I.95 – La compassion au cœur de l’instant présent
Là où la science voit l'origine véritable d'un univers réel tel un point de dimension nulle et de masse infinie, le Mādhyamaka Prāsangika ne voit ni existence ni non-existence comme production interdépendante, et l'instant présent comme le cœur de la compassion pour les êtres dans l'ignorance de la vérité.
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La Voie du Milieu consiste à mettre en lumière l'impossibilité d'asseoir un jugement exact au sujet des phénomènes, car la complémentarité des contraires interdit, en dernière analyse, qu'il puisse validement s'exprimer une opinion juste si celle-ci est bâtie sur une position fragmentaire :
La vérité se trouve donc au milieu (...) dans le vide. La vacuité de l'univers se démontre donc par la relativité des contraires, qui n'existent que les uns par les autres, c'est-à-dire comme construction illusoire de l'esprit. D'où l'on ne peut que conclure à l'inexistence réelle des choses NDV-36
- Vous marchez dans un désert de sable par un soir de pleine Lune qui brille haut dans le ciel étoilé... Soudain le vent se lève balayant les grains de sable en nuées. Une tempête se forme rapidement, masquant le sol et le ciel, faisant disparaître les traces de vos pas et la voûte étoilée. Bientôt vous ne voyez plus rien que le brassage du sable tourbillonnant dans le vent... Vous vous mettez à genoux et repliez votre corps la tête contre vos genoux, les bras autour de votre tête pour vous protéger le plus possible, en attendant que la tempête s'arrête... Le vent ralentit lentement, le sable arrête doucement de virevolter, la nature se calme... La tempête se termine et le ciel se dégage, révélant à nouveau les étoiles...
En ce moment même, quelque part dans une région désertique, recouverte de sable ou de neige, un événement similaire se produit. Mais se produit-il vraiment si personne n'en soit témoin ? La Lune dans le ciel, les bourrasques de vent qui balayent le sol, l'air chargé de grains de sable ou de flocons de neige qui occultent le paysage, tout cela existe-t-il... sans observateur ?
Si l'on admet avec le Mādhyamaka Prāsangika que « tout est issu de cause », les phénomènes étant dépourvus d'existence autonome, existent seulement (du point de vue conventionnel) par interdépendance. Nul besoin d'un témoin dès lors que leur « coproduction » est conditionnée c.à.d. vide d'existence intrinsèque.
Pour la philosophie occidentale, imprégnée de l'héritage de la pensée grecque et en particulier d'Aristote, qui a érigé en système de pensée la « saisie du soi » des phénomènes, la matière possède une existence inhérente, des caractéristiques propres, mue par des mouvements naturels originés par une cause première « pour sa métaphysique [ou physique première], le dieu des philosophes est le premier moteur, celui qui met en mouvement le monde sans être lui-même mû[i] ».
Dans cette optique, la connaissance se définit comme le discernement de la nature ontologique d'une réalité intrinsèque (« existant premier »), qui existe de son propre côté par opposition à l'esprit qui la perçoit et en élabore le concept (« existant second »). Et, c'est grâce aux capacités de notre « instrument de cognition » (le cerveau ou l'esprit) que nous pouvons comprendre le « réel » qui nous entoure. De fait, pour Aristote, « poser la question "qu'est-ce que l'être ?" revient à poser la question "qu'est-ce que la substance ?" » Ibid.
Le cœur de l'enseignement du Bouddha (et des grands maîtres qui explicitèrent sa pensée, tel que Nagarjuna) repose sur la réfutation de l'idée de substance ou « non-soi ». La vacuité est postulée comme l'antidote à la « saisie (innée) du soi » sur laquelle est inférée la « fausse vue » du soi philosophique. Les phénomènes sont vides de substance intrinsèque. Ils ne possèdent aucune propriété, qualité ou caractéristique qui leur soient propres. Il n'y a pas d'objets qui se meuvent (de manière autonome) hormis, conventionnellement, un mouvement qui apparaît comme objet qui se meut ! Les modalités de l'expérience de la « matérialité » y compris ne proviennent pas des phénomènes ! Comment le pourraient-ils puisque ces derniers sont vides d'existence intrinsèque ?
Que les phénomènes existent seulement en interdépendance signifie que la Lune n'apparaît pas dans le ciel au-dessus du désert, entourée d'une voûte céleste, par magie, par la toute-puissance d'un dieu créateur ou par hasard ! Toutefois, comment ce qui est vide de substance peut-il être « cause » d'un «effet» vide d'existence inhérente, dans une relation de « causalité » elle-même vide de réalité ontologique puisque constitutive de la « co-production conditionnée » ?
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Affirmer que les phénomènes possèdent une substance, c'est croire en la « vue extrême » de l'éternalisme, et inférer qu'ils n'existent tout simplement pas, car ils sont vides d'existence intrinsèque, c'est entériner la «vue extrême » du nihilisme. L'on ne peut pas penser la « production interdépendante » (par exemple de la graine qui produit la pousse qui elle-même produit le riz) séparément de « l'acte de connaissance » de l'esprit. Cela ne veut pas dire que « l'esprit seul » est réel en tant qu'il sert de « base de désignation » à l'existence des phénomènes (sous-entendu constituerait leur « cause première ») !
La « vue juste » réside dans la compréhension de la manière dont la vacuité apparaît comme la cause et l'effet. Pour le saisir correctement, il faut comprendre que « les apparences sont des productions interdépendantes infaillibles et la vacuité est libre d'assertion » est... une assertion qui, par définition, est... libre de toute assertion ! Que la vacuité soit libre d'assertion signifie que la production interdépendante, puisque de désignation, ne peut être posée... sans désignant ! L'on ne peut penser les phénomènes relatifs indépendamment de leur rapport à l'esprit. La « production interdépendante » implique l'intrication infaillible des sphères de l'objet, de l'acte de connaissance et de l'esprit.
Tout ce qui apparaît comme phénomène dans l'espace incomposé, tout ce qui se manifeste comme événement dans le temps illusoire, du fait de sa production en interdépendance n'est (sous son aspect conventionnel) ni identique à l'objet de sa représentation, ni identique à son acte, ni identique à l'agent qui la conçoit ! Cependant, l'espace comme contenant, le temps comme direction, et tout ce qui se produit dans cet espace-temps, structure et enchevêtre les phénomènes, de par sa nature vide d'existence intrinsèque et autonome, est ultimement sans discontinuité avec son objet épistémique, sans différence avec l'acte de connaissance momentané constitutif du continuum de conscience, et sans séparation à l'esprit qui les désigne, eux-mêmes vides de réalité ontologique !
Pas plus que « demander si l'univers est fini ou infini, éternel ou non éternel ? », ou « qui de l'œuf ou de la poule est le premier ? », poser la question de savoir si la Lune, la tempête et le désert existent sans l'esprit pour témoin ne fait pas sens dans la perspective du Mādhyamaka Prāsangika. Libre d'assertion veut dire qu'il n'y a ni existence ni non-existence, ou autrement dit qu'il n'est tout simplement pas possible de penser, définir et saisir les phénomènes sous l'égide de l'interdépendance sans inclure l'esprit dans «l'équation philosophique », car le problème n'est pas d'ordre ontologique, mais épistémologique !
- Que ce soit une tempête de sable ou de neige, pouvez-vous saisir ces éléments individuellement ? Impalpable, le sable glisse entre vos doigts, intangibles, les flocons fondent aussitôt en contact avec vos mains... Pouvez-vous saisir le brouillard, l'obscurité ou le « jour » ? Pouvez-vous seulement les « voir », simples étiquettes en désignation ? N'est-ce pas là un abus de langage ?
- Réfléchissez et observez le monde qui vous entoure avec l'œil de la sagesse qui comprend la vacuité... Comment quoi que ce soit qui posséderait une existence intrinsèque pourrait-il occuper un espace vide de réalité ontologique ? Puisque l'espace, dont la nature est incomposée, existe seulement en désignation, et ne possède donc pas de véritable localité, les phénomènes ne peuvent occuper une position dans cet espace ! Ils apparaissent simplement comme tels du point de vue conventionnel, à l'instar d'un reflet qui ne possède ni véritable profondeur, ni véritable position, lesquels sont de simples effets de perspective !
- Et puisque le temps est aussi une illusion (il n'y a ni mouvement ni durée réelle), et que les « trois temps » ne sont autres que de simples désignations vides de réalité ontologique, il ne peut pas non plus y avoir d'événements qui surviennent réellement ! A cause de cela, dans la vacuité libre d'assertion, il n'est pas possible de concevoir l'existence de l'espace (et tout ce qu'il contient) ni sa non-existence, de même que l'existence et l'inexistence du temps !
- Lorsque à votre esprit le monde se réduit, partie par partie, en passant de (la vue de) l'être à la liberté d'assertion de l'être et du non-être, que l'un après l'autre les phénomènes se révèlent vides d'existence inhérente, tels des hologrammes intangibles, et que vous-mêmes, vos agrégats - forme, sensation, discrimination, formations mentales, consciences sensorielles et mentale - deviennent pareils à des fantômes, simples persistances rétiniennes sur l'œil de votre esprit, l'univers se réduit alors à « la pointe de l'instant présent », laquelle glisse aussi sûrement entre vos doigts que le sable ou la neige vides de réalité ontologique... Vous ne pouvez pas en saisir la substance et pourtant... vous en avez la cognition !
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Cette « pointe » n'est pas la description ontologique d'un univers que sa nature vide de toute substance pourrait nous induire à voir comme reposant sur une tête d'épingle, voire tout entier contenu (à l'instar d'une singularité) dans un point de dimension nulle et de masse infinie... Les phénomènes étant vides d'existence intrinsèque, il n'y a nulle raison de penser que l'univers posséderait « en réalité » une forme, des dimensions et caractéristiques « véritables » différentes de celles que nous lui voyons, telle que l'image que nous en donne la théorie du Big Bang d'un espace en expansion simultanée dans toutes les directions à partir d'un point initial, ou celle d'un « front d'onde » qui se propage comme une vague...
Que la nature de l'univers soit libre d'assertion, et donc qu'il n'y ait pas d'espace ni de temps existant réellement, ne nous permet pas d'inférer que l'espace qui nous entoure et le temps que les objets mettent à le parcourir sont différents de ce dont nous faisons l'expérience - croire en une essence cachée, inaccessible à notre connaissance est le reflet du voile de la vue substantialiste qui recouvre notre esprit au cours de la quête de compréhension du sens de la vacuité -. Que l'essence des choses soit insaisissable, car vide de réalité ontologique, ne signifie pas qu'elles n'ont pas de forme du tout hormis celle que l'esprit leur désigne ! Un hologramme est impalpable, mais n'en possède pas moins une forme perceptible.
L'expression « pointe de l'instant présent » désigne le caractère épistémologique d'un « acte de connaissance momentané » qui, avec d'autres, se succèdent et forment le « continuum de conscience », vide de réalité ontologique. Cet « ici et maintenant » (ultimement non local et atemporel) coïncide avec la production interdépendante comme phénomène et comme « acte de connaissance ».
Parce qu'elle est vide de substance, (la pointe de) « l'instant présent » ne peut être saisi comme un objet («existant premier »), mais peut être expérimenté ! Son caractère impalpable ne fait pas obstacle à l'acte de sa connaissance (tel l'infini des « entiers naturels » ne fait pas obstacle à leur comptage en deçà de l'indénombrable), car ce n'est pas son insubstantialité qui lui permet d'être connaissable, mais sa vacuité qui lui permet d'apparaître comme forme !
L'on ne peut pas trouver le soi d'un « ensemble infini » dans les éléments infinis qui le constituent. Il faudrait pour cela les dénombrer en totalité, ce qui est par définition impossible sinon il ne s'agirait pas d'un ensemble infini ! Il est tout autant impossible de trouver le soi de cet ensemble infini comme « tout », car il faudrait pouvoir englober l'infini au creux de notre pensée, ce qui est cognitivement impossible. Insaisissable en sa nature et conceptualisable en sa pensée, l'infini (« l'ensemble infini ») n'a d'existence que comme simple désignation !
Qu'elle que soit sa forme (acte de connaissance ou phénomène), vide d'existence intrinsèque, « l'ici et maintenant » n'est pas l'entrecroisement d'un lieu concret dans un espace tangible avec un moment mesurable sur une ligne temporelle (ses coordonnées s'inscrivant dans un référentiel spatio-temporel). Sous un angle réductionniste, la forme et le vide peuvent se penser comme des « isolats » conceptuels, mais la « réalité conventionnelle » ne peut exister isolément de la « réalité ultime ». Elles sont une seule chose, pure et inconcevable, vide de réalité ontologique. Ainsi, le sens le plus profond de l'interdépendance est que « la vacuité apparaît comme la cause et l'effet » par intrication des phénomènes à « l'acte de connaissance » de leur désignation par l'esprit.
Il existe donc deux niveaux de réalité (et d'existence, ce qui est indissociable) : une vérité conventionnelle et une vérité ultime. Si l'on se place au niveau de la première, le monde des phénomènes possèdent une certaine valeur, ou, réalité empirique (...). Mais du point de vue de la vérité ultime, rien de cela n'existe, ce qui inclut la loi de production en dépendance elle-même NDV-53
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La classification bouddhiste des dharmas comprend quatre éléments ou dhātu (la terre, l'eau, le feu, l'air), auxquels s'ajoutent un cinquième l'espace, et selon les écoles de pensée un sixième, le temps ou la conscience, définis comme les constituants fondamentaux de la matière, des propriétés desquelles les objets composés tirent leur caractère (solidité, liquidité, chaleur, légèreté...). « L'élément terre a pour fonction de porter la graine ; l'élément eau a pour fonction d'humidifier la graine ; l'élément feu a pour fonction d'échauffer la graine ; l'élément air a pour fonction d'ouvrir la graine ; l'élément espace a pour fonction de ne pas gêner la graine ; quant au temps, il a pour fonction de transformer la graine » SD.
L'équivalent en physique serait le « modèle standard » qui décrit les composants élémentaires de la matière baryonique dans une subdivision qui va de l'atome aux quarks, lesquels sont encore plus fondamentalement les manifestations d'effets de « champs quantiques ». Dans la « théorie des cordes », les particules et leurs propriétés sont l'expression des fréquences de vibrations de filaments infinitésimaux. Autrement dit, les éléments seraient la substance de la matière, or les phénomènes étant vides d'existence intrinsèque, ils ne peuvent, ultimement, être composés de telles briques fondamentales ! De plus, la présence de la conscience dans la liste suggère, à la lumière de la compréhension du sens profond de l'interdépendance, que le terme « élément » doive s'entendre non comme constitutif des objets, mais participant de la production en dépendance...
Toutefois, l'univers n'est pas (en tout ou partie) fait d'esprit ! La conscience comme « élément » s'entend au sens du caractère indivisible de l'existence phénoménale comme événement et comme acte de connaissance !
Il existe donc deux niveaux de réalité (et d'existence, ce qui est indissociable) : une vérité conventionnelle et une vérité ultime. Si l'on se place au niveau de la première, le monde des phénomènes possèdent une certaine valeur, ou, réalité empirique (...). Mais du point de vue de la vérité ultime, rien de cela n'existe, ce qui inclut la loi de production en dépendance elle-même NDV-53
Il est important de bien comprendre que le sens dépasse l'idée d'une relation, connexion ou intrication entre des « existants » individuels, entitaires et distincts, qui rendrait leur union indivisible sur la base de « l'interdépendance du tout à ses parties constituantes ». Les phénomènes n'ont d'existence en tant, seulement, qu'ils sont « produits en désignation par l'esprit » ne signifie pas davantage que tout phénomène est à la fois un événement phénoménal et un objet épistémique. Il n'est pas possible de définir le pourcentage exact de la part respective de leur « ingrédient » dans la fabrication du gâteau... On peut seulement dire que sans sujet, il ne peut y avoir d'objet, lequel implique nécessairement un sujet !
La révolution scientifique et philosophique de la mécanique quantique - initiée par Bohr et l'École de Copenhague, à laquelle Einstein refusait de croire, arguant que « Dieu ne joue pas aux dés » -, réside dans le caractère fondamentalement indéterministe de la nature, illustré par le « principe d'incertitude d'Heisenberg » qui met en équation l'impossibilité de connaître simultanément la position et la vitesse d'une particule. L'expérience du quotidien résonne de cette incertitude lorsqu'elle achoppe à saisir la substantifique « essence du réel », vide de réalité ontologique, dans une bourrasque de sable ou un blizzard de flocons de neige...
Les phénomènes étant vides de réalité ontologique, la question n'est donc pas ontologique. C'est dans la manière dont nous percevons le monde conventionnel que se trouve la réponse épistémologique. L'illusion substantialiste qui nous fait croire en l'existence réelle des choses vient du fonctionnement de la conscience qui nous abuse par un « effet de perspective » tel un trompe-l'œil... ou nous fait en saisir l'illusion sans en être l'objet grâce à la sagesse qui en saisit la vacuité !
Qu'est-ce qui fait que les choses ont l'apparence que nous leur voyons, que l'espace nous apparaît comme un phénomène qui semble posséder une étendue et une profondeur propres, que le temps semble s'écouler tel un fleuve du passé vers le futur, et que leur conjonction forme un référentiel qui nous situe localement et temporellement dans « l'ici et maintenant » ?
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Selon l'orientation de la focale de la conscience, le monde apparaît comme objet (phénomène ou événement) ou comme acte de connaissance (abstrait du sujet). Lorsque vous lisez un livre ou regardez un film, il arrive un moment où votre esprit glisse subrepticement loin de là où vous êtes, porté par l'imagination ou par l'action. En ces instants, vous n'avez plus conscience d'être assis dans votre fauteuil ni de l'heure qu'il est ! Vous ne vous en rendez compte qu'à l'instant où vous en reformez la désignation ! Ce n'est pas que la « focale de votre conscience » se porte à nouveau sur les phénomènes, mais qu'elle se porte à nouveau... sur vous, c.à.d. sur la « conscience d'être conscient de soi » !
Les phénomènes, en tant que tels, existent comme apparence concrète d'un certain point de vue limité, et n'existent pas sous une perception plus profonde (...) Ceux qui ne discernent pas la ligne de partage entre ces deux vérités, ne discernent pas la réalité profonde qui est dans la doctrine des Bouddhas NDV-52
Voir les pèlerins circumdéambuler autour du stupa de Bodhnat à Katmandou où vous y fondre dans la foule, regardez un documentaire sur les Annapurna où y faire un trek, ne confère pas la même perspective... Lorsque la conscience que nous avons de nous-mêmes se superpose au regard que nous portons sur le monde (c.à.d. lorsque nous sommes conscients d'en être l'observateur), le monde nous apparaît alors comme objet (véritable et autonome). Cependant, lorsque la perspective subjectiviste (la «conscience d'être conscient de soi ») s'évanouit, alors se produisent seulement des« actes de connaissance » dont la vue est abstraite de (l'objet épistémique de) la conscience-sujet.
Les deux vues ne sont pas compatibles, elles s'excluent réciproquement ! C'est comme de regarder un fleuve et de s'y baigner. Depuis la rive, il est possible d'effectuer toutes mesures et d'en établir une description complète (y compris de la vitesse du courant et de la position des objets qu'il charrie). Mais, si l'on entre dans l'eau, l'on cesse d'être observateur pour devenir l'acteur d'une expérience.
Il se produit un événement similaire en mécanique quantique. Alors que la mesure vise à localiser l'électron comme « existant premier » (le dispositif de l'expérience reflétant la croyance en la réalité ontique de l'objet mesuré), le résultat dénote a contrario l'impossibilité de connaître simultanément l'une ou l'autre de ces propriétés (localité et vitesse) pourtant supposées inhérentes à sa nature ! Que l'objectivisme de la pensée fasse obstacle à un « acte de connaissance » abstrait de la conscience de son objet est une chose, mais là c'est comme si la mesure était en partie seulement entachée de la « sphère de l'objet » !
L'influence de l'observateur sur le résultat d'une expérimentation quantique est abusivement interprétée comme une « action » de l'esprit sur la matière. Or, s'il y a « interaction » entre le dispositif et l'objet postulé exister réellement (et donc visant à en établir la connaissance ontologique), elle traduit sa vacuité d'existence intrinsèque en « production interdépendante » d'une mesure vide d'existence autonome ! Le caractère surprenant du résultat témoigne de l'intrication des deux aspects de l'ainsité (des « deux vérités », ultime et conventionnelle), qui ne peuvent se saisir l'un sans l'autre. Le regard de l'observateur (l'acte de la désignation de son objet par l'esprit) en est le reflet, que le comportement de la matière (libre d'assertion en sa nature) exprime, non l'inverse !
« L'observation » en mécanique quantique jouxte un indicible qui, en tant que tel échappe à toute assertion, « l'infini microscopique » dont il n'est pas possible de discerner la forme. Placez-y un miroir, celui-ci ne fera que renvoyer l'image... de cela qui la lui tend (la conception que l'esprit en a !). Cela ne veut pas dire que les processus conscients soient régis par le « principe d'incertitude », et que « l'objet électron » n'existe pas, il n'existe pas indépendamment de la mesure !
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Sous l'angle de la « vérité conventionnelle », l'électron comme phénomène et la pensée de l'électron comme « objet épistémique » ne sont pas identiques, mais sous la perspective de la vacuité, l'électron «comme objet » et la conscience de « l'objet électron » ne sont pas différents. Ils sont ultimement, sans discontinuité ! Vides d'existence intrinsèque, « production interdépendante » et vacuité ne sont pas obstructives (la forme est le vide et le vide est forme), a contrario de la « vue de l'être » sous laquelle l'esprit voilé par l'ignorance conçoit les choses, sa pensée déterminant la façon dont elles lui apparaissent (comme « objet » ou comme « acte de connaissance ») en regard... de sa propre perception !
L'esprit est victime de sa propre illusion. Plus forte est la croyance en la réalité des phénomènes (incluant le corps), plus le « soi de la personne » apparaît comme un objet (véritable et autonome), et moins transparaît sa dimension épistémique ! Inversement, plus aiguisée est l'acuité de la sagesse sur le vide d'existence intrinsèque des phénomènes (donc de nos agrégats), moins le « soi » apparaît à l'esprit comme « objet » pour se révéler simple « acte de désignation », abstrait de la conscience de soi, jusqu'à « détruire entièrement tout mode d'appréhension de l'objet » 3AV.
Lorsque vous savez que les apparences écartent les extrêmes de l'existence et que la vacuité dissipe l'extrême du nihilisme et comment la vacuité apparaît comme la cause et l'effet, vous ne serez jamais plus asservis par les fausses vues 3AV
Nous inférons l'existence du « soi de la personne » sur la base de « la vue de l'ensemble périssable ». Mais, il ne suffit pas de « voir » notre propre corps pour en déduire la « réalité du soi » au sentiment de sa saisie, il faut encore que nous postulions son existence comme de nature intrinsèque et autonome. Mais, sur quoi inférons-nous la « réalité » de nos agrégats ?
Il semble logique de penser que le fait de croire dans le caractère réel de l'espace et du temps comme «existants premiers » (à l'appui de la croyance dans la réalité des propriétés relativistes de son référentiel, comme la localité, la durée, etc.), nous entraîne à croire par extension que les phénomènes et donc notre propre corps ont également une existence intrinsèque. De là, s'instille l'intime conviction de la « saisie (innée) du soi » comme preuve de la réalité inhérente de son objet.
Lorsque sous la « vue de l'être », nous pointons la focale de la conscience sur elle-même et affirmons « je suis conscient d'être conscient de moi » - qui est l'énoncé de notre qualité de sujet ou « d'agent conscient» doté de libre-arbitre, le cogito cartésien -, cela crée une dualité avec la perception des phénomènes, eux-mêmes considérés comme des objets (véritables et autonomes).
Dès lors, il est logique d'inférer que changer de perspective sur le « réel » en développant la compréhension de la vacuité des phénomènes, à commencer par l'espace-temps, est pour effet inverse de nous faire percevoir la vacuité du « soi de la personne » via la perception de la vacuité du « soi des phénomènes ». Or, si déplacer la focale de la conscience peut nous faire entrer dans le flow (cet état décohéré de la dualité sujet-objet dans lequel monde n'est plus vu comme objet mais comme acte de connaissance), elle n'abolit pas la « saisie (innée) du soi » !
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Cette « union » entre le sujet et l'objet, abstraite de toute identité, aussi profonde soit-elle - le samādhi du yoga de Patanjali ? -, n'est cependant pas expurgée de toute assertion quant à l'existence intrinsèque des phénomènes (vue fausse de l'être). Ce n'est pas de passer de la « posture mentale » de sujet (« conscient d'être conscient » des phénomènes) à un état, en apparence, abstrait de toute subjectivité et dualité, qui libère de l'ignorance !
L'on peut s'abstraire de sa propre conscience, cesser temporairement d'être le témoin de ses actes, se fondre dans le flow de l'action, éprouver le monde comme « acte de connaissance », sentir l'abolition les «frontières du moi » se dissoudre et éprouver le « sentiment océanique » d'embrasser l'univers, sans pour autant... se départir de la vue du « soi » de la personne et des phénomènes, c.à.d. sans réaliser la nature de leur « non-soi », vide de réalité ontologique !
La seule manière de « passer au-delà de l'erreur, atteindre l'état ultime du nirvāna [et] s'éveiller pleinement de la même façon à l'insurpassable, complet et parfait éveil en s'appuyant sur la perfection de la sagesse » EPS est de « méditer leur vacuité » jusqu'à voir le vide d'existence intrinsèque et autonome des agrégats (en commençant par la forme de l'espace et du temps). Lorsque l'on parvient à percevoir que l'espace-temps et tout ce qui apparaît comme phénomène ou comme événement conventionnellement est (de par la vacuité de sa nature), ultimement sans discontinuité avec la conscience que nous en avons (y compris avec l'esprit), alors le vide et la forme se révèlent sans obstruction. La « vue de l'ensemble périssable » devient alors la vue de la vacuité du « soi de la personne » qui ne produit plus dès lors l'émulation de son sentiment inné !
Grâce à l'antidote de la vacuité, l'épure cognitive du concept de « réalité » dissout la « vue (substantialiste) de l'être ». Lorsque les idées de matière et d'esprit, de sujet et d'objet, ne font plus sens, l'esprit s'abstrait de toute dualité et s'ouvre sur un état sans obstruction de l'objet à sa perception, libre d'assertion par-delà tout concept et toute conception.
En proclamant que tout ce qui existe est vide d'identité, Nāgārjuna rend évidente la caducité des contradictoires traditionnels, des antinomies classiques. Cette attitude débouche sur une compréhension plus fine, plus rigoureuse de la dialectique des opposés et, de ce fait, permet une véritable révélation de la nature sans nature propre des phénomènes, une perception précise de l'absence de substance de toute chose, de la non-substance universelle NDV-13
L'ignorance de la nature vide d'existence intrinsèque et autonome du soi est la racine de toutes nos souffrances, mais la raison en est-elle que « la vue de nos agrégats » fait surgir en nous la pensée de leur « réalité » ?
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Lorsque nous rêvons, nous ne pensons pas spontanément « c'est réel ! », nous en faisons l'expérience et cela suffit à nous réveiller au milieu d'un cauchemar ! Au quotidien, nous n'avons pas à nous répéter « ce que je vis est vrai » pour éprouver le ressenti des modalités de « l'expérience consciente » !
La méditation analytique du non-soi de la personne commence par l'identification de « l'objet à réfuter ». Pour cela, il s'agit en premier lieu d'émuler la « saisie du soi » par l'évocation d'une situation qui stimule son sentiment, la pertinence de son existence étant questionnée dans les étapes suivantes.
C'est seulement si l'on parvient à se dire « je suis en train de rêver », c.à.d. à produire une pensée rationnelle, qu'il est possible de prendre le contrôle de son rêve qui se fait alors « rêve éveillé ». Lorsque nous rêvons, nous évoluons dans notre « conscience mentale », dans l'imaginaire onirique de laquelle le sentiment du soi est encapsulé. A contrario, à l'état éveillé, nous pouvons nous percevoir en plus de percevoir le monde extérieur via nos « consciences sensorielles », c.à.d. « être conscient d'être conscient » de nos expériences et les analyser.
La conscience est une cognition neutre sans assertion quant au caractère de « réalité » et de «véracité» de ce qui est perçu. Ce sont les « facteurs mentaux » qui l'accompagnent (la sensation qui fait l'expérience de l'objet ; la discrimination qui en appréhende les caractéristiques ; et les formations qui en construisent la représentation) qui leur confère une intentionnalité, et encore celle-ci ne vise-t-elle pas à distinguer le réel de l'irréel, le vrai ou faux, mais plutôt à discriminer entre ce qui est agréable et désagréable, bon ou mauvais.
Autrement dit, les sensations se suffisent à elles-mêmes. Nous n'avons pas besoin de penser qu'il est «réel » pour faire l'expérience du monde ! La personne humaine s'édifie sur une base perceptuelle, non intellectuelle. Le jeune enfant découvre le monde et « se découvre lui-même » à travers le monde - la conscience de soi émerge vers l'âge de trois ans avec la reconnaissance de son image dans le miroir -, avant d'apprendre à mettre des mots et à conceptualiser les choses. Même lorsqu'il a développé une pensée rationnelle, l'individu humain continue de saisir le monde implicitement, sous l'abord de ses sensations !
Les êtres ordinaires sont mus par leurs sensations, lesquelles sont ignorantes de la véritable nature de ce qu'elles nous donnent à percevoir. Le « facteur mental » de la confusion consiste en « l'absence de sagesse » quant au vide d'existence intrinsèque des phénomènes. La « saisie (innée) du soi » ne provient donc pas d'une erreur de compréhension, mais d'une absence de réflexion ! « Il y a lieu de distinguer le "soi" des philosophes et le "sentiment du moi" (...) d'analyser ce "moi" inné sur la base des agrégats que nous déduisons à tort l'idée d'un "moi" permanent, de la personne, auquel nous nous identifions » DEB-48.
« L'objet à réfuter » n'est pas conceptuel, ce n'est pas une idée, c'est un sentiment, dont il s'agit de réaliser le caractère illusoire et trompeur par la compréhension éclairée de sa véritable nature. « Réfuter le soi philosophique ne suffit pas à déraciner la croyance dans ce sentiment du moi » DEB-48. Autrement dit, la méthode pour réfuter le sentiment « d'intime conviction » du soi de la personne (et des phénomènes) consiste à d'abord conceptualiser l'idée de réalité pour ensuite... en déconstruire la saisie à l'appui de l'antidote de la vacuité !
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Nos sensations ne sont pas réfléchies et l'animal que nous sommes réagi à ses perceptions sans se poser de question quant à la « réalité » de leur objet. Si nous nous interrogions pour rechercher le « soi de la douleur » lorsque celle-ci survient, nous découvrions qu'il est... introuvable, car la douleur est une représentation mentale, laquelle peut être éprouvée en l'absence de stimuli physique ! Il en va de même de nos autres sensations. Peut-on trouver le « soi de la faim », le « soi de la satiété », le « soi du froid » ou le « soi du chaud » dans la nature, etc. ?
- Les sensations n'ont pas besoin de la logique rationnelle pour survenir en « production interdépendante » ! Nous ressentons la sensation de la faim et pour la faire disparaître, nous mangeons. Réfléchissez-y avec sagesse... L'agrégat de notre corps est vide d'existence intrinsèque, de même que les aliments sont vides d'existence inhérente. Puisque la faim n'a pas d'existence véritable, en quoi manger peut-il avoir pour effet de faire disparaître... ce qui n'est jamais apparu ? Oubliez un instant les concepts de « réalité » et «d'existence » pour considérer les choses du simple point de vue de la sensation, où la faim est la « cause » de manger dont « l'effet » est de faire disparaître la cause... de l'acte de se nourrir !
- Lorsque vous avez faim, vous ne vous dites pas, « ma faim est réelle, c'est pourquoi j'ai faim », vous éprouvez simplement la « faim » ! Il vous est inutile de la qualifier de « réelle » ou de « vraie » pour ressentir ce que cela fait d'avoir faim, car ce n'est pas une idée, c'est seulement une sensation ! Et pourtant, elle vous entraîne à agir une production interdépendante... infaillible !
Le point de vue de la sensorialité est « non binaire ». Les phénomènes y sont de simples stimuli dépourvus de toute notion de réalité et d'illusion, de toute conception de vérité et d'erreur. Considérée isolément, l'agrégat de la sensation dessine une expérience sensorielle qui ressemble à celle d'un enfant qui n'aurait pas dépassé l'âge de trois ans : dépourvue de toute dualité entre sujet et objet, ignorant du monde, inculte à la conception même de l'espace et du temps, son « continuum de conscience » est uniquement formé « d'actes de connaissance momentanés » qui ne sont rien d'autre que des sensations.
À chaque nouvelle expérience, l'enfant acquiert graduellement la connaissance de son identité (il se reconnaît dans un miroir), de l'altérité de ses parents, des autres enfants, etc., se représente l'endroit où il vit et se construit graduellement une image de plus en plus élaborée du monde. Le développement de son cerveau reflète l'association du fonctionnement des cinq agrégats, lesquels adoptent une activité de concert qui accroît le sens de l'identité de l'enfant avec la découverte des notions de « vrai » et de « faux ». A travers la conscientisation de sa propre existence, l'enfant se dessine progressivement une image de la réalité. Sauf, que cette représentation, inculquée par une société imprégnée par l'aristotélisme et la croyance en un dieu créateur, le conditionne à l'individualisme...
L'individu humain cultive avec impétuosité la posture d'un être autonome lancé dans la quête de son propre bonheur sur la base erronée de la « saisie du soi » et dans l'indifférence égoïste au sort d'autrui. Parfois, il se rend compte que quelque chose ne va pas et en ressent la dissonance, mais ne sait pas d'où cela vient, ni comment y remédier. Il s'essaie alors à emprunter des voies alternatives, le yoga où il apprend à devenir plus conscient de son corps et de sa respiration, le développement personnel ou par le « travail sur soi » il explore son passé à la recherche des causes de ses blessures émotionnelles, la méditation où il apprend à détendre son esprit et se détacher du flot des pensées envahissantes...
Tous ses efforts lui permettent de comprendre un tant soit peu qui il est, de trouver la paix intérieure, voire d'atteindre les états profonds des dhyāna de la méditation. Toutefois, ce ne sera jamais que transitoire et exigera de lui des efforts constants pour se maintenir à ce niveau sans chuter. Cela parce qu'il ignore que «tous les phénomènes composés sont impermanents », et qu'il ne s'est point départi de la croyance en l'existence intrinsèque du soi de la personne et des phénomènes !
Ce n'est qu'en développant la sagesse, jusqu'à réaliser que la nature véritable de tous les phénomènes (le monde, la conscience qu'il en a, et y compris son propre esprit) est vide de réalité ontologique que, se libérant de toute dualité, il pourra devenir véritablement conscient. Dès lors, les actes de connaissance momentanés qui constitueront son « continuum de conscience » ne seront plus formés de sensations aveugles, mais éclairés par la sagesse qui saisit l'ainsité. L'enfant humain sera alors devenu un āyra bodhisattva en chemin vers l'état de Bouddha.
Le critère qui détermine si l'entraînement de l'esprit est intégré (...) présente cinq signes de grande expertise :
1) une grande habileté à tolérer toutes les souffrances et difficultés rencontrées sans que les perturbations mentales n'atteignent son esprit ;
2) [libéré de l'attitude égocentrique] elle chérit les autres plus qu'elle-même ;
3) elle est un grand pratiquant spirituel ;
4) elle demeure dans la paix et la discipline ;
5) comme un grand yogi, elle atteint de façon authentique la voie du Mahayana EVE-306
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La sagesse ne suffit pas, à elle seule, pour atteindre la bouddhéité, la méthode (la compassion) est également requise. Or, si la vacuité est difficile à conceptualiser, la compassion est beaucoup plus difficile à cultiver ! Et pourtant, pour allumer un feu, il ne s'agit pas de produire spontanément des flammes qui s'élèvent jusqu'au ciel, mais simplement une petite étincelle qui puisse embraser un tison, lequel puisse attiser une simple flamme, qui puisse à son tour brûler par elle-même...
L'ascension des dix terres (niveaux de réalisations) de la « voie de la méditation » du Mahāyāna, suit un développement exponentiel, comme la capacité à aider simultanément une centaine, un millier, dix milles, cent milles, des millions d'êtres ! Avant l'âge de huit mois, le jeune enfant souri à tous ceux qu'ils rencontrent, une habitude qu'il perd lorsque sa discrimination des visages fait naître en lui de l'attachement pour les proches et de la méfiance (prémisse d'aversion) pour les inconnus ! Ainsi, ne nous focalisons pas sur l'intensité, mais appliquons-nous à considérer chaque être avec la même compassion.
L'un des signes du développement de la compassion est la force du ressenti à la vue ou à la simple pensée qui rend impossible de supporter les souffrances et les tourments des êtres sensibles et migrateurs prisonniers du samsāra.La « grande compassion » est le souhait ardent (intense et joyeux) que tous les êtres soient libérés de leurs souffrances et des causes de leurs souffrances (karman, émotions perturbatrices, vues fausses, etc.). « Cet état d'esprit, décrit comme l'aspiration à réaliser la plénitude de l'Éveil pour le bien de tous les êtres, naît d'un amour et d'une compassion inconditionnels » FRS-10.
La compassion n'est en fin de compte rien d'autre que cela, une intention ! Mais, c'est une intention égale envers tous et sans aucune discrimination... quels que soient les actes commis par une personne envers d'autres ou envers soi. « À de multiples égards, sa bienfaisance est infinie : [cet état d'esprit] s'étend à l'infinité des êtres, sans en exclure un seul, et souhaite dissiper leurs souffrances infinies, pour les établir dans un bonheur infini, pour des temps infinis... » FRS-10.
Pour développer une telle intention, il faut expurger de son esprit l'attachement pour les proches et l'aversion envers les personnes malveillantes et toxiques, y compris envers les pires criminels ! La compassion ne rend pas les personnes insupportables, elle rend leurs souffrances insoutenables.
En l'état actuel de notre esprit, nous ne sommes guère capables de souhaiter à l'assassin, au violeur et au tortionnaire (ainsi qu'au va-t'en-guerre qui incite à de tels crimes, animé de pensées délirantes) de ne pas avoir à subir la rétribution du karman qui les condamne infailliblement au même sort que leurs victimes... La vue ou la seule pensée de leurs forfaits tendrait plutôt à déclencher en nous de la colère, de la rage et une haine profonde à leur égard, accompagnée du souhait de les voir condamnés au plus terrible châtiment !
Or, pas plus que l'animosité qui les anime, le ressentiment que nous éprouvons - qui peut pousser certains à commettre des actes de vindicte générateurs de souffrances pour autrui et d'un karman négatif pour eux-mêmes -, ou ce qui nous retient d'éprouver une compassion et un amour inconditionnels, ne sont pas des caractéristiques de notre nature profonde. Ce sont seulement les expressions de la croyance erronée... en l'existence intrinsèque des phénomènes !
Selon l'esprit du LAMRIM, le moyen de faire naître la compassion, c.à.d. de nous rendre insupportable la souffrance des autres, repose sur l'incapacité à tolérer notre propre situation inhérente à « l'existence conditionnée », qui provient elle-même du développement du premier aspect de la voie, le renoncement aux merveilles et plaisirs contaminés du samsāra. « Ainsi, renoncement et grande compassion sont comme les deux faces d'une même médaille. Quand la compréhension de la nature de souffrance de l'existence conditionnée est tournée vers soi-même, le renoncement surgit, quand elle se porte vers tous les autres êtres, perçus comme chers, la grande compassion apparaît » FRS-370.
Dès lors que nous éprouvons inique de commettre des actes non vertueux mus par la recherche d'un bonheur égoïste qui nous propulse d'existence en existence par désir-attachement, comment pourrions-nous tolérer de voir les autres souffrir (d'exister) du fait des effets karmiques d'un tel état d'esprit ?
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Cependant, le renoncement et l'esprit d'Éveil sont incomplets (en tant qu'ils ne permettent pas d'atteindre l'état de Bouddha) sans le troisième aspect de la voie, la « vue juste » de la vacuité. Le développement de la compassion est lié à la faculté de comprendre la vacuité d'existence intrinsèque des trois sphères. En effet, sous l'emprise du substantialisme, l'esprit confond la personne et son comportement. Or, comme l'a dit le Bouddha, « ce n'est pas la personne qui est en cause, ce sont ces actes ! ». Outre que cela n'apporte rien aux autres de laisser la colère nous emporter au ressentir de la « saisie du soi » en réaction à la malveillance d'autrui (ou le dégoût de nous saisir face à des crimes de guerre) celle-ci ne fait qu'attiser le feu de pensées qui nourrissent un karman négatif...
- Réfléchissez-y avec sagesse... « Tous les phénomènes composés sont impermanents », c.à.d. voués à la corruption. Un vêtement ne restera pas neuf longtemps, ni un tissu immaculé, et une fois qu'une tâche s'y sera incrustée, à moins d'inverser le cours du temps (ce qui est difficile vu son vide de réalité ontologique...), il sera impossible de lui faire retrouver son éclat initial. Tout ce qui est corruptible est inexorablement voué à la destruction hormis... la vacuité !
« La nature de tous les phénomènes », y compris de notre propre esprit, est la vacuité libre d'assertion, ce qui par définition signifie que la vacuité est incorruptible et indestructible ! Son symbole est le vājra ou « diamant dans le Vajrayāna ou Tantrā, il signifie l'indestructibilité, l'infrangibilité, l'immuabilité de l'Éveil et le véritable visage de la vérité. C'est l'essence de tous les êtres et de tous les phénomènes, la vacuité inaltérable. Le diamant est aussi symbole de limpidité ou de clarté, l'esprit éveillé étant vacuité-clarté » DEB-680.
Notre esprit n'est pas loin d'être fait de « l'étoffe des songes » comme le disait Shakespeare, mais il est inaltérable ! Rien ne peut le souiller, car rien ne peut ternir, altérer ou dénaturer ce qui est... libre d'assertion! Quelle que soit la teneur de ses actes, quelle que soit leur qualification aux yeux de la justice humaine (« crime de guerre » ou « crime contre l'humanité »), la nature de l'agent est vide de réalité inhérente et autonome. Et bien que la nature de ses actes le soit aussi, cela ne signifie pas qu'elle est neutre ! Nul n'échappe jamais à son karman (sauf à l'épurer de la manière appropriée). Si tel n'était pas le cas, c.à.d. si l'agent était consubstantiel de ses actes, Milarépa-le-sorcier tueur de dizaines de personnes par vengeance ne serait pas devenu... Milarépa-l'éveillé !
Sur le plan ultime, la nature de notre esprit est identique à celle d'un Bouddha, pure car « vide de réalité ontologique », incorruptible car « libre d'assertion », mais elle diffère : d'une part sur le plan conventionnel du fait du poids de nos actes, en relation causale directe avec notre état d'esprit voilé par l'ignorance (par la conception de l'existence intrinsèque du soi de la personne et des phénomènes) ; d'autre part parce que cette nature est un potentiel dont il faut encore que nous fassions mûrir les graines de la bouddhéité.
- Voyez la personne comme un costume d'emprunt ou comme un masque (de l'étrusque persona, le « masque de l'acteur »). La succession de nos vies dans le samsāra est comme une suite de rôles différents joués par le même acteur, dans la confusion de son identité à celle de son personnage, et dans l'oubli de ses interprétations précédentes et conséquemment des causes qui les relient. Quelle que soit le destin de son personnage, qu'il en salisse le costume de façon irrécupérable ou qu'il le déchire, il sera de toute façon inutilisable à la fin de la pièce... l'acteur demeure quant à lui inchangé !
- Les particularités du masque que vous portez (genre, couleur de peau, aptitudes physiques, capacités cognitives...) sont autant d'apparats relatifs au « rôle » que vous jouez actuellement. Ces attributs reflètent les mérites et les fautes de vos incarnations passées, dont vous faites l'expérience des fruits karmiques. Aussi lourds à porter soient-ils, ce ne sont que des masques ! Ils affectent votre jeu d'acteur, mais n'altèrent en rien votre nature. Et il en va de même pour tous les être sensibles. Ce n'est pas la faute de leur nature, ce sont leurs actes passés (et leurs empreintes qui les incitent à recommencer) qui sont en cause !
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Les actes de l'agent ne sont pas (la nature de) l'agent. La nature de l'agent est pure et incorruptible, car ultimement vide d'existence intrinsèque. La persona de l'agent est une simple apparence en désignation conventionnelle. Impermanente, elle change... en un clignement de cils ! L'ensemble infini des changements momentanés successifs de la forme et de la personnalité de l'agent est fort probablement plus grand que l'ensemble infini (c.à.d. dont le caractère est au-delà de toute assertion quant à une origine) des incarnations de la « Claire Lumière de l'esprit » dans le samsāra depuis des temps sans commencement ! Dès lors, comment pouvons-nous considérer les autres comme des « amis », des «ennemis » (ou « neutres ») et développer à leur encontre de l'attachement et de l'aversion alors qu'ils ne sont jamais les mêmes d'un instant à l'autre ?
Bien que nous comprenions que les « trois sphères » sont vides, il nous faut d'abord saisir que la vacuité apparaît comme la cause et l'effet, c.à.d. que les actes (vides d'existence autonome) de l'agent (vide d'existence inhérente) ne sont pas sans conséquence karmique eut égard à leur objet (autrui, vide de réalité ontologique), afin d'adopter une éthique vertueuse, respectueuse et altruiste de l'existence des autres... fussions-nous tous de simples reflets !
- Pendant les périodes de méditation analytique, réfléchissez avec sagesse à cette équation... En période de post-méditation, entraînez-vous avec acuité à percevoir la vacuité de l'agent, pur comme l'espace incomposé et incorruptible, à considérer la persona de ses agrégats comme un reflet impermanent, à regarder l'objet de ses actes avec une compassion égale envers tous les êtres sensibles, libre d'attachement pour les proches et d'aversion pour les autres...
En quoi comprendre la vacuité peut-elle nous aider à développer la compassion ?
Face aux personnes qui déclenchent en nous de la colère, de l'aversion ou des sentiments plus noirs encore, comprendre que leurs actes ne sont pas le reflet de leur nature, mais l'expression de leurs voiles émotionnels, rend caduc « l'esprit de vengeance », qui voudrait leur faire endurer les mêmes souffrances qu'ils ont fait subir à leurs victimes en châtiment de leurs crimes. Considérer la vacuité de l'agent, ses actes et leur objet, modifie également la perception que nous avons du rapport entre la victime, son bourreau et la souffrance.
En comprenant que la nature de tous les phénomènes est vide d'existence intrinsèque, l'on voit aussi comment la vacuité apparaît comme la cause et l'effet - et en comprenant que la vacuité et la production interdépendante sont une seule et même chose, l'on évite de tomber dans le piège du nihilisme -. Lorsque l'on voit le vide-forme et la forme-vide, l'on voit également le vide d'existence autonome des « trois sphères », lesquelles ne peuvent exister l'une sans l'autre comme l'acte de connaissance et son objet épistémique.
Les directions cardinales ne peuvent exister l'une sans l'autre (l'Est sans l'Ouest, le Nord sans le Sud), le haut sans le bas (le zénith sans le nadir), etc. Elles ne possèdent pas de réalité ontologique et n'ont d'existence que relative ! Il est impossible de saisir le « soi de la droite » ou le « soi de la gauche » comme existant intrinsèques. Ce qui, de mon point de vue, est « à droite » de mon corps, est « à gauche » pour la personne qui me fait face et inversement ! De plus, rien ne demeure un seul instant identique. Aujourd'hui, l'ami de l'un est l'ennemi des autres, mais tout peut changer en un claquement de doigts... !
Du point de vue substantialiste, les actes marquent l'agent de manière indélébile au point que même lorsqu'il a purgé sa peine aux yeux de la justice, un criminel reste toujours un criminel aux yeux de la société. Or, ce qui croît sous un certain point de vue, décroît sous la perspective opposée... Nous commençons à vieillir dès notre conception ! À mesure que l'embryon se développe, sa croissance l'entraîne imperceptiblement vers la vieillesse et la mort. Chaque duplication de son ADN, chaque réplication de ses cellules, sont à la fois un compteur de son évolution et... un compte à rebours vers son échéance karmique !
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Tout début est un déclin, toute aurore un crépuscule. Il n'y a rien là de triste ou de fataliste. Tout ce qui est produit en dépendance est impermanent. La nuit qui tombe est un jour nouveau qui commence déjà à se lever ! Création et destruction, apparition et disparition, simples existant en désignation, sont sans discontinuité en leur nature vide d'existence intrinsèque...
- Imaginez-vous pris dans une tempête de neige, sans pouvoir distinguer le sol du ciel, ce qui vous entoure de votre corps, dont l'agrégat n'est qu'une apparence de surface d'un mouvement brownien d'atomes dépourvus de réalité propre... Vous avancez à tâtons dans le blizzard, trébuchez, vous relevez, sans savoir où vous aller, sans vous rendre compte que vous tournez sur vous-même... Vous ne savez plus où êtes, ni s'il existe encore un « où » dans cette blancheur sans forme, ni un « quand » dans cette tourmente sans commencement ! Vous êtes à la pointe de (l'expérience de) « l'instant présent » et pourtant... il vous est impossible de la saisir ! Elle vous échappe, insaisissable, intangible, car vide d'existence inhérente, comme vos agrégats et y compris votre propre esprit...
La « vue juste » de la vacuité détruit complètement toute conception d'un temps d'horloge intrinsèque dont il suffirait d'indiquer le réglage précis, à l'instar du compteur de la machine à « voyager dans le temps » d'H.G. Wells, et de tourner un bouton pour s'y rendre instantanément ! Comment un corps complètement vaporeux pourrait-il « se déplacer » dans un temps totalement nébuleux ?
Le mouvement interdit la capacité de pouvoir se saisir d'une chose qui serait nommée du titre de présent : "On n'appréhende pas un temps variable, et puisqu'un temps invariable ne peut être appréhendé, comment désignera-t-on un temps non appréhendé ?" NDV-58
Une cause purement relative, parce que totalement impermanente, n'est déjà plus une « cause » avant même de produire un effet, lequel parce qu'il est lui-même purement relatif et donc impermanent n'est déjà plus un « effet » lorsqu'il se produit ! Leur frontière est aussi floue, imperceptible et inconcevable, qu'un paysage enneigé sous une tempête de neige !
Dès qu'un acte est commis, celui qui le produit n'est déjà plus un « agent », mais commence à devenir «l'objet » de la rétribution de son karman... Si sous la « vue de l'être », la victime est l'objet du crime de son bourreau, c'est en tant que « conséquence seconde » de son acte, car un lien étroit relie l'agent à ses propres actes comme « conséquence première », et la loi de causalité qui le régit est infaillible : tout acte produit un effet de même nature ; cet effet est inépuisable ; et il ne cesse de s'accroître jusqu'à pleine maturation. Comment pourrions-nous en vouloir à l'agent pour ses actes et lui refuser notre compassion dont sa victime serait le seul « objet », alors que le bourreau d'aujourd'hui sera... la victime de demain, et que la victime d'aujourd'hui fut... le bourreau d'hier ?
Ainsi, la vacuité expurge la croyance en la nature inhérente de l'agent et de l'objet de ses actes, ce que la production interdépendante complète en rendant caduque la logique de l'incompatibilité des contraires entre l'innocent et son persécuteur.
Dans les relations humaines, « l'objet des actes de l'agent » se trouve également être lui-même un agent et lorsque les agissements d'autrui (mû par ses émotions perturbatrices), le font se comporter de manière indélicate, malsaine, si ce n'est sciemment malveillante envers nous, son comportement a un impact direct sur nos propres voiles qui se manifeste par la réaction de la « saisie du soi », offensé, contrarié, blessé. En réaction, l'image que nous formons (ou rectifions) alors de l'autre et de sa personne, se confond d'autant plus avec la perception que nous avons de ses actes que leur caractère est négatif, nuisible et toxique.
Or, non seulement les actes de l'agent ne sont pas la nature de l'agent, mais la perception que nous avons de l'agent, relative à la souffrance (voire l'impact traumatique) produit en nous par ses actes, colorée par nos propres voiles, ne constitue donc pas non plus... la nature de cet agent !
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Nous sommes d'autant plus prompts à juger et à condamner la personne qu'en notre for intérieur, nous nous sentons heurtés, indignés et meurtris. Il s'agit toutefois là de notre réaction dont, aux fins de développer notre compassion, nous devons épurer les voiles en la distinguant du comportement de l'agent. Or, dans de telles conditions, l'être ordinaire peut être facilement emporté par sa colère et s'interdire (entravé par un sentiment de « dissonance cognitive ») à éprouver ne serait que la moindre pensée de compassion envers cette personne. Quant à venir en aide à l'agent qui nous nuit, l'idée est simplement inimaginable ! Blessé par le chasseur qui ne voit en lui qu'un gibier à abattre, l'animal touché au flanc par une balle tirée avec l'intention réjouie de le tuer, se tourne-t-il volontairement vers son pourfendeur mu par la compassion de le sauver de son karman ?
Inspirez-moi afin de parachever la paramita de la patience qui fait que, même si tous les êtres à travers les trois temps se mettent en colère contre moi, m'humilie, me critique, me menace ou même tente de me tuer, je demeure imperturbable, et œuvre à leur bien-être en réponse au tort qu'il m'aurons causé IPPB-166
La générosité, la patience - et les autres paramitas ou vertus transcendantes - ne sont pas des actions, mais des « états d'esprit » ! Il est possible de donner sans avoir « l'esprit du don » et pour maintenir notre paix mentale face à ceux qui nous nuisent, il nous faut apprendre à devenir patient. Sur la première terre des bodhisattvas, l'entraînement à la paramita de la générosité, au-delà de la pratique mondaine du don, consiste à développer « l'esprit de générosité » comme une réalisation spirituelle. Mais, comment développer la compassion inconditionnelle lorsque nous sommes directement impactés par les agissements d'autrui ?
Les grands maîtres bouddhistes indiens Atisha et Shantidéva développèrent des méthodes spécifiques («les sept causes et effets » ; « l'égalité et l'échange de soi avec autrui » ou tonglen) qu'il est possible de combiner en une seule. À l'instar de la méditation analytique sur le non-soi de la personne qui commence par établir « l'objet à réfuter », la première chose à faire est de déterminer à qui l'on s'adresse. Or, ce n'est pas l'agent en sa nature, mais la perception que nous avons de ses actes qu'il nous faut confronter (en ayant à l'esprit que « ce n'est pas la personne qui est en cause, mais ces actes) de sorte à déconstruire l'image de sa malveillance (toxicité, etc.) que nous instille la souffrance que nous en éprouvons sous le filtre et la résonance de nos propres voiles !
Pour cela, il faut prendre le taureau par les cornes, et pratiquer le Tonglen avec la personne que nous voyons comme la cause de notre souffrance ! « Les Maîtres spirituels tibétains renversent l'ordre dans lequel le disciple doit se représenter ceux vers qui il dirige ses pensées d'amour. Le premier appelé est l'individu pour lequel le disciple sent le plus d'aversion, ou même celui qu'il hait à mort » BB-116.
- Visualisez la personne qui déclenche en vous de la colère, de l'antipathie, de l'aversion en regard des agissements qu'elle a eu envers vous ou un tiers... Inspirez et imaginez une fumée noire qui sort de sa narine droite et entre du même côté jusqu'à votre cœur qui irradie d'une éclatante lumière, reflet de votre amour et de votre compassion. À son contact, elle se nettoie, se purifie et ressort de votre narine gauche sous forme d'une fumée blanche, presque immaculée, qui entre du même côté et plonge jusqu'au cœur de la personne qui vous fait face...
- Ce qu'il vous faut entreprendre est difficile, mais essentiel pour vous libérer des pensées négatives à son écart : pensez à cette personne (1) comme aussi important que vous... (2) reconnaissez qu'elle a été votre mère depuis des vies sans commencement... (3) reconnaissez qu'elle a été avec vous d'une immense bonté... (4) souhaitez lui rendre sa bonté et la sauver des abysses du samsāra... (5) considérer son bonheur comme s'il s'agissait du vôtre... (6) abandonner le « chérissement de soi » (laissez de côté ce que l'ego vous dicte) et souciez-vous de ses souffrances... (7) chérissez-là plus que votre vie, même si elle s'élève en ennemi puéril, car elle vous est bénéfique pour développer la patience d'accepter la souffrance comme un médicament contre l'attachement pour les proches et l'aversion pour les autres... puis (8), suppliquez l'aide des Bouddhas et bodhisattvas afin qu'elle soit libérée de ses souffrances... (9) et avec l'inspiration de vos vénérables maîtres compatissants, souhaitez que ses négativités, ses voiles et ses souffrances mûrissent en vous et, qu'en lui offrant votre bonheur et vos mérites, elle puisse ainsi atteindre le bonheur véritable... Continuez à visualiser les échanges de fumées tout en pensant ainsi...
La Paix, ce n'est pas quelque chose qui vient de l'extérieur. C'est quelque chose qui doit commencer au-dedans de nous-mêmes ; chacun a la responsabilité de faire croître la Paix en lui afin que la Paix demeure générale. Le désarmement extérieur passe par le désarmement intérieur. Le seul vrai garant de la paix est en soi.
Le Dalaï-lama
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Le tonglen ne se pratique pas directement avec la personne (même si vous l'avez en face de vous), mais avec la représentation que vous avez de cette personne, c.à.d. avec la perception que ses actes ou sa situation vous inspirent eut égard à la souffrance qu'ils instillent en vous à la résonance de votre propre karman. Pour autant, le tonglen se pratique comme si vous visiez directement le cœur de l'autre en vous adressant à sa véritable nature, au-delà de l'image déformée que votre souffrance vous inspire de sa personne au travers de son comportement.
La compassion ne s'adresse pas à ses actes, ni à sa persona, mais par-delà à sa nature pure et incorruptible comme le diamant, car vide d'existence ontologique, incomposée car « libre d'assertion ». Lorsque l'on parvient à voir la vacuité de notre propre souffrance à travers la vacuité de l'agent et de ses actes, il est alors possible de déconstruire la représentation délétère que nous en avons du fait de nos voiles, de sorte à empêcher les émotions perturbatrices de nous entraîner à développer de l'aversion, de la rancœur et de la haine envers cet être sensible lui-même emporté par son propre samsāra de souffrances.
Quand vous avez entendu dire pour la première fois que la souffrance est une noble vérité, vous vous êtes probablement demandé ce qu'il y a de si noble dans la souffrance. Ce que le Bouddha voulait dire, c'est que si nous parvenons à reconnaître la souffrance et à l'accueillir pleinement en examinant attentivement ce qui l'a fait naître, nous pourrons nous défaire des habitudes qui la nourrissent et, en même temps, trouver la voie qui mène au bonheur. La souffrance a ainsi un bon côté et peut être un excellent maître.
Thich Nhat Hanh
Tous les phénomènes sont interdépendants. Pas plus que de l'œuf ou la poule, il n'est possible de dire du bourreau ou de la victime qui est le premier ! Nous ne pouvons pas lire dans le « continuum de conscience» des êtres (contrairement aux Bouddhas omniscients) de sorte à pouvoir comprendre ce qui amène une personne à nuire aux autres, mais le Bouddha en a enseigné les principes. Le fait même d'exister est souffrance omniprésente ! « L'existence conditionnée » est le résultat d'une chaîne de coproduction (« les douze liens d'interdépendance »), parmi les maillons de laquelle entrent le karman et les émotions perturbatrices.
Tout phénomène est impermanent. À l'instant même où l'agent a commis un acte de malveillance, il n'est déjà plus l'agresseur et devient l'agressé, son karman commençant sa (plus ou moins lente) maturation. Et avant même de passer à l'acte, il était déjà lui-même une victime qui, à force de ressasser sa colère et de nourrir sa rancune, a fini par commettre un acte nuisible qui lui vaudra... d'en éprouver le fruit karmique de souffrance ! Celui qui tourmente est lui-même tourmenté ! En attribuant notre souffrance à autrui, nous nous en rendons prisonniers et nous condamnons à recommencer. C'est un cycle sans fin !
Chaque chose est une instantanéité, parce qu'elle n'existe qu'au moment de sa production. On ne peut séparer en elle le caractère de l'apparition de celui de la disparition (...) ce qui va s'anéantissant pendant un temps est tout de suite, dans ce même temps, déjà non existant NDV-42
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La cause de toutes nos souffrances est l'ignorance de la vacuité qui nous fait croire en l'existence inhérente et autonome du « soi de la personne », cela sans commencement, mais pas sans fin ! Tant que nous ne confronterons pas la représentation que nous avons de l'agent, de ses actes et de leur objet, jusqu'à réaliser qu'elle n'est qu'une simple désignation sur la base de laquelle nous imputons la croyance erronée en la réalité de ses méfaits (sur la base de la croyance erronée de la réalité des « trois sphères »), nous continuerons à en vouloir à l'agresseur et, cherchant à nous venger, ne ferons qu'alimenter le feu de nos souffrances avec le bois de la forêt de nos conceptions erronées.
- Pensez à une situation où vous avez été confrontés à la critique et à l'opprobre, et rappelez-vous les sentiments que cela a fait surgir en vous à ce moment-là... Être la cible et la victime d'intentions malveillantes aura instillé en vous les sensations d'humiliation, de sujétion, d'impuissance face à votre tourmenteur. Or, cette souffrance du sentiment de soumission n'est pas seulement le reflet de la « saisie innée » du soi, il est également l'expression même du samsāra !
- Lorsque ce sentiment se reproduira - et il est certain qu'il se reproduira comme rétribution du fruit des karmans négatifs que vous avez accumulés depuis des vies sans commencement -, considérez la situation de votre persécuteur. Lui-même est en proie à ses émotions perturbatrices qui l'entraînent, de par ses empreintes karmiques, à reproduire les mêmes actes qui lui vaudront, à plus ou moins longue échéance, d'avoir à subir leur rétribution de la même manière dont vous souffrez actuellement ! En l'absence du plein pouvoir de sa volonté, pouvez-vous trouver une raison logique de ne pas lui accorder votre compassion ?
- Considérez le sentiment d'injustice que votre propre souffrance vous instille en pensant à sa véritable cause, non pas les actes d'un autre, mais les actes que vous avez, vous-mêmes, perpétrés! En proie à votre (seul et) véritable ennemi, vous-mêmes, pouvez-vous trouver une raison logique de ne pas vous accorder de la compassion comme à cet agent qui partage le même sort?
« L'existence conditionnée » est souffrance omniprésente. Si vous êtes en vie, quelles qu'en soient les modalités (capacités physiques, intellectuelles, statut social, ressources, lieu de résidence, etc.), c'est parce que vous expérimentez les fruits de vos karmans (de « propulsion » et de « réalisation ») positifs et négatifs. Soumis à vos émotions perturbatrices, assujettis à l'attachement aux merveilles contaminées du samsāra par votre croyance en la réalité du « soi de la personne », il est totalement illusoire de croire que vous pourrez acquérir un pouvoir sur la contingence qui vous prémunis de ne jamais avoir à être l'esclave de la souffrance ! Le samsāra n'est pas seulement un cycle de souffrances dont vous êtes prisonnier, c'est un état de servitude à votre initiative !
- Vous fustigez l'agresseur, car vous le voyez comme quelqu'un qui, délibérément, fait du mal aux autres ou à vous-mêmes (et s'en réjouit), et vous le condamnez parce que vous croyez sa nature foncièrement malfaisante. Penseriez-vous la même chose de celui qui, lui-même (ou sa famille) sous la menace d'une arme, serait contraint d'être l'agent interposé de votre souffrance ? Voyez l'agresseur comme étant lui-même sous l'emprise de ses émotions perturbatrices comme d'une arme pointée sur sa tête ! Et voyez la souffrance qui vous frappe comme le résultat des actes négatifs que vous avez, vous-mêmes, commis !
Tantôt l'autre est l'objet de nos actes, tantôt nous devenons l'objet des siens ! En fin de compte, agresseur comme agressé sont les victimes de leur conception erronée qui les entraînent à se fourvoyer et à se réduire eux-mêmes à la servitude d'un cycle de souffrances sans commencement. Regardons la situation avec la sagesse qui discerne la vacuité. L'agent, dont la nature est vide de réalité propre, passe alternativement d'un état à l'autre, conditionné par la servitude de son karman. Agresseur et victime ne sont pas des opposés radicaux, duels en nature et en identité. Il n'y a pas d'altérité inhérente au premier dont le caractère étranger à la nature du second justifierait de le voir comme un ennemi et de chercher à le pourfendre par vengeance ou comme s'il était le mal absolu !
Ultimement libres d'assertions, il n'y a réellement ni agresseur ni agression, et donc pas réellement de victime ! Ce ne sont que simples désignations ! Mais, parce que la vacuité apparaît comme « la cause et l'effet infaillible », l'agent apparaît également « comme agresseur » ou « comme victime » en production interdépendante de la rétribution de son karman !
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À l'instar du corps et de l'esprit (« matériel » versus « immatériel »), l'agresseur et sa victime ne sont pas des « contraires », mais ils ne sont pas non plus une seule et même chose ! Ni identiques ni différents, ni existant ni non-existant, « victime » et « agresseur » ne sont que des états temporaires et passagers, instruments de l'inexorable enchaînement du karman, tantôt en instance de commettre un acte, tantôt en instance d'en éprouver la rétribution, mais toujours en souffrance du fait de leur servitude à l'existence conditionnée !
Toutefois, le Bouddha a enseigné la « Noble vérité » de la souffrance, mais aussi celle de sa « cessation », laquelle ne constitue pas une véritable « fin » puisque du fait de la vacuité de toutes choses, il n'y a jamais eu de véritable « début » ! Il n'y a pas réellement d'apparition ni réellement de cessation. Le samsāra est le nirvāna, la servitude est... délivrance !
Si rien n'existe, puisque tout est vide de nature propre, rien n'a besoin d'être annihilé ; telle est la source mystérieuse du Zen, la délivrance réside au cœur même de la servitude ; car, au niveau de l'absolue vérité, la servitude c'est la délivrance, et la délivrance est elle-même non différente de la servitude NDV-38
Pour en prendre conscience, il nous faut développer la sagesse qui réalise la vacuité, mais aussi réfléchir avec compassion aux souffrances (des différentes « catégories d'être ») du samsāra sur la base du karman (ou méditer les « douze liens d'interdépendance » qui nous propulsent dans « l'existence conditionnée »). Ces méditations analytiques ont pour vertu de nous permettre de développer le renoncement (la compassion pour soi), qui est la porte d'entrée de « l'esprit d'Éveil » (la compassion pour les autres). Or, pour cultiver l'intention vertueuse de quitter le samsāra, il n'est pas tant inspirant de considérer « la cessation de la souffrance » comme le nirvāna que de voir le samsāra comme servitude... Que choisiriez-vous entre vivre toute votre vie sans souffrance mais réduit en esclavage ou vivre libre mais avec contrepartie d'être sujet à la souffrance ?
Croire possible d'agir en totale autodétermination est une illusion ! Plus vous vous obstinez, par égoïsme et mépris du sort des autres à rechercher et leur imposer une volonté autocratique par peur d'en être vous-mêmes l'objet, plus la « soif du pouvoir » et la « peur de la soumission » attisent vos afflictions mentales et vous enferrent dans la servitude du samsāra. De plus, pour autant qu'il soit infaillible, cet état est dépourvu d'existence réelle ! Ce n'est là qu'apparence, « effet de perspective », vide de réalité propre, dont il est possible de se libérer de l'illusion en travaillant de concert à développer la sagesse et à cultiver la compassion.
Se libérer de cette servitude, c'est se libérer de son emprise c.à.d. de la croyance en l'existence intrinsèque du « soi de la personne ». Lorsque nous comprenons que les actes de l'agent ne sont pas sa nature (laquelle est pure et incorruptible car vide de réalité propre), notre discernement s'éclaircit et nous comprenons alors qu'elle n'est pas non plus... la perception que nous avons de ses actes (laquelle est la résonance de notre propre karman). Cette seconde épure conceptuelle permet de comprendre que le sentiment qui l'accompagne (le ressenti phénoménologique de), la « saisie du soi » - ni identique ni différent de nos agrégats -, également dépourvu d'existence inhérente et autonome, ne se trouve pas non plus être... la véritable nature de notre esprit !
Ainsi, lorsque la vacuité des « trois sphères » (l'agent, ses actes et leur objet) apparaît clairement, nous réalisons alors que notre nature véritable est sans discontinuité, ultimement, à la nature de tous les autres êtres sensibles sans exception, et notre esprit s'en trouve alors libéré du carcan de toute assertion et de tout obstacle au développement d'une compassion inconditionnelle.
L'équanimité de la compassion va de paire avec la neutralisation de la colère, même si la diminution de son « facteur mental » n'entraîne pas un accroissement mécanique de la patience. Dès lors que nous n'avons plus de raison d'accuser les autres d'être la cause de nos souffrances, ni de motif d'animosité envers les êtres migrateurs, il devient plus facile d'ouvrir notre esprit à la « grande compassion universelle». Pour autant, si les mobiles de la colère disparaissent, elle ne perd pas tout pouvoir de nous mouvoir...
Il n'y a pas de colère qui ne surgisse sans cause, d'elle-même, des deux à la fois ou ni de l'une ni de l'autre. Quel que soit son caractère, cette cause se ramène à la souffrance qui s'origine de l'ignorance et disparaît à la réalisation de la vacuité sur la troisième voie du Mahāyāna (« de la vision »). De fait, les ārya bodhisattva sur la quatrième voie (« de la méditation »), ayant réalisé la vacuité n'ont plus de souffrance et donc, logiquement, plus de raison de se mettre en colère !
Toutefois, avoir réalisé le non-soi de la personne et des phénomènes ne signifie pas que l'esprit soit complètement purgé des empreintes (graines) des émotions perturbatrices, déposées sur leur «continuum mental » depuis des temps dans commencement ! Les ārya bodhisattva ne sont peut-être plus sensibles aux « déclencheurs » conceptuels de la colère, mais demeure en eux un potentiel à épurer pour atteindre le « corps d'émanation » (Nirmāyakaya) d'un Bouddha. Il n'y a de raisons autres qu'intérieures qui justifient la colère. Celles induites par la « saisie du soi » (qui apparaissent comme logiques sur la base de sa conception erronée) disparaissent avec la réalisation du non-soi, quant aux empreintes énergétiques de la colère, elles ne s'effacent pas spontanément...
Si la fermeté de la patience instille en nous un état de sérénité, eut égard au bien-être intérieur que cela fait de ne plus se sentir sujet à la colère, l'extinction de la dualité « agresseur agressé » (à la réalisation de la vacuité des « trois sphères ») induit un sentiment de joie grandissante, comme la reconnaissance que tous les êtres sensibles et migrateurs ont déjà été (plusieurs fois) nos mères, à mesure que notre compassion s'éprouve sans obstacle, restriction ni limite. Se dégage alors le sentiment d'un réseau «global, vaste et profond » qui relie tous les êtres par amour et bonté dans une trame connexionniste sans commencement ni fin, laquelle révèle en filigrane l'indivisibilité de la servitude à la délivrance...
Le karman est l'expression de la « production en interdépendance » (ou comment la vacuité apparaît comme la cause et l'effet infaillible). Comme il ne peut y avoir de fruits sans arbre, nul karman ne peut donner un résultat si l'agent qui l'a produit ne devient pas à son tour « l'objet » des actes d'un autre agent, lequel n'est pas la cause de ses souffrances, mais... « l'instrument » de la rétribution de son propre karman ! Une relation qui ne relève pas du hasard...
Étant donné que nous avons vécu des vies sans commencement, nous avons alternativement été victime et agresseur. Au vu du caractère indénombrable (au-delà de toutes assertions) de nos existences passées, chacun d'entre nous avons tissé des relations « agresseur agressé » avec chaque être sensible et migrateur ayant jamais vécu, dans tous les mondes et sous toutes les formes. La victime et son agresseur ne sont donc nullement de parfaits inconnus croisés par hasard ! Ils ne font qu'échanger leur rôle de vie en vie... Dans les chaînes du samsāra s'entrecroisent les maillons de tous les êtres !
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Ainsi, lorsque nous sommes l'objet des agissements d'un agent qui nous apparaît animé d'intentions malveillantes à notre égard, c'est en fait que nous avons nous-mêmes auparavant non seulement commis un acte de malveillance du même type envers un autre être sensible, mais plus encore à l'égard... de cet être lui-même à travers l'une ou l'autre de nos multiples permutations karmiques !
Notre existence est connectée par notre karman à l'existence de tous les êtres sensibles depuis des temps sans commencement, et « depuis des temps sans commencement » nos rapports sont conditionnés par la « saisie du soi » qui nous enferre, par égoïsme et mépris du sort de l'autre, dans la servitude d'un cycle de souffrances continuelles. N'est-il pas temps d'arrêter ce supplice, non seulement pour soi mais pour les autres, et de la transformer en cycle vertueux ?
Ne répondons pas à la colère par la colère. Apportons notre aide avec humilité. Ne soyons pas orgueilleux de notre geste. La générosité dont nous témoignons n'est que le retour de la générosité à qui en fit acte par le passé. Soyons généreux et patients y compris avec ceux qui nous font du tort, en ayant toujours à la conscience la vue de la vacuité des « trois sphères ».
Ne nous décourageons pas si la personne dont nous faisons l'objet de notre compassion nous critique et se montre réfractaire. Ne renonçons pas si ses afflictions la rendent hostile et si elle se retourne contre nous ! Même dans un sol aride, des graines germeront lorsque les conditions sont propices. Cela peut prendre du temps, mais elles ne disparaîtront pas d'elles-mêmes. « Une action accomplie ne s'épuise pas » EVE-163. Ainsi, en toutes circonstances agissons avec une intention compatissante envers tous les êtres sensibles.
La relation karmique n'est pas seulement de type « 1 à 1 ». La rétribution peut provenir de plusieurs personnes en symétrie du karman qui aura porté sur ces mêmes destinataires. Dans la perspective du réseau « vaste, global et profond » de l'existence conditionnée, la moindre de nos actions n'a pas seulement d'impact (positif et négatif) sur le fruit que nous en recevrons, mais... sur l'ensemble de tous les êtres sensibles ! S'agissant des paramita lesquels sont un « état d'esprit », l'intention est plus importante que l'action. Et une seule action accomplie avec la « grande compassion » pour tous les êtres sensibles sans exception est ainsi plus importante (efficiente) qu'une multitude d'actions faites sans une authentique aspiration à « l'esprit d'Éveil ».
À l'instar de ce vœu zen, « En se réveillant le matin, puissions-nous percevoir chaque chose, sans exception, partout, dans les dix directions », il ne s'agit toutefois pas de penser et d'inscrire chacune de nos actions dans ce contexte global, mais de prendre conscience... qu'elles en font partie ! À nous d'en subir la servitude par ignorance ou d'en user aux fins de la délivrance de tous les êtres.
En apportant notre aide à chaque être sensible (la plus petite et humble soit-elle), dans la vue de la vacuité des « trois sphères », avec l'intention de libérer tous les êtres de leurs souffrances, et leur permettre d'atteindre la félicité de l'Éveil, nous pouvons de la sorte faire naître et croître en notre «continuum mental » les réalisations qui nous permettrons ainsi ultimement - lorsque nous aurons nous-mêmes atteint « la voie où il n'y a plus rien à apprendre » -, de tous les aider à atteindre la délivrance et à s'établir dans « l'équanimité libre d'attachement et d'aversion », du bonheur exempt de toute souffrance.
Tous ceux qui se rendent compte de la souffrance existentielle ont cette envie de la dépasser, de vivre en connexion, de vivre la nature de Bouddha, et s'insèrent dans un grand vœu, illimité.
Ce n'est pas "moi personnellement" qui vais faire un vœu aussi grand (...) c'est le vœu des autres qui forment mon propre vœu.
Ce qui fait la force des vœux, c'est de mettre ses pas dans les pas des plus anciens, qui eux-mêmes les ont inscrits dans les pas du Bouddha, et l'on s'inscrit ainsi dans le flux du monde[ii]
Namasté
Tashi delek
བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།
Références :
3AV : Les trois aspects de la voie, Lama Tsongkhapa https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas
EMK : Les étapes de la méditation, commentaires de Sa Sainteté le Dalaï Lama sur le texte de Kamalasīla https://livresbouddhistes.com/2018/06/26/le-dalai-lama-les-etapes-de-la-meditation-commentaire-de-sa-saintete-sur-le-texte-de-kamalasila/
EPS : L'essence de la perfection de la sagesse (« le soutra du cœur ») - Sadhana n°18 https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas
NDV : Nagarjuna et la doctrine du vide, Jean-Marc Vivenza https://www.bouddhisme-france.org/sagesses-bouddhistes/bibliographie-de-l-emission-sagesses-bouddhistes/mahayana/soutras-shastras-traites-classiques-de-l-inde/Nagarjuna-et-la-doctrine-de-la-vacuite-1994
SD : Soûtra du diamant et autres soûtras de la Voie Médiane, Patrick Carré https://www.decitre.fr/livres/soutra-du-diamant-et-autres-soutras-de-la-voie-mediane-9782213609157.html
[i] https://fr.wikipedia.org/wiki/Aristote
[ii] https://www.youtube.com/watch?v=FY-nN0mTEtM&t=11s