I.99 – Simplement reconnaître
Pour trouver la paix intérieure, départageons-nous du contrôle ! Bloquer les pensées, les rejeter, chercher à faire le vide, revient à vouloir contrôler l'esprit. Or, en toute simplicité, il n'y a rien d'autre à faire que de reconnaître que tout ce qui apparaît là-dehors comme là-dedans est l'expression naturelle de l'esprit, sa nature fondamentale.

Lorsque vous aurez examiné la nature de l'esprit au moyen du discernement, [vous en conclurez que,] ultimement, on ne voit pas d'esprit à l'intérieur, ni à l'extérieur, ni ailleurs. On ne perçoit pas la conscience passée, la conscience future n'existe pas encore, et on ne peut pas voir [l'esprit] du présent (...) ainsi s'apparente-t-il naturellement à une illusion. L'analyse vous montrera que, comme l'esprit, tous les phénomènes sont par nature comparables à des illusions RL-107
- Dans l'immobilité de la posture, les yeux ouverts, pointer le regard droit devant vous. Superposer mentalement l'objet de votre méditation sur l'arrière-plan du monde, comme si rien ne les distinguait en essence - dont l'analyse de la recherche du soi n'a trouvé ni substance ni réalité autonome -. Voyez toutes choses transparentes comme le cristal, translucides comme une bulle, pures comme l'espace incomposé. Imaginez une vitre transparente devant vous. Sous un certain angle, la lumière permet de la distinguer de l'espace, mais sous un autre, elle disparaît ! Vous devez essayer de voir toutes choses de la même manière, devant et autour de vous, sous leurs apparences relatives de formes, de couleurs, etc. mais vides à l'intérieur, tels de simples reflets dépourvus de fond ! Développez cette vue jusqu'à ce que toutes les apparences se révèlent sans obstruction entre elles, l'espace qui les entoure et les contient...
- Cette immobilité spatiale atteinte, concentrez votre attention sur le temps. Voyez que rien ne bouge. Tout demeure identique à l'extérieur comme à l'intérieur de votre conscience mentale (en l'occurrence l'objet de votre visualisation). Laissez-passer les pensées sans les retenir... Voyez l'instant présent comme indifférencié de l'instant précédent jusqu'à ce que passé, présent et futur ne fassent plus sens !
- Dans l'immuabilité du non écoulement du temps ainsi atteint, concentrez votre attention sur l'esprit. Observez son cours... Parfois, votre esprit est calme comme la surface d'une mer d'huile. Les pensées y sont rares, comme l'air en haute altitude, mais vous n'encourrez pas moins le risque de vous égarer, emportés dans leur sillage si votre vigilance ne vous retient pas de les suivre... A d'autres moments, votre esprit est en proie à des turbulences qui s'apparentent à de l'eau en ébullition ou aux rapides d'un fleuve indompté... Ce mouvement est si rapide que ce maelstrom de pensées n'a pas le temps de vous entraîner dans sa ronde car elles disparaissent aussitôt dans l'éclair fulgurant de leur apparition...
- Face à la dualité d'un monde qui semble distinct, en manifestation et en nature, de la sphère mentale de vos pensées, imaginez l'extérieur et l'intérieur comme de simples reflets sur des miroirs lesquels ne sont eux-mêmes... que de simples reflets ! Tout ce qui vous entoure, tout ce qui apparaît (incluant vos agrégats), de la perception que vous en avez jusqu'au « sentiment d'être conscient », voyez-le « comme un reflet » ! Regardez au cœur des choses et, au plus profond, voyez la transparence de leur essence se superposer au tissu de votre conscience...
- Imaginez que les apparences sont de la nature de vos pensées, éthérées, vides d'existence substantielle et autonome. Voyez toutes choses comme de simples apparences, ces apparences comme un voile et ce voile comme l'étoffe de votre esprit... N'établissez pas de discrimination ni de séparation entre les objets (l'extérieur) et leur représentation consciente (l'intérieur). Laissez «l'épure perceptuelle » vous abstraire de toute conception duelle, jusqu'à ce que toute notion d'existence [et de non-existence !] ne fasse plus sens...
- Observez l'expression des différentes pensées qui surgissent, sans les nommer, ni les retenir. Laissez le contenu de votre phénoménologie mentale apparaître, se mouvoir et se déplacer librement. Voyez leurs formes (image, son, etc.), leurs durées, les modalités de leurs manifestations, le ressenti de l'expérience que vous en éprouver, comme de simples reflets vides d'existence inhérente...
- Imaginez que votre conscience est un miroir qui reflète une infinie variété de pensées (lesquelles sont également de simples reflets) sans s'y confondre. Ne regardez pas directement ce fleuve, ni n'entrez dans son cours, voyez son reflet vide dans le « miroir de la vacuité », à la fois présent et non-existant...
- Laissez votre attention libre de se déplacer du dedans au dehors, des choses à l'esprit, des objets à leur représentation, dans un mouvement de balancier de plus en plus lent, jusqu'à gommer toute différence de nature, jusqu'à ce que le caractère d'inséparabilité de leur essence s'impose avec la clarté de l'évidence, jusqu'à ce que la chose se superpose à son image dans la transparence sans discontinuité de leur essence, jusqu'à ce qu'elles se confondent au tréfonds de l'indifférenciation de toute perception duelle entre extérieur et intérieur...
- Lorsque ces deux cessent d'osciller (la production interdépendante et la vacuité sont perçues simultanément), vous réaliser alors que les apparences sont [de la vacuité de l'essence] de l'esprit, sans obstruction de la manifestation à la conscience, sans transition autre qu'un « effet de perspective » sous l'illusion duquel ils vous apparaissent duels. A ce stade, il n'y a pas plus de différence, ni de nature ni d'essence, entre les apparences extérieures et la conscience de leur représentation, pas plus que de distance qui sépare le miroir du reflet !
Tous les phénomènes conventionnels qui peuvent être perçus
Sont dépourvus d'essence et n'ont qu'une identité nominale arbitraire.
Entre le nom et le sens, il n'y a aucune distinction,
Mais une continuelle coémergence, irréalisable de l'extérieur RL-277

Lorsque l'esprit embrasse toutes choses sous la vue d'une seule essence et sans obstruction entre les apparences telles qu'elles sont et toutes autant qu'elles sont, il en émane une « sensation d'expansion sans limite » de la conscience qui ne rencontre plus aucun obstacle matériel, plus aucune frontière physique, plus aucune séparation entre les choses. Cela commence par les choses extérieures, lorsque la nature des agrégats du corps apparaît transparente comme le cristal, et s'étend à tous les objets qui nous entourent, du sol au plafond, aussi près que le volume formé par les contours de la pièce où l'on se trouve, et aussi loin que l'horizon de l'espace ouvert sur l'infini. Lorsque tout est perçu comme un reflet, pur comme l'espace incomposé, la vacuité de l'esprit s'éclaire simultanément.
La « saisie (innée) du soi » nous instille la croyance en l'existence intrinsèque de la personne. Son illusion se traduit par l'expérience subjective du « sentiment de la réalité » d'une conscience entitaire, unitaire, autonome et permanente, qui possède la faculté de connaître la nature propre (l'ontologie) des choses, laquelle croyance repose elle-même sur l'illusion du soi (intrinsèque) des phénomènes. Or, méditer analytiquement (de manière non discursive) l'absence d'obstruction entre les apparences, ou autrement dit saisir qu'une seule chose est l'essence de toutes choses, met en exergue l'interdépendance du sujet à l'objet...
Tout n'est qu'une question de perspective ! Lorsque les maîtres affirment que le samsāra est le nirvāṇa, il faut comprendre que ce sont des « vues » de l'esprit, lesquelles reflètent son « état » (voilé ou éclairé).La première est erronée, la seconde valide car elle reconnaît les apparences comme productions interdépendantes infaillibles dont l'essence (la vacuité) est libre d'assertion.
Nous voyons le monde matériel et la pensée comme intrinsèquement différents de par leur nature respective. S'il est possible de superposer la pensée d'un objet sur l'arrière-plan du monde (par une action par ailleurs mentale), les deux types d'éléments ne peuvent se connecter, s'emboîter ou se combiner en un tout unique et indifférencié du fait du principe de « l'incompatibilité des contraires ».
Je peux visualiser mentalement un chapeau noir en plomb sur ma tête, compléter la pièce manquante d'un puzzle avec une pièce virtuelle ou même planter un clou en fer avec un marteau imaginaire, mais cela ne produira pas le même résultat que leurs actions physiques concrètes ! Nous ne devons jamais perdre de vue les « deux vérités » - lesquelles sont le fondement de la validité du karman - : sur le plan « ultime », les choses ne sont pas différentes ; mais sur le plan « conventionnel », elles ne sont pas identiques. Nous ne devons pas non plus oublier que cette discrimination est... une « méthode argumentaire », qui a pour fin de nous amener à la compréhension progressive de la vacuité !
Dès lors que je peux éprouver « le poids de l'imagination » d'un chapeau très lourd posé sur ma tête (en pensée ou en rêve) comme je ferais « l'expérience de sa matérialité », je peux également inhiber la sensation de son ressenti physique sous l'émulation d'une « vue mentale virtuelle » sous laquelle le chapeau et mes agrégats m'apparaîtront aussi vaporeux et intangibles que l'espace, et de fait... sans obstruction de l'objet à sa représentation ! Vides de réalité ontologique, ce qui nous apparaît comme un monde extérieur « existant réellement » et la sphère intérieure de notre mental, ne sont que de simples reflets, non duels, séparables en apparence mais non séparées en essence.
Ainsi, les modalités sous lesquelles nous faisons l'expérience du « réel » et celles que, par opposition, nous qualifions comme « fictionnelles » (les activités de l'imagination et de l'imaginaire onirique), nous apparaissent contraires par le simple jeu d'un « effets de perspective » qui nous instille l'illusion de leur dualité sur la base de (la croyance en) la « saisie du soi » des phénomènes.
A mesure que se renforce en nous la vue « sans obstruction » - à proportion de notre aptitude à réaliser qu'une seule chose et l'essence de toutes choses et que toutes choses sont l'essence d'une seule -, «l'épure conceptuelle » de la croyance en l'existence intrinsèque et autonome de la matière et de l'esprit entraîne « l'épure perceptuelle » de toute différenciation entre leurs apparences. Avec une clarté et une netteté grandissante apparaît alors à l'aulne de cette vue émancipatrice que l'esprit est vide des qualités d'existence et d'indépendance, lesquelles se révèlent simples postulats établis sur une base erronée !
Dès lors que tout apparaît sans obstruction de forme et de nature, les pensées et les différentes expressions de la phénoménologie mentale susceptibles de surgir spontanément (avec ou sans cohérence) pendant la méditation analytique (non conceptuelle), ne sont plus vus comme différenciés de l'arrière-plan du monde. Lorsqu'il devient évident que la matérialité des objets et l'immatérialité de l'esprit sont vides, non duels de par la vacuité de leur essence et sans obstruction en apparences, ce n'est pas de planter un clou avec un marteau imaginaire qui paraît absurde, c'est concevoir la conscience isolément de son objet ! La conscience est simplement une « vue » dont l'émulation est interdépendante de « l'effet de perspective » qui, en dépendance [par reflet], apparaît comme son objet.
L'essence de l'esprit, les pensées discursives et toutes les apparences qui se manifestent ne sont pas des entités indépendantes et séparées. Elles sont l'expression du jeu naturel [de la nature fondamentale] de l'esprit (...) Comprenant leur identité intrinsèque, on maintient cette attention naturellement présente sans tension, distraction ou artifice RL-303

Mais, comment les apparences extérieures peuvent-elles être aussi structurées, réglées et déterminées alors que les apparences intérieures (pensées, rêves, imaginaire) sont si chaotiques, irrégulières et aléatoires ?
D'une part, il importe de préciser que l'assertion « les apparences sont l'esprit » n'est pas signifiante d'un sous-entendu individualiste. Les apparences ne sont pas « mon » esprit, ni « mes » pensées ! Elles sont dépourvues de subjectivité ou autrement dit le monde tel qu'il nous apparaît n'est pas de nature idéelle. C'est donc la notion d'esprit qu'il convient de requalifier de la juste manière...
D'autre part, nous savons également que la vacuité apparaît comme la cause et l'effet, cela de manière infaillible. Or, si cette « loi » caractérise spécifiquement le karman, elle en déborde le cadre puisque «l'objet» sur lequel porte les actes de l'agent fait partie intégrante des « trois sphères ». La forme et la manière dont les choses nous apparaissent, de même que les modalités sous lesquelles nous en faisons «l'expérience de la matérialité », sont en lien direct avec les imprégnations karmiques qui voilent notre esprit. C'est l'ensemble de toutes les apparences (constitutives d'un « infini »lequel inclut les phénomènes sans lien karmique direct) qui sont par conséquent infaillibles !
En résumé, une seule loi régit toutes choses et toutes choses sont la loi d'une seule ! C'est parce qu'elles sont vides que les choses peuvent apparaître et c'est parce qu'elles sont régies par une loi que leur manifestation, sous la forme sous laquelle nous les percevons et en faisons l'expérience, est infaillible. Et cette loi, c'est le Dharma ! Et puisque les apparences sont coémergentes (indissociables) de l'esprit, s'ensuit alors que l'esprit... est le Dharma !
À une loi de détermination causale, répond la Loi de la Doctrine, le corps de la Loi (dharmakaya), la Loi de la Voie propre vers l'Éveil. À une forme rigoureuse, et universelle de lien structurel, tenant sous son emprise tous les êtres, le Bouddha réplique par l'annonce de la Loi qui mène à la cessation de l'illusion et de la souffrance. Cette Loi prend son socle sur la notion d'Éveil, notion qui synthétise non seulement l'objectif, mais également le sens même de la Doctrine NDV-72
C'est seulement par le jeu de « l'effet de perspective » que nous instille la saisie (innée) du soi » de la personne que les apparences, ultimement inséparables, nous apparaissent relativement séparées, et c'est également par le jeu d'une illusion (qui par occultation de la non-obstruction entre l'extérieur et l'intérieur les établit en dualité) que le contenu de notre conscience nous apparaît échapper à toute logique et se manifester de manière aussi inconstante et nébuleuse.
La manière dont les pensées, et plus globalement tout type, forme et contenu de notre phénoménologie mentale, nous apparaissent sont le reflet des voiles qui recouvrent « notre » esprit, lequel se présente comme une entité individuelle du fait de la racine (l'origine) de ses voiles, l'ignorance de la véritable nature des choses instigatrice de la « saisie (innée) du soi », autrement dit le fait que les apparences sont [de l'essence de la vacuité de] l'esprit, lequel n'est autre, en sa nature et en ses infinies modalités d'expression, que le Dharma !
Reconnaître l'esprit en toutes choses, autant qu'elles sont et tout autant qu'elles sont, c'est reconnaître les manifestations du Dharma, sa nature, sa loi, son principe, et ainsi réaliser que le samsāra est le nirvāṇa. Sous cette perspective éclairée, la souffrance se révèle de la même nature que le bonheur, indissociables en essence, dissociées en apparence... Le bonheur est possible parce que la souffrance existe ! La « loi de causalité du karman » conditionne le bonheur comme la souffrance au caractère de nos actes. C'est parce que nous souffrons - et non pas « en souffrant », ce qui est une vue erronée - qu'il est possible d'atteindre le bonheur ! Suivez le Dharma et vous atteindrez jusqu'au bonheur ultime, rejetez-le et vous souffrirez de mauvaises renaissances sans fin !
La philosophie bouddhiste explique :
Sans problème, il n'y a pas d'antidote.
Sans souffrance, le bonheur ne peut pas exister.
Sans colère, impossible d'avoir de la tolérance.
Sans froid, il n'y a pas de chaleur.
Sans ici, il n'y a pas de là-bas.
Sans samsara, la libération est impossible.
En suivant cette logique, si un problème se produit, méditons joyeusement sur la pensée
"j'ai maintenant la chance d'appliquer son antidote !"
De même, si la souffrance nous afflige, méditons avec joie sur la pensée "cela me donne l'opportunité de trouver le bonheur !
Lama Samten

Bien que les apparences soient l'esprit et l'esprit le Dharma, l'aperception que nous avons de nos pensées diffère de la perception que nous avons des choses. Quelles que soient les modalités sous lesquelles les phénomènes se manifestent, ils présentent un caractère qui transcende les « catégories samsariques » et toute différenciation individuelle relative aux voiles de chaque être. Partout et toujours, la « production interdépendante » ordonne toutes choses, autant qu'elles sont et tout autant qu'elles sont, sous un principe inaliénable, rien ne surgit : de son propre pouvoir ; à partir d'autre chose (sans lien causal entre eux) ; à partir des deux à la fois ; ou sans aucune cause. Or, qu'il s'agisse de leur surgissement, de leur disparition ou de ce qui se passe entre les deux, les pensées vagabondes (qui ne sont pas produites par l'activité volontaire de la raison ou du mental) semblent le plus souvent se comporter... de l'une ou de l'autre de ces façons !
La production interdépendante s'applique à tous les « phénomènes composés » sans exception et le fait que nous ignorions les raisons pour lesquelles ces pensées traversent et gravitent notre sphère mentale tels des « électrons libres » ne signifie pas... qu'elles ne sont pas les fruits de causes et de conditions ! Seulement, telle la base immergée de l'iceberg, nous n'en avons pas conscience.
Nonobstant le fait que la différence entre l'extérieur et l'intérieur est suffisamment prégnante pour que nous éprouvions quelque difficulté à concevoir une « relation d'identité » entre les apparences et l'esprit, nous pourrions aussi nous méprendre quant à sa nature. Que la vacuité de leur essence évacue toute discontinuité et confère à leur aspect relatif un caractère indissociable, n'est pas le sens le plus subtil et profond de la coémergence des apparences et de l'esprit...
Voyez un reflet sur l'eau. Si celle-ci est agitée, pleines de remous, l'image qu'elle reflétera en sera d'autant troublée et déformée. Sur cette simple base, nous les érigeons en dualité, tel le courant philosophique des Védas et du Vedanta qui en infère l'existence d'une rupture originelle entre l'ātman et le Brāhman, cause de la souffrance des êtres migrateurs et leur emprisonnement dans le samsāra, et conçoit la libération (moksa) comme le « retour à l'unité » de l'un au Tout, sur la base du postulat de leur réalité ontologique substantielle et autonome.
Pas plus que l'on ne peut situer l'antériorité de l'œuf ou de la poule du fait de la non-existence du temps, du fait de la non-existence de l'espace, il n'y a nulle distance entre le reflet et le miroir, lesquels ayant pour essence la vacuité sont coémergentes à l'esprit (lui-même vide d'essence) qui les perçoit. Ce n'est que par le jeu d'un « effet de perspective » - à la vue de l'ensemble périssable, l'agrégat du corps, qui nous instille l'illusion de la « saisie (innée) du soi » -, que les apparences et l'esprit nous apparaissent comme duels. Voyez toutes choses comme un reflet et le reflet... vous apparaîtra indissociable du miroir !
L'entraînement (graduel) de l'esprit qui vise à se familiariser (jusqu'à en réaliser la vue spontanément) qu'une seule chose est l'essence de toutes choses et toutes choses l'essence d'une seule, est une Bhāvanā faite de causes et conditions : le « Calme mental » est produit en interdépendance attentive et vigilante du samādhi de la concentration en un point sur l'objet de sa visualisation mentale ; la « Vision supérieure »en interdépendance de l'analytique de son objet (la vacuité) ; et leur union en interdépendance de leur non-activité, ce qui la rend indissociable de l'infaillibilité de la production interdépendante !
Autrement dit, en tant qu'expression de « la cause et de l'effet infaillibles », les apparences extérieures reflètent l'esprit en son état le plus neutre, tel une mer étale, tandis que sous leurs formes chaotiques les apparences intérieures reflètent l'état le plus perturbé de l'esprit, voilé par l'ignorance et les émotions perturbatrices telle la surface de l'eau agitée par le vent. Ainsi, lorsque l'esprit, après s'être établit dans «l'état méditatif semblable à l'espace », réalise la vacuité des apparences et leur indissociabilité à la vacuité de son essence, il entre alors dans un état de « non-attention et non-activité mentale [qui] désignent le fait de préserver continuellement la sagesse primordiale non conceptuelle dont la découverte antérieure procède de l'analyse discriminante » RL-315.
Médite sur l'attention totale des bouddhas
Qui est exempte d'attention et d'activité mentale RL-315

- Les yeux ouverts, regardez simplement devant vous... Ne regardez pas ce qui apparaît devant vous, regardez votre champ de vision et plus largement encore... Voyez devant, au-dessus, autour de vous, en haut, en bas... Imaginez que votre conscience s'expand du centre de votre cœur dans les dix directions, jusqu'à englober l'espace tout entier bien au-delà de là où vous vous trouvez...
- Dans l'espace devant vous, à environ deux mètres, à hauteur de vos yeux, et de la hauteur d'un pouce, visualisez mentalement votre « objet de méditation » (le Bouddha qui a votre préférence ou la lettre HOUNG), eu superposition à l'arrière-plan comme en réalité augmentée... Imaginez ensuite son reflet (ou son double) au centre de votre cœur... Prenez le temps de bien les visualiser, jusqu'à ce qu'ils apparaissent sans discontinuité... Jusqu'à ne plus distinguer de différence entre les deux, ne plus les voir opposés, jusqu'à ce que la perception (et la notion) de là-bas et d'ici s'évanouissent, jusqu'à ce que leur dualité ne fasse plus sens...
- Voyez tout ce qui apparaît dans votre « champ de conscience » sans obstruction, comme de simples projections (des hologrammes)... Leurs formes, leurs contours, leurs aspects les discriminent, leur position, leur distance, leur durée d'apparition les séparent... en apparence du moins, car ils sont vides de toute substance et de toute existence autonome ! Simples jeux de lumière dont les « effets de perspective » dessinent des objets (sol, mur, porte, plafond, autel, statue, livres, etc.). Imaginez que vous passez la main à travers, visualisez-le ! Rien ne fait obstruction à ce mouvement, car tout est vide et y compris votre main imaginaire et votre esprit qui visualise cette scène...
- Voyez tout ce qui apparaît dans votre champ de conscience, et tout ce qui surgit dans votre esprit sans discontinuité de par la vacuité de leur essence, mais aussi sans obstruction en termes d'apparences relatives ! Les pensées vagabondes, impromptues et imprévisibles, qui apparaissent et disparaissent contre votre gré ? Laissez-les libres de leur cours, elles s'évanouiront d'elles-mêmes ! Ne cherchez pas à contrôler, ne jugez pas ce qui se passe, n'essayez pas d'empêcher que cela se produise... Initiez, mais ne dictez pas !
- « Les apparences sont l'esprit », et il n'y a de dualité entre l'extérieur et l'intérieur que par les artifices de l'ignorance. Visualisez toutes choses comme contiguës entre elles, sans distinction entre là-dehors et là-dedans... Voyez toutes choses semblables à l'espace, de la nature de l'espace, vides d'existence substantielle et autonome, dans un espace lui-même incomposé, non-né et donc dépourvu de réalité ! Objets sensoriels et objets mentaux, qu'elle différence ? Une seule chose est l'essence de toutes choses et toutes choses sont l'essence d'une seule...
- Inutile de fermer les yeux ou de les garder mi-clos, car cela n'empêchera ni les pensées vagabondes ni ne vous permettra de vous concentrer plus facilement ! Appliquez-vous seulement, avec attention et vigilance, mais sans fermeté ni excès, à voir (à concevoir et à percevoir) toutes choses contiguës ou, autrement dit, à gommer toute différence duelle relative à l'essence ou à l'apparence. Plutôt que chasser les pensées qui surgissent comme des mouches ou insectes indésirables avec l'obstination de vouloir conserver votre esprit tel un ciel pur et immaculé, intégrer chaque image, son ou autres perceptions et stimuli mentaux dans la vue d'ensemble de votre esprit et des apparences...
- Le corps installé dans une position équilibrée (agréable et ferme à la fois), sans produire d'effort corporel pour maintenir la posture, ni d'effort mental pour vous établir dans la quiétude et y demeurer, initiez puis laissez émaner naturellement cette vue. Voyez toutes choses comme l'espace et l'évidence du caractère de leur « absence d'obstruction » émergera et s'enracinera de lui-même ! Si vous chercher à la fixer, telle une pensée vagabonde, elle s'évanouira ! Restez calme, l'esprit attentif et vigilant, comme « posé » dans son état naturel...
- Appliquez-vous simplement et sans effort à voir les choses sans obstruction, les objets sensoriels et les objets de l'esprit, la perception et la représentation, l'arrière-plan et votre conscience, la matière et l'esprit... Voyez l'espace, cela qui perçoit l'espace, la représentation de l'espace ultimement sans discontinuité de par leur essence, et relativement sans obstruction de la forme au vide, du vide à la forme... Voyez les apparences et votre esprit : de la même essence, ils sont indissociables ; d'une même phénoménalité, ils sont coémergents ..
Garder l'esprit dans sa simplicité fondamentale et non artificielle,
Sans effort ni tension,
Sans mouvement comme une mer étale,
Clair et lumineux comme un ciel sans nuage,
Conscient que ce qu'il perçoit vient de lui-même comme les vagues et l'eau,
Lucide, sans entrave ni croyance, ne laissez pas plus de traces qu'un oiseau dans le ciel RL-326

Le mot ordinaire recoupe habituellement le sens d'élémentaire, de grossier, du niveau le plus bas sur une échelle de progression. L'expression « être ou esprit ordinaire » désigne l'état de confusion de la conscience emprise de l'ignorance et des perturbations mentales, par opposition au qualificatif «extraordinaire » qui s'applique dans le Mahāyāna à partir des ārya bodhisattvas lesquels ont réalisé la vacuité. Ici, le sens de « conscience ordinaire » désigne simplement l'état de l'esprit tel qu'il est en lui-même, naturellement pur. « L'état naturel de l'esprit est lucidité et pureté intrinsèques - une conscience qui, posée en elle-même, n'est ni fabriquée ni altérée, mais reste telle quelle dans son cours naturel » RL-297.
L'esprit n'est pas un diamant qui doit être taillé pour briller. Il éclaire déjà de par sa nature même ! Ultimement, il n'y a rien à produire, à parfaire ni même à réaliser hormis de prendre conscience de l'erreur qui nous enchâsse dans le samsāra pour nous en libérer. Le « développement de l'esprit » ne consiste pas en un processus de perfectionnement, ni même de purification, pour la même raison que sa nature est déjà pure ! « Du fait que la "sagesse non conceptuelle de la Réalité" [conscience dénuée d'erreur] est immanente à toute réalité substantielle, si l'on reconnaît la nature de chaque pensée ou apparence qui se manifeste, on comprend qu'elle ne diffère en rien de la sagesse primordiale » RL-300.
Il n'y a nul effort à produire pour poser l'esprit dans son état naturel autre que de comprendre sa nature, « grâce à cette compréhension, le mode réel de l'esprit, inaltéré, libre de fabrication intellectuelle, pourra être perçu en profondeur comme la conscience ordinaire (...) Reconnaître la nature de cette conscience ordinaire, c'est avoir perçu l'essence de l'esprit » RL-300.
Coémergent est une autre manière de dire qu'il n'y a pas de sujet sans objet ni d'objet sans sujet. Du fait que toutes les chose sont vides, objet et sujet n'existent pas indépendamment de leur propre côté, la connaissance du premier n'étant pas constitutive d'une révélation de l'ontologie de son être par la cognition inhérente de l'être du second. « Les apparences sont coémergentes de l'esprit » revient à dire que leur essence est non seulement inconcevable, car au-delà de tout concept et de toute conception (par-delà leur co-production également), mais que la manière de définir la coémergence est tronquée en regard de sa véritable nature, laquelle est pure puisque... de l'essence de la vacuité !
Tous les langages qu'il nous est possible d'employer (y compris mathématique) pour définir la nature de la « réalité » sont construits sur la base de la croyance erronée en l'existence substantielle du soi des objets par un agent doté d'une existence propre, leur relation illusionnée étant elle-même enchâssée dans le référentiel d'un espace-temps qui n'est qu'un « effet de perspective » ! Les mots s'inscrivent dans une temporalité vide d'existence véritable, mais nous n'avons pas d'autre solution que de décrire les choses sous cet angle. Nous devons nous livrer à l'exercice délicat, car source de piège aporétique (telle la question de l'œuf et de la poule), de décrire dans le temps ce qui est hors de toute durée...
En faisant abstraction de la temporalité, nous pouvons définir la coémergence à la manière d'un palindrome : les modalités sous lesquelles les choses nous apparaissent conditionnent la (forme de la) conscience que nous en avons ; laquelle détermine... la manière dont les choses nous apparaissent ; les deux mouvements étant à la fois antérieurs et subséquents !
- Imaginez que vous êtes devant l'océan. Devant vous, les vagues, de chaque côté une étendue de sable fin. Vous prenez un bâton et dessinez ce que vous voyez. Chaque trait délimite un objet distinct, le ciel, l'océan, les vagues, la plage, etc. Voyez l'espace « comme contenant » et les choses « comme contenu » ; voyez-les isolément ou comme un ensemble, et chacun de leurs éléments comme un objet distinct ; voyez la forme, la couleur, la matière, etc. comme autant de propriétés discriminantes chacune de leur existence individuelle ; et à l'instant même où cet objet est perçu, la conscience se saisit comme cela qui le perçoit ! La « perception directe » (sensorielle) ne fait pas de présupposé quant à cela qui perçoit, mais lorsque cela qui est perçu présente un caractère duel, celui-ci induit rétrospectivement (dans le micro instant même) l'aperception d'une conscience qui se saisit duelle et se pense comme un sujet autonome.
- Maintenant, imaginez que vous entrez dans l'eau. La mer est calme et vous tenez toujours votre bâton avec lequel vous dessinez ! Chaque trait se dissout aussitôt et lorsque vous achevez votre tableau, la surface de l'eau demeure inaltérée... Voyez toutes choses « comme de l'eau (tracée) dans l'eau », chaque trait, votre bras qui les esquisse, votre esprit qui en impulse le tracé... Voyez tout cela sans obstruction entre la forme-vide et le vide-forme ! Immergez-vous dans cette vue jusqu'à ne plus faite plus qu'un avec elle... Cet état d'esprit induit par la vue de l'indissociabilité des apparences et de l'esprit, dans lequel votre conscience s'est établie, détermine la manière dont les choses vous apparaissent, sans obstruction entre son aperception vide (non-référentielle) et la perception du vide (non duelle) de son objet !
Saraha :
La terre, l'eau, le feu, l'air et l'espace
[comme éléments et comme modalités de l'expérience de la matérialité, solidité, liquidité, chaleur, mouvement]
Ne sont jamais séparés de la saveur de la coémergence.
Celui qui ne conçoit pas l'existence
Et le nirvāṇa comme distincts
Se trouve, dit-on, dans l'état naturel de la dimension absolue RL-289

Le sentiment inhérent qui caractérise la conscience (le fait « d'être conscient » « d'être conscient de soi »), nous donne l'impression et « l'intime conviction » - dont l'on ne mesurera jamais assez le caractère fallacieux - de posséder une existence intrinsèque et autonome, le « soi » de la conscience (ou un soi doté de la faculté de conscience), dont la condition première, antérieure, est le postulat de toute perception. Si tel était le cas, l'objet existerait indépendamment du sujet. Que l'on écrive sur le sable ou sur l'eau, il y aurait toujours « conscience de quelque chose », des figures tracées sur le sable ou la dissolution de chaque trait à mesure de son tracé. Et si au final tout disparaissait dans le néant, il resterait encore l'esprit, « existant premier » irréductible, le « cogito cartésien » !
Pour saisir « l'inexistence (de fait) du soi » (no vidyate), il nous faut comprendre la coproduction de la conscience et de l'objet, et pour cela sortir du « référentiel du temps ». Coémergent n'est pas synonyme de simultané ! Le temps n'a d'existence qu'en désignation par l'esprit comme « effet de perspective » qui le fait apparaître comme tel. En dehors de cette illusion, il ne fait pas sens de parler de simultanéité, d'antériorité, de subséquent, etc.
Il est aisé de comprendre que sans lumière pour éclairer des objets, leur reflet ne peut apparaître dans le miroir, mais il est plus difficile de savoir si un arbre qui tombe en forêt sans témoin fait du bruit ? La difficulté vient du fait qu'il y a méprise sur la nature de la conscience, qui est un « continuum d'actes de connaissance momentanés », mais aussi parce que la pensée de la dualité est une pensée par catégorie basée sur « le principe d'incompatibilité des contraires » laquelle oppose l'existence et la non-existence, le réel et l'irréel, le vrai et le faux...
Le son et le silence, l'espace et l'acte de connaissance momentané de leurs diverses (formes de) consciences, sont coémergents au sens où ils ne sont pas séparés en essence ni séparables en apparences (outre « l'effet de perspective » de leur manifestation). Ainsi, la coémergence subsume le caractère sans discontinuité de l'essence de toutes choses, qui est également le caractère sans obstruction des apparences. « Le sens littéral de la coémergence est le suivant : tous les phénomènes animés et inanimés existent concomitamment à leur dimension absolue [la nature innée de toute chose, exempte de constructions mentales RL-97], sans que l'un ne suive ou ne précède l'autre » RL-274.
C'est parce que nous faisons l'erreur de penser que les apparences ne sont pas des productions interdépendantes infaillibles et que leur essence n'est pas libre d'assertion (ni existante ni non-existante), c.à.d. que l'être ontologique des choses existe de manière autonome et inhérente, dont il est possible d'avoir la connaissance objective décohérée du sujet, que son et silence nous apparaissent distincts en apparences, différenciés en nature, duels à l'esprit qui les perçoit.
L'esprit d'un être sensible qui marche en forêt peut percevoir la chute d'un arbre, mais il n'est pas la condition pour que celle-ci fasse du bruit. La perception de « l'arbre qui tombe » n'est pas non plus l'événement constitutif de sa chute elle-même. Ultimement vide d'existence inhérente, la conscience est «le miroir de la vacuité » dans lequel se reflète la vacuité de l'arbre qui tombe et la vacuité du bruit qu'il fait en tombant ! La chute de l'arbre ne fait pas de bruit si l'on considère seulement sa vacuité. Il ne fait du bruit que parce que le vide de leur essence se manifeste sous la forme des apparences... en coémergence de l'esprit !
Le son et le silence nous apparaissent comme tels, c.à.d. sous les modalités sous lesquelles nous en faisons l'expérience sensorielle (lesquelles sont constitutives d'un référentiel local et temporel), comme «acte de connaissance momentané » sous l'aperception de notre propre conscience, relativement à notre esprit voilé par l'ignorance de leur vacuité et de l'illusion de la « saisie (innée) du soi ». Cela ne veut pas dire que si nous étions capables de « saisir directement » la vacuité, c.à.d. de percevoir que leur essence est sans discontinuité et leurs apparences sans obstruction, tels des traits tracés dans l'eau, toutes choses à se confondre disparaîtraient, laquelle vue serait nihiliste de leur existence !
Il n'est tout simplement pas possible d'affirmer que ce qui ne peut se concevoir ni en termes d'existence ni en termes de non-existence... serait de l'ordre du nihilisme ! L'on ne peut nier « l'existence» d'une chose qu'en opposition à l'affirmation de la réalité intrinsèque de « l'être » de cette chose. Or, le silence nāgārjunien à la conclusion du tétralemme rend impossible de réfuter la non-existence et donc... d'affirmer l'existence !
La vacuité n'est pas un nihilisme. C'est l'antidote à la croyance en la substance inhérente des choses, l'absence d'haeccéité (d'identité singulière, autonome) de leur « être propre ». La coémergence est un terme « mutuellement inclusif » à l'expression « libre d'assertion », laquelle se lit sous cet éclairage amplifié comme l'assertion selon laquelle les apparences et l'esprit, en leur essence et en leur manifestation relative, sont libres d'assertion. Saisir la vacuité, c'est voir toutes choses telles qu'elles sont et autant qu'elles sont « sur le même plan », au-delà de toute dualité et par-delà tout référentiel...
Les textes et les commentaires des grands maîtres - ici de tradition kagyu - délivrent les instructions pour familiariser l'esprit avec cette vue par l'entraînement à la méditation du Mahāmudrā, mais leur propos est nettement plus sibyllin s'agissant de la description du « ressenti phénoménologique » de la vacuité, de (l'impression) de ce que cela fait d'en réaliser la saisie directe. « Pour simplifier, lorsqu'on commence à chercher la vue juste, on doit examiner l'esprit comme étant la source de la dualité du sujet et de l'objet » RL-134.
La « coémergence » revient à dire que les phénomènes n'ont d'existence que comme simple désignation sur la base de l'esprit (formule mutuellement inclusive de la forme-vide est le vide-forme). « Comme au sortir d'un rêve », « comme de l'eau versée dans l'eau » traduisent la réalisation de l'ainsité. D'autres analogies (pramana) sont avancées comme de « voir toutes choses comme un reflet » (ou comme un hologramme). Pour autant, l'on se méprendrait de penser qu'il s'agit là de qualifier l'inconcevable s'agissant de s'abstraire de toute conception...
La conscience ordinaire est simplicité naturelle.
Ne la ternissez pas avec vos fabrications intellectuelles,
Car la pureté naturelle de l'esprit se passe de toute intervention.
Laissez l'esprit tel quel,
Sans vouloir le saisir, ni le délivrer RL-297

Dans la méditation du Mahāmudrā, ce qui est recherché, c'est reconnaître l'esprit. Pour cela, il ne suffit pas de comprendre sa nature, il faut la saisir non pas comme un objet perçu par un esprit entitaire, mais dans l'union du « Calme mental » et de la « Vision supérieure » comme un « acte de connaissance ». Celui-ci se dévoile - à la sagesse de l'analytique (non discursive) - par son insaisissabilité en tant que soi, coïncide avec son indissociabilité aux apparences (via l'essence irréductible de sa vacuité), laquelle inséparabilité se dissout dans l'ainsité lorsque la « saisie directe » (yogique) s'épure et s'abstrait y compris de toute obstruction résiduelle... de l'idée de « sans obstruction » !
Mesurer des intervalles réguliers entre des points dans l'espace d'un objet est une opération conventionnelle classique. Qui plus est, le fait qu'elle procède des mathématiques renforce notre croyance en « la réalité de la chose ». Cependant, pour « métrer l'espace » encore faut-il que celui-ci soit un «existant premier », doté d'une ontologie propre possédant la propriété d'être mesurable, mais aussi... que la mesure, son instrument, et celui qui la réalise (l'acte, l'objet et son agent) possèdent également une existence substantielle et autonome, et non pas... que l'essence des « trois sphères » soit ultimement vide ! Or, puisque l'espace et la mesure, la conscience et son objet, sont coémergents, il s'ensuit que la mesure d'un intervalle est (sous une autre forme) ... la mesure elle-même ! La « saisie directe » de la vacuité n'est pas la perception d'une ontologie par un soi entitaire, c'est le moment même de son « acte de connaissance » !
L'initialisation de (l'état de) l'esprit qui caractérise la méditation du Mahāmudrā, est d'abord une étincelle vacillante surgissant d'une analytique qui vise à saisir par l'observation des faits la vacuité des apparences et de l'esprit, à l'appui de la « concentration en un point » sur un objet de méditation mentalement visualisé obtenue par la discipline de l'attention et de la vigilance. En post-méditation, son émulation s'entretient de manière subséquente via la perspective qui consiste à « voir toutes choses comme un reflet ». Au stade le plus subtil de l'union de la quiétude et de la Vision supérieure, cet état d'esprit revêt la forme-vide d'une connaissance « claire et lumineuse », au-delà du par-delà de toute dualité et de tout référentiel (sans être nihiliste), raison pour laquelle cette connaissance est qualifiée de « transcendante » (prajñāpāramitā).
Cette « pureté de l'évidence pareille à l'espace » ne peut, ni ne doit, être qualifiée de nihiliste sur la base de l'abolition d'une conscience sujet à l'abstraction de son objet. La « vue extrême » du nihilisme est l'expression de notre incompréhension de la vacuité par abstraction de la production interdépendante. A l'opposé, arguer qu'il ne saurait y avoir de connaissance en l'absence d'un sujet-connaissant en considérant la coémergence comme une réalité en-soi, c'est réfuter la vacuité de la production interdépendante et conséquemment... nier le karman !
Les braises qui ont transmis de la chaleur aux pierres réfractaires pour cuire les aliments dans un four ont disparues lorsque ces dernières en restituent l'énergie. Lorsque les apparences et l'esprit sont perçus sans obstruction, l'analyse qui en a produit l'émulation s'est mutée - tout en demeurant unie à la quiétude - en une « vue directe » qui embrasse toutes choses sous l'essence d'une seule... sans qu'il n'y ait par ailleurs au final (c.à.d. lorsque la réalisation de l'ainsité est plénière), y compris, de sentiment... de l'absence d'obstruction !
Saisir la vacuité des choses, ce n'est pas comme de faire des asanas au yoga. Les postures peuvent être enseignées parce qu'il est possible de les décrire ! Dès lors que leur description et les explications du professeur de yoga sont précises et claires (et comprises par l'élève...), celui-ci peut s'entraîner à les reproduire (relativement aux contraintes de sa physiologique). S'agissant de la vacuité (nonobstant le fait qu'il soit présomptueux d'affirmer sa réalisation), il est vain de croire possible de développer la « vue juste » de la réalité (laquelle est ultimement inconcevable) par l'ajustement de son ressenti à la description du sentiment de ce que cela fait d'en réaliser la « saisie directe yogique » !
Antidote à la croyance dans le soi des phénomènes, vide de substance inhérente et d'existence autonome, « libre d'assertion », la vacuité ne peut être décrite en tant que telle. Ne pas s'arrêter au silence nāgārjunien qui fait suite à la réfutation de la nature propre d'un « existant ontologique » et vouloir donner une description positive de la vacuité, revient à la conceptualiser et de fait... à ne pas sortir de l'illusion de la substance ! « Puisque l'analyse conceptuelle est le fait de l'intellect conditionné et obscurci, l'analyse intellectuelle du pur sens définitif n'est pas possible (...) Il est erroné de croire qu'appréhender intellectuellement le sens du réel ne constitue pas une fixation sur des attributs conceptuels » RL-128.
Exercer l'intellect à se représenter la vacuité,
Le sans-naissance et l'absence d'extrême,
C'est s'éloigner de la nature fondamentale de l'esprit RL-329

Toute description phénoménologique qui pourrait être donnée ici ou là (fût-ce avec une volonté altruiste), doit être considérée comme un « complément » au guide des instructions des maîtres visant à initier la «vue », mais son émulation dépend de la compréhension issue de l'analyse (discursive et de l'analytique non discursive) à laquelle il incombe à chacun de se livrer par la méditation adéquate (animé d'une motivation altruiste) de sorte à familiariser son esprit jusqu'à ce qu'elle devienne une vue spontanée, globale et persistante.
De plus, il convient de considérer toute analogie comme de sens interprétable et non définitif, et d'interroger leur lecture sous l'angle conceptuel et perceptuel... Ainsi, l'expression « comme un reflet » s'entend-elle à la fois comme signifiant de « la coproduction conditionnée », mais aussi comme une expérience qui met en évidence que les caractères manifestes de l'étendue, de la profondeur, et de la localité de l'espace ne sont que de simples « effets de perspective », lesquels illustrent la perception phénoménologique du « sans obstruction » ...
La lumière d'une bougie flotte dans l'obscurité, sur un paravent dansent des grues sacrées... Sur le papier, les mots apparaissent sans discontinuité. A leur lecture, des formes surgissent dans votre esprit sans obstruction quant à la nature des choses qu'elles évoquent. La vue de cette scène dans un miroir, par la magie de l'illusion, semble refléter un espace... de « l'autre côté du miroir » ! Au réveil, son rêve se dissipe en emportant avec lui tout sentiment de réalité. Pourquoi alors ne pouvons-nous pas percevoir toutes choses comme de simples apparences, sans obstruction entre elles et notre esprit, et sans y prêter un caractère de réalité ?
Traduire le ressenti de notre phénoménologie est chose impossible. Trop subtiles et évanescentes sont nos pensées qui s'évaporent dès que l'on tente de les saisir. Les décrire les travestis. L'impalpable n'est pas fait de mots ! Ne peut être traduit ce dont la nature est ineffable. Le concept mis pour la chose n'est pas la chose, vide d'existence substantielle, que la croyance en sa réalité, par substantification de son objet épistémique, substitue à l'indicible sous l'illusion du « soi ».
A contrario, instruire de la manière d'initier la vue (sans obstruction) sur la base de l'explication de la coémergence, est non seulement possible mais souhaitable, par motivation altruiste à venir en aide aux êtres (qui en ont la capacité) pour leur permettre d'en développer la vision. Lorsque l'indissociabilité [de la relativité] des apparences et [de l'essence] de l'esprit est bien comprise, transparaît alors sous la force de l'évidence -pendant la méditation au sens émergeant de l'analytique, et en post-méditation à l'appui de l'analogie appropriée - comme un sentiment d'irréalité qui sourde de la perception du regard qui embrasse toutes choses, sans limite ni distinction, sans transition ni obstruction...
Quand réel et irréel
Ne se présentent plus à l'esprit,
Et en l'absence de toute autre possibilité,
C'est l'apaisement libre de tout support RL-332

- Pour percevoir que tout est sans obstruction, observez l'espace ! Voyez toutes choses comme un reflet ou plus exactement comme si elles se reflétaient sur une surface à la fois réfléchissante et transparente... Voyez ces « reflets transparents » qui semblent flotter dans l'espace, comme superposés à l'espace, comme s'ils étaient de la même nature que l'espace... Voyez votre reflet qui se dessine au travers de ce miroir transparent, voyez la transparence de cette surface se fondre dans l'espace lui-même... Il n'y a pas de côté, de seuil, ni de porte, il y a seulement l'espace qui s'étend partout sans être nulle part... Tout est de la même nature que l'espace, tout est simplement vacuité...
- Pour percevoir l'indissociabilité des apparences et de l'esprit, observez l'esprit qui observe l'espace ! Voyez le reflet transparent de votre visage (qui vous regarde comme si l'espace vous regardait) comme s'agissant d'une image mentale... Regardez toutes choses relatives sans distinction quant à leur origine, ultimement sans discontinuité quant à leur essence... Voyez tout cela simplement comme apparence, sans obstruction relative entre les percepts transmis par vos «consciences sensorielles » quant à ce qui vous apparaît comme une réalité extérieure, et ceux issus de votre « conscience mentale » comme ce qui vous apparaît comme le monde intérieur de la phénoménologie de votre esprit...
- Pour percevoir leur coémergence, observez l'esprit qui observe l'esprit ! Voyez chaque objet des sens (espace et forme, ciel et terre, feu et eau, silence et son, chaleur et froid, etc.) comme indivis de la conscience de leur perception. Tout ce qui apparaît dépend pour apparaître des modalités de leur expérience, laquelle dépend pour s'ériger en conscience... de cela qui lui apparaît !
L'esprit libre d'objet conceptuel
A les mêmes caractéristiques que l'espace ;
Et méditer sur l'espace
C'est méditer sur la vacuité RL-331

Lorsque « extérieur » et « intérieur » apparaissent sans discontinuité d'essence, l'épure conceptuelle de la dualité surgit à l'épure perceptuelle de la sensation dualiste qu'elle induit (cela qui est perçu est cela qui peut être conçu). Il n'y a plus alors d'incompatibilité à saisir que la forme-vide est le vide-forme (c.à.d. que «les apparences sont des productions interdépendantes infaillibles et la vacuité est libre d'assertion »). Lorsque la perception des apparences et l'aperception de l'esprit s'abstraient à leur tour de toute discrimination quant aux modalités de leurs expressions, leur saisie se fait alors révélatrice de leur coémergence c.à.d. de la manière dont la vacuité apparaît comme la cause et l'effet infaillible !
Au plus fort de ce mouvement d'abstraction, qui mêle un « sentiment d'irréalité » quant à son objet associé à un « sentiment de songe » quant à l'existence de cela qui le perçoit, l'abolition des contraires entraîne à l'évidence de la cessation du sens de la souffrance, et par conséquent de son tourment ! Lorsque le chaud et le froid, le grave et l'aigu, le doux et le rugueux, l'arôme et la puanteur, le suave et l'acide, dès lors que dépourvus de toute différenciation de caractère, de forme et d'expression ne sont plus éprouvés en tant que tels, comment la souffrance, qu'elle que soit son type, peut-elle encore faire sens ?
« La souffrance du changement » provient de la variabilité des contraires, basée sur l'impermanence de tous les phénomènes composés. « La souffrance de la souffrance » s'y ajoute comme discriminante (positive, négative ou neutre) sur l'affect des émotions perturbatrices du désir-attachement et de l'aversion. « La souffrance omnisciente » dessine l'existence conditionnée sur le contour de leurs poisons et du karman, sur la base du dualisme né de la « saisie (innée) du soi ».
Puisque vous ne voyez pas l'état naturel qui constitue la condition authentique des choses,
Vous vous diluez dans le samsara, ne sachant pas que les apparences sont l'esprit,
La nature de l'esprit sans artifices se libère quand on la laisse simplement en elle-même,
Mais si vous n'êtes pas conscient que l'illusion même gît dans l'esprit,
Vous ne comprendrez jamais ce sens ultime de la Réalité LMT
Un sentiment de félicité envahit alors l'esprit à son équanimité, qui s'accroît à mesure de la persistance et l'ancrage de la « vue juste ». Mais, il est possible d'aller encore plus loin dans l'édification de la «méditation de l'espace » et, grâce à une métaphore idoine, de saisir la mécanique de l'illusion phénoménologique par laquelle l'esprit tombe sous l'emprise de la vue erronée de la croyance en la réalité inhérente, autonome et ontologique des phénomènes...
- Voyez les dimensions, les formes et les volumes (murs, sols, plafonds, etc.) comme une succession de plans en deux dimensions dont le passage de l'un à l'autre fait apparaître l'ensemble comme un monde en trois dimensions !
- Voyez l'intérieur d'un monastère bouddhiste, dont les murs sont recouverts de fresques hautes en couleur, représentations de déités paisibles et courroucées. Imaginez un oiseau qui entre par une fenêtre et vole en direction du mur opposé...
- Ignorant qu'il s'agit là d'un simple « effet de perspective », l'oiseau se fraie un chemin dans la fresque en slalomant entre ce qui lui apparaît comme des obstacles, décrit des volutes... dans un espace libre en s'enfonçant toujours plus profond dans ce paysage dont l'apparence solide, entitaire et unitaire, est une simple illusion !
- A mesure que l'oiseau s'enfonce toujours plus loin dans l'espace de la fresque, lequel semble se perdre dans un horizon sans fin, la surface bidimensionnelle du mur et du décor qui le recouvre se révèle une illusion d'optique !
- Le mouvement de la focale de notre conscience qui suit le déplacement du volatile met ainsi en évidence que cette apparence plane et solide n'est en définitive qu'un « effet de perspective », lequel est produit en désignation de nos esprits voilés, sous les modalités d'une réalité propre dont nous aurions la connaissance ontologique...
Élevez-vous jusqu'au ciel,
Soyez aussi vaste que la terre tout entière,
Devenez aussi stable qu'une montagne,
Aussi brillant qu'une flamme,
Aussi pur qu'un cristal RL-319

Ce « second degré » de la méditation sur l'esprit (par rapport à voir toutes choses comme un reflet ou un hologramme) élargit la focale de la conscience, des objets perçus sans obstruction, à l'espace comme contenant et comme contenu. Tel le vol de l'oiseau qui, sans jamais rencontrer d'obstacle, jamais n'interrompt son vol, la conscience s'expand dans l'infiniment grand et dans l'infiniment petit...
- Voyez la chaise posée au milieu d'une pièce. Voyez l'espace occupé par cette chaise, l'espace au sein duquel se trouve la chaise, l'espace à l'intérieur des composants de la chaise...
- Voyez chaque meuble et chaque objet, du plus grand au plus petit, du plus solide au plus léger, du plus compact au plus hétérogène...
- Voyez toutes choses (par ailleurs vides) dans l'espace comme un cavalier sur son cheval qui saute les obstacles, comme un chat qui s'y glisse, comme un chien qui les contourne, comme une fourmi qui les parcourt sur toutes les faces...
- Imaginez-vous faire cette exploration virtuelle en esprit...
- En s'adaptant à la taille, aux formes et à aux dimensions des intervalles par lesquelles elle se glisse en poursuivant son chemin sans interruption, votre conscience se révèle sans forme ni dimension, sans limite ni étendue, sans début ni fin... En rétrécissant sa focale, elle peut même se glisser entre les minuscules interstices de grains de sable !
Cette manière d'observer l'esprit sur la base de l'espace peut paraître contraire à de la « concentration en un point », dont le samādhi est requis comme support du « Calme mental » à l'analyse de la « Vision supérieure ». Toutefois, malgré les apparences, la conscience ne se déplace pas véritablement... En faisant un avec son propre objet de méditation, par son (a)perception sans obstruction à l'espace, la conscience se révèle, en son essence, pure comme l'espace !
Se révélant doté des mêmes propriétés que l'espace, c'est comme si l'esprit était « partout et tout le temps à la fois » ! Or, puisque l'espace est incomposé, ni existant ni non-existant (et que le temps est dépourvu d'existence réelle), l'esprit se trouve donc également être « libre d'assertion ». Sous l'angle de la phénoménologie toutefois, le ressenti subjectif se présente d'abord comme une chute sans fin vers l'avant (sans que rien ne retienne la conscience de poursuivre son mouvement), avant de s'expandre simultanément dans les dix directions sans aucune retenue, jusqu'à englober progressivement tout ce qui l'entoure en une seule « vue » qui transcende toute localité et toute temporalité...
- En suivant le rythme lent et régulier de l'inspire et de l'expire, la conscience s'expand en tous sens, dans toutes les directions, à toutes les échelles, puis se résorbe depuis toutes les échelles et toutes les directions... jusqu'à s'égaliser et se confondre complètement avec l'espace... jusqu'à ce que l'œuvre subtile de « l'épure perceptuelle » de ce mouvement amène subrepticement à réaliser le caractère indissociable de l'esprit à l'espace, et des apparences à l'esprit ...
Élevez-vous jusqu'au [confins du] ciel [et jusqu'aux tréfonds de la terre].
Soyez aussi vaste que la terre tout entière [et aussi petit que la plus petite distance mesurable].
Devenez aussi stable qu'une montagne [d'eau formant un océan liquide versé dans une goutte d'eau].
Aussi brillant qu'une flamme [à travers un cristal].
Aussi pur [que l'espace vide entre les atomes d'] un cristal [vide d'existence intrinsèque] RL-319

Tel l'oiseau qui par l'abolition des frontières entre les mondes ne rencontre nulle limite à son vol, à l'aperception de la vacuité de l'esprit, l'on réalise l'existence et la non-existence des apparences ! En-dehors de l'espace, il n'y a nul contenant plus vaste, au-delà ou en-deçà de ses dimensions, nulle «dimension » dont le référentiel serait déterminant de ses mesures... Qu'y a-t-il donc alors ?
« Rien » somme tout qui n'ait d'existence indépendamment de l'esprit qui le désigne comme une simple apparence relativement à sa perception, et indissociablement de sa propre aperception !
A l'exprimer et à le lire, l'on pourrait presque croire l'intangible devenir palpable ! Or, faire de l'expérience une description détourne l'esprit de la chose à son reflet. Ce n'est pas tant que les mots la déforment et la trahissent, mais toute description de l'ainsité (y compris celle que pourrait nous en donner un Bouddha) n'est jamais rien de plus... qu'un simple portrait ! Tissée d'assertions, le relatif dont la nature est objet se saisit comme tel. A contrario, l'esquisse du contour de l'ultime renvoie ipso facto à l'ordre de la représentation et du conceptuel. Aussi, ne faut-il pas confondre la représentation de la saisie de la coémergence et sa « saisie (yogique) directe ». Quelle instruction retenir pour initier la « vue » ?
Stabilité et clarté sont les maître-mot pour développer la concentration en un point par l'entraînement de l'attention et de la vigilance, à nos yeux occidentaux synonyme de discipline, d'effort, de fermeté et de persévérance. Or, la mentalité occidentale a du mal avec le lâcher-prise, alors que pour le bouddhisme tibétain, méditer c'est simplement (apprendre à) se familiariser (avec). « Pour stabiliser l'esprit, les patriarches de la Lignée de pratique recouraient essentiellement à des méthodes douces, apaisantes, tempérées, légères et non contraignantes » RL-327.
Pour méditer sur l'esprit, soyez... léger ! Ne forcez pas ! Ne cherchez pas à obtenir ni à contrôler ! Pour atteindre à l'état naturel de l'esprit, il faut laisser l'esprit... se poser librement et spontanément dans son état naturel ! « (...) sans appréhension ni effort exagéré (...) laissez l'esprit se poser dans la fraîcheur de sa propre nature (...) Il ne faut ni [la] fabriquer ni l'altérer (...) [mais reconnaître] la nature de toutes les perceptions conditionnées, [qui] - dans la simplicité primordiale - ne naissent, ne durent, ni ne cessent [réellement] » RL-319.
Ne pense pas, ne réfléchis pas, n'analyse pas,
Ne médite pas, n'agis pas, n'espère rien, ne redoute rien.
Les processus mentaux de l'attachement se libéreront d'eux-mêmes
Et l'esprit s'établira dans la réalité primordiale RL-322

Résumer en deux mots : fluidité et réflexivité. Le premier désigne la qualité (de la nature) de la conscience (claire et lumineuse) de « s'expandre » dans l'espace incomposé de la vacuité, telle l'aube qui se lève dans un ciel sans nuage ou l'oiseau dont le vol jamais ne rencontre d'obstacle, de frontière ni de limite. Le second recouvre les apparences (ni existante ni non-existante) comme « simples désignations » relatives à l'esprit qui, vues comme des reflets vides de réalité intrinsèque, mettent en évidence « l'effet de perspective » dont leur illusion est forgée. Autrement dit, fluidité et réflexivité caractérisent « l'apparition de la vacuité comme la cause et l'effet » en tant que « actes de connaissance momentané », duquel toute chose émerge à l'existence en coémergence du « fait de conscience » de l'esprit lui-même dont l'essence est la vacuité.
Sous l'angle de la dualité, les objets apparaissent extérieurs et indépendants à l'esprit, alors qu'en leur «dimension primordiale », ils sont en fait indissociables (non séparés ultimement de par leur essence, séparables relativement par « effet de perspective »). Coémergents, on ne peut pas discriminer l'objet du sujet, l'être de la conscience. Sous la vue de l'ainsité, il ne fait pas sens de voir la conscience comme un fleuve dont le cours charrierait les objets épistémiques des pensées, à l'intérieur d'un autre fleuve (l'espace-temps) au sein duquel celle-ci s'écoulerait. Puisqu'il n'y a ni espace ni temps existant véritablement, ils ne peuvent pas constituer un référentiel qui serait la condition a priori de la pensée. Ce sont des modalités relatives aux apparences qui émergent conjointement à leur « acte de connaissance », et dont les aspects de fluidité et de réflexivité forment un continuum lequel caractérise la conscience.
Le bouddhisme est une philosophie d'une logique indéniable, mais il y a toutefois un point de hiatus, la naissance et la mort. S'agissant des êtres humains, la première est décrite comme « l'union des deux gouttes » provenant du père (os, moelle et sperme) et de la mère (chair, peau, sang et ovule), synthétisée en deux catégories, les substances blanches et rouges, associées à l'esprit qui provient d'une précédente renaissance par l'intermédiaire du bardo. « La mort du corps est sa dégénérescence finale. La mort de l'esprit consiste en la simple séparation de l'esprit de ce corps ; il ne s'agit en aucun cas de son extinction » TLM-4.
Le corps et l'esprit sont définis ici comme distincts en nature. Périssable, le corps n'est pas l'esprit inaliénable, seulement son support ou sa « cause supportante » (l'esprit étant à l'instar le support du corps), leur réunion se faisant par l'entremise du karman. L'indestructibilité de l'esprit - laquelle s'entend comme un continuum sans fin - ne fait pas débat, c'est plutôt la question de leur conjonction...
Descartes rencontra le même problème dans le cadre du dualisme des essences s'agissant de la manière dont l'âme immatérielle peut commander un corps matériel, l'hypothèse de la glande pinéale comme intercesseur étant irrecevable en logique puisqu'il faudrait pour se faire... qu'elle partage les deux essences !
Certes, la philosophie bouddhiste tibétaine échappe à cet écueil du fait de la vacuité. Or, c'est parce que leur essence est vide d'existence intrinsèque, qu'ils sont sans discontinuité au plan ultime (une seule chose est l'essence de toutes choses), et c'est parce que les apparences sont indissociables de l'esprit que sur le plan relatif, le corps ne se distingue de l'esprit que... par le jeu d'un « effet de perspective » (toutes les choses sont l'essence d'une seule chose) !
Pour aller plus loin encore dans cette combinatoire équivoque, le corps est dit composé de 72000 canaux « dans lesquels circulent l'énergie ou les vents subtils », lesquels sont porteurs... d'autant d'esprits associés « la présence de chaque canal implique nécessairement la présence d'un vent qui lui est associé. Le vent est chevauché par un état d'esprit, soit positif, négatif ou neutre » TLM-7.
Pour autant, il ne faut pas voir dans cette formulation une dualité, mais plutôt l'expression « d'isolats conceptuels » à l'instar de la forme et du vide, c.à.d. non séparés en essence, mais séparables en apparence. Ces « vents » ne sont pas à probablement parlés physiques versus l'esprit immatériel. Pas plus qu'il n'y a d'existence ni de non-existence, opposer la matière et l'esprit comme essence ne fait pas sens pour la philosophie de la vacuité. « La claire lumière de la mort ne consiste qu'en l'esprit et le vent très subtils qui sont de même nature et qui sont en fait le continuum de la conscience mentale » TLM-8.
De fait, il est tout à fait possible que l'esprit puisse chevaucher le vent tout en partageant la même nature. L'on peut d'ailleurs établir un parallèle ici avec l'idée que le « courant de la conscience » charrie en lui-même sa propre image sous la forme d'un « objet épistémique », de la perception relativiste duquel émerge son aperception sous la forme du « sentiment de la conscience de soi » ...
D'après cette dernière définition, ce qui reste lorsque le corps (d'apparence) s'est totalement désagrégé, c'est (la forme-vide de) l'esprit et le (vide-forme du) vent très subtil. Si donc l'esprit se définit comme « ce qui connaît », comment définir ce « vent » sachant que l'essence vide de l'esprit ne saurait se déplacer dans un espace vide dépourvu d'étendue réelle, de plus en l'absence de temporalité ?

Dans un appareil photo, la fonction de l'objectif est de former l'image de l'objet que l'on veut photographier, celle du zoom de régler la distance de prise de vue. Si votre appareil photo en était dépourvu, vous devriez vous rapprocher pour en saisir les détails. Autrement dit, la position de l'observateur par rapport à l'objet au moment du déclenchement est déterminant de la forme obtenue. En physique, cela s'appelle la relativité, au sens le plus grossier de la philosophie bouddhiste, l'interdépendance, et au sens le plus subtil (du Mahāmudrā) la coémergence !
Un hologramme résulte de la conjonction entre les deux faisceaux scindés d'une même source de lumière, le second déterminant la forme de l'apparence du premier, qui une fois réunis reproduisent une copie en trois dimensions d'un objet. En mécanique quantique, l'on a d'abord pensé que « l'onde de probabilité » de l'électron était une onde de matière qui l'accompagnait et guidait en quelque sorte sa trajectoire, avant de réaliser qu'elle était en fait une fonction mathématique qui le décrivait, et faisait de l'électron une simple désignation d'ordre probabiliste !
La fonction de l'esprit est de connaître indépendamment de toute conception et de toute représentation. Elle n'est pas de mesurer le « connaissable » avant de le saisir, ni d'extrapoler la forme que prendra le «connu » en regard de l'angle sous lequel il est perçu, ni d'en analyser le résultat, etc., elle est simplement de connaître. Toutes choses étant dépourvues de substance, « l'objet » de la connaissance n'est pas un en-soi (« existant premier ») susceptible d'être mesuré puisque vide d'existence (et donc de propriétés) ontologiques. Ainsi, les apparences sont le reflet de l'esprit, et lui-même étant vide de substance intrinsèque, elles sont par le fait le « miroir de la vacuité » de son essence !
Les apparences émergent de l'esprit,
Et, étant surgies naturellement de l'esprit, s'y libèrent.
Cet esprit essentiel vide et clair connaît toutes choses, étant conscient de tout,
Sa clarté et sa vacuité étant indivisibles depuis l'origine, on le compare au ciel LMT
Les choses qui nous apparaissent sous les apparences et modalités d'une réalité extérieure sont des «actes de connaissance momentané » qui émergent à l'esprit sous l'aperception duelle de son propre reflet. Il n'y a pas réellement de « vent subtil » (ni physique ni immatériel) qui serait un mouvement inhérent porteur de l'esprit. A l'instar de la « Claire lumière » qui est un état de connaissance pure, un « vent subtil » n'est autre qu'une position de l'esprit à son reflet dans « l'espace de la dualité » (chez les êtres ordinaires, et hors de toute localité et référentiel au corps d'essentialité des Bouddhas). Chacune est un «acte de connaissance momentané » et l'infinie diversité de leur infinie combinatoire constitue le «continuum de conscience ». De fait, la coémergence n'est autre que la « dimension absolue » !

Saṃsāra et nirvāṇa
Ne sont pas deux réalités.
Comprendre la nature du saṃsāra
S'appelle nirvāṇa.
Le nirvāṇa est un état qui transcende la dualité.
Il n'apparaît pas en dehors de l'esprit qui a éliminé toutes les pensées discursives RL-284
Chaque vent qui meut l'esprit est en fait un état d'esprit ! La colère n'est pas un vent autonome qui agiterait l'esprit (tel le vent qui semble bouger un drapeau), c'est un état d'agitation de l'esprit sur lequel nous apposons l'étiquette « colère », mais qui ne lui est aucunement immanent ! Comme l'esprit fait bouger le drapeau et le vent, cet état d'agitation n'est qu'une apparence relative, un rêve perturbé...
La finalité des enseignements sur la mort (le bardo et la naissance) des sῡtras est de préparer au véhicule du Vajrayana qui, par la purification du corps, de la parole et de l'esprit, vise à réaliser les « trois corps » d'un bouddha (Nirmānakāya, Sambhogakāya, Dharmakāya) et ainsi atteindre à sa nature (Tathāgatagarbha) « Garbha a trois significations : enveloppé, car tous les êtres sont compris dans l'ainsité ; caché, car leur nature de Tathāgata ne s'est pas encore manifestée ; qui enveloppe, en eux toutes les qualités d'un bouddha » DEB-611.
Pouvez-vous saisir sans obstruction (c.à.d. dans une seule vue, sans frontière ni limite) à la fois l'espace comme forme (le corps), l'espace au sein de cette forme (l'espace entre les composants du corps jusqu'aux atomes), et l'espace comme contenant (qui entoure le corps), comme étant conjointement l'esprit ?
Pareil à l'espace, naturellement dénué de tout concept, il pénètre tout. Aussi l'espace immaculé du dharmadhātu est-il omniprésent DEB-611
Là où, en tant qu'être ordinaire dont l'esprit est voilé, nous percevons les choses comme des existants autonomes, leur nature comme substance inhérente, et l'espace comme contenant qui les englobe et les structure, l'omniscience des bouddhas embrasse l'ensemble infini de tous les phénomènes (composés et incomposés) au-delà de toutes formes et limites de perceptions (modale et amodale), par-delà toutes conceptions et tout référentiel.
Lorsque dans la « saisie directe yogique » de la vacuité qui apparaît comme la cause et l'effet, l'espace, le temps et toutes choses se révèlent sans existence véritable, que rien ne se meut ni ne reste immobile, n'apparaît ni ne disparaît, la vue de la coémergence se révèle sans obstruction depuis toujours. La réalisation de l'état de Bouddha ne provoque pas une transformation transcendante du « continuum de conscience », elle actualise la pureté de l'esprit en regard de l'atteinte de la perfection des paramitas. Quelle est donc la signification profonde des processus de la mort, du bardo et de la naissance ?
Pour le bouddhisme, la mort n'est pas la fin (encore moins définitive) de la vie. Elle n'est qu'un moment dans le cycle sans commencement des renaissances. Placée sous l'égide de la « réalité conventionnelle », la manière de la décrire est empreinte de la dualité, dont il n'est par ailleurs nul besoin de remettre en cause l'articulation de la combinatoire d'un matériel (les parents) et d'un logiciel (l'esprit).
En termes relatifs, l'être humain en tant qu'organisme vivant périssable doté d'une conscience indestructible est le produit de l'union des contraires, mais en termes absolu, leur essence est sans discontinuité ! Sa manifestation apparente n'est que le résultat d'une conjonction de causes et de conditions qui le font éprouver « l'existence conditionnée » sous les modalités particulière d'une «expérience de la matérialité » dont le caractère est placé sous l'égide de la causalité.
Cette causalité s'exprime par la réunion de deux types de conditionnalités, la « production interdépendante » s'agissant de l'embryogenèse du corps comme support de l'esprit, et le karman s'agissant de la cause propulsive dans « l'état intermédiaire » (la vie) comme support du corps. Ces deux forces se distinguent comme isolats par le déterminisme de leurs effets à l'instar de la forme et du vide, mais sont subsumées sous une loi unique, la causalité.
Le processus de la mort est une lente dissolution des composants de la personne, au cours de laquelle les éléments les plus grossiers se résorbent dans les plus subtils, jusqu'à la « Claire lumière du moment de la mort ». Après les agrégats (corps, sensations, discriminations, formations mentales, consciences), vient les éléments (terre, eau, feu, air), lesquels s'entendent non pas comme substances, mais modalités de l'expérience sensible (solidité, fluidité, chaleur, mouvement).
Que par les pratiques du Vajrayana l'esprit puisse faire circuler les « vents subtils » dans les canaux pour, de la sorte, purifier les trois portes et actualiser le potentiel de sa nature de Bouddha, témoigne que le processus de dissolution n'est que le reflet de la manière dont chaque « acte de connaissance momentané » constitutif du « continuum de conscience » est structuré !
Somme tout, le processus de la mort n'est qu'un « effet de perspective » qui en entraîne d'autres - certains hallucinés lors de la dissolution des « consciences sensorielles » (comme la vision de proches alors même qu'ils ont poursuivis leur propre chemin dans le bardo et vivent une nouvelle vie !) -. C'est parce que nous nous percevons comme un sujet entitaire, unitaire et distinct que, sous l'intime conviction instillée par le sentiment de la « conscience de soi », nous inférons la « naissance » comme la combinatoire de deux natures, le corps et l'esprit (l'union de l'esprit aux « deux gouttes » blanche et rouge). Une description portée par la philosophie bouddhiste tibétaine et pertinente du point du « véhicule du diamant » comme support pratique pour atteindre rapidement à la bouddhéité.
Le caractère déterministe du karman comme « cause supportant » la projection de l'esprit dans une nouvelle « existence conditionnée » peut être illustré par l'analogie de l'oiseau dont l'on ne voit pas l'ombre en raison du fait qu'il vole trop haut dans le ciel, « nous ne pouvons pas, en tant qu'êtres ordinaires, percevoir clairement son ombre. Ceci ne veut pas dire qu'il n'a pas d'ombre : dès qu'il perdra de l'altitude, nous verrons apparaître une ombre noire » TM-4.
Voyez l'ensemble du processus de la mort comme un oiseau qui prend son envole. Imaginez la scène au ralenti. Posé sur le sol, son corps fait obstruction à la lumière et produit une ombre, mais à mesure qu'il s'élève et s'éloigne de toute surface de réflexion son ombre s'éclaircit et se fait diaphane jusqu'à totalement disparaître... Au sens strict, à partir du moment où l'ombre n'est plus « portée » par aucune surface, elle n'est pas simplement invisible, elle a cessé d'exister (même si le corps de l'oiseau fait toujours obstruction au passage de la lumière) !
L'analogie fait écho à la relativité des objets à la lumière, qui illustre « l'approche ondulatoire » où un objet qui rétrécit en deçà de la longueur d'onde de la lumière, en cessant d'être éclairé, devient invisible sans pour autant disparaître ! A l'instar de forces d'égales intensité qui en s'opposant créent une « figure d'interférence » sous laquelle, ne pouvant plus être mesurées, elles semblent avoir disparue, la frontière est impalpable et pourtant déterministe des effets spécifiques de chaque côté du seuil de cette porte sans porte qu'elle la vie, la mort et la renaissance...
L'ombre de l'oiseau n'est pas l'oiseau comme le corps n'est pas l'esprit. Ce sont des recouvrements trompeurs, dont les « effets de perspective » nous masquent la vacuité d'existence propre de leur essence. Ils n'en demeurent pas moins coémergents à un ensemble de causes et de conditions... sur la base de l'esprit !
Le samsāra étant le produit de l'esprit voilé par l'ignorance, le « bardo de la mort » ne saurait être un lieu au sein duquel l'esprit évolue après sa séparation du corps (ni le rêveur adopter un « corps d'énergie » spécifique) ! Si l'essence du corps et de l'esprit sont différentes, alors comment peuvent-ils se réunir ? S'ils ont la même essence, alors pourquoi auraient-ils besoin de se réunir ?
Ce n'est qu'une question de perspective ! Que l'esprit et le vent soient une seule et même chose ne signifie pas que l'esprit soit de « la nature du vent » ou que celui-ci soit de « nature spirituelle » ! La forme-vide est le vide-forme (expression mise pour traduire le fait que la vacuité est libre d'assertion) signifie qu'il n'y a, ultimement, ni véritable essence de la forme ni véritable essence du vide, lesquels sont des « isolats conceptuels » d'une même chose, comme l'anamorphose apparaît différemment à l'observateur selon l'angle de vue en 2D ou en 3D.

A quelque degré de conscience, corps et esprit sont des perspectives « l'un sur l'autre ». Le sentiment de la conscience de soi des êtres ordinaires émerge à la perception du « continuum de conscience » comme objet épistémique. La conscience d'un bouddha est un « corps de sagesse sublime » qui lui permet de réaliser... la vacuité de son « corps d'essence fondamentale » ! La relativité n'est pas abolie au-delà du nirvāṇa, seulement révélée en son vide naturel.
Que l'on pose l'existence de « l'ombre portée » de l'oiseau malgré son invisibilité ou que l'on conçoive son apparition et sa disparition, connaître avec précision le moment de son devenir est... hors de portée de notre perception d'être ordinaire. Nous pouvons seulement être certains d'une chose, tant que nous demeurons dans « l'espace de la dualité », la vie, la mort et la renaissance nous apparaîtrons sous les modalités d'une causalité déterminante de la vue de l'être comme entité.
La méditation du Mahāmudrā, parce qu'elle prend l'esprit comme objet, peut nous permettre d'atteindre à la « dimension absolue » au-delà du par-delà de la coémergence, à la condition toutefois de dépasser la dualité par la saisie du relativisme des apparences et de l'esprit (laquelle procède de la réalisation de la vacuité à l'union du Calme mental et de la Vision supérieure), à la saisie de la manière dont la vacuité apparaît comme la cause et l'effet.
Ce n'est qu'en dépassant tout référentiel, où y compris la nature sans obstruction de la coémergence se résorbe par-delà le vide du sans obstruction, que la vacuité de « l'effet de perspective » de l'existence conditionnée du corps-esprit, qui n'est que pure relativité conventionnelle, nous apparaître pleinement sans distinction à la « dimension absolue » de l'ainsité.
Renversé [er] le support de la conscience mentale,
L'esprit est détaché des idées fictives.
L'esprit inné à tous les êtres est luminosité.
Il n'a jamais eu ni naissance, ni cessation, ni durée.
Inaltéré par des causes et des conditions,
Il est le suprême bouddha primordial et l'a toujours été
Lors même qu'il connaît son propre esprit,
L'être est bouddha depuis toujours RL-235
Namasté
Tashi delek
བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས།
Références :
LMT : Le livre des morts tibétain - La grande libération par l'écoute dans les états intermédiaires, Padmasambhava, traduction de Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/le-livre-des-morts-tibetain-9782283023143.html
TLM : Transcender la mort https://www.centre-paramita.fr/products/mort
RL : Rayons de Lune, les étapes de la méditation du Mahāmudrā https://www.padmakara.com/livres-numeriques/196-rayons-de-lune-ebook-format-pdf-9782370410139.html?search_query=rayons+de+lune&results=5