I.88 – Au cœur de la quintessence

12/12/2021

Absorbé dans la radiance profonde de l'océan de la vacuité, où il n'y a ni sujet ni objet, ni connaisseur ni connaissable ni connu, telle une goutte d'eau dans l'eau, l'esprit se fond sans limite au-delà de toute formation et de toute pensée, par-delà toute conception et toute saisie, au cœur de l'ultime réalité.

Un Bouddha n'a ni commencement, ni durée, ni fin. Mais l'ignorance a un début, une fin et un milieu. On appelle bouddha la fin de l'ignorance, mais cela n'est pas un phénomène (...) On peut seulement dire qu'une fois l'ignorance éliminée, l'état de bouddha est là EVM-50

Voici ce que j'ai réalisé après avoir reçu les enseignements sur la vacuité, y avoir réfléchi profondément et pour les méditer quotidiennement. D'abord, comprenez que ces enseignements sont profonds[i]. Condensés de sagesse d'êtres réalisés, dont la filiation s'inscrit dans la lignée de l'excellence du précieux enseignant Shakyamuni, dont la vue juste s'abreuve à la source de l'excellence du Dharma, ces enseignements sont sans contradiction. Nous ne pouvons atteindre seuls la compréhension de la vérité de l'ainsité et sa saisie subtile sans l'aide de guides spirituels mû par la bonté et la compassion, et ayant eux-mêmes des réalisations.

Dans son éloge au Bouddha pour son enseignement de l'existence conditionnée, Lama Tsongkapa dit de : « Toujours aller chercher ce que les maîtres authentiques ont dit. Je me suis fié aux travaux des sages et j'ai cherché encore et encore avec diligence votre vraie intention (...) De tous les actes du Bouddha ses discours sont suprêmes. Le sage devrait se souvenir du Bouddha pour cela » EBSI.

Toutefois, ce n'est pas suffisant ! Même si le Bouddha vivait encore parmi nous, la seule écoute de ses enseignements, fût-t-elle adéquate, ne nous permettrait pas de réaliser la vacuité, ni d'approcher sa compréhension juste, tant que nos voiles nous empêchent d'en développer la capacité.

Il en va de même de n'importe quel enseignement mondain comme de la sagesse supramondaine. Même si vous recevez le message directement de son auteur, il restera toujours un intermédiaire à la saisie correcte de sa pensée... vous ! Votre capacité actuelle est une limite (acquise depuis des temps sans commencement) à la compréhension de l'ainsité. S'il suffisait d'un mot, d'une image ou d'un son pour atteindre le nirvāna, le seul contact du samsāra y suffirait ! « Vous devez faire votre travail vous-même. Si le Bouddha doit être appelé un sauveur, c'est seulement en ce sens qu'il a découvert et indiqué le Sentier qui conduit à la Libération, au Nirvāṇa. Mais, c'est à nous de marcher sur le sentier » EB-WR-8.

Les mots sont de l'ordre du relatif. Ce sont des outils précieux pour nous aider à comprendre la vacuité, mais nous devons dépasser le signifié pour réaliser le signifiant. La libération ne s'obtient pas d'une foi aveugle et d'une lecture littérale des textes... Comment le sage pourrait-il s'en remettre aux mots pour saisir l'ainsité qui, au-delà de tous concepts, est vide de réalité propre ?

Le bouddhisme est une pratique de transformation spirituelle, le questionnement du Dharma est son outil, le refuge dans le Bouddha son moteur. Pour saisir la pensée du Vainqueur, il nous faut développer notre discernement jusqu'à devenir capable de saisir le profond. « Le Bouddha ne se présente pas comme investi d'une autorité exceptionnelle pour communiquer aux hommes la teneur d'une révélation qu'il aurait reçue miraculeusement. Il proclame des faits qui lui sont apparus au cours de ses investigations, de ses méditations et indique les moyens propres à nous amener à voir ce qu'il a constaté, propres à nous éveiller comme il s'est éveillé, à nous délivrer comme il s'en est délivré » BB-10.

Ne croyez pas sur la foi des traditions quoiqu'elles soient en honneur depuis de nombreuses générations et en beaucoup d'endroits ; 

ne croyez pas une chose parce que beaucoup en parlent ; 

ne croyez pas sur la foi des sages des temps passés ; 

ne croyez pas ce que vous vous êtes imaginé pensant qu'un Dieu vous l'a inspiré. 

Ne croyez rien sur la seule autorité de vos maîtres ou des prêtres. 

Après examen, croyez ce que vous même aurez expérimenté et reconnu raisonnable, qui sera conforme à votre bien et à celui des autres ESBT

Les enseignements sont « grands » et notre capacité à les comprendre est si « petite »... Pour saisir les premiers, nous devons nettoyer la seconde, comme polir le miroir d'un télescope jusqu'à ce que l'image des étoiles nous apparaisse avec clarté et précision. « Méditer » (en tibétain gom), c'est se « familiariser » avec ce que nous comprenons par la réflexion jusqu'à faire émerger le sens profond qui est au cœur des enseignements. La « méditation analytique » (dchégom) est un processus récursif qui vise la transformation de l'esprit par la réalisation du sens de ce qui est compris.

Cette « familiarisation » est absente de la pensée philosophique occidentale, qui vise simplement à comprendre « le comment et le pourquoi » des choses à l'appui de la raison pure érigée comme une vertu instrumentale. La pensée analytique du bouddhisme tibétain remanie sans cesse son objet comme l'on poli un diamant, jusqu'à ce que l'éclat de la vérité vous saisisse de la lumière de l'évidence.

La philosophie, et la science occidentale qui s'inscrit dans sa logique procédurale, pose que la raison pure est à même de nous permettre de tout comprendre, de l'immensité de l'univers à la complexité des méandres de notre cerveau. Certes, et après ? Pour réaliser l'ainsité, il est nécessaire de la comprendre, mais à elle seule cette compréhension ne vaut rien ! Et pour cause, puisque la « sagesse qui réalise la vacuité » est au-delà du par-delà de tout concept. Nous ne devons pas nous arrêter de réfléchir... jusqu'à parvenir à transcender la pensée. À l'instar de la nature de Bouddha, la réalisation de l'ainsité n'a pas de début ! C'est le raisonnement intellectuel qui a une fin, celui du dépassement de la pensée pure qui amène à la « saisie directe » de la nature véritable des choses.

La méditation du bouddhisme tibétain se divise en trois étapes : « calme mental » (Samatha) - «authentique» lorsqu'il s'appuie sur la prise de refuge dans le Bouddha, Dharma, Sangha -, qui consiste à concentrer l'esprit en un point, en sanskrit samadhi (l'apothéose du yoga chez Patanjali !) ; la « vision supérieure » (Vipasyanā), dite supra-mondaine car elle permet d'atteindre à la réalisation de la vacuité par une analyse point par point (à distinguer du Vipasyanā mondain en vogue en occident qui est plus une cure d'assainissement du mental) ; l'union du calme mental et de la vision supérieure, qui ouvre sur la saisie directe de l'ainsité.

La « méditation analytique » présente une similitude avec l'entraînement à la pratique du « calme mental » - dont le chemin compte neuf étapes préalables -. Samatha consiste 1. à « placer » son esprit sur un objet de méditation (vertueux) et à l'y maintenir (en contrant la dispersion, l'agitation, le relâchement) de sorte à obtenir 2. un « placement continu ». Mais avant d'atteindre à 4. un « placement soutenu » (qui n'est pas encore sans effort d'attention et de vigilance), il faut procéder au 3. « replacement » de l'esprit sur son objet de méditation.

Vipasyanā ne compte pas d'étape, mais procède de la réflexion sur le sens de ce que l'on aura longtemps analysé, jusqu'à ce que celui-ci s'impose (et persiste), naturellement, sans effort d'intellection. En l'état actuel de notre esprit, il nous suffit de poser le regard sur le monde pour croire, tacitement, dans l'existence intrinsèque et autonome du « soi des phénomènes », et de tourner le regard vers l'intérieur pour croire, implicitement, en l'existence propre du « soi de la personne » ! Comme si le seul fait « d'avoir conscience de soi » et d'expérimenter la « matérialité » du dehors suffisait à prouver leur réalité...

Or, il ne s'agit aucunement de faits, mais d'habitudes ! La nature des phénomènes est la vacuité. Vides de nature propre (svabhāvasῡnya), tous les Dharmas sont non-substantiels, vides de caractère propre (svalaksana) et vides de soi propre (anātmaka). Comment le sage pourrait-il penser que la matière et l'esprit définissent les modalités sous lesquelles il en fait l'expérience alors que tous les quatre sont, ultimement, vides de réalité propre ?

Les Dharmas n'ont d'existence que comme « simple désignation sur la base de l'esprit ». Et puisqu'il n'y a pas de cause première, puisque tous les phénomènes sont interdépendants, cette habitude est... sans commencement ! La « saisie du soi » de la personne et du soi des phénomènes sont devenus innés par la seule force de l'habitude. Tout nouvel apprentissage finit par devenir un automatisme, et lorsqu'un automatisme est profondément gravé en nous, pour nous en défaire, il est nécessaire de nous reprogrammer totalement...

La réalisation de la vacuité n'est pas le surgissement d'une réponse qui clôt le terme d'un long et complexe raisonnement, puisque l'on range dans une boîte de collection à côté des questions auxquelles la curiosité nous attelle. C'est un état d'esprit totalement pacifié (qui coupe la racine de l'ignorance qui maintient dans le samsāra), persistant au-delà de l'instant où le sens se mue en évidence. Afin que la saisie de la vacuité d'existence propre du soi des phénomènes et du « moi » de la personne deviennent spontanés et implicites, il nous faut « méditer analytiquement » (de manière formelle et... à chaque instant du quotidien !), jusqu'à en réaliser leur « saisie directe » au-delà du par-delà de toute conceptualisation et de tout raisonnement...

Assis en position de méditation, j'inspire et j'expire lentement... Je respire et je sens que je respire... Je respire et je suis conscient de respirer...

Lorsque je respire, je peux avoir la sensation et la conscience de respirer. Dans le « retrait de sens », je peux être totalement concentré à en oublier mon corps et ma personne... Dans les états les plus profonds de concentration méditative sur un point, je peux m'absorber dans mon objet de méditation jusqu'à l'éclipse totale de l'espace et du temps... A la neuvième étape du « calme mental », lorsque l'état de souplesse est générée - « facteur mental qui procure une totale maniabilité du corps et de l'esprit » IPPB-24 -, « dès que nous entrons en équanimité méditative, nous expérimentons la dissolution du corps dans l'objet de méditation et plus rien d'autre ne nous apparaît, pas même notre propre corps » AAM-60.

  • J'inspire et j'expire lentement... J'imagine que les objets, les murs, le sol, tout autour de moi s'estompe et disparaît... Je flotte dans un espace entièrement vide, baigné d'une lumière éclatante, au sein d'un silence total... Les contours d'une bulle translucide se dessinent autour de mon corps.... Du fait de sa transparence, elle se distingue à peine sur le fond de la clarté du vide... « La forme (est) vacuité, SOUK TONG PAO. La vacuité (est) forme, TONG PA NYI SOUK SO » EPS.

  • J'inspire et j'expire lentement... C'est maintenant mon corps qui s'estompe, devient clair tel de l'eau, transparent telle une bulle, pur tel l'espace... Dans cet espace sans dimension, tous les phénomènes (mon corps, la bulle, l'espace) sont ultimement « vides » de caractère, de nature, de réalité propre. « La vacuité n'est autre que forme, SOUK LÈ TONG PA NYI SHEN MA YIN. La forme aussi n'est autre que vacuité, TONG PA NYI LÈ KYANG SOUK SHEN MA YIN NO » EPS.

  • J'inspire et j'expire lentement... Dans un lent mouvement, mon corps se déplace à l'intérieur de la bulle, se rapproche de sa paroi diaphane, la touche, y entre et s'y mélange... Comme de l'eau (versée) dans l'eau, je ne distingue plus les limites de mon corps de celles de la bulle... Où s'arrête mon corps et où commence la bulle ? Ai-je traversé sa paroi évanescente pour ressortir de l'autre côté ? Suis-je toujours à l'intérieur ou « entre deux eaux », quelque part dans sa membrane ?

« La nature de tous les phénomènes est la vacuité, TÈ TAR TCH'Ö T'AM TCHÈ TONG PA NYI TÈ » EPS. Clairs comme de l'eau, transparents comme une bulle, purs comme l'espace, tous les Dharmas sont vides de réalité propre. Comme dans une bulle, il n'y a ni « côté-ci » ni « d'autre côté », ni intérieur ni extérieur, ni «entre deux » (ni substance ni espace, ni espace constitutif d'une substance). Ultimement, forme et vide, vacuité et interdépendance, sont sans transition.

  • J'inspire et j'expire lentement... Je me retourne doucement en pivotant sur moi-même... à moins que ce ne soit la bulle qui tourne autour de ma position dans cet espace sans aucun point de référence... « l'extérieur » de la bulle devient alors « l'intérieur » d'une autre bulle, incommensurable, qui contient toutes les bulles dans une singularité plurielle où forme et vide sont sans transition... «Les phénomènes n'ont pas de caractéristiques TS'EN NYI MÉ PA » EPS.

  • J'inspire et j'expire lentement... J'ai traversé la membrane évanescente de la bulle. Mais, comment l'agrégat de mon corps peut-il s'être fondu à celui de la bulle au point d'en être indifférencié, puis s'en être dissocié avant de s'en différencier à nouveau ? Puisque forme et vide sont, ultimement, sans transition, mes agrégats n'ont pas pu disparaître pour réapparaître de l'autre côté !

« ... ils ne sont pas créés MA KYÉ PA, ne cessent pas MA GAK PA, ne diminuent pas PRI WA MÉ PA, n'augmentent pas KANG WA MÉ PAO » EPS. Rῡpa (l'agrégat de la forme et de la matière) n'est pas produit sans cause (comme par magie), par une cause extérieure ou par sa propre cause. Rῡpa ne disparaît pas non plus comme un mirage ! Comme de l'eau (versée) dans l'eau, il n'y a ni apparition ni disparition, ni début ni milieu ni fin, ni avant ni après. Ultimement, vide et forme, interdépendance et vacuité, sont sans transformation.

Ainsi, la bulle, l'agrégat de mon corps, l'espace (à l'intérieur ou à l'extérieur de la bulle et de mon corps), vides de réalité, de nature, de caractères, et de modalités d'expérience propres, incréés, non-nés... sont, ultimement, sans discontinuité ! Mais, tels qu'ils m'apparaissent, relativement, les Dharmas ne sont toutefois pas sans absence (d'apparence) de discontinuité : de réalité propre (comme s'ils possédaient une existence intrinsèque) ; de nature propre (comme s'ils étaient d'essence nouménale) ; de caractères propres (comme s'ils étaient autonomes et indépendants) ; comme s'ils étaient déterminant des modalités sous lesquelles j'en fais l'expérience, « ...ils n'ont pas d'impuretés PRI MA MÉ PA, ne sont pas sans impuretés PRI MA TANG PREL WA » EPS.

Ce n'est là qu'apparence ! La nature des Dharmas est vide, les apparences sont vides. Les Dharmas sont aussi, relativement, sans discontinuité. Vide de réalité, de nature, de caractères, de modalités propres, purement nominal, le soi des phénomènes n'est qu'apparence (grossière). Simple désignation sur la base de l'esprit (voilé) est (l'apparence de) l'existence relative. Ultimement et relativement, forme (et) vide, vacuité (et) interdépendance, sans séparation.

  • J'inspire et j'expire lentement... Le courant de mes pensées est claire comme de l'eau (versée) dans l'eau... ma conscience est translucide comme une bulle... le « sentiment du moi » est comme une bulle qui éclate... l'esprit est pur comme l'espace incomposé car non-né... sa nature est claire et lumineuse comme un diamant...

  • Je m'absorbe pleinement dans cette pensée sans-forme, dans le ressenti qu'elle m'instille. Je reconnais les objets sous-jacents aux élaborations mentales que cette pensée m'évoque... Je suis conscient d'être conscient de moi, dans les modalités de cette invocation, dans l'espace de ma méditation, pourtant... « dans la vacuité, TÈ TA WÈ NA TONG PA NYI LA SOUK MÉ, il n'y a ni forme TS'OR WA MÉ, ni sensation DOU SHÉ MÉ, ni discrimination DOU TCHÉ NAM MÉ, ni formation NAM PAR SHÉ PA MÉ, ni conscience NAM PAR SHÉ PA MÉ » EPS.

Comme de l'eau qui se mélange et se confond avec l'eau dans lequel elle est versée, il n'y a pas d'un côté l'esprit conscient, de l'autre la pensée son objet - spectateur versus spectacle (cartésien) de la conscience -. Il n'y a pas de pensée insubstantielle qui serait le produit d'un esprit essentiel, doué d'une conscience qui serait la qualité propre du « soi de la personne » existant intrinsèquement ! Ultimement, forme (et) vide, vacuité (des impressions) (et) interdépendance (des apparences) sont sans transition.

  • Ma pensée acquiert la clarté de l'eau, ma conscience la transparence d'une bulle, mon esprit la pureté de l'espace et la clarté du diamant... Vide de soi propre, la conscience est sans discontinuité aux objets de la pensée, vides de nature propre, eux-mêmes sans discontinuité aux phénomènes, vides de réalité propre !

« ...[dans la vacuité, il n'y a] ni objets tangibles RÉK TCHA MÉ, ni objets de la conscience TCH'Ö MÉ TO, ni objets de la vue MIK KI K'AM MÉ PA NÈ, ni objets de l'esprit YI KYI K'AM MÉ, jusqu'à ni objets de la conscience K'AM KYI PAR TOU YANG MÉ TO » EPS. Comme de l'eau (versée) dans l'eau - métaphore ici du processus qui va de la pensée aux phénomènes -, il n'y a (en remontant) ni activité de l'agrégat de la «conscience mentale », ni celle des « élaborations mentales », de la « discrimination », de la « sensation », jusqu'aux phénomènes. Vide de réalité propre, il n'y a pas « d'apparition » de la pensée. Vide de nature propre, il n'y a pas de « production » des phénomènes. Vide de soi propre, il n'y a « d'existence » des phénomènes que sur la « base de désignation de l'esprit ». Il n'y a pas non plus de « cessation » des phénomènes autre que sur la « base de désignation de l'esprit ». Ultimement, vide (et) forme, interdépendance (des Dharmas) (et) vacuité (de la pensée), sont sans transformation.

Si une chose possédait une réalité en soi, une nature et des caractères propres au sens absolu du terme, c.à.d. du fait de « sa propre cause », elle serait par le fait immanente et éternelle, éternellement inchangée ! Elle ne pourrait donc pas se « transformer », processus qui induit d'apparaître, d'exister et de disparaître. Ainsi, est éliminé l'éternalisme ou la « vue extrême de l'être ».

Si « disparaître » était synonyme de néant, c.à.d. d'être dépourvu de toute réalité, de nature et de caractères, comment une chose pourrait-elle « apparaître » c.à.d. revêtir des caractères, posséder une nature et une réalité ? Comment ce qui n'est pas pourrait-il se transformer en ce qui est ? Le néant ne peut pas produire l'être ! Ainsi, est éliminé le nihilisme ou la « vue extrême du non-être ».

Mes agrégats flottant dans une bulle au sein d'un espace sans limite (clairs comme de l'eau, transparents comme une bulle, purs comme l'espace...) ; les impressions, sensations et sentiments induits par l'émulation de cette « vue (mentale) virtuelle » ; la pensée (ou visualisation de...) qui me les instillent ; vides de réalité, de nature, de caractères propres sont, ultimement, sans discontinuité.

Toutefois, telle que je l'expérimente relativement, la conscience de soi n'est pas sans absence (d'impression) de discontinuité !

Du « sentiment (inné) du moi », sous lequel je saisis la conscience de mon existence, et le monde qu'il y a là-dehors, j'éprouve l'opposition dualiste entre la concrétude (caractère relatif aux modalités de l'expérience de la « matérialité ») et l'intangibilité de la pensée (caractère relatif aux modalités sous lesquelles je fais l'expérience de la « conscientialité »), à l'intersection de l'activité des cinq agrégats (rūpa, vedanā, samjnā, samskāra, vijnāna).

Ce n'est là qu'impression ! La nature des Dharmas est vacuité, la nature de mes impressions est, en conséquence, vide (sur la « base de désignation » d'un esprit vide de réalité propre, tout sentiment relatif à une conscience elle-même vide de nature propre est, de facto, vide d'existence propre) !

Vide de réalité, de nature, de caractères et de modalités propres, purement nominal, le « sentiment (inné) du moi » de la personne n'est qu'impression (subtile).Simple désignation (émulation d'une vue mentale virtuelle) sur la base de l'esprit (voilé par l'ignorance), tel est le sentiment « d'existence » de la conscience de soi (de la personne). Ultimement et relativement, forme (et) vide vacuité (du connaisseur)(et) interdépendance (du connu), sans séparation.

Le Bodhisattva, considérant son propre corps, ne produit pas la notion de corps, ne saisit pas de corps, car le corps n'existe pas (...)

Il en est de même pour les trois autres smrtyupasthāna [application de l'esprit sur la sensation, la pensée (citta) et les Dharma] (...)

Le Bodhisattva qui attribue à la couleur une fonction éternelle, ne pratique pas la Prajñāpāramitā (...)

S'il attribue à la couleur une fonction transitoire, il ne pratique pas la Prajñāpāramitā TVGS1-84

  • J'inspire et j'expire lentement... Le courant de mes pensées est claire comme de l'eau (versée) dans l'eau... ma conscience est translucide comme une bulle... le « sentiment du moi » est telle une bulle qui éclate... l'esprit est pur comme l'espace incomposé... sa nature est claire et lumineuse comme un diamant...

De la pensée sans forme à la pensée de la forme, du sens pluriel à la singularité du sens, des impressions aux apparences, du connaisseur au connu, du verbe pensé au verbe parlé, de la désignation au phénomène, de la « conscientialité » à la « matérialité »... du reflet de la Lune au lac qui reflète la Lune, du son à l'écho du son, du rêveur au rêve, du miroir au reflet, de la lumière à l'ombre du bâton, de l'objet à la longueur d'onde de la lumière, de l'ultime au relatif... toutes ces (apparentes) dualités entre des (apparences) d'opposés vides de réalité, de nature et de caractères propres, sont « vides de soi propre»!

Puisque le vide et la forme (l'un et le multiple) sont sans discontinuité, leur unité est, conséquemment, sans obstruction. Vide de nature propre, la forme est sans obstruction à la vacuité. Vide de réalité propre, la vérité ultime est sans obstruction à la vérité relative. Puisque le vide est « vide de réalité propre » (« vacuité de la vacuité »), tel l'espace incomposé, sūnyatā « n'existe pas » ! Puisque la forme aussi est, ultimement, vide d'existence propre (purement nominal tels les Dharmas), rūpa « n'existe pas » ! Il en est de même avec les autres agrégats, la sensation, la discrimination, les élaborations mentales, la conscience mentale, jusqu'à l'esprit lui-même. Et puisque tous sont vides de réalité, de nature et de caractère propre, les skandhas « n'existent pas » ! « Les cinq skandhas P'OUNG PO NGA PO TÈ TAK KYANG, devraient être considérés comme étant complètement vides de nature inhérente, RANG SHIN KYI TONG PAR NAM PAR YANG TAK PAR DJÉ SOU TAO » EPS.

C'est ainsi ! Puisque le vide (et la) forme, l'interdépendance (et la) vacuité, « n'existent pas », alors l'ainsité également « n'existe pas » !

Pour autant, cela ne signifie pas que la vacuité soit le néant ! Il faut se défaire de la « vue extrême » du nihilisme. Réaliser la vacuité, ce n'est pas abolir l'ultime après avoir annihilé le relatif, ce n'est pas faire disparaître les apparences comme si elles n'étaient qu'illusion. La nature des phénomènes est comme une illusion. Les modalités sous lesquelles nous faisons l'expérience de la « matérialité » ne disparaissent pas subitement à la réalisation de leur vide de réalité propre, pas plus que ce « vide » ne se révèle nouménal et absolu.

Réaliser la vacuité, c'est voir les phénomènes tels qu'ils sont, simples apparences vides de soi propre, qui n'obscurcissent pas la vacuité, dont la saisie n'empêche (n'élimine) pas les apparences, car leur existence (les modalités sous lesquelles nous faisons l'expérience de la « matérialité » des Dharmas) a l'esprit pour «base de désignation ». C'est ainsi ! Tel que l'enseigna ārya Nagarjouna, réaliser la vacuité, c'est éliminer «la notion d'existence et de non-existence » EPS.

Puisque l'ainsité n'existe pas, (le vide de réalité propre de) l'existence et (la vacuité de soi propre de) la non-existence sont sans obstruction et donc sans contraire !C'est ainsi ! Ultimement, l'existence (réelle) n'existe pas ! Relativement, « l'inexistence de l'existence » n'existe pas ! « Il n'y a ni complète inexistence ni complète existence par nature inhérente » EBSI.

Distinguer l'existence (bhava) de la non-existence (abhava),

C'est ne pas s'en libérer.

Reconnaître leur identité foncière,

C'est gagner la victoire et réaliser l'état de Buddha TGVS1-428

Affirmer la réalité de la forme et du vide est « vue extrême » de l'être, affirmer leur inexistence est « vue extrême » du non-être ! L'inexistence ne vaut qu'en tant que méthode d'argumentation. Inférée par «l'inexistence » de sūnyatā, induite par « l'inexistence » de rūpa, l'ainsité (ni existence ni non-existence) est la conclusion logique de la méditation analytique sur la vacuité. « Si il [le Bodhisattva] avait en vue le vide absolu (atyantasūnyatā) des Dharma, en saisissait le caractère et y adhérait en pensée, ce serait une vue fausse ; mais s'il considère le vide sans y adhérer, ni produire de vue fausse, c'est la dharmaksānti » TGVS2-324.

Lorsque sujet et objet sont saisis sans discontinuité relative et ultime (sans apparence de soi propre dans cela qui est vu, sans impression de soi propre dans cela qui voit), il n'y a plus alors de dualité. «Lorsque la vacuité est vue comme existence conditionnée, la vacuité d'existence inhérente ne sera plus vue comme contredisant la validité de l'agent et de l'action » EBSI. Lorsque, « la vacuité de la vacuité » est saisie sans obstruction, il n'y a plus alors de contradiction. « Pas la moindre existence propre et cela apparaît en dépendance de ceci sont deux notions correctement établies et existant ensemble sans contradiction » EBSI.

Puisque l'acte n'est ni produit en raison des conditions ni non-produit en raison des conditions, pour cette raison, l'agent, lui non plus, n'existe pas. - Si l'acte n'est pas, comment l'agent et le fruit né de l'acte, existeraient-ils ? Le fruit n'étant pas, comment le jouisseur du fruit existerait-il ? TGVS1-101

La vacuité est « le cœur de la nature » des Dharmas, dont le « sῡtra du cœur » exprime la quintessence. Mais, le sῡtra du baghavati évoque également le cœur de la compassion. Lorsque l'esprit réalise la vacuité du « moi », cessent alors les perturbations émotionnelles et les afflictions mentales corrélatives, engendrées par les pensées du « mien » et du « mon », « il n'y a ni ignorance MA RIK PA MÉ, ni cessation de l'ignorance MA RIK PA SÈ PA MÉ PA » EPS. Autrement dit, le samsāra et le nirvāna sont... sans discontinuité !

L'état de Bouddha est le fruit de la « grande compassion universelle » envers tous les êtres sensibles sans exception - équanimité libre d'attachement pour les proches et d'aversion pour les autres - qui s'obtient par le développement de « l'esprit d'Éveil » - lequel procède de pratiques dédiées : les 7 causes et effets d'Atisha ; l'échange de soi avec les autres (le tonglen) de Shantidéva -.

La sagesse qui réalise la vacuité « coupe la racine de l'ignorance » (la saisie du soi), à l'origine des « douze liens d'interdépendance » qui maintiennent les êtres migrateurs prisonniers du samsāra. Délivrance de toutes souffrances, le nirvāna, est l'état de réalisation du Hīnayāna. « Ayant complètement passé au-delà de l'erreur, ils atteignent l'état ultime du nirvāna » EPS.

La réalisation de la vacuité ne mène toutefois pas à la bouddhéité du Mahāyāna, la « voie où il n'y a plus rien à apprendre », mais constitue la 3ème de ces cinq voies, « la voie de la vision ». Pour la dépasser, les bodhisattvas doivent pratiquer les vertus transcendantes ou paramitas - parcourir les « dix terres » de la 4ème « voie de la méditation » - à l'appui de la perfection de la sagesse (la saisie directe de la vacuité). «Tous les bouddhas qui habitent les trois temps s'éveillent pleinement de la même façon à l'insurpassable, complet et parfait éveil » EPS.

Pour le réalisé du Hīnayāna qui chercherait à atteindre l'Éveil, il est difficile de s'abstraire de l'état de béatitude extatique du nirvāna. Son bonheur n'est pas dû au fait qu'il soit libéré de toutes souffrances, ce ne serait qu'un état d'euphorie passagère du changement qui par nature... n'est que souffrance omniprésente ! Sa félicité vient de la dissolution de l'ego à la réalisation de la vacuité du soi de la personne (dont l'empreinte persiste et ne sera totalement effacée qu'à l'Éveil).

Que l'état du nirvāna soit un grand bonheur et l'état de Bouddha un bonheur plus grand encore nous enseigne que le bonheur dans ce qu'il a de plus pur et de plus vertueux n'est pas conditionné par le «moi». L'amour et la compassion sont des « facteurs mentaux » positifs qui accompagnent l'esprit et dont le développement permet l'actualisation de la nature de Bouddha qui est en nous. Mais pas l'ego ! L'ego n'accompagne pas l'esprit, il en déforme la vue ! C'est la « saisie du soi » qui biaise notre vision par ignorance de la vacuité de la nature du « moi », et nous enchaîne au samsāra. Regardez autour de vous. Pouvez-vous porter un regard sur les événements et sur les autres qui soit exempt de toute pensée et de tout jugement critique ?

Nous n'en sommes pas conscients (car nous ne réalisons ni la vacuité des apparences ni la vacuité de l'impression du moi), mais notre esprit est recouvert de filtres (ou d'empreintes karmiques) qui, à l'instar des applications de « réalité augmentée » de nos smartphones, travestissent notre vision en déformant ce que nous voyons, en nous le faisant apparaître attrayant ou déplaisant, désirable ou repoussant, bon ou mauvais... Regardez autour de vous. Pouvez-vous porter un regard sur le comportement et les actes d'autrui qui soit abstrait de tout affect, de toute charge émotionnelle et toute considération de valeur ?

Nous n'en avons pas conscience en notre état d'êtres ordinaires, mais notre esprit est imprégné d'insidieux perturbateurs mentaux qui conditionnent notre rapport aux autres. Vous ne vous pouvez vous départager, absolument et totalement, de voir le monde à travers le filtre de votre subjectivité, de votre histoire personnelle (« moi psychologique »), de votre individualité, de vos expériences passées, etc.

Chacune de vos sensations fussent-elles nouvelles, chacune de vos perceptions ou discriminations eussent-elles lieu lors de la découverte d'un pays à l'autre bout du monde, chacune de vos élaborations mentales inspirées par vos relations avec les autres, tant que vous n'avez pas réalisé la vacuité tout résonne, de près ou de loin, en surface ou en profondeur, de la « saisie du soi ».

Nous ne savons pas véritablement ce qu'est le bonheur car notre ressenti - ce qui est perçu est ce qui peut être conçu - passe par le prisme déformant du « sentiment (inné) du moi ». Pour le réalisé du Hīnayāna, la vacuité est félicité car sa perception est décohérée des perturbations mentales instillées par l'égotisme des pensées du « moi », du « mon » et du « mien », « [dans la vacuité] il n'y a ni souffrance KUN DJOUNG WA TANG, ni cause de la souffrance GOK PA TANG, ni cessation de la souffrance LAM MÉ YÈ SHÉ MÉ, ni voie T'OP PA MÉ » EPS.

La souffrance est dite : ordinaire (ou « souffrance de la souffrance ») lorsqu'elle ajoute à la douleur par l'aversion éprouvée à son égard ; « du changement » (ou de transformation) lorsqu'elle est induite par l'impermanence ; « omniprésente » en ce qu'elle est inhérente à l'existence samsāriqueDans la vacuité de l'ainsité de la personne, il n'y a plus de « Nobles Vérités » de la souffrance !

Dans la vacuité de la « saisie (innée) du soi », il n'y a plus de cause de souffrance. Lorsque cesse le sentiment du moi, il n'y a plus d'expérience de la « matérialité » de la souffrance ordinaire. Avec la cessation de cette expérience, il n'y a plus de souffrance du changement. Lorsque cesse « l'existence conditionnée », il n'y a plus de souffrance omniprésente. Dans la vacuité de la souffrance, il n'y a plus ni cessation, ni de voie menant à la cessation de la souffrance !

Dans la vacuité, ce n'est pas seulement la dualité sujet/objet (impression versus apparences conventionnelles) qui se révèle, ultimement et relativement, sans discontinuité, c'est aussi l'individualité ! Lorsque le « sentiment (inné) du moi » se dissout dans le vide de réalité propre de son impression subtile, l'altérité c.à.d. « l'individualité d'autrui » s'évanouit avec elle. Avec l'abolition des frontières du moi prend fin la division arbitraire de ce qui nous sépare des autres. La vacuité du soi de la personne ouvre sur un horizon sans différenciation ni limite entre soi et l'ensemble de tous les autres, aussi vaste et infini que l'espace.

D'aucuns, tel Romain Rolland, louent le « sentiment océanique », cette sensation incommensurable de faire partie d'un « tout plus grand que soi », d'embrasser la nature, l'univers tout entier à la dissolution des frontières du moi. Aldous Huxley, en explorant l'au-delà du moi, eu la vision d'un infini de l'être. « Au stade final de l'absence du moi (...) il y a une connaissance obscure que Tout est dans tout (...) où l'esprit perçoit tout ce qui se produit partout dans l'univers » AH-PP-31

Nombreux sont ceux qui se noient dans cette « vision de béatitude » et plongent dans l'enfer de l'addiction des paradis artificiels. D'autres sont saisis d'angoisse face à la situation existentielle du moi, tel Blaise Pascal qui s'effraie du « silence éternel de ces espaces infinis[i] », où l'homme est confronté au néant aveugle d'un univers sans âme. D'autres encore, tel H.P. Lovecraft sont paralysés par une indicible terreur au sentiment de la perte du moi, « aucune extrême angoisse ne peut se comparer à l'excès de désespoir qui le submergea à la pensée d'avoir perdu son identité, savoir que l'on n'est plus un être défini distinct des autres êtres - que l'on n'a plus un soi - voilà le sommet indicible de l'épouvante et de l'agonie[ii] ».

Toutes ses peurs erronées sont induites par la « saisie du soi » ! Parce qu'il croit en la réalité de ses agrégats, l'homme ignorant de leur vacuité craint de souffrir leurs douleurs et espère échapper à leurs souffrances. Parce qu'il croit ce « soi » exister intrinsèquement, l'homme ignorant qu'il est vide de réalité propre éprouve la peur de sa perte et auto-produit la cause de son propre tourment !

Le « sentiment du moi » s'incarne dans l'identité individuelle, son attachement s'affirme dans l'individualisme, son aversion à la peur de sa perte se revendique dans le discours identitaire. Le racisme exprime cette peur de la dissolution de (la pureté de) l'identité dans l'altérité (contaminée et impure). Il traduit l'aveuglement de la croyance en la réalité du soi de la personne sous le jugement haineux de l'autre et sa désignation comme bouc émissaire de tous les maux.

Toutes nos souffrances proviennent de la considération exclusive pour soi, mais aussi de la défiance et du mépris qui en résultent envers l'existence des autres, instillées par son chérissement excessif. L'homme ignorant de la loi du karman, sous l'emprise de son ego, érige son point de vue moral en vérité, s'affirme juge du bien et du mal, et fait d'autrui le responsable de ses souffrances. Toutes les exactions et les crimes les plus barbares, perpétrés au cours de l'histoire et de nos jours encore par l'interprétation littérale des religions, le sont au nom de la croyance erronée en un principe supérieur induite par la « vue extrême » de l'être et le fantasme de l'union avec « plus grand que soi ». Aux antipodes, « [dans la vacuité] les bodhisattvas s'appuient sur la perfection de la sagesse et puisqu'ils y demeurent, leur esprit ne connaît ni obscurcissement ni peur SÉM LA ĐIP PA MÉ TCHING ŦAK PA MÉ TO TCH'IN TCHI LOK LÈ SHIN TOU DÈ NÈ » EPS.

Le sῡtra du cœur l'affirme, réaliser la vacuité du soi de la personne n'est en rien effrayant ! L'état qui ouvre sur le vide de réalité propre du moi n'est pas la porte d'un abîme d'effroi indicible c'est, avec la fin de l'ignorance, celle des préoccupations mondaines associées à la peur mais aussi à l'espoir, par nature factice et mensonger car induit... par la « vue fausse » de la « saisie du soi ». C'est aussi un moyen habile de développer la compassion et l'amour...

La vacuité n'est pas dissolution dans le néant ! Que les frontières du moi puissent tomber tout en conservant une perspective à la « première personne » instille naturellement la peur. Comment peut-on être conscient de son existence alors même que l'on ne possède plus d'instance de perception individuelle distincte du tout qui vous subsume ? Qu'ils s'agisse du « sentiment océanique », des paradis artificiels ou de croyances religieuses fantasmées, ces extrapolations se basent, encore et toujours, sur l'affirmation des vues extrêmes « de l'être et du non-être ».

L'individualité est complètement vide de nature inhérente ! L'individu est vide de toute identité, l'altérité est vide de toute différence. L'individu n'est autre que vacuité, l'altérité aussi n'est autre que vacuité. La nature de l'identité et de l'altérité est la vacuité. Elles n'ont pas de caractéristiques, ne sont pas créées, ne cessent pas, n'ont pas d'impureté, ne sont pas sans impureté, ne diminuent pas, n'augmentent pas. Dans la vacuité, il n'y a ni objets, ni perception, ni élaborations mentales, ni conscience. Il n'y a rien qui puisse être le support de différences discriminatoires. Dans la vacuité, il n'y a ni saisie du moi ni saisie de l'autre. C'est ainsi ! Ultimement, l'identité-altérité (réelle) n'existe pas ! Relativement, « l'inexistence de l'identité-altérité » n'existe pas !

[le Bodhisattva] ne s'attache à aucune espèce de caractères (laksana) : les êtres sont vides de caractères (laksanasῡnya) ; à ce point de vue, ils sont identiques (eka), égaux (sama), sans différence(ananya) TGVS1-355

A cause de cela, dans la vacuité, il n'y a ni cause de souffrance (seconde Noble vérité) ni souffrance (première Noble vérité), puisqu'elle est la cessation du chérissement égotiste instillé par la (vue réaliste de la) « saisie du soi », et accentué par la saisie antagoniste de (la vue réaliste de) l'altérité.

Si l'ignorance, c.à.d. la « vue de l'être » (la croyance en la réalité) du soi de notre personne (et de notre individualité inhérente) instillée par « le sentiment (inné) du moi », est la cause de toutes nos souffrances, l'altérité comme vue antagoniste de « l'être de l'autre » est son corollaire. Si chaque être sensible évoluait dans sa propre dimension physique, transparente à la vue de tous mais sans interaction possible entre leurs espace-temps, l'altérité ne susciterait ni aversion, ni désir-attachement, et les actes d'autrui ne seraient plus susceptibles de faire obstacle à la recherche de bonheur égotiste dans une opposition conflictuelle.

La « vue de l'être » est la racine de toutes les souffrances envers soi (dont nous nous infligeons les fruits karmiques) et de toutes les souffrances envers les autres - pour lesquels nous jouons le rôle de « déclencheur karmique » -. Elle est aussi la condition de notre libération ultime ! L'on pourrait penser que si les autres nous apparaissaient comme des fantômes, le « chérissement de soi » serait moins développé, car nos rapports à autrui ne conditionneraient pas notre bonheur et notre souffrance. Or, sans « la vue de l'être » qui nous fait croire au réalisme de l'altérité (duelle au réalisme de notre individualité), nous ne pourrions ressentir d'empathie à la souffrance des êtres ni éprouver de compassion, ni par la pratique de « l'échange de soi avec autrui » (tonglen) développer « l'esprit d'Éveil » menant au bonheur ultime de l'état de Bouddha !

A l'instar de sῡnyata, qui n'est pas une réalité ontologique mais une méthode d'argumentation visant à nous amener par sa compréhension à réaliser l'ainsité, saisir que dans la vacuité, il n'y a pas différence entre soi et les autres mais identité, outre le caractère déstabilisant du fait que l'individualité et l'altérité sont ultimement sans discontinuité, sans obstruction et sans contradiction, risque de nuire au développement de la compassion non par incompréhension, mais parce que... la félicité rationnelle du nirvāna l'emporte sur le cœur !

Dans l'observation attentive de l'esprit méditant la pleine conscience, entre deux pensées, il y a une intervalle non mesurable, comme un interstice « intemporel » où l'esprit se révèle en sa véritable nature (rigpa). Dans la méditation analytique, l'esprit qui conçoit la vacuité « sans-forme » entraîne la dissolution y compris de sa propre saisie. Lorsque le courant de pensées se fait clair telle de l'eau versée dans l'eau, la conscience translucide telle une bulle, l'esprit pur comme l'espace incomposé, sa nature claire et lumineuse tel un diamant, l'esprit glisse au-delà du par-delà de toute dualité où identité et altérité se fondent indistinctement...

Il ne se produit pas de « saut quantique » ! Dans la vacuité, il n'y a ni transition, ni transformation, ni séparation. La vue modale de la forme se fait vue amodale du sans-forme dans un mouvement sans mouvement, comme de l'eau s'écoulant sans s'écouler. Outre le fait que méditer le sans-forme induit une grande félicité (qui peut vite devenir addictive), l'ainsité n'est pas sans forme, pas plus qu'elle ne dissout l'individualité dans l'altérité jusqu'à complète indifférenciation ! Réaliser l'ainsité, c'est « voir simultanément les apparences n'obscurcissant pas la vacuité et la vacuité n'empêchant pas les apparences » MHM.

Tous les êtres ont été (sont) mes mères, tous ont été (sont) mes parents, tous nous avons tenus tous les rôles (positifs et négatifs), mais il est une chose que les autres ne sont pas, c'est « moi », et une chose que je ne suis pas, c'est « eux » ! Du moins relativement, car ultimement, notre nature est vide de réalité propre, et de fait indifférenciée. Que, dans la vacuité, l'individualité et l'altérité soient sans discontinuité ne gomme pas l'impression de leur perspective ! Bien que notre identité et celle d'autrui soient, ultimement, vides de réalité propre, elles nous apparaissent, relativement, comme si tel était le cas...

Il faut distinguer le nirvāna de l'Éveil. L'ārya qui a réalisé la vacuité a abolit le chérissement du soi avec l'annihilation de son ego. Demeure une empreinte résiduelle sur son « continuum de conscience » qui (le) fait « se » saisir conscient dans l'aperception de « son » individualité (exclusive de la saisie de l'altérité). A contrario, dans l'état de Bouddha, la conscience est totalement décohérée de toute individualisation subjectiviste et entitaire. C'est la « saisie du soi » qui nous fait croire que la « conscience » est propre à un sujet en tant que sa faculté inhérente. En son état élémentaire de « connaisseur », l'esprit ne se départage pas de la connaissance transcendantale.

La quintessence de « l'enseignement de la perfection de la sagesse » réside dans la réalisation que la Prajñāpāramitā est la connaissance au-delà du par-delà de toute forme, perception, discrimination, élaboration mentale, conscience, sous les agrégats individualisés par l'activité de leur association. La Prajñāpāramitā est la connaissance au-delà de (la conscience de) l'individualité, au-delà de (la pensée de) l'altérité, par-delà toute dualité et toute contradiction.

Les ārya qui ont réalisé la vacuité : en saisissant le vide de réalité propre des Dharmas, perçoivent que les phénomènes sont, ultimement, sans discontinuité ; en saisissant le vide de réalité propre du soi de la personne, perçoivent que l'individualité est, ultimement, sans discontinuité à l'altérité et... perdent de vue la souffrance d'autrui ! Lorsque l'esprit s'abandonne dans la félicité exempte de toute perturbation et affliction mentale des états de concentration du dhyāna du sans-forme - où toute forme se révèle pure tel l'espace incomposé, indivisible car incréée, indivisable car non-née -, la consubstantialité (insubstantielle de la vacuité) de la forme (au) vide et du vide (à la) forme, la coexistence (inexistentielle de la vacuité) de l'individu à l'altérité, ne remplissent plus leur rôle de « miroir ». Lorsque la forme se fond dans le sans-forme, que l'équivoque se dissout dans l'indifférence, l'autre disparaît dans mon reflet que je rejoins à sa disparition...

Les Bouddhas en réalisant la vacuité d'existence propre des dharmas saisissent que tout phénomène est, ultimement, sans discontinuité à (la désignation de) l'esprit... simultanément à la saisie de leurs apparences relatives... conjointement à la saisie de la vacuité d'existence propre d'une conscience singularisée... elle-même simultanée à son impression relative.

La vacuité révèle le vide de réalité propre des agrégats (de la forme, de la pensée de la forme, de la conscience, etc.), elle ne les dissout pas ! Le sens de l'assertion « la forme est le vide et le vide est la forme », réside dans la distinction entre nature et perception. La « vue juste » saisit la vacuité des apparences simultanément à la vacuité de l'impression qui les saisit, et ouvre ainsi à la saisie directe de la non discontinuité entre l'un et le multiple...

  • J'inspire et j'expire lentement... Je sens que je respire, je perçois que je respire... Je suis conscient que je respire, je « sais » que je respire...

  • J'inspire et j'expire lentement... Je visualise mon double assis devant moi dans la même position. J'imagine que c'est mon double exact, à la cellule près. Nous respirons au même rythme, le sens circule dans nos corps à la même vitesse... Rien ne diffère d'un iota dans l'activité interne de nos organismes, y compris notre activité cérébrale. L'illusion est si parfaite qu'un observateur extérieur serait incapable de nous distinguer... Quant à établir une différence de l'intérieur, c'est tout aussi impossible car nous pensons la même chose... au même moment !

  • J'inspire et j'expire lentement... Je respire et je « sais » que je respire... Je pense « je suis l'original », mon double le pense conjointement... Je pense « je suis mon double », la même pensée surgit simultanément dans son esprit...

  • J'inspire et j'expire lentement... Je m'échange avec cet « autre » moi-même. Je n'ai pas besoin de changer de place, il me suffit de changer l'affirmation de « qui je suis », l'original, le double... le double, l'original, etc. Comme de tourner en rond sur soi-même perturbe notre sens de l'équilibre et nous fait vaciller lorsque nous nous arrêtons subitement, je m'interroge... Qui suis-je vraiment ?

  • J'inspire et j'expire lentement... J'ajoute à l'équation que l'un de nous deux est un hologramme. Ses agrégats sont différents, mais l'illusion est sans faille et donc indiscernable. Cette information n'a d'ailleurs pas pour but de permettre de nous identifier, mais de questionner « la conscience de soi »... Je ne suis peut-être qu'un « jeu de lumière », mais dès lors que je pense être réel, je m'aveugle de l'affirmation de ce sentiment. Pour m'en libérer, il me faut en établir la réfutation...

  • J'inspire et j'expire lentement... Je perçois le sol sous mon corps, je sens mon corps, j'éprouve ma position, je ressens ma respiration... Comment se pourrait-il que l'expérience de la « matérialité » de mes agrégats soit (comme) une illusion ? Comment serait-il possible que les modalités sous lesquelles je fais l'expérience de la concrétude de mon corps, du caractère tangible de mes agrégats et, plus encore, de la conscience que j'ai de « moi-même » soient (comme) une illusion ?

Je ne suis pas fait de lumière, mais de cellules, de molécules et d'atomes, mais quelle différence cela fait-il vraiment ? Au niveau quantique, rien n'a d'existence qui ne soit mesuré et, ce faisant, n'est que l'ombre de la mesure ! Quelle que soit la composition de mes agrégats, quels que soient leurs activités et la combinaison de leurs activités, ce « moi » à travers lequel je m'identifie et me définit est aussi « vide de réalité propre » que l'hologramme de cette expérience de pensée que je visualise en méditation ! « Le moi n'est pas stable. C'est le discours sur le moi (autobiographique) qui lui donne une cohérence. Le moi en lui-même n'est pas cohérent. Mais, si le moi n'est pas consistant, solide, "qui je sui moi " ? [iii]».

Dans la vacuité, tous les phénomènes sont dépourvus de réalité, de nature, de caractère et des modalités sous lesquelles nous en faisons l'expérience physique et mentale. A cause de cela, dans la vacuité, le soi de la personne est vide ! Il n'y a pas de « moi » existant intrinsèquement, la conscience, l'esprit, également, sont vides de soi propre et autonome. « Il n'y a pas de "possesseur" de l'expérience. Il n'est pas possible de dire "j'ai réagis", seulement "qu'il y a eu réaction" (...) Les neurosciences disent que le "moi" n'est pas un objet, c'est un processus, une activité permanente de parties du cerveau qui se synchronisent[iv] ».

Dans la vacuité, individualité et altérité sont sans transition, mais « la nature de l'ainsité » n'est pas ce que en nous percevons... Il m'est impossible de dire de quoi sont physiquement constitués mes agrégats, je suis incapable d'affirmer qui est l'original et qui est le double, mais le seul fait de m'apparaître « face à moi-même » suffit à émuler la perspective de la conscience de « l'autre » duelle au « sentiment du moi ». «Tout ce que je peux toucher, mon cortex pariétal [droit] considère que c'est moi et tout ce qui est "hors de ma portée", [mon cortex pariétal gauche considère] que c'est autre. En permanence, je construis mon moi avec tout ce que je peux toucher, attraper physiquement mais aussi mentalement, car le cerveau ne fait pas la différence entre physique et mental[v] ».

  • Il y a inspiration et expiration lentes... Et si la réfutation de l'identité de l'idée de « double » résidait dans l'argumentation qu'il n'y a pas d'original ? Il pourrait n'y avoir là que des jeux de lumière ! Mais, s'il y a reflet où se trouve le miroir ? Là encore, ce serait une erreur de l'identifier à notre nature véritable. Le miroir n'est pas la vacuité, puisqu'elle est vide de réalité propre ! Étant vides aussi, les reflets (c.à.d. les phénomènes) ne sont pas non plus le miroir...

L'ainsité n'est pas la « vue de l'ainsité ». Ultimement, tous les phénomènes sont vides de réalité propre (ils n'ont d'existence qu'en interdépendance), mais ils nous apparaissent comme existant intrinsèquement ! Que les Dharmas ne soient pas, relativement, sans absence (d'apparence) de discontinuité­, et la conscience de soi sans absence (d'impression) de discontinuité, qui nous les font paraître différents de ce qu'ils sont véritablement, provient d'un effet de perspective dans lequel la vue de l'esprit joue le rôle de miroir.

Dans la vacuité, il n'y a ni miroir ni reflet. Vides de réalité propre, les apparences ne peuvent se refléter dans la vacuité... puisque vide elle-même ! La forme n'est pas le reflet du vide, c'est la saisie (indirecte) sous laquelle le vide apparaît, isolément, comme forme à l'esprit qui ne réalise pas l'ainsité.

Ultimement, la forme est vide, le vide est forme. Si les apparences reflétaient la vacuité, ce dualisme traduirait une réalité nouménale ! Or, comment pourrait-il y avoir quoi que ce soit de l'ordre d'un «manifesté» réel puisque le vide est, ultimement, dépourvu de réalité propre - et quoi que ce soit de l'ordre d'un non-manifesté réel (le néant) puisque la forme apparaît comme étant vide en tant seulement que vue amodale sous la perspective de l'ignorance - ?

Ce miroir (vide de nature propre), dans lequel la vacuité du soi des phénomènes se reflète « apparence » et la vacuité du soi de la personne « impression », est le voile de l'ignorance qui recouvre l'esprit des «vues extrêmes » de l'être, du non-être. Se recoupe de fait l'assertion selon laquelle « les apparences sont notre esprit » au sens profond de la vacuité où « les phénomènes n'ont d'existence que sur « la base de désignation par l'esprit ». « La forme (est le) vide, le vide (est la) forme », est la « vérité ultime », tandis que la vue (voilée) sous laquelle le vide apparaît comme forme propre est la « vérité conventionnelle ».

Saisir l'ainsité, c'est voir simultanément la forme-vide et le vide-forme. Simultané n'a pas trait à la nature des choses, mais au caractère qui fait de sa vue, la « vue juste » de la sagesse qui réalise l'ainsité. Toutefois, alors que la voie du Hīnayāna établit seulement la vue de l'ainsité, la voie du Mahāyāna s'appuie sur la vue juste de la perfection de la sagesse pour atteindre à l'unification de l'état de Bouddha.

L'être sensible ordinaire a conscience de son existence sous une perspective individualisée (de sorte que face à notre double, même s'il était parfait, nous ferait le percevoir comme « autre » !). Dans la vacuité, il n'y a ni conscience individualisée, ni conscience extériorisée. A cause de leur vide de réalité propre, il n'y a ni unification, ni conscience globale, ni Tout absoluL'ainsité de l'état de Bouddha est au-delà de toute division(sous la saisie du soi), au-delà de toute indivision (qui isole le réalisé du Hīnayāna du Mahāyāna), et par-delà toute union (de l'un et du multiple dans un Tout).

Au nirvāna, le « chérissement du soi » se dissout avec l'annihilation de l'ego. Ainsi le réalisé est-il décohéré de toute subjectivité, dont toutefois demeure l'empreinte tel l'axe d'une « vue à la première personne », qui conditionne une aperception individualisée (terme qui n'est pas synonyme de personnaliser, ni signifiant d'un soi dont le sentiment est abolit, mais d'une simple « localité »).

A l'instar du sens de la proprioception qui nous communique la position de notre corps dans l'espace, cet «axe » est pareil à l'écho radar d'une simple présence qui n'a plus ni témoin ni opérateur. Le réalisé du Hīnayāna a conscience d'une réaction... sans se percevoir comme un « moi ». A l'instar des états de méditation du sans-forme (du samādhi des dhyāna) où il n'y a plus dualité sujet/objet, dans le nirvāna, il n'y a plus de « possesseur de l'expérience », bien que toujours expérimentation et « connaissance de cette expérimentation », que la félicité du nirvāna cristallise. Ce n'est toutefois pas cette « cristallisation » qui rend difficile de s'en extraire (pour aller vers le Mahāyāna), mais la persistance de l'empreinte du sentiment d'une conscience individualisée. Qu'en est-il à l'Éveil ?

Vides de réalité propre, forme et vide, pensée et objet, esprit et (existence des) phénomènes (sur la base de désignation de l'esprit), individualité et altérité, sont ultimement sans discontinuité. Cependant, « Le vase n'est pas vide du vase, il est vide d'existence véritable » EVM-386. Relativement, les Dharmas ne sont pas sans absence (d'apparence !) de réalité propre. Si « vide de possesseur de l'expérience » signifie qu'il n'y a rien ni personne qui fait l'expérience, et si « vide de la connaissance de l'expérimentation » signifie, tout aussi littéralement, qu'il n'y rien à connaître, outre d'être dépourvus de conscience individualisée, les Bouddhas seraient également dépourvus... d'omniscience !

Il faut distinguer vacuité et ainsité. Au-delà du par-delà, la Prajñāpāramitā est la connaissance de l'indifférencié vide au non-indifférencié forme. Dans l'ainsité, agent et action bien qu'ultimement sans discontinuité ne sont pas, relativement, sans absence d'interopérabilité. L'ainsité n'annihile pas toute possibilité d'action ! « Soutenir l'opposé, - avec la vacuité il ne peut y avoir de fonction et, avec la fonction, pas de vacuité - c'est tomber dans un abysse terrifiant » ESBI.

Dans la vacuité, il n'y a pas de distinction entre les Bouddhas, non pas seulement en termes d'énergie et da compassion. La bouddhéité est l'état de la nature véritable de l'esprit, lequel ultimement n'est pas individualisé. A cause de cela, dans la vacuité, il n'est pas possible de distinguer les êtres éveillés ni de les subsumer en un Tout (ce qui serait une « vue extrême » de l'être). « Tous les bouddhas qui habitent les trois temps s'éveillent pleinement de la même façon [sous-entendu au « même » et] à l'insurpassable, complet et parfait éveil en s'appuyant sur la perfection de la sagesse » EPS.

Le produit résultant, le Trikāya ou les « trois corps de Bouddha » sont « les trois expressions de l'Éveil, une en essence » DEB-306 : le Dharmakāya est la « dimension de la vacuité de l'Éveil, sans naissance ni mort, sans caractéristique qui embrasse l'ensemble des corps et symbolise leur indivisibilité » DEB-306 ; le Nirmānakāya est le corps d'émanation ou d'apparition, vecteur de compassion, par lesquels les Bouddhas viennent en aide aux êtres sensibles ; le Sambhogakāya ou corps de félicité, parfaitement doué, est le fruit des vertus de la perfection (paramitas).

Les religions font écho à cette trinité. Dans le christianisme, elle est constituée par le père (éternel), le fils (Verbe ou Parole de Dieu) et le saint-esprit (l'Esprit). Dans l'Hindouisme, elle est représentée par la Trimurti : Shiva (cause suprême, Père), Vishnu (préservateur qui descend dans le monde sous forme d'avatars, Brahma (équilibre des tendances rajas, sattva et tamas). « L'Unité divine ne peut être envisagée que comme collective (...) dans l'ordre de la manifestation comme dans celui de la réalisation (...) L'unité et l'interdépendance des trois tendances fondamentales considérées comme une seule entité Ishvara » DAN-43.

Corps, parole, esprit, pourquoi y a-t-il tant de religions, philosophies et approches du « divin », si toutes recouvrent une même vérité ? 

C'est parce que la manière dont nous pouvons saisir, discerner et nous représenter cette vérité dépend de la capacité de notre esprit, elle-même relative à nos voiles karmiques. Sous l'emprise de la vue de l'être, certains y voient le multiple, d'autres l'Un. « La notion de l'Unité divine semble être une fiction, projection par l'être vivant de sa notion du moi (...) tout comme est illusoire l'unité de la personne humaine qui n'est qu'un noeud temporaire liant ensemble diverses facultés » DAN-43.

Les traditions philosophiques du Vedanta et du Yoga considèrent l'existence d'un Soi individuel (ātman ou jῑvātman) dont la libération consiste dans l'union avec le Soi universel (Brāhman ou paramātman). Dans la religion chrétienne, c'est le « retour » de l'âme à Dieu. Or, toutes ces conceptions reflètent la « vue extrême» de l'être ! La vacuité est libre de toute élaboration mentale, de toute pensée d'identité, de toute différence et de toute indifférenciation ! « Ce jῑva n'existe absolument pas : [simple désignation des éléments] il n'entretient avec quoi que ce soit ni rapport d'identité ni rapport de différence » TGVS1-62.

Ultimement sans discontinuité, « l'état de Bouddha » n'est toutefois, relativement, pas sans absence (d'apparence !) de... « saisie individualisée ». Dans la vacuité, il n'y a ni êtres individuels, ni être absolu (un ensemble formé de « parties » vides de réalité propre est vide de réalité propre). Dans la vacuité, l'unité vide n'existe pas ! A cause de cela, dans la vacuité, le « multiple » aussi n'existe pas ! « Les nombres débutent par l'unité. L'unité n'existant pas, la pluralité n'existe pas non plus. Ainsi, la différence ou l'identité ne peuvent être établies » TGVS-104.

L'un et le multiple sont des concepts nominaux utilisés par les êtres pour définir les Dharmas relativement à leurs capacités. Ils ne recouvrent pas une réalité ontologique, comme la croyance en (la réalité de) l'enfer fait craindre la souffrance à l'homme qui en ignore la cause véritable de commettre des actes négatifs dont les fruits karmiques l'enferrent dans le samsāra. « Le Buddha craint que les hommes grossiers, rassurés du côté de l'enfer, ne commettent le péché ; il veut que les sages apprennent à se dépouiller de tout égoïsme : aussi enseigne-t-il aux uns l'existence du moi et aux autres l'inexistence du Moi » TGVS1-62.

  • Il y a inspiration et expiration lentes... Il y a observation méditative, face au double de soi-même, qui également s'observe : dans l'activité de cet esprit, il est « mon » double ; dans l'activité de son esprit, je suis le « sien » ! Puisque la personne n'est qu'une « impression » vide de réalité propre, de tels concepts d'original et de double, d'identité et d'altérité ne font, ultimement (absolument) pas sens !

  • Dans la vacuité, il n'y a ni « possesseur de l'expérience »... ni expérience ! A cause de cela, dans la vacuité, il n'y a ni connaisseur ni connaissable, seulement la connaissance « au-delà du par-delà » de tout concept et de toute conception, de toute saisie consciente, de toute individualisation de cette saisie...

  • A cause de cela, dans la vacuité, il n'y a pas de division, car il n'y a rien à diviser ! Vide de réalité propre, la vacuité est indivisible tel l'espace incomposé incréé, indivisable car non-né ! Dans la vacuité, la forme (est le) vide, le vide (est la) forme, la partie (est le) tout, le tout (est la) partie, ni différent ni indifférencié...

  • Comme de l'eau versée dans l'eau, comme les vagues à la surface d'un océan, telles les rides à la surface du lac qui reflète la Lune... Ultimement, océan, lac, Lune, vides de réalité propre sont sans différenciation, ni discontinuité. L'ainsité n'est pas « la vue de l'ainsité » !
  • La Lune qui se reflète dans le lac, le lac, les rides sur l'eau, les vagues sur l'océan ne sont pas «sans absence (d'apparence !) de discontinuité »... Relativement, leur observateur n'est pas « sans absence (d'impression !) de discontinuité » avec cela qu'il observe... Comme « moi-même et mon double », dans la vue de laquelle, la scission des points de vue, le schisme de la perspective, surgissent sans transition du vide-forme et la forme-vide...

  • Distincts et différenciés dans le relatif, indivis et consubstantiels (au-delà de toute substance) dans l'ultime... comme les deux extrémités d'une corde ! Vu sous sa longueur, une corde forme une ligne, mais vue depuis une extrémité qui dissimule l'autre, elle apparaît comme un point ! Et qu'est-ce qu'un point ? Une intersection de lignes. Il n'y a pas de points individuels, seulement l'entrelacs de lignes qui nous apparaissent comme des points, telle la forme vide...

  • Théorie des cordes ! Et si « mon » double et « moi-même » étions les extrémités d'une corde invisible vibrant à la même fréquence ? Et si l'activité de l'un ne se reflétait pas dans l'activité de l'autre, mais « plus grand que soi » ? Tout se résume-t-il à un simple jeu de perspective, l'altérité résonnant de la « saisie du soi » comme un mirage dans l'espace incomposé ?

  • Dans la vacuité, rien ne donne le « la », rien ne résonne, ni original, ni double. Les pensées surgissent simultanément comme si le « process des esprits » n'en formaient qu'un seul ! A cause de cela, dans la vacuité, les concepts de « même » et de « différent » n'ont pas sens. « Autrui » et «moi-même » sommes identiques sans être unique comme les vagues sont l'océan ! Pour autant, l'ensemble de toutes les gouttes eau contenues dans l'océan n'est pas l'océan...

  • Dans la vacuité, il n'y a ni moi, ni autre, ni moi autre ! Cependant, l'ainsité est au-delà (de la vue) de l'existence et au-delà (de la vue) de la non-existence. A cause de cela, dans l'ainsité, il n'y a ni «non-moi », ni « non autre », ni « non moi autre » ! « Aller » au-delà (de la vacuité) du possesseur de l'expérience, « aller » au-delà (de la vacuité) de l'expérience, « complètement de l'autre côté » pour réaliser l'ainsité où il n'y a ni existence ni non-existence ...

Dans le Dharmakāya, il n'y a plus d'objets connaissables, aucune dualité, disparition des pensées discursives et de l'esprit qui appréhende les objets. La sagesse non conceptuelle "connaît" la vacuité sans en être différenciée, comme l'eau versée dans l'eau DEB-306

Quelle ironie que les deux extrémités de la corde non seulement s'ignorent mais, qui plus est, du fait du «sentiment (inné) du moi » émulé par la perspective de la cécité de leur véritable nature, s'opposent dans la recherche du bonheur illusoire et font de cet « autre soi-même » le bouc émissaire de leurs souffrances !

Parce que nous croyons en la réalité autonome du soi de la personne, que nous chérissons parfois jusqu'à l'extrême, nous allons y compris jusqu'à voir en l'autre un étranger « impur » qui menace la pureté de notre identité. Que de violences et d'actes de cruauté barbares ont été commis envers nous-mêmes à travers l'histoire humaine par l'aveuglement du « chérissement du moi » !

Se voir comme un « soi », propre, autonome, distinct et isolé, exige un effort démesuré de relation empathique et altruiste avec l'autre, dans un travail tout aussi considérable d'introspection de notre rapport à la conception de ce « soi », pour reconnaître l'importance de la souffrance et du bonheur d'autrui, jusqu'à parvenir (par l'entraînement à la pratique de « l'échange de soi avec l'autre ») à faire naître la compassion qui nous permettra d'abattre les murs de la forteresse de notre égoïsme et de nous libérer de l'emprise de la « saisie du soi ».

Vous n'êtes pas obligés d'adhérer à la théorie selon laquelle nous serions chacun « l'extrémité d'une corde» - qui par ailleurs posséderait une infinité de sections - c.à.d. que nous partageons, ultimement, le même «état de nature », vide de réalité propre, sans différenciation, discrimination ni contradiction. Ne croyez pas sans réfléchir et analyser vous-mêmes ces perspectives visant à éclairer votre compréhension de la vacuité, sans empêcher la compassion, laquelle s'appuie sur le support de la perfection de la sagesse qui réalise l'ainsité.

La cause incontournable qui permet de faire naître la vision supérieure est la réalisation de la vue par la sagesse provenant de l'écoute et de la réflexion. Cela doit être précédé de l'écoute d'enseignements sans erreur provenant de maîtres érudits dotés d'une connaissance parfaite de l'essence des excellentes paroles du Bouddha AAM-69

De plus, si le modèle « ondulatoire » de la transmigration permet d'éclairer la conception bouddhiste canonique « corpusculaire », considérer notre rapport à autrui au-delà de notre interdépendance et de notre interconnexion dans l'unité de notre nature véritable, change certes l'attitude de notre rapport aux autres, mais il n'est pas aisé de faire naître et de cultiver la compassion envers autrui en ce saisissant «vide de réalité propre » et, ultimement, sans discontinuité...

Pourtant, les deux approches ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Je me soucie de ma main gauche autant que de ma main droite, car elle fait partie de mon corps. Mais, je me soucie moins de ce qui peut arriver au corps d'autrui, car nos agrégats sont physiquement séparés ! Qu'il souffre m'importe peu tant que je ne ressens pas sa douleur dans ma chair ! Mais, dès lors que je saisis que l'individualité et l'altérité sont, ultimement, sans discontinuité, je ne peux ignorer la souffrance de l'autre puisque nous sommes les deux extrémités d'une même corde, comme s'il était « ma » main droite et que j'étais « sa » main gauche...

Quelle que soit la distance qui nous sépare, quels que soient le caractère et le degré de nos différences (sociales, culturelles, linguistiques, épigénétiques, etc.), toutes s'évanouissent dans la sagesse qui réalise la vacuité de leurs apparences à la saisie de l'union infaillible de notre nature véritable, indivisible tel l'espace incomposé, indivisable car incréé comme l'espace. Nous résonnons les uns des autres (sensoriellement, psychiquement, énergétiquement, etc.) pas uniquement du fait de notre interdépendance, ni de nos karman dont nous semons les graines, mais parce que, dans la vacuité, nous sommes tous, ultimement, sans distinction, différenciation, discontinuité... de corps, de parole et d'esprit !

La nature de notre être profond n'est pas différente de celle d'un Bouddha. La différence tient au fait qu'un Bouddha est conscient de cette nature tandis que l'homme attaché à la terre ne l'est pas à cause de l'illusion de l'ego, du moi. 

Cette nature profonde sῡnyata, pure potentialité, pure vacuité ; pour la conscience de l'esprit illuminé la plus haute vérité, la loi de vertu immanente, l'état spirituel d'un Bouddha LTM-13

Ces deux approches, relationniste et syncrétique, sont le terrain que la Bhāvana bouddhiste vise à cultiver par : le véhicule de la cause (sutrāyāna), qui consiste à visualiser des Bouddhas extérieurs à soi (sur la base de la relation de l'individu à l'autre) ; et le véhicule du fruit (Vajrayāna), qui consiste à se visualiser soi-même comme étant de la nature de la « déité de visualisation » (dans une approche de fusion osmotique). Le principe est d'inverser l'orientation de l'esprit égocentré depuis des temps sans commencement, en parcourant le chemin (dont l'ordre est incontournable) des « voies et les terres » - accumulation, préparation, vision, méditation, au-delà de l'apprentissage - jusqu'à atteindre l'Éveil.

Ce cheminement spirituel va de la cognition autocentrée à la connaissance au-delà du par-delà de toute expérience, dont la disjonction correspond à l'état divisé de l'esprit par l'égocentrisme versus l'état indivis de la nature de Bouddha. Il procède de la réalisation de la vacuité, laquelle permet l'abolition de « la saisie (innée) du moi » - dont le chérissement est l'instigateur des actes non vertueux, initiateur de l'attachement et de l'aversion, qui avec le karman nous enchaînent au samsāra -. Puis l'effacement de l'empreinte du « possesseur de l'expérience », en annihilant toute trace de dualité entre soi et les autres, ouvre sur l'état de Bouddha, qui est pure connaissance ou Prajñāpāramitā.

A cause de cela, dans la vacuité la dissolution de l'ego à la dissipation du voile des perturbateurs mentaux entraîne l'abolition du « moi-juge » et, avec lui, de tout conflit. Avec la réalisation (de l'identité) du non-soi de la personne au non-soi de l'altérité, la compassion pour soi (le renoncement aux actes non vertueux), dans la vue juste de la réalité, est indivis de la compassion pour autrui !

Lorsque la sagesse qui réalise la vacuité du soi de la personne saisit le sentiment d'identité sans différenciation au sentiment d'altérité, s'établit la vue de juste de l'unité indivise de tous les êtres. A cause de cela, dans la vacuité, l'esprit ne connaît plus (l'impression du) « sentiment (inné) du moi », ni les pensées du « mien » et du « mon », ni les émotions perturbatrices engendrées par ces pensées, ni les afflictions et les souffrances de la rétribution du karman...

  • Il y a inspires et expires lentes... Il y a sensation du flux et du reflux de l'air dans la poitrine... Il y a respiration et conscience de la respiration... Mais, il n'y a nulle part de « possesseur de la respiration », ni de « possesseur de la conscience » ! Il n'y a pas de soi propre qui, ici et maintenant, fait l'expérience de respirer...

  • Il y a sensation de la posture de méditation, sensation du contact du corps sur le sol, il y a perception des vêtements sur la peau, de l'espace autour du corps, mais il n'y a nulle part de «possesseur » de ses sensations et de ses perceptions ! Il n'y a là nulle part de « possesseur des agrégats », seulement l'activité combinée de sous-process (circulation du sang, fonctionnement des organes, des cellules, du réseau nerveux, du réseau neuronal, etc.). Autant de process interdépendants, impermanents, sans contrôleur conscient, vides de réalité propre !

  • De même, il n'y a pas non plus de « possesseur » des discriminations, ni de « possesseur » des formations mentales ou de la conscience, il y a seulement leurs activités, à la fois autonomes en leurs domaines spécifiques, et combinés entre eux dans leur fonctionnement global. Que ce soient dans les parties ou dans le tout, il n'y a nulle part de « possesseur », réel et immanent, de quoi que ce soit qui existerait intrinsèquement et de manière autonome...

Puisque les cinq skandhas sont vides de réalité propre, le « possesseur des skandhas » est vide de nature inhérente ! Et puisque dans la vacuité, il n'y a pas de transformation, les « process d'agrégats » sont complètement vides de nature inhérente ! A cause de cela, dans la vacuité, il n'y a ni forme, ni sensation, ni discriminations, ni formations, ni conscience, et ni possesseur ni process de la forme, de la sensation, des discriminations, des formations, de la conscience, jusqu'à ni possesseur, ni process du «connaisseur de l'esprit » !

  • Inspiration et expiration lentes... Le « possesseur de l'expérience » n'est qu'une désignation purement nominale qui n'a ni existence, ni nature, ni caractère, ni modalités propres sous lesquelles s'éprouve son sentiment ! Dès lors qu'il n'y a pas de « possesseur », il n'y a pas de frontière, pas de délimitation, pas de séparation, pas de distinction à quelque échelle (elle-même vide) que ce soit....

  • Du plus grossier (le corps), en passant par le plus subtil (la conscience mentale) jusqu'au plus infra-subtil (la Claire lumière du « connaisseur de l'esprit »), il n'y a pas de distinction entre les échelles, les dimensions, les plans d'existence - les « mondes du samsāra » où les états de conscience du désir, de la forme et du sans-forme - ! Comme au niveau atomique où il est impossible de distinguer les objets, comme au niveau quantique où il n'y a plus « d'objets » qui se meuvent mais une potentialité de mouvement dont les manifestations ne sont que l'ombre de la mesure, tout est, ultimement, sans discontinuité et sans obstruction...

  • A cause de cela, l'apparence de discontinuité des phénomènes, l'impression de discontinuité de la conscience, jusqu'à la relativité de la vue elle-même se fondent au-delà du par-delà de toute élaboration conceptuelle tel l'espace incomposé...

« Moi » ! Vision réductionniste, raccourci simplificateur. « Moi » ! Intangible alias d'un incommensurable impossible à embrasser par l'esprit. « Moi ! » Point pour dire une somme au-delà de toute totalité. « Moi ! » Nom abstrait, sans profondeur, ultimement vide de réalité. « Moi ! » Fiction mentale à l'émulation du sentiment virtuel duquel « j'en » vient à croire posséder un soi propre. « Je » ! Affirmation de l'intime conviction de son existence intrinsèque. « Je » ! Puérile revendication du droit au bonheur d'un pur artifice. « Je » ! Discours que « je » me raconte à « moi-même » pour justifier de ce moi inexistant et trompeur...

Lorsque les frontières du « moi » sont abolies, le sentiment océanique de faire partie du tout submerge l'esprit. Dans le vide, ultimement, il n'y a ni division, ni fragmentation, ni séparation. Dans la forme aussi, relativement, il n'y a ni apparence, ni impression, ni « possesseur » (simple désignation sur la base de l'esprit) ni process d'expérience. La forme (est le) vide et le vide (est la) forme. Rien ne sépare en nature, ultimement et donc relativement, l'activité des agrégats vides de réalité propre de ce corps que « je » dis «mien », de l'activité des agrégats vides de nature propre des êtres sensibles que « je » dis « autres ». Pas plus que rien ne les sépare de l'activité infinie de tous les univers !

A cause de cela, dans l'ainsité, rien n'est (ultimement) séparé et rien n'est (relativement) désuni ! Interdépendance, réseau « global, vaste et infini », sans commencement ni fin, vide de réalité propre, pur car incomposé. Du « moi-je » à « c'est ainsi », de l'union de l'esprit « concentré en un point » à la «méditation analytique » où l'esprit se déploie dans la danse au-delà du par-delà de toute discontinuité, tel se révèle le chemin spirituel qui de l'ignorance mène à l'Éveil.

Lorsqu'il n'y a plus ni possesseur, ni process, ni expérience, ni même de trace de « (re)connaissance d'une expérimentation » (au-delà de toute forme et par-delà tout vide), l'esprit s'établit dans l'ainsité de la connaissance, transcendantale sans être absolue, insubstantielle sans être nouménale.

Dans la jubilation de l'équanimité - libre d'attachement pour les proches et d'aversion pour les autres qu'est la bouddhéité -, au-delà du par-delà de la Prajñāpāramitā l'esprit atteint l'état ultime du (grand) nirvāna, traduit par « Le mantra de la perfection de la sagesse, de grande connaissance, insurpassable, qui n'a d'égal que l'inégalable, qui pacifie toute souffrance : TEYATA (donc), GATÉ (aller), GATÉ (aller), PARAGATÉ (de l'autre côté), PARASAMGATÉ (complètement de l'autre côté), BODHI SOHA (pour réaliser l'Éveil) » EPS.


Donc, « ainsi-je »,

ainsi-je vais aller au-delà de toute division,

ainsi-je vais aller au-delà de toute indivision,

de l'autre côté de toute désunion,

complètement de l'autre côté de toute confusion,

pour réaliser l'Éveil, ensemble, au-delà du par-delà de toute union.

Puissé-je ainsi réaliser l'ainsité !

Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།


Références :

AAM : Apprendre à méditer - Lama Samten https://www.centreparamita.org/gallery/view_album.php?set_albumName=album04 

AH-PP : Aldous Huxley, Les portes de la perception https://www.academia.edu/25203939/Huxley_Aldous-Les_portes_de_la_perception 

DAN : Mythes et Dieux de l'Inde, le polythéisme hindou, Daniélou https://www.decitre.fr/livres/mythes-et-dieux-de-l-inde-9782081232167.html  

DEB : Dictionnaire Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html 

EBSI : Éloge au bouddha pour son enseignement sur l'interdépendance - Sadhana n°19 https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas 

EPS : L'essence de la perfection de la sagesse (« le soutra du cœur ») - Sadhana n°18 https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas 

EVM : Entrée dans la voie médiane, le Madhyamakavatara de CHANDRAKIRTI https://www.siddharthasintent.org/assets/pubs/MadhyamakavataraFrancaisDJKR.pdf 

MHM : Un texte racine du Mahamoudra de la précieuse tradition Géloug/Kagyu https://www.institutvajrayogini.fr/pdf/Mahamoudra_texte_racine_A4.pdf 

TGVS1 : Le traité de la grande vertu de sagesse de Nagarjuna, volume 1 (MAHÂPRAJNÂPÂRAMITÂSÂSTRA) https://archive.org/details/EtienneLamotteLeTraiteDeLaGrandeVertuDeSagesseDeNagarjunaVol.I1944 

TGVS2 : Le traité de la grande vertu de sagesse de Nagarjuna, volume 2 (MAHÂPRAJNÂPÂRAMITÂSÂSTRA) 

https://archive.org/details/EtienneLamotteLeTraiteDeLaGrandeVertuDeSagesseDeNagarjunaVol.II1949/page/n1/mode/2up?q=MAH%C3%82PRAJN%C3%82P%C3%82RAMIT%C3%82S%C3%82STRA 


[i] Le texte commenté ici est le Sutra du cœur ou l'essence de la perfection de la sagesse

[ii] https://www.penseesdepascal.fr/Transition/Transition7-moderne.php 

[iii] Démons et merveilles, Howard Philips Lovecraft https://www.decitre.fr/livres/demons-et-merveilles-9782264035356.html 

[iv] Sagesses bouddhistes, la déconstruction du moi - zen et neurosciences - 2ème partie https://www.youtube.com/watch?v=Mb7wEYoaOcc 

[v] Sagesses bouddhistes, la déconstruction du moi - zen et neurosciences - 1ème partie https://www.youtube.com/watch?v=DFDwxNZzaIQ 

[vi] Sagesses bouddhistes, la déconstruction du moi - zen et neurosciences - 2ème partie https://www.youtube.com/watch?v=Mb7wEYoaOcc