qu'il n'y a pas de « clé de voûte » à l'édifice telle que sans ce connaisseur nous serions dans l'incapacité de connaître quoi que ce soit ni même avoir conscience de notre propre existence, ce qui ferait de nous des automates ou des « zombies philosophiques[v] ». Cela ne fait pas sens de penser l'esprit ou la conscience comme un fait à part entière (à lui-même sa propre cause). Outre de nous demander « qu'est-ce qui meurt » et « qu'est-ce qui survit ? », il convient aussi de nous interroger sur « qu'est-ce qui souffre ? ».

Sans le lancer de la pierre, il ne se formerait pas d'ondes à la surface de l'eau aux endroits où elle fait des ricochets. Par analogie : la pierre figure la « claire lumière » ; le point de contact avec l'eau représente la conscience ; les ondes concentriques les « facteurs mentaux » qui l'accompagnent ; et l'ensemble définit le résultat synthétique, l'esprit conscient d'un « être sensible » impermanent.

La vue réductionniste distingue des objets là où il n'y a que pur mouvement. Or, l'onde est une propagation. Si le premier cercle est la conscience, en quoi se distinguent-il des cercles qui l'entourent (les facteurs mentaux) et de la figure d'ensemble (l'esprit) lorsqu'il s'expand jusqu'à leur position et la recouvrent ?

« Esprit, conscience, facteurs mentaux, mental », « cognition, connaissance, connaisseur » sont comme les variations de l'amplitude d'une onde qui dessinent des cercles concentriques à la surface de l'eau, en regard de la propagation desquelles « conscience de base, d'émergence, de manifestation » sont comme les modulations de sa longueur d'onde, et où « connaissant, connaissable, connu », « observateur, observation, observé » les oscillations de sa fréquence...

La philosophie bouddhiste tibétaine est passée maître dans l'art du raisonnement sur une base corpusculaire qui assure de penser la causalité au cœur de l'être en interdépendante causale de ses agrégats, mais également de réfléchir à la nature de l'esprit en interrogeant le connaissable relativement à notre capacité de connaître. Art pour lequel il importe de réduire son sujet en objets conceptuels, par réduction du connaissable en éléments manipulables par les techniques de la logique (inférence, induction, déduction, etc.), de sorte à ce que de la mise en évidence de leurs relations causales émerge la compréhension dudit sujet.

La méthode est au cœur de la Bhavāna bouddhiste qui mène à la réalisation de l'état de Bouddha par le passage « au-delà du par-delà » de toute conception. Elle entraîne des joutes dialectiques avec des systèmes de pensées antagonistes (non-soi vs soi), visant à montrer le non-sens de la représentation d'un esprit entité douée des facultés de conscience et de cognition, Soi éternel et infrangible qui transmigre de vie en vie dans le véhicule corruptible du corps, ainsi qu'à la saisie illusionnée du soi de la personne (le moi ou l'ego). Le point de vue ondulatoire ajoute de conférer à notre compréhension un angle relativiste qui éclaire la réflexion sur la souffrance au discernement de la nature de l'être.

Lorsque nous prenons la pleine mesure de ce que signifie l'interdépendance, nous comprenons que, sous l'angle corpusculaire, le fait que l'émulation d'une pensée consciente soit dépendante de l'intrication des facultés de l'esprit aux capacités du corps (du cerveau) n'est pas différente, sous l'angle ondulatoire, du fait que la forme est une perspective du sans-forme. Lorsque nous réalisons que la conscience est un phénomène inhérent à « l'être sensible », nous saisissons également que la souffrance n'est pas un fait extérieur à cet être.

L'être en souffrance n'est pas tel un vêtement qui subit les assauts de la vie et qui, au fil du temps, se salit, se ternit, se troue d'accrocs jusqu'à finalement tomber en lambeaux. S'il n'était question de la souffrance qu'en tant que conséquence du hasard, hormis le moment de la mort, vivre éternellement ne constituerait pas un pari insensé. Il suffirait de miser sur la chance de passer entre les gouttes !

Toutefois, lorsque nous réalisation pleinement ce que signifie la première Noble vérité que « Tout est souffrance », nous comprenons que nous n'endurons pas les souffrances ordinaires comme des accidents impondérables de la vie, imputables à la malchance, à un démiurge transcendant ou à l'impermanence de nos agrégats. Lorsque nous réalisons que « l'existence samsarique » est, intrinsèquement, conditionnée par notre karman, ses empreintes sur notre continuum mental et nos émotions perturbatrices, nous saisissons que la souffrance est inhérente à l'être (ce qui ne veut pas dire permanente). Subir les souffrances ordinaires (douleur, maladie, vieillesse, peine, misère, etc.), c'est éprouver en discontinu l'imperfection, l'impermanence, le vide, la non-substantialité consubstantiels à l'existence de l'être sensible.

Les fibres de notre « continuum mental » ne sont pas seulement imprégnées des impuretés des émotions perturbatrices (dont le pouvoir de propulsion karmique nous projette de vie en vie), c'est notre esprit, notre conscience, notre mental, notre corps, qui sont littéralement tissés des passions destructrices, maillés de la « saisie du soi » dont les ombres voilent notre discernement et nous entraînent à reproduire sans cesse les mêmes actes non vertueux causes de souffrances.

Réfléchir aux souffrances du samsāra a pour but de nous amener à émettre la ferme détermination de nous en libérer. « C'est la reconnaissance de la souffrance omniprésente [et une forte répulsion à son propos] qui sert de catalyseur pour encourager les individus à chercher l'état de libération » EMK-68-69.

Or, notre capacité à faire naître une réelle détermination est limitée par une visibilité réduite. Nous n'avons pas souvenir de nos vies passées comme de notre naissance et de nos premières années de cette vie actuelle, car nos agrégats ne le permettent pas, soit que la partie du cerveau qui gère la mémorisation n'est pas encore développée, soit que nos engrammes mémoriels disparaissent avec la dissolution de nos agrégats - contrairement aux Arya qui possèdent la connaissance de leurs existences antérieures -.

Notre discernement de la souffrance est également biaisé par son expérience même ! La maladie, la douleur, la tristesse, etc. revêtent la forme d'événements ponctuels que l'ignorance (ou la réfutation) de la loi de causalité du karman nous fait croire accidentels et que sa croyance nous fait saisir comme déterminés. Dans les deux cas (hormis les maladies chroniques, la misère, la vieillesse), la souffrance est vécue comme un événement discontinu et impermanent.

A cela s'ajoute le déni de notre finitude. Parce que les souffrances ordinaires surviennent d'une manière en apparence aléatoire, nous croyons illusoirement dans la chance d'y échapper. Et comme le bonheur survient lui aussi de manière ponctuelle, la souffrance paraît extrinsèque à la vie. Or, lorsque nous prenons conscience de ce que cela signifie véritablement que « Tout est souffrance », nous saisissons que la souffrance n'est pas une discontinuité affectant notre vie, elle est constitutive de notre existence ! La base de notre être est souffrance car nos agrégats sont l'expression (la projection phénoménale ou la transcription sous forme corporelle) des karman qui imprègnent la « claire lumière » de notre esprit des contaminants émotionnels perturbateurs.

La souffrance omniprésente n'est autre que la collection des constituants mentaux et physiques des êtres, que l'on nomme les agrégats contaminés, qui sont le résultat du karma passé et des émotions perturbatrices. Ils se comportent comme un agent qui engendre davantage de karma et d'émotions perturbatrices EMK-68

Tout bonheur, y compris l'enstase des états d'absorption méditatif profond, est un accident en regard de la base structurelle de l'être. Même débordant de joie et emplis de bonheurs, nous demeurons souffrance ! « Ce que nous reconnaissons comme le bonheur [contaminé ou impur] n'est pas le bonheur parfait, mais la simple absence des formes les plus grossières de la souffrance » EMK-68.

L'être (agrégé) est de souffrance « produite à répétition sous le pouvoir de la contamination du karman et des perturbations mentales » (première Noble vérité). Il y a toutefois un moyen d'échapper à cette condition qui supporte et « produit continuellement son propre résultat, la souffrance » (seconde Noble vérité), c'est d'atteindre à sa cessation ou nirvāna grâce à «l'abandon des perturbations mentales » (troisième Noble vérité). Pour nous libérer, nous devons suivre la voie qui y conduit qui est celle du « raisonnement, car elle agit comme antidote direct aux perturbations mentales » EVE-193 (quatrième Noble vérité).

Tous les bonheurs viennent du renoncement (aux actes non vertueux), de la bodhicitta (« l'esprit d'Éveil » de compassion authentique et universelle) et de la vue juste de l'ainsité (non-soi des phénomènes), les trois principaux aspects de la Bhavāna bouddhiste. Et toutes les souffrances proviennent (principalement) du désir-attachement et de l'aversion, instillés par le « chérissement excessif du moi », à la croyance dans la réalité propre et autonome du soi, qui nous entraînent à commettre des actes non vertueux dont les effets karmiques sont les causes de nouvelles souffrances qui nous propulsent sans fin dans de nouvelles vies.

Que l'être sensible soit de souffrance, c.à.d. que nos agrégats physiques et mentaux forment la «base structurelle » de la souffrance omniprésente, ne signifie donc pas que la souffrance est permanente ! Ce qui souffre, c'est l'état de l'esprit sous l'expression de phénoménalités relatives à l'état antérieur (et du bardo), du fait de la contamination de ses voiles, et non du fait de sa nature véritable, tathāgatagarbha (l'être n'est pas ses actes...). « Toute chose impermanente se désintègre et change à chaque instant, et se trouve sous l'influence d'autres facteurs tels que ses causes et ses conditions. La souffrance omniprésente ne demeure pas un seul instant constante, mais se trouve dans un processus régulier de désintégration et de changement » EMK-69.

Réfléchir au caractère profond de la souffrance, nous fait prendre conscience que si la condition de « l'existence samsarique » est, intrinsèquement, celle d'un « être de souffrance », il est cependant possible de s'en libérer du fait que cet état de souffrance est perpétué (par l'effet d'une répétition de causes auxquelles il est possible de mettre fin) et non perpétuel par nature !

Les souffrances surgissent de causes et de conditions qui leurs sont propres et sont réunies par les êtres d'une manière qui leur est à chacun personnelle. Il est donc d'une extrême importance que ces êtres sachent ce qui peut être pratiqué et ce qui doit être abandonné - ce qui amène la souffrance et ce qui détermine un bonheur durable EMK-79

Prendre la mesure de la souffrance (des différents « mo(n)des d'existence » du samsāra, rapportée à notre propre existence), c.à.d. ce que cela signifie « l'être de souffrance », a pour effet de nous inspirer le sentiment de la compassion à vouloir que tous les êtres sensibles sans distinction (qui errent dans l'ignorance de la cause véritable de leurs souffrances) soient, eux aussi, libérés de leurs souffrances. « Lorsqu'une compassion telle que l'esprit est incapable de tolérer de voir les êtres sensibles affligés de souffrances se développe, alors le souhait de les voir libérés de la souffrance naîtront aisément et spontanément » EVE-268.

Dans un contexte cyclique, la compassion s'amplifie de la méditation analytique de la répétition. Dans une perspective où nous avons vécu un nombre de vies illimitées, nous avons dû voir tous les êtres souffrir et mourir de toutes les façons possibles un nombre de fois incalculable (et en faire nous-mêmes l'expérience) ! Toutefois, le développement de la compassion au sens bouddhiste ne revient pas à pousser le curseur de ce que nous pouvons supporter à la vue du spectacle des tourments réitérés des êtres sensibles à saturation.

Il y a trois types d'états d'esprit, neutre, non vertueux et vertueux. D'ordinaire, à la vue de la souffrance, nous réagissons par indifférence, mépris ou compassion empathique, tous trois sont entachées d'émotions. En voyant une personne qui souffre, nous sommes enclins à lui porter secours sans même savoir comment. C'est comme de se jeter à sauter à l'eau pour tenter de sauver quelqu'un sans savoir nager ! Inspirés du Dharma, nous nous préoccupons d'autant plus du sort d'autrui de manière désintéressée que nous désarmons notre désir-attachement et savons qu'il existe une voie menant à la libération de la souffrance.

Quand votre méditation se concentre sur le caractère introuvable des objets au niveau ultime, elle contre l'attachement et la haine en s'opposant à la méprise de l'existence réelle EMK-72

La méditation du profond ouvre au sentiment du vaste. A mesure de l'ampliation de la clarté de notre compréhension, la réflexion sur la vacuité se fait inspirante d'une compassion généreuse et altruiste, bienveillante et fraternelle, authentique et universelle. Sous la vision analytique, la nature de la souffrance se révèle interdépendante, impermanente et vide (le sens profond de la première Noble vérité). La lucidité du discernement de « l'être de souffrance » expand ainsi au transport du sentiment océanique de la compassion.

Lorsque l'on atteint au plus profond de la méditation analytique, l'on réalise que « l'être de souffrance », c.à.d. ses souffrances, ses actes causes de souffrances et l'être lui-même sont vides de réalité propre. « Une fois la souffrance méditée, il n'y a plus rien à méditer ! ». Ni sujet, ni objet, ni cause ni effet... sans pour autant que cela ne débouche sur l'extrême du non-être...

En employant l'analyse et l'enquête intellectuelle, vous devriez développer une intime conviction qui change vraiment votre esprit.

L'expérience provoquée [induite] correspond à ces sentiments qui s'élèvent dans votre esprit du fait que vous utilisé des raisons subtiles [d'analyse ou d'investigation]

Si vous continuez ce processus en le renforçant et en le développant, il viendra un moment où vous rencontrerez une situation particulière telle que [sans raisonnement] un fort sentiment surgira automatiquement dans votre esprit EMK-73

L'expérience du « sentiment océanique » surgit de l'abolition des frontières du moi qui donne à la conscience dans ce qu'elle a de plus pur (c.à.d. décohéré de tout sentiment d'identité subjective, personnelle, psychologique) d'embrasser la nature, le monde, l'univers, de sorte à « ne faire qu'un avec le grand Tout ». Cependant, le sentiment océanique n'abstrait pas de toute limite. Il substitue au contenu étroit et autocentrée du « moi », le contenant de l'univers qui pour autant qu'il soit infini en termes d'espace, infini en termes de temps, infini en termes de la multitude de son contenu, n'en est pas moins limité... par son être même !

La méditation analytique de la vacuité amène à l'abolition de la saisie du soi de la personne mais aussi du soi des phénomènes qui réalise l'ainsité du contenu et du contenant, du désignant et du désigné, de l'être et du monde...

Conscience, esprit et connaissance sont des termes mutuellement inclusifs, au sens où l'esprit est un « connaisseur » pour la philosophie bouddhiste tibétaine et où « toute conscience est conscience de quelque chose » selon Husserl. Quelle que soit la nature intrinsèque de la conscience (au sens bouddhiste vent ou énergie très subtile), quelle que soit la manière dont elle transmigre de vie en vie - par « sauts quantiques » corpusculaires et discontinus ou par variations de la sensibilité de la longueur d'onde de la « claire lumière » à la relativité des états antérieurs et du bardo -, fondamentalement, la conscience est « conscience de l'être », de nous-mêmes et du monde.

Toutefois, cette conscience de l'être se voile à sa connaissance en s'identifiant à un soi propre et autonome par ignorance de sa véritable nature ultimement vide. La voie du Mahāyāna conduit à la double réalisation de l'ainsité de la conscience « d'être conscient de soi » et « d'être conscient du monde ». Le terme du chemin de la Bhāvanā bouddhiste est l'abolition de la saisie du « moi » (l'ego) et de la saisie du monde (forme et matière) à la confluence ultime de leur vacuité.

Ainsi, le « Tout » appréhendé par le sentiment océanique est-il vide à l'instar de la conscience. Il n'y a donc rien à unifier ! La vague est l'océan et tous deux sont vides de réalité propre. La forme est le vide et le vide est la forme... Pour autant, lever les entraves qui nous empêchent de (re)connaître notre véritable nature ne signifie pas que ces voiles recouvrent un non-être. Réaliser le non-soi n'abolit pas la conscience de l'être, elle la révèle à la lucidité de sa connaissance claire et lumineuse qui embrasse la saisie intolérablement lucide des souffrances infinies des êtres dans une infinie compassion.

De la concentration à la présence, de la présence à la sensation, de la sensation à l'osmose, la méditation de « calme mental », Samatha, agit comme vecteur du développement de la compassion... Lorsque l'exercice répété de la concentration en un point imprègne la « déité de visualisation » (l'image mentale choisie comme support) sur la rétine de l'esprit, lorsque l'agitation et la distraction se disciplinent en post-méditation par l'adoption d'une éthique de vie vertueuse, l'évocation de la déité se fait alors sensation d'une présence dans le continuum de l'esprit. En l'y imprégnant durablement, la pacification se fait invocation de la compassion des bouddhas. Un interstice s'ouvre, dont l'intuition laisse entrapercevoir l'horizon d'une imprégnation vaste et profonde du continuum mental par ce nectar...

La pratique bouddhiste principale pour développer la compassion est le tonglen, « l'échange de soi avec les autres ». Or, pour prendre sur soi les souffrances et les causes de souffrance des êtres et leur donner nos mérites et leurs causes, il faut avoir pacifié notre esprit par le « calme mental », l'adoption d'une éthique vertueuse, la prise de refuge dans le Bouddha, porte du renoncement au samsāra par la réflexion sur ses souffrances. Différentes pratiques, un même principe, « l'union du profond et du vaste » : méditer la vacuité, de façon à abolir les frontières du « moi » par la réalisation de l'ainsité du soi de notre personne ; et de permettre à notre esprit de s'imprégner de l'amour et de la compassion des bouddhas, à l'invocation dans notre continuum mental de leur compassion infinie. Tel est le sens profond et vaste de la méditation (familiarisation), mûrir la compassion des bouddhas en nous de sorte à devenir, à notre tour, un bouddha et pouvoir ainsi aider les êtres à se libérer de la souffrance.

La compassion que nous ressentons actuellement est mêlée d'attachement. Mais la présence de cette compassion indique aussi que nous avons le potentiel pour développer une véritable compassion.

Il est essentiel que nous prenions soin de cette pensée compatissante, l'encouragions et la renforcions.

À la longue, une telle compassion, pour insignifiante qu'elle puisse vous paraître à présent, peut se développer à l'infini EMK-72

Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།



Références :

COLL : Collection de sujets, cognitions et connaissance raisons et raisonnements https://www.centreparamita.org/gallery/view_album.php?set_albumName=album04 

DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html 

EB-WR : L'enseignement du Bouddha Walpola Rahula https://www.ffmt.fr/articles/paritta/pdf/enseignement-du-bouddha.pdf https://archive.org/details/LEnseignementDuBouddhaDaprsLesTextesLesPlusAnciensWalpolaRahula_201807/page/n19/mode/2up 

EMK : Les étapes de la méditation, commentaires de Sa Sainteté le Dalaï Lama sur le texte de Kamalasīla https://livresbouddhistes.com/2018/06/26/le-dalai-lama-les-etapes-de-la-meditation-commentaire-de-sa-saintete-sur-le-texte-de-kamalasila/ 

EVE : L'essence de la voie vers l'Éveil, Lama Samten Lama Samten https://www.centre-paramita.fr/collections/livres 

EVM : Entrée dans la voie médiane, le Madhyamakavatara de CHANDRAKIRTI https://www.siddharthasintent.org/assets/pubs/MadhyamakavataraFrancaisDJKR.pdf

TGVS : Le traité de la grande vertu de sagesse de Nagarjuna (MAHÂPRAJNÂPÂRAMITÂSÂSTRA) https://archive.org/details/EtienneLamotteLeTraiteDeLaGrandeVertuDeSagesseDeNagarjunaVol.I1944 

VVM : Les versets du milieu, Nagarjuna https://btr2010.files.wordpress.com/2014/04/versets-du-milieu-nagarjuna.pdf  

[i] https://hitek.fr/42/illusion-optique-couleur_3614 

[ii] Qu'est-ce que l'esprit ? https://kadampa.org/fr/reference/quest-ce-que-lesprit 

[iii] Ibid.

[iv] https://fr.wikipedia.org/wiki/Saut_quantique#:~:text=Le%20saut%20quantique%20est%2C%20dans,%C3%A9tat%20d'une%20autre%20%C3%A9nergie. 

[v] https://encyclo-philo.fr/zombies-a