I.84 – Se réaliser par l’agir : le yoga de la purification

01/08/2021

La sagesse qui réalise la vacuité mûrit à l'intérieur, la compassion de l'immersion dans le monde. Pour développer l'intention altruiste d'aider les êtres à se libérer, l'on doit changer de point de vue en considérant leurs souffrances comme nôtres. Purifions notre esprit pour être à même d'aider les autres à nettoyer le leur.

La philosophie bouddhiste tibétaine emploie le terme de « réalisation » pour qualifier l'esprit qui saisit la véritable nature des choses, interdépendante et vide de réalité propre. La compassion est un « facteur mental » vertueux présent dans notre esprit mais qu'il nous faut développer jusqu'à éprouver, spontanément, son sentiment envers tous les êtres sans distinction. Les textes ne parlent pas de réaliser la compassion. Toutefois, réaliser l'ainsité consiste en l'épuration du voile de la cognition erronée qui recouvre l'esprit enchâssé dans l'illusion de la « saisie du soi ». Accomplir la grande compassion ne se différencie donc pas d'accomplir la sagesse, et à y regarder de plus près, les méthodes se ressemblent.

Méditer la vacuité de manière analytique, c'est interroger le concept du vide de réalité propre relativement à l'interdépendance des phénomènes pour en extraire le sens et ainsi amplifier notre compréhension dans un mouvement itératif : la réflexion modélise un objet ; la méditation en explore le sens ; la raison soumet son résultat à une nouvelle analyse ; la méditation l'approfondit ; etc. Le sens se précise à proportion que la pensée se parfait. Au plus profond, l'esprit saisit d'une manière qui transcende totalement la pensée par objet. A mesure que la cognition s'affine, l'intelligence se transforme en sagesse. Au final, l'esprit connaît d'une manière aussi claire que ce qu'il connaît est clair.

Cette clarté est la vue des apparences phénoménales couplée à la saisie de la conjonction de causes et de conditions, interdépendantes, impermanentes, vides de réalité propre, qui les engendrent et les composent. Réaliser la vacuité, c'est saisir les phénomènes de telle manière que les apparences n'obscurcissent pas la vacuité et que la vacuité ne dissipent pas les apparences.

Prenez la neige. Ce que nos sens nous donnent à voir et ce que notre esprit s'en représente, ce sont des flocons qui tombent du ciel. Sous l'angle de la sensation physique qu'elle nous procure, la neige paraît exister intrinsèquement. En modélisant son objet aux fins de réfléchir et de comprendre la nature du phénomène, nous établissons un premier niveau de discernement intellectuel. En méditant sur la vacuité de la neige, son caractère éphémère transparaît en interdépendance d'une conjonction de causes et de conditions à l'instar tout aussi volatiles. En regardant la neige, nous voyons désormais qu'elle est vide de réalité propre, mais c'est encore là une vision conceptuelle...

Nos sens ne nous permettent pas de percevoir le moment précis où les conditions météorologiques (température de l'air, hydrométrie, etc.) sont réunies dans les bonnes proportions pour produire la neige. Nous voyons la neige apparaître, mais nous ne la voyons pas se former à partir de ces causes ! L'instant où la cause devient effet, où la conjonction de conditions se transforme en phénomène, où le vide se fait manifestation, demeurent insaisissables. Nous ne voyons que leurs résultantes, les apparences physiques, comme le moment où la perception d'un volume se mue subrepticement en la sensation indéfectible d'un espace existant intrinsèquement (indépendamment d'une projection de l'esprit) est indicible.

Cependant, la neige et l'espace se différencient en tant que phénomène composé et non-composé, l'un possédant une existence extérieure alors que l'autre est une « vue virtuelle » émulée par l'esprit. Ils ont toutefois en commun le caractère ineffable de leur apparition, lequel est le produit du biais cognitif de l'ignorance qui occulte la relativité de leur nature véritable dans l'expérience de leur ressenti. N'ayant pas réalisé la vacuité, nous voyons le monde comme apparence sans voir la relativité de sa manifestation.

Quand vous serez capable de voir simultanément les apparences n'obscurcissant pas la vacuité et la vacuité n'empêchant pas les apparences, à ce moment vous manifesterez l'excellent sentier où la vacuité et les origines interdépendantes sont comprises comme étant synonymes MHM

En faisant émerger le sens du concept par la méditation analytique, nous prenons conscience qu'il est, d'une part, beaucoup plus profond et subtil que nous le pensons et, d'autre part, que la « vue virtuelle » affabulée qui le recouvre est fermement enracinée dans notre esprit. Au moment où l'évidence jaillit dans la relativité de la forme au vide et du vide à la forme, nous pourrions croire là réaliser la vacuité du phénomène (la neige, l'espace, le sentiment du moi, etc.), mais nous sommes encore emprunts du masque de la « saisie du soi »...

Nous comprenons que la forme et le vide (le conventionnel et l'ultime) sont deux aspects d'une même nature, mais nous ne saisissons pas directement leur relativité, non pas qu'elle ne puisse se concevoir mais parce que nous en faisons un objet ! En cherchant à comprendre comment s'effectue le basculement de l'un à l'autre, nous nous fourvoyons dans la dualité. La méditation analytique de la vacuité vise a contrario à dépasser le discernement conceptuel du vide à la forme et de la forme au vide, pour réaliser leur relativité « au-delà du par-delà » de la pensée par objet, dans une sublimation insubstantielle de la connaissance qui emporte la sublimation du connaisseur de l'esprit.

Un programme informatique applique un traitement à des données pour produire un résultat. Les données en sortie n'ont pas la même forme que les données en entrée, mais le programme, lui, demeure inchangé. Ce n'est déjà plus le cas avec les réseaux de neurones artificiels dont l'organisation se perfectionne à mesure que se développe leur intelligence. Du point de vue matérialiste et évolutionniste, l'être vivant doué de pensée consciente est le produit de son environnement.

La vie est à l'image de l'univers qui la produite, structurée sur un mode composite, adaptée à une perception sensible, douée de capacités cognitives, capable d'une pensée par objet. Nous percevons le monde sensible parce que notre corps est équipé de capteurs sensibles à sa perception, nous comprenons le monde dans lequel nous vivons parce que notre intelligence est structurée de manière à nous permettre son intellection. Les modalités sous lesquelles notre perception et notre cognition fonctionnent procèdent de fait des mêmes causes et conditions qui originent les phénomènes dont nous avons finalement conscience.

La méditation analytique ne remet pas en cause cette vision, elle en révèle le caractère conventionnel en déplaçant le point de vue du connaisseur sur le plan ultime. Méditer analytiquement la vacuité n'a pas pour seul effet la saisie du vide de réalité propre des phénomènes, elle modifie l'esprit de manière à lui permettre de saisir la nature véritable de ce qu'il analyse. Ce n'est pas une transformation d'ordre structurelle mais cognitive. Elle nous conduit à changer notre regard sur les choses en réalisant que le monde tel que nous le voyons présente une apparence sensible et substantielle relativement à la manière dont nous le concevons parce que nous croyons que telle est sa nature !

Tel que nous le percevons et de la manière dont nous le pensons, le monde qui nous entoure est une vue virtuelle émulée dans notre esprit à la saisie illusionnée des phénomènes sur la base des apparences conventionnelles, sous la forme d'agrégats existant intrinsèquement, de manière autonome et indépendant. Or, si la pensée de la forme procède de la perception de la forme, alors la saisie du vide doit inversement résulter du discernement du vide ! Le connaisseur relatif ne peut connaître la vacuité sous les modalités de la forme. Un phénomène ne peut être saisit que dans les modalités sous lesquelles il nous apparaît et celles-ci ne peuvent être que de deux ordres, réel ou relatif. Pour réaliser la vacuité de la nature véritable des choses, le connaisseur doit aller au-delà du second !

Réaliser que la neige n'a pas d'existence intrinsèque et autonome mais résulte d'une conjonction de causes et de conditions, ce n'est pas réaliser sa vacuité dès lors que ce réseau causal nous apparaît à l'esprit tel un objet ! Il nous faut saisir dans le même instant d'une compréhension au-delà de l'objet (d'une pensée par-delà la pensée), l'évidence des apparences objectives dans l'évidence de la vacuité de leur objet. Il nous faut dépasser tout antagonisme, autrement dit toutes « vues extrêmes » : de la forme au sans-forme (l'être et le néant) ; de la forme du sans-forme (l'être du néant) ; de la forme à la forme du sans-forme (l'être et le non-être) ; du sans forme au sans-forme (ni être ni non-être).

Un volume peut être vide car ne rien contenir, mais il ne peut être emplit de rien ! Lorsque l'on fait du rien un objet (ou d'un phénomène incomposé tel que l'espace une chose en soi) cela devient illogique. La relativité de la forme au vide n'est pas une dualité. La saisie de la vacuité est la saisie des apparences !

La vision dualiste est erronée. Nous tendons à voir la relativité du vide à la forme comme dualité parce que nous considérons la question sous l'angle d'un rapport de causalité qui distingue la cause de l'effet, l'un précédent l'autre chronologiquement. Or, ce n'est pas la conjonction à un «instant T » de causes et de conditions idoines qui entraîne la formation à un « instant T+1 » de la neige. Qu'il se mette subitement à neiger est la manière dont cette convergence s'exprime, à l'instant de celle-ci, sous une forme phénoménale !

Telle que l'ignorance nous la donne à voir, la forme paraît exister en propre sous l'aspect que nous en donne son image. Telle que l'analyse nous la montre sous les modalités d'une pensée dualiste, la forme apparaît résulter d'une relation causale (elle-même considérée en tant qu'objet) de conditions interdépendantes constitutives d'un déterminisme vide de réalité propre. Telle que la méditation analytique nous donne à saisir la relativité de sa nature véritable, la forme se révèle l'expression phénoménale du vide, la manifestation de causes et de conditions vides de toute substance nouménale.

Tant qu'il y a saisie des agrégats, il y a saisie du soi. Toutefois, la particularité de cette saisie est que si l'émulation de la vue virtuelle des agrégats nous instille le « sentiment du moi » son ressenti phénoménologique est abstrait d'une base ou d'un support qui puisse nous permettre d'affirmer son existence intrinsèque. La « sensation de l'espace » surgit de l'occultation de sa base d'émulation (la vue des dimensions d'une pièce qui induit la vue du volume, laquelle induit la vue de l'étendue). Qu'il s'agisse du « sentiment océanique » ou sentiment du moi, tous deux sont des vues (virtuelles) de l'esprit !

Le sentiment du moi résulte donc de l'ignorance de la vue qui le saisit. Tant que la saisie des agrégats est décohérée de la relativité de la vue qui les perçoit, il y a émulation du sentiment (inné) du moi. C'est comme de se regarder dans un miroir sans comprendre que ce que l'on y voit, c'est notre reflet ! Méditer la vacuité de la saisie du soi consiste en l'introspection analytique de nos agrégats aux fins de discriminer leur divergence et leur incompatibilité à constituer la nature ou le support du sentiment du moi. Saisir la vacuité du soi, c'est percevoir la relativité de la vue (virtuelle) de l'ensemble périssable qui émule le ressenti subjectif du moi à la saisie des agrégats. C'est voir que la forme est la manifestation phénoménale d'une conjonction de causes et de conditions déterminantes (dont font partie de nos cinq agrégats et leurs activités) vides de réalité propre. Ce n'est toutefois pas encore réaliser la vacuité...

Tout ce qui existe dépend, pour exister, de l'existence d'autres choses qui le produisent ou qui le supportent, l'existence de cela qui existe cesse alors que cessent d'exister les causes ou les conditions qui le supportaient. Ainsi, toute existence est relative ESBT-81

La forme est la manifestation du vide, « l'expression phénoménale » que revêt la conjonction d'un faisceaux de causes et de conditions interdépendants sous les apparences du manifesté. C'est la 7ème vacuité - il y en a vingt ! - désignée comme « la vacuité des phénomènes composés » selon les Prajnāpāramitāsūtra. Or, qu'en dehors du vide, il n'y ait pas de forme et qu'en dehors de la forme, il n'y ait pas de vide, signifie que la relativité n'a d'existence que dans le rapport de la forme au vide et aucune existence hors de celui-ci ! C'est la 4ème vacuité dite « vacuité de la vacuité » c.à.d. « vide d'existence en soi » DEB-677. Méditer la vacuité, c'est réaliser que ce que l'on cherche à connaître et notre capacité à en établir la connaissance sont, tous deux, inconcevables. « Relativité et réalité sont des modes que notre esprit crée, les attribuant à l'inconnaissable » ESBT-118.

La manière de parcourir le chemin est déterminante de son issue. L'important, ce n'est pas ce que nous révèle l'introspection analytique d'un objet, mais ce que la méditation nous apprend sur nous-mêmes dans le mouvement d'ampliation de notre connaissance. Comprendre n'est pas un état statique. Le discernement émerge de la constance de son mouvement. « L'attitude préconisée dans les enseignements consiste en une énergique volonté de connaître tout ce qu'il est possible de connaître, de ne jamais s'arrêter sur le chemin de la recherche qui s'étend à l'infini devant les pas de l'explorateur » ESBT-119.

Et il n'y a pas de raison pour que ce mouvement s'arrête avec l'état de Bouddha ! Puisque tous les phénomènes sont interdépendants et que rien n'a de réalité en soi, il n'y a rien qui soit absolu. La sagesse des bouddhas est dite « permanente » au sens d'irréversible, sans retour à l'état d'être ordinaire. Ainsi, l'omniscience des Bouddhas ne se conçoit pas selon l'acception des religions théistes, c.à.d. comme un « savoir total » sur absolument tout ce qu'il y a connaître, mais plutôt comme le potentiel infini de connaître tout ce qu'il y a connaître, particulièrement les conditions infinies de souffrances du nombre infini des êtres sensibles afin de les aider à atteindre au bonheur de la libération et de l'Éveil.

Le mouvement perpétuel n'existe pas. Le samsāra n'est pas un cycle infini. Toutefois, la voie pour atteindre la cessation des souffrances karmiques procède, également, d'un processus itératif : développer la sagesse par la pratique de la méditation analytique jusqu'à réaliser la vision supérieure ; développer l'égalisation de soi avec les autres ; épurer notre esprit du sentiment du moi par la pratique du tonglen jusqu'à réaliser la compassion.

Le sentiment du moi n'a pas d'objet réel et, par extension, l'altérité n'en a pas non plus ! Le sentiment du moi nous fait nous affirmer unique et poser autrui comme différent, mais toute différence entre les individus est d'ordre conventionnel. Que ce soit du point de vue génétique, physiologique, cérébral, psychique, social, culturel, etc. l'altérité est une variation infinie sur le même thème. Chaque être est l'expression phénoménale de l'infinie variation des infinies combinaisons de la conjonction de causes et de conditions de ses agrégats et de leurs activités. Sur le plan ultime, la conscience de « Claire Lumière » n'a ni genre, ni sexe, ni particularité de nature - c'est plutôt un état de connaissance lucide (ou de claire voyance) et non une caractéristique propre à l'essence nouménale d'un Soi autonome -. Que nous soyons homme ou femme dépend du karman qui nous a projeté dans cette vie sous cette forme aux fins de faire l'expérience de ses fruits.

La sensation d'être homme ou femme, d'être en accord ou en dissonance entre son corps et son genre (qui pousse certain.e.s personnes à changer de sexe) ne sont en rien différentes du «sentiment du moi » ou du « sentiment océanique » ! Ce sont des vues virtuelles instillées dans nos esprits qui viennent de ce que nous n'avons pas réalisé la vacuité, et qui nous font éprouver l'intime conviction de l'existence intrinsèque de leur objet à l'aperception de nos agrégats...

Tant que le sentiment (inné) du moi n'est pas démystifié par le relativisme de la vue des agrégats, il y a saisie du soi. Or, c'est parce que nous sommes englués dans sa vue illusionnée qu'il nous est, aussi, possible d'éprouver de l'empathie ! Si nous voyions l'agent, ses actes et ses fruits comme vides sans avoir cultivé la grande compassion, la souffrance nous apparaîtrait sans conséquence...

Le ressenti de la souffrance à la saisie innée du moi, laquelle émule l'intime conviction de sa réalité, nous permets de saisir l'altérité d'autrui à travers le sentiment de notre propre altérité. La communauté de la souffrance au désir commun de ne plus souffrir, nous inspire le souhait de libérer les êtres sensibles de leur condition existentielle (samsarique) de souffrance. Considérer que les êtres souffrent en raison de l'ignorance (la saisie du soi), en regard de la prise de conscience de notre propre ensorcellement à ses chimères, développe en nous l'aspiration à aider les autres à réaliser la vacuité du sentiment du moi. Cela même qui nourrit nos souffrances par la recherche d'un bonheur égotiste est cela même qui nous permet d'élever notre compassion à la vue de la souffrance des autres !

A l'instar de « la vue de l'ensemble périssable » de nos agrégats qui entraîne l'émulation d'un connaisseur virtuel à travers lequel nous ressentons le sentiment du moi, l'absorption de notre esprit dans la vue virtuelle des agrégats des êtres sensibles nous fait éprouver de l'empathie à l'égard des autres en nous instillant l'intime conviction de la réalité de leurs souffrances.

Cette vue là est statique. Il n'y a pas d'échange entre soi et les autres à ce stade. Elle permet simplement de faire l'expérience de l'altérité en prenant conscience de ce que cela fait d'être en proie à la maladie, à la souffrance, à des obstacles, sans les prendre sur soi par la médiation du tonglen. En nous mettant « à la place de l'autre », l'empathie nous ouvre les yeux sur ce que cela fait de subir l'injustice, les insultes, la violence, etc. qui frappent les autres du fait des événements de la vie en lien avec leur karman, mais aussi du fait de nos propres actes, paroles, et pensées blessantes à leur encontre.

L'empathie est l'intelligence du sentiment qui en considérant le sort des autres nous fait nous reconnaître semblable par-delà nos différences. C'est grâce à l'empathie qu'il nous est possible d'aspirer par amour à agir envers les autres comme nous souhaiterions qu'ils agissent envers nous-mêmes... Pour développer la compassion et l'amour dans la préoccupation du sort des autres, il nous faut cependant réduire la préoccupation et le « chérissement du moi ». Plus l'on a d'amour pour soi moins l'on a d'amour pour autrui, mais plus l'on a de compassion envers soi-même plus l'on a de compassion envers autrui.

Voir l'autre comme un inconnu, quelqu'un avec qui nous n'avons rien en commun, rejeter sa présence, nous conduit à nous priver de l'opportunité de nous enrichir humainement à son contact et nous entraîne insidieusement, soit à sombrer par suffisance dans l'indifférence aux autres, soit à nous confiner par orgueil dans un repli identitaire (nationaliste à l'échelle communautaire) qui érige son altérité en antagoniste à notre existence. A voir l'autre comme notre ennemi, nous ne faisons qu'attiser l'aversion, la colère, la haine et nourrir nos propres souffrances.

Se préoccuper du sort des autres, de ce qui leur arrive, non seulement par sympathie mais éprouver de l'inquiétude et se sentir tourmenté à la pensée des conditions de souffrances qui les affligent, procède de la sensibilisation à leur être et à la désensibilisation au sentiment de notre propre sort. Pas plus que la compassion ne peut surgir spontanément sans raison, nous ne pouvons pas nous affranchir du chérissement du moi sans douleur. Cependant, puisque l'un est l'opposé de l'autre, le bouddhisme nous enseigne comment accroître notre compassion dans le mouvement conjoint du retranchement de l'ego.

Les mauvais traitements de vos adversaires

Vous incitent à la méditation,

Et leurs reproches insultants et immérités

Font avancer votre pratique.

Ceux qui vous nuisent sont des maîtres

Qui éprouvent votre attachement et votre colère :

Comment pourrez-vous jamais honorer pareille bonté ? ACC-140

La vie nous mets parfois face à des personnes qui agissent de manière toxique. Lorsque cela arrive, il est essentiel de ne pas confondre la personne et ses actes, lesquels résultent de l'obscurcissement de leur esprit, afin de ne pas assombrir notre propre esprit en en faisant nos ennemis. « Rappelez-vous toujours que ceux qui vous nuisent sont victimes de leurs propres émotions » ACC-142. Voyons la situation sous l'angle karmique dont la loi de causalité entraîne infailliblement l'expérience de ce que l'on fait subir aux autres. Ainsi, c'est le fruit de notre propre karman négatif qui nous entraîne à être l'objet d'infamie, d'insulte et d'humiliation !

Selon la pensée bouddhiste, les racines de la souffrance sont l'ignorance, le désir sans frein et l'aversion (haine/colère). A l'évidence vouloir s'affranchir de la souffrance est le corollaire du désir d'être heureux. Mais tant que nous verrons dans la souffrance un état contre nature, nous n'en débusquerons jamais les causes.

Sa Sainteté le Dalai-Lama - L'art du bonheur

Sous la cible de telles attaques, notre réflexe peut être de répondre par l'attaque. Or, il n'est pas sain de répliquer avec le même état d'esprit que celui dont le comportement présente un caractère de nocivité à notre égard. Nonobstant le fait que cela ne permette en rien de régler les problèmes, mais au contraire a pour effet de les amplifier, soyons toujours pleinement conscient que lorsque nous nous mettons en colère contre l'autre, du point de vue karmique, c'est en fait à nous-mêmes que nous faisons du mal !

Il n'est pas justifié non plus de nous culpabiliser (encore moins de nous torturer) en apportant du crédit à des propos tenus à notre encontre et qui ne sont en rien fondés. Se sentir mal à l'aise sous les critiques ne résulte pas tant de l'art du manipulateur de nous insuffler ce sentiment que de l'intime conviction instillée par le sentiment (inné) du moi ! « En fait, comme il est peu probable que vous fassiez des progrès spirituels si vous n'avez pas le courage d'affronter vos défauts cachés, chaque personne ou situation qui vous les révèle, aussi pénible et humiliante soit-elle, vous rend un grand service » ACC-140.

Les personnes qui agissent de manière toxique sont des maîtres dans l'art de nuire. Leur habilité est grande à manipuler leur cible. Elles n'ont pas besoin de porter de coups directs, il leur suffit de présenter les choses de telle manière à déclencher une réaction d'amour propre blessé. Lors d'une infection virale, l'emballement de l'inflammation va ajouter de la souffrance à la souffrance. L'araignée tend sa toile, mais ce sont les insectes qui se prennent dedans...

C'est pourquoi, il est d'autant plus important d'observer, constamment, notre esprit afin d'éviter de nous laisser emporter par les perturbations mentales que nous instillent le sentiment du moi floué et de réagir négativement. 

Qu'est-ce qui fait que je me sente blessé ? Est-ce parce que ces critiques sont fondées ou parce que « je » les ressens comme des attaques personnelles envers « moi » ?

Nous percevons tout acte comme toxique (même s'il n'est pas intentionnel !) lorsqu'il affecte le chérissement du moi. Ce que nous ressentons comme une agression exprime le fait que le sentiment du moi est mis à mal. Nous souffrons des actes toxiques d'esprits tourmenteurs (et tourmentés) parce que nos perturbateurs mentaux entrent en résonance avec le sentiment affligé du moi ! « Un individu qui a le même rang ou un inférieur dépourvu de qualités pourrait, alors que vous êtes aimable avec lui, vous critiquer avec mépris ou vous humilier. Si cela arrive, ne vous mettez pas en colère (...) respectez cette personne (...). Rester humble, c'est un moyen très efficace de contrecarrer votre tendance à n'être intéressé que par votre bonheur personnel » ACC-140. Tant qu'il y a saisie des agrégats, il y a saisie du soi. Il nous faut donc nettoyer notre esprit du sentiment du moi. Mais, comment procéder ?

Les difficultés sont nos maîtres spirituels, 

Les obstacles, des aiguillons pour la pratique du Dharma, 

Et la souffrance, un balai qui chasse nos actes nuisibles : 

Ne les regardons pas avec dégoût ! ACC-145

Il y avait un disciple du Bouddha qui s'appelait Chudapanthaka[i]. Il lui était très difficile d'apprendre et de retenir les enseignements. Le Bouddha lui demanda de balayer le temple en récitant la formule « Abandonnez la saleté, abandonnez les taches ». Par la pratique persévérante, Chuda parvint finalement à purifier son karman et par devenir un arhat et par atteindre le nirvāna - « celui qui a vaincu les ennemis, c.à.d. libéré des émotions et des souffrances du samsāra » AEC-141.

L'exemple illustre le pouvoir de la méditation analytique (formelle ou informelle pour Chudapanthaka) de clarifier l'esprit par la clarification du sens de ce qui est analysé. En approfondissant le sens des enseignements, nous clarifions notre esprit en éclaircissant notre discernement. En son acception grossière, la saleté figure la poussière. En un sens plus subtil, elle symbolise les trois poisons (désir-attachement, aversion, ignorance) et les taches leurs empreintes karmiques. Si l'on pousse plus loin le nettoyage (au-delà du voile des émotions perturbatrices qui amène au nirvāna), le balayage vise à éliminer l'infatuation de l'ego jusqu'à effacer le sentiment du moi par la réalisation de la vacuité du soi de la personne.

L'on ne peut développer de compassion authentique pour les êtres sensibles sans diminuer le chérissement de soi. Dans le Mahāyāna, la méditation de la prise et du don (tonglen) vise le développement de « l'esprit d'Éveil » par une pratique de visualisation couplée à la respiration : à l'inspire, imaginez que les souffrances des autres et leurs causes sortent de leur narine gauche sous forme d'une fumée noire que vous aspirez en vous du même côté pour les en libérer ; à l'expire, imaginez une lumière blanche, qui figure vos mérites et vos vertus, sortant de votre narine droite pour entrer par le même côté et les emplir de bonheur.

Faire entrer dans son corps les souffrances des autres peut faire peur, car le sentiment (inné) du moi est si ancré que tout ce qui menace « mon » corps, « ma » santé, « ma » vie, est source d'aversion. Faire cette pratique à dessein de libérer les autres de leurs souffrances peut ne pas suffire pour la contrecarrer.

Voyez cela comme un nettoyage... Prendre sur soi les souffrances d'autrui (c.à.d. leurs perturbations mentales), c'est comme de balayer la saleté de la maison de notre voisin et y compris les causes qui l'origine, c.à.d. enlever les taches qui y sont profondément incrustées (les empreintes karmiques de ses souffrances). 

Mais comment le fait de « ramener chez soi » les saletés du corps, de la parole et de l'esprit de notre voisin peut-il nettoyer les « trois portes » de notre esprit ?

  • Il ne s'agit pas de visualiser que vous déversé ces déchets chez vous, mais plutôt que vous les mettez dans la poubelle... de votre ego ! Puis d'imaginer que vous jeté ensuite son contenu. Mais, cela va bien plus loin qu'un simple subterfuge... La finalité est d'éprouver spontanément une compassion authentique pour tous les êtres sans distinction. Or, pour être capable de pratiquer le tonglen y compris avec les personnes dont les actes sont toxiques, il nous faut pour cela modifier la représentation que nous en avons, déterminante des émotions perturbatrices que nous entretenons à leur égard. 

  • Dans l'optique de «s'égaliser soi-même avec les autres », méditons sur la communauté de notre condition de souffrance, de sorte à prendre conscience que sur le plan de la souffrance, des causes de la souffrance, des effets de nos émotions perturbatrices (telle que la colère), de leurs empreintes karmiques, il n'y a pas de différence entre l'agresseur et sa victime et penser « combien il serait merveilleux qu'ils en soient libérés » ACC-142.

Pourquoi les souffrances de nos proches nous affectent-elles profondément alors que les mêmes souffrances vécues par des personnes qui nous sont inconnues ne nous impactent pas autant, voire nous laissent indifférents ?

Lorsqu'un événement tragique se produit entraînant la mort de nombreuses personnes comme un accident d'avion ou une pandémie, nous sommes tous affectés par le drame à des degrés divers selon notre proximité avec les victimes. Une mère ne pleurera pas la mort de l'enfant d'un autre de la même manière que s'il s'agit de son enfant. Il en va de même du regard que nous portons sur la souffrance des autres en tant qu'être ordinaire. Les grands bodhisattvas et les Bouddhas qui ont développé la compassion universelle éprouvent la souffrance de tout être sensible sans aucune distinction ni discrimination.

Nous construisons notre représentation du monde avec les informations dont nous disposons et dont la source principale est notre esprit. Cette « heuristique de disponibilité »[ii], économique sur le plan évolutionniste car elle nous permet de réagir à une situation immédiate, limite notre vision et introduit un biais de connaissance dans notre perception. Même si nous réévaluons constamment notre représentation pour l'adapter aux évolutions de la situation, dès lors que les informations récentes sont en fait les plus répétées, notre vision demeure ancrée dans l'habitude ! Ainsi, en va-t-il du sentiment du moi, inné en nous du fait qu'il se renouvelle à l'identique à chaque instant de sorte que ne percevons pas en quoi il constitue une illusion produite par l'émulation de la vue virtuelle, constamment réitérée, de « l'ensemble périssable ».

A l'heure où j'écris ses lignes (le 30 mai) la situation sanitaire s'améliore en France et laisse entrevoir un été apaisé sur le plan de la pandémie dans la plupart des pays européens. Une vision toutefois limitée et d'autant plus pernicieuse qu'elle s'accompagne de messages contradictoires d'aucuns affirmant que le port du masque ne sera plus nécessaire aux personnes vaccinées ou que la pandémie pourrait se terminer en septembre... Dans l'œil du cyclone, le calme règne !

Cette vue ne tient pas compte de la situation mondiale qui n'a jamais été aussi critique depuis le début de la pandémie - la vague meurtrière en Inde, sous-estimée en nombre de mort dont la plupart n'ont pas été testé et qui interroge sur de possibles nouveaux variants passés sous le radar, la question de savoir si le taux de vaccination sera suffisant à l'échelle mondiale pour enrayer la circulation du virus, etc. -. Ce nombrilisme illustre le biais induit par « l'heuristique de disponibilité » qui fait oublier la définition de pandémie, à savoir que « Personne ne sera en sécurité tant que nous ne serons pas tous en sécurité[iii] » !

Balayer notre ignorance (et notre insouciance), au sens conventionnel comme au sens bouddhiste du terme, ce n'est pas enlever, c'est ajouter du savoir au savoir pour parfaire notre connaissance et amplifier notre compréhension. Un travail d'une ampleur colossale en regard du gain obtenu. Qu'est-ce que la taille d'un virus comparé à l'ampleur des mesures déployées au niveau mondial pour le combattre ? Que sont la poussière et les taches en regard des efforts qu'il nous faut faire pour les nettoyer ? Le reflet de la Lune sur le lac que nous prenons pour la Lune n'est qu'une illusion et pourtant combien nous est-il difficile de nous extraire des apparences pour atteindre au discernement de la vérité...

Se préoccuper des autres, c'est élargir notre champ de connaissances au-delà de l'intérêt égocentriste à notre bonheur. En cherchant à comprendre les autres dans leurs vécus de souffrance, dans leurs expériences douloureuses, en nous ouvrant par empathie à leur condition d'être, nous réduisons mécaniquement la préoccupation à notre sort personnel. « S'égaliser soi-même avec les autres » établit un équilibre de l'intérêt et du chérissement de l'existence de tous les êtres sensibles. Prendre conscience de notre identité avec les autres implique qu'il n'y a pas lieu de nous penser différent, de nous considérer plus important.

Sur le plan de la souffrance, de ses causes, de leurs effets et de leurs conséquences karmiques, notre condition n'est en rien différente de celle des autres. Lorsqu'on examine la situation en détail (à froid, avec du recul sur nos émotions perturbatrices), dans un esprit éclairé par la sagesse et emprunt de compassion, « victime » et « criminel », comme « ami » et « ennemi », se révèlent n'être que des désignant conventionnels ! Il n'y a aucune raison à réserver notre compassion aux victimes et à en exclure leurs agresseurs !

Celui qui, de par ses actes, sa parole ou sa pensée, insulte, injurie, humilie les autres ne se distingue sur le plan de la souffrance des victimes de ses invectives, diffamations et harcèlement qu'en tant qu'il réunit les causes d'un karman dont il fera à terme l'expérience de souffrance, tandis que ses victimes expérimentent le fruit de leur karman négatif parvenu à maturité ! Imprégnés de désir-attachement, ignorant la loi de causalité, partial au bonheur et à la punition, nous ostracisons l'un arguant de sa malveillance et soutenons l'autre arguant de son innocence alors que tous, sous l'emprise de la saisie du soi, requièrent notre compassion.

Celui qui commet des actes criminels, animé par la rage et par la haine, ne se distingue pas sur le plan des effets de ses émotions destructrices de la victime, de ses parents et de ses proches brûlants de colère à son encontre. Que l'on soit victime ou bourreau, la colère a le même effet destructeur ! De même que celui qui sous l'aveuglement de la rage torture et assassine ne se distingue pas sur le plan des empreintes karmiques qu'il crée en son continuum mental de celui qui cherche à se venger de ces crimes au nom du désir-attachement qu'il porte aux victimes et de la colère de les savoir mortes « par sa faute ».

En définitive, qui que nous soyons et quoi que nous fassions, la colère détruit non seulement tous mérites et tous bienfaits, mais crée (et renforce) l'empreinte d'un karman négatif dont nous aurons, tôt ou tard, à souffrir du fruit ! « On dit qu'à chaque colère, on détruit les résultats de racines de vertus accumulées durant mille éons (...) elle sera la cause de multiples malheurs pour nous autant que pour les autres » IPP-30.

Celui qui agit dans l'intention malveillante de nuire, contaminé par le poison de l'aversion, ne se distingue pas sur le plan des causes de la souffrance de celui qui est contaminé par le poison du désir-attachement. Tous deux sont corrompus par la vue virtuelle de « l'ensemble périssable » (l'ignorance, racine du samsāra). Libérés du voile des émotions perturbatrices, connaisseurs omniscients de l'esprit voilés des êtres ordinaires en leurs innombrables existences, impartiaux et justes, les bouddhas œuvrent avec compassion et amour aux fins d'aider tous les êtres sensibles à se libérer du cycle des souffrances et à trouver le véritable bonheur de l'Éveil, sans faire de distinction envers quiconque du fait de ses actes.

En sa nature fondamentale ou native, la « Claire lumière » de l'esprit n'est pas un état d'omniscience voilé par l'ignorance et les émotions perturbatrices tel un coffre au trésor enterré sous terre ! Nettoyer son esprit de ses impuretés, ce n'est pas balayer le sol en cherchant à en extraire un trésor enfoui. L'ignorance est balayée par les enseignements de la philosophie bouddhiste. La méconnaissance est une connaissance fausse de notre nature véritable instillée par la « fausse vue » de la saisie du soi. La « réception juste » (par l'écoute correcte) d'une «connaissance juste » (transmise par une lignée ininterrompue de maîtres spirituels depuis le Bouddha Sakyamuni), permet d'établir les « connexions justes » qui dissipent les vues fausses (extrêmes et erronées), de sorte à atteindre (par la méditation analytique) la « compréhension juste » de l'ainsité, laquelle réalise la saisie directe du sens au-delà du par-delà du conceptuel.

Il en va, similairement, de même avec la compassion dont le caractère universel peut être vu comme un état de réalisation. Nos sentiments à l'égard des autres sont conditionnés par la représentation que nous avons d'eux. Il est faux de croire que nous ne pouvons pas éprouver de compassion envers certaines personnes parce qu'elles nous sont indifférentes ou parce qu'elles nous inspirent de l'aversion et de la colère eut égard à leur comportement envers nous ou nos proches. Les autres nous laissent indifférents parce que nous en avons une représentation étroite et limitée ! Les autres nous inspirent des sentiments antagonistes parce que nous en avons une représentation déformée ! Les autres instillent en nous des émotions négatives qui nous les font penser comme « ennemis » parce que nous en avons une représentation fausse !

A mesure que nous balayons le voile de notre ignorance (avec les outils de « cognition valide » et les « moyens habiles »), nous réunissons les conditions nécessaires pour nous établir dans la compréhension juste de l'altérité. A mesure que nous prenons conscience que sur le plan de la souffrance, de ses causes, de ses effets et de leurs conséquences karmiques, nous partageons la même communauté d'être au monde avec tous les êtres sensibles et migrateurs enchâssés dans les souffrances du samsāra, notre regard sur l'autre change et nos sentiments avec. Et à mesure que notre représentation de l'autre cesse d'être conditionnée par les émotions perturbatrices issues de fausses vues, notre compassion et notre amour s'étendent à tous sans exception.

Le sentiment du moi nous instille l'intime conviction de la distinction de « notre » différence sur la base de la croyance, infatuée, en sa réalité. Nous contemplons l'agrégat de notre corps et le pensons mieux que celui des autres, plus beau, plus fort, plus souple, plus sportif, etc. Nous admirons notre intelligence et la jugeons supérieure à celle des autres, etc. Nous regardons notre vie et nous glorifions sur les réseaux sociaux de ce que nous pensons avoir fait de plus ou de mieux que les autres, etc. En vérité, nous ne sommes ni différents, par nature, corps, esprit ou expérience, nous nous croyons simplement différents !

Quelles que soient les caractéristiques, particularités ou distinctions corporelles, notre corps est le résultat d'une projection karmique et dans la perspective où nous avons vécu un nombre innombrables de vie, nous avons dû expérimenter toutes les apparences possibles... et pas seulement humaines ! En fait, nous nous pensons différents des autres parce que notre vue est trop étroite !

Quelle que soit la perspicacité de notre intelligence et la facilité avec laquelle nous comprenons les sujets les plus complexes, elle ne sont pas le fruit d'un don inné mais le résultat d'un entraînement passé de l'esprit qui a laissé des empreintes vertueuses dans le continuum de notre conscience. De fait, nous nous croyons supérieurs aux autres parce que nous sommes limités par nos agrégats à ne pas pouvoir voir en-deçà de notre existence samsarique actuelle !

Quelles que soient les choses que nous avons fait dans cette vie, elles ont été rendues possibles par l'accumulation antérieure de mérites et c'est à cela, non au hasard ou à la chance, que nous devons maintenant de profiter d'une vie aisée et heureuse plutôt que d'expérimenter une vie de misère et de souffrances. Nous nous glorifions de notre fortune telle une preuve de notre valeur, parce que nous ignorons être responsables de notre bonheur et de notre souffrance !

Les textes bouddhistes établissent une relation entre la vacuité et la compassion, la seconde étant considérée comme le cœur de la première. La vue de l'ainsité et la grande compassion ont en commun la sagesse qui permet d'atteindre à leur réalisation. L'on parvient à voir la nature véritable des phénomènes vide de réalité propre (à la saisie directe que la forme est le vide et le vide est la forme) par la méditation analytique qui fait émerger le sens insubstantiel et transcendant de son examen conceptuel. L'on fait naître et l'on développe la compassion authentique envers tous les êtres sensibles par les « moyens habiles » (la pratique du tonglen entre autres), qui égalise l'aperception de soi-même avec la représentation des autres en balayant l'infatuation de notre ego à la prise de conscience de la communauté de notre être de souffrance.

L'empathie s'accroît à l'écoute bienveillante de la connaissance des autres, dans les difficultés, les obstacles, les épreuves de la vie, et l'accompagnement amical à travers leurs souffrances, blessures ou traumatismes. La grande compassion s'amplifie à « l'égalisation de soi-même » avec les autres par la connaissance de notre condition d'être au monde. Construire une représentation de l'altérité en regard de l'aperception de notre propre identité, c'est alimenter une dualité irréductible sur la base antagoniste de nos différences, disparités, inégalités, psychophysiques, socioculturelles, économiques, etc. A contrario, « s'égaliser soi-même avec les autres », c'est abolir toute dualité aux autres à travers la compréhension de l'identité de notre condition samsarique.

Nous nous pensons différents car la vision que nous avons de nous-mêmes est circonscrite par la saisie du soi qui nous différencie des autres en nous isolant d'eux. Lorsque nous comprenons ce que cela signifie véritablement d'avoir vécu d'innombrables vies, nous saisissons que, tous, nous avons été (et le serons encore) l'acteur de tous les rôles d'une même histoire, infiniment répétée en d'infinies variations de lieux, d'époques, de continents, de culture, qui raconte l'emprise de l'esprit dans les filets du samsāra par l'illusion du moi.

Le tort, le préjudice, la douleur et la souffrance dont nous faisons l'expérience résultent des actes que nous avons fait subir aux autres. Celui qui, aujourd'hui, tient le rôle de la victime tenait hier (dans une vie passée) le rôle de l'agresseur ! Aujourd'hui offensé, demain offenseur... Blessure, injustice, rancune poussent aux crime les innocents d'un jour. Quel sens y a-t-il de conditionner notre compassion lorsque la souffrance n'épargne ni les adversaires ni les alliés ?

A l'instar de la méditation analytique de la vacuité qui débouche sur le relativisme de la forme au vide et du vide à la forme, méditer la compassion nous amène à saisir le relativisme de l'altérité. Que nous ayons tenu tous les rôles ne veut pas dire qu'il y ait un seul et unique acteur, mais que leur nombre est infini ! Et qu'ils soient tous interchangeables reflète leur mode d'existence en interdépendance.

Hors de la relativité qui les définit, la forme et le vide sont dépourvus d'existence intrinsèque, autonome et indépendante. La vue virtuelle du sentiment du moi est émulée en regard de la saisie des cinq agrégats, mais l'altérité se définit en miroir. « Je suis l'autre et l'autre est moi ». Je suis en vie - en tant qu'esprit de « Claire lumière », j'ai pu entrer dans « l'état intermédiaire » depuis le bardo - grâce aux autres et je peux y demeurer en vie (outre l'effet de mon karman) de par leurs bontés. Les autres nous inspirent des émotions antagonistes de sympathie ou d'aversion, des sentiments adverses de compassion ou d'inimitié parce que le sentiment du moi nous donne une vision voilée et frauduleuse de la communauté de notre condition de souffrances.

Le chérissement du « moi » nous entraîne à commettre des actes non vertueux causes de souffrances, en nous glissant dans un rôle en regard (ou en réponse) au rôle de l'autre sans avoir conscience que l'auteur de nos personnages n'est autre que l'ego et son ombre, notre karman ! En voyant l'autre en proie à la souffrance, nous devrions penser « je suis lui, il est moi » ! Cet autre moi-même souffre de ce que je m'inflige ! En priant notre esprit d'agir de telle sorte que les autres soient délivrés de leurs souffrances, nous développons la compassion envers nous-mêmes. C'est un cercle vertueux.

Du fait que nous percevions l'autre à travers le prisme déformant du sentiment du moi, l'attribution de nos rôles ne réserve pas, spontanément, la meilleure place à l'autre. A quoi reconnaissons-nous une personne qui agit de manière toxique ? A un signe distinctif qui traduit sa malveillance comme une caractéristique de sa nature ou parce qu'elle agite le bout pointu de sa lame dans notre direction ?

Face aux critiques, aux insultes, à l'humiliation, le bouddhisme nous incite à ne pas faire de ceux qui les émettent des ennemis mais à les voir comme des maîtres afin de maîtriser notre esprit en modifiant notre regard sur l'autre.

La rencontre avec un individu qui vous nuit vraiment, c'est la découverte d'un rare et précieux trésor. Tenez cet individu en haute estime et profitez pleinement de la chance qu'il vous offre d'éliminer vos défauts et de progresser sur la voie ACC-143

Être confronté à des accusations calomnieuses, c'est comme pour un animal d'être pourchassé par un prédateur et de sentir la peur l'étreindre. Lorsque notre renommée est menacée, l'anxiété nous entraîne au repli égocentrique et renforce la saisie innée du moi. Dans cette situation de préservation instinctive, nous pensons d'abord à nous-mêmes, au ressenti blessant des actes perpétrés à notre encontre, avant de songer à ce qui pousse l'autre à agir de la sorte...

Notre orgueil nous fait souffrir de devoir endosser le rôle de la victime et nous risquons de nous faire du mal à nous-mêmes en éprouvant de la colère et de la rancune envers celui qui nous insulte. Nous ne songeons toutefois pas que, du point de vue karmique, nous puissions aussi lui donner l'occasion funeste de se faire du mal, en accumulant un karman négatif, du fait que nous apparaissions à ses yeux dans le rôle de celui sur lequel il déverse son opprobre !

La manière dont les autres se comportent conditionnent la représentation que nous en avons. L'attitude qu'ils ont envers nous modèle l'expression du sentiment du moi, dont la forme est déterminante du rôle et du caractère que nous conférons aux autres. Toutefois, ce n'est pas tant la manière dont les autres agissent envers nous qui définit la considération que nous avons pour eux, mais la forme que le sentiment du moi adopte à leur contact ! Ce n'est pas parce qu'untel m'insulte ou m'humilie que je développerai de l'antipathie envers lui, mais parce que ses paroles ont pour effet de (violemment) me « ramener à moi » dans la souffrance du sentiment du moi meurtri. C'est comme le déclenchement d'un airbag plus brutal et plus douloureux que le choc de l'accident lui-même...

Si les actes d'autrui étaient le déclencheur de sentiments négatifs, je devrais être irrité et m'emporter quel que soit leur auteur. Or, nous ne régissons pas de la même manière à un même acte selon qu'il soit accompli par une personne que nous apprécions, que nous abhorrons ou qui nous est totalement étrangère ! Que nous réagissions avec autant d'appréhension, de contrariété et d'exaspération à la toxicité du comportement qu'untel nous instille se comprend, mais que le simple contact (la vue ou la seule présence) d'un parfait inconnu puisse, instinctivement, déclencher en nous du ressentiment est plus étonnant...

Dans un monde où s'entremêlent les activités professionnelles et personnelles d'une multitude d'individus insouciants des désagréments, des nuisances et des préjudices qu'ils peuvent s'occasionner du fait de leur préoccupation autocentrée par la cécité innée de l'autre qui circonscrit leur vue à leur ego, les rencontres susceptibles de produire des tensions, des incivilités et des conflits sont légion.

Dans des pays comme l'Inde ou le Népal, la circulation routière est un véritable capharnaüm. Un véhicule peut surgir à tout instant de n'importe quelle direction en vous donnant l'impression qu'il va vous percuter, ce qui peut engendrer un stress intense et induire de vives réactions instinctives comme la colère. « Dans la perspective de l'évolution, les émotions font partie d'un système ultrarapide de détection et de réponse aux enjeux de l'environnement[iv] ».

Sous l'angle du bouddhisme toutefois, c'est le signe de la prégnance forte de la saisie (innée) du soi. C'est elle qui conditionne nos réactions et nous entraîne à sursauter et à fustiger leur inconscience. Or, lorsque sous le coup de la colère, je m'irrite du risque que les autres font peser sur « ma » vie, mais j'en oublie... la leur et le danger qu'ils encourent pourtant au même titre que «moi » !

Les circonstances de la vie mondaine constituent autant de « déclencheurs de comportements violents »[v]. Rester calme quand son honneur est touché, quand on se sent pris au piège, sont des indicateurs que l'on doit surveiller avec vigilance et attention nos trois portes afin d'éviter de se laisser emporter par le perturbateur mental de la colère. Les dangers qui menacent nos proches, la peur de les perdre, sont aussi l'opportunité de penser avec compassion au sort des autres plutôt que de réagir sous le coup d'une colère impulsée par le désir-attachement...

Nous réagissons en proportion de la représentation que nous avons de l'autre et sommes donc plus enclins à nous préoccuper de ce qui arrive à une personne que nous apprécions qu'à une personne antipathique ou à un inconnu. Notre réaction est, directement, déterminée par l'impact produit sur le sentiment du moi, qui renforce le désir-attachement, l'aversion et les autres émotions perturbatrices.

C'est comme si, à proportion de notre proximité avec l'autre, nous nous éloignions du centre de gravitation de notre ego vers une orbite externe à la préoccupation du sort de l'autre ou comme si notre esprit, emplit de bienveillance au sentiment d'affection qu'il nous inspire, ne se contaminait pas de colère. A contrario, lorsque l'autre nous est inconnu, c'est comme si sa vue nous ramenait à nous-mêmes...

Face au ressentir des actes de malveillance d'untel, c'est comme si notre ego blessé nous faisait nous replier, instinctivement, sur le sentiment inné du moi. Face au vide de l'altérité, c'est comme si l'incapacité à supporter le sentiment que nous inspire la peur de l'inconnu, nous entraînait par réflexe à un surcroît d'égocentration au sentiment du moi.

La peur du vide et la peur de l'inconnu se mêlent. Parmi les déclencheurs de la colère, il y a aussi l'environnement - lorsque notre territoire ou notre espace vital est envahi - (comme un véhicule qui surgit d'un angle mort ou un cycliste qui nous frôle sur un trottoir...). Or, il n'y nulle raison légitime de prêter aux autres des intentions malveillantes simplement parce que nous ne les connaissons pas, alors même qu'ils ne se soucient probablement pas de nous, inconscients et trop préoccupés à se soucier d'eux et aussi aveugles à notre sort que nous au leur !

Sous l'emprise du « moi », l'esprit pense binaire, incapable d'autre chose que d'aimer ce qui le satisfait ou de détester ce qui lui nuit. Sous la domination de l'ego, l'esprit agit de manière manichéenne, en chérissant les personnes qui le vénèrent et en exécrant les autres. Sous l'envoûtement de la saisie du soi, l'esprit devient narcissique, se complet dans la contemplation de sa propre image et ne peut souffrir du vide que l'inconnu lui renvoie...

Du point de vue bouddhiste toutefois, la colère est présente en nous bien avant de se déclencher. Lorsqu'elle explose, il est trop tard pour l'éviter ! Le calme mental ordinaire - que la méditation en un point permet de développer sans avoir « pris refuge » - est trompeur quant à se croire libéré des émotions destructrices qui sont toujours promptes à éclater en présence des déclencheurs idoines...

Selon la philosophie bouddhiste tibétaine, c'est parce que la colère et les autres « perturbateurs » marquent de leurs empreintes notre continuum de conscience que nous demeurons inféodés à leurs déclenchements intempestifs, et cela tant que nous n'en aurons pas coupé leur racine, la saisie du soi. Quelle est la nature de cette empreinte, est-elle énergétique ou de l'ordre de la représentation ?

Si cette empreinte était une énergie, les émotions qui sont de la même forme devraient toujours être actives en nous, car sans cause comment pourrions-nous d'un seul coup passer du calme à la colère ? Puisque la « vision supérieure » permet d'annihiler le sentiment du moi par la réalisation de la vacuité du soi de la personne grâce à la « méditation analytique », il semblerait que cette empreinte soit plus de nature de la sagesse profonde que de l'énergie subtile. L'idée du soi est originée du sentiment (inné) du moi, non le contraire. Les perturbations mentales «secondaires» résultent des perturbations mentales « racines » (la rage provient de l'accroissement de la colère), mais cette catégorisation n'est ni dualiste ni causale. Parmi les six « principales » figurent ainsi le désir-attachement, la colère et l'orgueil, de la nature de l'émotion, à côté du doute et des «fausses vues » de nature conceptuelle. De plus, l'ignorance se comprend comme le sentiment du moi issu de la vue (virtuelle) de l'ensemble périssable...

La question n'est pas de savoir de quelle manière la colère s'incruste dans l'esprit telle une impureté dans un tissu - il faudrait pour cela déjà savoir de quelle nature est ce tissu -, mais pourquoi il se salit ? Ce ne sont ni les actes d'une personne, ni la personne elle-même, ni le fait que nous ne la connaissions pas qui peuvent déclencher des réactions émotionnelles indésirables et nuisibles. La véritable cause du problème est la saisie du soi ! Elle est la graine empoisonnée qui produit sans cesse de nouvelles plantes contaminées dont les poisons secondaires ne sont que l'extension de ses racines de souffrances. La compassion permet de neutraliser sa toxine, le sentiment (inné) du moi, et la sagesse qui réalise la vacuité du soi de la personne d'inhiber son élément actif, le chérissement du moi. 

Si vous approfondissez, vous verrez que l'agressé, l'agresseur et l'agression sont dépourvus d'existence propre (...) 

Dans ces phénomènes vides, qu'y a-t-il à perdre ou à gagner, à désirer ou à rejeter ? 

Comprenez que tout cela est comparable à l'immensité vide de l'espace ACC-174

En notre état d'être ordinaire, qui avons encore beaucoup à réaliser et à nettoyer, nous devons nous armer de la foi éclairée dans les « trois Joyaux ». Face à la souffrance du retour violent du sentiment du moi sur lui-même, l'on peut penser qu'il faut impérativement tout faire pour l'éviter. Or, comme sur la route, il est impossible de regarder dans toutes les directions à la fois pour se prémunir de réactions émotionnelles nuisibles. Puisque l'on ne peut éviter de se retrouver confronter... à soi-même, regardons-nous en face et faisons front ! « Cette attitude d'acceptation fait perdre à l'émotion une grande partie de son pouvoir sur nous : nous sommes alors moins réactifs et moins en lutte contre nous-mêmes[vi] ».

Si vous parvenez à accepter patiemment le mal qu'on vous inflige, vos actions négatives s'en trouveront purifiées, vous accumulerez mérites et sagesse ACC-174

Le bouddhisme nous enjoints de nous recouvrir de la patience telle une armure pour affronter les obstacles qui foncent sur nous telle une pluie de météorites, mais ce n'est pas aux fins de les éviter ou de ne pas avoir à souffrir, c'est pour être capable d'encaisser leurs impacts ! L'on ne supporte pas la souffrance ordinaire en la fuyant, ni en ajoutant de la souffrance à la souffrance, mais en la prenant sur soi (en acceptant le fruit de notre karman) et en respirant à l'intérieur de telle sorte à la transformer en voie de libération. « Quand vous rencontrez la formidable armée des émotions, Revêtez la solide et excellente armure de la patience Pour que, insensible aux armes des mots blessants et des coups vengeurs, Vous passiez à travers et atteigniez la terre du nirvāna » ACC-177.

Le réflexe de l'ego est de répondre aux attaques par la loi du Talion, « Œil pour œil, dent pour dent». Répondre au mal par le mal a-t-il jamais amené la paix ? N'est-ce pas plutôt la réparation de la fierté de l'ego qui est ainsi recherchée ? Le problème ne vient pas du fait que l'adversité soit négativement intrinsèque. L'on peut toujours essayer d'éviter certains mauvais coups de la vie, mais il est impossible de les éviter tous. Quant à y répondre, c'est là que le problème surgit.

A l'instar de notre système immunitaire qui peut s'emballer lors d'une infection virale, le sentiment du moi s'enfle à proportion des insultes, des injustices et des blessures qui l'affectent. La souffrance survient parce que le moi ne supporte pas d'être critiqué et devient une maladie chronique à force de rumination. En nous crispant sur ce qui nous fait du mal (parce que je n'accepte pas que l'on puisse « me faire ça à moi » !), nous empêchons les énergies de circuler librement. On s'électrocute lorsque l'électricité n'est pas déviée vers la terre..

Si l'on vous insulte, ne pas répondre par l'insulte,

si l'on se met en colère contre vous, ne pas répondre par la colère

si quelqu'un révèle vos fautes, ne pas révéler les siennes en retour

et si quelqu'un vous frappe, ne pas répondre en le frappant ACC-139

A ne plus pouvoir digérer ce que nous percevons comme des affronts, brimades, outrages, etc. nous finissons par « vomir notre colère » sur ceux que nous tenons responsables, les autres, la vie, l'univers, Dieu ! Cette façon d'évacuer ce que l'ego ne peut digérer par des convulsions émotionnelles est plus délétère que thérapeutique. Ne serait-il pas plus simple d'abandonner l'orgueil ?

Entre « prendre sur nous » les souffrances et les causes de souffrance des autres dans une visualisation et « prendre sur nous » leurs déchaînements émotionnels, la différence est une question de perception... Plutôt que de nous opposer, de résister, de vouloir rendre coup pour coup, lâchons prise sur le négatif ! Laissons la souffrance nous traverser de part en part et ressortir sans nous affecter. Pratiquons le tonglen dans l'action du quotidien mondain !

Nous sommes plus tentés de pratiquer le tonglen avec ceux qui souffrent et qui nous sont chers qu'avec ceux qui agissent de manière toxique, alors même que tous sont en proie à la souffrance. Or, puisque tous ont été nos mères dans d'innombrables vies passées, et conséquemment pleins de bontés avec nous, pourquoi, aujourd'hui, vouloir privilégier les uns et rejeter les autres ?

De plus, nous avons tendance à considérer méditation et post-méditation comme distinctes. Or, puisque la finalité de la Bhāvana bouddhiste est de développer notre esprit de sorte à nous libérer des émotions perturbatrices, nous devrions utiliser chaque occasion que nous rencontrons au quotidien comme un levier à notre entraînement. Entraînons-nous à prendre sur nous tout ce qui nous arrive de « négatif » ou que nous percevons comme tel (c.à.d. indésirable par l'ego) de sorte à transformer la souffrance en voie de libération.

Ne cherchons pas spécialement à changer de regard sur ce qui arrive, ni à remettre en question l'interprétation du pourquoi cela (nous) arrive. Prenons les choses telles qu'elles se présentent ! Pratiquons en lien direct avec la vie, dans nos interactions quotidiennes avec les autres. Le tonglen ne consiste pas à se demander pour quelle(s) raison(s) l'autre souffre, ni à le décharger de ses souffrances, mais à développer le souhait de le voir libéré de ses souffrances jusqu'à atteindre l'Éveil pour, réellement, pouvoir l'aider à se libérer !

Parce que nous voyons nos agrégats comme solides, nous considérons toute agression comme une atteinte à notre intégrité. Tant que nous éprouverons le sentiment d'exister de manière autonome, c.à.d. tant que notre esprit sera sous l'emprise de la saisie du soi, nous aurons à souffrir de « ce qui (m')arrive (à moi) ». Si nous voulons éviter la souffrance de la souffrance ne laissons pas l'ego nous entraîner dans des combats orgueilleux. A l'instar de Chudapanthaka, selon notre « capacité » ou motivation, balayons avec humilité l'infatuation du moi à l'aide de l'adversité et du pouvoir de la visualisation.

Dans la tradition du bouddhisme Guéloukpa, les soutras sont enseignés en préalable au développement de la « vision supérieure », de la bodhicitta et de la pratique des tantras. La « saisie directe » de l'ainsité abolit la « saisie du soi » et mène à l'Éveil avec la réalisation complémentaire de la compassion universelle. Toutefois, la raison que nous aiguisons relativement aux enseignements des trois capacités n'est pas la sagesse qui réalise la vacuité. Les « perturbateurs » étant d'ordre émotionnel, elle est insuffisante pour contrer leur énergie explosive dans l'action mondaine. Nous devons donc lui opposer une autre énergie...

L'enseignement de « petite capacité » permet de comprendre que pour créer des causes de bonheur nous devons renoncer aux actions non vertueuses qui nous enchaînent sans fin au samsāra en cultivant les antidotes aux poisons mentaux. Mais à ce stade, nous n'avons pas cultivé de réalisations spirituelles susceptibles de nous prémunir des déclenchements intempestifs des émotions destructrices.

Aussi précieusement puissions-nous éclairer notre foi par les enseignements, celle-ci est encore en maturation. Nous comprenons l'impermanence, saisissons les implications de la loi de causalité du karman et aspirons à « prendre refuge », mais nos armes sont de raison et de motivation. Nous savons devoir maîtriser notre esprit, abolir l'aversion, le désir-attachement et les autres poisons mentaux. Nous le comprenons et le mesurons, mais en comparaison de l'artillerie et des munitions dont disposent nos émotions, notre raison fait pâle figure !

Il nous faut donc développer une « intention en action », c.à.d. transcrire en pratique les réflexions vertueuses réalisées par un raisonnement éclairé, sous la forme de visualisations (relatives à notre capacité) qui puissent protéger des perturbateurs mentaux nos entraînements à l'éthique, à la concentration et à la sagesse, dans l'agir mondain de notre pratique bouddhiste laïque.

Les pratiques de purification du Bouddha de médecine (Menla en tibétain), du Bouddha de la compassion (Avalokitésvara ou Tchenrézi en tibétain) ou de Tara blanche, utilisent la visualisation et le chant de mantra. D'inspiration tantrique, ces pratiques agissent au niveau des énergies subtiles qui sont le cœur de notre être profond, ce qui fait du Vajrayana une voie plus rapide pour atteindre la bouddhéité - dès lors que l'on est animé par la compassion de la bodhicitta -.

Pour les pratiquants de la petite capacité (qui recherchent le bonheur en cette vie), pratiquons le «tonglen de l'action » selon le premier aspect de la voie, le renoncement, par une visualisation qui s'appuie sur l'impermanence de notre existence transitoire et la loi de causalité du karman.

Visualisons les épreuves (fruits de nos karman négatifs) sous forme d'une fumée noire qui entre par notre narine gauche et imaginons-là descendre jusqu'à nos pieds. D'un revers de la main chassons de notre corps, parole et esprit, toute (amorce de) colère, toute (ébauche de) souffrance, passagère et fugitive, que nous instille l'adversité (les insultes, la calomnie, l'humiliation, etc.) sous l'emprise infatuée du sentiment du moi. Accompagnons ce mudra et cette visualisation de notre aspiration au renoncement et à la libération. Suivons ce flux d'impuretés sortir de notre corps et s'enfoncer dans les profondeurs de la terre en emportant notre infatuation au lâcher-prise de la résistance du moi...

Ce qui a été accumulé sera épuisé, 

ce qui a été élevé sera abaissé, 

ce qui a été réuni sera séparé AEC-108

Une fois purifié, visualisons des rayons de lumière blanche qui sortent du chakra du cœur à l'adresse de ceux qui nous font subir ces adversités. Pensons avec compassion qu'elle purifie leur karman et souhaitons qu'ils soient libérés de leurs souffrances et de leurs causes, l'orgueil, la jalousie, le chérissement de soi en l'accompagnant du mantra de la compassion.

OM MANI PADME HUM...

Dans le système des chakras du Yoga, les entraves à la circulation des énergies se traduisent par des souffrances. Dans la philosophie bouddhiste tibétaine, les chakra couronne, gorge et cœur sont les trois portes des actions du corps, de la parole et de l'esprit, par lesquelles nous créons et accumulons du karman. Il est donc essentiel de les purifier... et d'éviter de produire de nouvelles impuretés !

Dans les pratiques de visualisation préparatoires aux tantras, la technique est de visualiser la présence d'un Bouddha au-dessus de notre tête duquel s'écoule un nectar de compassion qui entre en nous par le sommet de notre crâne et nettoie successivement nos trois portes (corps, parole et esprit). Il est préférable d'en avoir reçu la « transmission de pouvoir » pour pratiquer cette visualisation en méditation et dans l'agir du quotidien mondain. Toutefois, il est dit dans les textes que le Bouddha se trouve, véritablement, devant celui qui l'imagine présent. « Le fait de ne pas voir la sagesse sublime des déités du champ d'accumulation est dû uniquement à nos voiles karmiques. En fait, les êtres éveillés sont présents devant nous simplement par le pouvoir de notre visualisation » EVE-72.

Penser que les Bouddhas sont présents et nous imprègnent de leurs vertus est un moyen de nous prémunir contre les déclenchements émotionnels intempestifs. Il ne s'agit pas d'user de ce pouvoir pour détruire nos ennemis extérieurs, mais de vaincre notre véritable ennemi, l'ego. Comment pourrions-nous progresser sur la voie sans la collaboration proactive de quiconque agit de manière toxique en nous mettant au défi permanent de préserver notre éthique ? « Les gens mentent le plus naturellement du monde. Comment pourront-ils s'extraire du samsāra ? Il nous faut ressentir pour eux une grande compassion et souhaiter qu'ils cessent leurs actions négatives et s'engagent sur la voie de la libération » AEC-106.

Il faut voir l'éthique de la voie (relative à notre capacité) comme « le Bouddha vivant en nous ». Imaginez qu'un Bouddha réside en vous. Face aux critiques, à la calomnie, à l'humiliation, commettrait-il jamais la moindre action négative envers ceux qui cherchent à le pourfendre par de telles attaques ?

Pour les pratiquants de la moyenne capacité (qui recherchent la libération du le nirvāna), pratiquons le « tonglen de l'action » en développement le renoncement par une visualisation qui s'appuie sur la voie qui mène à la cessation de la souffrance par l'attention et la vigilance appliquées à éviter toute faute et toute transgression de notre éthique par nos trois portes.

Imaginons que le Mouni, Avalokitésvara ou Tara blanche, se trouve, réellement, au-dessus de notre tête et qu'il ou elle nous inonde littéralement de la lumière de sa compassion. Telle une pluie ou une cascade de lumière étincelante, voyons-là nous envelopper de la tête aux pieds, sentons ces rayons incan-descents purifier complètement nos trois portes. Devenons une colonne de lumière aussi brillante que la compassion du Bouddha qui brille en nous. A son contact, toutes impulsions, toutes intentions destructrices, se mettent à fondre comme si elles étaient plongées dans le soleil. Du chakra du cœur, émettons un rayon de lumière pure vers les autres en imaginant, emplis de compassion, leurs souffrances se dissoudre également et les voir trouver le bonheur...

Tel Chudapanthaka qui s'applique à « abandonner la saleté et les taches », la purification vise à effacer jusqu'aux empreintes des perturbateurs incrustées dans notre continuum mental et qui nous enchaînent au samsāra. Êtres ordinaires, lorsque nous prenons une douche, l'eau se charge des impuretés qui recouvrent nos corps. Visualisons maintenant le Bouddha baigné par une douche de rayons de lumière et voyons l'eau qui se charge... de ses perfections (paramita) ! Puis, voyons cette eau pleuvoir à son tour sur les six catégories d'êtres prisonniers du samsāra pour leur transférer ses bénédictions...

La méditation analytique approfondit la compréhension du sens d'un concept issu de la réflexion, le parfait et réalise son degré ultime. Le développement de « la vision supérieure » transmute, par un mouvement cyclique similaire, le concept de vacuité en saisie directe. Il en va de même avec la manière d'accroître notre compassion. Dans le premier niveau de pratique du « tonglen de l'action», le négatif est synonyme de saleté que l'on nettoie comme en prenant une douche.

La « circulation des énergies » s'y conçoit au sens littéral de remplacer le négatif par le positif, l'impur par le pur, la non vertu par la vertu, telle une permutation dans un mouvement cyclique vertueux qui nourrit le développement de notre compassion en prenant sur nous les souffrances des autres pour les en libérer.

Ici, le négatif (l'adversité, les obstacles) est vu comme existant intrinsèquement. Le chasser, c'est comme de balayer la saleté hors de notre maison. Or, au niveau ultime, l'énergie n'a pas nul caractère intrinsèque ! L'énergie est une grandeur physique qui, selon le « principe de conservation» perdure (dans un système isolé) par-delà toutes les formes qu'elle peut revêtir et toutes les transformations qu'elle peut subir. L'aspect négatif ou positif de « ce qui nous arrive » est une dénomination conventionnelle vide d'en-soi.

La nuit de son Éveil, le Bouddha Sakyamuni fut assailli par les démons des émotions destructrices qui cherchèrent à briser sa concentration en envoyant sur lui d'innombrables projectiles. « Les flèches sifflaient aux oreilles de Siddhartha ; un furieux ouragan de massues, de rochers, de venin et d'armes indescriptibles tournoyait autour de lui. Mais, avant même de toucher son corps, les projectiles se transformaient tous en fleurs célestes et en lotus » LLM-195.

Nous souffrons des actes d'autrui non pas parce qu'ils sont en eux-mêmes négatifs et que leur intention est, elle-même, intrinsèquement malveillante. Le problème ne vient pas de la poussière ni de l'énergie en elles-mêmes. Elles ne sont pas contaminantes d'une toxicité consubstantielle à leur nature. Je souffre de « ce qui (m')arrive (à « moi ») parce que j'appose une étiquette (ça ne me plait pas ; je n'aime pas, etc ) sur les objets sensoriels, désignant qui les contamine en me les faisant éprouver agréables ou désagréables.

Nous voyons la poussière comme quelque chose de sale, dont nous ne pouvons supporter la vue et qu'il nous faut absolument nettoyer, du fait d'une aversion instillée par un trop grand attachement à l'idée, plus qu'à l'état, de propreté. Notre mental résonne des échos de la critique, de l'insulte, de l'humiliation, longtemps après que les mots se soient tus, que l'air ait cessé de vibrer, que l'énergie avec laquelle ces projectiles ont été lancés sur nous se soit épuisée, et y compris que la personne qui nous les a jeté ait disparu au loin...

Si l'énergie était en elle-même polluée, sa nocivité se dissiperait en même temps qu'elle disparaîtrait ! Or, a contrario, l'énergie des émotions destructrices grandit jusqu'à exploser en colère, se transformer en rage ou se muer en rancune. A mesure que nous ressassons les injures, l'infamie ou l'injustice, nous sommes de moins en moins capables de les digérer. Cette indigestion s'amplifie de l'énergie dont le sentiment du moi l'alimente, par antipathie envers l'autre, au désir de venger notre orgueil blessé. Ce qu'il nous faut nettoyer (frotter jusqu'à en faire disparaître la tache), ce n'est pas l'acte mais la représentation contaminée que nous en faisons et qui marque notre esprit au fer rouge !

Pour les pratiquants de la grande capacité (qui cherchent à atteindre l'Éveil), pratiquons le «tonglen de l'action » selon les deux autres aspects afférant de la voie, la sagesse et la compassion, par une visualisation qui s'appuie sur le support de la « vision supérieure » et de la bodhicitta.

Acceptons les offenses, l'iniquité et l'ingratitude des autres, accueillons l'infortune des obstacles, recevons l'obstination de l'adversité, en les visualisant telle la nuée ardente d'un volcan en éruption. Voyons ce nuage de fumée noir entrer par notre narine gauche et descendre dans le chakra du cœur. Regardons-le sous la loupe de l'analyse. Comme tous phénomènes composés, les circonstances adverses sont l'expression de conjonctions de causes interdépendantes. En le comprenant, réalisons l'ainsité de l'agression

Quand une pensée de colère naît dans votre esprit avec une puissance telle que vous voulez vous battre contre quelqu'un et le détruire, pourrait-elle comme un feu brûler vos adversaires, comme un rocher les écraser ou comme un torrent les emporter ?

Comme toute pensée, la colère ressemble au vent dans le vide de l'espace, regardez leur essentielle vacuité ! ACC-136

Regardons pareillement leurs « agresseurs ». Voyons les actes malveillants et les circonstances défavorables comme la manifestation de conditions karmiques arrivées à maturation, mais dont la forme est vide de réalité propre. Voyons alors nos agrégats devenir transparents comme l'espace en réalisant conjointement la vacuité du soi de notre personne. Ayant réalisé que les apparences sont notre esprit, modulons notre perception de sorte à changer les circonstances négatives en conditions positives et vertueuses.

Visualisons ce nuage de négativités se transformer en une lumière incandescente qui embrase notre ego et révèle son ainsité. Balayons la saisie du soi qui nous instille l'orgueil et toutes les émotions destructrices en changeant les flèches des critiques, les massues des insultes, les flammes de l'humiliation, les rochers de l'injustice, en conditions favorables au bonheur de tous les êtres sensibles. Tel Bouddha, visualisons tous nos obstacles extérieurs, intérieurs (et subtils) se transformer en autant de présents auspicieux que nous adressons avec bienveillance, amour et compassion à tous les êtres sans exception en souhaitant qu'ils soient libérés de leur souffrance et trouvent le bonheur...

  • Voyons les pointes aiguisées de l'adversité, le tranchant acéré de la vilenie, les armes machiavéliques recouvertes de ciguë lancées sur nous par de précieux « facilitateurs » qui viennent affermir notre pratique, voyons tout cela entrer et se fondre dans le sentiment du moi pour se neutraliser mutuellement. Voyons les opposés et les contraires se dissoudre. Projectiles et bouclier, ennemis et colère, toutes les apparences révèlent leur vacuité et se dispersent aux quatre vents...

  • Réalisons l'insignifiance de notre colère à la vacuité de son objet. Saisissons la futilité de notre orgueil à l'ainsité du soi de notre personne. Réjouissons-nous de la disparition de toute velléité de riposte violentes. Applaudissons l'annihilation de tout sentiment d'infatuation du moi à la dissolution de tout sentiment d'humiliation et d'injustice, à la purification des blessures karmiques que nous nous sommes infligées depuis des temps sans commencement. Voyons l'agresseur et l'agressé se dissoudre, intangibles, dans l'espace incomposé... Sentons notre esprit libéré de toute contamination qui s'expand dans la pureté du vaste et du profond...

Pensez à ceux qui souffrent d'être l'esclave de leur propre esprit, et que leur désir et leur colère rendent fous. Rappelez-vous ceux qui, sans répit, se nuisent mutuellement. Pensez profondément à ce que ces êtres endurent en errant indéfiniment dans le cercle vicieux des souffrances du samsāra ACC-124

Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།



Références :

ACC : Au cœur de la compassion, commentaire des 37 pratiques des bodhisattvas Dilgo Khyensté https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/154-au-coeur-de-la-compassion-ebook-format-pdf-9782916915814.html?search_query=Au+coeur+de+la+compassion&results=34 

AEC : Audace et compassion Dilgo Khyentsé https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/160-audace-et-compassion-ebook-format-pdf-9782916915876.html?search_query=audace+et+compassion&results=28 

DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html 

ESBT : Alexandra David Neel - Les enseignements secrets des bouddhistes tibétains https://archive.org/details/AlexandraDavidNeelLesEnseignementsSecrets/page/n1 

IPP : Interdépendance, psychologique et philosophie dans la voie bouddhiste, Lama Samten https://www.centreparamita.org/gallery/view_album.php?set_albumName=album04 

LLM : La liane magique, Les hauts faits d'un boddhisattva, Kshemendra, édition Padmakara https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/188-liane-magique-la-ebook-format-pdf-9782370410030.html?search_query=La+liane+magique&results=4 

MHM : Un texte racine du Mahamoudra de la précieuse tradition Géloug/Kagyu https://www.institutvajrayogini.fr/pdf/Mahamoudra_texte_racine_A4.pdf  


[i] https://www.zhaxizhuoma.org/the-story-of-chudapanthaka/ 

[ii] https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/communication-campagne-anti-pfizer-analyse-scientifique-document-envoye-influenceurs-87637/ 

[iii] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/05/25/covid-19-six-pays-d-amerique-latine-appellent-a-une-distribution-equitable-des-vaccins_6081353_3244.html 

[iv] https://www.lavie.fr/ma-vie/sens-et-sante/apprendre-a-accepter-ses-emotions-pour-mieux-les-maitriser-73871.php 

[v] https://www.lavie.fr/actualite/sciences/que-se-passe-t-il-dans-notre-cerveau-lorsque-nous-explosons-de-colere-73897.php?utm_source=part&utm_medium=huff&utm_campaign=sensetsante 

[vi] https://www.lavie.fr/ma-vie/sens-et-sante/apprendre-a-accepter-ses-emotions-pour-mieux-les-maitriser-73871.php