I.83 – Vous n’êtes pas ce que vous croyez
Nul chemin n'est sans issue. Même un grand détour finit par nous amener à destination. La compassion universelle du Bouddha Sakyamuni arriva à pleine maturation lorsqu'il était pris dans les enfers des fruits de souffrances de ses actes. Vous ne vous égarez pas si vous questionnez chacun de vos pas.
- J'inspire lentement, j'expire lentement... Bien au calme, dans un lieu propice à la méditation, dans une posture ferme et souple à la fois, les yeux mi-clos, les sens retirés du monde, je tourne mon regard vers l'intérieur...
- J'invoque mentalement le support que j'ai choisi pour développer le calme mental et avec lequel, je m'entraîne à fixer ma concentration... Je le visualise clairement et je maintiens fermement son observation tout au long de ma méditation...
- J'ai adopté cette déité de visualisation depuis fin novembre lorsque j'en ai reçu la transmission de pouvoir par Lama Samten. Depuis, je médite deux fois par jour. La régularité est importante, conserver le même objet mental, essentiel. En Tibétain, méditation signifie « familiarisation ». Vous en saisirez pleinement le sens par l'expérience... N'attendez rien, je jugez pas, ne vous posez pas de question, ne désespérez jamais ! Efforcez-vous, avec joie, attention et vigilance...
- « Pratiquez, pratiquez, pratiquez et tout arrivera ! »...
- Je visualise la déité flottant dans l'espace devant moi à hauteur du sommet de ma tête. De son corps jaillit un rayon de lumière qui entre par le haut de mon crâne et se propage à l'intérieur pour nettoyer les impuretés de mes trois portes (corps, parole, esprit) par leurs chakras correspondants (couronne, gorge, cœur)...
- J'inspire plus lentement, j'expire plus lentement... J'entonne mentalement son mantra en suivant la propagation de la lumière qui vibre de compassion du Bouddha dont l'image mentale s'inscrit lentement dans mon esprit. Jour après jour, séance après séance, je m'applique au même exercice. Sa valeur se nourrit de ma prise de refuge et de la transmission par un maître tibétain qui confèrent à la pratique le caractère d'un réel entraînement de l'esprit bouddhiste...
- J'inspire encore plus lentement, j'expire encore plus lentement... Je maintiens ma posture avec fermeté jusqu'à ce que mon corps la tienne seul. Je récite le mantra jusqu'à entendre sa récitation se faire d'elle-même. Je fixe la déité jusqu'à ce qu'elle imprègne mon mental sans effort. Corps, parole, esprit, ainsi soutenu, je m'absorbe dans la pratique séance après séance...
- Lorsque vous suivez l'enseignement sur le « calme mental » pour la première fois, vous ne saisissez pas, véritablement, le sens du mot « familiarisation ». Mais, après plusieurs mois de pratique assidue, ce moment arrive... Soudain, sans effort, votre support de méditation imprègne votre esprit et y demeure gravé telle la persistance d'une image sur la rétine de votre mental. Il vous suffit alors de fermer les yeux pour la voir et vous y absorber totalement sans que rien ne vienne distraire ou troubler votre concentration...
- Ma respiration est très lente, si ralentie qu'elle en est presque arrêtée... Tout mon être est aligné. Corps, parole, esprit sont ancrés, immobiles dans l'instant présent. La sensation de présence de la déité est si forte que ses qualités en deviennent palpables. Un interstice s'ouvre qui me laisse entrapercevoir l'horizon fugitif d'une imprégnation vaste et profonde par ce nectar du continuum de mon esprit...
Lors de la dissolution de l'esprit ordinaire, entre deux pensées, se manifeste une présence vide et lumineuse, sans objet, qui transcende tout ce qui appartient au domaine de la pensée. Rigpa désigne cette Base primordiale incomposée, à la fois vacuité et luminosité DEB-485
- A la séance suivante de méditation, lorsque la durée qui sépare deux instants se dissout dans l'instant présent comme un rêve au sortir du sommeil, je me laisse guider dans mon absorption... Je relâche tout contrôle, je laisse faire... Ce qui se produit alors, les mots sont imprécis à le décrire tant la sensation est indicible, au-delà de l'appréhension par la pensée...
- Les rayons qui émanent de la déité deviennent soudain d'un blanc immaculé, qui s'étend à tout mon corps, le recouvre extérieurement, l'enveloppe intérieurement. Les contours s'estompent, tout devient blanc. Je me fonds dans cette couleur... Je m'immerge dans l'expérience en continuant de réciter son mantra... Soudain, les rayons deviennent transparents... Je ne projette rien, cela se fait de lui-même. Sous cette lumière, je commence à devenir translucide... Mon corps, la déité, tout ce qui compose cette scène mentale vire au diaphane...
- Cette transparence à la forme de l'eau, l'éclat cristallin du diamant. Mon attention se pose sur les contours évanescents, comme si elle cherchait à se raccrocher à quelque chose de tangible alors que la réalité glisse irrésistiblement de la forme au sans-forme... Bientôt, mon corps devient aussi évanescent et impalpable que l'espace... Bien que les yeux mi-clos et les sens repliés sur l'intérieur, je vois littéralement l'espace tout autour de moi, en moi !
- Je ne suis pas seulement « aussi transparent que l'espace », je suis l'espace ! « Je vois » et suis en même temps « cela que je vois » ! C'est comme d'entendre le silence et d'être envahi par ce silence au point que même les bruits du corps se muent en silence... Je ne sens plus mon corps, je n'en ai plus les sensations et pourtant j'éprouve physiquement la sensation « d'être l'espace » !
- Un sentiment de profonde sérénité m'envahit alors. Elle n'a rien de commun avec le calme insulaire d'un cours instant de répit dans l'océan de souffrances du samsāra. C'est la sérénité que confère l'équanimité d'un détachement que ni le passé ni le futur, ni la peur ni l'espoir, ne viennent ternir...
- Je ne fais plus qu'un avec l'espace. Invisible, impalpable, intangible... Toute sensation de dégradation, tout sentiment de finitude s'évanouissent dans l'immuable... Sans commencement, nul terme n'est à craindre... Sans substance, rien ne peut fractionner, morceler ce qui s'étend sans fin... Sans forme, nul objet ne peut constituer un d'obstacle, me bloquer ou m'entraver...
- Une profonde sensation de paix m'envahit à la dissolution du moi. Sans frontière, je suis sans différence. Sans ego, je suis sans différend... Non composé, je suis affranchi de toute servitude. Insubstantiel, je suis pur de toute contamination...
- Je demeure ainsi, sans forme, sans pensée, sans durée. Bien après le sortir de méditation (plus longue que d'émerger d'un sommeil profond...), cette sensation perdure et rejaillit lorsque je détourne mon regard des objets pour porter les yeux sur l'espace et m'y absorber dans la contemplation méditative... Alors, du plus profond, la présence de l'esprit se révèle tel l'espace immaculé...
Prenez conscience de l'espace, sentez-le. Il se produit un changement sur le plan de la conscience.
Les objets dans l'espace trouvent leur correspondance sous forme d'objets mentaux et l'équivalent intérieur de l'espace, c'est la conscience (...)
détachez votre attention des objets dans l'espace, vous détachez votre attention des objets mentaux.
En prenant conscience du vide, vous prenez conscience de l'espace du vide mental, de la conscience pure PMM-155
« Sentiment océanique », « transport mystique », samadhi, les états modifiés de conscience donnent à qui les vit la sensation extraordinaire d'atteindre ce qu'il y a de plus profond en soi, l'impression fantastique de « se fondre dans l'unité », le saisissement transcendant de « faire un avec ce qu'il y a de plus grand que soi ». Un ressentir qui s'accompagne de l'absolue certitude quant à l'authenticité de son objet et la véracité de son expérience...
Ce que l'on observe de l'extérieur, à l'écoute de ce types de témoignages, c'est le recoupement de leurs transcriptions sous des lignes communes : la fusion avec l'univers pour les laïcs hors de toute conviction religieuse ; la connexion au Soi, l'ātman des yogis dans les courants philosophiques du Védanta et du yoga ; la rencontre avec Dieu pour les renonçant et les mystiques des religions théistes.
Le silence et le vide des grands espaces, la solitude et l'introspection des retraites spirituelles, autant de conditions propices au développement de l'esprit, autant de « portes d'accès » empruntées de tous temps par des personnes de toutes origines, de toutes cultures, dont les témoignages concordent sur la dimension sacrée, le caractère transcendant, l'essence métaphysique de l'être ! Ce type d'événement affirme possible d'atteindre La vérité à l'occasion d'une expérience qui ne fait nul doute de sa nature tant son caractère emporte ceux qui la vivent par la clarté de l'évidence et l'intime conviction de son authenticité.
Toutefois, lorsqu'on examine ces témoignages sous l'éclairage bouddhiste, un contraste apparaît sur le plan philosophique à l'idée sous-jacente d'un absolu qui sourde de l'influence des croyances façonnées par la conception de la « saisie du soi » de la personne et du soi des phénomènes...
En science, une théorie est valide tant qu'elle résiste à la réfutation de l'épreuve des faits, et dès lors que ceux-ci sont eux-mêmes jugés recevables. Le Bouddha Sakyamuni a insisté sur l'importance de l'examen individuel, analytique, de ses enseignements. L'école Mādhyamika prāsangika a mis ce précepte en exergue par une méthodologie académique de transmission des soutras, préparatoire aux pratiques de développement de l'esprit par le tantrayana.
L'approche bouddhiste de la connaissance est similaire à celle de la science moderne. Au début, nous ne devrions faire aucune déclaration catégorique sur un sujet de controverse, mais examiner le problème avec impartialité. La conclusion devrait être déterminée par l'analyse, en examinant la preuve à l'aide de la raison EMK-93
Lorsque l'on adopte la voie du bouddhisme et
que l'on expérimente par soi-même des états d'absorption méditatifs profonds, il
devient possible de constater qu'ils font écho aux descriptions
phénoménologiques des expériences mystiques, mais l'explication de
la philosophie bouddhiste tibétaine diffère des interprétations substantialistes
présentées par d'autres traditions. Il apparaît alors à l'examen que notre conception
du monde et de l'être jouent un rôle prépondérant dans ces expériences. Mais jusqu'où est-elle déterminante ?
Rien n'est issu de rien. Qu'elle mûrisse lentement en arrière-plan de notre conscience ou qu'elle surgisse sans prévenir, l'expérience spirituelle est issue d'une cause que la force de ce qui fait sens à cet instant occulte à l'intensité de son vécu, à l'éclat de sa « révélation », à la sérénité de son ressentir. A n'en pas douter, la sensation ne ment pas... sur elle-même ! Mais, la sensation peut-elle, réellement, nous conférer la cognition valide de cela qui la cause ?
A travers son allégorie de la caverne, Platon pose que la connaissance sensible est trompeuse, produit d'une interprétation sujette au biais et à l'erreur. Les neurosciences nous apprennent que le cerveau construit la représentation que nous voyons du monde à partir des percepts captés par nos organes sensoriels. Ce dont nous avons conscience est le résultat d'un processus de numérisation photographique par opposition à l'argentique qui fixe sur un support le fantôme des objets. Les phénomènes tels qu'ils nous apparaissent ne sont pas les phénomènes tels qu'ils sont en réalité. Les pratiquants bouddhistes versés dans la compréhension du Dharma, les maîtres et les Aryas qui ont réalisé la vacuité, savent bien que « les apparences sont notre esprit » !
Les phénomènes imputés sont dits dépourvus de soi parce qu'ils sont dépourvus d'identité propre. La nature imputée ou entièrement imaginaire, [est la] simple imagination conceptuelle surimposée au phénomène, qui lui attribue une existence réelle selon son apparence EMK-108
Regardez bien l'ombre sur le mur ? Qu'y voyez-vous ? La silhouette vous évoque la statue d'un Apollon grec... Le musée du Louvre à Paris vous revient peut-être en mémoire, vous rappelant une visite passée qui ravive les émotions que vous y aviez ressenties. Le style de la statuaire instille peut-être en vous un sentiment de pureté à la contemplation du tracé de ses lignes, de la finesse de ses traits...
Le sentiment de beauté, la sensation de grâce, qui émanent de l'expérience ne mentent pas quant à leur caractère. Vous voyez, ressentez et dites « je sens », « je sais » ! La certitude qui vous habite à la force du sentiment résonne en vous de l'affirmation de l'authenticité de son objet. S'il n'était pas réel, comment pourriez-vous en éprouver la sensation ? Votre ressenti vous convainc sans mal de reconnaître cette vérité indéniable, irréfutable... Mais en êtes-vous absolument sûr ? Pouvez-vous l'affirmer abstraction faite de toute sensation ?
Des contours de l'ombre vous déduisez une forme dont vous discriminez la nature et l'origine à partir de souvenirs ou de photos similaires, mais ce que vous croyez voir est en fait... une projection de votre esprit ! Si n'aviez jamais vu de statue grecque auparavant, comment pouviez-vous savoir qu'il s'agit d'un Apollon ?
Au cours de la méditation décrite en préambule, au stade le plus profond de mon absorption, j'ai littéralement eu l'impression de ressentir l'espace. Sa clarté, sa transparence, sa pureté, son étendue ont imprégné si intensément mon esprit de leurs qualités que j'ai véritablement éprouvé la sensation de m'y fondre jusqu'au ressenti paroxysmique « d'être l'espace » ! Le « sentiment océanique » qui m'a envahi s'est mué en l'expérience de la reconnaissance de la nature de « Claire lumière » de l'esprit décrite par le bouddhisme...
Je ne peux réfuter la véracité de mon ressenti, éprouvé plusieurs jours de suite bien qu'avec une intensité décroissante, mais dont la trace demeure en moi et se réactive chaque fois que je porte les yeux sur l'espace. Mais avec du recul, puis-je avaliser l'affirmation de la (re)connaissance de la nature véritable de l'esprit ?
Pour cela, il me faut d'abord définir ce qu'est l'espace. L'espace est ce qui contient les objets. Sans l'espace, comment la matière serait-elle apparue ? L'espace se saisit comme étendue, or celle-ci est-elle limitée ou illimitée ? L'espace a-t-il un commencement, aura-t-il une fin ? A-t-il seulement une durée ?
En y regardant de plus près, ce sont les objets qui occupent l'espace qui, de par leurs formes et leurs dimensions, nous donnent la sensation de profondeur, de perspective, d'étendue, etc. A la vue de leurs opposés, nous considérons ces aspects comme propres à l'espace. Transparent, pur, sans forme, impalpable, intangible, incorruptible, indestructible, etc. autant de qualités qui font de l'espace un phénomène « non composé », permanent par opposition aux phénomènes composés impermanent. « S'il y avait seulement l'espace et aucun objet dedans, celui-ci n'existerait pas. Imaginez-vous tel un point de conscience flottant dans l'immensité vide de l'espace dépourvu d'étoiles et de galaxie. Juste le vide. L'espace ne serait plus vaste, il ne serait tout simplement pas » PMP-157.
De l'opposition des catégories, nous inférons que l'espace possède une existence propre. Or, à l'instar de la vacuité, insubstantielle et transcendante en regard de la connaissance par objet, le terme incomposé signifie ce qui n'a jamais été produit ! « Rien ne pourrait exister sans l'espace et pourtant l'espace n'est rien (...) Étant donné que l'espace n'est rien, il n'a jamais été créé » PMP-157.
Comme l'ombre qui résulte de l'interdépendance de la lumière et du bâton, les propriétés que nous attribuons à l'espace proviennent des propriétés déduites de l'observation des objets projetées mentalement sur l'espace ! Des propriétés qui, vues en relief, lui confèrent le caractère d'exister en propre de manière autonome.
Pour être perçus les objets doivent être éclairés. L'obscurité ne fait pas obstacle à mon déplacement, fut-ce à tâtons, mais si une nuit perpétuelle régnait sur Terre depuis l'apparition de l'homme, elle aurait empêché la perception de la profondeur et de la perspective, et conséquemment contraint la formation de l'idée même d'étendue ! Aussi, lorsque nous attribuons les caractères de « transparence » et de « clarté » à l'espace, c'est en fait à la lumière telle qu'elle nous apparaît à notre échelle de réalité que nous le devons cette imputation ! « L'espace n'existe pas parce qu'il n'a pas de caractère spécifique (...) si l'absence de rūpa (matière) était le caractère propre de l'espace, tant que rūpa ne serait pas né, le caractère spécifique de l'espace n'existerait pas. rūpa est un Dharma transitoire, l'espace un Dharma permanent. Avant que rūpa n'existât, il devait donc y avoir un Dharma nommé espace ; car il est éternel. Mais, si le rūpa n'existe pas, il n'y a pas absence de rūpa. S'il n'y a pas absence de rūpa, le caractère propre de l'espace n'existe pas, et si ce caractère n'existe pas, l'espace n'existe pas non plus. C'est pourquoi l'espace n'est qu'un nom sans aucune réalité » TGSV-394.
Non seulement les qualités supposées de l'espace n'existent qu'en regard des objets, mais les propriétés desdits objets sont elles-mêmes la conséquence d'un « effet de surface relativiste » ! A l'échelle quantique, quid de la solidité, de la densité, de la masse et des autres caractéristiques des objets à notre échelle ?
En percevant les objets, nous en déduisons leurs propriétés et nous inférons leur nature. Les philosophes grecs antiques ont compris que les propriétés manifestes des objets dépendaient de leurs constituants fondamentaux, mais la manière dont ces éléments s'articulent entre eux et les lois qui les régissent à leur niveau sont aux antipodes de leur manifestation à notre échelle de perception ! Nous ne pouvons déduire directement la nature de la matière au niveau élémentaire à partir de l'observation de son comportement de surface, encore moins en regard de la manière dont nous le percevons.
Comment, l'espace qui n'existe qu'en tant que désignation et dont les qualités sont inférées à partir d'objets dont les propriétés elles-mêmes incorrectement extrapolées à partir d'une perception frauduleuse, pourrait-il nous conférer une sensation de communion à son contact et nous convaincre d'un sentiment d'authentique unité ?
La question peut également s'aborder sous l'angle du « rasoir d'Occam[i] » ou du principe de simplicité. En l'occurrence qu'est-ce qui est le plus cohérent : que l'univers soit structuré de telle manière qu'un espace existant en propre possède les qualités de transparence, de clarté, de pureté qui, par osmose au plus profond de l'absorption méditative, fassent écho aux qualités de la « Claire lumière » de l'esprit de sorte à m'en donner un entr'aperçu de la nature ; ou que cela que j'ai saisis fut une projection mentale induite relativement à un désignant auquel la force de mon ressenti me donna l'intime conviction de la véracité de son objet ?
Voyez maintenant l'ombre sur le mur et ce qui
en est réellement la cause ! Cet exemple « d'Art Shadow » parle de lui-même quant
à notre capacité de déduire la nature des choses à partir du ressenti de leurs expériences...
L'exemple de « l'Art Shadow » vaut dans les deux sens. Inférer la nature profonde de l'être à partir de sa manifestation de surface nous expose aux vues fausses, car si tant est que nous puissions en avoir un aperçu ne signifie pas que nous pouvons comprendre comment le résultat observé est produit ! Auriez-vous déduit la forme de l'ombre à partir du seul agrégat de matériaux sur le sol ?
Tant que nous n'avons pas réalisé la vacuité et que nous sommes sous l'emprise de la saisie du soi, nous serons toujours sujet à penser la causalité en regard des apparences comme le reflet de la nature des choses. Or, ce n'est pas le sens de la formule la forme est le vide et le vide est la forme ! L'ombre sur le mur n'existe qu'en interdépendance causale des agrégats sur le sol, disposés selon certaines conditions, éclairés d'une certaine manière, et elle ne perdure que tant que cette conjonction perdure. Ni l'ombre ni les agrégats à partir desquels elle est formée n'ont quoique ce soit en commun avec une statue grecque. Pas plus que l'espace, aucun ne possède de caractère spécifique. Leur nature est vacuité.
Les Dharma ou choses sont pareils à une magie ; à un mirage ; à la lune réfléchie sur l'eau ; à l'espace (...) vides de nature propre, naissant de Dharma eux-mêmes vides de nature propre, en réalité ne naissent pas : ils sont inexistants TGSV-386
Mais alors, comment expliquer la conviction du « ressentir d'une expérience authentique » ?
D'où viennent les douleurs des « membres fantômes », non de l'hypothétique existence éthérée de membres amputés, mais du fait que le schéma corporel n'a pas été actualisé à leur amputation - la preuve étant qu'il est possible de guérir ces douleurs en rectifiant le schéma corporel -. La douleur est une représentation du cerveau qui peut surgir en l'absence de tout stimuli sensoriel !
Il n'est pas possible de ressentir les caractéristiques sensibles de ce qui ne possède aucun caractère sensible, comme un membre amputé, l'absence d'un stimuli extérieur cause de douleur, l'espace, etc. et qui ne peut donc pas être perçu ! Mais, il est possible d'avoir conscience de tout mouvement intérieur de l'esprit qui s'exprime dans le langage de notre phénoménologie mentale.
Pendant la méditation, une seconde voix mentale peut venir se superposer au chant d'un mantra. En post-méditation, notre conscience auditive nous donne bien à percevoir différents sons. Un «moment de conscience » est un intervalle temporel mental constitutif de la perception d'un ou de plusieurs stimuli sensoriels intérieurs et extérieurs. Comment la conscience peut-elle être à la fois constitutive d'un flux discontinu et hétéroclite formé d'une « succession rapide d'actes de connaissance momentané » DEB-150 et s'apparaître continue et homogène à elle-même sous la forme (et le pouvoir qui l'y maintient) du « sentiment de soi » ?
L'ombre de la pseudo statue grecque est produite par la lumière qui se comporte comme une onde en se déplaçant de façon régulière dans l'espace, alors que les agrégats au sol sont irréguliers (ils pourraient même être espacés de plusieurs mètres). Mais si la lumière se comportait comme un nuage de photons individuels qui éclairaient les agrégats successivement, nous verrions l'ombre se former partie par partie et nous réaliserions alors son caractère composite !
Voyez l'ombre sur le mur. Elle est la projection de trois personnes mais elle nous apparaît sous l'apparence de deux êtres distincts ! Un autre exemple est l'histoire des six aveugles et de l'éléphant[ii] qui perçoivent chacun une partie distincte de l'animal et en déduisent être en présence d'autant de choses différentes...
Nous faisons l'expérience de la conscience de soi comme si elle était une entité unique. Nous ressentons la douleur comme si elle provenait d'un stimuli physique. Nous éprouvons un sentiment comme s'il était induit par un objet existant. Nous vivons des expériences spirituelles dans lesquelles nous sentons la présence de l'âme ou nous touchons à l'unité avec le divin comme si nous expérimentions véritablement la réalité authentique de leur objet...
Le ressenti ne ment pas quant à l'intime conviction... de sa qualité de ressenti ! Mais puisqu'une sensation peut être émulée en l'absence de tout objet, elle ne saurait être garante de la véracité d'une perception reflétant la réalité d'un en-soi. Le sentiment d'intime conviction n'est pas gage de la réalité de ce dont nous croyons faire l'expérience. Il est induit comme une affirmation du moi qui confère à notre impression la qualité de ne pas être un désignant.
Il peut donc être sans lien véritable, bien que de causalité, avec l'événement dont nous le croyons être l'affirmation. De fait, si les douleurs fantômes ne sont pas déclenchées par une blessure fantôme, elles n'en constituent pas moins un effet issu de cause. Nous départager de la vision d'une causalité réaliste en lien avec le réalisme de son support ne veut toutefois pas dire abonder à la conception de l'école philosophique cittramatrin de « l'esprit seul ». Si nous considérons la singularité du ressenti sensible en regard de la phénoménologie de l'esprit, le sensationnalisme de l'expérience spirituelle (du « transport mystique ») apparaît alors (telle la manière dont les aveugles traduisent leurs impressions au toucher de l'éléphant) comme une interprétation d'un inconnaissable extérieur dans le référentiel d'un connu intérieur et avéré[iii].
Autrement dit, le ressenti interne de l'expérience spirituelle ne recouvre pas la réalité externe d'un objet, dont l'existence est à l'image de la sensation que nous en confère notre perception - tel un en-soi perçu sur le présupposé que la perception reflète les objets -, mais traduit en des termes connaissables (c.à.d. dans le langage de notre phénoménologie mentale), un phénomène dont le caractère ultime nous est par définition inconnaissable et inaccessible[iv].
Sous cet angle, l'impression de sentir l'espace, le sentiment d'être l'espace, que j'éprouvai en méditation traduiraient en fait la manière dont, en l'état actuel de mon discernement, ma conscience me donna à saisir (à représenter) la nature de la « Claire lumière » de l'esprit sous l'abord du ressenti phénoménologique des qualités de clarté et de pureté que je lui attribue ! Des attributs qui convergent avec la désignation que m'inspire la déité de visualisation et le mantra que j'utilise comme support et qui sont, tous deux, consacrés... à la purification karmique.
Avec du recul et une analyse appliquée, la certitude du caractère extraordinaire de l'expérience diminue et l'affirmation de la réalité de son objet glisse vers le soupçon d'un artifice de la phénoménologie de l'esprit. En acceptant la perte de superbe qui en découle pour une meilleure compréhension du fonctionnement de l'esprit et la diminution de mon ignorance, la singularité de l'expérience se révèle un témoignage de l'alinéation de l'esprit à la saisie du soi. Son examen implique « de distinguer le soi des philosophes et le sentiment du moi, qui produit spontanément les pensées "je", "moi", "mien"...» DEB.
La « saisie du soi » est de deux types : inné, sous la forme du «sentiment du moi » ; acquis, il s'agit de la conception que le soi existe de manière autonome et indépendante.
Mais, qu'est-ce donc cela que l'on appelle « le sentiment du moi » ?
Pour le comprendre, commençons par observer la conscience. Notre expérience nous dit que la conscience est : discontinue, elle peut être interrompue par un sommeil sans rêve ou par l'évanouissement ; hétérogène, elle peut saisir des objets différents ; changeante, elle peut moduler sa focale sur un point comme englober l'horizon ; absorbée, elle peut s'immerger totalement dans son objet au point de donner l'impression de sortir de son propre champ de perception ; abstractive, elle peut occulter notre propre perception à la saisie de son objet...
En comparaison, le sentiment du moi apparaît contraire en tous points : continu, car même si l'on sombre durablement dans l'inconscience du sommeil, au réveil l'on éprouve toujours le sentiment d'être soi-même ; homogène, car quels que soient les objets qui occupent notre champ de conscience, ils ne masquent pas le sentiment de soi ; constant, car même avec l'âge et les événements de la vie l'on a toujours l'impression d'être le même depuis que l'on a conscience de soi ; unitaire, car le sentiment d'être un sujet n'est pas dissocié dans les changements d'états de conscience ; persistant, car le sentiment de soi demeure latent même dans les états d'absorption méditative profond.
Le caractère inné du sentiment du moi fait référence à une imprégnation profonde depuis des temps sans commencement, « [la vue] se produit naturellement dans notre esprit par la force des empreintes, et est continuellement manifeste même durant [le rêve] », par opposition au caractère acquis inspiré par les expériences de la vie qui renforcent la croyance en la réalité intrinsèque du soi. « La vue innée est la source de toutes les vues formées intellectuellement » CCE-138.
La réfutation du soi philosophique (l'ātman) - et de la conception afférente de la réincarnation d'une âme éternelle et immuable - « ne suffit pas à déraciner la croyance en ce sentiment du moi » tant il est intriqué à notre subjectivité, aussi « il convient d'analyser ce moi inné sur la base des cinq agrégats » DEB-48.
Dans son Abhidharmasamuccaya, Asanga expose que les agrégats (skandha) sont à la base des «cinq manières par lesquelles [l'idée de] Soi (ātman) fait son apparition » CPA-22 :
- l'appréhension du sentiment du moi par le biais de la forme (le corps) ses contacts et ses changements ;
- l'expérience du sentiment du moi par le biais des sensations (agréables, désagréables, neutres) ressenties par le corps et (les états de) l'esprit ;
- l'identification du sentiment du moi par le biais des discriminations (représentations) relatives à l'expérience ;
- l'induction du sentiment du moi par le biais des formations mentales (les facteurs mentaux) qui produisent les constructions ou élaborations conceptuelles conditionnantes, « qui nous poussent à fabriquer nos conditions karmiques actuelles et à venir » à partir des «automatismes de pensées et de sentiment, de perception et d'action » DEB-39 ;
- et l'expérience subjective du sentiment du moi par le biais de la conscience mentale comme résultat de leur synthèse.
Les expressions « ensemble périssable » et « assemblage transitoire » sont d'autres manières de nommer les cinq agrégats psychophysiques constitutifs de notre personne - et de l'instrument (processus) de cognition du connaisseur de l'esprit accompagné des facteurs mentaux -. L'école philosophique Mādhyamika prāsangika pose que « la vue de l'ensemble périssable » est une «fausse vue » et la seule manière de nous en libérer est d'en réaliser la vacuité.
La réfutation des deux types de saisie erronée du soi procède d'une méthodologie commune. Pour comprendre comment l'examen analytique de nos agrégats mène à la réfutation de l'idée du soi nouménal, il nous faut comprendre comment la perception frauduleuse des agrégats engendre le sentiment du moi ?
Puisque la conception du soi (d'essence nouménale, immuable, indivisible et éternelle) est inférée sur la base du sentiment du moi (continu, homogène, constant, unitaire, persistant), réaliser sa vacuité consiste à démontrer par l'examen que, du fait de leur nature interdépendante et impermanente, les agrégats ne peuvent conséquemment constituer, ni le soi, ni son support ! S'ensuit que la « saisie du soi » (tant subjective que conceptuelle), qui nous instille le sentiment et la croyance de son existence intrinsèque est erronée. « En réfutant l'existence véritable (l'objet de réfutation) des agrégats et autres (la base), on obtient le non-soi subtil des phénomènes » EVE-65.
Si les états « d'enstase spirituelle » d'absorption méditative profonde ne sont pas signifiants de la réalité de leur objet (à l'exemple de la sensation et du sentiment d'être l'espace), l'analyse de leur objet n'en permet pas moins leur réfutation. En interrogeant les qualités sur la base desquelles nous inférons le sentiment du moi, de telle sorte qu'il nous convainc qu'il reflète le réalisme de son existence, nous révélons conséquemment notre confusion quant à la croyance en son idée philosophique. En réalisant l'ainsité de l'impression subjective que l'on nomme « sentiment du moi », l'on démontre par là-même l'inexistence intrinsèque du soi. « En réfutant l'existence véritable (l'objet de réfutation) d'une personne (la base), on obtient le non-soi subtil de la personne» EVE-65.
Nous croyons que la propriété de l'étendue est une caractéristique propre à la nature de l'espace alors que nous l'inférons à partir de l'observation relative des objets desquels nous déduisons la notion de localité, le sens de la profondeur et de la perspective. Nous inférons les qualités propres à un soi substantiel existant intrinsèquement (continuité homogène, identité autonome, pérennité immuable, etc.), sur la base d'une « vue réaliste » des agrégats, qui dupe notre perception en occultant leur ensemble interdépendant de telle sorte à induire en nous le sentiment de l'intime conviction quant à l'existence réelle, autonome et intrinsèque d'un « moi-sujet ».
L'espace ne saurait exister en tant qu'objet de désignation sans un connaisseur qui ne se saisisse sujet pour en élaborer le désignant des qualités supposées de la réalité en soi, sur la base d'une interprétation mystifiée de sa propre perception instillée par les voiles qui le recouvrent. Le sentiment du moi ne saurait apparaître comme « l'intime conviction » de la véracité de son objet hors d'un processus de cognition qui procède d'élaborations mentales à partir de discriminations de sensations résultantes de contacts avec la forme et ses changements d'états.
L'espace incomposé, sans forme, non produit et inexistant ne saurait apparaître au regard telle une étendue réelle originée d'un commencement dès lors que tout voile cognitif et émotionnel est levé sur le connaisseur. S'ensuit logiquement que si la conscience se confondait avec la « saisie du soi », la réfutation analytique de ce dernier induirait sa disparition ! Or, s'il ne reste rien qui relève du connaître à l'issue de cette déconstruction (rien que néant !), comment pourrait-elle mener à la réalisation de l'ainsité de la saisie du soi ?
La dissolution des agrégats lors du processus de la mort induit l'inhibition de la saisie innée du soi, non sa suppression. La saisie du soi subsiste à travers les empreintes karmiques et son sentiment se réactive à la renaissance suivante du fait de l'activité de l'agrégat des formations. A l'inverse, la réalisation de la vacuité du soi entraîne la dissolution totale du sentiment inné du moi sans pour autant entraîner celle des agrégats ! Le Bouddha a vécu quarante ans après son Éveil. La différence est qu'il ne produisait plus de karman ! « Les cinq skandha sont présents dans les dhyâna et, après la mort, vont à de nouvelles existences. Seul le Nirvana entraîne la disparition de tous les agrégats de l'existence » TGVS2-451.
Ainsi, le sentiment du soi (continu, unitaire, homogène) ne peut être trouvé ni au niveau supra sensible formé par les agrégats ni au niveau infra subtil de la « Claire lumière » de l'esprit (vide de connaisseur et agent d'une cognition qui résulte de l'activité d'une « instrumentalisation combinée » des agrégats). « Les Mādhyamika prāsangika réfutent que le moi puisse être trouvé à l'intérieur ou à l'extérieur des agrégats. Quel que soit le soin avec lequel nous cherchons parmi les agrégats du corps et de l'esprit, nous ne trouverons jamais le moi (...) L'assemblage des cinq agrégats est la base sur laquelle le moi est imputée [telle une simple étiquette en dépendance de cet assemblage] » CCE-134.
La situation de l'homme ordinaire qui éprouve le sentiment du moi est pareille à un rêve. Selon l'école de pensée d'Asanga, c'est parce que nous ignorons que nous sommes en train de rêver que nous avons peur d'un serpent qui n'est pas réel. Autrement dit, l'ignorance (de la véritable nature des choses) et la vue de l'ensemble périssable sont différentes, la première induisant la seconde.
Pour Nagarjuna (dans la logique Mādhyamika prāsangika), c'est de la croyance dans la réalité du moi que naît la peur du serpent, que ce soit en rêve ou éveillé ! Dans cette optique, le « facteur mental » de l'ignorance et la « vue de l'ensemble périssable » sont une seule et même chose. Dans La Précieuse Guirlande, Nagarjuna dit :
Tant qu'il y a saisie des agrégats, il y a saisie du moi. La vue de l'assemblage transitoire saisissant un moi intrinsèquement existant se produit en saisissant nos agrégats comme existant intrinsèquement CCE-142
La lumière nous apparaît un phénomène continu et homogène qui semble exister réellement tel que perçu, car sa vitesse rend impossible de voir sa propagation ondulatoire. Une cascade nous apparaît tel un mouvement incessant car la transparence de chacune des gouttes d'eau qui la constituent rend insaisissable la perception de leur écoulement individuel. En ralentissant la vitesse de la chute d'eau et en zoomant en gros plan sur la cascade, il devient possible de saisir son caractère composite et discontinu.
Les modalités de perception de nos agrégats en lien avec leur phénoménalité est-elle la cause de leur réalisme apparent ? Est-il possible de saisir le caractère fictionnel des qualités que nous imputons au moi à partir de son ressentir en modifiant notre façon de percevoir nos agrégats ?
Si l'on ralentit la vitesse d'écoulement de la cascade jusqu'à la figer (comme sous l'effet du gel en hiver), elle ne nous apparaîtra pas pour autant discontinue, au contraire ! Cependant, en nous rapprochant et en entrant dans son flux, la vue de la cascade disparaît. La vue d'un objet est relative à la position de l'observateur. Le passage entre l'extérieur et l'intérieur du phénomène le fait disparaître, comme la diminution de la taille d'un objet relativement à la longueur d'onde de la lumière.
L'agrégat de la forme tel qu'il se manifeste à notre perception est le résultat d'un « effet d'échelle de relativité ». A notre niveau, les objets paraissent avoir des qualités propres, dimensions, couleurs, solidité, masse, etc. Or, ce que nous percevons comme des propriétés inhérentes à notre échelle d'observation sont le produit de jeux de forces physiques élémentaires qui s'exercent au niveau infinitésimal sans rapport direct avec leurs expressions macroscopiques : ce qui apparaît plein en surface est principalement composé d'un vide physique au niveau atomique ; ce qui apparaît stable est en mouvement incessant ; ce qui apparaît comme un mouvement d'objets élémentaires qui se meuvent constitue en fait le mouvement lui-même ; lesquels objets en leur apparence élémentaire n'ont d'existence que conséquemment à leur décohérence par la mesure !
Tel que nous en faisons l'expérience, l'agrégat des sensations résulte d'un « effet de seuil ». Pour percevoir un stimuli sensoriel, celui-ci doit atteindre un certain degré, en-deçà il est imperceptible à nos organes sensoriels, au-delà il devient désagréable. Un filet d'eau est transparent et sa sensation agréable sur notre corps, mais additionnés plusieurs filets d'eau forment une cascade dont l'intensité de la force et le poids de la chute peuvent nous assommer.
Il en va de même du principe des autres agrégats : notre capacité à effectuer la discrimination d'un objet est relative à un « effet de correspondance » qui établit leur reconnaissance par comparaison (sensorielle et nominale) avec une image (ou sa trame) en mémoire ; nous leur conférons un caractère bon ou mauvais en regard d'un « effet de sens » de l'agrégat des formations ; et nous en prenons conscience par un « effet de perspective » relatif à la focale de leur observation.
Tant qu'il y a saisie des agrégats, il y a saisie du moi. La saisie de nos agrégats s'apparente aux principes qui régissent la loi de causalité du karman :
- leur activité génère un effet de seuil relativiste par le « vaste accroissement des actions » (du corps, des sensations, des discriminations, des formations, de la conscience en regard de leurs fonctions respectives) ;
- dont le résultat (la saisie de l'existence intrinsèque du soi) est de même nature que la cause (le sentiment du moi) relativement à « l'infaillibilité des actions » - relatives au processus de cognition auquel les agrégats participent, en lien avec les « facteurs mentaux omniprésents » et le connaisseur de l'esprit - ;
- l'absence de saisie des agrégats (par dissolution à la mort) rend impossible de faire l'expérience du sentiment du moi ;
- tant que la saisie des agrégats n'est pas épuisée (par la libération du nirvāna ou la réalisation de la vacuité) la saisie du soi ne l'est pas non plus.
En méditant sur le rôle de l'activité des agrégats dans la saisie du sentiment du moi, il est possible de dégager une combinatoire de sept éléments : quatre sont relatifs à une activité de type sensible (dont trois ont un caractère itératif, et le quatrième revêt un caractère cyclique) ; et trois une activité de type conceptuelle.
La chaîne d'interdépendance en relation de laquelle est émulée le sentiment du moi apparaît à la méditation analytique formée par : 1. l'activité itérative distincte de quatre agrégats (forme, sensations, discriminations et conscience), combiné 2. au processus répétitif (successif) de la cognition. Que les agrégats des objets perçus soient tous différents les uns des autres ou qu'ils soient tous identiques, l'activité de l'agrégat de la sensation et de la discrimination demeure constante en leur algorithmique de perception et d'identification.
L'activité de la saisie des agrégats peut se comparer à celle d'un logiciel. Un programme informatique, écrit dans n'importe quel langage de programmation, émulé sur n'importe quel type, modèle, d'architecture physique et de configuration matérielle d'ordinateur, n'importe où dans le monde, produira un résultat identique sur la base de la même algorithmique. Ainsi, un être sensible doué de facultés de cognition (perception, conscience, intelligence) émulé par n'importe quel type de substrat de vie biologique, sous n'importe quelle forme, n'importe où au sein de la pluralité des mondes, à n'importe quelle époque, engendrera un agent dont le comportement sera identique à chaque renaissance dès lors que l'algorithmique de son éthique, de sa concentration et de sa sagesse n'évolueront pas. Tant qu'il y saisie des agrégats emprunt de l'ignorance de leur nature, il y a saisie du moi.
S'ensuit que la chaîne d'interdépendance causale à la saisie innée du soi induit : 3. l'activité cyclique de la loi de causalité du karman (les formations mentales) ; associée à 4. l'émulation récursive de l'intime conviction quant à la réalité intrinsèque du moi. Au processus de la cognition sensible s'ajoutent trois éléments relatifs à l'activité de cognition conceptuelle : 5. l'ignorance de l'ainsité de « l'ensemble périssable » (impermanent et interdépendant), 6. la méprise (« vue fausse » ou le déni) de la loi de causalité du karman ; et 7. la conception du soi philosophique induite par le sentiment du moi.
La manière de déconstruire l'apparence supra sensible des agrégats consiste en conséquence à examiner l'en-deçà des apparences et sorte à atteindre l'infra subtil, là où toute perception sensible, où toute conception intellectuelle, d'une réalité existant intrinsèquement se dissout dans la vacuité.
Tant qu'il y a saisie des agrégats, il y a saisie du moi. Tant que sous l'effet d'une vue de surface, nous percevons nos agrégats comme substantiels, tant que nous ne mettons pas en perspective leur aspect conventionnel (la manière dont ils nous apparaissent) avec la manière ultime (vide de réalité propre) dont ils existent, nous continuerons d'éprouver le sentiment du moi et de concevoir le soi comme possédant une existence intrinsèque.
Regardez dans une vue d'ensemble les murs, le plancher, le plafond de la pièce dans laquelle vous vous trouvez. En fait, si vous ne dirigez pas votre esprit par le facteur mental de l'intention sur un objet en particulier et n'y fixez pas votre attention par le facteur mental de l'application, la focale de votre conscience a, naturellement, tendance, a embrasser de son champ l'ensemble des objets ou du monde qui vous entoure (relativement aux limites de votre perception), dans une saisie de surface (considérer l'infinitésimal exige un effort d'imagination...).
De la vue de la pièce, vos sens vous donnent spontanément à saisir un volume. De la vue de ce volume, vous inférez la saisie d'une étendue. De la vue de cette étendue (transparente et claire sous la lumière), vous déduisez l'espace. Avec une intime conviction, vous saisissez alors l'espace qui vous entoure et vous englobe comme existant réellement au point d'en éprouvez la sensation ! En vous concentrant totalement, vous pouvez parvenir à vous abstraire de la saisie de la pièce, de l'inférence corrélative de son volume et de celle de la clarté qui l'éclaire (à occulter jusqu'à l'oubli l'activité de vos cinq agrégats). Faites-en l'expérience méditative. Visualisez cela. Si vous entrez dans un état d'absorption profond, vous pourrez peut-être parvenir à éprouvez le sentiment d'être l'espace...
L'élément clé ce n'est pas la vue, mais l'absorption de la conscience dans cette vue, qui par osmose avec les caractères et qualités qu'elles reflètent induit un sentiment océanique. Si la vue était une représentation (un spectacle sur la scène mentale du théâtre cartésien de la conscience), son observation ne permettrait pas à l'esprit d'en éprouver la sensation, car elle constituerait une scission entre sujet et objet. Cette vue n'est pas le miroir de l'étendue, c'est l'étendue elle-même !
En dépendance de cette saisie de nos agrégats comme existant intrinsèquement, nous générons un esprit qui saisit notre moi comme existant intrinsèquement (la vue de l'assemblage transitoire) CCE-142
Il ne s'agit pas d'un état de l'esprit tel que sous son influence, nous saisissons le moi selon ses modalités particulières d'appréhension, car ce serait encore là une division dualiste. Cette vue est un connaisseur qui est à lui-même son propre connaisseur ! La conception classique de la manière dont un être sensible doué de conscience connaît le monde s'articule sur ses capacités à le percevoir par l'entremise de ses organes sensoriels et à se le représenter grâce à ses facultés de discernement, une vision cartésienne qui repose sur le postulat de l'existence d'un observateur propre distinct de l'objet de sa connaissance.
L'élément clé est qu'un tel connaisseur identitaire n'existe pas, la connaissance est le produit d'une représentation. Connaître une chose, c'est en émuler la vue mentale virtuelle, dans laquelle l'esprit projette (désigne) des caractères et qualités qu'il infère d'un objet, frauduleusement réel, induit d'une cognition invalide. En s'y absorbant, cette vue devient le « référentiel virtuel » par l'intermédiaire duquel l'esprit connaît de manière plus ou moins profonde selon son degré d'absorption.
Le sot regarde le reflet de la Lune sur le lac en croyant qu'il s'agit de la Lune. Le sage lui montre le ciel et lui dit que la Lune est là-haut. Or, ce n'est pas exact ! La Lune dans le ciel n'est pas la Lune, c'est l'image que la lumière nous en renvoie, car si la lumière n'éclairait pas la Lune ou si la Lune absorbait la lumière tel un trou noir, il nous serait impossible de la voir !
Il en va de même avec le monde qui nous entoure. Tout ce que nous percevons résulte d'une vue produite en interdépendance de la réflexion de la lumière par les objets. Les astronomes construisent des télescopes pour observer les étoiles et les galaxies, et c'est à partir des images obtenues qu'ils voient l'univers. Tout ce que nous savons de la surface du sol de Mars, nous le devons à des photos et à des prélèvements d'échantillons effectués par des caméras automatiques et des robots. Toutes ces vues sont autant de connaisseurs virtuels, des modèles de représentations synthétiques, maquettes miniatures, portraits mentaux, reflets d'originaux dont la connaissance directe nous est inaccessible.
Certains cherchent à savoir si nous vivons dans une matrice informatique, alors même que le monde tel qu'il nous apparaît est (le produit de) notre esprit ! La manifestation résulte d'un effet « d'échelle de relativité », l'aspect du manifesté d'un « effet de seuil », tous les deux sont les fruits d'une perception tronquée des apparences. Tant qu'il y a saisie des agrégats, il y a saisie du moi. Tant que l'esprit émule un connaisseur virtuel erroné sur la base de la croyance en la réalité de ses agrégats, et tant qu'il s'absorbe dans la « vue (virtuelle) de l'ensemble périssable », il éprouve en son référentiel l'artifice du sentiment du moi et de l'intime conviction de son existence intrinsèque.
Pour le bouddhisme tibétain, le caractère analytique de la méditation Vipāssyana ne conçoit pas au sens d'un raisonnement logique. Telle que pratiquée dans les monastères, la philosophie ne consiste pas à discourir sur le système de pensée du Mahāyāna, mais à en intégrer le sens. Les moines commencent par apprendre par cœur les textes des enseignements puis à les analyser par la réflexion logique pour ensuite méditer c.à.d. se familiariser avec le sens de ce qu'ils ont compris.
La compréhension que nous avons d'une chose dépend de notre capacité de discernement. La première fois que nous entendons un enseignement, nous ne comprenons pas la même chose que les fois suivantes... En nous familiarisant avec le sens initial de cette compréhension, un sens plus profond se dessine petit à petit. En y réfléchissant et en le méditant à son tour, un sens encore plus subtil se met à émerger. Cette pratique répétée développe la sagesse jusqu'à ce que le degré de pénétration du discernement et l'éclat de la clairvoyance soient tels que l'esprit passe « au-delà du par-delà » du conceptuel.
Lorsqu'un animal qui ne possède pas la conscience de soi regarde un miroir, il croit voir un autre animal. Lorsqu'une pie, un orang-outan, un dauphin ou un éléphant se regardent dans un miroir, ils y voient leur image[v]. Lorsque nous nous regardons dans un miroir, nous y voyons notre propre reflet. Toutefois, en levant la main droite et en voyant notre image dans le miroir lever la main gauche nous en déduisons que le miroir inverse la droite et la gauche. Le sens de ses directions est si profondément ancré en nous que nous ne voyons pas... qu'il est relatif à la direction de notre regard ! Ce n'est pas un absolu. En fait, un miroir n'inverse pas la droite et la gauche, il inverse les effets de profondeur[vi].
Les profanes, sous l'action virulente de l'ignorance (avidyāvisa), attribuent à tous les Dharma un caractère contraire :
ils prennent ce qui est impermanent pour permanent ;
ce qui n'est pas un soi (anātman) pour un soi (ātman),
ce qui est vide pour réel,
ce qui est inexistant pour existant,
ce qui est existant pour inexistant TGVS2-324
Dans le miroir de l'esprit, le « sentiment (inné) du moi » reflète la croyance en l'existence intrinsèque du soi avec la même intime conviction que celle qui, dans un état d'absorption méditative profond, atteste de la certitude de ressentir la sensation de l'espace et la certitude d'éprouver le « sentiment océanique » de devenir l'espace... Tant qu'il y a saisie des agrégats par abstraction de la relativité du miroir de l'esprit, il y a saisie du moi par occultation de la vue virtuelle de l'émulation de laquelle l'esprit infère ces qualités nouménales.
A la différence de l'expérience transitoire et fugitive du sentiment de l'espace, le sentiment du moi s'éprouve durablement tout au long de notre vie, ce qui rend d'autant plus difficile de s'abstraire de son illusion. La manière analytique de méditer la vacuité de la vue virtuelle dont l'émulation origine le sentiment du moi consiste à élargir notre perspective. En regard du cycle sans fin des renaissances, la vie et la mort ne sont que des claquements de doigts dont les itérations correspondent à l'apparition et à la disparition de la vue innée du moi, telles les apparitions et disparitions des particules virtuelles du vide quantique.
Expandre notre perspective, c'est également dépasser le référentiel de la saisie du soi (innée et acquise) pour percevoir à la fois le miroir et ce qu'il reflète (les agrégats et la vue du connaisseur virtuel qui en est émulé), de sorte à percevoir l'ultime au-delà du conventionnel - de telle manière à ce que la vue de la forme n'entrave pas celle du vide et que la vacuité ne masque pas la forme -.
Dans la loi du Buddha aucun Dharma [ou chose] n'est agent, voyant ou connaisseur. L'inexistence de l'agent, de l'acte (karman) et du fruit (phala). C'est la loi absolue et profonde que le Buddha a pu découvrir TGSV-102
La souffrance reflète le fonctionnement de l'esprit. L'esprit est ce qui connaît tel un miroir. L'esprit connaît les phénomènes (et se connaît) par réfraction de leur représentation sur le miroir de sa connaissance. C'est en regardant à l'intérieur de notre esprit et non dans le monde extérieur que nous connaissons les choses. En l'état d'être ordinaire, cette réflexion est faussée par le sentiment du moi qui fait voir les apparences comme réalité. Par l'examen analytique de la manière dont le connaisseur (l'esprit) se représente les objets que l'on comprend comment il se fourvoie. En réalisant la vacuité du reflet, du miroir de l'esprit et de l'objet, l'on parvient à se libérer de l'illusion de la saisie du soi (innée et acquise), ainsi que des perturbations mentales induites par cette «ignorance ».
Le processus peut ainsi se décrire comme suit :
1. en voyant les cinq agrégats, l'esprit projette sur son miroir mental la « vue (virtuelle) de l'ensemble périssable » ;
2. en voyant ce reflet, l'esprit l'identifie comme « moi » ;
3. or, comme l'illusion de surface qui confère sa forme et son caractère à la matière à notre échelle fait apparaître les cinq agrégats réels, l'esprit projette sur cette vue la qualité d'existence autonome et indépendante ;
4. en s'absorbant dans la conscience de ce reflet, l'esprit entraîne l'émulation d'un connaisseur virtuel ;
5. par l'intermédiaire duquel l'esprit éprouve le « sentiment du moi » conjointement à l'intime conviction de son existence intrinsèque.
Comme en vous contemplant dans un miroir précieux,
La forme et le reflet se regardent.
Vous n'êtes pas le reflet,
Mais le reflet est vous.
Dongshan Liangjie[1]
Pris dans le cycle des renaissances, l'habitude confère au sentiment du moi un caractère inné. Ainsi, l'ignorance entraîne-t-elle l'enchaînement des perturbations mentales racines (au nombre de six) et secondaires (au nombre de vingt) comme la réfraction en abîme[vii] du reflet d'un miroir dans un miroir...
Les religions théistes (en particulier judéo-chrétienne) et les traditions issues des courants philosophiques du Vedanta et du Yoga croient en l'existence de l'âme individuelle dont la chute dans la matérialité est considérée comme la cause de toutes souffrances. Dans ces croyances, la libération consiste dans le « retour à la source » de l'âme individuelle à Dieu, de l'ātman au brāhman. La philosophie bouddhiste tibétaine conçoit que la conscience n'a ni commencement ni fin, non du fait d'une essence transcendante, immuable et éternelle mais, parce que tous les phénomènes étant interdépendants, ils ne peuvent avoir une cause première pour origine. Non-née, la conscience ne peut pas être détruite !
La conscience est un continuum sans commencement absolu. Si l'on pose la naissance de l'univers tel un commencement relatif, l'apparition de l'esprit de « Claire Lumière » se conçoit conjointement à l'apparition de la matière - cette coïncidence ne permet toutefois pas d'inférer que la conscience serait un élément constitutif de l'univers, car nous ignorons ce qu'il y a eu avant le Big Bang... -. Du fait qu'il ne saurait y avoir de cause première, l'existence de l'esprit ne peut se penser indépendamment de toute manifestation corporelle.
C'est donc la notion de corps qu'il convient de redéfinir. Formé des agrégats, le corps des êtres ordinaires traduit un état d'esprit contaminé par l'ignorance et les perturbations mentales dont il est le reflet. Purifié de ses négativités et révélé à sa véritable nature (celle de l'esprit), le corps exprime la phénoménalité des trois corps de bouddha. L'ignorance n'a pas de début, mais elle a une fin ! Comme un bûcheron en abattant un arbre abat ses branches, c'est en coupant la racine de l'ignorance, la saisie du soi, que l'on met fin aux perturbations mentales.
Il est crucial de comprendre le fonctionnement de votre esprit. Sinon, vous continuerez à penser que vous êtes en bonne santé, alors qu'en réalité, la racine profonde des émotions conflictuelles, la cause véritable de toutes les maladies psychologiques, se trouve en vous et s'y développe DSPT-10
Sous l'emprise du sentiment du moi émulé par la « vue (virtuelle) de l'ensemble périssable », telle la propagation des ondes sur l'eau, l'esprit va alors émuler en cascade d'autres vues dont chacune est le reflet d'une perturbation mentale.
Le processus peut se décrire comme suit :
- 6. tel le reflet d'un reflet, l'esprit émule la vue virtuelle de l'ego sur la base de la vue virtuelle qui lui confère le sentiment du moi ;
- 7. s'absorbant dans cette intention égotiste, qui le dirige et l'incite à agir à sa seule fin, l'esprit émule les connaisseurs virtuels racines (le désir-attachement aux plaisirs du moi, l'aversion pour ce qui lui est désagréable, la colère pour ce qui lui fait obstacle, la jalousie, l'orgueil, les vues fausses, etc.) ;
- 8. tel un miroir dans un miroir, la vue de l'ego entraîne l'enchâssement des vues des perturbations mentales secondaires ;
- 9. enchâssé dans leur référentiel, pénétré de l'intime conviction héritée du sentiment du moi (instillée par la croyance en la réalité du soi inspirée de la vue des agrégats), l'esprit légitime ses actes par le sentiment d'avoir raison ;
- 10. contaminé par ces vues, l'esprit commet une suite sans fin d'actes non vertueux dans l'ignorance de leurs effets karmiques qui s'enchaîne dans un cycle de souffrances sans fin.
La souffrance n'est pas une question de fatalité, ni le sort imposé par un être supérieur mû par un dessein impénétrable, pas plus qu'elle n'est le fait des actes des autres, volontaires ou non, à notre égard. Nous sommes notre propre ennemi, notre propre juge et notre propre tortionnaire ! La «saisie du soi » est le véritable ennemi qu'il nous faut combattre afin de nous libérer de la souffrance et trouver le véritable bonheur. Et contre la maladie de l'ego, il n'y a qu'un seul remède, chérir les autres en lieu et place de se chérir soi-même !
Si réaliser la vacuité peut se comparer à faire éclater la bulle qui nous maintient dans l'illusion du sentiment du moi, le principe sur lequel articuler le renversement de perspective de soi vers les autres est le même que celui qui produit la vue virtuelle de laquelle nous inférons la saisie du soi. Il consiste à générer une vue virtuelle et un connaisseur virtuel afférant sur la base du support des autres.
A l'instar de la vue des cinq agrégats sur le support duquel nous émulons la vue virtuelle du moi qui nous fait en éprouver le sentiment (sur la base duquel nous émulons la vue de l'ego, puis en cascade les vues des perturbations mentales), le principe consiste à refléter dans le miroir mental de notre conscience la « vue (virtuelle) de l'ensemble des autres » dans un enchâssement graduel, de sorte à ce que la préoccupation des autres induise l'esprit d'Éveil.
La première méthode d'entraînement du Mahāyāna, les « sept causes et effet », est inspirée d'Atisha. D'abord, il s'agit d'émuler un premier connaisseur virtuel qui permette d'acquérir la conviction que tous les êtres sensibles ont été nos mères dans des vies sans commencement. Sur cette base, l'on émule ensuite un second connaisseur dont la qualité sera de voir les innombrables bontés des êtres, puis un troisième qui nous inspirera le souhait de leur rendre leurs bontés, le quatrième visera le développement de l'amour bienveillant (le souhait que tous les êtres sensibles trouvent le bonheur), le cinquième la « grande compassion » (le souhait que tous les êtres migrateurs soient libérés de leur souffrance). Alors que la totale absorption de la conscience dans la « vue (virtuelle) de l'ensemble périssable » induit le sentiment du moi, l'effet résultant de l'absorption dans ce mandala mental induit l'émergence de la compassion authentique et universelle.
L'autre méthode d'entraînement du Mahāyāna, « l'égalité et l'échange de soi avec autrui », provient de Shantidéva. Elle repose sur le tonglen (donner et prendre). Il s'agit ici d'émuler une première vue virtuelle visant à « s'égaliser soi-même avec autrui » en reconnaissant notre communauté d'identité avec les autres quant au désir de trouver le bonheur et d'être libéré de la souffrance. Sur cette base, l'on émule ensuite un second connaisseur virtuel dont la qualité sera de comprendre les inconvénients de la préoccupation excessive de soi, puis un troisième dont la qualité vise à saisir les avantages de se préoccuper du sort des autres, jusqu'à ce que, dans un quatrième temps, contempler réellement l'échange entre soi et autrui.
L'échange entre soi et autrui consiste à intervertir l'attitude qui chérit le soi et l'attitude qui délaisse les autres. Avant on chérissait le soi et on délaissait autrui. Maintenant on doit faire le contraire. L'attitude de chérissement qui était tournée vers soi-même est maintenant transférée vers les autres EVE-289
L'édification de ces mandalas mentaux n'est pas facile car leur enseignement relève du Mahāyāna dont la visée est d'atteindre la bouddhéité. Mais pour aussi surprenant que cela puisse paraître, la souffrance plaide en faveur de la confiance éclairée et de l'effort joyeux à leur pratique ! Que le sentiment du moi s'inscrive dans l'esprit de manière innée au point d'y sembler consubstantiel, témoigne de la force de la familiarité exercée de manière aveugle, mais aussi du pouvoir de la familiarisation pour œuvrer à un dessein vertueux (relativement aux conditions de la « précieuse vie humaine »). S'il est possible d'éprouver un sentiment d'unité avec l'espace en s'absorbant mentalement dans sa visualisation, il est possible de développer la compassion en s'imprégnant de l'importance du sort des autres !
Le caractère élaboré de ces « mandalas mentaux », qui repose sur la description structurelle du mode de cognition de l'esprit par le mécanisme des vues virtuelles, suggère une intention volontaire à leur élaboration. Or, le caractère virtuel de ces vues est d'une extrême sensibilité aux conditions de leur formation, ce qui les rend extrêmement volatiles au sein de l'esprit ordinaire. Nous ne les contrôlons pas les vues, surtout celles des perturbations mentales, ce sont elles qui nous contrôlent ! L'entraînement au « calme mental » pacifie l'esprit et réduit leur impact, mais les vues contaminées demeurent patentes et peuvent nous submerger tant que nous n'avons pas réalisé la vacuité de la saisie du soi.
Le pouvoir de la familiarité vient de l'absorption répétée de l'esprit dans les vues virtuelles des émotions perturbatrices, dans lesquelles nous nous abandonnons avec l'intime conviction que la « vue virtuelle racine » de toutes les perturbations mentales, le sentiment du moi, instille en nous. L'habitude marque profondément de son empreinte notre continuum de conscience au point qu'un simple stimuli peut parfois suffire à déclencher l'aversion, la colère, la rancune, la rage, etc. tout en renforçant conjointement la préoccupation du moi.
Il suffit d'un infime changement extérieur, que quelque chose d'insignifiant aille mal pour qu'en quelques secondes vous soyez complètement perturbé (...) obsédé par le monde sensoriel, aveuglé par l'attachement et sous le contrôle de la cause fondamentale de tous les problèmes : la non-connaissance de votre esprit DSPT-10
Parfois, mais pas toujours ! Les empreintes karmiques des perturbateurs ne sont pas les seules impliquées. Certes, si elles ne persistaient pas dans la conscience après la dissolution des agrégats psychophysiques, elles ne nous influenceraient pas de vies en vies. Cependant en plus de ces facteurs innés, notre état physique et corporel du moment participe de leur déclenchement. Nous ne réagissons pas de la même manière au sortir d'une méditation emprunte de quiétude et sous le coup de la fatigue physique ou mentale...
Selon les textes bouddhistes, la vue (innée) du sentiment du moi origine l'idée du soi, or l'examen analytique du fonctionnement de l'esprit tend vers le contraire. La sensation de l'espace éprouvée en état d'absorption méditatif profond vient de l'intime conviction de l'existence de cet espace inférée de la saisie de l'étendue, elle-même déduite de la perception d'un volume, lui-même saisit par la vue des agrégats de la forme. En apparence, rien de conceptuel là-dedans et pourtant, comment reconnaître un volume sans en avoir aucune notion a priori ?
Les neurosciences nous apprennent que les symboles géométriques des formes élémentaires sont précâblées dans le cerveau. « L'être humain serait doté d'une capacité innée à distinguer des formes géométriques régulières ». Une aptitude universelle présente chez les enfants dès la maternelle et y compris chez des peuplades les plus reculés qui ne possèdent « pas de noms pour les formes géométriques, ni d'éducation formelle sur leurs propriétés. Nomades, ils vivent de surcroît dans un environnement non charpenté, libre de formes géométriques[viii] ».
De la même manière, si l'on n'observe nul conditionnant symbolique en dépilant la chaîne causale de l'émulation des vues virtuelles des perturbations mentales en remontant des secondaires aux racines jusqu'à l'ignorance elle-même, outre l'intime conviction et le sentiment du moi, comment celui-ci pourrait-il resurgir, de manière innée à chaque nouvelle vie (et subsister dans le bardo) si son empreinte sur le continuum de conscience était de nature phénoménologique volatile ?
Quant à reconnaître tous les êtres sensibles comme ayant été nos mères aux fins d'édifier les mandalas mentaux des deux méthodes d'entraînement de l'esprit au développement de la bodhicitta, l'affirmation relève de l'ordre de la conception.
Sous la perspective philosophique de l'interdépendance des phénomènes, il ne fait pas sens de chercher à savoir qui de l'œuf ou de la poule est le premier. Vue en aplat ou en relief, une anamorphose est un seul et même phénomène ! De loin, une ligne électrique semble un trait d'une seule dimension, mais de près une dimension supplémentaire surgit à son épaisseur... Lorsqu'il passe sous le radar, un avion disparaît seulement des écrans radars ! Le visible dépend de la longueur d'onde de la lumière relativement à la position de l'observateur, de sorte que les objets d'une taille inférieure à celle du spectre de la « lumière visible » sont... invisibles, mais ce n'est pas pour autant qu'ils cessent d'exister !
En mettant le focus sur l'état antérieur (le vivant d'une personne), l'observation réductionniste fait du sentiment du moi le point d'origine de l'enchaînement causal des perturbations mentales, mais en déplaçant le focus sur le bardo, l'empreinte de l'ego sur le continuum de conscience apparaît causale de l'émulation innée du sentiment du moi dans la vie suivante ! La « Claire lumière » de l'esprit se pense plus en termes philosophiques que physiques, comme un connaître plutôt qu'un manifesté, sans les opposer de manière antithétique.
Le point essentiel est l'importance d'émuler des vues virtuelles qui nous inspirent la bienveillance, l'altruisme, l'amour et la compassion, mû par la préoccupation du sort des autres, plutôt que de nous abandonner au chérissement du moi source des perturbations. Face à leur caractère inné et impulsif, nous devons développer l'intention de contrer et de neutraliser leur émulation nuisible par le recours vertueux de la « raison éclairée » (à la sagesse du Dharma) et l'examen analytique de la vacuité de leur objet jusqu'à sa réalisation.
Observons l'esprit. Lorsque nous sentons poindre une émotion perturbatrice, marquons un temps d'arrêt de sorte à prendre du recul pour l'examiner avec objectivité avant qu'elle ne nous envahisse et nous submerge. Interrogeons-nous sur « l'intime conviction » qui instille en nous sa légitimité. Sur quoi repose ce qui nous apparaît comme le « sentiment du bien-fondé » de la colère ? Est-il dans l'agrégat de la forme ou dans celui des sensations ? Son support est-il constitutif de l'agrégat des discriminations ou des formations mentales ? Ce sentiment qui nous instille l'intime conviction de la légitimité de la colère réside-t-il dans la conscience comme résultat synthétique de l'activité combinée des agrégats ?
Si le sentiment de légitimité de la colère se trouvait dans l'agent ou dans les actes de l'agent (c.à.d. si la colère possédait une réalité en-soi), alors toute personne qui serait en contact avec cet agent devrait logiquement s'enflammer pareillement de cette colère. Or, tout le monde ne réagit pas de la même manières aux actes ou à la vue d'une personne. C'est donc que cette colère ne possède pas de réalité en-soi ! D'où vient alors le sentiment de légitimité de la colère ?
Le sentiment de légitimité de la colère vient de ce que nous la faisons nôtre ! Il vient que nous percevons l'agent et ses actes à travers le prisme de la saisie du soi. C'est ce prisme qui confère au sentiment que nous ressentons envers l'objet de notre colère l'intime conviction de son bien-fondé. Parce que le sentiment du moi est contaminé par nos empreintes karmiques, son filtre nous conditionne à voir l'agent tel un agresseur, ses actes tels une agression et a nous sentir agressé, en combinaison de quoi la saisie du soi instille en nous le sentiment d'une intime conviction quant à la légitimité de notre colère.
A la différence de l'espace, non composé et non produit, les actes d'un agent sont un fait tangible qu'il est possible d'objectiver, par exemple en termes juridique et pénal. Il convient toutefois de distinguer la souffrance liée au changement et celle induite par la perception de ce changement («la souffrance de la souffrance ») qui rajoute de la souffrance aux actes de l'agent. C'est pourtant de cela qu'il est question s'agissant du sentiment de légitimité de la colère qui nous envahis au ressentir de l'agent et de ses actes tels que nous en éprouvons, à notre endroit, ces « blessures de l'âme » (rejet, abandon, humiliation, trahison, injustice...).
Nonobstant l'acte dans sa dimension délictuelle (dont il n'est pas question de nier le caractère dès lors que son objet ne peut être réfuté par les faits), la question porte sur la réfutation de la phénoménologie mentale du sentiment de légitimité, tel que nous en éprouvons la souffrance sous forme de « blessure (de l'âme) », et corrélativement du « sentiment du moi » dont l'objet est associé (dont par le biais de son prisme, l'agent et ses actes sont perçus agresseur et agression).
Lorsque nous sentons poindre l'injustice interrogeons-nous quant au support du sentiment que nous inspire sa légitimité. Qui est celui qui souffre véritablement ? Qui est celui qui est réellement humilié ? Pensez-vous que l'esprit qui réalise la vacuité du soi et se libère du carcan karmique de sa saisie éprouve encore un sentiment de rejet, de trahison ou d'abandon, en l'absence du sentiment du moi ?
Dans lequel des cinq agrégat réside le sentiment de rejet ? Le sentiment d'abandon est-il dans la forme ? Les sensations sont-elles le support du sentiment d'humiliation ? Le sentiment de trahison a-t-il les discriminations pour base ? Les formations mentales sont-elles le socle du sentiment d'injustice ?
La « saisie du soi » instille le sentiment de légitimité aux ressentis émotionnels perturbés et souffle sur les braises ardentes des conditionnements karmiques qui déclenchent l'incendie de nouvelles afflictions mentales. Croyez-vous possible en ces conditions d'autoperpétuation des causes de vos souffrances de guérir vos « blessures (d'âmes) » en conservant actif le sentiment du moi en vous ?
Depuis Socrate, l'idée de se connaître soi-même est au cœur de toute thérapie. Encore faut-il s'entendre sur cela qu'il s'agit de connaître ? Le Bouddha a compris que ce n'est pas en assainissant le sentiment du moi de l'infection toxique des blessures de l'ego, mais en réalisant la vacuité (de la saisie) du soi, qu'il est possible de se libérer définitivement de toutes souffrances et de trouver le bonheur du nirvāna. Mais aussi, que c'était seulement en faisant mûrir et en développant l'amour et la grande compassion, dans l'esprit de la bodhicitta, qu'il est possible d'atteindre l'Éveil et l'état d'omniscience des bouddhas.
Nous désirons tous nous libérer de la souffrance, mais ne faisons qu'en entretenir perpétuellement les causes ! Toutefois, comment être certain que la voie montrée par le Bouddha est la bonne ? Comment en acquérir la certitude authentique ? La paix et le bonheur sont-ils, véritablement, au terme du chemin qui passe par la réalisation de la vacuité et le développement de la compassion ?
La philosophie bouddhiste tibétaine n'affirme pas une doctrine, elle enseigne à qui en développe la confiance éclairée la manière de réfuter les fausses vues et les vues extrêmes. Sa méthode ne consiste pas à prouver la non-existence du soi de la personne mais à désavouer son sentiment, ainsi que l'intime conviction instillée par son prisme, par la réalisation leur vacuité.
En résumé, il existe deux « vues fausses » du soi (innée et acquise), « vue de l'ensemble périssable» (ou de l'assemblage transitoire), une méthode principale et deux annexes pour en méditer la vacuité.
- En premier lieu, classiquement (selon la technique de la méditation analytique visant le développement de la « vision supérieure »), en examinant les cinq agrégats constitutifs de la personne de sorte à mettre en évidence leur caractère interdépendant et impermanent - auxquels l'on peut ajouter les quatre éléments (terre, eau, air, feu) et les canaux d'énergie subtile - l'on finit par réaliser que le soi existe seulement en tant que pure désignation conventionnelle, vide de réalité propre !
- En second lieu (d'une manière moins orthodoxe), en examinant les agrégats, en-deçà des apparences (en descendant au niveau infinitésimal, atomique puis quantique), l'on finit par saisir que les présumées qualités intrinsèques du soi n'ont d'existence qu'au plan conventionnel (en tant qu'elles découlent d'un « effet de seuil » ou « d'échelle de relativité » à la surface des choses), et que la saisie du soi (inné et acquis) est vide de réalité au plan ultime !
- Enfin en dernier lieu, dans une approche holistique (voire holographique), en observant les agrégats conjointement à la saisie du soi (de sorte à ce que l'examen révèle l'illusion de leur dualité), l'on finit par saisir que le sentiment du moi n'existe qu'en tant qu'il est émulé dans l'interdépendance de la saisie des agrégats sous la forme d'un connaisseur virtuel (dont nous faisons l'expérience sensible des qualités en y absorbant notre conscience), et qu'en dehors de son référentiel contaminé, l'ainsité de soi est vacuité ! Lorsqu'il n'y aura plus saisie des agrégats, il n'y aura plus de saisie du moi....
Nous devrions débuter la méditation analytique visant à déconstruire le sentiment du soi par sa recherche dans les agrégats... à la troisième personne ! Plutôt que de penser « je », pensons « il inspire lentement, il expire lentement, etc. ».
Parler de soi à la troisième personne est considéré comme une attitude hautaine. Or, parler de soi à la première personne renforce le sentiment du soi ! Tout ce qui se répète finit par s'ancrer en nous, par devenir une habitude qui nous conditionne à agir de la même manière avec les conséquences karmiques négatives que cela entraîne... En voyant avec quelle rapidité et facilité, l'habitude nous ramène à penser et à dire « je », nous mesurons à quel point le sentiment du moi est profondément ancré en nous comme un instinct animal !
Le connaisseur qui réside en ce corps - dont l'esprit et les facteurs mentaux sont émulés par l'activité des agrégats psycho-physiques au niveau le plus grossier, supra subtil - devrait se faire la réflexion suivante :
- A chaque fois qu'une pensée par autoréférence surgit, le sentiment (inné) du soi renforce l'intime conviction du caractère autonome et indépendant de sa réalité intrinsèque.
- A chaque fois qu'une pensée par auto-désignation surgit, son caractère égotiste nourrit le désir-attachement et l'aversion, l'espoir et la peur, envers les objets des sens.
- A chaque fois qu'une intention est inspirée par le biais de la perception frauduleuse du soi, les actions non vertueuses induites consolident le conditionnement karmique qui enferme dans le cycle de la souffrance.
- Qu'il serait vertueux pour l'esprit de s'exprimer, de (se) penser et de (se) dire, en qualité de connaisseur lorsqu'il entreprend (par la recherche du soi dans les agrégats) la déconstruction du sentiment du moi si délétère à l'atteinte du véritable bonheur.
Puisque la réalisation de la vacuité du soi mène au niveau infra subtil du non-soi (décohéré de toute idée, sensation, sentiment d'identité individuelle), appliquons-nous avec vigilance pendant toute la durée de notre méditation analytique à adopter une « posture mentale » qui nous maintienne hors du champ d'influence négative de la saisie du soi. Procédons à la « dissection phénoménologique » du sentiment du moi par une analyse objective de sa saisie comme si nous avions déjà atteint l'état d'équanimité libre d'attachement et d'aversion.
En comprenant que l'espace est incomposé, sans forme, non-né et qu'il n'existe qu'en tant que pure désignation, nous réalisons que l'intime conviction quant à la réalité de l'objet avec lequel nous avons eu l'impression d'entrer en unité (dans l'état d'absorption méditative profonde) se révèle n'avoir d'existence que relativement au sentiment d'en avoir fait soi-même l'expérience ! Il en va de même avec les émotions. Lorsque la colère surgit, elle s'accompagne de l'intime conviction de sa justification relativement à... « ce qui m'arrive à moi » !
Libéré de toute empreinte, affranchi de toute influence non vertueuse, décohéré du sentiment du moi, le connaisseur qui a coupé la racine de l'ignorance (et de ce fait dissout tous karman) ne cesse pas pour autant de connaître ! Il ne cesse pas de percevoir, de ressentir, d'éprouver. Il cesse seulement de produire du karman et conséquemment d'être soumis à sa loi.
Pur, il est sans passion ; clair, il est sans affliction ; lumineux, il saisit que la forme est le vide et le vide est la forme comme étant l'aspect l'une de l'autre (dont la relativité est elle-même vide de réalité propre) ; éveillé, il goûte à la saveur unique du bonheur véritable.
Fiez-vous à l'Enseignement et non à la personne qui enseigne,
Fiez-vous au sens et non aux mots seuls,
Fiez-vous au sens ultime et non au sens littéral,
Fiez-vous à la Sagesse et non à la conscience immédiate.
Kâlâma Soûtra[ix]
Namasté
Tashi delek
བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།
Références :
DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html
CCE : Comment comprendre l'esprit, Guéshé Kelsang Gyatso, éditions Tharpa https://tharpa.com/fr/comment-comprendre-l-esprit.html
CPA : Compendium de la Phénoménologie, Asanga https://archive.org/details/in.ernet.dli.2015.201068/page/n5/mode/2up
DSPT : Devenir son propre thérapeute, Lama Thoubtèn Yéshé https://www.vajra-yogini.com
EMK : Les étapes de la méditation, commentaires de Sa Sainteté le Dalaï Lama sur le texte de Kamalasīla https://livresbouddhistes.com/2018/06/26/le-dalai-lama-les-etapes-de-la-meditation-commentaire-de-sa-saintete-sur-le-texte-de-kamalasila/
PMM : Le pouvoir du moment présent, Eckhart Tolle
TGVS1 : Le traité de la grande vertu de sagesse de Nagarjuna (MAHÂPRAJNÂPÂRAMITÂSÂSTRA) tome 1 https://archive.org/details/EtienneLamotteLeTraiteDeLaGrandeVertuDeSagesseDeNagarjunaVol.I1944
TGVS2 : Le traité de la grande vertu de sagesse, tome 2 https://archive.org/details/EtienneLamotteLeTraiteDeLaGrandeVertuDeSagesseDeNagarjunaVol.II1949/page/n1/mode/2up?q=MAH%C3%82PRAJN%C3%82P%C3%82RAMIT%C3%82S%C3%82STRA
[i] https://fr.wikipedia.org/wiki/Rasoir_d%27Ockham
[ii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Aveugles_et_l%27%C3%89l%C3%A9phant
[iv] https://www.futura-sciences.com/sante/videos/hallucination-infrasons-vous-font-voir-fantomes-7204/
[v] https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_du_miroir#cite_ref-12