II.6 - Poétique de l'ainsité

30/04/2023

Retrouvez ici les poésies de l'ainsité de II.54 à II.73 sur le Shivaïsme du Cachemire

                                               Du côté du Shivaïsme du Cachemire

II.54 Non-dualité


Vide d'essence, tout est un sans obstruction,

La réalité est l'union des contradictions !


La forme est perspective de la vacuité,

Valse circulaire est le temps simultané !


De l'indivis, la dualité est fragmentation,

Le mental, fruit de sa cristallisation !


De l'antagonisme des affirmations,

La cassure directe est la réalisation !


En toutes choses, nul soi individuel,

L'êtreté est présence universelle !


Lobsang TAMCHEU  

II.55 Circulaire


Tout ce qui a été se produit à l'instant,

Passé et futur coïncident au présent !


Maintenant, s'écrit tout ce qui est déjà écrit,

L'acteur change de l'auteur la pensée a priori !


Ici, un espace de dimension nul s'expand,

La fixité s'écoule dans le mouvement !


Hors du relatif, point de dimensions réelles,

L'infime est infini, l'instant éternel !


La vague contient l'océan, le point la sphère,

Superposition quantique de l'unitaire !


La perception est aussi vaste que l'espace,

Au cœur de l'être, la conscience s'enlace ! 


Lobsang TAMCHEU 

II.56 Union


Tout phénomène résulte de conditions,

Les opposés naissent sur base d'inclusion.


Rien ne peut être produit de son contraire,

Ou par lui-même, c'est la pierre angulaire.


Pour voir l'interdépendant comme vacuité,

Cesses de t'appuyer sur les opposés !


De l'exclusion antagoniste naît le soi,

Tout existe et n'existe pas à la fois !


Subjectif et sans agent sont ici maintenant,

Simultanément présent et hors du temps !


L'un est le multiple, sans ambivalence,

L'être de toutes choses est sans essence !


Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion


« Si nous nous réfugions dans la non-dualité comme dans quelque chose d'absolu, nous sommes encore à côté, car l'idée non duelle est de dépasser toute notion. On se retrouve alors devant un univers sphérique. Nous ne sommes plus soit dans la non-dualité soit dans la dualité, mais dans un ressenti global. Dès que nous touchons cet état, nous nous apercevons que toutes les oppositions sont des fabrications mentales et s'envolent dès que nous entrons dans cette logique, non pas de compréhension mentale, mais d'expérience immédiate » IDC-27.

IDC : L'incendie du Cœur, Daniel Odier https://www.danielodier.com/french/bibliographie.php 


« La conscience individuelle est la conscience absolue. Mais lorsque la conscience apparaît duelle et que cette dualité est recouverte du voile de l'illusion, la conscience se fragmente encore. Ainsi, toutes les positions philosophiques apparaissent comme des rôles joués par la conscience absolue » LGSE

LGSE : Le grand sommeil des éveillés, Daniel ODIER https://www.leslibraires.fr/personne/daniel-odier/79231/ 

II.57 Duel


L'esprit voilé se débat dans l'anathème,

Sans fin, balance entre les extrêmes.


Du Soi, l'hindouisme postule la substance,

Du vide, le bouddhisme déduit l'essence.


Relative, la chute libre est vitesse,

Ses faces ne sont-elles pas la même pièce ?


L'épure du non-soi révèle le vide modal,

Du soi, le simple point de vue amodal.


Une vérité, différentes déclinaisons,

Non-dualité et vacuité, au diapason.


Au-delà du vide, l'être est absence,

Par-delà, l'ainsité simple conscience.


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


« Toujours est-il qu'entre le non-soi, la vacuité des bouddhistes, et le Soi, la réalité des tāntrika, il y avait quelques tiraillements. Absurdes, bien sûr !

Certains maîtres bouddhistes étaient plus ouverts et les plus grands déclarèrent que le non-soi était une trappe, une caverne obscure.

Un des noms de Shiva est pourtant « le Grand Vide ». Shiva était-il bouddhiste ?

Les tāntrika ont fait du vide une chose habitée, car ils en parlent en tant qu'espace. Lorsqu'il est question de spatialité, c'est le vide contenant l'univers entier, et ce vide est la Conscience, le Soi.

Le Soi contient le vide, le non-soi, la plénitude, les mondes, les bouddhistes, les soufis, les chrétiens, les juifs et les tāntrika ! L'expérience mystique est une, elle abolit toute limite dogmatique, elle est fusion silencieuse, annihilation de toute argumentation » IDC-57.

II.58 Frémissement


De la musique, l'esprit éprouve le frisson,

Du corps, les cellules vibrent à l'unisson.


En pulsations, la terre tremble sur son séant,

La vague sourdre de la puissance de l'océan.


Tout rayonne, traversé d'énergie,

Le relatif est figure d'anatomie.


Sans essence, tout est vide de caractères,

L'énergie est sans dualité ni mystère !


Tout l'univers est tapi dans le creux d'une main,

La partie est le tout, hors l'ici pas de lointain.


Les apparences sont de l'esprit l'extase,

La conscience du frémissement, l'enstase !


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion

Pour la perception ordinaire (c.à.d. l'esprit voilé), les choses apparaissent comme si elles possédaient une existence inhérente et autonome, désignée sous le terme « existant premier ». La saisie du soi nous persuade de la réalité de l'expérience physique que nous faisons du réel, dont nous éprouvons les modalités comme si elles provenaient des choses elles-mêmes !

Nous ressentons la musique de manière sensorielle, grâce aux vibrations produites par un instrument, transmises par l'air et auxquelles notre corps (en grande partie composée d'eau) fait écho jusqu'au niveau cellulaire. Notre corps résonne des soubresauts de la terre, la vague tremble de la puissance de l'océan qui s'écoule en elle, des minuscules cordes quantiques aux déchaînements des éléments. A un niveau plus subtil, les vibrations produisent en nous un ressenti qui se traduit sous forme de sentiments, la beauté, l'amour…

En apparence, toutes les formes de la nature sont les diverses manifestations ou expressions de l'énergie. Cependant, une seule chose (la vacuité) est l'essence de toutes choses (elle-même vide d'essence). L'instrument de musique, le son, l'air, nos cellules, notre corps, notre esprit, de même que la vague, l'océan et les cinq éléments, sont vides d'existence (et de non-existence puisque « libre d'assertion »), autrement dit ultimement sans discontinuité et relativement sans obstruction ! Rien ne saurait donc posséder de caractères propres hormis sous la vue de la perspective conventionnelle l'esprit voilé ou la conscience fragmentée ! « Lorsque les choses nous apparaissent comme extérieures, c'est que le Coeur est encore sourd à l'illimité. Si le monde n'était pas en vous, d'où émergerait-il, en quel lieu se dissoudrait-il ? » IDC-30.

Ici et maintenant, tout l'univers réside dans la pointe de l'instant présent. Passé et futur, ce qui a été et ce qui sera, le temps est à la fois « circulaire » (sans écoulement) et linéaire (déplié en séquentialité). La formule tantrique du shivaïsme du Cachemire est « Tout ce qui est ici est ailleurs, ce qui n'est pas ici n'est nulle part » IDC-31. Le parallèle est étonnant avec l'holographie où chaque partie d'un hologramme contient la totalité de l'image holographique ! En quoi est-ce important ? Parce que cela illustre la non-séparabilité ou la non-dualité de l'ontologie de l'être de la réalité qui est une essence vide, la vacuité !

Rien n'existe extérieurement à l'esprit, c.à.d. rien que l'on puisse poser dans une dualité identité versus altérité, corps versus esprit, car leur essence est non duelle ou sans discontinuité. Rien n'a d'existence physique, pas même l'énergie ! Mais alors d'où vient son ressentir et qu'est-ce que son expérience ?

Ce que d'aucuns décrirons comme « sentir l'énergie d'un lieu, d'une personne ou d'entités invisibles » relève d'une désignation conventionnelle qui, au sens ultime, n'est pas constitutive d'une expérience physique et sensitive du ou des mondes – ce qui ne signifie nullement qu'il n'y ait pas « expérience », seulement qu'il est essentiel de cultiver le « doute critique » tel que l'enseigne le Bouddha (on peut douter de tout sauf de connaître, qui est la nature même de l'esprit) –. Il en va de même de toutes techniques qui affirment « manipuler les énergies », au rang desquelles le Vajrayana et les « yogas tibétains » pour ne nous en tenir qu'aux pratiques de la spiritualité bouddhiste. A ce titre, la doctrine des chakras, des canaux, des gouttes et des vents, etc. doivent être considérées sur le plan purement argumentaire, comme un levier pour soulever la pierre de l'ignorance…

Comprenez que l'énergie n'est pas « physique » et son ressenti le produit d'un «contact » sensoriel avec le « monde extérieur » (les bardos étant des états de conscience). Considérer votre reflet dans le miroir. Impalpable, vous ne pouvez le toucher et il ne vous transmet pas plus d'énergie qu'un hologramme. Pour autant, la simple vue de votre image suffit à déclencher des émotions diverses, comme la vue de l'être aimé à faire battre votre cœur ! Y a-t-il quoi que ce soit qui transite entre vous et l'autre ? Une vibration, un rayonnement, de l'énergie ? Tout cela est purement figuratif, métaphorique, poétique !

Ce n'est pas qu'il n'y ait rien ou que cela soit halluciné, c'est qu'il n'y a ultimement ni intérieur ni extérieur ! La vague éprouve la puissance de l'océan du fait d'être l'océan dans son entièreté. Les apparences sont l'esprit ! La conscience est une, non fragmentée. C'est l'esprit égaré qui, en se saisissant comme « soi », instaure une séparation au sein de l'indivisible inconcevable ! Vide d'essence, la conscience n'est pas une « totalité ». Elle est sans unité, sans pluralité, « libre d'assertion » au-delà de la dualité et de la non-dualité !

« Les mondes ne sont pas scindés, tout ce qui est ici est ailleurs, ce qui n'est pas ici, n'est nulle part. Dualité et non-dualité sont unies au sein de la réalité comme l'ombre et la lumière, le silence et le son, le soleil et la lune. Il n'y a pas de réalité séparée. Tout est manifestation du pouvoir de la Shakti suprême» IDC-33.

Qu'est-ce alors que l'énergie ? Une expérience ! Grossière, elle apparaît comme «existant premier », en dualité à l'esprit sous des formes physiques vibratoires. (Très) subtile, elle est la résonance à l'aperception de sa propre nature, par-delà la dualité et la non-dualité, qui est la réalisation de la réalité elle-même. Le shivaïsme du cachemire la décrit comme un « frémissement à la fois prélude et aboutissement. Il se manifeste au moment où l'expérience a lieu () Lorsqu'il y a frémissement, nous découvrons l'ardeur du feu brûlant de l'amour qui est conscience de l'unité absolue de toute chose ».

« Tout est à la fois image et reflet, il n'y a nulle place ou l'irréalité pourrait se glisser. Tout est réel, à la fois immanent et transcendant. La propre nature est la conscience de cette totalité frémissante qui ne cesse de glorifier l'infini dans le fini. L'illimité dans le limité, la totalité dans le fragment (…) Nous nous étendons à l'infini et nous touchons le Cœur, nous revenons vers notre centre et nous touchons l'espace infini. Rien dans la réalité ne peut nous limiter car en toute chose nous voyons l'infini » IDC-34.

II.59 Lucidité


Conscience sans sujet, état sans possesseur,

Connaissance d'un événement sans faiseur.


Écoulement des pensées sans observateur,

Du silence du mental, l'étrange attracteur.


Insaisissable « présence de l'absence »,

De la conscience sans état, l'expérience.


Reflux de l'identité en post-méditation,

La lucidité surgit de l'occultation.


Sans contrainte, la concentration apaisée,

Coïncide avec une grande stabilité.


L'extérieur et l'intérieur s'embrassent,

Lumineux, l'esprit englobe tout l'espace.


Lobsang TAMCHEU  


II.60 Équilibre


Sur la corde des harmonies courre l'archet,

Obtenir sans contracter, œuvre le crochet.


La simple volonté est un pacte d'effort,

Loin à l'opposé te projette le ressort.


La nature de ton esprit n'est pas mentale,

Ne médite pas sur un objet cérébral !


L'essence de ton esprit n'a pas de forme,

Cherche à le saisir et tu le transforme !


Ce qui est identique n'est pas différent,

Tu ne le trouveras qu'en t'y absorbant !


Là où tu regardes est cela même qui voit,

La conscience dans son reflet s'aperçoit.


Lobsang TAMCHEU 

II.61 Flux


Inspire la transparence spatiale,

Expire la présence bicéphale.


Inspire l'essence sans discontinuité,

Expire ses avatars discriminés.


Inspire les apparences sans obstruction,

Expire du sans-forme les divisions.


La nature de l'être n'est pas un point figé,

L'esprit est un mouvement illimité !


Tout est et n'est pas à la fois son contraire,

Le genre de l'un définit est bipolaire !


Du flux de l'océan, la vague est le reflux,

A l'instant présent, tu embrasses l'absolu !


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


« Ce n'est pas nous qui touchons l'état, c'est l'état qui nous touche. Ce n'est pas nous qui créons le silence, c'est le silence qui nous envahit. Laissons-lui la liberté de nous effleurer, de nous pénétrer, de s'installer quelques minutes en nous, de nous quitter, de revenir » IDC-35.

« C'est la chose la plus difficile à toucher : accepter la liberté du mouvement, la créativité de la vie, comprendre qu'un état fixe, aussi merveilleux soit-il, n'est pas compatible avec la vie » IDC-36.

« Aucun lieu qui ne soit l'état shivaïte. La conscience spatiale occupe la totalité des mondes, la totalité des états, il inclut les opposés et les réconcilie » IDC-35.

« Entrons dans le grand mouvement sphérique, oublions la trajectoire rectiligne qui suppose une progression et l'atteinte d'un but. Soyons comme une vague qui accepte sa trajectoire, sa force, sa faiblesse, sa liberté, l'absence de choix » IDC-36.

II.62 Vois !


Penser la réalité, à ta vue, l'exclu,

Recherche ce que tu es et cela n'est plus !


Une ligne droite est une courbe sans rebours,

Du temps, la séquence, est l'éternel retour !


L'archer va-t-il mettre la flèche dans la cible ?

L'objectif sépare l'océan indicible !


La pensée de l'ensemble obstrue le pluriel,

La vue du singulier embrasse tout le ciel !


Sans contrainte, l'esprit tait la dualité,

Sans discrimination, tu es l'identité !


Le ciel est vide de nuit comme le jour,

Tout est là, déjà, sans faire aucun détour !


Lobsang TAMCHEU

Eléments de réflexion


« Saraha prit la parole :


Un esprit sans recherche et sans fixation

Demeure libre de toute souillure.

La nature essentielle de l'esprit est détachée

Des qualités négatives et positives.


 Celui qui oriente son esprit vers la non-discrimination

Atteindra l'illumination suprême.

Est-ce que le mystique qui a réalisé cet état

A besoin d'accepter ou de rejeter quoi que ce soit ?

Je n'ai nié ou abandonné aucune réalité !


Réalise le sens de cette pure réalité ultime,

C'est le meilleur moyen de laisser la présence

Dans son état de félicité naturelle,

Sans être concerné par l'acceptation ou le rejet,

L'action ou l'obstruction » IDC-40

II.63 Relativité


Vue du sol, plane est la ligne d'horizon,

De l'espace, courbe est sa déclinaison !


De loin, les choses apparaissent solides,

A l'infime, se révèlent faits de vides !


La forme est apparition fugitive,

De la vitesse, l'effet de perspective !


Dans l'instant qui passe s'écoule l'infini,

A jamais, le cercle est un point redéfinit !


Toutes les existences sont relatives,

Les opposés sont de nature fictive !


Point d'incompatibilité sans contraire,

Il n'y a rien à additionner ou soustraire !


Lobsang TAMCHEU 

                                              Du côté du Shivaïsme du Cachemire

II.64 Accepter


Tel le semeur qui trie les mauvaises graines,

Espérant d'une bonne récolte l'aubaine,


Pour glaner le fruit de ta moisson dévote.

Aux obstacles, tu opposes l'antidote.


Du feu impur des non-vertus mondaines,

Étouffe des flammes l'émotion malsaine.


Le bonheur, tu vises à sortir de terre,

Pour cela, du désir fait bouc émissaire.


Pour être pur, tu suppliques les déités,

Le Vajrayana t'aveugle de dualité.


Le vrai combustible n'est pas la négation,

C'est de ta nature spatiale, l'acceptation !


Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion


« La démarche tantrique fut, au contraire, de s'engager complètement dans notre caractéristique humaine et d'accepter l'intégralité de ce que nous sommes. Mais, au lieu d'utiliser cette énergie d'une manière matérialiste qui engendre souffrance, manque et frustration, nous essayons de trouver un moyen pour qu'elle parvienne à un niveau d'incandescence beaucoup plus fort sans générer aucun des effets habituels liés à la vision limitée des choses.

En mettant dans cette sphère mystique tout ce qui constitue l'être humain, les maîtres tantriques ont trouvé une possibilité d'échapper à la négation des pulsions humaines. Ils ont essayé de les comprendre profondément afin que tous ces élans servent de combustible sur la voie mystique » IDC-48.

II.65 Programmé 


Sur un objet, fixer le mental qui virevolte,

Contrer les émotions par des antidotes,


De l'ego, vaincre l'ennemi par la raison,

Par étapes, cheminer vers la libération,


Pour devenir pur, suppliquer les déités,

Au bonheur ultime, tous les êtres mener.


Éclipser le sensoriel pour atteindre l'unité,

Étouffer les passions pour les sublimer !


Amputer la nature du désir spatial,

Séparer l'effet de sa source causale !


Entre le corps et l'esprit, creuser le fossé,

C'est appeler nos démons par l'austérité ! 


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


Aussi admirable que soit le programme, nous devons nous en méfier ! L'essence de la réalité n'est pas d'absolu. Personne, pas même les Bouddhas, ne peut la définir de manière irréfutable puisqu'elle est « libre d'assertion » ! De fait, comment la description de ce qui est « libre d'assertion » pourrait-elle amener à libérer celui qui n'en pas lui-même réaliser (rendue réelle) l'expérience ? Il est donc impossible d'avoir la certitude que la voie que nous suivons soit la bonne sans le vérifier pour nous-mêmes, même s'agissant du bouddhisme ! Ne pas en douter serait une attitude dogmatique et les doctrines sont des prisons.

Le Bouddha nous a montré la voie, ce qui ne veut pas dire qu'elle doive devenir un objet de vénération. « Prendre refuge » dans le Bouddha n'exonère pas de faire usage du doute critique raisonné ! Comme pour le choix d'un « maître spirituel » dont il s'agit de déterminer par soi-même avec sagesse, le caractère d'authenticité, il appartient à chacun de suivre le « programme » proposé par la voie bouddhiste s'il le juge bon pour lui…

Nul ne peut prétendre dire ce qu'il convient ou ce qu'il ne convient pas de faire quant à notre choix (ou non choix) d'une voie ou d'une autre. L'on peut toutefois faire remarquer avec bienveillance (et l'invitation à chacun de le vérifier), qu'un point de vue prismatique préserve des tendances sectaires, nourrit la réflexion, faire croître le discernement, et amène à la sagesse.


« La nature ultime (dharmata) est une, mais se situe au-delà de la compréhension intellectuelle, de la perception ordinaire et du langage (….) les différentes traditions l'appréhendent chacune sous un aspect différent, et sont complémentaires et non exclusives (…) "Les quatre traditions (Guélougpa, Kagyupa, Nyingmapa et Sakyapa) sont comme quatre rivières dont les sources partent de la même montagne et se rejoignent dans le même grand océan »  https://fr.wikipedia.org/wiki/Rim%C3%A9 


Mettez le bouddhisme tibétain et le shivaïsme du cachemire côte à côte et jugez. Si les apparences sont effectivement coémergentes à l'esprit, et qu'une seule chose (la vacuité) est l'essence de toutes choses, alors comment atteindre l'unité (au-delà de la non-dualité) en en excluant une partie ?


« Celui qui s'attache à un vide dépourvu d'objets assèche son cœur, celui qui perçoit un vide incluant la totalité de la manifestation reconnaît le divin en soi. Sortir de toute opposition, c'est reconnaître que le samādhi est la seule réalité, puisque toute réalité y trouve sa source » IDC-55.


Dans la même idée, comment peut-on opérer la transmutation des émotions en sagesse par le Vajrayana – lesquelles « émotions » sont par ailleurs considérées en nature comme « sagesses » – après avoir mis en pratique les enseignements des sutras qui cherchent à les inhiber en leur opposant leurs antidotes ?


« La grande subtilité des maîtres tantriques a été de prendre l'intégralité des passions humaines et de se poser la question : comment faire pour tout utiliser, ne rien nier, ne rien rejeter ? » IDC-48.

« Les tāntrika ont sûrement fait l'expérience de s'abstraire complètement du monde afin d'éviter les impulsions et de toucher quelque chose d'intense, de pur, dégagé du corps, des sens et de la réalité. Mais, grâce à leur logique sphérique, dans laquelle tout peut s'inscrire, ils ont découvert qu'on pouvait aussi suivre une voie mystique en utilisant nos sens » IDC-47.


Doit-on rejeter le désir parce qu'il est synonyme de souffrance ? Et si ce désir que l'ego cherche à satisfaire était une forme détournée, pervertie, de quelque chose de plus grand, lequel participait de la nature même de la conscience ?


« Plutôt que de supprimer la problématique, ils ont tourné, encore et encore, autour des sens et du désir, jusqu'à saisir complètement que la nature du désir était cette incandescence, ce frémissement. Ils se sont rendu compte que le problème n'était pas le désir, mais ce qu'ils ont appelé le désir limité » IDC-47.


L'essence de toute chose est vide de substance. Les « objets du désir » ne sont donc pas des « existants premiers » inhérentes et autonomes, dotés des qualités attractives qui instillent en nous la pulsion de leur possession pour atteindre au bonheur. Les objets du désir sont seulement les formes temporaires et biaisées du « désir spatial » relatives à l'esprit qui, n'ayant pas réalisé la « vacuité des trois sphères », fragmente la conscience globale sur la base de ses actes. 


« Si nous retranchons une partie de l'être sur la voie, un jour vient où nos démons détruisent le travail d'années d'austérité » IDC-47.


Qu'en est-il de l'aspiration à la transcendance ? Ne serait-elle pas également un effet de la crispation (individuation) de la conscience intentionnelle (égotisée), dont la perspective se pose en dualité à la conscience spontanée ?

II.66 Vivre 


Avec amour, dans l'assise confier le corps,

Permettre à l'esprit de goûter ce trésor.


Sans contrainte, savourer l'écoulement,

Dans le flux, s'abstrait le discernement.


Bien que « libre d'assertion » soit la réalité,

La pensée rend tangible la dualité !


Lorsque méditer est l'action d'un agent,

Elle instille la soif en asséchant l'océan.


Forme conceptuelle, vide ascétique ?

Libre est le cours de la vacuité organique !


Embrasse le cœur de la vie passionnément,

Sans préméditation, vit intensément !


Lobsang TAMCHEU  

II.67 Flotter 


La feuille morte ne commande pas au vent,

Ni ne prétend contrôler les éléments.


Libre, elle se laisse porter dans son courant,

Telle la goutte d'eau dans le vaste océan.


Le drapeau ne frémit pas aux ardeurs du vent,

Ni ne flotte de son propre frémissement.


Sans ego pour le brider à l'attachement,

Son désir vibre aux échos du firmament.


Par-delà les trois sphères de l'activité,

La conscience s'émeut sans subjectivité.


La bulle disparaît dans la transparence,

Au rythme des pulsations de la confluence.

 

Lobsang TAMCHEU 

II.68 Ronde 


Du livre de ton corps, ouvre le volume,

Déposes-y ton esprit comme une plume.


Le flux de la respiration est lent et subtil,

La lecture des sensations est gracile.


Dans le sablier, le temps s'écoule en douceur,

De l'impermanence le simple auditeur.


Les perceptions s'évaporent tels les nuages,

Là-haut tourbillonnent les pensées volages.


La tendresse est l'Élysée du séjour,

Dans ce vide exquis s'écoule l'amour.


La posture est une danse immobile,

Où de l'union du cœur se tient le concile.


Lobsang TAMCHEU 

II.69 Complétude 


As-tu expérimenté cette impression,

L'abstrait de ta personne en méditation ?


Ressenti ce sentiment d'étrangeté,

D'une vertigineuse irréalité ?


Juges par toi-même de la différence,

Fixer le mental ou entrer en présence...


Hors le sensible disparaît le penseur,

Le sensitif sublime le compositeur !


La transparence spatiale du sensoriel,

Du vide organique est résidentiel !


De l'océan, la vague est le reflet dansant, 

Corps esprit s'unissent dans le cœur vibrant !


Lobsang TAMCHEU  


Eléments de réflexion

En appeler à l'usage du « doute raisonné » dans le cheminement spirituel ne doit pas seulement s'appliquer à la réflexion sur la philosophie, mais inclut la mise en pratique des enseignements. Pour comprendre la différence entre la méditation de « Calme mental » prônée par l'école Guélougpa et la « pleine présence » de l'école Kagyü – dans laquelle s'inscrit le Mahāmudrā, commun aux différentes traditions du bouddhisme tibétain –, il faut en faire l'analyse comparée.

Méditer sur la transparence spatiale. Voyez toutes choses sans discontinuité ultime de leur essence et sans obstruction relative. Il se peut que surgisse un sentiment de «dépersonnalisation » (dissolution de la conscience de soi) en lien avec un sentiment de «déréalisation » (irréalité du monde). Ou pas ! Simplement « posez l'esprit sur l'esprit », voyez toutes les apparences en coémergence, et pour cela acceptez tout ce qui survient pendant la méditation sans rien rejeter. Si la conscience soi s'évanouit, vous fixez une représentation mentale (vide conceptuel) asséchée du sensible, sinon vous saisissez la vue !

Fixer l'esprit sur un objet mental améliore la concentration, mais l'abstraction du corporel (qui se traduit par ce sentiment d'étrangeté de soi-même et du monde) entérine la dualité corps-esprit, et nous coupe d'une partie de nous-mêmes, dont l'union est à même de développer l'intuition, ce qui nous éloigne de la saisie de la véritable nature de la conscience au-delà du mental !

« C'est à travers la pratique que peut avoir lieu ce reflet et à la seconde où ce reflet a lieu, il y a une fusion qui s'opère entre la conscience individuelle (« je suis conscient de quelque chose ») et la conscience globale [où tout le cosmos flotte dans un substrat qui serait la conscience], c'est ce qu'on appelle une expérience mystique ». TCF 

Pour qu'il y ait un reflet, il faut une chose et un miroir pour la refléter. Si la saisie de la «conscience de soi » s'évanouit dans les limbes (les états supérieurs des dhyânas de la méditation), et que le monde sensible – lequel est l'expression des modalités de l'expérience de la conscience – se dissout dans les profondeurs du « sans-forme », comment peut-il se produire une expérience mystique ?

Pour développer la « vue nue de la nature de l'esprit », il est essentiel d'intégrer ses deux aspects, sensoriel et cognitif, corporel et psychique, corps et esprit, au sein de la présence, par un double mouvement de l'un vers l'autre, jusqu'à ce que leurs différences se gomment mutuellement et qu'il n'y ait plus ni différence… ni d'identité entre matériel et immatériel !

Voyez le tangible, sa perception, vos pensées et votre propre esprit en leur « vide d'essence », sous la « transparence spatiale » de vos agrégats et du monde. Le sensoriel se rapproche de la conscience, et la conscience du sensoriel, à mesure que l'incorporel et le corporel perdent leurs caractéristiques respectives. L'unité apparaît lorsque la dualité s'efface. L'essence « libre d'assertion » de l'être se révèle lorsque l'unité et la non-dualité sont dépassées. Alors, la vacuité n'apparaît plus comme forme conceptuelle, objet décorporé, abstraction idéelle, mais comme chose sensible, ressenti sensible, vide organique !


Du corps-esprit, dépasse la pluralité,

Vibrant est le cœur hors la non-dualité ! 

II.70 Intégration


Dissociables et non séparables, comment ?

Méditer ne prouve-t-il pas leur différend !


Retiré des sens, l'esprit est inexistant,

Plongé, le corps n'existe pas réellement !


L'esprit existe et n'existe pas à la fois,

L'on fait l'expérience de ce que l'on croit !


Sans objet par nature, le désir spatial,

Par attachement à l'objet devient bestial !


Nul besoin de réfuter du soi l'illusion,

Saisir sa vacuité est la libération !


Le juste milieu est l'union des contraires,

L'organique est du vide l'auxiliaire !


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion

La méditation est par excellence le moyen le plus probant de se retirer du monde sensible et d'être (pleinement) conscient de ce qui se passe dans l'esprit. Lorsque l'on met de côté les perceptions sensorielles, en se retirant en son for intérieur, il est possible de faire l'expérience d'états de « conscience modifiés », incorporels, qui semblent témoigner du caractère éthéré de la nature de l'esprit. S'ils peuvent être expérimentés distinctement, c'est que l'esprit n'est pas le corps ?

Rechercher l'esprit, vous ne le trouverez nulle part ! Lorsque l'esprit se retire du sensible, il apparaît en sa « transparence spatiale ». Sa vacuité demeure lorsque la conscience investit les sens, « réintègre » le corps. Or, ce monde dont nous éprouvons le caractère tangible, son essence est vide de substance ! Comment l'esprit, vide d'existence propre, peut-il nous donner la sensation de « sortir » d'un corps dont la nature est tout aussi vide de réalité ultime ?

Les phénomènes physiques et ceux relatifs à la phénoménologie de l'esprit ne sont pas des mondes séparés.« Les apparences sont l'esprit ». L'êtreté est par nature « libre d'assertion ». La transparence spatiale de l'esprit est et n'est pas mentale ! L'on ne peut faire l'expérience de ce qui est dépourvu de substance et de qualités propres. Les modalités de « l'expérience de la matérialité » (sensorialité, sensitivité, sensibilité, etc.) reflètent ce que l'on croit.

La discrimination du corps et le culte de l'esprit sont des caractéristiques quasi communes à toutes les religions et spiritualités. Le corps est l'objet du délit, qui attire, retient et avilit l'esprit dans la matière. Le désir est causal de la condition humaine. «Cesser de désirer », c'est cesser de souffrir ! Or, le désir est spatial par nature. Sans «objet du désir » tout est désir ! Mais, lorsque la conscience se replie/fragmente en «conscience de soi » individualisée (égotisée), les actes de l'agent à la satisfaction de «son » désir deviennent des chaînes karmiques !

« Plutôt que de supprimer la problématique, ils [les tantrikâ] ont tourné, encore et encore, autour des sens et du désir, jusqu'à saisir complètement que la nature du désir était cette incandescence, ce frémissement. Ils se sont rendu compte que le problème n'était pas le désir, mais ce qu'ils ont appelé le désir limitéC'est une avancée magnifique car ce désir soi-disant pernicieux, dangereux, est devenu une énergie fondamentale du tantrisme, parce que dégagée de la dépendance à l'objet » IDC-47

Ni la matière, ni le corps, ni la sensorialité ne sont le problème, pas même la « saisie du soi » lorsqu'elle est vue sous la transparence spatiale de la conscience ! Pourquoi vouloir démontrer l'inexistence d'une chose dont on sait qu'elle n'existe pas ! Or, puisque toute chose est « libre d'assertion », croire une chose irréelle nous affecte tout autant que de la croire réelle, à la différence toutefois que nous ne sommes plus victimes du pouvoir de son illusion, mais faisons nôtre le pouvoir de désillusion de notre croyance !

« Il faut commencer à avoir une sensorialité qui est en accord avec la totalité, qui vibre des moindres choses de la beauté qu'on trouve tout autour de nous (…) en aucun cas, il y a l'idée de pratiques sexuelles qui vont nous ouvrir aux mystères ! Jacques Lacan dit que « un mystique, c'est quelqu'un qui a compris qu'il y avait une jouissance au-delà » TCF

Lorsque la « saisie du soi » participe de la vue de la vacuité, la conscience cesse d'être fragmentée. Elle se déploie spontanément pour embrasser la totalité de l'espace, qui est son corps et sa nature ! Saisir la vacuité comme la cause et l'effet, c'est réaliser (rendre tangible à l'expérience) que le vide est forme-sensible et la forme-sensible vide. La « saisie du soi » est alors l'union des « deux vérités », simultanéité du corporel et de l'immatériel. Cette « vacuité organique » est, à la fois, sensibilité spatiale et spatialité consciente !

« Le désir, libéré de ses liens à l'ego, réalise qu'il n'a d'autre aspiration que la plénitude de Mahâmudrâ et, comme il voit dans un même élan que cette plénitude est innée et sans limite, il n'aspire plus à aucune réalisation. Il n'est plus que vibration intime, frémissement continu, absence de localisation dans le Temps et dans l'espace. C'est l'intégration de Mahâmudrâ » IDC-46.

II.71 Frisson 


De la course des sphères sens-tu les frissons,

De la musique qui s'étend à l'unisson ?


A son contact, tu vibres tel un diapason,

Ton corps est d'espace, ton esprit de sons !


Ni origine ni objet, ni cause ni fin,

L'ode est la mer, le navire et le marin !


Jusqu'au silence, l'archet de cet écrin,

Les fleurs sont la semence du chant ondin.


Vagues et courants marins sont l'océan,

De bout en bout, s'enroule l'interdépendant.


Sans essence, toute chose est conscience,

Le frémissement, la forme de l'expérience !


Lobsang TAMCHEU 

II.72 Evaporé 


Tel le brouillard qui se lève spontanément,

Des formes se condensent isolément.


Simples apparences, par leurs modalités,

Manifestes comme sensations ou pensées.


Ni vraies ni fausses, denses et éthérées,

La conscience est leur seule réalité.


Tel un mirage qui se dissipe soudain,

Aussitôt, se libèrent comme un parfum.


Sans fin, créations et destructions cosmiques,

De la nébuleuse du vide organique.


Entre deux vagues, tel un banc de sable,

Du miroir de l'esprit, l'illusion invariable.


Lobsang TAMCHEU

Eléments de réflexion

Simplement, écoutez vos sensations, regardez vos pensées. Laissez-les venir à leur rythme, librement, selon leur ordre, sous quelques formes sous lesquelles elles apparaissent, sans jugement, sans contrainte quant à un objectif de vide mental ou de concentration sur objet. Telle la brume qui surgit de nulle part sans prévenir et qui se condense subitement en un nuage qui se referme sur vous et vous enveloppe, sensations et pensées apparaissent comme simples « formes ».


« Mahasitha Shang précise que les aspirants à cette voie

devraient se comporter comme précisé ici :

Comme le vent soufflant à travers le ciel

Dans toutes les directions de l'espace,

Le pratiquant laisse ses pensées couler

Ouvertement et librement, sans s'attacher à son corps,

Ses possessions, son bonheur ou sa réputation.

Il se comporte comme l'espace, sans support.

Méditant, il ne dirige sa pensée sur aucun objet,

Il ne crée pas d'image mentale par visualisation,

Il ne dirige son attention vers aucun acte spécifique » IDC-58


Sans propriété ni qualité propre, de par la vacuité de leur essence, sensations et pensées, sont ultimement sans discontinuité et, de par leur transparence spatiale, sans obstruction. Il n'y a nulle différence inhérente entre la matière et l'esprit hors du type d'expérience que nous en faisons, laquelle le leur confère. Ni existantes ni non-existantes, ni réelles ni irréelles, les apparences sont coémergentes à l'esprit dans le caractère de leur manifestation. « Tout est vrai, tout est illusoire, tout est réel » ID-35.


Que cela te plaise ou non, regarde ton propre esprit !

Sois assuré que tout ce qui apparaît

N'est rien d'autre que ta propre perception naturelle,

Comme celle d'un reflet dans un miroir LVN


Ce mouvement d'accrétion et de dissolution des apparences en expériences formelles, telle la formation des planètes à partir d'une nébuleuse galactique, se poursuit inlassablement. Cette ronde, sans commencement ni fin, de suite de créations et de destructions – sans qu'il n'y ait véritablement rien qui soit détruit puisqu'il n'y a rien qui soit véritablement créé, puisque l'essence de toutes choses est « libre d'assertion » ! –, la mythologie du yoga et le Shivaïsme du Cachemire la traduit comme la « danse cosmique » de Shiva-Shakti. Lama Tsongkhapa la décrit comme « la vacuité qui apparaît comme la cause et l'effet ». Elle n'est autre que le frémissement (spanda) de la conscience, vide d'essence.


« Que cela te plaise ou non, regarde ton propre esprit !

Sois assuré que toute apparition s'auto libère sur le champ,

Issue d'elle-même, se produisant elle-même,

Comme un nuage dans l'espace » LVN.

II.73 Artifice 


Son regard me pointe avec insistance,

Dans le miroir, se produit la discordance.


N'a-t-il jamais réellement été abstrait,

Est-ce moi qui ai toujours été le reflet ?


Le miroir donne à l'illusion sa force,

Plus je suis lucide, plus il se renforce !


Pour des nuages, le mystère résoudre,

De leur claire étoffe, le non-soi découdre !


De l'illusion, l'angle fait l'effet d'optique,

Change ta perspective de l'authentique.


La brume s'auto libère dans l'espace,

En transparence, le ciel et l'eau se font face.


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion

Lorsque que vous contemplez votre reflet, lui-même vous contemple ! Plus vous le fixez longtemps et avec fermeté, plus un sentiment de déréalisation s'installe qui finit par vous faire croire que c'est vous qui êtes le double… Les vagues de phénomènes qui surgissent en méditation sont évanescents, mais lorsque vous contemplez l'esprit, celui-ci semble a contrario immuable comme s'il possédait une existence réelle. Cette présence n'est pas l'esprit ! Cette impression de « soi » est une illusion induite par la relativité du sujet à l'objet !


« L'esprit lui-même, dans son état naturel,

N'a ni support, ni objet (…)

Comme lorsque vous regardez l'espace,

Tout autre objet visuel disparaît,

Ainsi en est-il de l'esprit.

Lorsque l'esprit regarde l'esprit,

La pensée discursive cesse

Et l'illumination est atteinte » IDC-58


De fait, il est curieux de chercher à « capturer » ce sentiment de « saisie du soi » (par l'évocation mentale d'un événement qui le suscite) aux fins d'y appliquer une analyse visant à réfuter son existence substantielle (référence à la méthode de méditation de «vision supérieure »). Alors qu'en posant l'esprit sur l'esprit sans contrainte (Mahāmudrā), l'on observe que les sensations et les pensées, tels des nuages, se forment et disparaissent naturellement. Il en va de même de l'esprit !


« Que cela te plaise ou non, regarde ton propre esprit !

Sois assuré que ton intelligence est sagesse sans faille,

Coulant comme le flot continu d'une rivière !

Que cela te plaise ou non, regarde ton propre esprit !

Sache que tu ne le trouveras pas par le raisonnement,

Car son mouvement est aussi dépourvu de substance que les alizés » LVN


Le lieu, le moment, les conditions sous lesquelles nous éprouvons le chaud et le froid, la faim et la satiété, sont toujours différentes, de même que l'agrégat de notre corps, car ce sont des projections apposées sur les formes nébuleuses. Mais, les « modalités » qui leur confèrent le caractère d'expérience sensorielles ou mentales sont identiques. Le sentiment de présence unitaire et entitaire de la conscience de soi n'est lui-même qu'une simple modalité ! Laissez ce sentiment s'évaporer et vous saisirez la véritable nature de l'esprit.


« Les diverses perceptions s'épanchent dans l'espace de la réalité,

Il n'y a ni acceptation ni abandon,

Et il y a conscience de la supercherie !

Pour celui qui réalise cela,

La méditation est un flot continu ! » IDC-42