I.85 – Se réaliser par l’agir : le yoga de l’accumulation

05/09/2021

La vie laïque est une grande opportunité d'entraînement pour le pratiquant laïc. La compassion s'expand dans l'adversité. A condition de protéger correctement son mental des émotions perturbatrices, l'agir mondain devient l'amplificateur de nos réalisations.

Les techniques de purification des négativités et d'accumulation de vertus les plus puissantes (et les plus secrètes, celles du Vajrāyana) sont des pratiques conçues pour être mises en œuvres dans l'intériorité d'un esprit pacifié par l'entraînement au « calme mental » et à la « vision supérieure», qui a pris refuge dans les Trois Joyaux et qui est mû par l'esprit d'Éveil. Toute pratique bouddhiste (comme les conceptions de sa philosophie) présente deux aspects, conventionnel et ultime. Il est possible de pratiquer la générosité matérielle en apportant notre aide aux personnes dans le besoin et la générosité de protéger des dangers les êtres sensibles. Toutefois, la véritable paramita (vertu transcendante) de la générosité est le don du Dharma. « La générosité du Dharma [l'antidote aux perturbations mentales] est la plus extraordinaire de toutes les formes de générosité, permet d'accomplir le bonheur du bien-être définitif de la libération et de l'éveil » EVE-320.

Enseigner la connaissance permettant, à ceux qui nous en font la demande, de faire naître en leur esprit la sagesse de renoncer aux causes de souffrances et la sagesse de produire les causes du bonheur est précieuse. Elle va de paire avec la pratique de la paramita de l'éthique de l'agir - s'abstraire de commettre des actes négatifs ; cultiver la vertu ; œuvrer au bien des êtres -, qui elle-même se double de la paramita de la patience pour se protéger des perturbateurs.

La générosité a pour essence le non-attachement. La vertu transcendante de la générosité est libre des limites conceptuelles de la croyance à la réalité de celui qui donne, de celui qui reçoit et de l'acte de donner. C'est quand on est libre de ces trois concepts [quand on a réalisé leur vacuité] que les vertus transcendantes deviennent des causes d'Éveil ACC-171

La libération du samsāra est conditionnée par l'épuration de l'esprit de ses poisons et par l'accumulation de vertus, leurs antidotes, lesquelles doivent être protégées. Il est vain d'accumuler des mérites en étant emplis de colère, car elle détruit toute réalisation spirituelle. « Sans la pratique de la patience, il n'y a aucun moyen d'accomplir les splendides actions des fils de Vainqueurs » EVE-325.

Atteindre une telle sérénité n'est pas aisée tant notre continuum mental peut être imprégné par l'aversion, autant que par le sentiment du moi, depuis des temps sans commencement. Pour cultiver l'antidote de la patience, le bouddhisme nous enjoints à un usage éclairé de la raison à l'aulne des enseignements du Dharma. Pour rester calme face aux obstacles, impassible dans l'adversité, indifférent face aux personnes qui nous causent du tort, nous devons réfléchir aux avantages et aux inconvénients de la colère avec la sagesse que nous donne la perspective du karman pour maîtriser notre esprit. « Avec grand enthousiasme, ne laissons jamais poindre la moindre pensée de colère, quand bien même tous les êtres sensibles des trois mondes s'élèveraient en tant qu'ennemis » EVE-325.

Quand nous sommes en proie à de très fortes émotions et contrariétés, que nous nous disputons avec tout le monde, et qu'il nous est alors impossible de pratiquer, nous devrions nous raisonner : 

Je sais que tout n'est qu'illusion, je ne vais donc pas me laisser aller à mes sautes d'humeurs. Sans peur, je vais combattre chez les autres la pauvreté, la faiblesse, la maladie et la mort AEC-108

La colère provient de l'ignorance à l'infatuation du sentiment du moi, sous laquelle nous refusons de subir les agissements de ceux que nous considérons comme responsables de notre souffrance. Selon le bouddhisme, la souffrance n'est pas une question de fatalité ou de jugement divin, c'est le résultat d'une intention et s'en libérer relève de notre capacité à pardonner. « Le pardon se fait en trois temps : la reconnaissance du mal qui vous a été fait ; la décision de ne plus nourrir de ressentiment envers la personne qui vous a offensé ; et ressentir de la compassion pour elle[i] ».

Si nous ne voulons plus (nous faire) souffrir à force de ressentiment, nous devons accepter la souffrance des torts qui nous sont faits. Dans l'optique du karman, cela signifie que nous devons reconnaître les souffrances que nous éprouvons aujourd'hui du fait de nos actions passées. Or, il ne nous suffit pas de déployer une grande lucidité à la compréhension de la loi de causalité, c'est d'une grande force mentale dont nous avons besoin pour accepter que cette personne qui nous a blessé par ses paroles infamantes, qui nous a meurtri par ses actes perfides, et qui se complet à faire du mal aux autres, est en réalité... nous-mêmes !

Une autre version de nous-mêmes, à une autre époque, dans une autre vie, mais puisque « tout acte engendre un résultat de même nature », si nous souffrons d'être insulté et calomnié, c'est que nous avons nous-mêmes insulté et calomnié ! Je n'accepte pas qu'une personne toxique puisse «me » blesser par ses paroles et ses actes, et j'éprouve envers elle une antipathie et une aversion d'autant plus grandes qu'un tel comportement est contraire à mes principes et à ma propre personnalité, comme si « ma » nature était aux antipodes de la sienne, comme si, jamais, « je » ne pourrais avoir ou avoir eu les mêmes intentions malveillantes. Or, dans un contexte karmique où nous avons vécu des vies innombrables sans commencement, il est impossible que « jamais » nous n'ayons tenu ce rôle !

Pardonner implique donc d'éprouver de la compassion envers soi-même, premier pas de la compassion pour les autres. Il est plus facile de prendre la décision de ne plus détester l'autre pour ce qu'il nous a fait lorsque nous reconnaissons que la personne n'est pas ses actes, et de s'égaliser soi-même avec les autres par empathie à leurs propres souffrances.

Nous ne pouvons pas contrôler directement notre colère, mais nous pouvons choisir de pardonner. Dès lors que nous cessons de voir les autres comme la cause des souffrance qui nous affectent, et que nous comprenons qu'ils sont eux-mêmes en proie à leurs émotions destructrices, nous cessons de leur en vouloir et d'être animés de colère envers eux. Toutefois, s'il nous est possible d'ainsi « maîtriser » notre colère, c'est parce que pardonner nous libère de la souffrance de la souffrance et conséquemment ne nous soumets plus à ses déclencheurs.

La technique consistant à visualiser que l'on chasse nos négativités d'un revers de la main pour les enfouir sous terre et nous éviter de céder à la colère pourrait apparaître tel un subterfuge visant à nous éviter de devoir pardonner. Or, elle ne constitue ni un déni de notre responsabilité karmique dans la cause de nos souffrances ni un refus de ne pas nourrir de ressentiment envers l'autre. Qui plus est, elle implique aussi d'envoyer notre compassion aux autres...

Recourir à la visualisation n'a pas pour prétention d'être la solution au problème, mais de nous prémunir de nos sautes d'humeur émotionnel. Elle ne signifie pas davantage que nous n'aurions pas compris en quoi et comment la raison pourrait nous octroyer la maîtrise de nos perturbateurs mentaux. Le remède n'apparaît pas à qui réfléchit et médite la question à son terme rationnel, il surgit de la transcendance de la pensée conceptuelle à la réalisation de la vacuité de l'agresseur, de l'agression et de l'agressé, le véritable antidote ! La patience ne fait que neutraliser la colère, elle n'en annihile pas l'émotion. En ce sens, la visualisation constitue une autre forme de neutralisation des poisons qui, à l'instar du la patience, réduit le risque de destruction de l'accumulation de vertus.

Il ne suffit pas d'être en bonne santé pour le rester. Nous devons préserver cet état par une éthique de vie saine, équilibrée et prudente, particulièrement lors d'une pandémie... Face au COVID-19, les « gestes barrières » et la vaccination sont un bouclier contre le risque d'infection. L'un ne va pas sans l'autre, il se renforcement mutuellement en diminuant les risques de contamination.

Le virus ne circule pas parce que ses variants sont de plus en plus contagieux, mais parce que nous surveillons en moins en moins notre éthique, préoccupés par notre bonheur personnel au détriment de celui des autres. Dans une société où le culte du corps et de l'apparence sont obsessionnels, quel sens y a-t-il de risquer toutes les réalisations de nos ascèses sportives et alimentaires, par simple négligence d'une éthique sanitaire ?

Pratiquants bouddhistes laïcs, aussi assidus que vous soyez dans vos pratiques quotidiennes de méditation, de visualisation, de récitation de mantras, d'épuration de vos négativités, d'accumulation de vertus, si vous ne protéger pas votre esprit de vos émotions perturbatrices dans l'agir mondain, vos réalisations spirituelles risquent d'être soufflées telle une bougie par les orages de la colère !

Dresser une barrière mentale face aux perturbateurs consiste à développer la sagesse de l'écoute, la sagesse de l'étude et la sagesse de la méditation des enseignements du Dharma, afin de faire naître la « confiance éclairée » qui conduit à la prise de refuge dans les Trois Joyaux, au renoncement au samsāra dont l'application pratique (dans l'esprit de la loi de causalité du karman) consiste à ne pas commettre d'actes nuisibles (non vertueux au sens bouddhiste) envers les êtres sensibles par nos trois portes, et de cultiver les actes vertueux.

A l'instar de la vaccination qui renforce la protection des « gestes barrières » de l'intérieur de notre organisme, les antidotes aux émotions destructrices - adjoints au pouvoir de la visualisation, inspiré de la pratique du tonglen, et la récitation de mantras - consolident la barrière mentale contre ces poisons au sein même de notre continuum de conscience. Comme en santé toutefois, le risque zéro n'existe pas, du moins tant que nous n'avons pas réalisé la vacuité, seul véritable remède au sentiment (inné) du moi et à toutes les émotions destructrices.

Le Lamrim (« Les étapes de la voie vers l'Éveil ») contient les explications de la philosophie bouddhiste tibétaine quant à l'origine de nos souffrances ainsi que la manière de nous en libérer. L'ouvrage expose l'intégralité des enseignements du Bouddha sur les soutras et introduit aux pratiques des tantras du Vajrāyana. Il explique les antidotes aux perturbateurs, la méthode pour épurer leurs négativités karmiques, celle pour développer des accumulations, et comment développer le « calme mental » préalable au développement de la « vision supérieure ».

« La pratique en sept branches » condense ainsi (pour les plus importants), les méthodes d'épuration : 1. de l'orgueil ; 2. de l'avarice ; 3. des karman négatifs fruits de l'ignorance, de l'aversion et du désir-attachement ; 4. la jalousie. Elle commence par l'antidote à l'orgueil (les hommages), car l'infatuation du sentiment du moi nourrit toutes les émotions secondaires. A partir de la pensée « comment peut-on me faire ça à moi ? » naît la colère, la rage, la rancune, le désir de vengeance, etc. Au sens bouddhiste, les « hommages » revêtent la forme de prosternations (en trois, cinq ou sept points) dont le sens est de purifier le corps, la parole et l'esprit jusqu'à les rendre aussi purs que ceux d'un Bouddha (Trikāya).

L'hommage est la branche la plus importante, mais celle qui a le sens le plus vaste est la réjouissance (pour supprimer la jalousie). A l'instar d'un monde frappé par la pandémie de la COVID-19 où chaque contact social est susceptible de constituer une source de contamination virale, pour un pratiquant bouddhiste laïc la post-méditation (le quotidien mondain) peut paraître un champ de mines ! Cependant, si l'agir fait courir le risque de déclencher l'explosion de perturbateurs qui viennent détruire les accumulations de nos pratiques méditatives, il ne faut pas en avoir peur mais renforcer notre vigilance à la surveillance de notre éthique. Pour les bodhisattvas, le contexte le plus fertile pour développer la pratique est là (et au contact de qui) l'on rencontre la plus grande adversité.

Le pouvoir de la visualisation peut être d'une aide précieuse pour édifier une barrière de protection autour de notre esprit à condition de ne pas se visualiser, en récitant un mantra, chassant l'aversion, l'orgueil, et renonçant au samsāra, d'un geste de revers de la main emplis d'aigreur, de mépris ou d'amertume ! Non seulement la méthode serait inefficace, mais contreproductive...

Aucune vie ne peut être exempte de toute souffrance pour qui n'a pas atteint la libération du nirvāna ou l'état de Bouddha. Nous sommes en vie suite à une projection karmique, ce dont nous faisons l'expérience est la réalisation de ce karman et le terme de notre existence actuelle résultera de son épuisement. Mais, pour qui suit les étapes de la voie vers l'Éveil mû par la bodhicitta, l'existence est l'opportunité d'épurer ce karman et de cultiver les paramitas. Pratiquant bouddhiste laïc, réjouissons-nous d'avoir obtenu la « précieuse vie humaine », récolte de nos actes passés vertueux.

Dans « la pratique en sept branches », la réjouissance est l'antidote à la jalousie qui consiste à penser avec contentement aux réalisations des êtres qui ont atteint la bouddhéité et à ceux qui sont en chemin. C'est se réjouir de posséder la nature de Bouddha, se réjouir de notre capacité à faire germer ses graines, se réjouir de l'opportunité d'atteindre l'illumination que nous permets cette vie actuelle par la réception, la réflexion et la méditation des enseignements.

  • Dans l'agir mondain, la réjouissance consiste à effectuer chaque activité avec la joie inspirée par la confiance éclairée dans le Dharma. C'est se réjouir que la vie soit l'occasion de vérifier, par l'épreuve des faits, la clairvoyance des enseignements du Bouddha : 
  • face aux obstacles, de se réjouir de l'impermanence des phénomènes ; 
  • face à l'adversité, d'éprouver le sens de la loi de causalité du karman ; 
  • face à la souffrance, de se réjouir de la bienveillance des maîtres et guides spirituels qui nous transmettent la sagesse des antidotes aux émotions perturbatrices ; 
  • face aux prémices de leur déclenchement, de se réjouir d'éloigner l'aversion, d'inhiber la colère, et de préserver notre esprit de leurs effets délétères.

La sagesse de la philosophie bouddhiste tibétaine va bien plus loin que de nous permettre d'ériger une barrière de protection entre notre esprit et les déclencheurs d'humeurs destructrices par le pouvoir de la visualisation et des mantras (sur la base de la foi confiante, de la prise de refuge et de la bodhicitta en intention). Elle rectifie la représentation biaisée que nous avons de la vie mondaine, le caractère rébarbatif du quotidien, la nature fastidieuse des activités sociales, le sentiment de perte d'un temps précieux[ii], l'absence de sens, doublé de la nocivité d'un agir qui fait obstacle à la pacification de notre esprit et à l'accumulation de réalisations.

Augmentée du pouvoir de la réjouissance, l'ouverture au Dharma renverse notre vision de l'existence à la prise de conscience que même si la vie nous paraît être un « champ de mines », c'est un terrain de pratique incomparable. L'esprit mûrit à la sagesse et à la compassion de la confrontation à l'adversité. Nul autre lieu que la « méditation au désert » n'est aussi propice à la purification et à l'accumulation, mais nul autre endroit que la « croisée des chemins » n'est aussi favorable au développement des vertus transcendantes.

Il est dit dans le Lamrim que l'on reconnaît avoir développé en notre continuum de conscience la réalisation que (dans le contexte karmique d'innombrables vies) tous les êtres sensibles ont déjà été nos mères « lorsqu'en voyant un être, aussi minuscule soit-il, on se souvient clairement que notre bien-être et notre souffrance dépendaient entièrement de lui lorsqu'on était son enfant » EVE-265. A l'instar, l'on reconnaît la réalisation de nos entraînements lorsque, confrontés à des conditions défavorables, notre motivation et notre confiance ne sont en rien affectées par l'adversité et que notre réjouissance à l'agir en est au contraire stimulée.

L'enseignement du Bouddha se condense dans les trois entraînements, l'éthique, la concentration et la sagesse, dans le but de maîtriser notre esprit. Le pouvoir de la visualisation, auquel nous pouvons avoir recours dans le quotidien mondain, pour soutenir notre foi éclairée dans le Dharma et protéger le continuum de notre conscience des sautes d'humeur intempestives des perturbateurs, est en lui-même constitutif des entraînements de l'esprit en ce qu'il participe à la culture de l'éthique, au développement de la concentration et (dans la mesure du rationnel) à la réalisation de la sagesse transcendante !

Dans les retraites de yoga, il est courant de passer une journée dans le silence afin de se retrouver avec soi-même au cœur de son intériorité. La visualisation n'est pas un « bouclier » quel l'on doit lever au moment où l'on sent poindre la colère, l'aversion ou toute émotion destructrice, mais une «armure » a revêtir en permanence au quotidien, telle que celle de (la quatrième paramita) l'effort joyeux « appliqué en générant un esprit enthousiaste avant d'entreprendre l'action, avec la pensée suivante : "Je demeurerai d'éon en éon pour éliminer la souffrance, quand bien même ce ne serait que pour un seul être sensible" » EVE-328.

  • Pratiquant bouddhiste laïc, dès le réveil jusqu'au coucher, revêtons-nous de « l'armure de la visualisation ». Appelons-en, avec réjouissance, à son pouvoir afin de protéger notre esprit (en se visualisant chasser toute négativité de notre corps), pour changer notre regard sur le quotidien (en se visualisant baigné, telle une cascade, des rayons de la compassion des Bouddhas), pour préserver et cultiver, nos entraînements à l'éthique, la concentration et la sagesse (en se visualisant envoyer des rayons de notre compassion à tous les êtres que nous croisons). Réjouissons-nous de faire de l'agir mondain (sous le couvert des bénédictions des Bouddhas) le terrain fertile de l'agir du Dharma (en transformant les circonstances défavorables en voie de libération).

Lorsque notre regard se pose avec empathie sur le sort des autres et que mû par bienveillance et compassion nous cherchons comment les aider, il se peut que face à l'abîme de leurs souffrances nous éprouvions un sentiment d'impuissance. La meilleure manière d'aider les êtres en proie aux afflictions, c'est de ne pas soi-même s'affliger, mais de rayonner de la réjouissance du Dharma !

Certaines personnes ont un abord « toxique » non pas du fait de la malignité des intentions qui animent leurs actes, mais parce qu'elles irradient littéralement d'une énergie négative. Elles sont tellement contaminées par les poisons de leurs perturbateurs qu'elles émettent des radiations qui affectent tout leur entourage.

Du point de vue de la philosophie bouddhiste tibétaine, un tel rayonnement n'est pas considéré comme un acte. Il ne fait pas partie des quatre « voies d'action » du karman (la base, l'intention, l'acte, le résultat) car il ne produit pas de fruit ou rétribution. Toutefois, son influence comportementale n'est pas à négliger, ce qui vaut aussi pour un rayonnement d'énergie positive. Pour maintenir un équilibre intérieur sain, il est essentiel que l'énergie circule correctement dans notre corps, entre nos chakras, qui sont à la fois les « rouages » de notre être et les «portes » par lesquelles nous accumulons négativités et vertus.

La voie bouddhique est la recherche de la libération de la souffrance, mais il faut être prêt à la suivre. Le bouddhisme n'est pas un dogme, l'on ne réalise pas le nirvāna par adhésion religieuse. C'est un développement de l'esprit. Le Dharma ne se reçoit pas autant qu'il ne se demande. La guérison dépend de la croyance du patient quant à sa capacité de guérir avant la quête d'un remède. Cependant, si l'on ne peut pas communiquer, l'on peut toujours inspirer...

Notre représentation est limitée par les conditions de nos capacités de perception à l'échelle du réel où nous nous situons et qui les définissent. Ainsi, lorsque nous regardons l'agrégat de notre forme, nous voyons une frontière entre notre corps, ce qui l'entoure et le corps des autres, que le sentiment (inné) du moi nous fait saisir comme existant d'une manière autonome et indépendante.

Or, l'univers est énergie, pur mouvement. Au niveau ultime, il n'y a pas d'objets existant intrinsèquement qui se meuvent indépendamment, c'est notre ignorance de la nature véritable des phénomènes qui nous fait inférer cette vue erronée. La plus grande partie du spectre des ondes électromagnétiques nous est invisible. Nous baignons en permanence dans des flux d'énergies imperceptibles comme les rayonnements de neutrinos solaires...

A l'instar du Bouddha qui se trouve véritablement devant qui l'imagine présent devant lui, l'énergie est partout autour de nous. Ses courants nous traversent en permanence sans que par ailleurs cela soit dû à un effort d'imagination de notre part ! L'effort que nous devons faire est de nous le rappeler constamment de sorte de pallier à l'insuffisance de nos consciences sensorielles par notre conscience mentale. L'imagination nous permets de visualiser que notre corps est traversé, de la tête aux pieds, par un flux d'énergie permanent. La visualisation permet ainsi de rendre tangible à notre perception le fait que tout dans l'univers est connecté, que rien n'existe de manière indépendante et autonome, c.à.d. de percevoir l'interdépendance des phénomènes composés.

La visualisation revêt, pleinement, tout son sens lorsque nous l'appliquons à chasser les énergies négatives générées par nos perturbateurs, à prévenir leurs humeurs en diminuant notre susceptibilité à ses déclencheurs, à lâcher-prise sur la saisie du soi dont l'envoûtement nous entraîne à commettre des actes nuisibles causes de souffrance. Toutefois, la visualisation de ce flux de négativités sortant de notre corps et emportant avec lui le sentiment infatué du moi doit être fluide et non contrainte pour ne pas, elle-même, être vectrice d'émotions perturbatrices...

Il est essentiel que nous pratiquions cette visualisation dans la réjouissance de la protection de nos accumulations, de la considérer tel un allié, un « protecteur », de notre entraînement à l'éthique dans l'agir du quotidien mondain, sur la base de la « prise de refuge » dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha, c.à.d. dans l'intention d'atteindre l'état libre d'attachement et d'aversion qu'est la bouddhéité. Plutôt que d'opposer (ce que nous croyons être) l'essentiel au superflu, le non-agir à l'agir, dans un bras de fer engagé (et enragé), faisons du quotidien de post-méditation le terrain fertile aux trois entraînements de l'esprit. Pratiquons cette visualisation dans un état d'esprit serein, exempt d'hostilité et d'attente, de peur et d'espoir. Voyons-le, faisons-en, le contexte propice à l'épuration et à l'accumulation. Devenons le mouvement, soyons le flux !

L'intention détermine l'action. La souffrance est la conséquence du choix d'un agir égoïste et non vertueux, le bonheur celui de son renoncement. La loi de causalité du karman (dans ses quatre voies) est, essentiellement, d'intention. Pourtant, où l'intention en nous ? Pas plus que le soi de la personne, l'on ne peut la dans les agrégats pris individuellement ou dans leurs activités globales. Intangible telle la pensée, impalpable tel l'espace, l'intention n'a pas de corps. Où est son début en regard du cycle sans fin des renaissances et des morts ?

Par la visualisation, nous pouvons émuler la présence des Bouddhas, figurer l'intrication de nos agrégats dans la trame énergétique du réel. Par le pouvoir de l'intention, nous pouvons transformer notre existence et celle des autres simplement en changeant d'état d'esprit. Par les pouvoirs de la conscience mentale, nous pouvons modifier les conditions de notre propre manifestation...

La visualisation est utilisée tant par les sportifs pour renforcer leur entraînement physique que par les artistes pour parfaire leur gestuelle. En tant que technique d'appoint thérapeutique, « l'imagerie mentale » permet de mobilier les ressources d'autoguérison[iii] du corps et peut même utilisée comme « moteur imaginaire[iv] ».

La science avancera une explication matérialiste, posant que l'esprit est le produit de l'activité du cerveau. Moniste, la philosophie bouddhiste tibétaine distingue le corps de l'esprit dans sa conception « corpusculaire » de la réincarnation

En doutons-nous ? Y voyons-nous là des incohérences ? Peut-être est-ce parce que nos voiles nous empêchent de la comprendre ou parce que toute description d'une vérité ultime, indicible et inconnaissable, est vide d'essence ? 

Tout ce qui est prêché, tout ce qui peut être exprimé et compris se rapporte au domaine du relatif, à notre plan d'existence. Il n'y a là, aucune Vérité absolue, seulement, des conceptions de notre esprit, fruits du travail de notre imagination CT-82

Ne prétendons pas détenir la vérité sous couvert de la philosophie bouddhiste, élargissons sans cesse notre perspective jusqu'à atteindre à la réalisation.

Selon le bouddhisme (sous l'angle « corpusculaire »), la manière de reprendre naissance consiste en l'union des « deux gouttes du père et de la mère » (le matériel génétique des parents) et de l'esprit de « Claire lumière ». Le corps est le déploiement d'un réseau de canaux d'énergie, de vents subtils et d'autres gouttes, qui en sa forme d'achèvement corporelle est animé par un connaisseur qui constitue un « instrument de cognition » (auquel participe les cinq agrégats) sous lequel la personne connaît le monde (et elle-même), dont le noyau très subtil est la conscience de « Claire lumière » qui réside dans le chakra du cœur.

Sous une approche « ondulatoire », le corps apparaît comme « la manifestation phénoménale » d'un ensemble de causes et de conditions réunissant la « Claire lumière » de l'esprit, les empreintes déposées sur le « continuum de conscience » par les émotions perturbatrices exprimées lors des existences précédentes, l'accumulation de karman, moteur de « projection » dans une nouvelle existence.

Dans ce modèle, il n'y a de distinction entre l'esprit et le corps que du point de vue conventionnel comme la manifestation d'un « effet d'échelle relativiste ». Le corps n'est pas un vêtement temporaire porté par l'esprit ou une enveloppe faite de niveaux d'enveloppements imbriqués (à l'instar des koshas dans les traditions philosophiques du Vedanta et du yoga). L'esprit et le corps forme un continuum comme le niveau macroscopique du réel où nous évoluons est la résonnance de l'activité énergétique de processus qui ont cours au niveau microscopique.

Cela qui apparaît sous l'apparence de la neige à l'esprit ignorant se révèle à celui dont la sagesse a réalisé la vacuité comme « l'expression phénoménale » d'une conjonction de causes conditionnées et conditionnantes. Sous cette perspective, l'esprit et le corps sont les deux extrémités d'une « onde » qui s'étend de l'infra subtil (la « Claire Lumière ») au supra-sensible (le corps).

Ce qui se produit à la surface (l'apparence que nous appelons le « corps ») est intimement lié aux processus qui se déroulent dans les profondeurs de l'esprit. Toute modification à l'extrémité la plus subtile de ce « spectre » se traduit par un changement à son extrémité la plus grossière. Plutôt qu'une action de l'esprit sur le corps, la visualisation est cause et effet à la fois, qui ne nous apparaissent distincts que par un effet de perspective.

Vous recherchez un Âtman réel, mais celui-ci n'est qu'une désignation. Il existe en raison du complexe des causes et conditions, en tant que nom et convention. Quand un magicien se tue, les spectateurs le voient mort, et quand un artifice le ressuscite, les spectateurs le voient vivant ; mais sa vie et sa mort n'ont qu'une existence nominale et non réelle TGVS-508

Lorsque l'esprit se fond dans le mouvement du corps, lorsque le geste devient le prolongement de l'esprit, que le calligraphe ne fait plus qu'un avec le trait jeté sur la feuille, la technique se confond avec la pensée, l'art devient poésie. Lorsque l'évidence s'éclaire à la réalisation du sens, elle ne rend pas le sujet indiscernable de l'objet en gommant leur frontière, elle révèle la communauté de leur nature !

  • Au début, lorsque l'on visualise le mouvement de l'énergie qui se déplace de la tête aux pieds, accompagné du geste de chasser les négativités du corps pour les enfouir dans le sol, que l'on visualise une cascade de rayons de lumière éclatante qui entre par le chakra couronne au-dessus de notre tête et baigne tout notre être de la compassion et de l'amour des Bouddhas, notre vue est encore emprunte de dualisme. Corps et esprit paraissent des objets distincts traversés d'énergies. A mesure que la pratique s'intériorise, les intervalles s'estompent, le métronome se mue en silence. Il n'y a bientôt plus d'objets qui se meuvent, mais seulement du mouvement. La visualisation devient alors cause et effet à la fois...

En changeant notre conception du monde, de notre rapport aux autres, du sens de notre existence, nous changeons la direction de notre agir. En agissant sur notre phénoménologie, nous modifions la phénoménalité de ce qui nous arrive. En réfléchissant aux enseignements, en les intégrant par la méditation, en visualisant leurs effets vertueux, jusqu'à ce qu'ils se muent en réalisations, nous amplifions nos purificateurs pour réduire nos perturbateurs et changer l'agir égotiste en agir altruiste. L'épuration et la purification de nos « trois portes » est intérieure avant d'accéder au rang de manifestation. L'intention est l'anamorphose de l'action, telle la forme est le vide et le vide est la forme...

Chaque souhait porte son fruit et peut se réaliser s'il est suffisamment puissant. Si vous faites le choix de comprendre et d'accomplir les buts sublimes de la voie spirituelle en vous efforçant à l'étude et à la méditation, vous finirez par réussir. Comme le passeur gouverne son bac, utilisez votre esprit pour orienter votre vie dans la direction que vous avez choisie ACC-219

Dans le Mahāyāna, les « trois portes » désignent les vecteurs de l'action, le corps, la parole et l'esprit, qui définissent « l'unité fonctionnelle de l'être animé dans le domaine du désir et de la forme » DEB-663. Le Vajrāyana identifie les trois roues (chakra couronne, chakra de la gorge, chakra du cœur) à trois vajra qui chacun possède une couleur et une syllabe-germe de mantra («OM blanc cristallin, AH rouge rubis, HUM [ou HUNG] bleu lapis-lazuli » DEB-664).

Dans le Mahāyāna, la doctrine des « trois corps » (Trikāya) expose la nature des Bouddhas comme étant caractérisée par « trois aspects ou dimensions : le corps absolu (Dharmakāya), le corps de parfaite jouissance (Sambhogakāya) et le corps d'apparition (Nirmānakāya) » ACC-92. Elles ne sont pas trois entités distinctes mais « trois expressions de l'Éveil qui sont une en essence » DEB-306.

Le lien entre les « trois portes » des êtres ordinaires et les « trois corps » des Bouddhas se comprend en termes d'action. Atteindre la bouddhéité ne résulte pas d'une transformation ontologique, mais de l'actualisation de notre nature véritable. Par leurs actions non vertueuses, les êtres migrateurs s'enferrent dans le samsāra (la saisie du soi engendre les perturbateurs, lesquels produisent du karman négatif qui impulse une nouvelle vie). Par le renoncement au samsāra et donc aux actions non vertueuses, les « trois portes » deviennent les instruments de l'activation de cette nature de Bouddha (pour les êtres entrés dans la voie qui suivent les étapes vers l'Éveil), par l'épuration de leurs négativités et l'accumulation des vertus. « Une fois purifiées [les trois portes contaminées] deviendront les trois corps : le corps purifié est le corps d'émanation, la parole purifiée le corps de pleine jouissance, l'esprit purifié le corps de vérité » EVE-63.

La vision bouddhiste de la « réalité » peut se représenter sur une échelle qui va de la forme au vide, du conventionnel à l'ultime. Le domaine de la forme est le Lokadhātu (ou l'univers mondain). « La dimension des mondes, l'ensemble des visions fragmentaires et limitées du monde phénoménal perçues par les êtres animés conditionnés par l'ignorance et leur karman, où chaque phénomène composé apparaît pourvu de caractéristiques spécifiques » DEB-173.

Le Lokadhātu se subdivise en niveaux : grossier et subtil. Le niveau grossier est celui de la phénoménalité (l'agrégat du corps 1 et l'agrégat des sensations 2), le niveau « subtil » celui de la phénoménologie (l'agrégat des discriminations 3 et l'agrégat de la conscience mentale 5, l'esprit associé aux « facteurs mentaux »). Le premier peut être dit supra-sensible en regard du second, lui-même sensible eut égard au caractère de nos expériences intérieures (impressions, ressentir, sentiments...). A cette subdivision s'ajoute également un niveau « très subtil », celui de l'esprit au moment de la mort (l'agrégat des formations karmiques 4), la « Claire lumière de la mort », dont le caractère est infra-sensible.

Le domaine de la vacuité est le Dharmādhatu. « Espace de la réalité absolue, dimension du champ du réel, dimension globale, sphère non duelle perçue par les bouddhas en dharmakāya, dimension de la vraie nature des phénomènes, la vacuité immuable » DEB-173. C'est le niveau « très très subtil » ou infra-subtil.

Le Trikāya est de l'ordre du vide, mais les bouddhas peuvent se manifester sous l'aspect de la forme d'émanation du Nirmānakāya pour aider les êtres ordinaires, et sous la forme du Sambhogakāya pour aider les êtres avancés sur le chemin de l'Éveil (« āryabodhisattva des trois dernières terres » DEB-306).

Si l'on compare l'esprit au spectre électromagnétique de la lumière, l'on pourrait dire que les plus hautes longueurs d'onde correspondent au domaine sensible et les plus basses à l'infra-subtil. Sous la perspective du « modèle ondulatoire », le corps est l'expression supra-sensible de l'esprit. «Le corps est une conscience devenue visible. L'illumination intérieure transforme donc le corps visible en corps de métamorphose appelé Nirmānakāya qui est la description du corps de tout être humain passé par la voie d'une métamorphose spirituelle » LTM-14.

Une porte fermée, la frontière entre deux pays, une montagne, un précipice, sont des limites physiques qui peuvent induire en nous un sentiment d'infranchissable. Or, si nous déplaçons la focale de notre conscience du niveau des apparences vers les profondeurs atomiques et quantiques insondables, les notions de seuil, de frontière, de hauteur, de profondeur, etc. ne font tout simplement plus sens !

Le Bouddha laissa, volontairement, certaines questions (de métaphysique) sans réponse, tel que «le monde est-il fini ou infini ? », « à la fois fini et infini ? » ou « ni fini ni infini » ? Nonobstant que ce type de questionnement engendre plus de perturbations et n'apporte rien d'utile à qui veut atteindre l'Éveil, au contraire, « cela ne mène nullement au détachement, l'absence de passion et au calme, à la connaissance et à la sagesse du nirvāna » DEB-479, ces questions n'ont de sens que du point de vue conventionnel des apparence et non pas ultime de la vacuité.

De ce point de vue, les « portes » du corps, de la parole et de l'esprit sont des sorties de tunnels qui relient la dimension supra-sensible du corps à la dimension infra-subtile de la nature ultime de l'esprit, la vacuité, soit aux « trois corps » des Bouddhas...

C'est par nos « trois portes » que nous commettons des actions non vertueuses et c'est aussi par nos « trois portes » qu'il nous est possible de les épurer. Mais, l'épuration de nos négativités ne s'effectue pas au niveau qui les produit, pas plus que les impuretés ne s'y accumulent. Les émotions perturbatrices s'expriment au sein du « continuum de conscience », soit dans le flux constitutif du contenu de la phénoménologie mentale du connaisseur (l'esprit associé aux «facteurs mentaux ») c.à.d. au niveau sensible, mais le karman qui découle des actions engendrées sous l'emprise de l'infatuation du moi mûrit et dépose ses empreintes au niveau infra-sensible de la «Claire Lumière » de l'esprit.

Si nos « trois portes » s'encrassaient à cette extrémité (phénoménale) du tunnel, le processus de dissolution des agrégats au moment de la mort aurait raison de nos impuretés et donc de notre karman ! Or, il n'est pas possible d'enlever de la saleté plus fine que l'épaisseur d'un cheveu avec un balai dont les fibres sont plus épaisses qu'une corde ! C'est au niveau le plus profond (infra-sensible) que le travail d'épuration des négativités (et d'accumulation de vertus) opère, et son instrument, c'est la dimension de la vacuité - ce processus est figuré par la sphère au centre du vajra qui symbolise « la clé de la transmutation » DEB-680 des agrégats grossiers ou des passions principales en sagesses -.

A mesure que l'on visualise la circulation des énergies qui traversent nos agrégats en emportant nos perturbateurs et le sentiment inné du moi, tout finit par se fondre dans ce mouvement et ne faire plus qu'un en leur vacuité. En passant du sensible à l'infra-sensible par le tunnel de la visualisation, l'absorption méditative éveille en nous la sagesse qui réalise que les apparences sont (le reflet de) notre esprit...

Les « trois corps » des Bouddhas possèdent également (l'équivalent de) « trois portes », lesquelles se confondent à leur niveau : par le Nirmānakāya, un Bouddha « œuvre au bien des êtres au moyen de son corps merveilleux, de sa parole mélodieuse qui dispense l'enseignement et de son esprit qui connaît toutes choses » ; dans le Sambhogakāya, le corps et sa porte sont «forme pure, subtile et lumineuse », la parole et sa porte sont « l'expression de son verbe », l'esprit et sa porte consistent en « ses activités de sagesse » (toutes les trois ininterrompues) ; dans le Dharmakāya, le corps est « la dimension de vacuité de l'Éveil, pure potentialité sans caractéristique ou corps de réalité », la parole est vérité, et l'esprit est un « corps de sagesse » DEB-306.

Pour les Bouddhas, corps et portes sont (en somme) les deux aspects d'une même réalité (comme la forme est le vide et le vide est la forme), avec pour singularité de dépendre dans leur réalité de leur nature ultime et dans leur manifestation de la capacité de perception des êtres sensibles ! « N'étant qu'une émanation illusoire » le Nirmānakāya a pour base ultime le Dharmakāya et pour manifestation relative « la forme que lui prêtent les êtres selon leur propre vision karmique et leur mérites » DEB-307. En sa nature, le Sambhogakāya est le « fruit de l'accumulation de mérites » et en sa manifestation un « reflet apparent procédant du Dharmakāya pour le besoin des êtres ». Le Dharmakāya est « sans naissance ni mort, pure potentialité sans caractéristiques, qui embrasse tous les corps », sa réalité (dharmatākāya) est « paré de pureté de nature et de pureté d'accidents adventices » DEB-306, et sa manifestation est pure sagesse sans objet connaissable au-delà du par-delà de la dualité de la pensée conceptuelle.

A l'instar d'une anamorphose, dont la vue en 2D ou en 3D dépend de la position de l'observateur, les « trois corps » des Bouddhas apparaissent aux êtres selon leurs capacités de discernement relatives à l'état de leurs voiles. L'échelle du supra-sensible à l'infra-subtil est une mesure de la connaissance : qui va de la saisie directe pour les Bouddhas, dont la « sagesse non conceptuelle connaît la vacuité sans en être différenciée, comme l'eau versée dans l'eau » DEB-306 ; à la perception indirecte (représentationnelle) des êtres ordinaires, qui perçoivent les apparences existant intrinsèquement, comme si la couleur de l'eau était une propriété inhérente à la nature de l'eau...

L'évolution spirituelle des êtres sur le chemin de l'Éveil ne constitue pas un changement d'ordre ontologique, mais un changement de paradigme de la connaissance qui induit l'actualisation de leur nature véritable, la sagesse qui réalise la vacuité voilée par l'ignorance. Ce que nous appelons « réel », le monde tel qu'il nous apparaît, que nous croyons exister par lui-même de manière autonome et indépendante, est en vérité simples apparences conventionnelles produits de notre esprit - sans pour autant que « l'esprit seul » existe ! -.

Les Bouddhas connaissent les apparences comme étant vacuité non parce que leur discernement transcende les limites des phénomènes, mais parce que leur sagesse réalise que leur aspect physique est la représentation conventionnelle de l'esprit ignorant leur vacuité. C'est uniquement par le fait de l'illusion de notre connaissance que les phénomènes nous paraissent exister en propre de manière intrinsèque tel que nous en avons la perception sensorielle. « Le Dharmakāya est inconcevable et n'est perceptible qu'aux bouddhas » DEB-306.

Cela ne veut pas dire que « ce qui ne peut être conçu ne peut être perçu », mais que contrairement à l'idée selon laquelle la conception que nous avons du monde est le reflet de la connaissance résultant de sa perception (le connu est ce qui est perçu), ce qui est perçu est ce qui peut être conçu. Cela ne signifie pas que la conception précède causalement la perception, mais que nos possibilités de ressentir sont relatives à nos possibilités de conceptualisation. La saisie acquise du Soi (autonome existant intrinsèquement) provient du sentiment inné du moi dont nous éprouvons « l'intime conviction » de la réalité de son objet parce que notre ignorance de son caractère illusionné rend possible d'en concevoir l'idée ! Si la vue est l'ainsité était innée, l'idée du Soi n'aurait jamais vu le jour !

Tels l'espace et le temps catégories kantiennes a priori de la raison pure, le connaisseur de l'esprit est le cadre a priori (la vue virtuelle) de la perception. Connaître de manière juste ne veut pas dire saisir un objet au plus proche de ce qu'il est, eut égard aux capacités de notre instrument de cognition. Connaître la véritable nature d'un phénomène, ce n'est pas être clairvoyant de sa réalité mais lucide de la vacuité de sa saisie à la vacuité de son connaisseur.

Nous sommes victimes des illusions d'optiques parce que nous ne voyons pas en quoi consistent leurs illusions. Cependant, que nous puissions percevoir la mystification après un examen attentif témoigne du fait que notre premier regard était dépourvu de toute réflexion. Qu'il soit possible de saisir une illusion sans être victime de cette illusion révèle la conditionnalité du processus de cognition (la manière dont nous connaissons une chose) au connaisseur de notre esprit, c.à.d. à notre capacité de nous la représenter mentalement et intellectuellement.

Selon l'école philosophique Sautrāntika - de type réaliste et substantialiste - une « cognition valide» est « une connaissance nouvelle et infaillible » EVE-46. C'est connaître un objet tel qu'il est, réellement, en lui-même, la première fois qu'on le perçoit, hors de tout a priori conceptuel et de toute interprétation par l'esprit qui le saisit. « La validité de la perception directe se définit donc comme "une connaissance irréfutable dans sa nouveauté, état non illusionnée et dénuée de fabrications conceptuelles" » DEB-328. Si la première saisie est erronée, rectifier par la raison l'erreur de perception de sorte à voir l'objet de manière correcte lors d'une seconde saisie en fait une représentation, ce qui ne permet donc pas de conférer à cette « cognition subséquente » un caractère valide.

Pour dissiper toute ambiguïté, il importe de préciser que cette logique s'applique aux conditions de l'intellection de la vérité conventionnelle, non à celles de la sagesse qui saisit la vérité ultime. « La logique bouddhique est nominale puisque, pour elle, seuls les objets singuliers [dotés de caractéristiques propres] sont réels, tandis que les concepts généraux [universaux conceptuels permettant de cerner mentalement la nature d'un objet] sont purement imaginaires » DEB-329.

Sous cet angle, est dite « valide » la cognition d'un objet dont l'existence est présupposée réelle, c.à.d. existant de manière intrinsèque indépendamment de l'esprit qui le saisit sans que sa saisie ne soit elle-même conceptuelle. Autrement dit, une « cognition valide » est une forme de connaissance par intuition qui « met, sans méditation, l'esprit en présence de son objet » DEB-328. Le terme objet recouvre ici l'idée d'une réalité propre, non celle de concept. S'agissant des yogis ou des ārya, elle est l'intuition de l'ainsité de la nature véritable des phénomènes.

Le domaine conventionnel est par définition celui de « l'intermédiaire ». Les objets avec lesquels l'esprit est mis en présence et la nature qu'il en perçoit font que cette « intuition » (saisie ou perception directe) n'est pas celle de leur ainsité, inaccessible et ineffable en-deçà de la sagesse qui réalise la vacuité. Le caractère « réel » de ces objets ne désigne donc pas leur nature propre, mais les concepts généraux qui servent « de moyen d'accès à un singulier réel caché » DEB-329.

Tel que l'esprit le perçoit sous les modalités de la cognition ordinaire (qui n'a pas réalisé la vacuité), l'aspect sous lequel le monde apparaît n'est pas une réalité propre et autonome, mais une construction mentale ! Tout ce que nous voyons, les formes, les dimensions, les volumes, les couleurs, les propriétés des objets (solidité, résistance, etc.) sont la représentation par notre esprit d'effets de surface eux-mêmes relativistes, les formes du vide !

La nature de l'objet reste cachée à la conscience, qui ne peut se faire qu'une représentation illusoire de l'objet et du monde. Cette représentation est la vérité conventionnelle du phénomène. Un objet est dit être expérimenté quand son image est expérimentée DEB-516

En ce sens, une cognition est dite valide sur la base de son mode de saisie relatif, en tant que « la conscience, tel un miroir, perçoit une image mentale de l'objet et non l'objet lui-même » DEB-515. Du point de vue de la vérité ultime, cette cognition et la réalité de cet objet sont erronés ! La cognition (perception ou inférence directe) « valide » est l'intuition non conceptuelle qui réalise (la vacuité de) la relativité du phénomène à (la vacuité de) la conjonction de causes et de conditions dont il est l'expression. S'ensuit qu'une « cognition invalide » en termes de vérité ultime est une intuition intellectuelle qui prend les objets pour une réalité intrinsèque. Ce qui est perçu en sa nature véritable, de manière « ultimement valide », est ce dont l'ainsité peut être conçue ultimement par le discernement éclairé de la sagesse qui en réalise la vacuité.

C'est notre cécité à la vacuité qui nous fait croire que les phénomènes existent de manière réaliste, directement, tels que nous les percevons, et c'est notre cécité au discernement de la nature représentationnelle des apparences qui nous fait prendre les productions de notre esprit pour des objets existant indépendamment. Le monde extérieur qui nous entoure et nous englobe, les phénomènes avec lesquels nous sommes « mis en présence », les événements dont nous faisons l'expérience, sont en fait le produit de la représentation, de l'interprétation[v], que notre esprit nous donne à saisir sous les modalités d'une cognition pour laquelle l'ainsité du réel est inaccessible et inconnaissable...

Un nom appliqué une expérience [sensible brute] nous donne à voir la réalité sur un mode superficiel qui n'est pas sa réalité brute (...) indicible et ineffable. On ne peut que se la représenter. Les généralités [concepts] sont irréelles et du domaine du relatif, tandis que les choses singulières seules sont absolument réelles [au sens ultime] mais inatteignables directement par les sens DEB-516

Le témoignage est une source de connaissance peu fiable lorsqu'il provient... des êtres ordinaires. S'agissant de « phénomènes extrêmement cachés », la logique bouddhique admet valide la connaissance issue de l'autorité des écritures. « Si la chose à vérifier dépasse l'entendement et la sphère sensorielle on fait appel à l'expérience d'une personne qui a déjà fait ce genre d'expérience ». L'on doit toutefois s'assurer de sa fiabilité et « vérifier qu'il n'y a pas d'inconsistances logiques dans les faits énoncés par ce témoin » DEB-328.

Autant dire que seules les paroles des êtres réalisés sont dignes de foi - sachant que les mots sont par définition relatifs -. Tous autres témoignages (y compris ceux issus d'états d'absorption méditatif profond) doivent être analysés avec circonspection : sentir la présence de l'âme d'un disparu autour de soi ; sortir de son corps ; voir ses proches au bout d'un tunnel de lumière ; avoir la sensation de déjà vécu ; se rappeler de ses vies antérieures ; être en proie à des blocages énergétiques provenant d'âmes accrochées à son corps ; etc.

Les textes bouddhiques relatent les actions de grands maîtres et de Bouddhas, tel Milarépa qui chassa les démons ou Padmasambhava qui les convertis en protecteurs du Dharma. Mais, sans être versé dans la philosophie bouddhiste, il est facile d'en faire une interprétation littérale et une cognition invalide...

Ne nous laissons pas bercer d'illusions par nos impressions. Aussi forte que soit notre intime conviction ne la prenons pas pour argent comptant. Son sentiment n'est pas la preuve de la réalité de son objet. Soumettons toujours nos expériences a un examen analytique rationnel, éclairé par la philosophie bouddhique tibétaine. « L'intime conviction », qui se veut l'affirmation de la réalité de l'objet de l'expérience, provient de la cécité au discernement des apparences qui sont notre esprit, ainsi que des modalités d'une cognition qui façonne la représentation de l'apparence des objets sur la base de l'aperception du sentiment inné du moi.

Comment l'esprit pourrait-il sortir du corps dès lors que la « Claire lumière » y est comme chevillée (au centre du chakra du Dharma au niveau du cœur) et ne s'en sépare que lors du processus de dissolution des agrégats au moment de la mort ? 

Comment l'esprit de « Claire lumière » pourrait-il errer après la mort, attendre ses proches ou s'accrocher à eux, s'il entre directement dans le bardo ? 

Comment pourrions-nous ressentir l'impression de « déjà vécu » ou avoir le souvenir de vies passées sans avoir atteint l'état le permettant soit... la bouddhéité ? 

Face à ce genre d'expériences, demandons-nous avec sagesse : comment puis-je avoir la sensation de l'espace ou le sentiment d'être l'espace, alors que l'espace est incomposé, non né, sans existence autre que purement conventionnelle ?

Regardez autour de vous. Le monde paraît homogène, coloré, stable, continu... Telles que vous les percevez, les apparences (formes, dimensions, couleurs, etc.) sont des caractéristiques propres aux objets, que vos consciences sensorielles vous donnent à saisir telles qu'elles sont. Vous n'avez aucune raison d'en douter ! Pourquoi remettriez-vous en question la validité de votre cognition ?

Vos yeux vous donnent à voir l'image, complète, du monde. Or, il n'y a pas de cellules photoréceptrices de la lumière et des couleurs au centre de vos globes oculaires, là ils sont reliés à votre cerveau par le nerf optique. Si l'image que vous voyez est ce que vos yeux perçoivent (si votre « perception directe » est valide), pourquoi n'y a-t-il pas de trous au centre de votre champ de vision ?

Vous voyez le monde en couleurs et pensez, spontanément, que les couleurs font partie du monde, qu'elles appartiennent en propre aux objets. Or, nonobstant le fait que les couleurs visibles dépendent du rapport de la longueur d'onde de la lumière à la taille des objets - ce qui rends invisible tout objet d'une taille plus petite -, saviez-vous que vous ne voyez le monde en couleurs... qu'au centre de l'image, là où se concentre le point focal de notre attention (là aussi où se trouve le nerf optique...), tandis que votre vision périphérique est en noir et blanc[vi] ?

Vous voyez des objets se mouvoir en conservant leurs couleurs. Or, saviez-vous qu'il existe un décalage entre le traitement des couleurs par votre cerveau et celui du mouvement ? « Au bout de cette chaîne complexe de traitement, on est persuadé que l'on perçoit une réalité unique. Or, le canal de la couleur travaille plus lentement que celui du mouvement, ce qui retarde la perception de la couleur d'environ 70 à 80 millisecondes par rapport à l'analyse des mouvements » MI.

Les objets que vous voyez en couleurs, vous les voyez toujours avec les mêmes couleurs quelles que soient les conditions d'éclairage. « A cause des reflets de la lumière vive, un objet noir placé en plein soleil est plus lumineux qu'un objet blanc au crépuscule, pourtant, on le perçoit comme noir. En changeant la réalité physique, le cerveau assure une continuité » MI. Si votre vision des couleurs est fidèle au monde tel qu'il est (si votre « perception directe » est valide), pourquoi ne reflète-t-elle donc pas ces variations de couleurs ?

Vous voyez le monde en trois dimensions et toujours stable quels que soient les mouvements et la position de votre tête. « Même en bougeant la tête dans toutes les directions, vous conservez une notion stable de l'espace à trois dimensions. Si votre œil était une caméra, tout bougerait » MI. Si l'image que vous voyez est fidèle à la manière dont vous la voyez (tremblante et floue), comment peut-elle alors être stable et votre « perception directe » valide ?

Vous voyez un objet dans votre champ de vision et choisissez d'y concentrer votre attention. En fait, si vous êtes conscient de cet objet, c'est en raison de la fréquence du mouvement constant de vos yeux d'un côté à l'autre régulée par votre cerveau. Si l'on force une image fixe sur la rétine « le cerveau programme son effacement et elle disparaît de la conscience. Cette fonction, gravée dans les neurones, sert à gommer les images parasites, telle l'ombre des minuscules vaisseaux sanguins qui sillonnent la rétine » MI. Nous voyons ce que notre cerveau choisit de nous montrer et ce que dont nous avons conscience est une construction mentale qui conditionne les modalités du connaissable et le sens de ce que nous considérons comme une « cognition valide » !

En termes évolutionnistes, le critère qui permet de juger de la validité de la perception directe d'une telle... construction n'est pas la fidélité a un objet existant en propre, dont il nous serait possible de connaître la réalité intrinsèque, mais l'efficacité de la réponse comportementale. «L'appareil perceptif s'est adapté à la réalité seulement parce qu'il était nécessaire à la survie de l'espèce. C'est pourquoi notre perception est restée incomplète et imprécise » MI.

Sur le plan conventionnel, une « cognition valide » est donc relative au référentiel de « l'instrument de cognition » d'une espèce considérée, et de plus variable pour chaque individu qui la compose. Cette incomplétude et imprécision sont en fait le reflet de la « capacité » de discernement de l'esprit, au sens où les modalités de fonctionnement du cerveau sont l'expression des voiles du karman des esprits migrateurs qui les projettent sous cette forme !

Il y a autant de formes de conscience que de formes de perception (les ultrasons des chauves-souris, la vision en ultraviolet des abeilles, le champ magnétique des pigeons voyageurs, etc.). Toutes sont relatives et aucune ne permet une cognition (perception ou saisie sensorielle directe) plus « valide » qu'une autre puisque aucune n'est, absolument, fidèle à la réalité du monde tel qu'il est.

La raison pour laquelle aucun être sensible ne voit de manière innée les apparences comme étant le produit d'une construction mentale réside dans l'aperception « réaliste » de leur propre esprit : homogène, stable, continu, entitaire, existant intrinsèquement... « Le singe qui n'avait pas de perception réaliste de la branche vers laquelle il sautait... » et de perception réaliste de lui-même « ...fut bientôt un singe mort et ne fait pas partie de nos ancêtres » MI.

La manière dont nous percevons les phénomènes, sous forme d'objets dont les apparences semblent être le reflet des propriétés et exister en propre, vient de ce que la conscience qui nous les fait percevoir, nous fait également nous apercevoir comme une entité propre. Mais pourquoi nous percevons-nous comme sujet ?

Selon la philosophie bouddhiste tibétaine, c'est par le développement de la vision supérieure, par la méditation analytique, qu'il nous est possible de réaliser la vacuité de soi de la personne et du soi des phénomènes. Révélée aux ārya dans la « voie de la vision », à la perception directe de l'ainsité (de l'interdépendance de la forme au vide et du vide à la forme), l'esprit cesse de s'apparaître comme entitaire et d'éprouver le « sentiment (inné) du moi ». La conscience se révèle être un courant, « succession rapide d'actes de connaissance momentanés qui donne l'impression d'un écoulement continuel » DEB-150, duquel le connaisseur de l'esprit émane sous sa forme subjective par l'émulation virtuelle de ce courant.

Il n'est pas facile d'aller à l'encontre du sentiment d'intime conviction du ressentir qui nous fait nous affirmer sujet. Mais, il est clair que notre perception du monde est tronquée et illusionnée : nous nous déplaçons à la surface de la Terre, mais nous n'avons pas la sensation que la Terre, elle, se déplace autour du Soleil à près de 100 000 km/h... ; nous croyons sa croûte solide et stable parce que nous ne sentons pas le manteau de la Terre se déplacer tel un radeau sur un océan de laves profondes sous les effets de la tectonique des plaques... ; nous peinons à voir les battements d'ailes d'un colibri et appréhendons difficilement l'évolution des espèces sur des millions d'années... ; les objets nous apparaissent tangibles en surface alors qu'ils ne sont que mouvement à l'échelle atomique...

De notre point de vue (de la manière dont nous le percevons sous la perspective que nous en donne la capacité de discernement de notre esprit voilée), le monde semble composé d'objets autonomes qui se meuvent indépendamment. Mais en son ainsité, l'étoffe du monde phénoménal se révèle la trame connexionniste d'un « réseau, global, vaste et profond » sans commencement ni fin, au sein duquel d'impermanents phénomènes sans cesse apparaissent et disparaissent, sous des modalités d'existence et de durée conditionnées par la réunion de causes et de conditions, vides de réalité propre, dont ils sont l'expression manifestée.

D'où vient que la nature hétéroclite, parcellaire, discontinue des objets paraisse homogène, unitaire et continu lorsqu'ils mis en mouvement ? Des milliards de gouttes d'eau qui tombent d'une falaise apparaissent cascade, les longeons de bois sous les rails d'un train deviennent indistincts à grande vitesse, vu de très loin des fragments d'astéroïdes paraissent former un seul objet, des cellules un seul corps... « Sur un tableau pointilliste, on voit nettement les points ou les traits de pinceau, mais du fait de la faible résolution du canal des couleurs, ces dernières se fondent en une impression de continuité » MI.

D'où vient que l'esprit conscient s'apparaisse à lui-même comme s'il existait en propre, tel un spectateur en son « théâtre cartésien » ? Plus la vitesse d'un corps (doté d'une masse) se rapproche de la vitesse de la lumière et plus le temps ralenti dans son référentiel, lorsque la taille d'un corps passe sous la longueur d'onde de la lumière, celle-ci disparaît. Au sein d'un référentiel, la vue sur ce référentiel est différente de perspectives extérieures. Le point de vue ne change pas seulement l'aspect d'un phénomène, il en façonne la réalité !

Jaillissant de la succession d'actes éphémères, la conscience s'apparaît continue par-delà leur discontinuité. Émergent de contenus divergents, la conscience se perçoit mentalement homogène au-delà de leur discordance. Émanant de nuages de points éparses, la conscience s'aperçoit entitaire au travers de leur asymétrie. Le nuage de poussières stellaires du début du système solaire n'était pas encore planètes et comme résultat de son lent mouvement d'accrétion, les planètes telles que nous les connaissons actuellement ne sont plus un nuage de particules en rotation... La conscience émerge en un référentiel sous la vue duquel elle se perçoit conscience par abstraction de la formation de ce référentiel. L'esprit émane sous la forme (du référentiel) d'un connaisseur sous la vue virtuelle duquel il se connaît sous les modalités singulières de sa cognition.

Le monde apparaît réaliste à notre perception comme la conséquence du fait que, sous le référentiel de la phénoménologie sous laquelle le connaisseur virtuel de l'esprit se connaît lui-même, nous éprouvons l'intime conviction de la « saisie (inné) du moi ». Autrement dit, cela même qui nous permets de connaître le monde, sous la forme sous laquelle nous le connaissons, est cela même qui occulte son ainsité sous la phénoménologie de notre aperception !

L'intime conviction qui nous fait croire dans le caractère réaliste des apparences et en l'existence intrinsèque des objets provient de notre incapacité à distinguer les apparences (et nos expériences intérieures) comme étant notre esprit, du fait de notre incapacité à percevoir l'artifice de notre propre esprit ! Nous voyons le monde comme nous nous voyons nous-mêmes et, tels quels, ni le monde ni notre propre conscience ne sont ce qu'ils paraissent être...

Ainsi, les apparences ne sont pas la projection de la représentation que l'esprit se fait du réel sur sa « toile », ce serait là encore voir l'esprit comme une entité, les apparences d'une manière distincte de l'esprit... et le monde comme étant doté d'une existence réaliste. Les apparences sont une part de l'esprit comme la poussière située à la périphérie du mouvement d'accrétion qui forma les planètes du système solaire faisait partie de son champ. Elles ne sont pas différentes en termes de nature, mais d'expression phénoménale du référentiel de l'esprit.

S'agissant des deux « vérités », ultime et conventionnelle, il faut bien comprendre que cette terminologie ne fait pas référence à « la vacuité des phénomènes » en tant que désignant de deux états distincts, mais à deux aspects d'une seule et même réalité. La forme est le vide et le vide est la forme. Ce que l'on désigne comme la « réalité » au sens bouddhique, c'est donc à la fois l'ensemble des causes et conditions, impermanentes, interdépendantes, vides de réalité propre et « l'expression phénoménale » de cet ensemble (la conjonction de conditions météorologiques qui s'expriment sous la forme de la neige).

Et cette ainsité des phénomènes est, par essence, inconnaissable à l'esprit. Ce que l'esprit qui réalise la vacuité connaît, c'est la vacuité de la relativité de la forme au vide et du vide à la forme, dont la « saisie directe » révèle qu'elle est dépourvue d'essence puisque... vide de réalité propre ! Ce que l'esprit voilé par l'ignorance (de son artifice) connaît du réel, ce sont les apparences sous lesquelles l'ainsité lui apparaît, non pas la projection mais l'interprétation qu'il en fait sous les modalités du référentiel de sa cognition illusionnée. Autrement dit, tel que nous le percevons, le monde est une visualisation !

Réserver le terme de « visualisation » à la sphère mentale, comme à une faculté propre à la «conscience mentale », est réducteur et entretient la confusion quant à ce qui se passe dans l'esprit lors de ce que nous appelons la « cognition ». Nos impressions relatives à une réalité extérieure et nos impressions conjointes d'une réalité intérieure ne sont pas, intrinsèquement, différentes. Lorsque l'on comprend ce que signifie, véritablement, le sens de la sentence bouddhique « les apparences sont notre esprit » sous l'éclairage philosophique de la vacuité, l'on saisit que ce que nous appelons « réalité » est (pour l'esprit voilé) une vue de l'esprit qui ne se distingue pas, substantiellement, dans sa manifestation extérieure de son expression intérieure. Tels que nous les (a)percevons, la phénoménalité et la phénoménologie sont une même construction de l'esprit.

Les apparences sous lesquelles les phénomènes nous apparaissent sont la visualisation par nos « consciences sensorielles » de l'interprétation de ce que le « connaisseur (virtuel) de l'esprit » croit être la réalité physique, dans les modalités d'une cognition phénoménale conditionnée par sa cécité au non-soi de la nature des phénomènes, qui perçoit les apparences comme étant propres à des objets eux-mêmes perçus comme existant intrinsèquement.

Nous évoluons dans une « bulle virtuelle » mentalement intercalée à une réalité dont le caractère inconnaissable et ineffable ne peut être saisit en sa dimension ultime que par l'esprit qui réalise la vacuité. Une « membrane mentale » dont la forme phénoménale apparaît à nos esprits d'êtres ordinaires sous les modalités d'une capacité de discernement conditionnée par nos voiles, qui nous la font percevoir comme une réalité sensorielle existant en propre de manière autonome.

L'aperception consciente de notre « monde intérieur » suit le même principe. Les apparences sous lesquelles notre phénoménologie mentale nous apparaît (pensées, images, sons, etc.) sont la visualisation par notre « conscience mentale » de l'interprétation de ce que le « connaisseur (virtuel) de l'esprit » pense être des « objets mentaux ». Ce « contenu de l'esprit » apparaît sous les modalités d'une cognition phénoménologique conditionnée par sa cécité au non-soi de la nature de l'esprit, dont l'aperception distingue le contenu du contenant sous l'instance de l'émulation d'un « sujet virtuel ».

Le sujet naît de la formation de ce référentiel mental intérieur comme expression du « sentiment (innée) du moi ». L'esprit n'est pas une entité réelle, autonome et indépendante qui perçoit des objets réels existant intrinsèquement. Les circuits neuronaux qui sont impliqués dans la visualisation d'une action imaginée et dans la réalisation d'une action physique sont les mêmes. Le connaisseur de l'esprit est un référentiel en regard duquel la connaissance est une expérience.

A l'instar des apparences et des pensées, dont la visualisation traduit la vue que l'esprit élabore quant à l'existence d'une réalité extérieure et d'un monde intérieur dont l'ainsité est inconnaissable, les sensations et les sentiments éprouvés lors d'états modifiés de conscience ou d'absorption méditative profonde sont l'expression de l'interprétation de l'activité infra-sensible de l'esprit, sous les modalités du référentiel d'une expérience dont la subjectivité confère à leur objet l'intime conviction de sa réalité. Ce ressenti n'est pas la manière dont un objet réel manifeste la réalité de sa présence à l'esprit, mais dont l'activité de l'esprit se fait expérience pour « se devenir » connaissable.

Cela ne veut pas dire que « l'esprit seul » existe, mais qu'il s'agit là du moyen par lequel l'esprit réalise sa propre cognition dont la conscience est l'expression. Le « connaisseur sensible » (l'esprit dont le conscient s'apparaît telle une instance propre et autonome sous le référentiel du sujet), n'est donc pas un noumène, mais l'aspect phénoménal de l'activité du « connaissant infra-sensible » (la « Claire lumière » de l'esprit). La visualisation n'est donc pas le pouvoir de l'esprit d'agir sur la matière, mais l'expérience de la réalisation de l'identité du connu, du connaisseur et du connaissant.

Lorsque l'on visualise le Bouddha, du point de vue subjectif, c'est un objet mental, et l'on ne rend pas le Bouddha réellement présent devant soi simplement parce qu'on l'imagine qu'il l'est ! Cependant, puisque les apparences et les pensées sont semblables (interprétation par l'esprit de ce qu'il pense être un connaissable existant intrinsèquement), du point de vue de l'expérience, ils sont identiques !

Ce qui nous les fait percevoir distincts (dans les modalités d'une dualité entre extérieur et intérieur), c'est notre cécité, sous le référentiel d'une conscience subjective (virtuellement) émulée par la «saisie (innée) du soi ». Les Bouddhas sont innombrables (compassion, médecine, etc.), mais leur cœurs est de même nature, la compassion universelle. Et puisque réaliser la vacuité met en évidence les voiles de l'illusion qui recouvre l'esprit, « (se) visualiser (soi-même comme) la déité » revient à faire l'expérience de notre véritable nature. « La fierté de vajra n'a rien à voir avec l'orgueil ordinaire, elle est la proclamation de la Vue [les apparences sont réellement le mandala de la déité et le pratiquant dans sa nature véritable est la déité] et le ferme établissement du méditant » DEB-319.

Visualiser un Bouddha au-dessus de notre tête duquel des rayons de compassion viennent nettoyer nos trois portes, dans l'agir mondain du pratiquant bouddhiste laïc visualiser les (prémices d') émotions perturbatrices (ajointes à l'ego) quitter notre corps sous forme de fumée noire, dans l'agir laïc visualiser la circulation des énergies garante du maintien de notre équilibre corporel et psychique, toutes ces visualisations tirent leur pouvoir de leur caractère expérientiel

Mais, puisque les visualisations sont l'interprétation d'un discernement biaisé par le référentiel du « sentiment (inné) du moi », comment peuvent-elles être vertueuses si l'on n'a pas réalisé l'ainsité du soi de la personne ?

La motivation est essentielle. Le « pouvoir » de la visualisation (et la puissance du Vajrāyana) provient de la foi (éclairée) du pratiquant, de sa « prise de refuge » dans les Trois Joyaux, de son renoncement aux actes non vertueux causes de karman négatif, de son entraînement constant à l'éthique, à la compassion et à la sagesse... Le développement de l'esprit dans le cadre de la Bhāvanā bouddhiste puise la force et la vertu de ses pratiques d'une expérience de visualisation qui est l'expression de l'intention authentique, vaste et profonde, d'atteindre l'Éveil pour le bien de tous les êtres sensibles

Le corps de Jouissance est le fruit du Dharmakaya. Ici, l'indicible devient vision créatrice, forme symbolique spirituelle, expérience de félicité bienheureuse. C'est l'héritage que nous ont laissé par leur action dans le monde, les âmes ayant atteint l'illumination. Elles-mêmes furent l'incarnation visible de cette expérience que connaît tout homme rempli d'un tel esprit, dont lentement la forme corporelle se métamorphose à l'image de la vie intérieure LTM-13

Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།



Références :

ACC : Au cœur de la compassion, commentaire des 37 pratiques des bodhisattvas Dilgo Khyensté https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/154-au-coeur-de-la-compassion-ebook-format-pdf-9782916915814.html?search_query=Au+coeur+de+la+compassion&results=34 

AEC : Audace et compassion Dilgo Khyentsé https://www.padmakara.com/fr/ebooks-livres/160-audace-et-compassion-ebook-format-pdf-9782916915876.html?search_query=audace+et+compassion&results=28 

DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html 

ESBT : Alexandra David Neel - Les enseignements secrets des bouddhistes tibétains https://archive.org/details/AlexandraDavidNeelLesEnseignementsSecrets/page/n1 

IPP : Interdépendance, psychologique et philosophie dans la voie bouddhiste, Lama Samten https://www.centreparamita.org/gallery/view_album.php?set_albumName=album04 

LLM : La liane magique, Les hauts faits d'un boddhisattva, Kshemendra, édition Padmakara https://www.padmakara.com/ebooks-livres/188-liane-magique-la-ebook-format-pdf-9782370410030.html?search_query=La+liane+magique&results=4 

MHM : Un texte racine du Mahamoudra de la précieuse tradition Géloug/Kagyu https://www.institutvajrayogini.fr/pdf/Mahamoudra_texte_racine_A4.pdf 

MI : un monde d'illusion Comment le cerveau construit la représentation du monde ? https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/neurobiologie/un-monde-dillusions-4992.php 


[i] https://www.huffingtonpost.fr/entry/pourquoi-il-faut-apprendre-a-pardonner-selon-la-science_fr_60cc5396e4b0c101b70babe7 

[ii] https://nospensees.fr/le-lien-entre-la-patience-et-la-serotonine-selon-la-science/ 

[iii] https://www.bonheurenfleur.com/post/meditation-et-autoguerison-temoignages-maladie-de-crohn-guerison-colonne-vertebrale 

[iv] https://nospensees.fr/le-moteur-imaginaire-un-effet-surprenant/ 

[v] Comment le cerveau construit la représentation du monde ? https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/neurobiologie/un-monde-dillusions-4992.php 

[vi] Vision périphérique en noir et blanc ! https://www.fastcompany.com/90515186/dartmouth-scientists-have-discovered-how-our-brains-see-the-color-spectrum-and-its-trippy-af