I.86 – Comme de l’eau versée dans l’eau

03/10/2021

Ce que je voyez existe tel que vous le voyez ; La manière de regarder ne change pas ce que vous voyez ; Lorsque vous ne le regardez pas cela existe encore ; Il y a une réelle présence derrière ce que vous voyez ; Celui qui regarde est réel... : autant de mythes induit par l'ignorance ! Plongée au cœur de la vacuité.


Je suis la vie sans frontières,

Je ne suis jamais né, et je ne mourrai jamais.

Le vaste océan, et le ciel aux multiples

galaxies se manifestent à partir de la conscience

THICH NHAT HANH 

Au sens le plus profond - de l'école philosophique bouddhiste Mādhyamika prāsangika -, l'interdépendance signifie que les phénomènes existent seulement en tant que désignation par l'esprit. « On pourrait se demander s'il existe quelque phénomène indéterminé doté d'existence extérieure et qui serait là comme une base à la désignation. Ce n'est pas le cas. La seule chose commune est un point dans l'espace, un lieu commun, en dehors de cela il n'y a rien là dehors. Il n'y a rien au-delà de ce que le karma particulier ou commun des êtres fait apparaître à leurs yeux en ce point » EVM-337.

Explication(s). En premier lieu, dissipons toute confusion. Selon la « voie du milieu » (enseignée par le Bouddha et clarifiée par Nagarjouna)la vacuité est libre de toutes « vues extrêmes » (dont l'éternalisme et le nihilisme). Il n'y a rien là dehors n'est pas synonyme de pur néant ! La vacuité n'est pas l'absence de toute existence. Ce que vous voyez existe, mais qu'est-ce « qu'exister » ?

Selon le bouddhisme, la sensation implique trois éléments : l'objet, la faculté de percevoir, la conscience. Ainsi, pour l'œil : l'objet de la vue, la faculté visuelle, la conscience visuelle. L'œil donne à la « conscience visuelle » le pouvoir de saisir l'agrégat de la forme (couleurs, contours). Cette forme ronde, de couleur blanche et lumineuse dans le ciel, votre conscience visuelle vous dit que c'est la Lune.

En la voyant, vous vous dites naturellement que la Lune existe, là haut dans le ciel, telle que vous la voyez (et telle que vous la nommez). Mais, cherchez la « Lune » et vous ne la trouverez nulle part! La Lune n'est pas « dans le ciel », ni « dans les apparences », elle n'est pas non plus « dans votre esprit ». La Lune n'est nulle part et pourtant elle est bien là !

La première définition de l'interdépendance est que tous les phénomènes, là dehors, sont le résultat de (la coproduction de chaînes de) causes et de conditions. Rien n'existe par lui-même, tout est « vide de réalité propre », de soi intrinsèque. Ce premier niveau de sens fait de l'interdépendance le synonyme de relativité ! L'ombre projetée sur le panneau solaire résulte de l'interaction de la lumière et du bâton, lesquels proviennent elles-mêmes de causes qui viennent à leur tour d'autres causes, etc. L'interdépendance est un réseau « vaste, global et profond » sans commencement ni fin qui englobe tout ce qui existe.

Pour autant, il importe de dissiper une autre source de confusion. Le monde tel qu'il nous apparaît n'est pas un « théâtre d'ombres ». Les apparences ne sont pas une « projection » de la vacuité, telle l'ombre des objets réels sur les murs de la caverne de Platon. Réalité conventionnelle et réalité ultime ne sont pas deux « en nature », mais deux aspects d'une même nature ! La philosophie bouddhiste tibétaine parle « d'isolat » pour qualifier ce dualisme de la pensée par objet (qui réduit, sépare et oppose l'un sous les avatars du multiple) de la forme au vide, tel qu'il apparaît à l'esprit sous l'emprise du « sentiment (inné) du moi ». L'interdépendance renferme en elle la vacuité, la vacuité contient en elle l'interdépendance. L'un ne peut exister sans l'autre.

Aux fins (seulement) d'approcher l'idée de vacuité, il peut s'avérer utile lorsque nous regardons le monde qui nous entoure de visualiser l'état atomique des objets simultanément, en superposition (à l'instar de la « réalité augmentée » en informatique) à leur état relativiste. Il est ainsi possible de garder présent à l'esprit que l'aspect phénoménal est un « effet de surface » et que les apparences ne sont pas propres aux objets mais produit de causes et de conditions. De plus, imaginer le «mouvement brownien » des atomes au sein d'objets d'apparence solide et stable permet de conserver à l'esprit que tout est mouvement, non pas d'objets qui se meuvent mais d'un pur mouvement qui apparaît tels des objets...

Toutefois, opposer macroscopique et microscopique est une « fausse vue ». Que les objets tels qu'ils nous apparaissent à notre niveau soient fait d'atomes à un niveau infinitésimal ne signifie pas que ces niveaux recouvrent les termes du conventionnel et de l'ultime. D'une part, les lois et les mathématiques qui servent à décrire le monde relativiste et le monde quantique sont différentes, ce qui pose une dualité entre ces états (non encore élucidée par une théorie unifiée).

Il en est de même de la question de la « nature mathématique » de l'univers. Là aussi, il importe de ne pas y voir une dualité. Ce que nous voyons sur l'écran d'ordinateur est le résultat de lignes de code de langages de programmation. Au niveau physique, un processeur manipule des suites de 0 et de 1. Il n'y a pas d'un côté d'équations mathématiques abstraites (à l'instar du monde des Idées de Platon), de l'autre un univers physique qui en est le produit. L'isolat d'un objet est l'expression phénoménale, la manifestation physique, de l'isolat de son équation mathématique constitutive de l'autre aspect de sa nature.

Lorsque l'on examine le monde avec attention, il s'avère que, quel que soit le niveau où l'on considère les phénomènes (microcosme versus macrocosme), interdépendance et vacuité se présentent toujours dans une invariance d'échelle de la forme (au) vide et du vide (à la) forme. «La forme est vacuité. La vacuité est forme. La vacuité n'est autre que forme. La forme aussi n'est autre que vacuité » EPS-4. En tibétain, la formule ne contient pas le verbe « être » : « SOUK TONG PAO » forme vide exclut le concept de substance et donc la « vue fausse » de l'éternalisme ; «TONG PA NYI SOUK SO » vide forme, exclut l'idée qu'il n'y a rien là dehors, c.à.d. la « vue fausse » du nihilisme.

L'enseignement dans lequel le Bouddha dit que tout n'est qu'esprit n'est pas de sens définitif, mais vise à détruire des vues fausses EVM-466

La Lune que l'on voit « là dehors » est le résultat de causes (entre autres liées à la formation des planètes du système solaire). Hors de cet enchaînement sans commencement, la Lune ne pourrait pas exister « d'elle-même » (y compris dans les religions théistes, la Lune n'existe pas de son propre fait). C'est une forme vide - vide n'est pas un verbe - et ce vide est constitutif de sa forme.

Tous les phénomènes sont à la fois un résultat et un combinat : résultat de « chaînes de coproduction conditionnées », dont les maillons sont constitués de causes et d'effets qui se succèdent en apparitions et disparitions ; combinat de causes et de conditions imbriquées. Un phénomène n'est qu'un point vide de substance dans un espace-temps vide de réalité propre. Son « existence » est l'expression phénoménale d'une conjonction de causes et de conditions interdépendantes dont la « base de désignation » est vide ! « Nés de causes et de conditions, les trois mondes sont des phénomènes composés. Leur vacuité d'eux-mêmes fut enseignée sous l'appellation de vacuité des composés » EVM-328.

Résumons ce premier niveau de sens de l'interdépendance. Il y a quelque chose là-dehors (hors de l'esprit) qui dépend pour exister de causes et de conditions dans une relativité constitutive d'une « base de désignation ». Le terme désignation a ici le sens d'interaction, et fait référence au réseau de causes et de conditions qui constitue la toile du réel. « Ce qui apparaît en dépendance, Voici ce que nous appelons vacuité. C'est une désignation dépendante, c'est la voie du milieu. Il n'existe rien qui ne soit [pas] produit en dépendance, Il n'existe donc aucun phénomène qui ne soit [pas] vacuité » VMM-82.

Comment le monde apparaît-il aux êtres qui réalisent la vacuité ? Quel mode de perception ont-ils du réel ? Accéder à l'état d'ārya (du Mahāyāna) implique-t-il de développer des consciences extra-sensorielles tels des « superpouvoirs » grâce auxquels il leur est possible de « voir la réalité cachée » ?

Ce qui est perçu est ce qui peut être conçu. Notre perception est relative à notre capacité de discernement. La « saisie du soi » ne recouvre pas seulement le sens de « sentiment (inné) du moi», c'est un mode de cognition qui conditionne la manière dont nous percevons la réalité. Notre esprit voilé nous fait percevoir les choses comme existant intrinsèquement alors que leur nature est insubstantielle. Toutefois, la saisie de la vacuité n'est pas du même ordre que la perception du relatif. Saisir le vide de la forme ne consiste pas à inverser la perspective de ce que l'on voit comme pour démasquer une illusion d'optique. Voir une forme entre des contours délimitant un vide matériel est une illusion d'optique (qui relève de la perception « amodale »). Voir la vacuité de la forme comme un objet est une vue substantialiste, mais nier son ainsité est une vue nihiliste !

Dans cette autre image, du point de vue de la réalité conventionnelle (ce qui est perçu et de la manière dont cela est perçu), il est juste de dire que ces boules de billard sont des objets indépendant (phénomènes composés), existant en propre, entourés d'un espace lui-même réel (phénomène non-composé). Mais, du point de vue de la réalité ultime, postuler leur existence autonome est une vue erronée. Il n'y a ni objet ni espace intrinsèques (substantialisme), mais il n'y a pas non plus rien là dehors (nihilisme). Leur nature est vacuité. Contenant et contenu n'ont d'existence relative qu'en raison de leur interdépendance.

Les caractéristiques de ces boules de billard (rotondité, couleur, numéro, position) sont le résultat d'un enchaînement de causes et de conditions invisibles sur cette image. Du point de vue relatif, nous voyons ces objets comme des points dans l'espace dotés de propriétés matérielles singulières. Mais, nous ne voyons pas (dans cette image) la succession de causes qui les a amenés là, dans cette position. Perceptible dans les phénomènes en tant qu'ils en sont l'expression résultante, l'interdépendance est invisible dans la relativité de leur référentiel.

Il faut user d'adjuvant, comme dans cette autre image, pour le réaliser. Là où la « saisie du soi » voit des points matériels, la cognition éclairée par la vue de l'interdépendance saisit l'intersection de lignes de causalité. Toutefois, là encore, voir des sphères reliées par des lignes lumineuses entrecoupées de vide est une perception tout aussi illusionnée que de voir ces espaces vides comme « plein » à l'instar des pièces d'un puzzle ! Comprendre la relativité des phénomènes, leur aspect conventionnel, c'est réaliser qu'en termes ultimes, ni ces lignes ni leur entrecroisement n'ont elles-mêmes de réalité intrinsèque...

Lorsque l'on déplace la focale de notre compréhension pour « lire entre les lignes », tous les phénomènes s'avèrent dépourvus de réalité substantielle et se révèle n'avoir d'existence que du fait de leur interdépendance. Ce qui est perçu comme « vide de réalité propre » (vacuité) est donc ce qui peut être conçu en interdépendance de causes et de conditions.

Autrement dit, la « saisie du soi » émerge de l'ignorance du non-soi. Ce que nous percevons sous les catégories de l'espace et du temps est une vue en abstraction de la vacuité. Lorsque l'on réalise ce que signifie véritablement l'interdépendance, il n'est plus possible de voir l'un indépendamment du tout. Chaque phénomène se révèle à l'intersection de « chaînes de coproduction conditionnées » sans commencement ni fin, dont la toile constitue un réseau «global, vaste et profond » qui embrasse la totalité du réel. Et lorsque l'on réalise que la relativité elle-même est vide (« vacuité de la vacuité »), il n'y a plus alors ni parties ni tout, ni toile, ni réseau, ni objets qui se meuvent, ni mouvement...

Là où la conscience visuelle subjuguée par la « saisie du soi » voit une forme dans les contours délimitant un vide, l'esprit éclairé saisit le vide de la forme. Là où la conscience auditive perçoit des sons, l'esprit éclairé saisit la vacuité de l'air et de ses déplacements. Là où la conscience mentale éprouve la sensation de l'espace comme réel, l'esprit éclairé saisit la vacuité de l'expérience subjective. Là où « la vue de l'ensemble périssable » apparaît comme le soi de la personne, l'esprit éclairé saisit la vacuité des cinq agrégats. Mais, c'est dans le rapport aux autres que la vue de la vacuité est la plus significative, car elle résonne du sens de la loi de causalité du karman et du renoncement aux actes non vertueux.

Du fait de sa forme unique, chaque pièce du puzzle ne peut s'assembler qu'avec les pièces adjacentes, mais de proche en proche toutes sont reliées à l'ensemble qui donne sens à chacune d'elle ! « Nous sommes de la poussière d'étoiles, nous sommes biologiquement connectés à n'importe quel être en vie, nous sommes des êtres à l'énergie invisible qui vibre, des entités unies à tout ce qui existe[i] ».

D'où l'importance de ne pas nuire ! Des récalcitrants aux gestes barrières dès les premières heures de la pandémie de COVID-19 aux anti-vaccins, c'est la même vue égocentrée qui contribue à propager la contagion et à empêcher d'atteindre à l'immunité collective. Si l'on considère la société comme un puzzle où chaque personne est une pièce formatée, il n'est pas surprenant que l'on s'enchaîne au désir-attachement pour les personnes proches, à l'aversion et à l'indifférence au sort des autres et de l'humanité. Notre plus grand ennemi est nous-mêmes !

Prisonniers dans les filets du samsāra depuis des temps sans commencement, impulsés à l'existence par nos karman négatifs, nous sommes le jouet de nos émotions perturbatrices qui nous entraînent, sous l'emprise de la saisie innée du soi, à rechercher ce qui nous plait et à nous éloigner de ce qui nous déplaît. Nous enclavons notre vue aux pièces qui nous entoure, alors qu'il nous suffit de nous mettre à leur place pour élargir notre perspective et voir le puzzle ! En nous échangeant ainsi de proche en proche, nous prenons conscience de notre interdépendance et, si ce n'est d'agir avec bienveillance et compassion, du moins de l'importance de ne pas nuire. «Nous faisons partie d'une même essence. Concevoir cette connexion peut nous aider à comprendre l'importance du bien. Tout ce que nous faisons aura un impact sur l'Univers et celui-ci nous le rendra[ii] ».

Cette ignorance qui fait de nous notre plus grand ennemi est la vue dont nous avons conscience. Le second niveau de sens de l'interdépendance s'attache à la connaissance de ce qu'il y a là dehors. La philosophie bouddhiste expose de façon profonde dans les enseignements sur la vacuité que la réalité telle que nous la voyons (les apparences phénoménales) n'est pas la réalité telle qu'elle est (sa nature véritable et ultime). Et pourtant, la psychologie bouddhiste pose que la connaissance que l'esprit a des phénomènes est en lien direct avec les consciences sensorielles, la conscience mentale et les facteurs mentaux.

« Lien direct » ne veut toutefois pas dire que ce dont nous avons conscience est cela qui est perçu, mais que la manière dont nous concevons le monde est conditionné par l'activité des « cinq agrégats » : la forme (le corps) établit un contact avec les phénomènes ; la sensation (l'œil) de par son pouvoir perçoit une information sensorielle ; la discrimination (la conscience visuelle) de par sa faculté l'identifie ; les formations de par nos empreintes karmiques leurs octroient un caractère (agréable ou désagréable, bon ou mal, juste ou injuste, etc.) qui nourrit nos émotions perturbatrices, nous entraîne a commettre des actes nuisibles aux autres, avec pour conséquence d'engendrer de nouveaux karman projectifs dans une autre existence, et ainsi de suite. 

Comme dans le rêve, tout ce que nous voyons en temps de veille provient de nos tendances habituelles. Au moment où ces objets émergent de nos tendances, ils apparaissent sous forme de maison, de montagne, d'arbre, etc. 

Le problème, c'est que nous croyons qu'ils existent réellement, séparés de nous et à partir de cette croyance, nous cultivons l'esprit d'attachement, l'espoir et la peur, et tout ce qui s'ensuit EVM-189

Pour l'école philosophique Cittramātra, que les phénomènes « émergent de nos tendances » karmiques comme si la réalité dans laquelle nous évoluons était la manifestation de nos pensées (de désir-attachement, aversion, etc.) s'interprète comme le fait qu'il n'y a rien là dehors, hormis «l'esprit seul », c.à.d. que seul l'esprit est réel, ce pour quoi il est la « base de désignation » des phénomènes.

Pour l'école Mādhyamika Prāsangika - dont la vue philosophique de la vacuité est la plus profonde -, l'expression des phénomènes en dépendance (de la base de désignation) de l'esprit n'est pas contradictoire avec l'existence d'une réalité là dehors. « Les différents types d'êtres perçoivent un objet différent à partir d'une base commune, certains voient l'eau comme du pus, d'autres comme du métal fondu (...) ceci est le fait de leurs schémas de pensée habituels » EVM-331.

Dans un univers où il n'y aurait aucun être sensible, la« base de désignation » des phénomènes devrait être l'interdépendance, or la relativité n'est pas une réalité en soi (« vacuité de la vacuité ») ! Dans un univers fait de « l'esprit seul », l'eau n'apparaîtrait pas seulement sous autant de formes qu'il y aurait d'esprits relativement à leurs capacités de cognition, elle existerait littéralement sous ces formes puisque « existence » et « pensée de l'existence » ne feraient qu'un !

Dans un univers où les phénomènes posséderaient une essence nouménale, l'eau apparaîtrait telle qu'elle est à tout observateur capable de la saisir. Or, la connaissance est relative au connaisseur. La présence de l'esprit induit qu'il ne peut y avoir de substance qui existe en soi, ni de substance qui existe simultanément sous de multiples formes matérielles ! De fait, il y a quelque chose là dehors qui pour le connaisseur « existe » en dépendance de son esprit.

En somme, voir un serpent en rêve et se retrouver face à un serpent lorsque l'on est réveillé, rêver d'un loup qui hurle sous la Lune et entendre un loup hurler une nuit de pleine Lune, c'est la même chose pour les Cittramātrin, mais pas pour les Prāsangika ! Ce qui est commun, c'est de croire en «l'existence réelle » des phénomènes, quelques soient leurs modalités de perception.

Or, il y a un paradoxe à parler de ce qu'il y a là dehors comme s'il nous était possible de qualifier sa nature intrinsèque dans un langage dans lequel la « réalité de l'existence » se confond avec celle de la pensée qui la conçoit ! En voulant décrire des phénomènes extérieurs dans un langage intérieur, nous ne faisons que mettre des mots sur des pensées, et non des mots sur ce qu'il y a là dehors. Hors de l'esprit, qu'est-ce que signifie « exister » et « être réel » ?

L'esprit occidental, façonné par le réalisme de l'atomisme grec et l'éternalisme de la croyance judéo-chrétienne d'un Dieu créateur, conçoit « l'existence » comme une réalité indépendante de l'esprit. Pour la pensée aristotélicienne, « un point dans l'espace » est une réalité intrinsèque (« la carte est le territoire[iii] »). Nous ne voyons pas que ce postulat est établi sur la base de désignation de l'esprit. Dire que ce qu'il y a là dehors « existe réellement » est une simple désignation !

Le langage est une bulle. Rien ne peut y entrer, rien ne peut en sortir. Tout ce dont nous parlons n'est que du langage et nous ne pouvons nous référer à rien d'autre quand nous nous servons du langage, si ce n'est au langage lui-même. 

Ce qui signifie que ce qui est à l'extérieur, comme les phénomènes, reste hors d'atteinte. C'est probablement la raison pour laquelle nous parlons de shunyata en termes négatifs : ce n'est pas ceci, ce n'est pas cela EVM-343

Le langage mathématique est-il mieux à même d'établir une distinction entre ce que Kant distingue en tant que noumène et phénomène ? 

Non, car la pensée est un référentiel constitué par les catégories de l'espace (état, lieu, apparence) et du temps (naissance, durée, cessation). « L'espace et le temps [formes a priori de la sensibilité] constituent les conditions de toute expérience physique, mais aussi de toute construction mathématique[iv] ».

La forme sous laquelle nous apparaît ce qu'il y a là dehors, la perception que nous en avons, la cognition qu'il nous est possible d'en établir, tout cela est relatif au cadre de représentation de notre esprit. Notre pensée est le reflet d'un mode de cognition commun aux membres de notre espèce. Elle diffère entre les différentes catégories d'êtres migrateurs du samsāra. S'explique ainsi qu'un même phénomène, là dehors, puisse être perçu de manière différente selon l'observateur, comme l'eau tel du pus par les êtres avides, de l'eau pour les hommes, de l'or fondu pour les dieux, etc. Seuls les ārya, parce qu'ils ont réalisé la vacuité, voit l'ainsité de ce que nous désignons comme « l'eau ».

Pour l'homme, « la saisie du soi » s'est établie en mode de pensée par objet. Le monde nous apparaît peuplés d'objets indépendants, existant intrinsèquement, dont les apparences sont le reflet de propriétés leur appartenant en propre. Cette représentation repose sur une interprétation de la substantialité des phénomènes basée sur le « sentiment inné du moi » qui fait s'éprouver l'esprit comme existant lui-même de manière entitaire et immanente.

La façon dont nous percevons le monde est une projection, une fabrication de notre esprit et est spécifique à chacun. Notre manière de percevoir le monde est le résultat de l'ensembles des karmas accumulés pendant d'innombrables vies, un reflet des expériences karmiques qu'a traversées notre conscience au fil de nos innombrables vies.

108 Perles de sagesse du Dalaï Lama.

Notre cognition est également conditionnée, individuellement, par les voiles qui recouvrent notre esprit et déterminent notre capacité de comprendre la vacuité. Ce qui est perçu est ce qui peut être conçu. « Doit-on défendre la théorie que les êtres voient les choses différemment en raison de leurs habitudes karmiques, source de différentes perceptions ? Tant qu'il s'agit d'un objet perçu par un être en proie à l'illusion, c'est la vérité relative, et vous n'êtes pas vraiment obligé d'être d'accord avec la vérité conventionnelle présentée par Chandrakirti, dans la mesure où elle ne sert qu'à établir la vacuité » EVM-362.

Combinées, ces deux causes produisent d'énormes différences entre les êtres migrateurs quant à leur discernement de la « réalité ». Pour l'écholocalisation par infrasons des chauves-souris, la Lune n'existe tout simplement pas ! Le sens qu'elle revêt pour les loups nous est étranger. Différentes catégories d'êtres sensibles, différents modes de perception, différentes formes de représentation, différentes manières de connaître, toutes relatives à des modalités de cognition façonnées par l'évolution dans le sillage tracé par les empreintes karmiques de l'esprit. Dans de telles conditions de relativité, comment pouvons-nous prétendre à la connaissance de la réalité telle qu'elle est ?

Sous l'égide de « la saisie du soi », nous croyons que connaître est le résultat de la mise en présence d'un connaissable et d'un connaisseur sans nous interroger quant à la question de savoir si cela que l'on perçoit peut être connu sous les capacités actuelles de notre esprit. Nous ignorons même ce « qu'être conscient » signifie sans même voir que nous prenons sa vue biaisée pour vraie !

Le sentiment (implicite) d'être un connaisseur n'a pas seulement pour effet de nous croire capables de connaître, naturellement, la « réalité », l'ignorance a pour effet pernicieux de nous faire croire que ce qui relève de l'ordre d'une désignation par l'esprit possède une existence « réelle » ! Poser les yeux sur une chose nous suffit pour affirmer qu'elle existe véritablement là dehors, comme si cela avait pour effet de la rendre « réelle » ! En vérité, le monde phénoménal est une vue de l'esprit, factice en sa forme (les objets sont une représentation mentale), frauduleuse en sa teneur (« les apparences sont le produit de notre esprit »), dissimulatrice en sa nature (l'aspect conventionnel masque l'ultime).

L'on rétorquera que pour rêver d'une chose, il faut l'avoir déjà vu ! Si au réveil, nous voyions la Lune dans le ciel identique à la Lune dont nous avons rêvé sans jamais l'avoir vu auparavant, c'est soit que nous rêvons encore, soit que cet objet dans le ciel est le produit de notre imagination ! Comment pourrions-nous avoir sensoriellement conscience d'un monde extérieur sans contact avec lui ? Même si l'école Mādhyamika Svatantrika adhère à la vision du Mādhyamika Prāsangika, elle postule l'existence d'une essence infra-subtile des phénomènes. Sans quoi comment pourrions-nous différencier les choses entre elles ?

L'intime conviction éprouvée dans les états d'absorption méditative profonde en l'absence de tout objet réel contredit cette affirmation. Le rêve également. L'esprit n'est pas une entité intrinsèque et autonome, spectatrice du « théâtre cartésien » de la conscience. L'esprit est un courant formé de «moments de conscience ». Ce qui apparaît en rêve fait partie de l'esprit du rêveur, et pourtant nous le voyons comme s'il s'agissait d'une chose distincte et indépendante du rêveur !

Nagarjuna illustre ses enseignements sur la vacuité de métaphores qui traduisent l'intrication de l'interdépendance au profond dans l'éphémère de l'impermanence. « Les Dharma sont pareils à une magie, à un mirage, à la lune réfléchie sur l'eau, à l'espace, à un écho, à un rêve, à une ombre, à un reflet dans un miroir, à une création » TGSV1-384. Les neurosciences révèlent petit à petit le caractère composite de l'expérience consciente à la compréhension du fonctionnement de l'esprit. « Quand l'émotion vous envahit, quand vous sentez battre votre cœur, vous ne le sentez pas dans votre poitrine, mais dans votre tête. Vous ne ressentez rien dans votre corps, tout ce que vous ressentez est dans votre cerveau[v] ».

Nos sensations physiques, physiologiques (plaisirs et douleurs), organiques (proprioceptives), mentales, émotionnelles (au sens psychologique), sont des créations de l'esprit, projetées sur le miroir des agrégats tels des reflets en trompe-l'œil de processus sibyllins, ressentir qui semblent se situer « là où » ils sont éprouvés telles les ombres sur les murs de la caverne de Platon prises pour leurs objets, « simulations virtuelles » émulées par le connaisseur comme un rêve et vécues comme une réalité propre, échos de l'esprit que la densité fait paraître tangible à sa conscience, espace sans contenant...

Un schéma de fonctionnement de notre « instrument de cognition » qui fait écho à un niveau plus profond encore si l'on en croit « la théorie des cordes[vi] » - visant l'unification de la théorie de la relativité et la mécanique quantique - qui postule que l'état fondamental de la nature serait fait de « cordes » microscopiques. Ce qui se présente à une extrémité sous l'apparence de particules serait le fruit d'un mirage émulé par les vibrations de ces cordes à l'autre extrémité... comme l'eau réfléchit au niveau infinitésimal les longues d'ondes de la lumière qui l'éclairent !

Si nos sensations n'ont d'existence qu'en tant que « reflets » - si notre corps est l'expression phénoménale de l'onde de « Claire lumière » de l'esprit -, pourquoi le monde ne serait-il pas le reflet de « la base de désignation » de l'esprit ?

Le monde tel que nous le voyons n'est le monde tel qu'il est. Cette croyance implicite, inhérente au fait de conscience, est une illusion du « sens commun » à laquelle l'esprit, dans son ignorance, souscrit naïvement. Ce dont nous avons conscience à chaque instant, cette supposée perception de la réalité, est en fait l'expérience intérieure d'une construction mentale !

Nos sens ne donnent pas à nos « consciences sensorielles » le pouvoir de saisir les phénomènes. L'œil ne perçoit pas les couleurs, ni l'oreille les sons. Ils captent des ondes lumineuses, des ondes sonores qui sont transmises au cerveau pour y être traduites et interprétées dans son langage «propre ». « Vous ne voyez pas avec vos yeux, vous n'entendez pas avec vos oreilles, vous ne sentez pas avec votre peau : vous le faites avec votre cerveau, qui combine ce qui est dans votre tête et les données sensorielles détectées par vos organes[vii] ».

En l'absence de traitements computationnels ad hoc, les données brutes fournies de nos sens sont incompréhensibles ! A quel moment avons-nous conscience du goût d'un aliment ? Lorsqu'il entre en contact avec notre langue, avec notre « conscience sensorielle » ? Une telle question ne fait pas sens du point de vue neuroscientifique (nonobstant son présupposé de la réalité de la chose perçue). Les aliments n'ont aucun goût tant que le cerveau n'en a pas traité l'information, c.à.d. tant qu'il n'a pas construit une « simulation mentale » qui en rend son objet compréhensible. Ce dont nous avons conscience est une simulation sous la « phénoménologie de notre esprit ». La conscience n'est pas connaissance d'un connaissable par un connaisseur, c'est une construction interprétée ! En réalité ultime, il n'y a ni extérieur ni intérieur, ni objet, ni sujet...

A l'instar de toute technologique suffisamment avancée qui est indiscernable de la magie (en regard d'esprits dont la capacité de discernement est, elle-même, insuffisamment développée), toute perception sensorielle ressentie comme un contact avec un monde extérieur existant réellement est indiscernable de l'activité fonctionnelle de la conscience projetée là où il est ressenti !

Nous distinguons notre corps de son reflet. Du point de vue perceptif, il n'y a pas de différence avec un serpent vu en rêve. Nous les discriminons par leur forme, caractère, aspect, apparition, présence, disparition, relativement aux catégories a priori de l'espace et du temps qui servent de référentiel à la pensée consciente.

Les tentants de la thèse de « l'esprit seul » considèrent comme totalement fondé le fait qu'il n'y ait là dehors quoi que ce soit de « réel » à condition... qu'il y ait là dedans quelque chose de « réel » ! La « chaîne de coproduction conditionnée » dont est issue le reflet de notre corps (la lumière qui éclaire nos agrégats devant un miroir) est un mirage produit par l'esprit mais pour les Cittrāmatrins l'esprit, lui, est indéniablement réel. Pour les Mādhyamika Prāsangika, ce n'est pas le cas !

La conscience de soi n'est pas l'aperception d'un Soi intrinsèque (immanent et transcendant)tel que le conçoivent les courants philosophiques du Védanta, du Yoga et les religions théistes. Être conscient de soi est une « expérience épi-phénoménologique » (phénoménologique comme «expérience vécue par un sujet[viii] », épiphénomène au sens « d'apparence particulière d'un phénomène sous-jacent et non une manifestation possédant une réalité indépendante[ix] »).

Cela ne veut pas dire que ni le monde ni l'esprit n'ont d'existence. Ils sont sans « réalité propre ». Leur nature est vacuité, leur manifestation le produit de causes et de conditions interdépendantes combinées en un flux duquel émerge un sentiment de cohérence sous l'émulation du connaisseur de l'esprit. Ce dont nous avons conscience (la forme sous laquelle apparaît ce qu'il y a là dehors) est une représentation synthétique produite par un esprit qui est lui-même un combinat synthétique de causes et de conditions.

Non seulement le monde tel que nous le percevons est une élaboration mentale, mais les briques de construction (les percepts sensoriels) utilisés pour l'édifier sont en part moindre du travail de complétion qu'il est nécessaire d'accomplir pour donner un sens phénoménologique à ces données, et pour en compenser les manques... 

Comment se construit notre représentation du monde ?

Nos cinq sens (la vue, l'ouïe, le toucher, l'odorat, le goût), ou cinq « consciences sensorielles » selon la philosophie bouddhiste tibétaine, après un premier niveau de traitement, transmettent au cerveau les signaux bruts captés par les organes sensoriels auxquels ils sont couplés - un sens interne, la proprioception, recueille des informations qui nous donnent la conscience de la position de notre corps dans l'espace, en repos et en mouvement -. A ces « fournisseurs de données » s'ajoutent un processus qui complète les blancs par extrapolation (les données non captées par les organes sensoriels), la « conscience amodale ».

Si le monde tel qu'il nous apparaît était le monde tel qu'il est, nous aurions un problème, le monde n'aurait qu'un côté ! Nous ne voyons pas la face cachée de la Lune, ni celle des objets du quotidien. Pourtant, le monde apparaît en trois dimensions ! Si le sens du volume ne vient pas de notre perception, comment nos consciences (sensorielles et mentale) nous en donnent-elles la connaissance ?

La fonction amodale est le mécanisme qui façonne l'image du monde dont nous avons conscience. « La structure spatiale, qui est notre expérience amodale du monde, est le terrain d'entente qui unit toutes les expériences sensorielles dans une représentation structurelle indépendante de la modalité, et cette structure amodale représente notre compréhension perceptive et cognitive du monde[x] ».

Ce que nous voyons ne peut donc pas être une « perception directe » d'un monde existant réellement sans quoi elle serait approximative et incomplète. Pour autant, que nos « consciences sensorielles » recueillent des informations quant à ce qu'il y a là dehors signifie que cet extérieur n'est pas une simple hypothèse. Si l'esprit, seul, était réel ne lui suffirait-il pas simplement d'inventer ?

Que nous soyons parfois trompés par nos sens semble être la conséquence du caractère imparfait de notre capacité de représentation - à l'instar de la réplication d'un virus qui engendre des mutations -. Mais, que les illusions d'optique viennent de l'incapacité du cerveau à choisir entre des points de vues contraires (comme de savoir si une image est en relief ou en creux), témoigne d'autre chose.

L'élément essentiel dans le processus d'édification de la représentation mentale du monde n'est pas son caractère « synthétique », fruit d'un travail collaboratif entre les organes, fonctions et aires cérébrales spécialisées dans le traitement de l'information sensorielle, et dont la « conscience mentale » éprouve l'expérience épiphénoménologique, mais son caractère concurrentiel !

L'image ci-dessus peut s'interpréter de plusieurs manières : des poutres vues d'en-dessous qui s'élèvent vers le ciel ; des poutres disposées de telle manière à former une structure carrée qui encadre le ciel ; un ciel en forme de croix délimité par des poutres qui bornes ses contours. Sous ces deux perspectives, la vue modale de la forme (autour) du vide est concurrentielle de la vue amodale du vide (entouré) de la forme. Cette illusion reflète à la fois l'activité des processus sous-jacents à l'œuvre dans la conscience et témoigne de la divergence de postulats prédictifs de perceptions qui influencent notre manière de concevoir le monde !

Pour le « sens commun » (du point de vue évolutionniste), la manière dont nous percevons le réel détermine la manière dont nous le concevons. Mais, dans la perspective karmique, c'est l'inverse ! Ce qui est perçu est ce qui peut être conçu. Les êtres sensibles sont en capacité de percevoir le monde sous les modalités sensorielles concurrentes sous lesquelles il leur apparaît du fait de leur capacités cognitives et intellectuelles. Nous n'avons tout simplement pas conscience de ce que nous ne pouvons pas concevoir ! Preuve en est la vacuité.

D'où vient ce déterminisme ? De l'habitude qui grave dans notre « continuum de conscience » de profondes empreintes karmiques sous l'emprise du « sentiment (inné) du moi », lesquelles nous maintiennent dans le samsāra. L'avidité et l'avarice imprègnent si profondément l'esprits des preta qu'elles façonnent leur mode d'appréhension de sorte à leur faire percevoir (la nature de) l'eau comme du pus ou du sang. « Au moment où ces objets émergent de nos tendances, ils apparaissent sous forme de maison, de montagne, d'arbre, etc. Le problème c'est que nous croyons qu'ils existent réellement, séparés de nous » EVM-189.

Le mode de perception de la consciente (multimodale) est en lien direct avec les « vues extrêmes » : la vue qui conçoit « la production des phénomènes à partir d'eux-mêmes » (l'être) instille la perception modale de la forme ; la vue qui conçoit « la production d'un phénomène à partir d'un autre » (le non-être), la perception modale du néant ; la vue qui conçoit « la production d'un phénomène à partir des deux » (l'être et le non-être), la perception amodale d'un vide vu comme substantiel (l'être du non-être) ; la vue d'une « production sans cause » (ni être ni non-être), l'indécision entre une perception modale ou amodale.

Pour le Cittrāmatra, ce qui est perçu est distinct de ce qui perçoit de par sa forme, mais indivisible en nature, la base de désignation de l'esprit. Pour le Mādhyamika Prāsangika, ce qu'il y a là-dehors est en nature différent de ce qu'il y a là-dedans. L'approche neuroscientifique permet de préciser que ce dont nous avons conscience n'est pas ce qui est perçu, mais sa représentation (« la structure spatiale qui est notre expérience amodale du monde »), autre manière d'exprimer que les phénomènes existent simplement en désignation de l'esprit.

Pour le sens commun, la conscience (du latin « cum scienta », sentir avec) est la sensation de soi. La sensation du monde s'accompagne de la croyance implicite en sa réalité, en lien avec l'aperception implicite de notre propre existence sous la saisie du soi. Sous cette dualité, la perception apparaît comme la connaissance d'un soi extérieur par un soi intérieur, tacitement admis comme réels. 

Ce qui s'élève en dépendance est depuis toujours vide et dénué de nature inhérente. Les choses, cependant, apparaissent comme existantes en soi EBSI

Ce dont nous avons conscience, ce n'est pas d'un monde qui existerait là-dehors tel que nous le percevons. Ce que nous appelons conscience est l'expérience d'une représentation phénoménologique éprouvée comme étant celle d'un objet, qui entraîne l'émulation d'un sujet à sa perception multimodale. Une expérience qui ne se vit pas dans l'évidence de ce qu'elle est, mais dans l'intime conviction de la réalité du connaissable via l'intime conviction de la réalité de son connaisseur. « C'est difficile à comprendre mais vous ne ressentez rien dans votre corps, tout ce que vous ressentez est dans votre cerveau (...) La douleur, la joie... tout, car le cerveau est celui qui écrit l'histoire, c'est le narrateur [xi] ».

Un ordinateur n'a nul besoin d'être conscient pour effectuer des calculs. Savoir que 1 + 1 = 2 n'instille pas en nous l'intime conviction de la validité de son résultat, et ne le requiert pas pour déterminer si elle est juste. A contrario, pour réagir à une situation, nous devons choisir le meilleur comportement à adopter, le moyen idéal étant pouvoir en simuler préalablement le résultat à l'aide d'un agent...

Dans cette approche fonctionnaliste de la conscience, le cerveau construit une représentation mentale qui fait sens quant « à ce qu'il y a là-dehors » à partir de données sensorielles brutes. Pour optimiser son fonctionnement, le cerveau se serait développé de manière à répartir le traitement des tâches entre ses aires cérébrales. Dans une économie de moyens et afin de renforcer les chances de survie de l'individu et donc de l'espèce, chaque aire formulerait une interprétation de ce qui est perçu via le filtre cognitif de « vues conceptuelles » concurrentes, conditionnant en retour la manière dont l'agent perçoit le monde.

Toutefois, l'analyse comparative de ces scénarios rivaux (visant à décider lequel est le plus pertinente) eut certainement été trop gourmande en énergie, obligeant à évaluer chaque paramètre à l'ensemble des possibles. Ce serait comme de suivre un film dans lequel plusieurs versions d'une même histoire se déroulent à la fois, à des époques et des lieux différents, et où la mentalité des protagonistes évolue elle aussi, le tout s'entrecroisant dans une spirale vertigineuse !

L'évolution aurait trouvé un moyen de discrimination plus simple, le sentiment « d'intime conviction» instillé par la simulation mentale virtuelle de l'expérience de cette « représentation multimodale ». Et, sous le fait de conscience de l'acte aurait alors émergé conjointement... la conscience d'un agent !

La philosophie bouddhiste tibétaine réfute l'existence d'un « soi » (l'ātman hindou ou l'âme des religions théistes), existant intrinsèquement. Ce que la théorie de « l'agent façonné par l'expérience» nous montre, c'est que le sentiment du moi, qui nous fait nous éprouver comme un sujet (agent autonome doué de libre-arbitre qui fait l'expérience du monde, agit et accumule un karman projectif dans d'autres vies), masque l'émergence de la conscience à partir de « vues concurrentielles », fondatrices de la représentation multimodale du monde, dont l'expérience mentale virtuelle entraîne l'émulation d'un sujet conscient à l'instillation du sentiment d'intime conviction induit par ladite expérience...

Lorsque nous voyons une goutte de rosée, la saisie de sa forme, de son état, de son apparence, nous fait croire qu'elle existe, là-dehors, telle que perçue. En fait, ce dont nous avons conscience n'est pas la connaissance d'un objet extérieur, mais une « expérience phénoménologique ». Celle-ci procède (du point de vue mondain) du filtre d'une cognition forgée par les catégories a priori de l'espace et du temps, dont notre perception reflète (du point de vue karmique) la « conception multimodale » d'un référentiel de pensée façonné par nos voiles.

Nous ne percevons pas la chaîne de causes et de conditions qui origine la rosée. Nous ne la voyons pas se former, nous la voyons déjà formée (lorsque ses gouttes deviennent visibles), puis s'évaporer sans raison apparente c.à.d. sans voir que sa disparition est, elle aussi, la manifestation de causes. Nous ne percevons pas que la rosée, comme la neige, est l'expression phénoménale de l'interdépendance (la forme du vide). Nous sommes seulement conscients de ce que nos voiles nous permettent de nous représenter quant à sa phénoménalité.

Nous ne voyons pas la vapeur d'eau se condenser pour former des gouttes d'eau, nous sommes seulement conscients de la rosée sur les feuilles, qui s'écoule et tombe sur le sol qui l'absorbe. A l'instar, nous nous percevons « conscients » et nous éprouvons « sujet » comme si nous l'étions, réellement ! Nous ne songeons même pas que ce puisse être du fait du caractère implicite de cette saisie, et du sentiment d'intime conviction qui accompagne son expérience (laquelle nous fait croire fondé la réalité de son objet), qui nous instille cette impression... 

Comment pouvons-nous le réaliser ? Pouvons-nous faire l'expérience que notre conscience est la « condensation phénoménologique » d'une représentation mentale ?

La sagesse qui réalise le non-soi de la personne se développe par la pratique de la « méditation analytique », dont la méthode consiste à rechercher le « soi » (à s'interroger sur sa réalité) jusqu'à constater l'impossibilité de le trouver nulle part. La « vision supérieure » procède de l'analytique du soi dans sa conception philosophique(entité unitaire, intrinsèque et immanente), mais surtout plus prosaïquement de l'analytique de l'expérience du « sentiment (inné) du moi ». Il s'agit de saisir la phénoménologie mentale de l'illusion qui nous fait nous sentir « moi » à partir de l'émulation d'une vue virtuelle (interprétée sur « la base de désignation » de l'esprit) de ce qu'il y a là-dehors, de l'objet de laquelle émerge le sentiment conscient (cum scienta) d'en être le sujet.

Si nous observons attentivement le sentiment du moi, nous verrons qu'il émerge « de notre propre expérience (...) comme ce moi indépendant qui est l'objet conçu de la vue de l'assemblage transitoire. En observant de cette manière, nous allons obtenir une image générique du moi intrinsèquement existant » CCE-135.

  • J'inspire lentement, j'expire lentement... Assis en posture de méditation, j'observe l'espace modal autour de moi. Une vue se forme. J'y concentre la focale de mon attention. Je m'absorbe dans cette « image générique » de l'espace. Je me laisse inspirer par les impressions qu'elles me renvoient... Cette m'instille l'impression d'une existence propre : indépendance de la pièce où je me trouve, simple enveloppe qui entoure l'espace sans le borner ; indépendante de mon esprit qui le saisit « comme si » il existait intrinsèquement. C'est comme si ma conscience mentale pouvait toucher l'espace... 
  • Mais, comment puis-je avoir la « sensation » de ce avec quoi je ne peux physiquement pas entrer en contact ?

L'espace n'est qu'un nom et non un Dharma réel (...) toujours pur par nature (...) sans début, milieu, ni fin (...) il n'a pas de caractère spécifique (...) l'espace n'existe pas antérieurement au caractère de l'espace (l'absence d'obstacle), car il devrait être sans caractère s'il existait antérieurement à son caractère TVGS-34

Si l'espace est non-né sa perception est impossible ! Ce dont j'ai la sensation, c'est d'un lieu, d'une étendue, dans lesquels les objets peuvent se déplacer sans obstruction. Or, localité et vitesse ne sont pas les caractéristiques d'un espace absolu, mais des références relativistes. Et de même qu'un volume est borné, l'étendue suppose un début, un milieu, une fin. L'espace est donc dépourvu de caractère ! « Une substance sans caractère n'existe nulle part. Puisque qu'elle n'existe pas, à quoi s'appliquerait ce caractère ? » TVGS-394.

  • J'inspire lentement, j'expire lentement... Je dirige la focale de l'attention sur mon corps. J'observe (la vue de) mes agrégats, ici et maintenant, englobés dans (la vue de) l'espace, ici et maintenant... Je me concentre sur ma présence en ce instant. J'observe la sensation que cela fait « d'être moi » à ce moment précis. Je m'absorbe dans (la vue de) du sentiment « d'exister » à l'intérieur (de l'absorption dans la vue) de la sensation de l'espace... 
  • Mais comment puis-je être certain de la réalité de ce « moi » qui me fait éprouver le sentiment « d'être moi » ?

Si ma perception peut circonscrire dans un « moment de conscience » ce qui ne possède aucun caractère relatif à un espace-temps extérieur, si je peux éprouver la sensation d'un phénomène incomposé comme si c'était un Dharma « réel », c'est que la sensation de l'espace, le sentiment du moi, la conscience de l'instant ne sont autres que des « vues virtuelles », sans substrat réel, simplement émulées sous les modalités de la phénoménologie de l'esprit.

En poursuivant l'analyse de cette expérience méditative du « sentiment du moi », il m'est possible de saisir qu'à l'instar de l'espace - dont j'infère (la réalité de) l'existence sur la base d'une «perception amodale » en interdépendance de la « perception modale » de la structure de l'endroit où je me trouve -, la conscience de soi s'éprouve dans une relation conditionnée à la saisie de mes agrégats.

C'est par l'entremise d'une expérience que la « vue de l'ensemble périssable » (à la fois perception d'un extérieur et vue virtuelle d'une représentation), qu'il est possible d'éprouver un fait propre à l'esprit (sentiment attaché à un objet mental) comme s'ils s'agissaient de Dharma réels (de choses matérielles). Or, puisque l'espace perçu comme un « en-soi » est un sentiment instillé par l'émulation d'une vue mentale virtuelle (sous les modalités de la phénoménologie de laquelle il apparaît exister de manière autonome), c'est donc que l'espace n'a d'existence que... sur la simple « base de désignation » de l'esprit !

Est-ce que l'espace est un être ? Non ! Est-ce que l'espace est non-être ? Non ! L'espace est sans caractère ultime, non sans caractère (nominal) relatif à l'esprit ! « Ce qui s'élève en dépendance est dénué de nature inhérente. Les choses apparaissent comme existantes en soi. Tout ceci est [comme une] illusion » EBSI.

Il y a là un paradoxe. Il faut avoir développé la sagesse qui réalise la vacuité - avoir atteint la voie de la « vision » des ārya - pour véritablement comprendre la vacuité et, de fait, pouvoir l'expliquer correctement, mais pour réaliser la vacuité, il faut d'abord réussir... à la concevoir correctement ! C'est pourquoi le Bouddha fut un « parfait enseignant » ayant atteint l'Éveil la 5ème voie du Mahāyāna « au-delà de tout apprentissage ». Pour autant, aussi sages que furent les êtres qui ont réalisé la vacuité, et aussi bienveillants que furent Nagarjuna et Chandrakirti de l'avoir explicité, nos capacités « d'êtres ordinaires » limitent notre compréhension, voire la déforment et nous empêchent de réaliser l'ainsité.

Les mot sont délicats à manipuler et nous induisent facilement en erreur, d'autant que les « vues extrêmes » marquent non seulement notre perception de leurs empreintes, mais le langage et la pensée ! C'est ainsi que l'école Cittrāmatra interprète le sens de « l'existence » sur la base de désignation de l'esprit comme le fait qu'il n'y a rien là-dehors... Il est en effet tentant de souscrire à l'idée que si l'espace ne possède nuls autres caractères que ceux que nous lui prêtons (sous l'apparence sous laquelle nous le percevons relativement à la vue mentale virtuelle que notre esprit en émule), c'est donc que son appartenance à la catégorie des « phénomènes non composés » est purement nominale !

  • Observez l'endroit où vous êtes. Concentrez votre attention sur sa structure et imaginez-là vide de tout objet. Voyez-là comme un contenant et l'espace comme son contenu. La sensation amodale de vide (sous-jacente à l'idée de non-être) s'amplifiera progressivement. Parallèlement, la vue modale de la structure de la pièce vous donnera une sensation forte de réalité (sous-jacente à l'idée d'être)...
  • Changez maintenant de point de vue... Considérez l'espace seul. Concentrez votre attention sur son volume jusqu'à sentir sa densité, sa présence englobante. La perception amodale qui émerge alors (sous-jacente à l'idée de l'être du non-être), vous fait saisir cet espace comme un objet propre, à lui-même contenu et contenant, dont la structure de la pièce n'est plus que l'enveloppe extérieure, fine et presque intangible, pure délimitation nominale plutôt que réalité physique...

Si ce que vous percevez était ce qu'il est là-dehors, pourquoi cela présenterait-il des aspects radicalement opposés ? Soit l'espace existe, soit il n'existe pas. Ce ne peut pas être les deux à la fois ! Que nous puissions naviguer aussi librement entre des perspectives antagonistes suggère que ce que nous voyons (et croyons être le résultat de notre perception) est une vue de l'esprit ! S'il y avait quelque chose véritablement là-dehors, notre perception devrait (logiquement) nous en donner une image claire, cohérente entre toutes ses parties, et univoque quant à sa nature. Pourquoi ne pas alors considérer cela de la nature (pas simplement de l'apparence) de l'illusion et admettre que l'espace existe seulement dans notre esprit, représentation subséquente de l'idée que nous en avons ?

C'est parce qu'à l'opposé, la perception naïve nous instille (sous la vue de l'être) le sentiment de «l'intime conviction » de la réalité du monde ! Les neurosciences modifient notre définition de la «perception », la mécanique quantique redéfinit la notion même de « réalité », la philosophie bouddhiste tibétaine éclaire l'ainsité de la nature véritable des choses d'une manière encore plus profonde, mais nos sens donnent toujours à saisir, de jour en jour, d'heure en heure, à chaque instant de conscience, un en-dehors en apparence tangible, consistant, stable...

Il suffit toutefois de considérer le trouble psychique de « déréalisation » pour douter de la cohérence de notre perception. « La personne peut avoir l'impression d'être dans un rêve, dans un brouillard, comme s'il y avait un mur de verre, un voile qui la séparait de son environnement. Le monde semble dépourvu de couleur, artificiel, peut apparaître déformé. Les objets peuvent sembler flous ou inhabituellement nets, sans relief, plus petits ou plus grands. Les sons plus forts ou moins forts. Le temps passer trop lentement ou trop vite[xii] ».

Reste que ce n'est qu'une perception ! Je peux voir les objets fait d'atomes éloignés par un immense vide ou de mouvement, cela ne changera pas le fait que je ne puisse ni passer à travers les murs ni soulever une voiture à mains nues ! Difficile de croire que la forme, la densité, la masse des objets soient le fruit de la force des habitudes karmiques conditionnant mon discernement ! Et ce n'est pas la seule raison de douter de l'existence des phénomènes sur la base de désignation de l'esprit, encore plus de croire que seul l'esprit soit « réel ». 

Si seul l'esprit existe, d'où tire-t-il sa capacité à imaginer les apparences ? S'il n'y a rien là-dehors, l'esprit n'a nul besoin d'en élaborer la représentation, pourquoi avons-nous alors la capacité de moduler les apparences comme si elles étaient notre esprit ? Si « l'esprit seul » est réel, d'où s'origine-t-il, en interdépendance à quoi ?

Faire d'un représenté une réalité objective sur la base de la réalité postulée de « l'esprit seul », c'est sous-entendre que la désignation puisse faire advenir à l'existence physique le fruit de notre imaginaire ! C'est plus que de croire que l'esprit influence le résultat d'une expérience en mécanique quantique... Que les Dharmas soient comme de la magie ne signifie pas qu'ils sont de la magie !

Puisque « vide de réalité propre », la vacuité ne peut pas être réelle (de l'ordre du noumène). Mais puisque pour exister les phénomènes composés doivent être « vides de réalité propre », la vacuité ne peut pas, ne pas, avoir d'existence ! Mais comment la vacuité peut-elle être le caractère de ce qui est... dépourvu d'être propre (l'interdépendance du relatif impermanent) ?

Si les « caractères » d'espace (état, localité, apparence) et de temps (début, durée, fin) c.à.d. les propriétés que nous attribuons aux phénomènes ne leur appartiennent pas en propre, mais proviennent de la désignation de l'esprit (sur la base de ses catégories a priori de représentation), nous sommes légitimement en droit de douter qu'il puisse y avoir quelque chose là-dehors...

La vacuité n'est pas difficile à comprendre, ni à réaliser, ce sont nos voiles qui nous empêchent de la concevoir et de la saisir aisément ! Comment la vacuité peut-elle libérer de la souffrance et la vue de la véritable nature du réel s'éprouver félicité, si l'esprit se heurte à une incompréhension irréductible qui lui cause d'autant d'affliction que l'ignorance dont il cherche à se libérer ?

Développer « la sagesse qui réalise la vacuité » n'est pas une ascèse visant à être capable de comprendre les concepts les plus complexes et à résoudre les apories soulevées par les fausses vues, c'est dépasser toute controverse en réalisant que l'interdépendance et la vacuité sont sans contradiction. Il serait illogique de penser un soi existant intrinsèquement et de manière autonome dont les caractères ne lui appartiennent pas en propre. Mais, il n'y a nul illogisme à penser l'interdépendance de phénomènes composés impermanents « vides de réalité propre »... sur la « base de désignation » de l'esprit.

Quand, quel que soit ce qui apparaît à l'esprit, vous êtes parfaitement conscient que c'est une apparence existant simplement comme ce qui peut-être appréhendé par la pensée conceptuelle, vous expérimentez la sphère de la réalité la plus profonde MHM

Le terme ainsité (« réalité telle qu'elle » DEB-613) s'emploie pour désigner la nature véritable des choses. Il ne s'agit toutefois pas d'une « tierce partie » composée des isolats de la « réalité conventionnelle » et de la « réalité ultime », dont elle constituerait la clé de voûte ! Lorsqu'il est dit que l'interdépendance et la vacuité sont les deux aspects de la nature véritable du réel, cela ne signifie pas que celle-ci soit indicible, impossible à saisir autrement que sous l'avatar du conceptuel...

Comprendre la mécanique quantique est assez similaire à comprendre la vacuité et l'interdépendance. Une première définition de la dualité « onde-corpuscule » est de penser l'existence de la nature fondamentale de la « réalité matérielle » comme onde ou comme particule, la forme (l'isolat) sous laquelle un phénomène quantique se présente à l'observateur étant dépendante de son observation.

Ainsi, l'on serait tenté de penser la matière duelle en son essence, inconnaissable autrement que dans les termes des caractères et propriétés spécifiques des ondes ou des particules. Cette conception est à la fois substantialiste en ce qu'elle postule l'existence de quelque chose là-dehors et idéaliste en ce qu'elle postule l'interdépendance de sa réalité à celle de l'esprit. La causalité apparaît ici comme inhérente à la matière et extérieure à celle-ci (l'esprit).

Une autre définition est de considérer que la mesure entraîne la réification d'un objet quantique, c.à.d. le fait exister « réellement » (par exemple sous la forme d'un électron-avec-position ou d'un électron-avec-vitesse). La mesure est la cause physique du comportement adopté, mais puisque celle-ci est le fait d'un instrument calibré sur une métrique qui est définie sur la « base de désignation » de l'esprit, cela revient somme tout à considérer que l'esprit agit sur la matière !

Or, en déportant ainsi le sens du mot « exister » vers l'intérieur (l'esprit vu comme réel puisque base sur laquelle les phénomènes sont désignés c.à.d. réifiés à l'existence physique), l'extérieur se réduit à une vue de l'esprit. Cette perspective vaut affirmation de l'idée qu'en dehors de « l'esprit seul », il n'y a rien au sens littéral du termes (soit l'interprétation de la vision Cittrāmatra de la vacuité). Il suffirait alors de se représenter à l'esprit la manière dont un objet quantique va se comportement pour le faire apparaître... comme par magie !

Au sens plus profond de la mécanique quantique, onde et corpuscule sont deux aspects que peut adopter la matière, mais ils ne sont pas sa nature fondamentale. Non mesuré, un objet quantique est un pur « potentiel statistique » définit comme l'ensemble de tous les états (et valeurs possibles de ses états) susceptibles d'être mesurés - en « superposition de phases » ou de «cohérence quantique », décrit par une « fonction d'onde » purement mathématique -. Parler de la «nature » d'un objet quantique en termes « d'être » ne fait pas sens, pas plus que d'affirmer son «non-être » ! Le terme « existence » s'applique seulement au processus de décohérence, relativement au référentiel de la mesure dont il procède et dont le résultat est le produit de l'interdépendance causale à l'observateur.

Il serait contradictoire de penser le « soi » d'un objet quantique, intrinsèque et autonome (en tant qu'onde ou particule), dont les caractères de la décohérence sont la projection de l'esprit. Mais, il n'y a nulle illogisme à penser sa décohérence comme une opération en interdépendance de la «base de désignation » de la mesure, car c'est bien parce que sa nature ultime est « vide de réalité propre » qu'il lui est possible d'advenir ainsi à « l'existence conventionnelle » !

Ils ne sont pas deux, il ne faut pas en faire deux... Onde et corpuscule, objet quantique non mesuré versus mesuré, « état de superposition de phases » versus « décohérence », ne sont pas les deux faces d'une même pièce. Vacuité et interdépendance, « réalité ultime » et « réalité conventionnelle » ne sont pas des isolats binaires d'une dualité dont les termes recouvrent le sens d'indicible et de relatif à une nature qui, elle-même, est ineffable. Ainsité et vacuité ne peuvent pas avoir le sens d'ultime a deux niveaux différents ! L'ainsité, « c'est ainsi », n'est pas un être en-soi (noumène transcendantal), c'est la seule manière de décrire ce qui ne peut ni se concevoir ni se saisir sous la vue de « l'être » ou du « non-être », de l'existence ou de la non-existence.

Quand vous serez capable de voir simultanément les apparences n'obscurcissant pas la vacuité et la vacuité n'empêchant pas les apparences, à ce moment vous manifesterez l'excellent sentier où la vacuité et les origines interdépendantes sont comprises comme étant synonymes MHM

Interdépendance et vacuité sont synonymes au sens où les phénomènes sont le résultat de causes et de conditions « vides de réalité propre ». S'ils recouvrent la même nature, ce n'est toutefois pas sous les mêmes modalités d'expression et de manifestation. « Ultime » et «conventionnel » (ou relatif) sont comme le vide et la forme, la vue en creux et la vue en relief, la vue amodale et la vue modale, sans être duels ni opposés. Plutôt que de constituer des aspects d'une même nature entitaire, la vacuité et l'interdépendance sont comme des points de vue l'un sur l'autre, différenciés par leurs perspectives.

Vacuité et interdépendance sont comme un puzzle où l'espace vide qui marque l'emplacement d'une pièce manquante apparaît à la perception amodale telle une forme, le vide (est la) forme et la forme (est le) vide, et où l'assemblage des pièces fait transparaître leur interdépendance dans les articulations de leurs contours, sans que la vacuité (figurée par la pièce manquante) ne soit « être du non-être ».

Le « vide de réalité propre » et l'existence des phénomènes (en interdépendance) sont comme «de l'eau versée dans l'eau ». Vue isolément, une goutte l'eau qui tombe du ciel pendant la pluie paraît distincte de par sa forme, ses contours, sa position, son déplacement, la durée de celui-ci, etc. (tous caractères relatifs aux catégories a priori de l'espace et du temps de notre représentation). Mais, lorsque les gouttes de pluie tombent dans un lac, leurs caractères se fondent avec sa masse d'eau et il devient impossible de les différencier l'un de l'autre...

Ces analogies éclairent la synonymie de la vacuité et de l'interdépendance, mais l'ainsité est au-delà du par-delà de l'existence et de la non-existence dont il nous faut dépasser les vues (modales et amodales). Concevoir la vacuité implique de passer entre les gouttes des « vues extrêmes », que leur mise en concurrence érige sous la nature d'un soi propre et autonome, sans être tenté de circonscrire un être au centre de la convergence de leur tracé ! Pour atteindre à l'infaillible, il est essentiel d'effacer toute contradiction, et cela ne peut être obtenu que si la vacuité et l'interdépendance sont comprises en complète harmonie. « Pas la moindre existence propre et cela apparaît en dépendance de ceci sont deux notions correctement établies et existant ensemble sans contradiction » EPS.

Nous devons réfléchir à la vacuité et la méditer analytiquement en ayant toujours présent à l'esprit que, puisque tous les phénomènes composés impermanents sont interdépendant c.à.d. « vides de réalité propre », l'interdépendance est la vacuité ne peuvent se réaliser, se saisir, se comprendre, se penser et se décrire, séparémentNe cherchez pas à le concevoir en termes d'être ! La réalisation de la vacuité est l'union qui dépasse tout forme d'union.

Aussi longtemps que ces deux idées vous sembleront incompatibles, vous n'aurez pas encore saisi la pensée du Mouni. Lorsque ces deux n'alternent pas, mais sont simultanées et que la simple vision de l'infaillibilité de la production interdépendante détruit avec certitude tout mode d'appréhension de l'objet, l'analyse qui a trait à la vue est complète PQN-51

« Comme de l'eau versée dans l'eau » résume les différentes définitions de l'interdépendance : 

  1. « versée dans », tous les phénomènes composés sont interdépendants, rien n'existe par lui-même de manière autonome ; 

  1. « de l'eau dans l'eau », ce qui est établit en dépendance de ses propres parties, relativité de la partie au tout et du tout à la partie ; 
  2. « comme », les phénomènes existent simplement en désignation par l'esprit, vérité ultime et vérité conventionnelle apparaissent tels des isolats conceptuels dans le référentiel de la pensée.

La formule condense toute la profondeur des enseignements de la philosophie bouddhiste tibétaine sur l'interdépendance et la vacuité : 

  1. « versée dans », il y a quelque chose là-dehors, qui n'est ni un noumène transcendantal (éternalisme) ni pur néant (nihilisme) ; 
  2. vide de réalité propre (non-soi), constitutif d'un réseau « vaste, global et profond » ; 
  3. « comme », la manière dont l'ainsité se manifeste sous la perspective que nous en donne notre perception est une représentation (« vue mentale virtuelle ») relative à la capacité de discernement de notre esprit, dont les catégories a priori (l'espace et le temps) de la pensée par objet (« la saisie du soi ») sont conditionnées par nos voiles karmiques.

Il y a une similitude entre le raisonnement qui permet de comprendre l'ainsité et les émotions perturbatrices. Les 84 000 « perturbateurs mentaux » se réduisent à vingt « perturbations mentales secondaires », qui se résument à six racines - le désir-attachement, l'aversion, l'orgueil, la méconnaissance, le doute, les fausses vues -, lesquels s'originent dans l'ignorance (le « sentiment (inné) du moi »), en regard duquel le développement de la « vision supérieure » afin de couper la racine en réalisant le non-soi de la personne.

Atteindre à la réalisation de la vacuité implique d'en développer la capacité en procédant à l'épuration de nos voiles karmiques. C'est un (très) long processus qui affine la clarté de notre discernement semblable à la taille d'un diamant, d'infimes fractions en infimes fractions. Il faut être disposé à comprendre. Ce que l'on comprend est ce que l'on est capable de concevoir, non la réalité propre à un objet. Il est plus facile de croire que le monde a été créé en sept jours par un Dieu créateur (ou que la Terre est plate !) que d'embrasser l'interdépendance des processus de l'évolution des espèces et de la formation des planètes du système solaire sur des millions et des milliards d'années !

Il y a autant de religions que de capacités différentes de concevoir le monde, et encore d'intégristes que de « fausses vues » ! Même la philosophie n'est pas une science infuse. Les écoles bouddhistes tibétaines n'ont pas la même définition de la vacuité, et distinguent les sῡtra de « sens clair » (nῑtārtha) ou définitifs des sῡtra de « sens implicite » (neyārtha) ou interprétables. Les mots étant du domaine du relatif (donc par nature sujet à interprétation), l'on peut se demander si le sens « définitif » des enseignements ne serait plutôt dans l'esprit qui en réalise le sens ultime, et par le fait confirme la pureté de son discernement ?

En raisonnant graduellement vers le sens le plus profond, l'on pose ainsi :

1. la forme et le vide comme des isolats d'une nature indivisible, sous-entendue réelle (conception ternaire), l'on poursuit... 

2. en expurgeant cette dernière de la vue extrême de l'être (réduction binaire), puis... 

3. en saisissant que les isolats ne recouvrent pas la notion d'existence intrinsèque et autonome (réduction unitaire), et enfin...

4. en réalisant que l'ainsité ne peut se définir en termes d'existence ou de non-existence.

Les Dharma ou choses, étant issus de causes, sont vides de nature propre, naissant de Dharma eux-mêmes vides de nature propre, en réalité ne naissent pas : ils sont inexistants TGSV1-384

Ainsi au sens profond, la vacuité et l'interdépendance sont sans transition, « forme-vide et vide-forme », comme l'eau versée dans l'eau ! Au sens ultime, il n'y a ni être ni non-être, ni avant ni après (ni cohérence ni décohérence). La vue de « ce côté-ci » (relative) est la vue (conventionnelle) de «l'autre côté ». Il n'y a pas non plus de caractère intrinsèque dans cette « symétrie des perspectives» relativistes (« vacuité de la vacuité »). « Le monde relatif n'est point une sphère limitée qu'une démarcation rigide sépare de la sphère d'un monde réel. Il n'existe nulle part de démarcation rigide, tout s'interpénètre » ESBT-118.

La réalité ultime et la réalité conventionnelle sont sans transformation. Au sein de la vacuité, il n'y a ni création ni destruction, ni début ni fin (pas de durée), tout semble être comme caché ou apparent (comme la lumière visible ou invisible selon la position de l'observateur relativement à sa longueur d'onde). « La nature [ultime] de tous les phénomènes est la vacuité : ils n'ont pas de caractéristiques [propres... puisqu'ils n'ont pas de nature propre !], ne sont pas créés, ne cessent pas [l'effet est sans transition avec la cause... puisqu'il n'y a pas de production !], n'ont pas d'impuretés, ne sont pas sans impuretés [les parties sont sans discontinuité avec le tout... puisque là encore sans nature propre !], ne diminuent pas, n'augmentent pas [invariables puisque non composés !] » EPS.

Ainsi, (la vue de) l'ainsité et (la vue du) connaisseur sont sans séparation. Il n'y a pas de sujet et d'objet, pas de distinction (ternaire, binaire, unitaire) entre connaissable, connaisseur et connaissance, « dans la vacuité, il n'y a ni objets de la conscience, ni objets de la vue, ni objets de l'esprit », et puisqu'il n'y a « ni ignorance, ni cessation de l'ignorance » EPS, alors le samsāra est le nirvāna !

La densité du questionnement peut suggérer que la vacuité est un sujet d'ordre purement philosophique, voire métaphysique, et que la quête de sa réalisation ne vise qu'à satisfaire notre curiosité intellectuelle de connaître la nature du réel. Autrement dit, nous pourrions faire l'économie de sa résolution et nous concentrer sur le développement de la compassion. C'est faux! Toutes nos souffrances viennent de notre croyance en la production et la destruction des choses, qui provient de la « vue extrême » de l'être, originée de la saisie du soi.

Dans nos préoccupations du quotidien et dans nos rapports aux autres, nous n'avons certes que faire des « vues extrêmes » de l'éternalisme et du nihilisme, pas plus que de ce qui se passe au cœur des atomes ou des étoiles. Or, encore plus que l'infiniment petit et l'infiniment grand de la physique, le « sentiment (inné) du moi » détermine chaque instant de notre existence.

La « vue de l'ensemble périssable » conditionne nos intentions et nos actes. Telle la chaîne de causes combinées qui d'une graine empoisonnée donne des fruits vénéneux, la chaîne née de l'ignorance engendre les perturbations mentales « racines », puis « secondaires », puis les « huit préoccupations mondaines » (reflets de la vue de la production et de la cessation), qui nous maintiennent sous l'emprise de l'espoir et de la peur - du gain et de la perte, de l'honneur et du déshonneur, du plaisir et de la souffrance, des louanges et des critique -.

Puisque les « préoccupations mondaines » sont aussi des vues mentales virtuelles, dont l'émulation nous instille les sentiments d'espoir et de peur sous la vue de l'apparition et de la disparition, en réalisant la vacuité du soi de la personne l'on parvient à l'équanimité libre de toutes souffrances.

Lorsque vous savez que les apparences écartent les extrêmes de l'existence et que la vacuité dissipe l'extrême du nihilisme, et comment la vacuité apparaît comme la cause et l'effet, vous ne serez jamais plus asservis par les fausses vues PQN-51

Au sens le plus profond, les phénomènes et l'esprit sont sans discontinuité (et sans absence de discontinuité au niveau relatif !). De la vue à ce qui voit, des phénomènes (là-dehors) à leur expérience mentale (là-dedans), tout apparaît à l'existence via le référentiel définit par les catégories a priori de l'espace (état, localisation, apparence) et du temps (création, durée, destruction) de la pensée.

Les Dharmas sont comme le reflet de la Lune sur le lac, « étant vides de réalité propre », il est ultimement impossible de dire où commence le reflet de la Lune et où finit le lac. A l'esprit voilé, les Dharma de la Lune et du Lac apparaissent toutefois comme existant intrinsèquement, dotés de caractères leur appartenant en propre, comme entre autres d'être localisés dans l'espace. Si l'espace était réel, comment des objets réels pourraient-ils l'occuper ? Et comment pourrait-il avoir pour caractère réel d'être « sans obstruction » au déplacement des corps ?

« Naissant de Dharma eux-mêmes vides de nature propre », il est ultimement impossible de distinguer une transition entre le jour et la nuit. Pourtant, l'esprit voilé voit la Lune apparaître dans le ciel, suit la trajectoire nocturne de son reflet sur les eaux du lac, et les voit disparaître au levé du jour. Si les phénomènes possédaient un être propre, comment pourrait-il y avoir une transition entre eux puisque celle-ci suppose une modification de nature ?

« En réalité [les Dharma] ne naissent pas : ils sont inexistant ». Ultimement, il est impossible de distinguer une transformation des phénomènes. Or, l'esprit voit la Lune grandir puis décroître, quartier par quartier, augmenter et diminuer en taille, en luminosité ou encore changer de couleurs. Si les phénomènes étaient pourvus d'existence et de caractère propres, comment pourraient-ils se transformer ?

« Dans la vacuité, il n'y a ni objets de la conscience, ni objets de la vue, ni objets de l'esprit ». Ultimement, il est impossible de séparer la Lune de (la vue de) son reflet sur le lac, de la conscience de l'observateur, comme le rêveur et le rêve qui partagent la même phénoménologie. Or, l'esprit voilé établit une discontinuité entre les Dharma de la Lune, du lac et de son reflet, ainsi qu'entre les Dharma de son corps et de son esprit, mais aussi entre « le Dharma du rêve de la Lune qui se reflète sur le lac » et « le Dharma du reflet de la Lune sur le lac »...

« Tous les phénomènes existent comme simple désignation par l'esprit ». De fait, ultimement, il n'y a pas de discontinuité entre l'objet, la vue et la conscience qui les perçoit (qui en fait l'expérience sous une vue mentale virtuelle). Lorsque l'on comprend, véritablement, ce que signifie le sens profond de « vide de réalité propre », c.à.d. de ce qui ne peut se penser ni en termes d'existence ni de non-existence, l'on saisit que l'absence de discontinuité, le fait de percevoir et de concevoir les Dharma comme existant intrinsèquement et de manière autonome, n'empêche pas de saisir la vacuité des phénomènes sans discontinuité à la vacuité de l'esprit, de « voir simultanément les apparences n'obscurcissant pas la vacuité et la vacuité n'empêchant pas les apparences » MHM.

C'est en observant le fonctionnement de l'esprit, en questionnant analytiquement la manière dont s'opère la cognition, jusqu'à saisir que les phénomènes et l'esprit sont ultimement sans discontinuité et relativement sans absence de discontinuité, que la méditation de « vision supérieure » vous amènera à réaliser l'existence des phénomènes sur la simple de base de désignation de l'esprit, lesquels (sont tous deux) au-delà du par-delà de toute notion d'existence et de non-existence.

Dans l'état méditatif d'une concentration juste et adéquate, la nature vide des choses apparaît, libre d'élaborations mentales, d'existence véritable et de totale non existence (...) 

votre esprit continuera à donner naissance aux apparences des choses produites en dépendance, capables de fonctionner et existant seulement comme simples dénominations (...) 

mais elles sont comme des rêves, des illusions, des mirages, semblables au reflet de la lune sur l'eau MHM

Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།


Références :

CCE Comment comprendre l'esprit, Guéshé Kelsang Gyatso, éditions Tharpa https://tharpa.com/fr/comment-comprendre-l-esprit.html 

DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html 

EBSI : Éloge au bouddha pour son enseignement sur l'interdépendance https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas 

EPS : L'essence de la perfection de la sagesse (le soutra du cœur) https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas 

EVM : Entrée dans la voie médiane, le Madhyamakavatara de CHANDRAKIRTI https://www.siddharthasintent.org/assets/pubs/MadhyamakavataraFrancaisDJKR.pdf 

MHM : Un texte racine du Mahamoudra de la précieuse tradition Géloug/Kagyu https://www.institutvajrayogini.fr/pdf/Mahamoudra_texte_racine_A4.pdf 

TGVS : Le traité de la grande vertu de sagesse de Nagarjuna (MAHÂPRAJNÂPÂRAMITÂSÂSTRA) https://archive.org/details/EtienneLamotteLeTraiteDeLaGrandeVertuDeSagesseDeNagarjunaVol.I1944 

VVM : Les versets du milieu, Nagarjuna https://btr2010.files.wordpress.com/2014/04/versets-du-milieu-nagarjuna.pdf  


[i] https://nospensees.fr/la-connexion-entre-physique-quantique-et-spiritualite-selon-le-dalai-lama 

[ii] Ibid. https://nospensees.fr/la-connexion-entre-physique-quantique-et-spiritualite-selon-le-dalai-lama 

[iii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Korzybski 

[iv] https://theconversation.com/la-merveilleuse-presence-des-mathematiques-dans-la-nature-134413 

[v] Comment fonctionne notre cerveau : 7 ½ mythes déconstruits https://flip.it/26IFNH 

[vi] Théorie des cordes https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_cordes 

[vii] https://flip.it/26IFNH 

[viii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nom%C3%A9nologie 

[ix] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89piph%C3%A9nom%C3%A8ne 

[x] Perception amodale https://slehar.wordpress.com/2014/09/12/amodal-perception/ 

[xi] https://flip.it/26IFNH 

[xii] Trouble de dépersonnalisation/déréalisation https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-mentaux/troubles-dissociatifs/trouble-de-dépersonnalisation-déréalisation