I.91 – La construction du devenir

06/03/2022

Notre présent perpétue notre passé et notre avenir est la continuité de notre présent. Le temps est une conception qui se construit avec l'invention de l'agent. Nous construisons notre existence en dépendance de sa conception comme nous co-produisons le monde en interdépendance à notre esprit.

En suivant Nāgārjuna et la philosophie du Mādhyamaka Prāsangika, l'analyse qui a trait à la « vue juste » - visant à développer la sagesse qui réalise la vacuité du réel en dépendance de la pensée -, permet de réfuter l'essentialisme et le nihilisme, et d'établir l'infaillibilité des assertions suivantes : 

Il nous reste encore à comprendre le sens du caractère infaillible des apparences conventionnelle comme « productions interdépendantes ». D'une part, comment pouvons-nous faire l'expérience sensible de cette « réalité » sous les modalités de la « matérialité » ? D'autre part, comment les phénomènes peuvent-ils nous apparaître dans leur ensemble comme formant un univers à part entière, qui semble structuré par des principes et des lois physiques propres ?

Bien que rien n'existe qui ne soit désigné par l'esprit, cela ne veut pas dire pour autant que tout ce qu'avance l'esprit existe. Ce n'est pas parce que notre esprit peut faire apparaître des choses comme par magie, que cela les rend réelles FFR-142

Commençons par le plus simple. Les objets avec lesquels nous interagissons, le monde qui nous entoure, les phénomènes qui surgissent, tout cela nous apparaît tangible, concret, comme existant intrinsèquement, de manière autonome. Or, ce n'est là qu'impression ! L'expérience de la « matérialité » est une illusion de substance créée sur la base de la désignation par l'esprit ignorant « dans une performance magique », la « saisie du soi », qui « à son tour provoque une autre illusion » SU-NAG, le désir-attachement pour les objets vus comme réels.

Sans comparaison avec un univers existant en propre (hypothèse réfutée par la vacuité comme antidote à l'erreur « des vues extrêmes »), il est impossible d'affirmer que ce monde est autre chose qu'un accord conventionnel entre les esprits qui en conçoivent l'expérience. La « réalité matérielle » n'est qu'une dénomination sur la base de l'esprit qui en définit les caractéristiques et les modalités de l'expérimentation sensible. Quid cependant de la cohérence d'un monde issu de l'esprit et qui n'existe «nulle part »... en-dehors de l'esprit ?

C'est encore concevoir les phénomènes comme substance que d'opposer un réel déterministe et rationnel à une pensée hypothétique et fantaisiste. D'ailleurs, nos cognitions peuvent être invalides tout autant que validées... par « l'épreuve des faits ». Or, les faits sont des productions de l'esprit, comment peuvent-ils donc -ils avaliser une vérité objective indépendante ? « Il n'y a aucun moyen d'explorer le monde en dehors de nos pratiques linguistiques et conceptuelles, ne serait-ce que parce que ces pratiques génèrent en premier lieu la notion du monde et des objets qu'il contient (...) notre façon d'explorer le monde est inextricablement liée au cadre linguistique et conceptuel que nous employons » SU-NAG.

Puisqu'il n'y a pas de base extérieure sous-jacente au monde co-produit par nos esprits qui puisse en assurer la cohérence, et qu'une pensée solipsiste libre de jugement justifierait tout et n'importe quoi, la «réalité conventionnelle » doit obéir à des règles structurantes reconnues comme vraies en regard de critères communs, lesquels définissent le « référentiel conceptuel » dans lequel nous acquérons la connaissance valide des phénomènes. « Il n'y a pas de concept de connaissance indépendant du contexte que nous pourrions utiliser pour former l'idée d'une vérité qui se situe au-delà de tous les contextes épistémiques. Et l'existence d'un tel mandat est précisément ce en quoi nous considérons que la vérité des déclarations consiste » SU-NAG.

Tous les phénomènes étant vides de substance, cela implique que pour exister, ils doivent donc être produits en dépendance de leur désignation par l'esprit. S'agissant d'une co-production conceptuelle impliquant l'ensemble des esprits (par catégorie d'êtres du samsāra), la « réalité conventionnelle » doit ainsi s'élaborer dans une relation épistémique relativiste qui établit son objet (le phénomène) mutuellement à l'édification de son instrument (l'esprit), « rien ne peut être considéré comme intrinsèquement un instrument ou un objet épistémique. Les deux doivent être mutuellement établis : l'instrument établit l'objet en nous donnant un accès cognitif à celui-ci, notre interaction réussie avec l'objet établit l'instrument comme une route fiable vers l'objet » SU-NAG.

Si elle était substantielle, la Lune existerait dans le ciel quand personne ne la regarde, mais rien n'existant de son propre fait, la « réalité conventionnelle » est établie en interdépendance de sa désignation par l'esprit. Ce mécanisme de « construction par auto-régulation » se retrouve partout, dans la sélection naturelle, dans les mathématiques[i], dans l'intelligence artificielle (cf. les algorithmes génétiques[ii], l'apprentissage par renforcement[iii], etc.). Il n'y a rien d'étonnant à cela, puisque les phénomènes sont des constructions de l'esprit. En science, « l'apprentissage par rétroaction » est utilisé pour élaborer les théories par l'édification de la pensée à l'établissement de son objet. « Nous utilisons des croyances sur la nature de l'objet afin de tester nos hypothèses concernant les instruments d'acquisition de telles croyances, ces hypothèses sont ensuite à leur tour utilisées pour évaluer notre vision de la nature de l'objet » SU-NAG.

L'interdépendance est également au cœur de la philosophie bouddhiste tibétaine qui articule la familiarisation de l'esprit sur le déterminisme issu de la rétroaction entre la sagesse de l'écoute, la sagesse de la réflexion et la sagesse de la méditation, dans un processus qui vise à intégrer le sens de l'objet analysé. Pour que ce processus puisse donner lieu à une connaissance juste, l'édification épistémique doit s'appuyer sur des critères permettant d'établir sa validité. « Les phénomènes considérés comme réels du point de vue des conventions mondaines sont ceux qui ne peuvent être réfutés ni [1] par notre propre examen ultérieur, [2] ni par la connaissance valide d'une autre personne, [3] ni par l'analyse ultime [investigation complète au niveau ontologique] » FFR-141.

Sous ses conditions, il est ainsi possible pour la pensée épistémique d'atteindre un degré de conformité tel que son objet épistémique, bien que conceptuel de par sa forme et vide de réalité propre de par sa nature, présente un déterminisme et une cohérence qui les font paraître inhérents au dit objet.

Il ne peut y avoir une théorie décrivant comment les choses sont indépendamment des ressources conceptuelles employées pour la décrire. Il ne reste qu'une vérité conventionnelle, qui consiste en un accord avec les conventions communément acceptées, auquel on parvient en regardant le monde à travers notre cadre conceptuel formé linguistiquement SU-NAG

Mais, comment être sûr que la validité de l'objet démontre la validité de notre cognition ? Nous pourrions tout simplement croire valide ce qui est erroné ! Ce monde qui nous apparaît si concret et dont on s'étonne du caractère cohérent, eut égard à sa « co-production collective » par une multitude d'esprits, ne repose-t-il pas sur une erreur d'interprétation... « S'il n'y avait pas d'esprits qui lisaient par erreur l'existence de svabhāva dans des phénomènes qui en manquent, il ne servirait à rien d'avoir une théorie [la vacuité] pour corriger cela » SU-NAG.

En épistémologie des sciences, le philosophe Karl Popper a avancé l'idée de la réfutabilité comme critère de validation selon lequel « une hypothèse est dite réfutable si et seulement s'il existe des "énoncés d'observation" ayant une interprétation empirique et contredisant logiquement la théorie[iv] ». Ce principe repose sur le postulat d'un « existant primaire » substantiel. La validité découle ainsi de l'adéquation de la perception à ce qui est perçu là-dehors. Or, étant donné que les phénomènes sont vides de réalité propre, la réfutabilité ne saurait être éligible comme critère de cognition valide de la « réalité épistémique » de l'objet, sauf si l'objet est vu... comme un « existant intrinsèque avec substance » !

Il n'y a pas de réponse à la question de savoir « qui de l'œuf ou de la poule est le premier ? », pas plus qu'il n'y a raison valide à affirmer que l'objet épistémique « œuf » infère logiquement l'objet épistémique «poule». L'idée de l'œuf pourrait aussi bien découler de tout animal ovipare (ou d'un rêve !). Cependant, dans le contexte de l'interdépendance de son existence à celle de la poule, il y a sens à affirmer la réalité d'un œuf « avec substance » de sorte à ainsi pouvoir réfuter toute théorie affirmant une origine causale autre que «l'idée de la poule » !

Sans s'appuyer sur la vérité conventionnelle,

La vérité de l'absolu ne peut être enseignée,

Sans la compréhension de la vérité ultime,

Le nirvāna ne peut être obtenu FFR-144

Il est donc possible d'utiliser la réfutabilité de Popper comme critère de détermination d'une « cognition valide » à la condition... de considérer « l'objet épistémique » sous une perspective substantialiste ! Grâce à ce stratagème, les phénomènes peuvent ainsi être déterminés comme étant « réels du point de vue des conventions mondaines », dans la relativité d'un point de vue à caractère essentialiste. De fait, c'est parce que nous croyons en l'existence intrinsèque du soi des phénomènes et du soi de la personne que la vacuité est son antidote. « La vacuité de Mādhyamika est le produit final de l'analyse correcte des phénomènes (...) Ce n'est qu'en raison de notre vision erronée des choses que la théorie de la vacuité s'impose comme correctif » SU-NAG.

  • Ainsi, bien que les phénomènes n'aient d'existence qu'en tant que « constructions conceptuelles » (ultimement vides et sans discontinuité entre la pensée et l'objet épistémique), c'est parce qu'il est possible de concevoir la relation de dépendance à l'esprit d'objets qui existeraient comme s'ils possédaient une substance, que la réfutabilité constitue un critère permettant de distinguer de manière valide entre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

La relativité des phénomènes à leur désignation récuse l'idée d'absolu et de la connaissance comme adéquation entre la pensée et son objet. La « vérité conventionnelle » ne désigne pas un réel substantiel, mais constitue une méthode visant à déterminer la validité de notre raisonnement, « pour des raisons pragmatiques, nous devrions concevoir les vérités comme des reflets d'une réalité externe objective même si nous ne pensons pas qu'il existe de telles vérités en fait (...) elles ne restent que cela, des fictions commodes » SU-NAG.

Il n'est pas facile de passer de la vue qui a trait à la perspective conventionnelle sous laquelle l'épistémique (la connaissance de la vérité) procède de critères de détermination d'une cognition valide d'une réalité substantielle, à la vue qui a trait à la nature ultime des phénomènes sous laquelle cette ontologie se révèle une méthode d'argumentation visant à réaliser la vacuité de tout existant intrinsèque.

Le paysage change sur les sommets environnant à mesure que nous gravissons une montagne. Les détails se précisent. Ce qui au loin apparaît comme des apparences imprécises et grossières, de près se révèle dans la clarté et la subtilité de leur véritable nature... Sur le long cheminement de la compréhension intellectuelle de la vacuité, il est pertinent à un certain stade de notre analyse méditative de penser l'interdépendance (c.à.d. leur vide de substance inhérente) comme l'existence des phénomènes en dépendance d'autres phénomènes.

A ce moment de notre questionnement, il nous apparaît logiquement que les phénomènes constituent des « existant premiers ». Nous pensons alors qu'il y a quelque chose là-dehors et que c'est la manière dont nous nous représentons les objets, en y projetant des qualités qu'ils ne possèdent pas, que nous développons du désir-attachement ou de l'aversion pour les choses. Parce que nous croyons notre personne et les phénomènes réels, nous en venons à instiller au plus profond de nous « l'intime conviction » que notre bonheur dépend de leur possession. Notre aveuglement nous conduits alors à commettre alors des actes dont nous aurons à subir l'inexorable rétribution du karman. Pour cohérente qu'elle soit sur le plan psychologique, réaliser le non-soi (l'insubstantialité du soi de la personne et des phénomènes) ne suffit pas pour se libérer du samsāra.

Bien que l'on conçoive la « réalité conventionnelle » dépourvue de substance, le simple fait de penser « il y a quelque chose là-dehors » dont l'existence résulte de leur relation en interdépendance à d'autres phénomènes, c'est inscrire la « co-production conditionnée » dans l'ontologie. « On peut distinguer deux dimensions conceptuelles du concept de svabhāva, une ontologique, qui fait référence à une manière particulière dont les objets existent, et une cognitive, qui fait référence à une manière dont les objets sont conceptualisés. Au sein de la dimension ontologique, on distingue trois compréhensions de svabhāva : en terme d'essence, de substance et de réalité absolue » SU-NAG.

L'essence se définit comme « ce qui fait d'un phénomène ce qu'il est », dont le pouvoir réside dans la substance. Remplacer l'idée de soi substantiel, existant intrinsèque et autonome, par l'interdépendance vide de réalité propre ne change rien au caractère de l'ontologie des phénomènes. On dira d'un arbre qu'il existe non pas du fait de son propre pouvoir, mais en relation à d'autres phénomènes extérieurs (la terre, l'eau, le soleil qui le nourrissent et le font croître) cf. [v].

  • Or ce que réfute Nāgārjuna, ce n'est pas seulement la non-existence de la substance, c'est l'inexistence même d'une réalité ontologique ! Quand le soutra du cœur énonce que la nature des phénomènes est la vacuité, cela ne concerne pas seulement leur « réalité absolue » et, de fait leur substance, mais l'existence même d'une ontologie. Le sens profond de l'interdépendance signifie que les phénomènes n'ont d'existence qu'en relation à l'esprit non en tant que désignation comme « arbre » (ou tout ce qui traduit la cognition d'un « existant premier »), mais en tant seulement que conceptualisation.

Cela n'infère pas que « l'esprit seul » soit la nature ultime de toute réalité, comme le pense le Cittrāmatrā. La vacuité n'est pas seulement postulée comme antidote à l'illusion de la « saisie du soi », mais comme remède à la catégorisation de la substance comme ontologie et comme cognition. « Pour le Madhyamaka la vraie nature des phénomènes est l'absence de svabhāva... ». L'arbre présente un caractère tangible dont nous pouvons faire l'expérience de la matérialité (en le coupant et en le chauffant comme avec l'or pour vérifier sa qualité...), telle que l'arbre apparaît comme un existant extérieur, que la « saisie du soi » nous fait voir comme possédant les propriétés d'être intrinsèque, immuable et indépendant. « Il semble donc que quelque chose qui possède toutes ces propriétés doit exister (puisqu'il y a svabhāva qui est la vraie nature des phénomènes) et ne doit pas exister (puisque svabhāva compris comme substance n'existe pas) » SU-NAG.

La question de savoir « est-ce que les phénomènes existent, oui ou non ? » plonge celui qui la pose dans un contexte essentialiste dans la même perplexité que la question de savoir « qui de l'œuf ou de la poule est le premier ? ».

  • La « vue de l'être » (essentialisme) est erronée. Il n'y a pas d'arbre là-dehors puisqu'il n'y a pas d'existant-avec-substance qui soit constitutif d'une ontologie ! 
  • La « vue du non-être » (nihilisme) est erronée. Il y a un arbre comme « objet épistémique » co-produit par l'esprit ! 
  • La « vue de l'être et du non-être » est erronée. Cet objet de la pensée, conventionnement désigné par le terme « arbre », n'est pas de l'ordre d'une ontologie ! 
  • La « vue de l'être du non-être » est erronée. La substance est vide de (l'ontologie d'une) réalité propre et ce vide, lui-même, est vide (de l'ontologie) d'une existence véritable.

Ajoutons que s'il y avait véritablement un existant là-dehors, sa « contamination » provenant d'une représentation biaisée disparaîtrait lorsque l'esprit se purifie. Dès lors, « l'existant extérieur » serait alors... pur par nature ! L'espace et la vacuité, inexistants parce que sans substance, sont libres de contamination entraînant l'esprit à désirer les objets et à ne pas vouloir en être séparés (les deux formes du désir-attachement) qui instillent la frustration, porte de toutes souffrances.

Ce n'est pas simplement parce que les « formations mentales », reflets de « vues fausses », sont contaminées par les émotions perturbatrices (et leurs empreintes karmiques) qu'ils sont souffrance - troisième sceau, trimudrā, de la philosophie bouddhiste -. C'est parce que les phénomènes n'ont d'existence qu'en tant que désignation(objets épistémiques) sur la base de l'esprit qui les conçoit comme substantiels (« existant premiers » intrinsèques) sous l'emprise de la performance magique de la « saisie du soi ».

Se comprend effectivement le fait qu'en réalisant le non-soi de la personne et des phénomènes, l'on l'inhibe par là-même toute tendance karmique à projeter sur eux des qualités ou des défauts qu'ils ne possèdent pas, car insubstantiels. Les objets n'apparaissant plus contaminés, l'esprit n'éprouve dès lors plus envers eux de désir-attachement ou d'aversion. Pour autant, cela suffit-il pour se libérer de l'enchaînement au samsāra et couper la racine de toutes souffrances ?

Cela suffit peut-être pour atteindre le nirvāna, mais pour réaliser le grand Éveil (où les voiles cognitifs sont définitivement éliminés), il faut aller au-delà de cet état psychologique où les voiles des émotions perturbatrices sont certes épurés, mais où demeurent leurs empreintes, la conception des « existant premiers ».

Par « performance magique », il ne faut pas comprendre « ce qui naît sans cause » (affirmation réfutée par Nāgārjuna), mais l'impossibilité de poser une cause à l'origine des phénomènes ! Nous définissons la causalité physique (à distinguer de la « loi de causalité » du karman) dans un contexte ontologique comme un « enchaînement séquentiel de causes et d'effets » qui s'inscrivent dans un espace-temps relativiste, dont le référentiel essentialiste se caractérise par des propriétés telles que la localité et la temporalité. Cette conception de la causalité permet d'affirmer (la réalité substantielle de) la poule comme origine causale de (la réalité substantielle de) l'œuf, son effet.

Dans la perspective du Mādhyamaka Prāsangika, où au sens le plus profond la vacuité signifie vide d'ontologie, l'expression « performance magique » englobe l'existence et la non-existence des phénomènes. Qu'il y ait quelque chose plutôt que rien apparaît d'autant plus « magique » que le monde et la pensée du monde sont ontologiquement vides ! Il n'y a de « magie » qu'en regard d'une pensée à caractère substantialiste qui tente de concevoir comme essence ce qui est au-delà du par-delà du conceptuel. Comme demander « comment l'esprit a-t-il pu apparaître s'il n'existe rien là-dehors qui puisse l'avoir l'engendré ? »

L'on pourrait y voir là un « paradoxe de l'écrivain », c.à.d. remonter dans le passé pour se donner un ouvrage que l'on a rédigé dans le futur et que l'on aurait donc plus besoin d'écrire... Mais, alors qui l'aurait écrit ? Il faudrait pour cela expliquer comment il peut y avoir une « ligne temporelle » (orientée par une flèche dans la direction de l'avenir), alors que dans le contexte non substantialiste, le passé, le présent et le futur, sont... des constructions non essentialistes de l'esprit !

A la question de savoir si les phénomènes existent, répondre par l'affirmative, c'est nier leur interdépendance en arguant de leur substantialité, et répondre par la négative, c'est arguer du nihilisme. «C'est pourquoi, en ce qui concernent les phénomènes, les sages n'optent ni pour l'existence ni pour la non-existence[vi] ».

La difficulté a penser l'interdépendance comme co-production épistémique provient du présupposé ontologique, non d'un raisonnement récursif. Sous la perspective de la vacuité d'existence véritable des phénomènes, il n'y a pas plus d'étendue inhérente à un espace existant en soi qui se reflète dans un miroir qu'il n'y a de profondeur dans son reflet, où d'objets qui occuperaient une position locale dans un espace incomposé et se déplaceraient dans un temps fictif...

  • Au sens le plus profond de l'interdépendance selon le Mādhyamaka Prāsangika, les phénomènes ne sont que de simples « objets épistémiques », co-produits en désignation sur la base de l'esprit. Dans cette perspective non ontologique, il ne fait aucun sens logique de demander « qu'elle est l'origine causale des phénomènes ? », puisque la causalité en tant qu'objet épistémique n'a d'existence que parce qu'elle est pensée... en interdépendance de l'esprit, c.à.d. dans le référentiel de la « saisie du soi » !

La « vérité conventionnelle » n'a de valeur que comme une assertion pratique qui nous permets, par opposition, de penser la « vérité ultime » de la nature des phénomènes, c.à.d. leur vacuité. Sous cet angle, il est possible d'affirmer l'existence conventionnelle d'un arbre « car l'on peut en faire des meubles ou du bois pour se chauffer[vii] ». Toutefois, affirmer ce feu substantiel parce que l'on en ressent la chaleur, c'est en faire une réalité essentialiste !

Qu'est-ce cela que l'on nomme « réalité » ?

Nous marchons sur le sol et considérons conventionnellement qu'il nous indique la direction du « bas ». Les objets tombent à la verticale et nous considérons de manière conventionnelle que la pesanteur les attirent « vers le bas »... La théorie de la relativité d'Einstein constitue la réfutation de tout absolu. Il est seulement possible de décrire les choses de manière relative. Les êtres sensibles qui se trouvent aux antipodes exactes de notre position, par rapport à nous, marchent... la tête en bas ! Et vu que la Terre est ronde (plate jusqu'à l'horizon au-delà duquel elle se courbe...), l'apesanteur n'attire pas les objets vers le bas mais... vers le centre ! Ces considérations conventionnelles ne sont que l'expression de nos expériences, elles-mêmes le reflet de leur caractère épistémique et non des propriétés inhérentes à des phénomènes immanents.

Le monde se présente à nous sous une manifestation distincte de l'expérience que nous en avons. Telles qu'elles se présentent conventionnellement à nous, les choses semblent exister intrinsèquement, de leur propre côté là-dehors, et nous communiquer les caractéristiques sous les modalités desquelles nous en faisons l'expérience. Toutefois, sous la perspective de leur nature véritable, les phénomènes et leur expérience relative sont vides de réalité et de caractère propre. Cela ne veut pas dire que les phénomènes sont de « la nature de l'expérience » ou que l'expérience est de « la nature du phénomène », mais qu'ils sont ultimement sans discontinuité, autrement dit « ni identiques ni différents », ni existant ni non-existant, ou encore « comme reflet » et « comme un reflet », ou comme le soi de la personne et les cinq agrégats...

Sous l'angle épistémique, les phénomènes et les expériences que nous en faisons sont des constructions de l'esprit. Les apparences phénoménales (forme, couleurs, propriétés, qualités, etc.) sont par le fait subsumées sous la concrétude de « l'expérience » de la matérialité. Ramenées à l'esprit, toutes les propriétés des objets ne sont que des modalités relatives à l'expérience épistémique que nous en faisons, lesquels objets et expérience se présentent à nous comme s'ils étaient distincts de par leur nature propre, c.à.d. comme si les phénomènes possédaient une réalité intrinsèque à laquelle leur perception nous donnait un accès empirique, expérientiel.

La conscience est tel un fleuve, « une succession rapide d'actes de connaissance momentanés » DEB-150 qui s'écoulent en nous donnant une impression de continuité et d'unité, alors que ce fleuve, d'une part n'est jamais constitué des mêmes gouttes d'eau, qui d'autre part peuvent revêtir différents états (la surface d'un fleuve peut se recouvrir de glace en hiver ou de brume en automne).

Le fleuve au courant à la fois continu et discontinu fait de semences n'est autre que notre esprit dans lequel les savoir-connaissance, les idées qu'ils suscitent apparaissent et disparaissent en séries de moments distincts mais surgissant continuellement ESBT-70

Selon la définition de la philosophie bouddhiste, l'esprit est « ce qui connaît », mais aussi « ce qui se connaît ». Puisque l'esprit n'est pas une entité autonome, pour se connaître, il doit se saisir comme « objet épistémique ». « Dans son rôle d'unificateur de notre vie cognitive, un moi substantiel est le sujet de toutes les expériences (...) Pour avoir un accès épistémique à notre soi, il doit être capable de fonctionner comme un objet cognitif (...) Si nous concevons le soi comme un composé temporellement étendu d'événements psychophysiques, il n'y a aucune difficulté à ce que le même type d'événement se présente du côté du sujet connaissant à une occasion, et du côté de l'objet connu à une autre » SU-NAG.

Mais, comment un « sujet (se) connaissant » peut-il émerger à partir de la simple pensée d'un objet épistémique ? 

Arguer de la réflexivité de l'esprit sur sa propre connaissance comme condition de sa subjectivité, c'est expliquer la subjectivité... par la subjectivité ! Et c'est encore questionner la problématique sous l'angle de l'essentialisme. Or, à l'instar de tout phénomène composé, l'émergence d'un « sujet connaissant » n'est pas une entité autonome douée de subjectivité, il n'existe pas autrement qu'en terme de désignation« Étant donné que nous ne semblons pas capables d'acquérir la connaissance de soi par introspection, il apparaît que la seule voie cognitive qui nous reste ouverte est l'inférence. Nous devons établir par un argument que le moi existe » SU-NAG.

  • Le « soi de la personne » (et par similarité, le « soi des phénomènes », c.à.d. la « réalité » du monde phénoménal) est une « performance magique » (c.à.d. sans cause essentialiste) qui nous fait saisir des objets épistémiques comme s'il s'agissait d'existant réels (dissociés de leur expérimentation, elle-même éprouvée comme « réelle »), sous l'effet de la « saisie (innée) du soi ».

Cette performance est doublement « magique » : au sens où la causalité s'origine de la séquence d'un esprit qui se pense sujet alors que la causalité est un objet épistémique co-produit par cet esprit ! ; et où un sujet surgit spontanément à sa propre aperception comme s'il possédait une réalité substantielle, à partir d'un objet épistémique vide de réalité et d'existence propre, alors qu'il n'est rien d'autre lui-même qu'un objet épistémique dont la nature est vacuité ! Ce second aspect est la cause de toute souffrance, car elle induit l'illusion d'un agent de l'expérience laquelle induit à son tour l'illusion qui lui instille le désir-attachement et l'aversion.

La difficulté à concevoir le monde comme objet épistémique vient de ce que nous considérons la nature des « productions de l'esprit »... comme une ontologie ! La vacuité ne signifie pas seulement « vide de substance », mais également vide de toute essence ontologique, du côté des phénomènes dont l'existence n'est que simple désignation et... du côté du désignant

  • Vu qu'il n'y à rien là-dehors, pas « d'existant premiers » intrinsèques, et vu le vide d'existence véritable des « existants seconds » (les constructions conceptuelles), le terme épistémique ne recouvre pas une ontologie, ce n'est qu'une simple désignation !

  • Lorsque l'on dit que le monde qui nous entoure est le « fruit » de notre esprit, il ne faut pas voir là une sorte de « matrice conceptuelle ». Le dualisme ne fait pas sens puisqu'il n'existe nulle réalité ontologique opposable ! Matière et esprit ne sont que des « isolats conceptuels » à l'instar de la forme et du vide, lesquels ne sont pas, eux-mêmes, d'essence ontologique.

Les apparences sont comme un rêve... Plongés dans nos rêves, nous ne nous préoccupons pas de savoir si ces « mondes oniriques » sont réels, s'ils existent quelque part dans une dimension ou un univers parallèle. L'étrangeté surréaliste des lieux dans lesquels nous évoluons, la fantaisie absurde des situations que nous rencontrons, malgré leurs divergences au monde que nous connaissons à l'état éveillé ne nous font point douter de l'expérience que nous vivons. La seule chose qui puisse nous faire sortir, volontairement, d'un rêve, c'est son caractère... cauchemardesque ! 

La question n'est pas de savoir pourquoi nous ne voyons pas le rêve comme « irréel », mais pourquoi nous considérons ce qui nous entoure comme un « monde phénoménal » existant réellement ?

Les habitants d'un monde à deux dimensions, ceux vivants sur une planète où l'air serait saturé de substances psychotropes induisant un état d'hallucination permanente, ou des humains nés aveugles depuis toujours, n'en posséderaient pas moins une représentation cohérente de la « réalité »... de leur point de vue ! Peut-être même se rêveraient-ils en trois dimensions, sevrés et doués de la vue, sans que cela leur apparaissent absurde... dans le contexte du « réel onirique » !

Par un jeu de perspective, le monde reflété dans un miroir semble posséder une profondeur, les objets semblent y occuper une position locale, s'y déplacer dans le temps, apparaître et disparaître au passage du temps, subir l'impermanence commune à tous les phénomènes composés, etc. Tout cela paraît réel, mais ne l'est aucunement ! Et cela qui le reflète semble parfaitement déterminé alors qu'il n'y à rien là devant le miroir qui possède une quelconque réalité ontologique !

De par leur nature, les apparences vues « comme reflet » dans le miroir et ce qui, devant le miroir, est saisi « comme un reflet » par l'esprit qui en réalise la vacuité, sont vides d'existence autonome et vides de réalité substantielle intrinsèque. Ils n'ont « d'existence phénoménale » qu'en tant que représentation par l'esprit. 

  • Et puisque ce qui existe, ultimement, est sans ontologie, alors ce qui n'est que simple désignation est conséquemment sans discontinuité ! Donc, bien que l'on distingue le monde phénoménal de l'expérience que nous en avons sur le plan conventionnel, en tant qu'objets épistémiques (d'essence non ontologique) ceux-ci ne se différencient pas en nature. Ainsi, la «performance magique » qui sous la « saisie (innée) du soi » entraîne l'émulation d'un agent (lequel induit l'enchaînement karmique de l'esprit) est, en elle-même, une expérience !

De même que, par magie, on peut créer une illusion,

Et que cette illusion peut elle-même en créer une autre,

L'agent est comme une illusion.

Et l'acte accompli par lui est comme l'illusion de l'illusion MMK-59

Toutefois, la désignation est une opération mentale qui, du fait de son caractère réductionniste, apparaît insuffisante pour recouvrir la pluralité et l'infinie diversité du monde. Un seul mot, « neige », « sable », «corps », désigne des phénomènes composés d'un nombre incalculable d'éléments distincts, minuscules et uniques. Sous l'angle de la multitude, voir les phénomènes comme des « constructions conceptuelles » produit de l'esprit, semble de ce fait peu vraisemblable...

Pour Asanga, ce qui fait qu'une personne, dans l'obscurité, puisse confondre une corde avec un serpent, c'est la méconnaissance. Dans ce cas, la corde, mise pour la « vue de l'ensemble périssable » (les cinq agrégats), constitue la base sous-jacente (substantielle) à l'ignorance mise pour une représentation erronée, le « soi », inféré par l'esprit comme existant intrinsèque. Pour Chandrakirti, dans la vue du Mādhyamaka Prāsangika, elles sont une seule et même chose !

  • Nāgārjuna réfute le soi des phénomènes (« l'existant second », ici le serpent) comme existant intrinsèquement, mais il ne redéfinit pas seulement sa base sous-jacente (la corde) comme le produit de l'interdépendance de causes et de conditions vides de substance, Nāgārjuna réfute également la réalité substantielle d'un « existant premier » (« vue de l'ensemble périssable »), et corrélativement la réalité ontologique de la désignation de tout existant !

Il ne s'agit donc pas (seulement)de saisir le non-soi de la « neige » (son absence d'existence propre), mais le fait qu'il n'y a pas de base sous-jacente substantielle, là-dehors, au phénomène que le mot, également vide de soi, désigne. La nature du phénomène et celle du mot, ainsi que leurs caractères (matérielle et cognitive) sont vacuité, et, puisque sans ontologie, ils sont ultimement sans discontinuité...

Tsong Khapa dit que lorsque nous regardons cette tente, nous imaginons qu'il y a une tente mais qu'en plus [nous imaginons qu'] il y a une entité. Au-delà de l'objet imaginaire, [épistémique, nous imaginons qu'] il y a une entité [« existant premier », substantiel et autonome] qui existe à sa manièreQuand Tsong Khapa explique la vacuité, il dit que le vase [en tant que simple nom] n'est pas vide de lui-même [de l'objet épistémique qui constitue sa désignation], il est vide d'existence véritable [d'une réalité ontologique] EVM-365

Ce n'est pas tant que la conceptualisation réduise le multiple à l'un, comme un miroir fusionne les indénombrables grains de sable ou flocons de neige sous l'unicité de leur reflet. La pluralité n'est pas inhérente à des phénomènes vides de substance, elle résulte d'une désignation du « pluriel » sur la base de l'esprit. L'électron n'est pas une entité individuelle dont la mesure révèle les propriétés. L'électron-mesuré est comme le reflet de la mesure. Ni l'électron-avec-position, ni son « onde de probabilité », ni la «mesure » (désignation d'une valeur possible de la fonction d'onde de l'électron-non-mesuré) n'ont de réalité ontologique. L'infinie diversité de la pluralité est une expérience de l'esprit !

L'arbre n'a pas d'existence de son propre fait. Pour devenir un arbre, la graine dépend de la combinatoire d'éléments (terre, eau, air, feu) eux-mêmes dépendant de causes et de conditions grossières et subtiles. Les racines, le tronc, les branches, les feuilles ne sont pas l'arbre. « L'arbre » est la somme de ses parties. Toutefois, lorsque l'on analyse plus profondément ces deux niveaux de sens, l'on découvre que l'interdépendance n'est possible qu'à la condition que la nature de tous les éléments soit la vacuité, c.à.d. vide de toute ontologie...

La neige ne devient véritablement de la « neige » qu'au moment où se produit la cristallisation des flocons. Bien que la neige soit l'expression phénoménale de la « co-manifestation de causes et de conditions » (insubstantielles), avant que leur conjonction s'exprime comme « neige »... il n'y a pas de neige ! Et lorsque la neige apparaît, ces conditions causales... disparaissent sous sa phénoménalité ! Un effet ne peut apparaître sans cause, mais l'essence de ce qui fait la cause n'est plus « cause » lorsque... l'essence de ce qui fait l'effet devient « l'effet » ?

Si la cause et l'effet (la conjonction de condition et sa manifestation) étaient des substances individuelles inhérentes et indépendantes, il leur serait impossible de se transformer l'une en l'autre ! « Si les phénomènes étaient produits par des causes substantiellement différentes, ils seraient sans lien avec elles» MMK. Si pour exister, un phénomène doit avoir une essence, « l'eau liquide » et « l'eau solide » seraient deux choses différentes. Elles ne pourraient s'échanger sans perdre leur essence propre, et en la perdant, l'eau cesserait d'être de l'eau ! « S'il existait quelque chose avec une essence, celle-ci ne pourrait devenir inexistante, car il est irrationnel qu'une essence puisse se transformer » MMK.

Si l'on essaie de décomposer un objet matériel en ses constituants élémentaires, comme chaque micro instants d'un claquement de doigts, il est impossible de trouver ultimement une intervalle qui soit une substance propre et une substance autre (cause et effet à la fois) ou une essence et son absence. « Ce qui existe par essence ne peut devenir inexistant, voilà la thèse éternaliste. Ceci existait avant mais n'existe plus maintenant, voilà la thèse nihiliste. Celui qui est sage ne s'attache ni à l'être, ni au non-être » MMK. 

Comment alors concevoir la causalité ?

Les phénomènes ne peuvent exister que parce que leur nature, et celle des causes et des conditions qui les co-produisent, sont vides. A cause de cela, dans la vacuité, il n'y a ni « côté-ci » ni « d'autre côté », ni «d'entre deux ». Ultimement, forme et vide, vacuité et interdépendance, sont sans transition. La philosophie bouddhiste considère le raisonnement sur l'interdépendance comme « le roi des raisonnement » parce qu'il permet de réfuter la croyance en l'origine substantielle des phénomènes, et... en l'ontologie de l'interdépendance !

Imaginez une lanterne magique constituée d'une source de lumière en son centre, entourée d'un cercle de figurines de bois ou de métal, qui représentant des personnages dont les postures décomposent la gestuelle des mouvements du corps. Lorsque ce cercle, désolidarisé du centre, est mis en rotation, la lumière projette l'ombre des figurines sur une surface en arrière-plan. Soudainement, ce théâtre se met à bouger de lui-même, comme si les ombres étaient animées d'une vie propre, libres des contraintes imposées par l'appareil...

Cet enchaînement de causes et de conditions (la lanterne) et d'effets (le jeu d'ombres animées d'une vie autonome), séparés par une transition qui revêt le caractère d'un « saut quantique » (changement spontané de la catégorie d'être), s'apparente à de la magie. L'esprit ignorant la vacuité des phénomènes verra l'existence d'un soi autonome dans l'expression du « vivant » des ombres, dont l'illusion n'est qu'un jeu de perspective sur la base de désignation de l'esprit.

Dépourvus de réalité ontologique, la cause et l'effet sont sans discontinuité, mais sous la « saisie (innée) du soi», ils manifestent une « performance magique » qui les font paraître exister substantiellement, « magie » qui induit à son tour l'illusion de l'expérimentation d'une transition entitaire, qui elle-même instille à son égard le sentiment halluciné d'un spectacle féerique, effrayant ou neutre.

Mais, n'est-il pas curieux de poser une causalité déterministe dans un cadre magique ? Si elles sont magiques, les ombres n'ont pas besoin d'un projecteur pour exister et il n'est donc pas non plus nécessaire de justifier de leur origine par un enchaînement causal ! « Toute création mentale possède un genre de réalité qui lui est propre puisqu'elle peut se montrer efficiente » ESBT-112.

Même la magie ne naît pas sans cause, à partir d'elle-même, des deux à la fois, ni d'aucun des deux ! La magie surgit des circonstances les plus banales. Elle s'appuie sur le substrat solide pour s'émanciper du tangible. Aussi, a-t-elle besoin des principes, des lois physiques et des règles qui structurent la rationalité du monde pour les détourner ! La magie se produit au point de basculement entre l'imprévisible et l'improbable, au carrefour de l'indétermination fondamentale du réel quantique, au cœur du vide de substance des phénomènes.

  • L'ignorance opère à l'émulation virtuelle du soi de la personne (qui fait d'un « objet épistémique » élaboré par l'esprit, une expérimentation empirique), sur la base... du connaisseur de l'esprit ! Les phénomènes ne pourraient exister s'ils n'étaient vides de réalité ontologique et la « vérité conventionnelle » serait pure imagination si son élaboration ne reposait sur la connaissance d'un esprit dont le flux de la conscience... était incapable de se saisir « sujet » et de s'illusionner à sa propre perspective !

S'il n'y a pas de base sous-jacente existant intrinsèquement de par sa propre réalité, que la désignation est vide de tout caractère ontologique, et que la vacuité elle-même n'est pas constitutive d'une ontologie, pour autant l'imagination n'est pas souveraine du réel. Si la « vérité conventionnelle » peut se définir comme une « construction » de l'esprit, c'est dans les termes déterministes d'une élaboration rationnelle suivant des règles de « cognition valide ». « Rien ne se produit sans cause, les imaginations désordonnées ont des bases dans le monde relatif (...) le monde imaginaire n'est pas complètement irréel, il est proche du monde relatif et en maints points se confond avec lui » ESBT-110.

Sans « existant premiers », la vérité n'est pas la concordance entre une réalité intrinsèque et la connaissance que nous en avons. Sans substrat ontologique, il n'y a de « cognition valide », ultimement, que par adéquation de notre connaissance avec celle d'un tiers qui... a parfaitement compris et réalisé la nature véritable des phénomènes, l'esprit omniscient des Bouddhas [viii]

Toutefois, dans le quotidien mondain, pour des raisons pratiques évidentes, la vérité est considérée, conventionnellement, comme l'accord entre la manière dont les choses existent et la manière dont elles nous apparaissent. Ce n'est en rien contradictoire. La théorie de la relativité nous offre une « cognition valide » du monde à grande échelle, mais elle est impropre à décrire les phénomènes au niveau infinitésimal ou la description valide est celle de la mécanique quantique. Il n'y a rien, là non plus, d'antithétique, mais une preuve supplémentaire que la vérité est relative (et déterminante) d'un référentiel distinct.

Sur le chemin spirituel, il est important de se référer à des valeurs sûres, comme le karman (et globalement les enseignements du LAMRIM). Si nous voulons nous libérer de la souffrance, nous devons comprendre son mécanisme, savoir ce qu'il nous faut abandonner et ce qu'il nous faut cultiver. Ce n'est pas antinomique avec le fait que l'agent et ses actes sont, ultimement, vides de réalité ontologique. Tout dépend du point de vue ! Les ārya bodhisattvas saisissent la vacuité là où nous voyons l'aspect grossier de l'interdépendance. Ce qui nous apparaît sous la forme d'un monde tangible que nous appelons, conventionnellement, la « réalité ontologique » n'est qu'une méthode d'argumentation d'une vérité dont le caractère ultime est au-delà de toute connaissance épistémique.

Doit d'entendre comme signifiant un agent qui tranche les notions erronées, qui y met un terme en déclarant qu'il ne faut point prendre dans leur acception apparente les enseignements courants de la doctrine prêchée par le Bouddha (...) vrais et utiles du point de vue relatif et pratique, aucune valeur ne doit leur être accordée dans le domaine de l'absolu CT-143

Dans ce cadre épistémique, le mot « réel » décrit la catégorie des phénomènes perçus directement (non conceptualisés) par nos « consciences sensorielles », par opposition aux phénomènes perçus indirectement par notre « conscience mentale » et considérés comme « irréels ». Toutes les écoles philosophiques bouddhiques reconnaissent la logique Svatantrika. Son postulat n'a pas de prétention descriptive de la nature véritable des choses et ne vise qu'à amener l'esprit à en réaliser la réfutabilité par la logique de l'inférence. « Pour démontrer la vacuité des phénomènes au niveau absolu, il faut admettre au niveau relatif l'existence de phénomènes "superficiellement vrais" par leurs caractéristiques propres, singuliers, efficients et vérifiables par la perception directe » DEB-344.

La logique est à l'opposée de la vision matérialiste de la philosophie occidentale et particulièrement du réalisme cartésien qui pose l'existence ontologique d'un « existant premier », intrinsèque et indépendant de la perception/représentation que nous en pouvons en avoir. Sous cet angle, nos facultés sensorielles ne sont pas des outils fiables sur lesquels nous appuyer pour définir une cognition valide du réel, d'ailleurs une « hallucination visuelle » est considérée comme irréelle !

Dans cette optique, la pensée rationnelle, appuyée par la validation scientifique de l'expérience, peut seule nous amener à la connaissance de la nature véritable du monde. Une méthodologie par « inférence» qui, si elle est également jugée valide par la logique Svatantrika, est toutefois considérée par celle-ci comme... de catégorie inférieure à la « perception (sensorielle) directe » ! De fait, l'inférence qui détermine le caractère illusoire, et donc irréel, d'une hallucination sensorielle devrait ainsi être vue... comme non valide du point de vue Svatantrika !

L'on peut légitimement se demander si, nous autres esprits occidentaux, sommes à même de comprendre la vacuité étant donné que nous ne donnons pas le même sens que le bouddhisme aux mots que nous employons ?

La Doctrine et la discipline qui lui est attachée ont une valeur de premier ordre pour amener à traverser la rivière des notions fausses qui barrent l'accès à la Connaissance. Celle-ci étant atteinte, son premier effet est de faire reconnaître le caractère relatif et provisoire de toutes doctrines, même de la plus excellente d'entre elles, et d'en affranchir l'esprit CT-160

La philosophie bouddhiste tibétaine affirme que c'est parce que notre esprit est recouvert du « voile cognitif » de l'ignorance que nous ne pouvons pas réaliser la véritable. Cela ne signifie pas pour autant que nous devions ranger dans cette catégorie la conception philosophique et l'approche scientifique occidentales ! La dichotomie argue seulement du fait que la logique Svatantrika n'est... qu'un système de pensée. S'agissant de l'accumulation de mérites, cultiver la patience dans des conditions d'adversité octroie plus de vertus que lorsque les conditions sont complaisantes. Cette difficulté supplémentaire dans la divergence des termes, nous oblige à interroger et réfléchir plus attentivement encore le sens (définitif) qui se cache derrière des assertions (interprétatives) !

Lorsque le Mādhyamaka Prāsangika affirme « la vacuité existe », il ne faut pas le comprendre comme signifiant d'une existence avec substance. La vacuité est la nature vide de réalité ontologique (« vacuité de la vacuité ») des phénomènes. Voir la vacuité (ou la « saisir directement ») n'est pas non plus signifiant de sa perception sensorielle, mais d'une « saisie amodale » versus sa compréhension modale (comme objet épistémique). La vacuité est enseignée avec pour objectif « de lutter contre la mauvaise attribution de svabhāva aux choses, la vacuité n'est rien que les phénomènes ont en eux-mêmes, mais (...) une tentative de rectifier une cognition erronée. Par conséquent, la théorie de la vacuité ne doit pas non plus être considérée comme une théorie ultimement vraie » SU-NAG.

La pensée Svatantrika distingue également les phénomènes en deux catégories, impermanents (tous les phénomènes composés) et permanents - la vacuité et l'espace pour le Mādhyamaka Prāsangika - lesquelles recoupent la définition de réel et irréel, sur la base de la distinction entre non conceptuel et conceptuel.

L'espace (non au sens physique d'espace-temps, mais comme une absence d'obstruction au contact des objets matériels) se définit comme un phénomène non-composé, incréé et non-né (c.à.d. non produits de causes et de conditions). A l'instar de la vacuité, l'existence de l'espace est affirmée dans le référentiel de la « vérité conventionnelle » aux fins d'argumentation pour amener à la compréhension de la vacuité. Vide de substance, sans réalité ontologique, d'ordre purement conceptuel, l'espace est irréel et ne peut donc pas faire l'objet d'une « cognition valide » (être perçu sensoriellement), mais il peut être saisit par... la « perception directe valide yogique » ! Là encore, il ne s'agit pas d'une vue substantielle (épistémique), puisqu'elle est au-delà du par-delà du conceptuel, mais de la réalisation du sens véritable de la vacuité.

Dans un cadre relativiste (y compris s'agissant de la vacuité elle-même comme antidote à l'ignorance), la confrontation des systèmes de la pensée philosophique occidentale et bouddhique, est une force. Si (de notre point de vue, la vision réaliste présente un caractère plus crédible (du fait de notre imprégnation par cette vue), en arguant que le « champ du réel » se superpose à la perception ou à la connaissance de l'esprit voilé (qui en désigne la réalité à l'existence), la vision bouddhiste tibétaine, sous la vue de la logique Svatantrika, fait l'économie de la déconstruction du postulat des « existants premiers »...

La parfaite connaissance [prajñāpāramitā] ne peut pas être connue par le moyen des signes (...). La Doctrine a dû être exprimée en mots afin que nous puissions l'entendre, mais les mots mentent, ils ne peuvent que décrire les impressions que les choses produisent sur nous - sur nos sens -, ils ne peuvent que refléter les idées que notre esprit a conçues [ce qui est perçu est ce qui peut être conçu]. Rien de tout cela n'a de fondement dans une réalité absolue CT-163

Ainsi, selon le point de vue considéré, le mot « réalité » se comprend dans les sens de l'ontologie d'une substance, en tant que « ce qui est perçu » ou comme « nature véritable » des phénomènes, vide de réalité propre. Un objet et son reflet dans un miroir versus leur visualisation/conceptualisation seront respectivement vus : par le réalisme, comme « existants premiers » et « existants seconds » ; par le logicisme Svatantrika, comme « existants seconds » relatifs à l'observateur (la finalité de cette vue étant de poser la base de détermination des « cognitions valides » et non la base sous-jacente du réel) ; par la sagesse qui réalise la vacuité, comme le vide de réalité ontologique à la fois des « existants premiers », mais également des « existants seconds ».

Selon ces vues, l'objet et la pensée de l'objet apparaissent comme : dualisme (matière/esprit) ; rationalisme (vérité/erreur) ; conséquentialisme (l'existence des phénomènes est relative à leur désignation par l'esprit). Les tenants de la première position philosophique distinguent l'objet et la pensée en termes de substance, les seconds de relation. Sous la « vue juste », les phénomènes sont vides de substance et les « objets épistémiques » (la désignation) sans réalité ontologie. Objet et pensée sont sans discontinuité [ix].

Qu'en est-il de la causalité ? 

A l'instar d'un reflet, vide de profondeur, de pluralité, de localité et de temporalité réelles, tous les phénomènes sont « comme un reflet », vides d'étendue, de localité, d'unité, d'espace et de temps. La causalité n'est pas un principe physique inhérent à une réalité matérielle, et ne constitue pas non plus une base sous-jacente aux règles de la « cognition », mais elle est expérimentée, dans ses référentiels, comme si...tel était le cas !

La perspective sous laquelle nous faisons l'expérience de « l'incarnation » est, conventionnellement, efficiente sur l'esprit qui la produit, du fait que nous percevons les phénomènes comme si la substance était constitutive d'une réalité ontologique ! Nous croyons véritables les caractéristiques d'un reflet et réelles les propriétés des objets qui se reflètent dans le miroir, comme nous croyons en la réalité de l'existence substantielle du « soi de la personne » qui en fait l'observation subjective, alors que l'expérience de la « matérialité » est toute entière une vue relativiste vide d'ontologie !

Bien que l'agent soit ultimement vide d'existence véritable, son émergence (résultante de la « saisie innée du soi ») s'accompagne d'un déterminisme constitutif d'une « loi de causalité » qui n'est autre que celle... du karman ! « Ainsi, l'action est dépendante d'un agent et l'agent est dépendant d'une action. On comprendra de même l'appropriation et toutes les autres choses » MMK.

L'esprit ignorant de l'existence en interdépendance des ombres projetées sur le mur par la lumière qui éclaire les figurines de la lanterne confère à ces ombres une réalité substantielle. De cette « performance magique » (premier niveau de l'illusion) surgit la croyance en l'existence véritable et autonome de ces ombres comme « soi de la personne » doué d'autodétermination. De l'égocentration de l'agent (second niveau de l'illusion) naît la recherche de plaisirs et de bonheurs aux expériences de l'incarnation. De la causalité de ses actes (troisième niveau de l'illusion), animés par une impulsion égoïste, le désir-attachement - qui est de vouloir une chose et de ne pas vouloir en être séparé -, l'agent s'enchaîne au cycle de l'existence conditionnée et aux souffrances sans fin du samsāra.

Ainsi, l'esprit se prend au piège de cette construction contaminée dans la rêverie hallucinée de laquelle, il se laisse entraîner. Le samsāra est « l'activité de l'esprit qui se livre à un travail de bâtisseur construisant, créant un monde imaginaire dans lequel il s'enferme lui-même (...) c'est cette activité qui, incessamment, construit à nouveau l'édifice du monde illusoire où nous sommes prisonniers, en dehors de notre esprit qui le crée, ce monde n'existe pas » ESBT-94.

Toutefois, si le samsāra n'était qu'une simple construction de l'imagination, l'esprit pourrait en sortir comme d'un rêve... Mais, le samsāra n'est pas que cela, il est une faim insatiable nourrie par les actes qui dévorent l'agent en augmentant sa voracité (et son aversion pour ce et ceux qui lui fait obstacle), sans que l'esprit en perdition, errant de corps en corps et de monde en monde, ne renonce à cette recherche de bonheur personnelle illusoire qui fait tout son malheur...

Le samsāra est une addiction ! Le désir-attachement est une dépendance nourrie des actes de l'agent, impulsée sur une vision fausse (contaminée) basée sur l'ignorance de la nature véritable des phénomènes. Ce ne sont pas seulement les phénomènes qui sont co-produits par l'esprit, c'est également son destin et pas seulement comme simple désignation, mais en tant qu'agent en interdépendance de ses actes. Lesquels sont régis par les trois principes de la « loi de causalité du karman » : 1. « l'infaillibilité des actions » (toute action à des conséquences inéluctables, dont le résultat est de même nature que la cause) ; 2. « le vaste accroissement des actions » (toute action s'amplifie jusqu'à produire son résultat) ; 3. la rétribution d'une action relativement à son expérimentation (l'expérience des fruits d'une action dépend des graines qui en sont posées).

  • Passé, présent et futur sont des « effets de perspective » sans existence véritable dont le caractère infaillible des actes de l'agent traduit... l'absence d'ontologie ! Ultimement, tel l'objet et son reflet, la cause et l'effet sont sans discontinuité. Ce n'est pas comme si le temps n'existait pas, mais comme s'il existait seulement (conventionnellement) comme référentiel de l'agent...

Rien d'étonnant donc à ce que les conséquences de nos actions nous rattrapent au-delà la vie et la mort, dont la succession est telle une onde dont la fréquence alterne au-dessus et en-dessous de la longueur d'onde de la lumière, la rendant visible puis invisible... Une description conventionnelle, car dans la vacuité, il n'y a ni apparition ni disparition et donc ni succession ! La raison pour laquelle la rétribution karmique n'est pas instantanée est une question de relativité...

Notre vie actuelle est le résultat d'un « karman de projection » qui donne une teinte principale à notre existence actuelle, sans pour autant que notre vie ne puisse à certains moments se colorer de blanc ou de noir jusqu'à saturation... Et lorsque les deux s'expriment simultanément, leur mélange produit des effets nuancés. Le bénéfice de nos actes passés peut ainsi diminuer la souffrance de la rétribution d'un karman négatif (vivre dans un pays sans structure médicale, être né dans un pays en guerre, ne pas avoir de moyens de se soigner, peuvent avoir une issue funeste fut-ce pour la maladie la plus bénigne).

Les philosophes débattent depuis longtemps pour savoir si passé, présent et futur existent, ou seulement le présent, ou aucun des trois. Du point de vue relatif, le temps est une « succession d'instants » qui n'ont d'existence relative qu'en tant que désignation. Ultimement, le temps n'a pas de réalité ontologique.

Et puisque le temps est dépourvu de réalité propre, la simultanéité également est comme une illusion sur la base de l'esprit. Succession ou coïncidence, maturation rapide ou lente, la rétribution karmique n'est qu'une question de perspective relative à l'agent, ce qui ne change rien à l'efficience de son issue ! Donc, quand à vouloir répondre à la question de la réalité du temps, de même qu'à celle de l'existence, « celui qui est sage ne s'attache ni à l'être, ni au non-être » MMK.

  • Ce qui est infaillible (dans le référentiel du samsāra), c'est l'effectivité de nos actes, instillée par l'addiction du désir-attachement et les émotions perturbatrices, impulsé par notre statut d'agent, initié par la « saisie (innée) du soi ». Et puisque c'est dans le cadre de la conception d'un soi substantiel que nous créons le samsāra, c'est seulement dans ce référentiel que nous pourrons nous libérer, qu'il s'agisse de la «souffrance du changement », de « la souffrance de la souffrance » ou de la « souffrance omniscience » (de l'existence conditionnée), par un changement radical de perspective et de comportement.

La maladie a son remède. Aux trois « degrés d'illusion » mentales imbriquées qui entraînent l'édification du samsāra, la Bhavana bouddhique de la transformation de l'esprit oppose ses antidotes, les « trois aspects de la voie » : renoncement, compassion, « vue juste ». Lesquels se définissent comme le désaveux du caractère merveilleux du samsāra, en réalité cause de souffrance, au profit du souhait de venir en aide à tous les êtres sensibles sans exception afin qu'ils puissent être libérés de leur dépendance, en développant la sagesse qui réalise le non-soi de la personne et le non-soi des phénomènes, et au-delà la vacuité de toute ontologie, par-delà toute conception de la substance.

Chaque « aspect » cible spécifiquement l'une des causes de la maladie dans l'ordre inverse de sa propagation. Le « renoncement » s'attaque en premier lieu au désir-attachement. « Sans un pur renoncement, il n'existe pas d'autres façons de calmer la poursuite des plaisirs de l'océan de l'existence conditionnée » 3AV.

Qu'est-ce que le « renoncement » et par quels moyens le cultive-t-on ?

Le renoncement est la « porte d'entrée vers la libération » commune au petit et grand véhicule, mais associé avec la compassion et la « vue juste », il donne accès plus spécifiquement au Mahāyāna qui vise à atteindre l'état de Bouddha. « L'esprit de renoncement » consiste à ne plus être animé par un état d'esprit qui nous entraîne, par égoïsme et mépris des autres, à commettre des actes non vertueux, sources de souffrances. Il se cultive par la méditation analytique sur les types de souffrances des êtres sensibles du samsāra et leur causalité. « Penser continuellement à l'infaillibilité des actions et leurs effets, ainsi qu'aux souffrances du samsara, arrête l'attachement [aux vies] futures » 3AV.

Dans la plupart des religions et traditions spirituelles, la cause de nos souffrances est attribuée à une source extérieure à la personne. L'on y commet des fautes envers un dieu créateur, des transgressions à l'encontre de ses préceptes, sans être... son propre ennemi ! Cette perspective laisse penser que si l'on parvient soigneusement à éviter l'adversité que représentent les autres dans notre recherche effrénée de plaisirs, et à surmonter les obstacles impromptus sur notre chemin, il nous est possible de retirer un profit exclusif des bonheurs du samsāra ! Une telle chimère n'existe pas dans le bouddhisme où l'agent est directement, et infailliblement, responsable des conséquences karmiques de ses actes.

Toutefois, une personne en proie à de profondes addictions ne trouvera pas la libération dans la seule contemplation ou méditation analytique de la souffrance. Elle recherchera une stimulation toujours plus grande à mesure de l'habituation à sa dépendance (la souffrance du changement !). Bien qu'elles connaissent les risques encourus, nombre de personnes mettent leur vie en danger pour la dose d'adrénaline que leur procure les sports extrêmes. L'addiction au plaisir prend le pas sur la peur et son aveuglement fait oublier jusqu'à l'impermanence...

L'insecte qui détecte une fragrance attrayante dans l'air vole avidement vers la plante dont elle émane. Irrésistiblement attiré par la promesse de son festin à venir, il ne voit pas qu'il se précipite... dans les serres d'une plante carnivore ! Comprendre véritablement la « loi de causalité » du karman, c'est réaliser que les bonheurs du samsāra ne sont que de la souffrance dissimulée sous le leurre de l'illusion. « Si on reconnaît la souffrance pour ce qu'elle est, il sera possible d'abandonner la cause de la souffrance, la non-vertu et de cultiver la cause du bonheur, la vertu. En prenant au contraire la souffrance pour du bonheur, l'esprit erroné ne pourra pas obtenir de qualités » EVE-135.

  • Nous devons réfléchir avec un grand discernement jusqu'à ce que nous soyons profondément convaincus, à la lumière de l'infaillibilité des conséquences des actes non vertueux, que les bonheurs et les merveilles du samsāra (à l'instar des plaisirs contaminés des paradis artificiels) ne sont qu'un pur mirage, sans la moindre consistance, qualité ni vertu pour notre vie présente et future, dont le charme empoisonné ne fait que renforcer l'envoûtement de la condition d'agent (karmique) à la « saisie (illusionnée) du soi » de la personne.

Le renoncement irréversible au cycle des existences est un profond désenchantement à l'égard de tous ses aspects - notamment envers les biens et plaisirs de la vie actuelle et, au-delà, envers tout ce qu'il semble offrir LFRS

Seule la sagesse qui réalise la « vue juste » peut briser le sort de cette « magie noire ». Mais, comment réaliser la vacuité d'existence véritable des phénomènes si notre esprit est profondément imprégné d'attachement ?

Parmi les recommandations que Lama Tsongkhapa reçu du Bouddha Manjoushri en méditation, l'une consistait à purifier ses voiles. Les « trois aspects de la voie » agissent chacun comme antidote, mais ont-ils également une action combinée ? Le renoncement est une forme de compassion « pour soi » et la compassion une forme de sagesse. Cultiver l'un développe les autres, elles sont complémentaires. « Ce désir pour la libération, s'il n'est pas accompagné d'un pur esprit d'éveil, n'agira pas comme une cause du parfait bonheur de l'insurpassable éveil », laquelle bodhicitta s'appuie à son tour sur la « vue juste ». « Bien que familier avec le renoncement et l'esprit d'éveil, vous ne pouvez trancher la racine de l'existence conditionnée sans la sagesse qui comprend la réalité » 3AV.

Si associé au renoncement, la « vue juste » permet d'atteindre le nirvāna, elle est insuffisante pour accéder à la bouddhéité, la libération obtenue étant narcissique puisque satisfaisant... le désir personnel ! Pour libérer l'esprit de son addiction au samsāra (éliminer l'empreinte forgée par la « saisie du soi »), il faut inverser la perspective égocentrée en permutant la préoccupation de l'agent sur le sort des autres grâce au levier de la compassion, « ligotés par les liens serrés des karmas, pris au piège dans les filets d'acier des conceptions d'un soi, les êtres sont ensevelis dans l'ignorance. Nées sans fin dans l'existence cyclique et tourmentées incessamment par les souffrances, vos mères sont prises dans une situation difficile. Réfléchir à leur condition fait naître la suprême intention » 3AV.

Toutefois, cette action combinée n'est pas le sens sous lequel il faut comprendre le terme « accompagné ». Tel l'édifice d'un stupa, le renoncement forme la base, la compassion le corps et la « vue juste » le pinacle de la voie du Mahāyāna. De plus, l'ordre de ces conditions, tel que le Bouddha l'exposa et que le vénérable Tsongkhapa l'éclaira de son explication quant à la manière de pratiquer les « trois aspects de la voie », ne reflète pas l'ordre dans lequel se forme l'illusion.

  • Notre compassion demeure partiale, et nous ne pouvons briser le sort qui nous maintiens prisonniers du samsāra (en mettant un terme à la « saisie (innée) du soi » par la réalisation du non-soi de la personne et des phénomènes) tant que nous n'avons pas fait du renoncement un réflexe (y compris jusque dans nos rêves !) et que le samsāra ne nous inspire plus aucun attachement.

Lorsque par cette familiarité, pas même un moment de désir ne s'élève pour les merveilles du samsara, et si jour et nuit vous aspirez constamment à la libération, vous avez développé le souhait de quitter le samsāra 3AV

Renoncer à la souffrance et ne pas nuire aux êtres sensibles afin de ne pas se créer de karman négatif dont l'on aura à subir la rétribution est une résolution assez facile à prendre. Toutefois, il ne faut pas confondre ce avec quoi nous sommes d'accord (que nous acceptons en logique) et l'impulsion qui nous pousse spontanément à œuvrer au bien des êtres sans exception, sans plus ressentir ni crainte ni d'intérêt égoïste quant à son propre sort, car tout entier tourné vers la préoccupation des autres - critère de mesure de l'entraînement de « l'esprit d'Éveil » (en intention d'abord, puis en action) -. « Tout ce qui n'est pas un antidote au chérissement de soi n'est pas une pratique de la voie » EVE-305C'est un désir positif (facteur mental vertueux) que de vouloir être libéré de la souffrance. « L'absence de désir-attachement est une absence d'attachement face aux objets et articles passionnels, antidote au désir-attachement » IPPB-25

  • Toutefois, nous ne mesurons pas, véritablement, le sens de ce que nous devons abandonner, le fantasme que nous instille le désir-attachement de croire qu'il nous est possible d'obtenir (à l'instar d'une « pensée magique ») tous les bonheurs du samsāra simplement... parce que nous le désirons ! Pour développer le renoncement authentique aux merveilles du samsāra, il faut prendre conscience de leur caractère fallacieux c.à.d. réaliser que l'on se trompe en croyant qu'ils sont cause de bonheur, qui plus est durable.... Nous devons réfléchir à leur impermanence et comprendre que la souffrance se nourrit de la croyance dans le soi de la personne. 

Les libertés et les richesses sont difficiles à trouver et la vie ne dure pas ; la familiarité avec cela élimine l'attachement à cette vie. Penser continuellement à l'infaillibilité des actions et leurs effets, ainsi qu'aux souffrances du samsara, arrête l'attachement [aux vies] futures 3AV

En notre for intérieur, nous souhaitons tous le bonheur. Mais, sous l'emprise de la « saisie (innée) du soi », nous croyons que le bonheur est ce qui satisfait le moi. Nous nous employons par tous les moyens, y compris non vertueux, à le réaliser en nous trompant là encore sur ses causes, avec pour effet la souffrance. Illusionnés par la saisie du soi, nous fantasmons sur les merveilles du samsāra et lorsque nous parvenons à nous en emparer, découvrons avec frustration leur impermanence, ce qui ne fait qu'accroître nos émotions perturbatrices...

Le samsāra n'est pas fait de merveilles ! La beauté n'est pas une qualité propre aux objets, aux lieux, aux corps, etc. Le plaisir, le pouvoir, le luxe, ne sont pas des états propres aux choses ou à la personne. Le caractère merveilleux du samsāra est une illusion instillée par le maléfice du désir-attachement !

Nous croyons pouvoir obtenir tout ce que nous désirons. Mais, si ça ne fonctionne pas, nous entrons en colère, et si nous l'obtenons, nous devenons orgueilleux, si les autres en ont plus, nous devenons jaloux, et dès que séparés, nous sommes frustrés. Pire ! Une fois réalisés, nos fantasmes se révèlent sans attrait (caractère propre de la « souffrance du changement ») ! Nous en voulons toujours plus sans jamais parvenir à trouver satisfaction. Les sirènes du samsāra ne font qu'attiser l'aversion (« souffrance de la souffrance ») qui pousse à agir égoïstement, en renforçant le désir-attachement et en créant toujours plus de souffrances ! « Le moyen d'arrêter le désir-attachement aux articles de l'existence conditionnée est de penser : les plaisirs du monde du désir sont insatiables, indignes de confiance et sont la base du développement de la souffrance » IPPB-25.

C'est la première des « quatre Nobles vérités » du Bouddha Sakyamuni. Tout est souffrance ! Non seulement, il est vain de croire que les merveilles du samsāra peuvent nous apporter le bonheur, mais même en se contentant de mener une vie sans prétention, de par son caractère karmique, « l'existence conditionnée » en elle-même est « souffrance omniprésente » ! Même si vous restez au pied de l'arbre sans goûter à ses fruits, vous finirez telle une truffe dans l'estomac d'un cochon excrété dans un cycle de souffrances sans fin...

Même emplit de sérénité, « l'instant présent » n'est qu'un artifice ! Les « mondes supérieurs » du samsāra (forme et sans-forme), les dhyāna de la méditation, le « calme mental » et la « vision supérieure » ordinaires ne libèrent pas de la souffrance, car c'est toute « l'expérience de l'incarnation », y compris en ses moments de bonheur relatif, qui en sa manifestation même, est souffrance !

Dans le bouddhisme, les « déités courroucées » ont pour fin de provoquer un électrochoc chez les esprits trop imprégnés par l'ego et les poisons des émotions perturbatrices. Pour déclencher le renoncement, il nous faut démystifier y compris les bonheurs les plus « humains » (comme les relations de couple, la vie de famille, la naissance d'un enfant, etc.) en les considérant au même titre que les merveilles du samsāra c.à.d. comme des causes de souffrance insidieuses car elles sont sources de désir-attachement !

L'amour d'une mère pour son enfant, son conjoint ou ses enfants est positif, mais aussi chaleureuses ou amicales que soient ces relations, elles sont également ce à quoi il est le plus difficile de se détacher ! Songeons que depuis des vies sans commencement, nous avons été parents un nombre incalculable de fois, que nous avons mis au monde, éduqués, tremblés d'appréhension et de joie pour nos enfants autant de fois... Et pourtant, aussi vrai que fut notre amour et aussi profond que fut notre bonheur, nous sommes toujours dans le samsāra à courir après ce bonheur qui s'échappe, avec toujours les mêmes doutes et les mêmes inquiétudes, les mêmes peurs et les mêmes peines... 

Croyons-nous possible de vivre ainsi « éternellement », alors que depuis des temps sans commencement, nous ne cessons d'endurer des karman de souffrances, de subir de vie en vie toutes les maladies, de périr de toutes les façons les plus atroces possibles ?

Susciter le dégoût pour le samsāra ne fait toutefois qu'attiser l'insatisfaction et le désir-attachement ! Un signe que nous avons développé le renoncement authentique est l'aspiration constante à vouloir quitter le samsāra, y compris considérant ce qu'il peut offrir de plus beau humainement parlant.

Il est absolument nécessaire d'avoir d'abord l'habitude dans les attitudes de renoncement et de désir d'atteindre la bouddhéité pour tous les êtres sensibles ; alors, laissez de côté pour le moment toutes ces pratiques supposément profondes, les enseignements secrets, etc. PTOB

Pour autant, affirmer que le bonheur dans le samsāra n'est qu'un sortilège qui nous dissimule sa nature de souffrance ne constitue pas une déclaration fataliste, qui plus est nihiliste de la possibilité de trouver le bonheur, pas plus que la vacuité n'est nihiliste de la « vérité conventionnelle » ! C'est la troisième et quatrième « Nobles Vérités » du Bouddha : la cessation de la souffrance est possible ; et il y a une voie qui conduit au véritable bonheur de l'Éveil...

Toutefois, si développer le renoncement au samsāra ne tue pas l'aspiration au bonheur, elle ne la reporte pas automatiquement vers les êtres sensibles. Il faut le choisir ! Nonobstant, le bonheur qu'il est possible d'atteindre est celui du Hīnayāna, où nirvāna pour soi, conséquent à l'abolition de la souffrance du samsāra, qui survient lorsque la « saisie (innée) du soi » (sa racine) est tranchée. 

Le monde relatif n'est guère distant du monde imaginaire, l'erreur et l'illusion y règnent (... ) certains ont découvert l'origine de cette fantasmagorie (...) les images qui se présentent à eux ne les émeuvent plus (...) Perceptions et sensations les laissent calmes, sans provoquer ni désir, ni répulsion ESBT-112

La saisie directe de la vacuité s'accompagne de l'abolition des « trois types de souffrance ». L'esprit n'éprouve plus les objets épistémiques comme expérience. Pour le pratiquant du Mahāyāna, la vacuité devient le support de la compassion, ferment de « l'esprit d'Éveil », qui mène à l'état de Bouddha. Ainsi, s'articulent les « trois aspects de la voie ». « Afin d'obtenir le corps de forme d'un bouddha, amasser la collection de mérites. Ce rassemblement dépend du désir d'atteindre la bouddhéité pour le bien de tous les êtres sensibles. Supposons que nous ne réussissons jamais à développer un désir d'être libre du samsara, il sera impossible de développer le désir de libérer chacun des êtres sensibles » EHS.

Mais, que devient « l'agent » dans tout ça ? Lorsque l'esprit se libère du samsāra, il ne produit plus d'actes karmiques, mais il ne cesse pas pour autant d'être efficient, sinon comment pourrait-il devenir un Bouddha ?

Sur la voie de la méditation, l'esprit est un « agent spirituel » dont les actes ont le pouvoir, par la compassion universelle, de développer les réalisations qui le mèneront à la bouddhéité. Et lorsqu'il accède à l'omniscience, qu'il œuvre par le corps de jouissance (Sambhogakāya) sur les « terres pures » pour enseigner aux bodhisattvas ou par le corps d'émanation (Nirmānakāya) dans le référentiel de la «vérité relative » pour venir en aide aux êtres sensibles, un Bouddha continue encore d'être un « agent » ! C'est seulement en sa nature ultime, le corps d'essentialité (Dharmakāya) - « dimension de la vacuité de l'Éveil (...) sagesse non conceptuelle qui "connaît" la vacuité sans en être différenciée » DEB-306 - où il n'y a plus d'objet connaissable, de production et de cessation, qu'il n'y a plus « d'agent » au sens propre du terme.

  • De par son lien étroit à l'esprit, se comprend l'émergence de « l'agent karmique » comme une illusion issue de la performance magique de la « saisie du soi ». Au sens conventionnel, il n'y a de connaissance conceptuelle que relative au « connaisseur » (non entitaire) de l'esprit ordinaire, lequel en sa cognition est indissociable d'un « acte de connaissance », ce qui fait de connaisseur et agent des termes mutuellement inclusifs... au sens épistémique !

  • Autrement dit, parce qu'ils sont, ultimement, sans discontinuité, en la vacuité de leur nature, cette «illusion créée dans une performance magique qui à son tour provoque une autre illusion » SU-NAG (l'agent émanant de la saisie du soi qui nous instille le désir-attachement) n'est qu'un simple effet de perspective, émergeant « comme reflet » de la connaissance de l'esprit qui (en son acte) se saisit lui-même comme son propre objet de connaissance.

A cause de cela, dans la vacuité, il n'y a ni ignorance, ni cessation de l'ignorance (...) iI n'y a ni sagesse ultime, ni obtention, ni manque d'obtention. Puisque qu'il n'y a pas d'obtention, les bodhisattvas s'appuient sur la perfection de la sagesse et y demeurent (...)

Tous les bouddhas qui habitent les trois temps s'éveillent pleinement de la même façon à l'insurpassable, complet et parfait éveil en s'appuyant sur la perfection de la sagesse EPS

Namasté

Tashi delek

བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།



Références :

3AV : Les trois aspects de la voie, Lama Tsongkhapa https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas 

CPA : Compendium de la Phénoménologie, Asanga https://archive.org/details/in.ernet.dli.2015.201068/page/n5/mode/2up 

CT : La Connaissance Transcendante, Alexandra David Neel https://archive.org/details/AlexandraDavidNeelLaConnaissanceTranscendante/page/n7?q=Prajna%2Bparamita 

EBSI : Éloge au bouddha pour son enseignement sur l'interdépendance - Sadhana n°19 https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas 

EPS : L'essence de la perfection de la sagesse (« le soutra du cœur ») - Sadhana n°18 https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas  

EVM : Entrée dans la voie médiane, le Madhyamakavatara de CHANDRAKIRTI https://www.siddharthasintent.org/assets/pubs/MadhyamakavataraFrancaisDJKR.pdf 

FFR : La foi fondée sur la raison, le Dalaï-lama https://www.babelio.com/livres/Dalai-Lama-La-foi-fondee-sur-la-raison-Une-approche-de-la-V/1023866 

LDC : La magie du cosmos https://www.decitre.fr/livres/la-magie-du-cosmos-9782070347513.html 

LFRS : Les fins Rayons du soleil du Pays des neiges, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme indo-tibétain, Dagpo Rinpoché https://www.dharmapedia.fr/images/DocBookExport/Les_Fins_Rayons_du_soleil_du_Pays_des_neiges/FR/Les%20Fins%20Rayons%20du%20soleil%20du%20Pays%20des%20neiges.pdf 

PTOB : The Principal Teachings Of Buddhism (Classics Of Middle Asia) By Tsonkhapa, Pabongka Rinpoche

SU-NAG : Archives de l'Encyclopédie de philosophie de Stanford https://plato.stanford.edu/archives/fall2021/entries/nagarjuna/ 

MMK : Mūla Madhyamaka Kārikā, Les versets du milieu, Nāgārjuna https://btr2010.files.wordpress.com/2014/04/versets-du-milieu-nagarjuna.pdf 


[i] https://theconversation.com/la-vraie-nature-du-nombre-dor-172459 

[ii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Algorithme_g%C3%A9n%C3%A9tique 

[iii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Apprentissage_par_renforcement#Propri%C3%A9t%C3%A9s_des_algorithmes_d'apprentissage 

[iv] La réfutabilité https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9futabilit%C3%A9 

[v] Nagarjuna, la notion de vacuité dans le Mahāyāna https://www.youtube.com/watch?v=CHfLlj0WwvI 

[vi] Ibid.

[vii] Ibid.

[viii] « Tsongkhapa soutient que les phrases et leur contenu et leurs esprits et ce qui leur apparaît fonctionnent de la même manière [cf. ix]. Dire (1) d'un ensemble de déclarations « vraies » et « fausses » qu'elles sont toutes également fausses, et (2) dire d'une perception sensorielle non médiatisée ou d'idées erronées qu'elles sont également fausses, c'est dire la même chose. La vérité dans les deux est décidée par convention, et non par quelque chose inhérent à l'énoncé vrai (ou à son contenu) ou à la perception valide (ou son objet). Pour Tsongkhapa donc, puisque toute apparence est fausse, le Bouddha sait, mais sans aucune apparence de vérité (huitième point difficile) » https://plato.stanford.edu/entries/tsongkhapa/ 

[ix] « Tsongkhapa a une explication robuste de la différence entre vrai et faux au niveau de la couverture ou du conventionnel. Il nie toute différence entre un faux objet (un billet de loterie de rêve, par exemple) et un vrai ; comme les apparences, affirme-t-il, les deux sont également fausses, seule la convention décide laquelle est vraie » https://plato.stanford.edu/entries/tsongkhapa/