
III.12 Poétique de l'ainsité (volume 2)
Retrouvez ici les poétiques de l'ainsité de III.41 à III.52 - L'expression de l'être & Au-delà du savoir

L'expression de l'être
III.41 Contrastant
instantanément
depuis là-bas à ici
pas un seul instant
avant et après
tout est contenu ici
dans cet ailleurs
l'intelligence
écrit d'un jet continu
sans être l'auteur
la peau ressent
sans ouvrir la fenêtre
le souffle du vent
la disparition
du reflet dans le miroir
est la présence
l'immobilité
d'un éternel mouvement
se répète nue
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Nul besoin de savoir que le soleil est une étoile, ni de comprendre quoi que ce soit à la mécanique newtonienne, pour entrer en contemplation devant son lever. Nous n'avons pas besoin de l'intelligence pour réaliser la vacuité de notre essence. Nous sommes la Conscience ! Avant de dire qui « je » suis, JE suis ! Cependant, l'intelligence est un outil pour nous dégager complètement de l'illusion du « soi de la personne », et de la croyance dans l'existence intrinsèque et autonome des phénomènes.
D'aucuns diront que l'Éveil, le « maintenant » atemporel, « guérit tout » DVLJ (toute précaution prise quant à la relativité du mot « guérison »). Le bouddhisme tibétain compare la réalisation de la vacuité à « couper la racine du samsāra ». Nul besoin de purifier nos karmans un par un lorsque l'esprit se libère de la «saisie du soi ». La Conscience est « non-soi », au-delà de la pluralité et de l'unité. Elle n'a ni désir, ni but, ni volonté. Dieu a-t-il besoin de « désirer être » ? « Qui », hormis le mental-ego a besoin de concevoir Dieu comme « volonté suprême » ?
La Présence n'a pas besoin de devenir pour être ! La réalité conventionnelle est un simple « effet de perspective » de la réalité ultime. Ce n'est pas réel, c'est comme si cela l'était (de fait, « tout est vrai, tout est illusoire, tout est réel » IDC-40) ! Shiva se contemple lui-même à travers Shakti, qui est comme l'expérience de sa manifestation, un reflet dans un reflet ! Le Soi n'a pas besoin de « sortir de lui-même » pour cela, l'Intelligence de comprendre qui elle est, le mental oui !
Dans les voies directes ou « non voies », la réalisation est inconditionnelle. Elle ne requière pas de comprendre. Mais, si les esprits réalisés veulent transmettre leur non-expérience – ce qui est le cas, puisque l'Éveil est connaissance, félicité et amour, Satchidananda –, ils doivent le conceptualiser, comme la «philosophie de la reconnaissance » d'Utpaladeva. Dans les voies progressives comme le Bouddhisme, la compréhension précède l'Éveil des bouddhas et la conditionne ! Un paradoxe de plus de la pluralité de l'Un…
Il y a l'Éveil des Bouddhas, lequel est irréversible, sans être réel autrement que sous la perspective du relatif, et des éveils passagers, plus ou moins durables, voire fulgurants, où l'esprit revient irrépressiblement au relatif (à la fragmentation de la dualité). Pour le Bouddhisme, cela provient de l'empreinte de la « saisie du soi », dite innée car elle marque le « continuum de conscience » comme d'un mécanisme réflexe, comme une habitude profondément ancrée depuis des vies sans commencement, mais qui n'est cependant pas indélébile. Les pratiques spécifiques du Vajrayana permettent de nettoyer l'esprit de ses scories et de ses « empreintes ». Ce n'est qu'à cette condition que l'Éveil des Bouddhas est possible sous l'approche graduelle de la science de l'esprit du Mahayana.
Ces empreintes, qui induisent le « retour au relatif » tel un élastique qui remonte l'esprit auquel il reste attaché après un plongeon dans la « Présence vide », sont autant de croyances limitatives qui occultent la vue de la vacuité et nous empêchent de réaliser l'évidence que… nous sommes ce que nous cherchons ! Il n'y a « ni obtention ni manque d'obtention » SC.
Autrement dit, même si un esprit s'éveille spontanément, sans aucune pratique ni mise en condition préalable, il est fort probable qu'il replongera dans la dualité tant que le doute subsistera quant à « ce qu'il est véritablement », entre autres la croyance qu'il y a quelque chose à faire pour être. Le doute entérine le repli sur le personnage, et l'ancrage dans la dualité par l'affirmation du sujet/objet, en donnant au mental-ego matière au jugement. Mais, si la Conscience ne cherche rien, alors pourquoi faire l'expérience du relatif sous le « jeu de la personne » ?
Pour comprendre la non-raison de cette expérimentation, la clé se trouve dans le retournement de la perspective. En considérant possible de glisser spontanément dans l'atemporalité de la Présence dans n'importe quelle situation – y compris les circonstances les plus adverses de l'existence conditionnée –, l'on pourrait en inférer que pour la Conscience, il s'agit de rechercher la Présence au sein de tous les possibles par « l'expérimentation de l'identité personnelle », alors qu'il s'agit plus simplement… de la mettre en évidence !
Une fois éveillé, le miroir du relatif ne s'évanouit pas ! La forme cesse-t-elle d'être vide et le vide forme ? Le « miroir du relatif » n'est que l'aspect de l'ultime. En apparence séparés mais non séparables. L'éveillé voit toujours dans le « miroir du relatif », mais sans plus s'identifier à ce qu'il voit, ni à le croire réel ! Tous les phénomènes (dont l'esprit) lui apparaissent sans discontinuité en essence et sans différenciation en apparence. Il voit le tour de magie sans plus être captif du « magicien de l'ego », car il ne s'identifie plus à ce qu'il voit. Il ne fait qu'un avec son reflet, sans qu'il n'y ait plus personne qui le possède !
« Bien que l'espace vide
Puisse être nommé ou défini conventionnellement
Il est impossible de le désigner comme étant cela.
Il en est de même pour la clarté innée de l'esprit.
Bien que l'on puisse exprimer ses caractéristiques,
Elle ne peut être désignée comme étant cela » IDC-66
Le Mādhyamaka Prāsangika considère la compréhension de la vacuité comme une étape préalable à sa réalisation. Les mots ne peuvent décrire la vacuité, mais lorsque l'on saisit que les mots sont aussi vides d'essence que les choses qu'ils décrivent (de fait sans discontinuité ultime ni différenciation relative), il n'y a pas de confusion quant à exprimer la vacuité en mots ! S'il n'y a nul besoin de comprendre la vacuité pour la réaliser, il est cependant essentiel de bien comprendre ce qu'elle n'est pas (ni vide absolu, ni essence nouménale).
C'est une croyance de penser la réalisation comme la nécessité d'un effort, et s'agissant de la souffrance, de croire possible de la dépasser par un travail sur (le petit) soi par la « confrontation » aux événements douloureux. Les émotions perturbatrices sont induites par la « saisie (innée) du soi ». L'ego ne peut pas concevoir une confrontation qui soit neutre sur le plan émotionnel. La résilience comme moyen de « vivre la dualité sans l'abandonner » ne fait que donner plus de souplesse à l'ego, elle ne permet pas la désidentification au personnage !
La lumière met les lanternes en relief par un « effet de contraste » à l'obscurité. La soudure en or sublime la tasse par la « mise en relief » du caractère accidentel de l'existence, inhérent à l'impermanence des phénomènes composés. La pratique spirituelle n'est pas un acte de violence que l'on commet envers soi-même par opposition de l'ego, mais une « mise en perspective » de ce que nous ne sommes pas avec ce que nous sommes véritablement – parfois par la « mise en présence » directe de notre véritable nature –, laquelle coïncide avec sa révélation (réalisation, actualisation ou reconnaissance).
Pour produire cet « effet de contraste », nul effort n'est nécessaire. Aucun travail de vérité n'est à faire pour dénoncer l'artifice. Il y a simplement à poser le regard jusqu'à ce que les apparences relatives se dissolvent dans l'espace, qui constitue par là-même la mise en évidence de leur vacuité d'existence autonome.
L'acteur qui s'identifie totalement à son personnage peut en venir à croire, fût-ce temporairement, en son existence réelle et s'oublier lui-même ! Cependant, s'il venait à jouer son propre rôle, la superposition (par la mise en abyme) de l'illusion dans l'illusion mettrait en évidence le caractère fictionnel du «personnage » à la révélation conjointe de sa véritable identité. Une « mise en perspective » qui entraîne la désidentification au soi irréel. Il n'y a pas d'ombre ni de lumière sans espace, lequel est non-né, non-existant. De fait, la personne ne peut capter de perceptions, ressentir de sensations, produire de pensées, qui ne sont pas des croyances pouvant exister hors de l'esprit, lequel ne les précède pas lui-même comme existant de son propre pouvoir.
« Et si quand tu es triste, si tu jouais le rôle "d'être encore plus triste" ! Cela désamorce le blocage qui est un jeu de l'ego. Parce qu'il y a une désidentification qui se produit. "Tu joues le rôle du rôle ! » CQLJ
Le moment clé est celui au cours duquel la conscience se retourne vers elle-même au sein du relatif pour se porter sur l'ultime, où cela qui voit et cela qui est vu se superposent, sans discontinuité d'essence et sans différenciation d'apparence. Plus ce moment est rapide, plus le glissement dans la spatialité est fugace. Il n'y a ni commencement ni fin au fait « d'être », mais en prendre conscience depuis la perspective du relatif est… graduel ! Une « gradualité » qui semble donc bien dépendre du développement de l'intelligence comme outil, laquelle n'est que le reflet de l'Intelligence dans l'ordre du relatif.
« Une seule chose compte : pas la moindre trace de conscience du moi ne doit entrer en jeu, sinon tout est gâché. Si l'on y pense, même un instant, tout devient artificiel (…)
Quand tu es dans cet état, dégagé de toute conscience-moi, quand tu agis sans agir, sans intention ni artifice, en accord avec la grande Nature, alors seulement tu es sur la voie juste. Abandonne donc toute intention, exerce-toi à l'absence d'intention et laisse les choses se faire par l'Être. Cette voie est sans fin, inépuisable » MC-80
IDC : L'incendie du Cœur, Daniel Odier https://www.danielodier.com/french/bibliographie.php
DVLJ : D'où vient la joie ? https://www.youtube.com/watch?v=RYPwZDsTkMM&t=924s
MC : Merveilleux chat et autres récits Zen, Karlfried Graf Dürckheim
III.42 Palindrome
les yeux grands ouverts
sur la palette de l'œil
soudain l'arc-en-ciel
écho du tympan
au marteau de l'oreille
la clameur d'un son
le dos de la main
frémissante surface
un soyeux toucher
la tête levée
au creuset d'alchimie
senteurs parfumées
la langue flûtée
sur le piano des saveurs
mélodie sucrée
l'intelligence
éclairée de compassion
brille de grâce
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
L'ego est-il véritablement « l'ennemi », comme le conçoit le Bouddhisme, qu'il nous faut absolument vaincre en lui opposant les paramitas de la sagesse et de la compassion pour nous libérer du samsāra et atteindre l'Éveil ? Développer la sagesse pour réaliser la véritable nature des choses n'est-ce pas une utilisation intelligente (rationnelle, logique) d'un mental obscurci par le « chérissement excessif » du moi ? Cultiver la compassion pour libérer des êtres de la souffrance n'est-ce pas faire une orientation vertueuse de l'ego tourné vers le moi ?
La raison pour laquelle le Bouddhisme définit la sagesse et la compassion comme les « deux ailes de l'esprit d'Éveil » – qu'il s'agit de développer de concert pour atteindre l'état de Bouddha – ne provient-elle pas du fait, qu'à l'instar de la forme et du vide, elles ne sont pas différentes en nature des passions ? « L'énergie des flammes n'est autre que le feu » IDC-66, comme l'espace illuminé n'est autre que les rayons du soleil, ou comme la vision déformée d'un miroir n'est pas différente du miroir lui-même. Les voiles de l'ignorance et des émotions perturbatrices ne sont pas tant extrinsèques que le résultat d'une déformation. Agitée par les vagues ou plane, la surface de l'eau fait partie de l'océan…
« L'intelligence égotisée » (au service du moi) n'est autre que la sagesse qui discerne la vacuité des phénomènes sous son aspect relatif obscurci, et les passions qui motivent la recherche de satisfaction personnelle ne sont autres que la compassion sous l'aspect égotiste de la « saisie (innée) du soi » !
« Dans le Vajrayāna, les cinq sagesses sont primordialement présentes chez les êtres animés en tant que qualités du tathāgatarbha. Cependant, sous l'emprise des obscurcissements, les sagesses (…) se manifestent obscurément en l'espèce des cinq passions, l'ignorance, la colère, l'orgueil, le désir-attachement et la jalousie » DEB-494
Comme la forme et le vide, le mental-ego et la sagesse compassionnelle ne sont pas des opposés antithétiques en nature. Le « mental » est l'aspect intelligence, « l'ego » l'aspect émotionnel, reflets assombris et contrefaits de la sagesse et de la compassion. Comme la dualité du pur et de l'impur (ultimement non duels et vides d'essence) n'est qu'un support relatif (d'argumentation et de pratique dans la voie des sῡtras), le mental-ego est donc bien un outil d'actualisation de la sagesse compassionnelle (de transmutation des passions dans le Vajrayana et de sublimation de la Conscience dans le Shivaïsme du Cachemire).
Mais, il importe de différencier la revendication d'une identité personnelle sur la base de l'existence des cinq agrégats, de la « personnification du but ». Alors que l'identification replie l'intention sur soi-même dans une attitude égotiste de préoccupation de sa personne, la « personnification » est comme une trame, un guide, pour un alignement altruiste et compassionnel. Le mental-ego non contrôlé se complet dans un mouvement centripète (du latin « chercher à gagner » CNRTL). A contrario, la maîtrise de cette tendance forgée par l'habitude et les empreintes karmiques, grâce à l'entraînement et la pratique des paramitas (dans la vacuité de l'agent, de ses actes et de leur objet), conduit à la libération par la réalisation du « non-soi » de la personne et des phénomènes.
Une pièce sur un jeu d'échec pourrait croire qu'elle se déplace à sa guise, libre de ses mouvements et des coups qu'elle peut jouer à ses adversaires. En réalité, ses déplacements sont le reflet des combinaisons des possibilités de la trame, laquelle n'est elle-même qu'une manifestation de la conscience du joueur.
L'emprise de l'illusion nous fait réagir avec le mental pour justifier l'ego. Tant que nous n'en comprenons pas le sens, une même situation se représentera, ou se répétera en boucle, jusqu'à ce que nous considérions les choses sous un autre angle. Les mêmes causes produisent les mêmes résultats !
L'on pourrait qualifier de « mauvais karman » une situation qui, subitement, ruine nos projets et nous fruste d'un bonheur attendu. Voir les circonstances comme des obstacles ne fait que renforcer notre déception, notre colère et notre incompréhension face aux aléas de la vie. A l'inverse, nous pouvons voir une situation comme une précieuse opportunité de sagesse par le rappel qu'elle nous fait de l'impermanence, de l'interdépendance et de la vacuité des phénomènes !
Lorsque tout ne se passe pas comme prévu, nous avons tendance à répondre de manière négative, par une vive émotion de surprise désabusée et de colère, par une profonde déception au sentiment de nous être fait berner, abusés, trahis ! Cependant, la frustration va de pair avec le désir de contrôle ! Il est décevant et douloureux de voir ses espoirs s'effondrer subitement et ses efforts soudains réduits à néant, mais l'injustice… n'est pas un phénomène de la nature ! Tant que nous ne relâcherons pas le contrôle du mental-ego, une telle situation a toutes les probabilités de se reproduire et d'entraîner les mêmes souffrances.
Ne voyez pas cela comme un obstacle qui bloquerait votre accès au bonheur, considérez-le plutôt comme une occasion de changer votre manière de voir les choses ! Si la flèche n'atteint pas la cible… revoyez la posture de l'archer ! N'ayez pas peur de lâcher-prise et de vous couler dans le flow de la vie.
Nous souhaiterions que certaines choses n'arrivent jamais, mais être heureux est-ce vivre dans l'illusion du contrôle ?
Laissez de côté le mental, laissez parler le cœur ! Ne faites pas de la vie une suite de problèmes (récurrents) à résoudre pour trouver la paix intérieure, faites-en les opportunités d'agir avec sagesse ! Le mental n'est pas la solution à ce qui (vous) apparaît comme un problème sous la perspective déformée de l'ego ! L'on ne peut pas marcher les yeux fermés en croyant ne jamais se heurter aux murs… L'intelligence est un outil pour développer « la sagesse d'agir avec compassion » aux fins de dissoudre la croyance que le problème est réel et que le mental-ego peut le solutionner pour être heureux !
Ne soyez pas le pion sur l'échiquier de l'ego. Ne faites pas d'une situation un motif de conflit, mais l'opportunité d'agir avec compassion avec autrui… et avec vous-même ! Lorsque les circonstances vous semblent adverses, ne considérez pas les désagréments qui peuvent éventuellement être causés à votre confort personnel et les contrariétés en résultant, mettez-les en perspectives avec la situation d'autrui et, sous la vue de la vacuité du soi, considérez l'apaisement qu'apporte aux autres de prendre sur vous (la résolution de) leurs souffrances.
Pour autant le mental-ego n'est pas notre ennemi. Affirmer « je » est source de frustration a contrario de la personnification d'un guide altruiste. Le mental-ego n'est que la perturbation orageuse de la sagesse compassionnelle de notre nature, sans commencement ni fin. A vous de mettre fin à l'orage.
« L'intelligence
est bien une fonction de l'esprit, mais si elle ne repose pas sur la voie, et
ne vise que l'habileté, elle devient le commencement de l'erreur et ce à quoi
elle parvient est un mal. Rentre donc en toi-même et exerce-toi dans le sens
juste » MC-75
DEB : Dictionnaire
Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html
MC : Merveilleux chat et autres récits Zen, Karlfried Graf Dürckheim
III.43 Opportunité
goutte à goutte
le ciel remplit la terre
clapotis dans l'eau
les feuilles tombent
la gouttière déborde
l'hiver est passé
la graine semée
l'âme féconde le sol
brise légère
le champ du vivant
fleurit de couleurs vives
l'air chante de joie
la feuille gratte
le peintre dresse portrait
un jet de plume
le ciel se mire
l'œil plonge en lui-même
un oiseau passe
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Tous les êtres désirent le bonheur et ne veulent pas souffrir, mais la possibilité même de réaliser ces souhaits est biaisée par la croyance en la réalité de la personne et l'emprise de l'ego qui se les accapare en revendiquant le bonheur pour soi. Sous cette optique, tout ce qui (nous) arrive en tant que « personne » est vu comme un obstacle à notre bonheur individuel et une cause de souffrance. Lorsque la vie nous place sans cesse devant la même situation, c'est donc qu'il doit y avoir quelque part en nous, enfouis dans notre inconscient, issu de notre passé individuel ou collectif, une blessure ou un schéma qui nous entraîne à reproduire le même comportement dont résulte la même frustration, cela tant que nous n'aurons pas effectué un « travail sur soi » nécessaire pour le dépasser !
Les stratégies diffèrent et les thérapies alternatives foisonnent, exotiques, si ce n'est extravagantes ! La science n'a plus le monopole de soigner la personne, et aujourd'hui tout le monde ou presque peut s'imposer « thérapeute » en proposant sa méthode révolutionnaire. Une avancée médicale et sociétale majeure a été de chercher à savoir ce qui rendait l'esprit « malade », en comprenant que ces « démons » ne sont pas des entités propres mais nos émotions perturbatrices. Or, penser que l'esprit peut être soigné, c'est inférer qu'il peut « guérir », et qu'il est conséquemment possible d'être heureux dans le samsāra ! Une croyance qui relève de l'ignorance de la nature de la conscience, inaltérable de par sa vacuité d'existence intrinsèque. L'on ne peut guérir une fiction ni être heureux de son fait, mais l'on peut s'en libérer en se désillusionnant de sa croyance !
Lorsque le sens de l'ainsité s'éveille en nous, il s'accompagne d'une grande joie à la dissolution de l'incertitude à l'abolition du désir de réponse, parce que l'on comprend que les choses ne sont pas réelles (et ne le peuvent, car existant par elles-mêmes seraient immuables et ne pourraient donc pas venir à exister) ! Ce «réel » n'est qu'un rêve dont, en nous réveillant, toutes les angoisses et les frustrations induites par la croyance en sa réalité fondent comme neige au soleil…
Lorsque l'on réalise la vacuité du soi de la personne et des phénomènes, l'idée que l'esprit puisse être « malade », que la personne puisse « guérir » et « être heureuse », se révèlent de simples illusions qui tirent leur force de nos croyances lesquelles se traduisent par l'expérience de la souffrance ! Nous sommes la Conscience, illuminée depuis toujours, sans commencement ni fin. Il n'y a rien besoin de faire ni d'obtenir pour « être » ! La Conscience ne désire rien, elle ne recherche rien, elle n'accepte ni ne rejette rien. « Libre du vide et du non vide » rien ne peut faire obstacle à la Conscience incluant la Conscience elle-même dans « l'expérimentation » de sa propre manifestation relative !
Le passé ne peut nous affecter, le futur nous angoisser, le présent nous faire du mal. L'écoulement séquentiel du temps est un « effet de perspective » de l'esprit voilé, ignorant sa non-dualité. « L'ici et maintenant » ultime de la nature de la Conscience est non-local et atemporel. Il ne peut être affecté par le temps, simple désignation, qui apparaît comme réel et effectif pour l'esprit qui ne saisit pas la « liberté d'assertion » de l'essence des choses (ni être ni non-être !), et nourrit la croyance illusionnée, et douloureuse, de l'existence de la personne.
Le mental-ego nous fait croire que pour être heureux, nous avons besoin de conditions particulières, d'un espace qu'il soit entièrement possible de dédier « à moi seul », où « je » puisse être libre de faire ce que je veux, sans obligation sociale ni contrainte temporelle. Même pour méditer, nous croyons nécessaire de devoir disposer d'un « lieu propice » et de « conditions favorables », à l'abri du monde et de ses perturbations. Tout cela, aussi, relève de la croyance !
Nous n'avons pas besoin d'un lieu particulier, d'un moment précis ni de conditions particulières pour être ! Nous sommes ici et partout à la fois ! « Ici et maintenant » englobe la totalité de l'espace et l'ensemble du temps vu comme un référentiel extérieur, et vécu relativement à la croyance de sa réalité. La Conscience ne dépend ni de l'espace ni du temps pour être, lesquels ne constituent pas les a priori de la pensée. Avant de dire « je suis », JE SUIS ! Partout et toujours, en tous lieux et en toutes circonstances relatives, nous sommes ! Libres de toute contrainte spatiale et temporelle, libre de toute dualité (extérieur versus intérieur, travail vs congés, j'aime vs je n'aime pas…).
Nous croyons que notre bonheur, en tant que personne, dépend de conditions extérieures, et ne supportons pas de ne pas les voir réunies, de les perdre, que quelqu'un vienne les perturber ou d'en être privé, autant de formes du désir-attachement. Nous méditons pour trouver un refuge, car nous croyons que la méditation permet de développer la capacité de supporter les difficultés de la vie. Or, la méditation ne produit rien, elle laisse seulement entrevoir la spatialité de notre vraie nature, par-delà l'illusion du temps et de toutes croyances.
Entre autres, nous croyons que la vie, l'univers (ou quoi que ce soit d'autre), nous envoie constamment des épreuves qu'il nous faut dépasser « pour nous réaliser en tant que personne », en nous libérant des dommages et des lésions d'un passé qui est en fait constitutif de sa réalité fictionnelle ! Nous voyons la vie tel un « temps d'expérimentation », « un espace de résolution de problèmes ». Revêtus du costume du personnage, armé d'artifices thérapeutiques (hérissés de piquants à l'intérieur !), nous nous confrontons de manière frontale à la vie en la voyant comme un « champ d'obstacles » à surmonter pour trouver le bonheur…
Il n'y a rien à accepter et rien à rejeter pour être ! Le croire est source de frustration. Le bruit comme le silence, le désordre comme l'harmonie, la violence comme la paix, la douleur comme le plaisir, la souffrance comme le bonheur relatif, font parties de la Conscience. Nous ne le voyons pas, car nous nous sommes coupés de la source, fragmentés par la dualité du sujet à l'identification de la personne que nous croyons être. Or, tout est la Conscience ! La dualité n'est qu'une apparence. Méditer dans une grotte isolée dans les contreforts de l'Himalaya ou aux carrefours de routes bruyantes, dans le silence intérieur et extérieur ou « guidé » par une voix qui commente ce même silence (!), ne sont pas différents en essence, et font tous, sans exception, partie de la Présence !
Aussi, lorsqu'un événement revient constamment dans notre vie que nous voyons comme un obstacle et considérons comme un blocage psychologique que l'ego renforce par l'aversion, qu'il nous faudrait dépasser en tant que personne pour nous libérer de la souffrance et trouver le bonheur, c'est là encore une illusion !
La méditation ne produit rien, elle révèle. L'adversité n'est pas un « obstacle », un accident, le fait de la fatalité ou un tourment du sort. Ce n'est pas non plus un « blocage », un refoulement ou un dilemme non résolu. Ce que la vie place sur notre chemin ou dont notre chemin est composé, ce sont les opportunités de développer la sagesse et d'agir avec compassion !
La « sagesse » consiste dans le dépassement de la dualité par la réalisation de la vacuité du « soi de la personne » et des phénomènes, la reconnaissance de notre véritable nature « libre du vide et du non vide », le glissement spontané dans la spatialité de l'être. « Une seule chose est l'essence de toutes choses et toutes choses sont l'essence d'une seule ! » RL-268.
Le relatif est l'aspect de l'ultime, la réalisation est une. L'opportunité de le réaliser se représentera encore et toujours, comme si la Conscience se regardait dans un miroir jusqu'à ce que le reflet du « soi de la personne » disparaisse et révèle son être véritable à l'instant intemporel de sa reconnaissance.
« Développer la compassion » consiste à
se préoccuper du sort d'autrui, par un agir qui concrétise la motivation
profonde et authentique de voir tous les êtres sensibles, sans exception, ne
plus être en proie à la souffrance, et trouver le bonheur véritable hors du
cycle des renaissances et des morts. Ne négligez pas le plus petit effet !
Même si nous ne pouvons, relativement, que soulager les êtres ne fût-ce qu'une
once de souffrance et leur apporter une once de bonheur, une cruche peut malgré
tout se remplir et se vider complètement goutte à goutte…
RL : Rayons de Lune, Les étapes de la méditation du Mahāmudrā, DAKPO TASHI NAMGYAL https://www.padmakara.com/livres-numeriques/196-rayons-de-lune-ebook-format-pdf-9782370410139.html
III.44 Indicible
entre les formes
entre-deux sans limite
puits aux bords sans fond
portées de signes
portes du sens recélé
un trait de plume
précis de penseurs
précipités de rimes
courbure de l'œil
rives du vide
rivages du sublime
terre sans contour
relief de l'être
relié de la présence
modelé de l'un
page vierge
page saturée de blanc
ombre du vide
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Cela n'est pas de l'ordre du définissable, du perceptible, de l'expérience sensible. Cela n'a ni forme ni caractéristiques, mais par contraste peut être intuitionné relativement aux choses et aux phénomènes perçus et expérimentés sous les modalités de la manifestation, comme une vue modale d'un indicible amodal…
Lorsque l'on pointe le doigt vers les choses qui nous entoure, c'est un peu comme si on traçait une ligne imaginaire jusqu'aux objets qui, telles des ondes radar qui renvoient une image par contact. Mais, lorsque l'on pointe le doigt vers l'espace, ne rencontrant jamais de limite, cette ligne se prolonge à l'infini. Et lorsque l'on retourne le doigt vers cela qui regarde, la ligne vers l'attention se fond également dans l'espace indicible de la Présence intangible de la Conscience...
Ainsi, cela qui est perçu d'une manière
amodale et cela qui le perçoit sont un même « vide de perception »,
ultimement sans discontinuité de par leur essence, et relativement sans
obstruction en leur apparence, sont sans différenciation ! Pour autant,
ils ne sont pas deux ! Ils ne sont pas non plus une « seule et même »
chose, et ne sont pas « rien » ! « Libres du vide » car
amodal, « libres du non vide » puisque saisit par la conscience
comme acte de connaissance intuitionnée. Cela ne peut être décrit par les
mots, car ils sont l'espace autour des traits qui forment les lettres, non les
lettres, leurs symboliques et le sens qu'elles recouvrent. Mais, les mots
mettent leur présence en relief et leur conscience en évidence...
III.45 Exprimer
un bouchon sur l'eau
se déplace sans bouger
reflux des vagues
sans désir propre
l'océan est sa volonté
le plein s'évase
à marée basse
demeure immobile
posé sur le fond
à marée haute
oscille sous le courant
à la surface
rien à savoir
ni haut ni bas ni comment
seule théorie
rien à faire
ni agir ni non-agir
seule pratique
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Le mythe Hindou du « barattage de la mer de lait » symbolise l'action du yoga qui vise à nettoyer l'esprit en profondeur pour le débarrasser de ses impuretés, telle une pierre précieuse enfouie dans la terre que nettoie jusqu'à la faire briller de l'éclat de sa pureté naturelle. Pour extraire « l'élixir d'immortalité », les dieux et démons qui le convoitent s'allient pour remuer le fonds de l'océan à l'aide d'une corde, où est fixée un axe, qu'ils tirent alternativement de leur côté de la rive.
Dans un fleuve, il y a toujours une couche de vase et de limon. Si l'eau est calme, ces d'impuretés resteront au fond, mais l'apparente tranquillité et clarté de l'eau en surface dissimule des empreintes qui peuvent se libérer dès lors que l'agitation survient. Plus l'on remue le fond et plus les impuretés contenues en profondeur remontent et contaminent toute l'eau jusqu'à la rendre totalement impropre. Le « Calme mental » n'est pas synonyme de l'épuration des négativités, laquelle survient dans le cheminement progressif vers l'éveil de la voie du Mahāyāna seulement lors de l'atteinte de la 10ème terre, l'état de Bouddha.
Les dieux et les démons n'auraient-ils pas eu la tâche plus facile si, au lieu de remuer des mètres cubes d'eau d'une masse considérable, ils avaient construit un barrage, enlevés le dépôt et creusés jusqu'à atteindre l'élixir ? En Amérique, à l'époque de la « ruée vers l'or », les orpailleurs écumaient les rivières avec leurs écuelles pour nettoyer des poignées de gravier avec l'eau pure des ruisseaux qu'ils salissaient au passage, mais parfois surgissaient une pépite…
La véritable nature des choses ne peut surgir sans contraste, c'est d'ailleurs le cas avec tout ce que l'on recherche. Pour comprendre que nous sommes ce nous cherchons, il faut d'abord nous en enquérir ! L'on trouve la voie par le lâcher-prise de la volonté… de trouver la voie !
« Le paradoxe de la quête est qu'il faut commencer à chercher mais qu'on ne trouve qu'en abandonnant la quête » IDC-87.
L'élixir recherché par les dieux et les démons n'est ni dans l'océan, ni dans le limon qui repose au fond de l'océan, ni sous l'océan, il surgit de leur brassage ! La quiétude, la connaissance, la joie, ne se trouvent pas à l'extérieur de nous-mêmes, pas plus d'ailleurs qu'à l'intérieur (une division arbitraire qui est un aspect de la dualité). Elles ne sont pas non le produit d'un développement ou le résultat de l'entraînement de l'esprit (lequel est relatif aux voies graduelles). Le mythe du « barattage de la mer de lait » illustre la croyance de la conditionnalité de l'être à l'agir. Or, le yoga est précisément un non-agir ! L'état du yoga, c'est avant tout la compréhension qu'il n'y a rien à faire pour être ! Qui a-t-il à faire pour réaliser le samādhi où il n'y a ni sujet ni l'objet ? L'union du yoga n'est pas un état à accomplir, mais la reconnaissance de la nature de l'esprit.
Nous avons tendance à considérer les événements de la vie, si ce n'est la vie, comme une expérience visant à connaître, développer et réaliser : connaître par la pratique ou la confrontation avec ce qui nous oppose et nous fait obstacle ; développer des capacités dans une progression graduelle, autrement dit… « agir pour être » ! ; jusqu'à l'atteinte d'un objectif déterminé (se libérer de la souffrance, trouver le bonheur, atteindre le nirvāṇa, réaliser l'éveil !).
Il n'y a rien à faire pour être, nous sommes déjà ! « Ce qui (nous) arrive » ne s'inscrit pas dans une finalité particulière, c'est le mental-ego qui a besoin de croire à la fois (!) dans la « destinée » et dans le libre-arbitre, car cela renforce l'emprise de son illusion par la croyance en son importance. Nous voyons l'adversité comme si l'univers ou une « force supérieure » s'adressait directement à nous et nous mettait à l'épreuve de nous dépasser ! Même le fait de changer d'angle et de considérer les événements comme des « opportunités » de développer, la sagesse et la compassion, sont encore une vue de l'esprit !
La Conscience n'a rien à développer ou à cultiver pour être. La reconnaissance n'est pas le fruit d'un agir. Prendre conscience de notre véritable nature n'est pas une chose à réaliser par l'entremise d'une expérience. La vie ne nous donne pas l'opportunité d'agir avec sagesse et compassion, mais d'exprimer ce que nous sommes ! La manifestation (Shakti) n'est pas produite, elle n'est pas le résultat d'un processus, elle est l'expression de la Conscience (Shiva), sous l'aspect des phénomènes, la vacuité qui revêt la forme de la cause et de l'effet.
L'expérience est un simple effet de « mise en contraste » de l'ultime par le relatif. Il n'y a pas de créateur ni de création ! Ce n'est pas une affirmation nihiliste de la croyance en Dieu, pas plus que la vacuité n'est nihiliste de l'existence de la forme. C'est une simple apparence, comme une émergence qui surgit à l'évidence de son intuition directe, sans producteur ni production. Chaque événement est l'expression de la Conscience dont l'essence est « libre d'assertion » (ni absolue réalité ni absolue irréalité), et de fait chaque chose est… parfaite !
« De même que les formes présentent des aspects variés dont la nature n'est ni une ni multiple, de même, puisque l'esprit n'existe pas séparément d'eux, sa nature n'est ni une ni multiple. Ainsi s'apparente-t-il naturellement à une illusion. Comme l'esprit, tous les phénomènes sont par nature comparables à des illusions » RL-107.
« L'existence conditionnée » dans son entièreté est l'expression de la conscience. Il y a seulement à « exprimer cette reconnaissance », qui est l'expression de la sagesse et de la compassion dans « l'ici et maintenant » non-local et atemporel… de la Présence ! Le temps n'a pas d'existence propre, il n'est que la modalité (intriquée aux perceptions sensorielles) sous laquelle nous vivons l'expérience de la croyance dans l'existence de la personne à laquelle nous nous identifions par ignorance de la nature « libre du vide et du non vide » de la Conscience. La gradualité est un aspect de la « réalité conventionnelle » et donc de la dualité !
« Lorsque vous aurez examiné la nature de l'esprit au moyen du discernement, [vous en conclurez que,] ultimement, on ne voit pas d'esprit à l'intérieur, ni à l'extérieur, ni ailleurs. On ne perçoit pas la conscience passée, la conscience future n'existe pas encore, et on ne peut pas voir [l'esprit] du présent » RL-107.
Le vide est forme et la forme est vide. Il n'y a pas d'un côté des voies graduelles qui mènent à l'Éveil et de l'autre des voies directes. Du point de vue de la réalité ultime, les voies graduelles… sont des « non-voie » ! Mais, puisque les « êtres ordinaires » (dont l'esprit est voilé par l'ignorance et les émotions perturbatrices) sont captifs de l'illusion du mental-ego, conséquemment enchâssés dans l'illusion de la temporalité relative, de leur point de vue les « voies graduelles » sont des escaliers dont chaque marche est une expérience qui mène au nirvāṇa! C'est comme s'il n'y avait lors nul autre choix que de « baratter la mer de lait », en l'occurrence de purifier ses négativités, cultiver un karman vertueux et développer les paramitas, pour se libérer de la souffrance du samsāra et atteindre l'Éveil.
La différence est dans la forme du « retournement de l'attention », c.à.d. de la Conscience sur elle-même, le fond restant la non-différenciation entre ce qui est vu et cela qui regarde. Il n'y a de changement de paradigme que pour qui évolue dans le relatif, et de « sortie » de samsāra pour qui ne voit pas qu'il est le nirvāṇa !
« La vue authentique consiste à reconnaître que le sujet et l'objet ne sont que des manifestations de l'esprit qui, dans sa nature ultime, est toujours vide d'essence. Comme l'espace, il n'est entaché par aucune entité ni attribut conceptuel : il est dépourvu de naissance, de durée et de cessation » RL-108
RL : Rayons de Lune, Les étapes de la méditation du Mahāmudrā, DAKPO TASHI NAMGYAL https://www.padmakara.com/livres-numeriques/196-rayons-de-lune-ebook-format-pdf-9782370410139.html
III.46 Immobile
dépôt d'argile
un énoncé au tableau
le bruit de la craie
elle ne fait rien
ni maintenant ni jamais
souffle d'énergie
mais elle dit tout
l'espace le temps la vie
immédiatement
simple formule
résultat et condition
son opération
universelle
de toutes choses le calcul
sans opérande
exposé abstrait
réalité concrète
sujet sans objet
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
La vie n'est pas une expérience, mais une expression. Elle n'est pas le résultat de la chance ou de la malchance – ou du résultat de la « combinatoire » karmique des vertus et des non vertus –. Même s'il est opportun de pratiquer la sagesse et la compassion à chaque occasion, étant donné que notre véritable nature n'est autre que « cela », l'instant présent n'est pas « lieu » de l'opportunité du développement des qualités de l'Éveil, mais celui où les exprimer.
A partir du moment où l'esprit se fixe sur une chose (ce peut être un grain de sable, une partie du corps, une étoile dans le ciel), il sort de la spatialité. Du moins, comme s'il « sortait », car la Conscience est tout (sans que ce Tout ne soit un absolu), indivise car non-née tel l'espace incomposé. Il n'y a rien qui ne soit pas la Conscience. Dualité et non-dualité ne sont que des apparences. Cette chose sur laquelle l'esprit se fixe n'est pas autre chose… qu'un aspect de l'esprit lui-même qui, par ignorance, lui apparaît distinct et existant de son propre côté !
Et dès lors que l'esprit s'arrête sur une chose comme si la « focale » du champ de conscience se réduisait exclusivement à celle-ci, c'est comme si la Conscience se fragmentait dans un rapport duel sujet-objet. Ce sur quoi l'esprit se fixe n'est plus alors l'esprit lui-même, mais comme un objet conceptuel de l'esprit, lequel est alors l'attention exclusive du mental-ego, auquel s'attache les émotions perturbatrices. « Dans la Loi (Vérité) du Bouddha on appelle cet esprit fixé : "égarement". Inscience = esprit fixé quelque part et passions » MSI-27.
« Tout ce qui est perçu comme une forme composée [pensée conceptuelle]
de la sphère de Bhaïrava [Shiva, la vacuité]
doit être considéré comme une fantasmagorie, une illusion magique,
une cité fantôme suspendue dans le ciel] » VT
Afin d'éviter toute méprise, il est essentiel de bien comprendre la relativité de l'affirmation selon laquelle « il n'y a rien à faire pour être ». Ultimement en effet, la Conscience est tout, depuis toujours, sans commencement ni fin. De ce point de vue, la Présence n'a « rien à faire » pour être ! Mais, du point de vue de la « réalité conventionnelle », il y a comme quelque chose à faire, car c'est comme si en s'exprimant sous l'apparence de la manifestation, la Conscience s'était comme éloignée d'elle-même et, conséquemment, que pour revenir à cet état de présence naturelle, l'esprit qui s'est comme perdu dans l'inscience devait agir dans le relatif (à l'aide de la cause et de l'effet) pour retourner à l'ultime.
« Par théorie j'entends l'état suprême où l'on ne s'occupe de rien et l'abandon de chaque pensée. Sans l'exercice de fait, ni le corps ni les mains ne fonctionnent malgré l'accumulation de théories (…) Même si vous avez de bonnes postures et manœuvrez bien le sabre, vous ne devez pas ignorer de théories importantes. Le fait et la théorie doivent être comme une roue » MSI-33.
Toutes les voies spirituelles décrivent ce « quelque chose à faire » qui est comme de revenir à l'état d'union du yoga, d'atteindre le nirvāṇa ou de réaliser l'Éveil. La « vision sans tête » de Richard Harding le décrit comme un «retournement de l'attention » sur elle-même. L'approche est très empirique. Elle consiste à pointer le doigt vers les choses pour ensuite le tourner vers cela qui regarde, aux fins de prendre conscience de l'espace sans centre ni limite de la conscience. « Ce qu'il y a à faire » n'est toutefois pas de nature topologique, mais phénoménologique.
Le Bouddha n'a pas atteint l'Éveil par la méditation, mais au sortir de, lorsqu'il a vu l'étoile du Berger dans le ciel, non pas au moment où il a fixé son esprit sur l'objet « étoile », mais lorsque sa conscience est comme redevenue « spatiale » et n'a plus établit de distinction relative entre cela qui voit et ce qui est vu, autrement dit lorsque l'étoile, le ciel et son esprit redevinrent comme indifférenciés, sans discontinuité d'essence, sans obstruction d'apparence !
Dans le Bouddhisme Zen, il y a une expression qui parle de « la sagesse immobile des Bouddhas » qui consiste à ne pas se fixer, ni à demeurer fixé, sur quelque chose, même un instant, tout en agissant, par contraste avec l'inscience qui est le fait de « tenir l'esprit quelque part ». Rester immobile, c'est « rester sans se bouleverser » devant le spectacle du monde, c.à.d. à ne pas « ne pas s'arrêter à quelque chose » MSI-27. Lorsque l'esprit se fixe sur quelque chose, c'est comme s'il sortait de la spatialité, mais lorsqu'il y demeure, surgissent alors les passions destructrices.
Cette « immobilité » est un état de l'esprit qui ne consiste pas dans la fixité de la « conscience mentale » sur un objet visualisé mentalement de la méditation tibétaine Samātha, mais comme la « souplesse de l'esprit » obtenue à l'issue de l'entraînement au « Calme mental », qui consiste dans la faculté pour l'esprit de se poser sur l'objet de son choix sans y demeurer attaché. « Rester sans se bouleverser », c'est aussi dans le cadre de cette voie graduelle, le résultat du processus de familiarisation de l'esprit par le développement de l'attention et de la vigilance, antidotes à l'agitation, à la distraction et à la dispersion.
« Alors toute perception est spatiale et toute la beauté du monde nous ramène sans cesse à l'illimité, mais si l'ego collecte nos impressions sensorielles, il les utilise pour construire sa forteresse et s'isoler du monde. Jouir de la beauté est le plus profond yoga si personne ne capture la perception.
C'est mon dernier enseignement, il est l'accomplissement de toute l'approche de Mahāmudrā, transmets-le à ceux qui en sont dignes et qui pourront survoler la sensation comme le soleil et la lune survolent les nuées » IDC-124
Du point de vue de la relativité générale, la raison pour laquelle un anneau de Moebius nous apparaît présenter deux faces ou une seule dépend de la position de l'observateur. « La sagesse immobile » relève du regard que nous posons sur les choses, mais en termes empiriques, une vue fragmentante correspond en quelque sorte à la plus petite « longueur focale », et une vue non duelle à la plus « large ouverture », qui fait la différence entre la dualité et la spatialité.
En observant un arbre, « si on fixe une seule feuille, on ne voit aucune des autres feuilles, mais si l'on ne fixe pas une seule feuille et que l'on regarde tout l'arbre sans intention, alors toutes les feuilles entrent dans notre vue » MSI-29. Cette vue s'étend à l'arbre tout entier et emporte, y compris, l'abstraction de l'observateur!
Dans le bouddhisme tibétain, la pratique de la méditation analytique Vipāssyana s'appuie, en-dehors des périodes de « méditation formelle », sur l'instruction de voir les choses comme un reflet ou comme un rêve. Une version plus moderne peut également consister à voir le monde comme un hologramme. Imaginez que les objets qui vous entourent, en apparence solides, sont aussi impalpables et intangibles que l'espace incomposé… Les choses vous paraissent exister en propre, et occuper l'espace à distance de vous. Mais, ce n'est là qu'apparence ! Il n'y a aucune différenciation entre les choses et vous-même, votre corps étant tout aussi vide d'essence propre. Lorsque tout apparaît ainsi spatial, l'espace cesse d'apparaître en soi, doté d'étendue et de profondeur, et corrélativement le temps se révèle également comme une illusion !
« La nature fondamentale étant absence de dualité
entre la vacuité et la production interdépendante,
la « vacuité dotée de tous les aspects suprêmes » [est]
un état méditatif où l'apparence
et la vacuité ne sont pas dissociées » RL-347.
Il faut toutefois prendre garder de voir cette totalité comme un néant ou comme un absolu. La vue est « spatiale », non pas lorsqu'elle embrasse la pluralité sans distinction au point que la dualité et la non-dualité, y compris, disparaissent dans le vide, ni lorsque s'y substitue le concept d'un « tout » unitaire, entitaire et nouménal, mais au moment où la relativité du réel (c.à.d. la perspective de l'observateur, de son objet et de l'observation) apparaît dans la vacuité de son essence, comme espace non-local et atemporel de la Présence.
IDC : L'incendie du Cœur, Daniel Odier https://www.danielodier.com/french/bibliographie.php
MSI : Mystères de la sagesse immobile, maître Takuan https://www.babelio.com/livres/Soho-Mysteres-de-la-sagesse-immobile/262176
RL : Rayons de Lune, Les étapes de la méditation du Mahāmudrā, DAKPO TASHI NAMGYAL https://www.padmakara.com/livres-numeriques/196-rayons-de-lune-ebook-format-pdf-9782370410139.html
VT : Vijñānabhaïrava, « tantra de la connaissance suprême », Daniel Odier https://archive.org/details/daniel-odier-tantra-yoga-le-vijnanabhairava-tantra-le-tantra-de-la-connaissance-supreme/mode/2up?q=Daniel+Odier
III.47 Commencement
le flot recule
la vague te submerge
et toujours tu cours
inverse ta vue
change de perspective
regard en miroir
horizon lointain
la distance aux choses
rapproche de soi
souffle ralenti
mouvement lent de l'esprit
retour à ici
silence mental
lève tout intervalle
sans commentaire
sans centre ni bord
la conscience se touche
le temps est bouclé
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Reconnaître que « tout est parfait », c'est accepter les choses telles qu'elles sont. La plupart du temps, nous considérons que les choses pourraient être autrement. Le mental-ego n'accepte pas que les choses puissent ne pas être conformes à nos attentes et à nos désirs. Mais, qu'elles le soient ou non, elles sont toujours le résultat de causes conditionnées ! Même si nous pouvons changer la manière dont les choses arrivent (en croyant qu'elles seront ainsi «meilleures »), elles seront toujours le résultat de « la loi de cause à effet » qui exprime le jeu de l'interdépendance des phénomènes et, en cela, elles sont parfaites !
Considérer ce qui arrive comme l'expérience d'éprouver ce que cela fait lorsque les choses ne se passent pas comme nous l'aurions souhaité est une épreuve supplémentaire que l'on s'inflige. Les choses ne seraient pas « meilleures » si elles étaient différentes ! Il n'y a nulle raison pour qu'une convergence de causes conditionnées donne un résultat « plus parfait ». Ce n'est pas même différent, cela est simplement ! Envisager une divergence (en phase avec nos désirs) est un jugement de valeur qui traduit l'emprise du mental-ego et des passions.
L'être authentique des choses est sans opposition ni dualité. Pur et impur, bien et mal, parfait est imparfait, sont des jugements du « commentateur mental » qui appose une étiquette (agréable, neutre, désagréable) sur ce qui arrive, vectrice d'émotions perturbatrices. La perfection est une illusion. Ce n'est pas le possible qui est l'objet d'expérience, c'est croyance !
Comme « expression » de l'interdépendance (de la vacuité qui apparaît comme la cause et l'effet), les choses sont parfaites, mais lorsque le mental-ego édicte «ce qui devrait être » ou « ce qui aurait dû être », cela fait apparaître comme une fragmentation égocentrée de la Conscience, qui entraîne au refus passionnel d'accepter les choses telles qu'elles sont sur la base du refus idéalise de reconnaître leur véritable nature, au-delà des mots et de l'expérience duelle.
Il est impossible d'atteindre la « perfection » car celle-ci est un objet du mental-ego, support du désir-attachement. La perfection existe et n'existe pas : elle existe en tant que « les choses sont ce qu'elles sont », c.à.d. la forme relative de la « réalité ultime » ; elle n'existe pas, car elle n'est qu'une simple désignation, la vacuité étant « vide d'essence » ne peut s'expérimenter ! La spatialité n'est pas un lieu d'expérience, ce n'est d'ailleurs pas un « lieu », c'est l'Être !
Le temps est comme une illusion. Il n'y a pas de différenciation entre les choses telles qu'elles sont et les causes conditionnées dont elles « résultent ». La neige n'est pas le produit d'une convergence de causes précisément calibrées, elle en est l »'expression phénoménale », comme la forme du vide ! Le Bouddhisme Zen dit que « même un cheveu ne peut passer entre deux choses superposées » MSI-33. Comme entre le claquement des mains et le son qu'elles produisent ou entre deux pierres frottées et l'étincelle. Ce n'est pas une question de rapidité. Ce ne sont pas non plus « deux choses » qui existent en superposition, mais deux aspects d'une seule et même réalité, « libre d'assertion », c.à.d. qui ne relève ni de l'ordre de l'être, ni de l'ordre du non-être !
Le temps n'est pas une « catégorie a priori » conditionnelle de la pensée comme le pensait Kant. C'est lorsque l'esprit se fixe sur une chose que la temporalité apparaît dans la coémergence (de l'apparence de fragmentation) du sujet à son objet. L'illusion d'un « intervalle d'espace », qui serait le lieu de l'écoulement séquentiel où s'opère le mouvement de l'esprit qui se fixe sur une chose puis sur une autre, ne peut être saisit comme tel… hors du mirage de la fragmentation de la totalité indivise, ni plurielle ni singulière !
« Agir comme une étincelle »,
c'est l'instantanéité de l'éclair qui brille soudain » MSI-36
Toutefois, pour le comprendre et encore plus pour le saisir directement (c.à.d. pour faire de la théorie une pratique), cela implique un travail de réflexion et donc une progression… dans la temporalité relative ! Sous cet angle, l'expérience fait place à l'expression. « Tant qu'on n'est que commentateur, on ne connaît pas la réalité (…) si on ne pratique pas selon l'explication, on ne peut connaître clairement l'esprit. La réponse viendra par une réflexion profonde » MSI-38.
Le commentaire n'est pas la réalité comme l'objet la chose. Aussi, il est paradoxal de devoir « réfléchir » pour être spontané, cette spontanéité qui est «l'esprit du Zen », la « sagesse immobile », qui ne produit pas comme des intervalles dans l'indicible ! Mais, elle peut le devenir. « L'essentiel est de ne pas fixer son esprit sur une chose » MSI-35. Le commentaire spontané, non réfléchi, sans pensée ni intention, est sans discontinuité à la chose. Le non-commentaire est la réalité même, l'objet abstrait de toute fixation, sujet sans objet. « Si l'espace de temps entre le sabre adverse et le sien n'est pas plus grand que l'épaisseur d'un cheveu, alors le sabre adverse deviendra le sien » MSI-34.
Au terme du développement relatif de la sagesse qui réalise la véritable nature des choses – l'ainsité de la forme-vide et du vide-forme –, « l'état d'arrivée » (l'immobilité de l'esprit qui ne se fixe plus sur un objet par désir-attachement) est similaire à « l'état de départ » (l'esprit qui « se tient quelque part », l'égarement de la « sagesse immobile » qui entraîne les passions destructrices). « Lorsqu'on approfondit la Loi (Vérité) du Bouddha, on devient comme un ignorant qui ne connaît ni le Bouddha ni la Loi (Vérité). Ainsi, le niveau de l'inscience et des passions où l'on était au début, et où notre esprit était fixé quelque part, et celui de la Sagesse immobile atteint plus tard ne font qu'un » MSI-32.
Il peut être étonnant de penser que la fin est le début, l'alpha l'oméga. Dans la voie analytique de la méditation Vipāssyana du Bouddhisme tibétain, la vacuité de la « saisie (innée) du soi » de la personne et celle des phénomènes se réalise séparément, ce qui donne l'impression de leur existence distincte. Or, comme le son produit par les mains qui applaudissent ne sont pas deux moments distincts, l'esprit se saisit comme cela qui saisit… la chose qu'il fixe ! Cela ne se produit pas « en même temps » (en regard du temps comme référentiel), mais comme s'ils s'autoproduisaient l'un l'autre en coémergence du temps !
De fait, l'inverse est vrai également. Sans objet, l'esprit (re)devient spatial – ce qu'il ne cesse jamais d'être par nature, la spatialité s'entendant comme la non-dualité sujet-objet –. Alors, l'illusion du temps (séquentiel), c.à.d. « l'effet de perspective » induit (comme) par le mouvement de l'esprit qui se fixe quelque part, se dissipe avec la non-localité dans la cessation de l'égarement.
« Avec le temps, je m'élève plus haut que les cimes des monts ;
avec le temps, je descends plus profond que les fonds des mers (…)
avec le temps, je me fais un avec l'étendue terrestre et la voûte du ciel.
Ce que j'appelle le temps d'une présence veut dire
que la présence participe du temps
et que le temps participe de la présence » Shōbōgenzō
Le temps est une illusion quelle que soit la forme de son apparence ! Son caractère séquentiel (passé, présent, futur) est un « effet de perspective » comme un anneau de Moebius paraît avoir deux faces sous un angle donné. Cela ne signifie pas que la véritable nature du temps, masquée à nos esprits voilés, soit circulaire ! C'est là aussi un « effet de perspective » dont l'argumentaire ne doit pas nous égarer quant à la vacuité de son essence. Une seule main qui applaudit ne produit aucun son, lequel est coémergent à l'action des deux mains. L'on ne peut pas penser séparément ce qui n'existe pas comme tel !
C'est seulement en apparence relative, tant que nous sommes encore (comme) sur une voie graduelle et que nous n'avons pas (comme) dépassé toute dualité, que « le plus haut et le plus bas deviennent semblables » MSI-32. Ultimement, ils n'ont jamais cessé de l'être ! À l'instant, il fait sens de demander qui de l'œuf ou de la poule est le premier ? Dans la vacuité, leur coémergence est l'évidence !
A mesure que nous parcourons un chemin spirituel et développons la « sagesse de l'immobile » (par le détachement du désir de fixation), notre cheminement se révèle comme cocréateur du temps. Il advient un moment insaisissable(seuil intemporel de la dissipation de l'illusion) où l'esprit semble comme basculer dans l'au-delà de la connaissance, où le mental se tait, où il y a seulement l'être! La fin et le début sont sans différenciation. Ne se fixant sur rien, l'esprit embrasse l'ainsité où la forme et le vide ne sont qu'apparences. « On perd le travail de la sagesse et on s'établit au niveau sans pensée ni réflexion. Lorsqu'on parvient au niveau ultime les pensées n'interviennent pas du tout » MSI-32.
MSI : Mystères de la sagesse immobile, maître Takuan https://www.babelio.com/livres/Soho-Mysteres-de-la-sagesse-immobile/262176

Au-delà du savoir
III.48 Mu
dans le silence
la fleur s'élève au ciel
au son du vide
sous la lumière
le chien s'exclame de joie
à l'œil du maître
dans l'invisible
l'arbre tombe au désert
au pied du témoin
la vue se pose
la question fait réponse
l'oiseau s'envole
l'esprit s'entrouvre
à l'éclosion de l'aube
le lotus fleurit
le rêve finit
l'énigme est mystère
la vie s'écoule
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Il y a expérience lorsque « cela qui est perçu » se distingue de « cela qui perçoit » en regard de leur distance et de la temporalité de leur manifestation, c.à.d. de par les caractéristiques sous lesquelles l'un apparaît comme objet de l'autre. Or, cette opposition duelle contient en elle-même leur non-dualité en tant que cela qui est perçu apparaît dans « l'espace de représentation » et, pourrait-il dire, en raison de l'existence même de cela qui le perçoit. Autrement dit, nous ne pourrions pas avoir l'impression que les choses existent de leur propre côté si de ce côté-ci, il n'y avait rien pour en saisir la cognition ! De ce point de vue, l'existence des choses comme « existant intrinsèque et autonome » semblerait donc dépendre… de l'existence de la conscience comme « condition a priori », ce qui en ferait « l'existant premier » causal de toutes choses !
Toutefois, cette vision substantialiste, qui fait de la dualité le caractère propre du réel, repose sur une aperception erronée. Ce biais de l'esprit voilé devient évident dans la méditation, lorsque cela qui est perçu s'efface progressivement jusqu'à se fondre totalement en cela qui perçoit ! Est-ce l'objet qui se fond alors dans le sujet, l'inverse ou les deux simultanément ? Impossible à dire tant le glissement est indissociable de l'atemporalité du non état résultant ! Cela qui est alors est si totalement indifférencié (sans vis-à-vis duel, sans pluralité, sans unité) qu'il constitue une véritable « singularité » en regard de la pensée conceptuelle, ce qui le rend tout simplement indicible ! Dans cet état d'union sans union, il n'y a plus d'expérience, il y a simplement l'expression de l'être !
« Jadis, le Vénéré du monde éleva une fleur devant l'assemblée des moines, réunie sur le pic des Vautours. Tous restèrent silencieux. Seul, le vénérable Kāshyapa sourit.
Le Vénéré du monde dit : "Je possède le Trésor de l'œil du vrai Dharma, le subtil esprit du nirvâna, la vraie forme sans forme et la porte merveilleuse du Dharma. Il ne dépend ni des mots ni des lettres et est transmis hors des sutras. Je le confie à Mahākāshyapa », Maître Dōgen Zenji
Lorsque le Bouddha présenta une fleur à la Sangha sur le pic des vautours, ce geste exprimait le caractère non expérientiel de l'Éveil. L'esprit voilé, qui s'identifie et s'expérimente comme « conscience-sujet », saisit cela qui est vu (qui n'est qu'un « objet conceptuel » projection de sa propre croyance), comme extérieur à lui, où la fleur apparaît comme une « expérience réelle ». En parallèle de la dualité, cet objet épistémique est saisi comme « ressenti phénoménologique » (impressionniste), consubstantiel de cela qui voit, où la fleur apparaît comme une « expérience subjective ». L'esprit qui saisit l'ainsité de la véritable nature des choses (« libre du vide et du non-vide ») n'établit plus de distinction ni de nature ni d'apparence, où la fleur est l'expression indicible de la vacuité d'existence propre de cela qui est perçu et de cela qui perçoit.
Un koan Zen demande « le chien a-t-il la nature de Bouddha ? ». « Mu ! » répond le maître, terme qui comprend plusieurs sens : utilisé comme adverbe pour réfuter une proposition, « mu » signifie non ; comme nom, il a le sens de « non-existence », « vide », et exprime la vacuité ; comme préfixe, il traduit la notion «d'absence », de « sans ». Du point de vue relatif, la nature du chien est celle des « illusions karmiques », mais ultimement, il la possède puisque la vacuité d'existence inhérente et autonome est l'essence de toutes choses. Le chien est donc… sans nature ! L'on comprend mieux dès lors qu'il ne puisse avoir la nature de Bouddha, laquelle est également… vide d'essence ! Comment « l'absence de nature » du chien pourrait-elle posséder « l'absence de nature » de Bouddha ?
« Si quelqu'un venait à dire que le Tathāgata
a vraiment réalisé l'Éveil parfait et insurpassable,
cette personne parlerait faussement.
Le Tathāgata n'a rien réalisé de tel qu'une réalité
qui serait un plein Éveil manifeste, parfait,
authentique et insurpassable »,
sutra du diamant
« Mu » dans le contexte du koan est une réponse a un énoncé « indécidable », soit qu'il mélange le relatif et l'ultime (désignation et vacuité), soit qu'il exprime la vacuité (la forme du vide et le vide de la forme), laquelle est « libre d'assertion » (ni être ni non-être) et ne peut donc se dire que comme ce qu'elle n'est pas. Ainsi, l'on ne peut pas dire que le chien possède (terme positif) la nature de Bouddha qui est « vide d'essence propre » (expression appositive). L'on ne peut pas dire non plus que la nature ultime du chien n'est pas la vacuité d'essence intrinsèque ! Donc, on peut seulement dire, sans affirmer quoi que ce soit quant à cette nature, que chez le chien et le Bouddha, elle est sans discontinuité et sans obstruction !
L'importance du koan n'est pas de comprendre intellectuellement, mais de remette en question nos croyances et nos certitudes quant à la réalité des choses, aux fins de dépasser le conceptuel, la connaissance, l'expérience, pour nous ouvrir « à être » ! Si celui qui pose la question croit en la « réalité » de sa propre nature, il pensera alors que la réponse doit également recouvrir un existant autonome. Mais, réalisant la vacuité de son existence, il sait (un non-savoir, non- intellectuel) que la réponse est sans opposition.
La réponse englobe la totalité de ce qui est, (le vide de) la nature de celui qui pose la question, (le vide de) la nature de celui qui donne la réponse, (le vide de) la nature de cela qui est l'objet de la question, et (le vide de) l'univers entier. Sans plus de distinction mentale entre sujet et objet, question et réponse, cela qui est perçu et cela qui perçoit, tout apparaît alors sans différenciation.
« Face à celui qui l'interroge,
Joshu [le maître] se jette lui-même,
et l'univers entier avec lui, dans Mu.
Ici, il n'y a plus, ni Joshu,
ni le monde, seulement Mu » MU
Pour parvenir à ce non-état, qui s'obtient et ne s'obtient pas, qui résulte et ne résulte d'aucun processus, la raison et le doute ne sont pas projetés l'un contre l'autre dans un débat confrontant, qui nourrit l'illusion des opposés (corps versus esprit, début vs fin), mais comme dissout par l'évidence de l'absence de discontinuité et d'obstruction dans la nature et l'apparence des choses « libre du vide et du non-vide ». « Se jetant dans MU, Joshu prend avec lui le monde et celui qui pose la question et les ramène au point zéro » Ibid. au centre sans centre de son expérience, au cœur de sa conscience non duelle, sans intérieur ni extérieur, où il n'y a plus ni notion positive ni notion négative.
« L'existence conditionnée », puisqu'elle est le résultat de nos actes passés, a un caractère confrontant. De fait, ce qui (nous) arrive fait souvent « obstacle » à nos attentes, fait naître la frustration en s'opposant à nos désirs, et nous confronte à l'épreuve de la souffrance comme résultat karmique. Cependant, de nombreuses voies spirituelles opposent le relatif comme moyen d'atteindre l'ultime (sur la base de la dualité du pur et de l'impur comme le Bouddhisme tibétain par exemple) – là où le développement personnel s'égare en opposant le relatif au relatif –.
De prime abord, il y a une différence entre la méditation du « Calme mental » (qui consiste à maintenir la « conscience mentale » avec clarté et stabilité sur un objet visualisé mentalement), le Mahāmudrā du Shivaïsme du Cachemire (qui instruit de « poser l'esprit sans contrainte » sur l'esprit), lequel se rapproche de la méditation « zazen » (qui consiste à ne pas fixer l'esprit sur une chose), ces deux techniques amenant à la spatialité de la nature authentique de la conscience.
La visée de toutes les voies est la même, aller « au-delà du par-delà » de la dualité et de la non-dualité, de l'union/résorption du sujet et de l'objet. Mu ! Les méthodes diffèrent entre une mise en « contraste forte » entre les opposés et une mise en « contraste faible ».Ainsi, là où le Bouddhisme tibétain procède d'une« attention focalisée » sur la frontière entre la perception et la conscience (l'objet et le sujet), pour trancher l'ombre de l'ignorance par la lumière de la sagesse, le Zen et le Shivaïsme se distinguent par une « attention ouverte », sans intentionalité, sur l'absence de limite claires entre les choses.
« Les tâches de lumière et d'ombre prêtent une certaine confusion à la Vision (…) si le regard s'attache à un point fixe dans le flou des lumières environnantes, (…) l'œil ne localise plus et perd tout rapport avec le monde visible. Le yogin rentre alors en lui-même et le Soi resplendit à l'instant précis où s'effacent les limitations inhérentes à la conscience objective » VTLS-116.
D'autres voies comme l'advaïta vedanta ou la « vision sans tête » procèdent d'un degré de contraste encore plus faible par le retournement de l'attention sur elle-même. Entre le son et le silence, il y a une nette différence, au point de facilement susciter les émotions perturbatrices, et la confrontation avec autrui. Mais, quelle différence y a-t-il entre la « conscience du silence » et la «conscience du son » ?
Lorsque le doigt pointe dans la direction de cela qui perçoit et non plus de cela qui est perçu, l'espace vide sans centre ni bord au-dessus des épaules s'ouvre à la totalité de ce qui l'entoure sans aucune limite. Entre ce « vide de perception » et ce qui y apparaît, sans contraste entre l'espace de la conscience et ce qu'elle accueille, rien qui ne soit conscience sans obstruction ! Cela qui est vu (la forme, le relatif, les apparences) et cela qui voit (le vide d'essence, la vacuité, l'ultime) se présentent comme des opposés à l'esprit égaré (qui demeure quelque part), mais apparaît dans son ainsité à l'esprit éclairé, où la conscience de la forme-vide et la conscience du vide-forme sont sans différenciation !
« Sans penser, sans agir, sans mouvement, tout à fait tranquille.
C'est la seule manière de manifester de l'intérieur,
en toute inconscience, l'Être essentiel et la loi des choses,
et de devenir enfin un avec le ciel et la terre » MC-86.
Les aboiements d'un chien, les cris d'enfants, le klaxon d'une voiture, etc. ne peuvent nous déranger qu'à la condition que nous soyons… conscients de les entendre ! Pendant la méditation, êtes-vous dérangé par le fait « d'être conscient de méditer » ? Autrement dit, lorsque je me plains qu'un bruit me dérange, c'est comme si j'affirmais que « c'est ma propre conscience qui me dérange » !!! Si je dirige mon attention sans la fixer « sur cela qui est conscience », alors cela qui est perçu et cela qui perçoit s'abstraient, et l'esprit (re)devient spatial. Et en son état naturel, l'esprit n'est dérangé par rien !
« Une seule chose compte : pas la moindre trace de conscience du moi ne doit entrer en jeu (…) Quand tu es dans cet état, dégagé de toute conscience-moi, quand tu agis sans agir, sans intention ni artifice, en accord avec la grande Nature, alors seulement tu es sur la voie juste » MC-84
Lorsque la conscience « quitte » son état d'immobilité naturelle, c'est comme si cela entraînait la réification de l'espace et du temps, la conscience se fragmente alors dans sa saisie comme sujet à la saisie de son objet. « Dans la mesure où les choses gardent une forme, elles définissent toujours une contre-forme. Tout ce qui se pose en quelque chose a sa propre forme. Si mon être profond n'est pas établi en une forme propre, il n'existe pas non plus de contre-forme » MC-87.
Il y a plusieurs chemins (fortement, faiblement ou totalement non contrasté), jusqu'à la résorption complète de toute forme et contre-forme qui correspond au « retour à soi-même », comme il y a autant de manifestations plurielles de l'être, mais un seul nous correspond comme il n'y a qu'une seule nature, une seule spatialité, une seule Conscience, au-delà de la pluralité et de l'unité « libre du vide et du non-vide ». Lorsque l'esprit ne se pose sur rien, il embrasse tout, la question comme la réponse, l'au-delà du sujet comme le par-delà de l'objet.
« Seul accédera à la grande clarté l'homme libre de tout ce qui détourne de la voie (loin du centre), et surtout de toute pensée définissante. Si l'on ne met aucune entrave à l'être et à sa rencontre, si l'être est affranchi du moi et de toute chose, il peut, quand cela importe, se manifester en toute liberté » MC-86.
MC : Merveilleux chat et autres récits Zen, Karlfried Graf Dürckheim
MU : Mu, le koan du simple, Dojo Zen "La Montagne Sans Sommet" https://www.facebook.com/meditationZenparis
VTLS : Vijñānabhaïrava tantra, Lilian Silburn https://archive.org/details/LilianSilburnLeVijnanaBhairavaTexteTraduitEtCommente1961Pdf/mode/2up?q=Vij%C3%B1%C4%81nabha%C3%AFrava+tantra+Lilian+Silburn
III.49 Instantané
pas frappés au sol
l'action arrête le temps
au bruit des épées
action réflexe
pas plus fin qu'un cheveu
claquement brusque
l'esprit se délie
la cible est la flèche
souffle sans contact
la pensée fige
le ciel en son étendue
regard de stupeur
savoir fulgurant
ton épée est la mienne
cri de victoire
attaque touche
le présent est du passé
lumière verte
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Selon la philosophie du Bouddhisme tibétain, chaque être sensible a en lui les «graines de la bouddhéité » à l'état de potentiel qu'il s'agit de faire germer, éclore et fleurir, ce qui implique un processus de développement (l'entraînement à l'éthique, à la concentration et à la sagesse). Or, le voile de l'ignorance et les voiles des émotions perturbatrices empêchent la manifestation de cet état latent. Purifier nos « voiles karmiques » fait donc partie de la voie.
Selon le Shivaïsme du Cachemire, tout est déjà là ! La conscience est tout, l'esprit illuminé depuis toujours. Il y a seulement à le reconnaître. Il n'y a pas besoin de chasser les nuages pour permettre à la lumière de briller, car les nuages font aussi parties de la Conscience. Tout l'univers en est le jeu ! Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de « processus », seulement le yoga des tāntrikas ne procède pas d'une « transformation » mais d'un changement de paradigme et de perspective. La « reconnaissance » n'est pas le résultat d'un processus de purification, lequel s'inscrit dans la dualité, mais d'une « mise en évidence ». Aussi épais que soient les nuages, la trajectoire du soleil l'amène à adopter un angle incliné qui, à un moment donné, lui permet… de briller sans avoir à les percer !
Les différences entre ces deux traditions spirituelles résident dans leur angle d'approche : le Bouddhisme tibétain opère par la mise en contraste de l'ombre à la lumière ; le Shivaïsme par leur analogie. Autrement dit, l'un va de l'ombre à la lumière, l'autre amène à saisir que l'ombre est le jeu de la lumière.
Dans tous les cas, la méditation est l'expression de notre être authentique. Elle ne produit rien, mais nous révèle à l'évidence de nous-même. Le Bouddhisme Zen voit également les choses comme un « effet de perspective ». L'égarement (l'ignorance) consiste dans l'esprit qui, en se fixant sur quelque chose, se coupe de la totalité en se différenciant de son objet comme sujet. Zazen est l'état de «l'esprit qui ne se fixe sur rien et embrasse tout », lequel mène au satori (l'Éveil).
Dans les voies mystiques, l'éveil à notre véritable nature est vu comme la «reconnaissance de Dieu en l'homme et de l'homme en Dieu », ou exprimé en d'autres termes comme le fait que ta conscience contient toutes choses en son cœur en même temps qu'elle est contenue au cœur de toutes choses. Toute chose est la manifestation (Shakti) de la Conscience (Shiva), qui exprime en elle tout l'univers, la forme du vide au sein du vide de la forme.
Eut égard au caractère « libre d'assertion » du réel ultime, cette définition selon laquelle « la partie contient le tout qui se contient lui-même dans chacune de ses parties » n'est elle-même… qu'une désignation ! La conscience ne se contient pas véritablement elle-même. La Conscience est. Relativement, c'est comme si elle était à la fois son propre contenant et son propre contenu (« tout est réel, tout est illusoire, tout est vrai »), sans discontinuité et sans différenciation. Ainsi, la vacuité de la réalité ultime (qui s'apparaît relative en son ainsité) a pour «effet relativiste » que l'univers est le lieu où l'être (comme incarnation) vient à sa rencontre manifeste à chaque instant (non-local et atemporel) de « l'êtreté », lieu qui constitue par le fait l'opportunité de sa propre reconnaissance !
Le koan Zen est à l'intersection des voies indirectes et directes, où le retour au véritable soi/non-soi est la conjonction du relatif et de l'ultime, où, sans obstruction, la pratique et le non-agir, la fixation et la non focalisation de l'esprit, l'inscience et les passions, l'intellect et l'intuition, la question et la réponse, celui qui interroge et celui qui y répond, se superposent sans discontinuité dans l'unité de toutes choses, au « point zéro » du cœur de l'ainsité.
Du fait de la coémergence de la conscience à son objet, dont l'interdépendance des phénomènes est le « versant manifesté », il ne fait pas sens de demander quel est le bruit d'un arbre qui tombe en forêt sans personne pour l'entendre ? Il n'y a pas d'ombre sans lumière, de sagesse sans passion. Si la conscience-sujet n'est pas établie en « contre-forme », point de forme objectivée ! La réponse est alors « mu », aucun bruit ! Or, le relatif ne disparaît pas à la vue de l'ultime !
« Si l'on se libère foncièrement de toute chose,
on se trouve en harmonie avec le monde,
un avec toutes choses dans la grande unité du Tout » MC-87.
En sa spatialité naturelle, la conscience est sans centre ni limite. Elle s'étend bien au-delà de ce que nous percevons immédiatement lorsque l'esprit se fixe sur quelque chose, se fragmente, se réduit en se repliant de telle sorte qu'il s'apparaît alors comme une partie distincte de lui-même... Dans sa totalité indivise et sans objet, où là-bas est ici, et où ici est nulle part… ailleurs que « conscience sans objet », nulle distance ne sépare l'arbre de la Conscience, et il n'y a aucune différenciation entre la Conscience et la chute de l'arbre. La réponse est alors, « mu », ni bruit ni absence de bruit, l'ainsité de l'être !
« Ton corps, tout entier est la question.
Ton corps tout entier est la réponse.
Le monde et ses créatures sont la question.
Le monde et ses créatures sont la réponse.
L'amour et la haine, le bonheur et le malheur sont la question.
L'amour et la haine, le bonheur et le malheur sont la réponse.
Tu es la question. Tu es la réponse.
Lorsqu'il n'y a plus de MU, tout est ainsi » MU.
MC : Merveilleux chat et autres récits Zen, Karlfried Graf Dürckheim
MU : Mu, le koan du simple, Dojo Zen "La Montagne Sans Sommet" https://www.facebook.com/meditationZenparis
III.50 Non-agir
vagues marines
un bateau sille les eaux
ressac dans l'esprit
la vie défile
avide de pitance
plumes irisées
au bord de berge
un vol d'ailes distraites
clac clac font les becs
jeu de lumière
le soleil jette un pont
au bout du tunnel
sans un mouvement
le courant immobile
emporte le temps
sous la surface
les herbes dansent
dans le silence
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Nonobstant que nous considérions les choses à l'inverse de ce qu'elles sont, les opportunités comme des obstacles, l'expression de l'être comme expérience, les mots ne permettent pas de décrire l'au-delà du par-delà de toute définition. Les mots n'ont pas pour but de comprendre cela, mais de ne pas se méprendre quant à ce que cela n'est pas, l'être comme entité, la vacuité comme néant.
Depuis notre position relativiste, il n'est pas exagéré de dire que nous ne pourrons jamais réellement comprendre la véritable nature des choses comme un objet de la pensée, ce que le mental-ego se refuse d'accepter en opposant toujours nombre d'arguments, comme de s'appuyer sur les progrès de la science pour affirmer la possibilité d'une connaissance rationnelle à défaut d'être empirique, de la nature fondamentale de ce qui est.
L'on n'insistera jamais assez sur le sens de ce que signifie véritablement « libre de toutes assertions », tant que toute équivoque ne sera pas levée, tant que le moindre doute persistera. Il est important de comprendre que la Conscience ne veut rien, non pas qu'elle soit dénuée de volonté, mais parce qu'elle est « libre de toute fixation », et il n'y a rien dont elle ne veuille pas, puisqu'elle est « libre de toute non-fixation » ! Le désir est l'expression d'un manque illusionné induit par le sentiment égocentré de soi. La Conscience ne désire rien et n'a besoin de rien, car elle est « libre du non-être » puisqu'elle est Tout ! Elle est aussi « libre de l'être » puisqu'il n'y a rien… qu'elle ne soit pas !
« Il n'y a pas d'état différent, ni aucun lieu
où nous serions séparés de l'essence.
Rien à faire qu'à continuer à être totalement présents (…)
Une fois cette découverte faite, les objets du désir
ne sont plus différents de nous-mêmes.
Tout est intérieur.
"Tout désir est le reflet du seul désir du Soi",
Abhinavagupta IDC-87
L'action de rechercher vient de l'intention motivée par la croyance que nous existons de manière différenciée dans l'espace et de manière séparée dans le temps. La Conscience ne recherche rien… car tout est déjà là ! L'être est « libre de l'étendue et de la temporalité », et puisqu'il se manifeste comme relativité, l'être est également « libre du néant de l'espace et du temps ».
La Conscience ne connaît pas le doute, de l'esprit prisonnier des filets de l'identification au personnage, car elle est « libre de toute connaissance ». Nous sommes ce que nous cherchons, donc fondamentalement « libres de toute non-connaissance ». Comment comprendre alors que « chaque personne qui cherche, consciemment ou non, quelque chose de plus élevé, susceptible de donner un sens à sa vie, est au fond déjà animée par l'ÊTRE qui, en elle et par elle, cherche de manière pressente à se manifester dans le monde » MC-19 ?
Sur une gourde vide à la surface de l'eau, exercez une pression, puis relâchez. La gourde sera soudain projetée dans une direction aléatoire. Et pourtant, elle n'a en elle-même aucune force ! Le Bouddha a enseigné que « nous sommes notre propre ennemi, mais aussi notre propre allié ». Comme un paradoxe à la loi du karman, selon laquelle un effet est de même nature que l'acte qui l'a produit, une action à notre encontre peut également constituer une action… en notre faveur !
Le mental-ego fabrique un projet de vie égocentré, comme un « plan de bataille» pour conquérir le bonheur et vaincre la souffrance. Or, aucun plan n'est parfait, car il dénie l'impermanence. Ce ne sont pas ses failles qui le perdent, mais la pression exercée par le mental-ego qui finit par entraîner son auto-effondrement !
Une gourde vide, même ouverte, flottera à la surface de l'eau. Mais, il suffira d'une légère pression pour qu'elle se remplisse et s'enfonce subrepticement, jusqu'au moment où elle finira par couler sans même nous en apercevoir ! Un esprit léger, qui se pose sans se fixer sur les choses, sans s'y attacher par désir ou les rejeter par aversion, peut se maintenir à flot dans les courants de la vie. Mais, si l'esprit s'emplit de pensées, de préoccupations et de passions égotistes, il s'alourdit et finira insensiblement pas couler sous le poids de la charge.
Lorsque quelque chose ne se passe pas comme nous l'avions prévu – et rien ne peut jamais se passer véritablement comme nous le désirons, car le désir est une croyance erronée qu'il nous manque quelque chose pour être ! –, nous évoquons l'œuvre d'une force occulte qui cherche à nous empêcher d'atteindre le bonheur (le sort, le destin, le karman, l'univers ou quelque nom qu'on lui donne), sans voir l'opportunité qu'elle présente de briser les chaînes de notre dépendance…
« Quand une personne a atteint une forme de savoir ou de réalisation,
un seul malheur peut lui arriver : rester arrêtée à cette forme acquise
et s'y figer ! Si le destin lui veut du bien,
il lui fait tomber l'acquis des mains avant qu'il ne se cristallise (…)
quel est le plus grand danger pour cet être intérieur ?
C'est de se maintenir dans ce qu'il est devenu !
L'être humain doit se maintenir dans la croissance,
et toujours croître, sans fin ! » MC-10.
Il n'y a pas là d'autre force en jeu que celle de la « saisie (innée) du soi » de la personne. La frontière entre notre pire ennemi et notre meilleur ami est très floue, car elle n'est qu'un mirage ! La forme n'est que l'aspect du vide. Ce mental-ego, fruit de la conscience qui par égarement se fragmente, au point de croire en l'existence réelle du personnage et de se dédier à sa propre suffisance, n'est pas autre chose que « l'expression modale » de l'être qui se renvoie en miroir l'esquisse amodale de sa propre silhouette ! Ainsi, cela qui cherche à nous « faire sortir » de la cage du mental-ego n'est pas la Conscience en tant que telle, mais le mental-ego reflet de la Conscience « libre du relatif et de l'ultime ».
IDC : L'incendie du Cœur, Daniel Odier https://www.danielodier.com/french/bibliographie.php
MC : Merveilleux chat et autres récits Zen, Karlfried Graf Dürckheim
III.51 Interstices
sur le quai pavé
le ciel forme un plancher
clameurs du repas
les doigts dérapent
intervalle silencieux
un éclair jaillit
instant d'interdit
l'espace est tranché net
bruit métallique
là-haut l'abandon
le désir fuit son auteur
léthargie frustrée
en bas le réveil
une fenêtre s'entrouvre
la vue s'éclaire
chance propice
le sort est une fissure
le jour fend l'ombre
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
« Tout arrive pour une bonne raison », du moins aimons-nous à le croire, car cela donne du sens à la vie, une explication à la souffrance, une légitimité au bonheur. Nous expliquons les choses par le fait d'une volonté supérieure, d'une causalité physique, de « l'interdépendance des phénomènes », du karman. Et le monde semble ainsi tourné, structuré, mû, par un ensemble de règles qui lui confèrent une cause, une cohérence et une finalité, même si nous critiquons le fait que l'univers soit moins souvent de notre côté que nous le souhaiterions…
Même si le monde semble régi par une certaine logique, celle-ci nous échappe la plupart du temps, et nous étonne toujours. Parfois, les événements qui reflètent le plus cette « vision mécaniste » ce sont ces coïncidences troublantes qui, par leur caractère improbable, semblent dissonantes au regard du possible ! Or, qu'une chose ait une très faible probabilité de se produire ne signifie pas que sa survenue viole les probabilités ! Ce « biais de confirmation » suffit toutefois à nous apparaître comme un « bug dans la matrice », et à remettre en question la représentation même que nous avons du monde, voire à nous suggérer que l'univers cherche de la sorte à nous faire passer un message…
« Ce qui se révèle, dans [le satori] en bouleversant tout en profondeur, peut déjà en permanence se deviner à travers les fissures de la coquille de notre vie, ne cesse de nous toucher à travers l'épaisse peau de notre conscience ordinaire, résonne à nos oreilles à travers tous les bruits quotidiens comme un son venu d'un autre monde – sans arrêt, l'homme peut constater la fidélité avec laquelle l'Être le hante, l'appelle, et l'exhorte sur tous les plans » MC-19.
Lorsque l'extraordinaire surgit brusquement au cœur de l'anodin, il peut prendre les formes les plus inattendues, comme par exemple un couteau qui tombe des mains d'un convive en train de manger en terrasse, qui passe entre les lames du plancher, et tombe un pas devant un passant avec un bruit métallique sur le sol !
Dans un rêve, nous sommes persuadés que « tout est réel ». Au sortir, nous comprenons immédiatement que « tout est illusoire », sans que la capacité de rêver nous apparaisse dissonante ! Or, c'est pourtant en regard des événements qui s'y produisent par rapport aux probabilités que ces lois rendent possibles, que surgit l'évidence de son irréalité, et même en sachant le rêve fictionnel, nous considérons son existence comme naturellement « vraie » !
Que la sensation de glisser subrepticement dans la spatialité au cours de la méditation (ou en dehors), nous apparaisse tout aussi vraisemblable, alors même qu'entrer en « état d'union » avec l'être de toutes choses remet en question… le caractère intrinsèque de la dualité, ou que la possibilité pour l'esprit de s'abstraire de l'espace et du temps au sein même… d'une réalité structurée par un référentiel espace-temps ne présente pas un caractère dissonant, témoignent de l'emprise de l'illusion de la « saisie (innée) du soi » de la personne et des phénomènes !
Observez l'existence humaine dans le monde actuel, saturé d'activités, toujours en mouvement, emplit de bruits et d'agitation, de paroles et de palabres, de cris et de souffrance, jamais satisfait, toujours plus exigeant... Puis, posez votre regard sur la nature et regardez sous la surface des choses... Voyez par exemple les herbes aquatiques qui se meuvent lentement dans le silence du courant d'une rivière. Ces plantes ne sont pas douées de volonté propre, le courant qui les fait danser n'est pas animé de désir, comme le couteau qui passe entre les lames d'un plancher n'est pas mu par son propre pouvoir, pas plus que le bruit qu'il fait au contact de la pierre n'est commandé par sa volonté de frapper nos oreilles !
Rien n'a été calculé dans cet événement. Ce n'est ni un hypothétique « sens caché » ni les probabilités qui rendent sa coïncidence troublante, mais l'effet de contraste (voire de rupture soudaine) qui fait ressortir la liberté fondamentale de la vie, « libre de l'agir et du non-agir », libre de toute intentionnalité, spontanée et authentique, par rapport à la conception du mental-ego qui cherche à plier le monde à sa volonté et selon ses désirs, en s'affirmant… mu par libre-arbitre !
La vie ne correspond absolument pas à cette vision illusionnée. De par la vacuité de son essence, la vie est « libre de volonté », « libre de désir ». Et en même temps, puisqu'elle se manifeste en interdépendance de causes et de conditions, la vie se trouve également être « libre d'absence de volonté » et « libre d'absence de désir ». Les herbes aquatiques ne bougent pas selon leur volonté propre, mais elles bougent ! Le courant ne les fait pas se mouvoir au gré de son désir, mais en s'écoulant, il les fait onduler à son passage ! L'existence des choses, le caractère de fluidité de leur mouvement, tout cela est l'expression de la combinatoire de l'interdépendance des « phénomènes composés impermanents ».
Or, il n'y a rien là qui soit le fruit d'un « libre arbitre », d'une intention propre à des forces intérieures comme des esprits animiques, ou à des puissances extérieures comme des dieux joueurs, au « destin » qui commanderait à la nature, ou à la toute-puissance d'un « Dieu créateur ». Il n'y a rien là qui soit l'expression d'une quelconque intention à notre égard, d'une volonté cachée, d'un plan dans lequel nous occuperions une place privilégiée. Il n'y a que le mental-ego pour penser que l'univers ou Dieu puisse s'adresser personnellement à notre personne !
Comme dans cet autre koan Zen, le drapeau qui flotte au vent n'est pas mu par sa volonté, ni par le désir du vent, et si tant est que l'esprit le meuve… ce n'est pas non plus de par sa décision ! Les choses arrivent du fait de l'interdépendance, de l'impermanence et de leur vacuité d'existence propre, sans qu'il n'y ait de désir singulier à l'œuvre. Le fait que nous en soyons témoins ne confère pas un sens à ce qui serait autrement absurde si personne n'en était conscient !
Le but du Zen, ce n'est pas de nous libérer de l'étau du mental-ego, qui cherche à contrôler les choses selon un point de vue égocentré pour remplacer, au final, la croyance dans le personnage autonome du moi… par la volonté de notre être profond de s'y substituer ! « Agir à partir de l'être », ce n'est pas « se laisser agir » par une force à laquelle nous devrions « donner les rennes » parce qu'elle est animée de compassion, c'est être libre dans la liberté fondamentale d'être (l'êtreté) dont la nature est sagesse, joie et amour.
« Agir en l'Être » est un agir incompréhensible : un agir dans le non-agir, qui réalise sans peine ce qu'aucun effort conscient n'obtient. Pour le moi naturel, la lutte, la création, l'amour sont soumis à condition. L'agir qui a sa source dans l'essence profonde, s'accomplit en dehors de toute condition, dans une attitude que rien ne conditionne » LMC-24.
Il n'y a pas de raison cachée dans les obstacles, l'adversité et la souffrance, ni de message dissimulé dans les « bugs de la matrice ». Ce qui nous arrive est certes le résultat de nos actions passées, mais le karman n'est qu'une simple « loi de causalité » relative. Ultimement, l'agent, ses actes et l'objet sur lequel ils portent sont « vides d'existence intrinsèque et autonome ». Ce qui arrive (non pas ce qui « m'arrive à moi ») est l'opportunité de reconnaître la vacuité d'existence autonome derrière l'interdépendance, et conséquemment d'exprimer dans le non-agir la liberté fondamentale de la Présence par la reconnaissance de notre nature ultime de la Conscience, « libre du vide et du non vide ».
Ce ne sont pas seulement les coïncides improbables qui sont étonnantes, c'est qui se passe à chaque instant qui est miraculeux ! En effet, du point de vue ultime, la nature de l'être est vide d'essence et donc « libre de causalité ». C'est donc un « miracle » si quelque chose peut se produire… en l'absence d'une causalité réelle au sens absolu du terme ! Du point de vue relatif également, les apparences sont « libres de l'absence de causalité ». C'est donc également un miracle si une chose se produit simplement sur la base d'une similarité… avec «ce qui se produirait si » les choses étaient véritablement réelles !
Y a-t-il une finalité à tout cela ? Mu ! L'être est « libre de causalité et de non causalité ». Par contraste, tout événement qui vient confronter le mental-ego est comme un signe de l'illusion au sein de l'illusion. « L'expérience du relatif » est ainsi révélatrice du vide au sein de la forme, de l'ultime au cœur de l'être humain, où l'incarnation de l'être manifeste dans l'action le non-agir de la conscience « libre de toute action et libre de toute non-action ».
« Ce n'est qu'en enracinant sa vie dans le milieu terrestre de son existence que l'homme peut aussi trouver le chemin du juste milieu du ciel et, dans l'union entre ciel et terre dont il fait l'expérience, développer en soi ce milieu véritablement personnel que représente le « cœur humain » dans lequel les forces du ciel unies à celles de la terre témoignent tout naturellement en lui, en tant que personne, à travers tout ce qu'il fait ou ne fait pas, de la totalité de la vie divine : de sa plénitude de sa loi et de son unité » LMC-23.
Rêver ou « jouer son propre rôle » est un moyen de démystifier l'illusion à l'instant même où nous prenons conscience que « tout est réel, tout est illusoire et tout vrai » ! « Le rôle de toute raison est de laisser être le non-rationnel. Le sens de tout ordre est le service à la vie en devenir » LMC-28. L'agir intentionnel ne conduit pas à l'Éveil (libre d'obtention et de non-obtention), mais l'expérience en est l'expression comme forme et manifestation. « L'ici et maintenant » local et temporel est le reflet de la non-localité et de l'atemporalité de l'Éveil. Le temps n'est que le parcours séquentiel de l'atemporalité.
« On
peut dire du satori que si l'expérience profonde de l'Éveil se produit à un
moment donné de la vie du pratiquant, l'Éveil est lui-même hors du temps. Le
satori est comme un instant d'éveil qui rejoint l'Éveil intemporel. Mais, sans
cet instant précis qui fait irruption dans l'existence de l'individu, celui-ci
demeure plongé dans l'ignorance de sa vraie nature » DEB-514.
DEB : Dictionnaire
Encyclopédique du bouddhisme, Philippe Cornu https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-encyclopedique-du-bouddhisme-9782020822732.html
MC : Merveilleux chat et autres récits Zen,
Karlfried Graf Dürckheim
III.52 Animé
sur l'écran mural
des illustrations de soie
s'impriment d'élan
simples esquisses
caricatures vides
leurs voix me parlent !
couleurs animées
de la vie se font le jeu
battements de cœur
tigres de papier
emportés par le destin
feuilles d'automne
en un bref instant
respirent puis s'éteignent
leur flamme soufflée
les pages tournent
dans un vouloir fugace
libres de désir
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
« Libre de l'être et du non-être », il n'existe pas de choses « existant en soi » réellement au sens « absolu » du terme. Cependant, s'il existait une essence ultime qui soit un « absolu véritable », elle posséderait les caractéristiques, les propriétés, et les qualités de la conscience telle que nous la connaissons.
« Libre du vide et du non-vide », les êtres sensibles sont formés d'agrégats qui, pris individuellement ou dans leur ensemble composite, ne possèdent pas un caractère « mécanique » au sens absolu du terme. Cependant, la vie est ce qui s'en rapproche le plus. S'il existait réellement une telle « vie mécanique », elle aurait les caractéristiques de la vie telle que nous la connaissons.
« Libre de l'agir et du non-agir », il n'existe pas de libre-arbitre au sens plein du terme. Cependant, les décisions que nous prenons sont celles qui se rapprochent le plus d'une telle capacité de décision autonome. S'il existait véritablement des êtres dotés d'une telle faculté, des automates dotés d'une programmation qui leur permette d'éprouver du désir, mais aussi de la frustration et de la souffrance, ils seraient à l'image de ce que nous sommes.
« Libre d'assertion », la vie, les êtres sensibles, l'esprit, la conscience, tels que nous en faisons « l'expérience sensible » selon les modalités de « l'existence conditionnée », sont le « juste milieu » entre les extrêmes de l'éternalisme et du nihilisme, d'une nature fondamentale « réelle et véritable », de son opposé, le néant absolu. Autrement dit, « tout est réel, tout est illusoire, tout est vrai ! »