III.15 Poétique de l'ainsité (volume 2) 

04/02/2024

Retrouvez ici les poétiques de l'ainsité de III.74 à III.83 - La sagesse physicienne  

                                                          Sagesse physicienne  

III.74 Empirisme


L'objet façonne la vue du physicien,

La forme naît à l'esprit du praticien.


La science est un accord de sympathie,

Émergence effective de deux parties.


L'être est un phénomène interactif,

Un fil suspendu sans nul support objectif.


Jaillissement instantané d'êtreté,

Éphémère acte de théâtralité.


Comme un arc-en-ciel vu par un mirage,

Seul existe l'actuel en son sillage.


Un pont de couleurs

au ciel surgit à l'instant

où la vue paraît



Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion


La philosophie bouddhiste est relativiste. Elle définit toutes choses comme ayant deux aspects qui, s'ils peuvent se décrire indépendamment comme des « isolats conceptuels», sont les deux faces d'une seule et même réalité laquelle est vide d'existence objective mais pas d'existence subjective. Le sῡtra du cœur, énoncé par le Bouddha, en résume le théorème : « la forme est vide et le vide est forme ».

La philosophie bouddhiste est également réductionniste, la description qu'elle donne des choses, en prenant soin de décomposer chacun de leurs aspects (vérité conventionnelle et vérité ultime), va du plus grossier au plus subtil. Elle est également épistémologique. L'objet n'a d'existence qu'en regard du sujet, dans la relation où s'élabore le connu en relation au connaissable.

La philosophie bouddhiste est également scientifique. Elle détermine la véracité de ses affirmations sur la base de la démonstration de ses présupposés (lesquels sont l'aboutissement de l'omniscience des Bouddhas), et par la détermination scientifique empirique qui mène le pratiquant spirituel de la compréhension intellectuelle de la réalité à la réalisation directe de sa nature véritable (la vacuité d'existence objective de ce qui est vu et la vacuité d'existence subjective de cela qui voit), soit de la transformation de la sagesse en phénoménologie.

Le sῡtra du cœur constitue à ce titre à la fois une « synthèse de la doctrine » (non dogmatique) de la philosophie bouddhiste – dont la démonstration logique est exposée en détail par Nagarjuna –, et le parfum de la fleur de l'Éveil.

La première sentence « la forme est vide » signifie que toutes les choses sont dépourvues de réalité objective. L'on ne peut ni « prouver ni trouver », du côté de l'objet (la précision est importante), de fondement intrinsèque à leur existence.

Pour un œil naïf, le monde dans un miroir présente les mêmes caractéristiques que les choses qui s'y reflètent, mais nous savons par le simple toucher que ce reflet ne possède ni profondeur, ni étendue, ni substance, ni aucune des caractéristiques que nous attribuons aux choses relativement aux éléments dont nous pensons qu'elles sont composées. Le reflet est « vide de réalité objective » ! La « forme » est employée comme un terme générique pour désigner la totalité des phénomènes composés impermanent – soit quasiment toutes choses, sauf l'espace, la vacuité et le Dharmakaya (le corps d'essentialité des Bouddhas) –.

Ultimement, donc, toute forme est « comme un reflet » vide d'existence objective « de son propre côté », ce que le Shivaïsme du Cachemire traduit par le second axiome de son propre théorème « tout est illusoire ! ».

Cependant, la pensée du Mādhyamaka Prāsangika que résume le sῡtra du cœur ne se veut pas nihiliste. Qu'il n'y ait « rien » du côté de l'objet ne signifie pas « rien du tout » ! Ce qui est vu existe en dépendance relative de cela qui voit ! Le rêve est illusoire, mais il est vécu par le rêveur comme réel. Ce que le Shivaïsme traduit par son propre axiome « tout est réel » ! Ainsi, l'assertion « la forme est vide » est-elle contrebalancée par l'assertion « le vide est forme ». « Ce qui est vide d'existence objective existe de manière subjective » PQIV.

« La forme n'est pas autre que le vide » signifie que les phénomènes composés impermanents existent seulement en interdépendance, laquelle se comprend selon trois niveaux de « dépendance causale » ; l'un par rapport à l'autre ; le tout en regard des parties ; comme « simple désignation mentale ». C'est parce que toute chose est vide – une seule chose (la vacuité d'existence objective) est l'essence de toutes choses – qu'elle peut exister en relation à.

Cependant, et c'est aussi un point essentiel à comprendre, puisque la forme est vide, ce qui existe en dépendance relationnelle se trouve donc par le fait être également vide d'existence objective. Ce que traduit l'assertion « le vide n'est pas autre que la forme ». Ainsi, les deux aspects combinés donnent « la vacuité de l'objectivité de l'objet est l'objectivité de l'objet » PQIV, ou l'ontologie de la réalité objective est la vacuité d'existence ontologique de l'objet.

Le monde que nous percevons comme extérieur et dont nous faisons l'expérience de la « matérialité », c.à.d. comme quelque chose qui nous apparaît tangible et réel, à travers la perception subjective sensible de notre propre existence, est comme un arc-en-ciel vu par un mirage ! Conventionnel et ultime sont définis par la philosophie bouddhiste comme les « deux faces d'une même pièce » vide ! La « forme est vide » et la vue qui voit la forme également, mais elle n'est pas inexistante, le mirage de l'arc-en-ciel est vrai, c.à.d. réel et illusoire à la fois !

Quid alors de la phénoménologie du ressenti subjectif de la vacuité ? Qu'est-ce que cela fait de percevoir directement la « vacuité d'existence objective » de ce qui est vu à travers la « vacuité d'existence subjective » de cela qui voit ?

Lorsque nous tournons le regard vers l'intérieur, ce qui apparaît spontanément à l'occasion du silence mental, c'est le sentiment de « conscience de la présence à soi même », infrangible qui avec le développement de la concentration demeure sans effort en arrière-plan des formes surgissant à l'esprit, irréductible aux événements et aux situations, global (sans centre ni bord ni limite, qui embrasse tout l'espace), invariable dans le temps, que nous reconnaissons immédiatement comme « le seul élément de notre expérience qui soit toujours présent » IP.

Fermez les yeux… La localité et la temporalité disparaissent, et seul demeure l'invariant du « sentiment de présence ». Ouvrez les yeux, et tout ce qui apparaît dans l'espace devant vous se fond sans obstruction dans l'espace de la présence à « soi même » sans soi-même ! Or, bien que sans-forme, la présence comme ressentir se présente de facto sous un aspect… modal et donc représentationnel dans l'ordre de la phénoménologie subjective !

D'aucuns se disent « s'être éveillés » très simplement et décrivent la présence du point de vue de la phénoménologie, c.à.d. l'impression intérieure, subjective (par ailleurs privée et incommunicable) de ce que cela fait d'avoir conscience de la présence à soi même sans soi-même. Certains proposent même des méditations guidées pour reconnaître directement la « présence », sous-tendant de la sorte qu'il est possible de s'éveiller par l'induction de la description de ce que cela fait de « voir directement la vacuité ». Aussi généreuse et bienveillance que soit une telle intention, c'est un non-sens qui témoigne de l'ignorance de ce qu'est véritablement la « vacuité d'existence objective » de toutes choses…

Que nous montre l'observation de la phénoménologie de la conscience ? Des phénomènes extérieurs (perceptions sensorielles) et intérieurs (pensées, images mentales) qui apparaissent et disparaissent dans mon « champ de conscience ». Que pouvons-nous en déduire ? « Si vous en êtes conscient », c'est donc que « vous ne pouvez pas être ces phénomènes. Vous êtes ce qui a conscience de ces phénomènes » IP ! Cela semble logique, mais si l'on regarde bien, cela sonne comme un postulat et non comme une inférence. « La conscience est toujours présente et accompagne toujours et nécessairement chaque moment de votre expérience, car sans conscience vous n'auriez pas d'expérience » IP.

L'argument selon lequel je ne suis pas mes pensées ni ce dont j'ai conscience, mais « le sujet qui observe » IP, distinct et différencié de l'expérience consciente, c.à.d. que la conscience d'être conscient ne saurait être de même nature que le contenu de ce dont j'ai conscience (comme le projecteur et l'écran de cinéma), est contredit par cela même qui est argué« l'expérience d'être conscient » IP !

La conscience est toujours conscience de quelque chose. L'analyse de ma propre phénoménologie me dit que je suis conscient de ma propre conscience comme « sujet de l'expérience d'être conscient ». Cette réflexivité revient donc à dire que la subjectivité est… un « objet de représentation » mental ! « Avoir conscience d'être conscient » ne traduit pas l'aperception directe du connaisseur, mais la connaissance indirecte qu'il a de lui-même comme objet épistémique, « l'acte de connaissance » de sa propre connaissance. Nous distinguons notre image de celle de la pièce dans le miroir, mais elle reste un reflet !

Cette contre-argumentation démontre qu'il y a effectivement bien quelque chose qui est conscient, mais son expression est seulement possible comme objet épistémique. Nous avons seulement accès au reflet, pas à ce qui se reflète. Pourquoi le connaisseur ne peut-il pas avoir directement connaissance de lui-même en tant que tel ? Simplement, parce que l'essence de l'esprit est la vacuité d'existence objective, laquelle est « libre d'assertion » ! Comment ce qui est absence d'existence propre pourrait-il s'apparaître comme présence ?

Si un objet ne se trouve pas dans la pièce où je me trouve, j'infère qu'il doit être ailleurs, c'est une « négation affirmative ». Je raisonne de la même manière en affirmant que la « conscience d'être conscient » ne peut pas être la conscience des phénomènes, elle doit être autre chose. Or, l'essence de la conscience est la vacuité d'existence objective. C'est une « négation non-affirmative » ! L'on ne peut pas affirmer l'existence de la conscience en tant que réalité objective sur la base de la conscience d'être conscient ! La (conscience de la) présence n'est pas affirmative de la nature de la conscience !

Comment la vacuité d'existence objective pourrait-elle avoir des caractéristiques modales, comme l'invariance dans l'espace de son aperception, la continuité dans le temps de son caractère sous-jacent à l'expérience, ou la « conscience de la présence à soi même » ici et maintenant ? Ces aspects sont spécifiques à un « acte de connaissance » (un objet épistémique) comme le reflet dans un miroir – qui par ailleurs inverse cela qui est reflété en interdépendance de cela qui se reflète (qui des particules et des antiparticules est la référence ?) –.

Dans la « vision sans tête », Douglas Harding donne l'exemple du visage dans le miroir. Je reconnais « mon visage » alors même qu'il m'apparaît à distance de mon corps et non pas là au-dessus de mes épaules ! Ce visage que je vois dans le miroir, n'est qu'une projection, une représentation de mon véritable visage qui, lui, demeure invisible à ma connaissance directe.

L'enseignement du Bouddha nous dit que nous ne pouvons pas faire confiance à nos «consciences sensorielles » car elles sont voilées par l'esprit ignorant de la vacuité de l'essence objective du côté de la forme. Comment pouvons-nous alors faire confiance à la « conscience mentale » quant à la véracité de l'expérience phénoménologique du côté du sujet ? Lorsque l'attention pointe vers les objets extérieurs, ce qui est perçu n'est pas la réalité telle quelle, mais Ô ! miracle, dès que cette même attention pointe vers cela qui regarde, le sentiment de présence qui s'apparaît alors à lui-même comme évidence serait la vérité irréfutable !!!

La « conscience d'être conscient » de se regarder dans le miroir et la conscience de ce qui y apparaît se distinguent en leur forme (épistémique et épistémologique) relative à leur « acte de leur connaissance » (phénoménologique et phénoménal), mais sont des expériences de conscience ! « Vous êtes l'espace accueillant au sein duquel [les phénomènes] prennent forme et se dissolvent naturellement » IP. Or, l'espace est sans obstruction ! Distinguer le phénomène de la présence (ou de l'êtreté) est un point de vue dualiste. La présence est l'expression modale de la vacuité de la conscience comme expérience phénoménologique de l'acte de connaissance du connaisseur à sa propre connaissance ineffable.

Ainsi, malgré ce que d'aucun affirme « pour vous éveiller, il suffit de se rendre compte, réaliser, reconnaître, que vous êtes conscient, et que cette conscience est toujours présente quel que soit son contenu » IP, l'on est encore loin ici de la réalisation de la vacuité, sans parler de la bouddhéité ! Tout juste se situe-t-on ici dans le « calme mental» (shiné) comme reconnaissance de la nature de l'esprit.


« Nous accédons au calme mental par la reconnaissance de la nature connaissante de

 l'esprit. Découvrir notre propre conscience nous permet d'accéder à la stabilité et à la 

clarté naturelles de l'esprit, qui existent indépendamment des conditions et des 

circonstances, des émotions et de nos humeurs. Nous n'accédons pas à la conscience, 

nous apprenons plutôt à la reconnaître, et cette reconnaissance éveille la nature 

éclairée de notre esprit ».


De la confusion à la sagesse, Yongey Mingyour Rinpoche.


Pour réaliser la vacuité d'existence objective du connaisseur et de son objet, il faut commencer par être capable de discriminer, non pas les phénomènes dont nous avons conscience de (l'êtreté de) la « conscience qui en a conscience » – étape nécessaire pour se désidentifier de la forme et pouvoir développer la sagesse par la « méditation analytique » –, mais discriminer le caractère recouvrant de « l'acte de connaissance », à travers les modalités de ses formes spécifiques (la présence à « soi même » versus la présence de l'objet à soi-même), de la nature objectivement vide du connaisseur et de son objet, sans discontinuité de leur essence et sans obstruction de leur apparence.

Le mental est décrié à juste titre, car il nous éloigne de l'instant présent. Rester l'esprit fixé quelque part dans l'abstrait, c'est nous exiler du flux de la vie, de l'incarnation, dont l'importance ne consiste pas dans l'expérimentation (dans la nécessité d'expérimenter pour apprendre, progresser ou simplement être), mais dans l'opportunité d'exprimer l'êtreté de notre nature dans le juste équilibre entre la forme et le vide, au seuil de « la porte sans côté ». Pour autant, l'expérience phénoménologique n'est pas le phare qui peut nous mener à la libération, c'est la sagesse qui émane de la compréhension juste et claire de la réalité !


IP : Introspection de la présence https://www.youtube.com/watch?v=BQvXoGrzVDk

PQIV : Physique quantique, interdépendance et vacuité https://www.youtube.com/watch?v=Q95O328OAv8 

III.75 Ouverture


L'un en regard de l'autre se connaît,

Le sans autre par l'absence se reconnaît.


Calme mental et pensée en volte-face,

Ce qui est sans obstruction est d'espace.


L'essentiel est revêtu d'invisible,

La forme dévêtue de l'indicible.


Rien qui ne se connaisse de par soi-même,

Inclus y compris la présence elle-même.


La transparence de l'inexprimable,

Surgit à la vue vide de son semblable.


Le petit prince

d'essence de la fleur

est terre pure



Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


« Tu es ce que tu recherche » dit l'adage mystique, et pour le réaliser, tu dois arrêter de chercher ! Une formule qu'il ne s'agit pas de prendre au pied de la lettre ! Renoncer à comprendre ce que nous sommes, ce n'est aucunement abandonner la discipline, la concentration et la sagesse, c'est au contraire les développer avec la foi confiante et l'ouverture totale que seul permet l'abandon à la compréhension de ce que nous ne sommes pas !

C'est par choix méthodologique que le bouddhisme comme voie d'Éveil véritable repose sur les pratiques ritualisées des trantrā ou sur l'assise simple du zazen, mais ce n'est pas par choix pédagogique qu'il érige la sagesse comme préalable. Qu'elle que soit la tradition spirituelle authentique, qu'elle que soit la forme de méditation (shiné, zazen, Mahāmudrā bouddhiste ou shivaïte), toutes reposent sur l'abandon du désir d'atteindre la connaissance objective de la réalité.

« L'essentiel est invisible pour les yeux », Saint Expuréry. Il ne s'agit toutefois pas de rendre visible l'invisible, mais de rendre transparent ce qui le recouvre. Pour cela, nous devons comprendre que « la vérité ultime » est indescriptible du côté de l'objet, car celui-ci est « vide de réalité objective » (vacuité), et inexprimable du côté du sujet pour la même raison que la subjectivité est également « vide » de réalité ontologique (objective) ! Reconnaître la nature de l'esprit, c'est comprendre que la « présence de la conscience à soi même » est phénoménologiquement indescriptible et ne pas chercher à l'exprimer !

Le sens le plus subtil de la « coproduction conditionnée » est que toute chose (ultimement « vide de réalité objective ») existe seulement en tant que « simple désignation mentale » (d'un esprit dont l'essence est également ultimement vide), ce que la physique quantique met en évidence par l'influence de l'observateur sur le résultat de l'expérience. Cela signifie que toute tentative de représenter la réalité, comme une chose dont l'existence en elle-même serait indépendante du connaisseur et de l'acte de sa connaissance, entraîne de facto la réification de l'existence de cette réalité comme expérience de nos croyances !

Que l'acte de nommer les choses ait pour effet de leur conférer l'existence signifie que si j'écoute untel me dire « voilà comment être conscient de la présence », ou « voilà comment reconnaître que tu es déjà éveillé », ou « voilà ce que cela fait de percevoir la vacuité », tout ce que je peux éprouver en mon for intérieur ne sera jamais rien d'autre que la traduction phénoménologique de ces assertions, alors même que ce que je cherche… est « libre d'assertion » (ni être, ni non-être, etc.), y compris libre de l'assertion « tu es ce que tu cherches » !

Le mental aime à poser des questions pour… s'enorgueillir d'y répondre ! La sagesse réside dans la « non-réponse » et son corollaire le « non-agir », qui est l'essence du yoga. Ne pas chercher du côté de l'objet comme du côté du sujet à définir l'indescriptible et à décrire l'inexprimable, mais reconnaître avec humilité et gratitude, qu'il est seulement possible d'énoncer la « vacuité d'existence objective » dans les termes d'une « négation non-affirmative », c.à.d. de ce que cela n'est pas (cf. le tétralemme de Nāgārjuna).

Cette logique de « l'affirmation du non-dicible » ne se veut toutefois pas le contre-pied d'une réalité insaisissable, mais une pédagogie du fonctionnement d'un réel qui, si tant est qu'elle s'inscrive dans un dessein sotériologique (dès lors que la conscience est déjà libre…), fait du renoncement l'instrument de la libération de l'esprit de la captivité d'une imagination autocentrée à l'origine du samsāra ! Le silence mental, ce n'est pas seulement « l'arrêt des pensées » qui tournent en boucle autour de l'histoire du personnage et ne fait qu'entretenir nos souffrances, c'est l'arrêt de toute conceptualisation de la réalité comme objet et de toute représentation phénoménologique de cet état lui-même !

Il ne s'agit pas seulement d'arrêter de penser, mais « arrêter tous les mouvements de l'esprit conscient » RUP, de désencombrer la perception de toute notion et de toute expression de notions telle que direction, dimension, couleur etc., c.à.d. d'une manière générique de la « forme », du côté du sujet autant que de l'objet, sortir complètement de tout expressivité ! « Pensez à ne pas penser ! Comment pense-t-on à ne pas penser? Au-delà de la pensée ! » RUP.

L'on ne peut réaliser la vacuité en remplissant l'esprit, seulement en le vidant de tout contenu phénoménologique, seule non-condition pour l'ouvrir totalement et véritablement à la réalité de ce qu'il est tel qu'il est vraiment. Car, c'est seulement dans le silence mental du « ressentir sans ressenti », qui est l'abandon de toute volonté de décrire l'indescriptible, l'abandon de tout désir d'exprimer l'inexprimable, que peut surgir ce qui par essence est libre de toute description et de toute expression, « libre de toute assertion ».

La description phénoménologique de la vacuité n'amène pas à sa réalisation, qui ne procède pas de la « saisie directe » du vide d'objectivité de la réalité ultime, mais d'un processus épistémologique de dévoilement de la vérité. Ce n'est pas la « vue de la vacuité » qui rectifie la perception biaisée de la croyance et de l'existence objective du réel (et met fin à son expérience sous les modalités de la matérialité), c'est la désoccultation de son ignorance par la sagesse qui permet à l'esprit de reconnaître la vérité. La démarche spirituelle authentique, c'est ne pas chercher à voir, mais se débarrasser de tout ce qui empêche de voir, pour se reconnaître tel qu'en soi même véritablement !

Lorsque la philosophie bouddhiste compare (à dessein pédagogique), la vacuité à l'espace comme ce qui est « sans obstruction » – en tant que phénomène permanent, incomposé, non-né et donc indescriptible et inexprimable –, c'est pour mettre l'accent sur l'absence d'obstruction (de fragmentation et de dualité) entre l'acte de pensée comme description et l'acte de pensée comme descripteur.

Le sῡtra du cœur décrit la vacuité et sa réalisation en termes de « négation non-affirmative ». Il énonce que la reconnaissance du « vide d'objectivité » de la forme est conjointe à la reconnaissance de son existence subjective. Il n'y a pas « rien » au sens nihiliste, mais ce qu'il y a, pour autant, n'est pas une chose, c'est « l'acte de conscience » de cette chose ! La réalité est un « acte de conscience », sans acteur ultime de la connaissance et sans objet ultime de cette connaissance existant de manière objective, mais pas sans absence de connaisseur ni sans absence de connaissable du point de vue relatif à son événement.

Le mot « présence » est un terme impropre pour désigner la nature de l'esprit, car le ressenti phénoménologique sans l'éclairage de la sagesse est perçu sous les modalités qui tendent à nous faire croire en son « existence en soi ». Il est utile pour établir la distinction entre cela qui est conscient et ce qui est perçu, et comprendre que le miroir n'est pas le reflet. L'esprit n'est pas les pensées qui apparaissent et disparaissent. Et donc pour comprendre que la condition pour arrêter de souffrir est de cesser de s'identifier aux formes.

Mais, cette désidentification faite, le mot « présence » entérine cette dualité dans la phénoménologique, la réifie comme ressenti subjectif qui renforce l'idée d'une différence entre la conscience et les phénomènes (entre « avoir conscience des choses » et « avoir conscience d'être conscient »), que l'on peut ressentir comme « présence » et concevoir comme un « contexte, un « espace de connaissance, de conscience » IP, et croire de ce fait que nous sommes « ce qui contient tout » à l'exception de ce qu'il contient. Or, de telles distinctions n'ont pas lieu d'être, ce ne sont que de « simples désignations mentales » éprouvées en notre for intérieur comme vraies car réelles sur le plan phénoménologique !

Si vous cherchez avec attention où commence la conscience d'une sensation ou d'une pensée et où fini la « conscience d'en être conscient », vous ne trouverez ni lieu ni séparation. Il se peut que l'induction (inception) de l'idée de « contexte », de «contenant » vous instille l'impression que la présence se situe en superficie et la chose perçue à l'intérieur, mais si vous investiguez (avec sagesse) vous ne trouverez ni centre, ni bord, ni périphérie, ni limite, dans ce… non-espace !

Vous ne pouvez pas non plus décomposer votre expérience subjective en strates phénoménologiques que vous pouvez identifier comme « arrière-plan sous-jacent de la conscience » (constant à toute expérience conscience) et « premier plan de la scène » (où se produisent les phénomènes impermanent) – une métaphore qui rappelle le «théâtre cartésien de la conscience » de Descartes –.


« L'on ne peut pas faire confiance à nos perceptions, car elles sont perverties par

 l'ignorance. On voit tout comme étant purement objectif, en contraste avec le fait que 

tout est subjectif. Dans l'expérience des deux fentes de Young, il n'est pas possible de 

dire que les choses sont objectivement comme ceci ou comme cela. Elles peuvent 

exister sous différentes formes (onde ou corpuscule), dont les modalités sont 

dépendantes de l'observation, c.à.d. de la manière 

dont l'esprit subjectif va influencer l'objet » PQIV.

 

Il a fallu du temps aux philosophes et aux scientifiques pour admettre que le réel n'est pas de nature objective, pour « dissiper le rêve (ou l'illusion) platonicien de révéler la nature intrinsèque des choses » PQIV, et pour reconnaître qu'il était seulement possible d'en donner une description « opératoire » relativement à la fonctionnalité qu'on en attend. « La mécanique quantique est un symbolisme destiné à prédire de manière probabiliste le résultat d'expériences » PQIV.

Voir la conscience et la « conscience d'être conscient » comme deux choses différentes n'est-il pas similaire à voir les ondes et les particules du point de vue entitaire plutôt que comme des modalités d'expression relatives à l'observation ?

Alors, qu'est-ce que l'esprit ? Un acte ou un événement qui, par sa « lumineuse prise de conscience absolue, existe et n'existe pas tout à la fois » IDC-81 : existe du fait même d'en avoir conscience ; et n'existe pas, car « vide de réalité objective » ; un acte/événement dont l'aspect relatif et l'aspect ultime sont continus, où la « conscience de » et la « conscience d'être conscient », sont sans discontinuité d'essence et sans obstruction en apparence, et où toute distinction est un effet de perspective du voile de l'ignorance, des émotions perturbatrices et du karman.

Certains textes bouddhistes comparent la réalisation de la vacuité au sortir d'un rêve. D'autres disent qu'elle manifeste des effets physiques, comme des frissons que la connaissance de l'existence subjective fait disparaître (cf. PQIV) ! Réaliser que le monde de la forme est dépourvu de réalité objective, se serait comme de sentir brusquement le sol s'effondrer sous nos pieds… Si je crois en l'existence réelle des choses (et surtout de moi-même !), il se peut qu'en surplombant un précipice la peur surgisse. Mais, si je me réveille soudain et que je m'aperçois que ce n'était qu'un rêve, alors la peur s'évanouit ! Toutefois, ce n'est pas de savoir que le rêve est vrai qui fait disparaître (définitivement) la peur de disparaître, c'est de savoir que le monde et nous-mêmes sommes le rêve !

Une autre comparaison est « de l'eau versée dans l'eau », du moins de l'eau qui ayant été versée dans l'eau ne fait plus de remous et ne peut donc plus être distinguée de l'eau dans laquelle elle a été versée ! Qu'est-ce qui se rapproche le plus, en termes de modalités de l'expérience, de l'espace sans obstruction ? L'invisibilité ! Toutefois, pour l'esprit voilé, l'espace et l'invisible existent tous deux de leur propre côté, et se confondent comme contenu et contenant en similitude de leurs propriétés. Pour la sagesse, l'espace et l'invisible n'ont d'existence qu'en tant que simple « acte ou événement de conscience » dont la teneur détermine la manière dont ils apparaissent, comme duelles ou comme non duelles. Lorsque l'esprit est recouvert du voile de l'ignorance, celui-ci revêt la pluralité « d'événements de conscience », mais lorsque la sagesse le découvre totalement, sans discontinuité et sans obstruction, la vue s'élève sans vue.


IDC : L'incendie du Cœur, Daniel Odier https://www.danielodier.com/french/bibliographie.php

IP : Introspection de la présence https://www.youtube.com/watch?v=BQvXoGrzVDk    

PQIV : Physique quantique, interdépendance et vacuité https://www.youtube.com/watch?v=Q95O328OAv8   

III.76 Evénement


La question interroge l'être du penseur,

Pourquoi de ce rapport est-ce lui le questeur ?


Toutes les choses sont tissées d'entrelacs,

Est-il plus sensé que le reflet sur le lac ?


La conscience est acte d'observation,

Dans le miroir se reflète sa cognition.


Le regard plonge au fond du microscope,

Et tout le cosmos s'ouvre isotrope.


L'espace courre sur un fil de lumière,

A l'épochê l'étincelle singulière.


(le) papillon posé

dans un battement d'ailes

envol du rêve



Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion


Que tout ce qui existe du côté de la forme soit « vide de réalité objective » et n'ait d'existence qu'en tant que « simple désignation mentale », autrement dit que les phénomènes perçus par nos sens soient le produit de la conscience, elle-même vide d'existence objective, amène une compréhension progressive de la vacuité et donc du développement de la sagesse, corrélée à l'abandon du désir de décrire l'indescriptible et d'exprimer l'inexprimable.

L'étape suivante est d'élargir la perceptive en perçant l'épiphénoménologie de son «événement de conscience », et pour cela, il nous faut dépasser de nouveaux obstacles, comme concevoir la non discontinuité de la conscience des choses à la «conscience d'être conscient ». Du point de vue des faits, une telle « déclaration d'identité » apparaît contradictoire si nous considérons impossible d'être cela même dont nous sommes conscients ! Or, à l'instar de la physique quantique, où « les soi-disant paradoxes se dissolvent d'emblée dès qu'on accepte que les micro entités sont vides d'être et vides de déterminations intrinsèques » PQIV, cela devient clair lorsque nous examinons le « fait de conscience » sous l'angle de l'événement et non plus de l'objet.

La « dualité onde-particule » cesse dès lors que nous comprenons que la réalité physique (conventionnelle) à son niveau le plus fondamental n'est d'aucun de ces ordres, et peut seulement se décrire en termes de simple « potentiel statistique » de manifestation sous l'un ou l'autre suivant les circonstances de l'observation.


« Propriété veut dire les déterminations qui appartiennent 

en propre aux objets, absolues. En mécanique quantique, 

les propriétés ne sont pas propres ! 

On les appelle des "observables" (…) 

Pour comprendre la mécanique quantique, 

il ne faut plus chercher des explications du type 

"les choses sont ceci ou cela", 

mais "en relation avec nous, elles manifestent ceci ou cela » PQMB


La forme comme observable est une interprétation d'interactions dans le formalisme d'un système de représentation relatif à l'observateur, et non une réalité objective existant de son propre côté, avec ses propres lois qu'il nous serait possible de décrire. Ce qui résout un autre pseudo paradoxe, énoncé par Einstein et par d'autres philosophes, quant au fait que « le monde ait presque certainement un sens » et qu'il est étonnant que nous puissions le connaître...

Il y a-t-il, là-dehors, réellement des objets qui se meuvent de leur propre pouvoir ou du mouvement animé par sa propre force qui apparaît comme objet – à l'instar du koan zen du drapeau qui flotte au vent ou du vent qui fait flotter le drapeau –, ou objet et mouvement ne sont-ils que des points de vue de l'esprit ?

Dans l'expérience des « fentes de Young », des électrons lancés vers une plaque de métal à une certaine fréquence d'émission et qui rencontrent des fentes sur leur chemin, passent alternativement par l'une ou par l'autre. A une fréquence plus élevée, la « figure d'interférence » formée par leurs impacts met en évidence qu'ils sont passés par plusieurs fentes en même temps, comme s'ils s'étaient comportés… comme des ondes ! Or, ondes et particules, ce n'est pas la même chose en physique, les premières ne sont pas matérielles (composées) et ne devraient donc pas se comporter comme tel et inversement. « Dans un système dualiste, soit c'est matériel, soit ce n'est pas matériel. C'était une contradiction fondamentale parce que la lumière se comportant généralement comme une onde peut se comporter, selon comment on l'observe, comme des petites particules de lumière, donc presque des particules de matière » ZPQ.


« La première chose à comprendre, 

c'est ne plus plaquer des surimpositions conceptuelles. 

Il n'y a pas besoin d'imaginer des particules, 

ni des ondes, ni l'un ni l'autre d'ailleurs, 

ces phénomènes d'impact sur l'écran

sont relatifs à mon acte d'observation. 

On ne peut pas parler des choses telles qu'elles sont, en propres, 

mais quel type de relation on entretient avec elles ? » PQMB 


La mécanique quantique a mis fin à ce pseudo paradoxe en établissant que les « objets quantiques » ne sont ni des ondes ni des particules, et en construisant sur cette base tout un formalisme mathématique qui permet de rendre compte de manière efficace du comportement des phénomènes à l'échelle subatomique. Il demeure cependant qu'ilsne peuvent pas être observés directement. Ce que nous en voyons et donc pouvons en connaître, ce n'est pas leur réalité telle qu'en elle-même, inobservable, mais la perception que nous en avons ! « Du moment que vous les observez, vous allez agir sur ce système probabiliste, indéterminé. Si vous cherchez des grains de lumière, vous allez trouver des grains de lumière. Si vous cherchez des ondes, vous allez trouver des ondes. Ces "objets quantiques" vont se manifester dans notre monde observable, de différentes façons selon la façon dont vous les observez » ZPQ.

L'acte de conscience est tout aussi étonnant de par sa variabilité, entre la « conscience sensorielle » des choses et du monde qui nous entoure dont l'expérience nous apparaît sous la forme d'objets définis, déterminés, et la « conscience d'être conscient » que traduit le sentiment phénoménologique au ressenti inqualifiable autre qu'en termes d'objet épistémique (c.à.d. dont la connaissance est mentale). Or, il est aussi impropre de parler de dualité ici que pour les ondes et les particules ! Ce dont nous avons conscience dépend du « facteur mental » de l'attention, qui peut faire varier la conscience entre les extrêmes de l'absorption dans la « forme » (l'identification à nos pensées), et de l'immersion en elle-même (au sentiment phénoménologique de sa présence), et l'équilibre de la fusion du sujet et de l'objet dans la « conscience océanique ».

Cependant, l'essentiel n'est pas là et demeure invisible à nos yeux. La physique quantique nous oblige à repenser la définition de la « réalité ». En effet, ondes et particules ne sont pas « réels » au sens ou ils ne possèdent pas une existence objective intrinsèque. Il est seulement possible de dire qu'ils sont « vrais » du point de vue du contexte et des conditions probabilistes de leur observation, sous les formes et propriétés en interdépendance desquelles ils apparaissent.

Que l'attention se porte, se pose, se fixe sur les choses comme faits ou sur « le fait de conscience », quel que soit « l'objet » de conscience (phénoménal ou phénoménologique), nous conviendrons dans tous les cas de sa connaissance… en tant que tel ! Or, ce que nous révèle la physique quantique, c'est le caractère inobservable car indescriptible et inexprimable de la réalité ultime. Autrement dit, ce dont nous avons conscience n'est pas la chose en elle-même, c'est de la perception ! Ce n'est pas la cognition d'un existant objectif, mais d'une interaction – laquelle est constitutive, dans sa coémergence de l'objet au sujet – sous la forme observable d'un « événement de conscience ».

Sous cette perspective, aucune forme de conscience (états modifiés, bardo, etc.) qui ne soit un « événement » ! Cela inclus ces moments au cours desquels les « frontières du moi » se dissolvent et où la conscience semble fusionner avec l'univers dans un «sentiment océanique » (que d'aucuns décrivent comme des « éveils intermittents », plus ou moins durables, qui préfigureraient « l'éveil » lui-même). La « forme est vide ». Tout ce qui apparaît comme observable à la conscience (y compris elle-même) est un «événement de conscience ».

L'on rejoint ici le sens le plus subtil de l'interdépendance des phénomènes, qui est que toute chose n'a d'existence qu'en tant que « simple désignation » par l'esprit, imputé par la pensée (y compris l'esprit lui-même), comme interprétation sous la forme d'un «événement observable » (déterminé et catégorisé) de la nature inobservable (indéterminée) du réel ultime. L'on ne le réalise qu'en abandonnant toute conception y compris le critère de véracité.

Tant que notre perception est un « événement » de ce type, ce n'est ni l'Éveil ni la réalisation de la vacuité, mais comme une illusion qu'il est seulement possible de qualifier en termes de « vérité conventionnelle » (relativement au caractère déterminé de sa désignation). Le rêve est « vrai » en regard des conditions de son événement pour le rêveur qui ignore rêver, mais il se mue en illusion lorsqu'à son réveil, il prend conscience d'avoir rêvé. En interdépendance de cette nouvelle donne, le rêve lui apparaît alors comme une « illusion vraie » !

Décrire la nature des « objets quantiques » en termes de « potentiel statistique », susceptible d'apparaître comme « observables », c.à.d. comme des événements en interdépendance du type de résultat recherché (corpusculaire ou ondulatoire) – par la décohérence de la « fonction d'onde » qui décrit mathématiquement ce potentiel –, se rapproche du sens le plus subtil de l'interdépendance de « simple désignation mentale », mais demeure une désignation ! Ce n'est pas la vacuité « libre de toutes assertions » (y compris libre de « négation non-affirmative »), qui ne peut donc se définir ni en termes d'être et de non-être, ni en termes d'événement ni de… non-événement !


« La "réduction de l'état" n'est pas une modification des états des choses, 

c'est juste une transformation de la fonction 

qu'on utilise pour définir les probabilités de futures expériences. 

Ce n'est pas un phénomène physique, ce n'est pas un processus 

qui se passe dans le monde où qu'il faut qu'il faudrait expliquer 

par l'irruption de la conscience qui viendrait "réduire le paquet d'ondes", 

c'est juste une modification de notre "fonction de prédiction" 

en fonction des informations qu'on a ! » PQMB


Quel que soit le nom ou le terme utilisé pour décrire l'existence (y compris « moment d'émergence »), c'est encore une assertion qui exprime une interaction entre l'objet et la conscience en tant que vue (en réification de l'existence objective « comme monde » en distinction du sujet et de l'objet) qu'il s'agit de déconstruire comme croyance et observable phénoménologique. « Séparer ce qui est arrivé dans le monde et ce qui est arrivé en moi quand je le constate, c'est une construction, une dualité. C'est encore une séparation, mais il y a eu il y a eu un moment où tout ça a été encore indistinct, où c'était encore le moment où il n'y avait pas encore de mot, de concept » PQMB.


« Lorsqu'il n'y a pas d'objet face à vous,

Dans ce rien la totalité des monde !

Ne l'examinez pas à l'aide de la sagesse

Car sa substance même est obscure et vide » LGSE-125


S'il n'y a aucun absolu, que des relations elles-mêmes vides de réalité objective, qu'est-ce qui explique la conscience ? J'ai « conscience d'avoir conscience », j'ai conscience d'un caillou, je peux même avoir conscience de « faire un » avec ce caillou ! Le caillou apparaît en interdépendance de causes et de conditions qui, si elles ne sont pas causales d'un point de vue finaliste, relèvent d'une causalité non prédictive. « Les événements ont une cause relative à l'acte de les observer, et donc, tant que l'observation n'est pas faite on ne peut pas prévoir, mais quand l'observation est faite on peut dire a posteriori que cet événement qui a eu lieu est la cause relative à cet acte d'observation » PQMB.

Qu'est-ce qui fait que je sois conscient alors que le caillou ne l'est pas ? Pourquoi le brassage de causes interdépendantes vides de propriétés spécifiques qui s'entrecroisent encore et encore sans but prédéfinis, finit-il par produire un inter-être (ou intermède) de conscience plutôt qu'un simple caillou ?


« Comment j'en viens, à partir de cette expérience vécue, 

à croire que les choses ont une existence propre ? 

Ça s'appelle la "constitution de l'objectivité". 

Grâce à la composition de toutes mes perceptions, 

et projections conceptuelles, je peux construire la croyance 

qu'il y a là des choses extérieures existantes en elles-mêmes. 

Mais, la chose qu'il y a là, c'est juste un « apparaître » PQMB.


Tant que nous pensons les choses en termes d'absolu, c.à.d. de séparation entre sujet et objet (entre ce qui est vu et ce qui perçoit) il est impossible de comprendre, aussi bien la physique quantique (laquelle apparaît alors pleine de contradictions et de paradoxes), que le monde ou notre propre existence ! Si nous voulons le comprendre – une volonté qu'il nous faut abandonner pour y parvenir –, nous devons commencer par comprendre que toutes nos conceptions, aussi belles, élégantes et simples soient-elles dans leur emballage « d'observables », de théories et de modèles de pensée, ne sont que des vues conceptuelles, érigées comme monde, d'un indescriptible inexprimable.


« Zhuangzi ne savait pas s'il était Zhuangzi 

qui avait rêvé qu'il était un papillon, 

ou un papillon qui rêvait qu'il était Zhuangzi. 

Il doit bien exister une différence ! 

C'est ce qu'on appelle la Transformation des choses » Tchouang-tseu  


Dire que « nous rêvons » sous-entend qu'il y a quelque chose en nous, de l'ordre d'un absolu, qui tantôt est dans un état de vigilance éveillée, tantôt s'endort et rêve. Mais, voyez le rêve comme un événement qui inclus et la rêverie et le rêveur lui-même comme constitutif du tissu du songe ! Et imaginez que dans ce rêve, le « songe du rêveur » voit un caillou rêvé. De son point de vue, la différence en regard du « fait de conscience » ne fait aucun doute. Or, si l'observateur fait partie intégrante du dispositif, il ne peut juger de son existence propre en différenciation du système qui le définit !

Toute connaissance s'appuie sur le postulat de l'indépendance du connaisseur au connaissable, ce que réfute le bouddhisme et traduit la mécanique quantique. Le Mādhyamaka Prāsangika démontre, qui plus est, la coémergence du connaisseur et du connu, en émergence de leur connaissance, sur la base de leur vacuité d'existence objective. Il n'y a pas d'autre côté du miroir, Alice !


« Il n'y a pas de point de vue extra relationnel ! On est dedans ! 

On est tellement englué dans le système des relations 

qu'on ne peut pas regarder l'univers à distance et dire 

"l'univers est un réseau de relations" ! 

Si ça invalide la vue à distance de ce réseau, 

alors cette vue se détruit elle-même en tant que vue » PQMB.


Au terme de son questionnement systémique, Descartes affirma pouvoir douter de tout « sauf du fait de douter » et en conclut « je pense donc je suis ». Or, il oublia de mettre en doute le postulat de sa propre existence comme absolu. Il ne s'intégra pas lui-même au processus de déconstruction par le doute, comme si sa conscience était « extra-relationnelle » ! Autrement dit, « l'intime certitude » d'exister ne prouve pas la réalité objective de la conscience !


« Il faut tout déconstruire ! Évidemment, il est pratique de dire 

en mécanique quantique que l'on étudie des observables

et là vous avez encore posé des mots, des concepts. 

Même cela doit être déconstruit parce que 

l'observateur n'est pas une entité stable, 

c'est un moment d'émergence » PQMB 


La conscience que vous avez de vous et des choses font partie d'un événement dont vous distinguez et opposez les parties, sans discontinuité d'essence, comme duelles, par leur désignation comme observables a posteriori ! Par l'ignorance de sa propre vue, la conscience s'auto-justifie à son aperception comme extérieure à ce qu'elle voit, et donc comme existant absolu !

La conscience fait partie de l'événement et il n'y a rien en dehors de la vue de l'événement. Il n'y a rien de l'autre côté de l'horizon des événements de la conscience. Ce qui est vu (le conventionnel) n'a d'existence qu'en tant que surimposition, en interdépendance à la surimposition de ce qui voit (relatif à ce qui est vu), sous une conformation telle que le phénomène résultant de cette relationalité (la coémergence du sujet et de l'objet), est un événement sous lequel la conscience s'apparaît distincte des phénomènes (choses et pensées) dont elle a conscience, comme le rêveur se croit absolu par rapport au songe qu'il croit réel. L'interdépendance est l'autre aspect de la vacuité. La question n'est pas « comment peut-on la voir ? », mais comment voir l'illusion de la vue illusionnée ? Au-delà de toutes vues et de toutes surimpositions !


« Une autre façon de voir les choses, 

c'est de pratiquer l'épochè phénoménologique, 

c.à.d. suspendre le jugement sur toutes les existences prétendues extérieures, 

mais aussi sur la substantialité de ce que je suis, 

de ce que l'on appelle familièrement notre ego. 

Si on suspend à la fois la réalité des choses extérieures 

et la réalité de ce que je suis en tant qu'ego, 

on aboutit à ce mode de vivre la connaissance 

comme un processus dynamique dénué de fondement » PQE 


LGSE : Le grand sommeil des éveillés, Daniel ODIER https://www.leslibraires.fr/personne/daniel-odier/79231/  

PQE : Physique quantique Enactive : https://www.youtube.com/watch?v=XVPPRLNrNjQ&t=15s 

PQMB : Physique quantique avec Michel Bitbol partie 1 https://www.youtube.com/watch?v=jbbSglE33ZU 

 

III.77 Intra-relationnel


La forme est nouée d'interrelations,

De fils entrecroisés qui font l'addition !


L'identité est tissée de nuages,

De couches superposées d'habillages !


Sous la surface de toutes ses épaisseurs,

Nul noyau solide ne constitue le cœur !


Délie couche par couche jusqu'au tréfond,

Défaits de toutes tes empreintes les sillons !


Lorsque les vagues retirées du rivage,

Paraît l'horizon au-delà du mirage !


Le soi déconstruit

comme cire au soleil

l'espace seul


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


L'interdépendance et la vacuité sont les deux faces d'une même pièce, vide d'existence absolue. L'interdépendance est la forme-vide (qui apparaît comme monde sous la vue de l'esprit ignorant) qui est l'autre aspect du vide-forme. La forme ne fait pas obstacle à (la perception de) la vacuité, car sans discontinuité d'essence. Les « observables » sont des surimpositions vides d'existence objective, de propriétés intrinsèques, par la conscience qui émerge (elle-même vide) à l'acte de leur désignation comme événement en relation.

Le terme « surimposition » est paradoxal puisque ce sur quoi la conscience pose une conception est dépourvue d'existence objective ! De plus, l'étant elle-même comment peut-elle surimposer quoi que ce soit ? Du point de vue de la temporalité séquentielle, c'est comme si l'on postulait que l'effet était sa propre cause ! Le paradoxe disparaît toutefois dès l'abandon d'une « causalité prédictive » pensée comme un absolu. 


« Les événements ont une cause relative à l'acte de les observer

donc tant que l'observation n'est pas faite on ne peut pas prévoir » PQMB.


A ce titre, la non-localité et l'atemporalité ne sont pas extra-relationnelles. Ce sont des antidotes à la croyance en la réalité objective de l'espace et du temps. Lorsqu'ils ne sont plus vus (expérimentés) comme existant intrinsèques, mais directement perçus comme vides – par une « perception yogique directe » qui est à discriminer de la « perception directe ordinaire » –, il n'y a plus de raison de leur opposer la conception pédagogique de la non-localité et de l'atemporalité.

Il ne fait pas sens de demander si le drapeau flotte au vent quand personne ne le voit ou si le vent existait avant de voir le drapeau bouger et d'en inférer l'existence. L'inférence s'appuie sur des règles, en l'occurrence s'agissant de la détermination d'un phénomène au niveau macroscopique, sur les lois de la physique classique. « Pour donner sens à l'idée qu'un astéroïde existait avant qu'on le découvre, il faut appliquer des règles de mécanique classique. L'ensemble des observations couplé à cette connaissance vous dit que cet astéroïde existait avant l'avoir observé. Cette imputation d'existence antérieure est parfaitement cohérente avec ce système. L'inférence est bonne » PQMB.

Or, il n'en va pas de même en mécanique quantique. Les « objets quantiques » sont indéterminés. Ils ne sont « observables » qu'en interdépendance de l'observation. Toutefois, le vocabulaire a son importance dans la dissolution des paradoxes : observable ne veut pas dire réel (tangible, concret), mais « avoir un effet causal » ; observation ne veut pas dire qu'il a quelque chose qui est observé par quelque chose ici, qui n'est pas cela qui l'observe, les deux existants indépendamment l'un de l'autre ; interaction n'est donc pas synonyme de « mise en relation » de réalités objectives préexistantes à leur relationalité.

Que les observables apparaissent comme onde ou comme particule est un effet de perspective induit par la mesure (le calcul de probabilité), laquelle n'est pas une action sur un « objet quantique » qui met en évidence ses caractéristiques intrinsèques. L'observation résultante n'est pas un effet, mais l'ombre de la mesure qui apparaît sous forme d'un comportement (ondulatoire ou corpusculaire) ! La surimposition est comme une ombre sans projection de lumière de laquelle dont nous inférons l'existence de la lumière.

Les règles d'inférence de la physique classique nous disent que le soleil existe et c'est pourquoi les objets projettent une ombre, et toutes les observations vont dans ce sens. A contrario, les règles d'inférence de la mécanique quantique ne permettent pas une telle inférence. Comment peut-on déterminer les propriétés et le comportement de ce qui est indéterminé ? « Si j'essaie de reconstruire la trajectoire de l'électron avant de l'avoir observée, j'aboutis à des contradictions que l'on peut prouver avec les prévisions quantiques [probabilistes], c'est-à-dire que le concept même que "l'électron a une trajectoire sans que je le sache" abouti à des contradictions » PQMB.

Il n'est pas facile de s'abstraire de la pensée de l'existence objective, mais c'est seulement à son abandon que tous les paradoxes tombent (et pas seulement en physique quantique), dont la vue extrême opposée du nihilisme. En arguant que rien n'existe, le nihilisme est une vue, et ce fait son propre paradoxe parce que s'il n'y avait effectivement rien, il ne serait pas possible d'en faire l'assertion ! Les Mādhyamaka Prāsangika tel que Nagarjuna, réfutent les thèses des autres mais n'en infèrent aucune, car ce serait retomber dans l'absolutisme conceptuel.

Lama Tsongkhapa montre, sans contradiction, les limites de la logique. « Quand on réfute l'existence inhérente, naturellement, ça veut dire qu'on accepte son absence » PQMB. Pour que sa réfutation ne soit pas une vue, il faudrait logiquement réfuter «l'absence de l'absence », ce qui par cette double négation reviendrait… à l'admettre ! Donc, puisqu'il est impossible de réfuter la logique du raisonnement sans réfuter sa conclusion (c.à.d. sans faire de la vacuité d'existence inhérente une vue), alors la seule alternative est… d'abandonner ici la logique !

Ceci étant dit, selon la logique de l'école philosophique bouddhiste Prāsangika, toute « perception directe » (sensorielle) est erronée avant même la moindre surimposition conceptuelle ou désignation mentale, « parce que tout apparaît comme ayant une existence absolue indépendante » PQMB. Elle n'en est pas moins valide fonctionnellement ! Bien qu'il s'appuie sur des règles d'inférence non plus déterministes, comme en physique classique, mais probabilistes, le formalisme quantique permet de rendre compte efficacement du comportement des observables. «(…) quand l'observation est faite on peut dire a posteriori que cet événement qui a eu lieu est la cause relative à cet acte d'observation » PQMBLe vide-forme est indéterminé, mais la forme-vide est causale ! Donc, la réalité conventionnelle est une « vérité fonctionnelle ». C'est parce que la vacuité est « libre d'assertion » que les assertions fonctionnelles peuvent être valides en production interdépendante ! 


« La relation est relative. Il faut que quelqu'un la voit, 

mais le "quelqu'un qui voit" vous ne le voyez pas ! 

"L'œil ne se voit pas lui-même". 

Celui qui voit vous ne le voyez pas, 

mais les deux choses qui sont vues vous les voyez… » PQMB.


Nous inférons la possibilité même de connaître à partir d'un point de vue qui ne se voit pas lui-même comme connaisseur, ce qui a pour effet d'ériger la connaissance comme indépendante du connu à partir de cet « angle mort » qui nous masque la coémergence du connaisseur au connaissable. « (…) vous pouvez dire que l'un n'existe qu'en dépendance de l'autre. Mais, le "à partir d'où" les deux sont comparés, vous ne pouvez pas lui attribuer la moindre position. Vous ne pouvez que déduire qu'il est là par la comparaison des deux » PQMB.

La relationalité de l'un en dépendance de l'autre n'existe… qu'en dépendance de cela qui voit, lequel ne peut être vu, et ne fait donc pas partie de la comparaison... tout en étant le « comparateur » sans lequel la comparaison ne peut avoir lieu ! Donc, la comparaison est dépendante de la vacuité du comparateur ! S'il n'était lui-même vide, il ne pourrait comparer. La « vérité relative » est fonctionnelle en dépendance de la vérité ultime ! Les deux vérités sont complémentaires.

Outre de résoudre les paradoxes en physique quantique, abandonner la croyance dans l'existence des absolus permet d'effacer les contradictions qui surgissent à la compréhension de la pensée du Mādhyamaka Prāsangika, du fait de l'inférence en l'extra relationalité de la connaissance à « l'angle mort du connaisseur ».

Du point de vue de la « vérité fonctionnelle », le corps n'est pas l'esprit est une «cognition valide », car l'assertion peut être démontrée empiriquement. Être assis est une action, la pensée du corps assis sur la chaise ne l'est pas. Si l'esprit était le corps et la chaise, la pensée seule suffirait pour être assis ! Cela n'en est pas moins une description fonctionnelle, valide comme instrument de pensée et de communication verbale. Mais, c'est aussi la cause de tous nos problèmes…

La personne est une « inférence fonctionnelle » imputée sur la base des agrégats (corps et esprit). « Je suis assis sur la chaise » est une assertion utile pour me distinguer des autres dans le monde. Affirmer « je ne suis ne pas les pensées dont j'ai conscience» est utile pour me désidentifier et cesser de souffrir, mais il reste que l'existence objective du « je » est erronée.

Il n'y a plus de paradoxe à cesser de discriminer l'esprit, le corps et la chaise, en termes d'essence dès lors que l'on comprend que leur ontologie est vide de réalité intrinsèque et donc sans discontinuité au niveau de la « vérité ultime ». De fait, les apparences sont sans obstruction du point de vue relatif, lequel n'est pas un « ordre » du réel, mais une vue ! Puisque les deux vérités sont complémentaires, qu'est-ce qui distingue l'esprit ordinaire de l'esprit éveillé ?

En philosophie classique, la phénoménologie est l'étude de la perception qui s'appuie sur un procédé de décomposition analytique et empirique, visant à ramener « devant la conscience » (du grec phenomenon, « ce qui apparaît ou ce qui se manifeste »), le donné brut de la sensation. « Méthode philosophique qui vise à saisir, par un retour aux données immédiates de la conscience, les structures transcendantes de celle-ci et les essences des êtres » CNRTL.

La « réduction phénoménologique » de la perception procède de la suspension de tous jugements (quant au caractère, aux qualités, à l'existence, à la réalité objective, etc.), qui entraîne le dépouillement progressif de la sensation de toute surimposition (émotionnelle, conceptuelle, etc.). C'est par exemple de découpler le lien entre signifiant et signifié de sorte à voir les mots tels de simples traits. Dans une « réduction phénoménologique » plus profonde, c'est l'encre, la feuille, le papier, le livre, l'écran, l'ordinateur, etc. qui sont dépouillés jusqu'à la moelle de toutes les couches et strates de significations agglomérées, et invisibles, qu'on leur appose d'ordinaire sans même en avoir conscience, et qui se traduisent par des cognitions invalides ou erronées.


« Une fois qu'il a pratiqué sa réduction la plus forte possible, 

le phénoménologue dira simplement 

qu'il voit à la fois son "champ perceptif", 

et en même temps, sa propre tension ou propension, 

"intentionnalité", à interpréter cela 

comme quelque chose d'extérieur à lui » PQMB. 


Au terme de ce processus, la phénoménologie « transcendante » prétend ainsi révéler la pureté de la connaissance en regard de la « connaissance pure » du connaisseur, en relation à la pureté du connaissable. « Au terme de réductions successives (eidétique, phénoménologique), l'esprit se trouve en face de la conscience pure, du moi transcendantal, qui détermine et constitue les conditions ultimes d'intelligibilité de tout ce qui peut être connu » CNRTL.

Cela rappelle fortement la notion donnée à la « présence » comme sentiment de la «conscience d'être conscient » à l'issue d'une introspection similaire de l'esprit comme «le seul élément de notre expérience qui soit toujours présent (…) un contexte toujours paisible, silencieux, et conscient, qui est ce que vous êtes fondamentalement, et au sein duquel le monde prend place (…) ce qui a conscience de ce qui ait trouvé ou de ce qui n'est pas trouvé » IP. Et cela, nous évoque également Descartes qui, dans sa propre méthode de « réduction analytique » par le doute, aboutit à la conclusion de son existence comme absolu.

Pour l'école philosophique Prāsangika, « il y a toujours quelque chose dans la perception directe qui n'est pas vrai, c'est l'apparence d'existence absolue indépendante des phénomènes » PQMB. En effet, même si à ce stade le contenu du «champ perceptif » du phénoménologue semble lui apparaître comme totalement vidé de toute surimposition, pour autant, le fait même qu'il en soit l'observateur, simultanément à l'observation de sa propre intentionnalité, implique une fragmentation ou « fission du non extra-relationnel » parce que faire face au donné brut de la perception n'implique pas d'en réaliser la vacuité !

De ce point de vue donc, qu'il s'agisse de la perception consciente d'une chose, de la «conscience d'être conscient » (par le retour de l'attention sur elle-même, par un acte de connaissance intentionnel, comme dans la « vision sans tête »), de la présence ou de la « conscience de la présence » (par le retour introspectif de la conscience sur son propre événement), de l'état de méditation du « sans-forme », du « sentiment océanique », de « l'union » du sujet et de l'objet dans le samādhi du yoga, etc., tous ces « événements de conscience » n'en révèlent pas moins jusque dans leur degré le plus subtil… du samsāra !

Qu'est-ce que la forme ? Forme et surimposition sont des termes mutuellement inclusifs, comme ondes et électrons (sous la typologie de leur comportement respectif) sont les ombres observables du résultat de calculs probabilistes. La forme est un agrégat de couches surimposées sur les unes sur les autres – constitutives de catégories : sensorielle, perceptive, conceptuelle, émotionnelle, expérientielle, existentielle… –, à la différence essentielle qu'elles ne s'agrègent sur aucun substrat objectif, mais en quelque sorte sur elles-mêmes !

Imaginez un vêtement tricoté de couches de fils tissés les uns sur les autres, comme un patchwork vertical plutôt qu'horizontal. Chaque couche est un réseau d'interactions, en interactions avec les couches de plus en plus grossières depuis le niveau infinitésimal, inobservable... Il n'y a rien en-dehors de cet enchâssement de réseaux relationnels totalement intriqués, incluant y compris le connaisseur, qui n'a donc rien de particulier en soi (rien d'extra-relationnel ou transcendantal), hormis que cette « trame connaissante » est… invisible à elle-même.

Tant que le connaisseur réside aveuglément dans « l'angle mort » de sa propre connaissance, la perception qu'il a des phénomènes comme phénomènes ou comme «observables » (quelles que soient leurs modalités), demeure une surimposition par désignation mentale catégorielle, et donc une fragmentation comme « événements de conscience » distincts du tout relationnel indivis.

A ce stade, il nous entreprendre une réduction phénoménologique de ce réseau, ou, en nous appuyant sur le principe de la méditation dite de « vision supérieure » – qui vise la réalisation du non-soi de la personne et des phénomènes – a une « réduction phénoménologico-analytique des surimpositions ». Il ne s'agit pas seulement ici d'atteindre à l'épochè radicale, la cessation de tout jugement – ce n'est non plus la même chose que la méditation du « sans-forme » qui produit l'inhibition du jugement par le Pratyāhāra, le « retrait des sens » –, mais de réaliser le caractère vide de réalité objective, intrinsèque et autonome, du tissu du « songe de la réalité » dont nous sommes tissés !

A mesure de cette réduction radicale, en enlevant surimposition après surimposition toutes les couches (de la plus grossière à la plus subtile), de ce « maillage de surimpositions entrecroisées », la forme du vide devient de plus en plus évidente au vide de la forme, jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de discriminer observateur et observé de l'observation, connaisseur et connaissable de la connaissance. Lorsqu'il ne fait tout simplement plus sens de poser l'assertion de « l'existence » ou de la « non-existence » (du soi de la personne et du soi des phénomènes), la réalisation de la vacuité est atteinte.


IP : Introspection de la présence https://www.youtube.com/watch?v=BQvXoGrzVDk 

PQMB : Physique quantique avec Michel Bitbol partie 1 https://www.youtube.com/watch?v=jbbSglE33ZU  

III.78 Réduction


L'espace est à lui-même invisible,

N'accueille ni retient le perceptible !


L'absence d'obstruction est sensible,

En ce non lieu, le mouvement infaillible !


Dans l'angle mort du vide de son isolat,

Sur l'indicible contact met le tréma !


Enveloppe la diaphane imprésence,

Du manteau incarnat de la vraisemblance !


Depuis l'ailleurs qui d'aucun n'est pas,

Jusqu'à ce qui nulle part n'est là !


Poussière dans l'œil

ne se voit pas lui-même

et pourtant se sait


Lobsang TAMCHEU

Eléments de réflexion


Vous êtes dans une pièce entièrement blanche du sol au plafond, sans ouverture mais très lumineuse, qui contient pour mobilier une chaise en bois marron foncé, recouverte d'un coussin rouge, sur laquelle vous êtes assis, vêtu d'un pantalon et d'une chemise blanches, pieds nus en contact du sol, un caillou dans la main droite, dans un silence profond. Un miroir de plein pied renvoie votre image. De plus, vous visualisez la scène dans votre esprit comme un second reflet.

Vous avez conscience de chacune de ses choses, et vous avez conscience d'en être conscient. Vous connaissez naturellement les limites de votre corps à la frontière de celles qui choses en contact sensoriel avec votre perception. Vous sentez le sol sous vos pieds, le caillou dans votre main, l'air qui entre et qui sort de vos poumons, votre image dans le miroir qui fait face à votre corps, face à la conscience que vous avez de votre corps, face à la conscience d'être conscient.

Vous avez conscience de tout cela. Vous discriminez chaque détail, de chaque chose. Vous identifiez chaque élément et distinguez l'image dans le reflet, de votre corps assis devant, et de l'image mentale de la scène dans votre esprit. Dans ce schéma, chaque chose a une position, des caractères, des propriétés, déterminées, qui les différencient à votre perception et à votre conscience. Vous-mêmes vous connaissez, par votre identité, votre nom, votre histoire, vos désirs et vos espoirs, vos peurs et vos peines. Vous regardez le caillou. Lui n'en sait rien ! Qu'est-ce qui fait vous distingue, qui fait de vous ce que vous êtes ?

Fermez les yeux et respirez très lentement. Soyez immobile, le dos droit. Laissez les sensations s'évanouirent d'elles-mêmes, ne les suivez pas, n'observez pas. Tournez simplement le regard intérieur vers vous-mêmes et résidez là, dans la conscience d'être conscient. Vous ne sentez plus le sol sous vos pieds, vous ne sentez plus le caillou dans votre main droite, vous ne sentez plus la sensation de la respiration. Ne visualisez plus la scène, laissez toute image mentale disparaître d'elle-même. Il n'y a rien que le noir derrière vos paupières fermées, rien que le silence autour de vous et en vous, rien que la conscience d'être conscient…

Dans cet état de méditation « du sans-forme », très profond, dans le vide et le silence mental où, seule, réside la conscience d'être, rien d'autre n'existe. Vous êtes arrivé par l'approche introspective empirique à ce qu'il y a plus fondamental de vous-mêmes, l'essence de l'être que ne possède pas le caillou. Certaines traditions philosophiques diraient que vous touchez là le « véritable Soi » !

Cependant, ce n'est même pas le début, ni même un avant-goût ! Mais, c'est loin d'être inutile ! Vous constatez, par vous-mêmes, empiriquement, que vous n'êtes pas ce qui apparaît dans le « champ de vos pensées », dans le « champ de vos perceptions », dans le « champ de votre conscience » ! Vous n'êtes pas ce à quoi vous vous identifiez habituellement sans même en avoir conscience, vous n'êtes pas vos pensées, vos désirs, vos craintes, vos angoisses, votre bonheur ou vos souffrances. Rien de tout cela n'est « vous » et ni ne vous appartient ! Là, dans cet état dénudé, vous êtes sereins, en paix, libres car détachés de tout ce qui vous détourne de la conscience comme simple présence à elle-même…

Toutefois, ce n'est pas un dépouillement, c'est une simple inhibition sensorielle, perceptuelle, cognitive, dont la profondeur n'est pas garante de la véracité de cet état de « décorporation », qui emporte toute saisie identitaire du monde et de votre personne, dans cet état de cohérence indescriptible de la « présence » dans-en-sous, laquelle vous vous trouvez, si les notions d'espace, de temps, de « vous » ont encore un sens, et même s'il fait seulement sens de le décrire !

Maintenant, lentement, ouvrez les yeux. Maintenez l'attention sur ce qui voit et constatez ce qui vous sépare de ce qui est vu. Remarquez également que dès la réémergence à ce qui est perçu, cette profondeur se comble à son tour comme le reflux de l'océan recouvre à nouveau la plage… Toutefois, conservez l'attention sur cela qui est « conscient d'être conscient », sur la présence à l'intérieur…

Observez ce qui vous entoure et rappelez dans votre mental la visualisation de la scène, vous dans la pièce, assis sur une chaise sur un coussin rouge avec un caillou dans la main droite qui se reflète dans un miroir, tout en restant toujours concentré sur le sentiment de présence intérieure. Et maintenant, nous allons utiliser une méthode différence, la « réduction phénoménologique », mais aussi analytique des surimpositions, de tout ce que vous surimposez sur les choses.

Tout en maintenant la présence en arrière-plan, regardez qui regarde en ce moment le caillou, pas dans le miroir, pas dans votre visualisation mentale, mais « sur l'écran », cette personne, cette identité qui vous saisis personnellement et à travers laquelle vous vous reconnaissez lorsque vous dites « moi » !

Distinguez là nettement, distinguez-la clairement, sur le fond de la présence claire et stable à elle-même. Discriminez en quoi elle n'est pas la présence qui se saisit elle-même, mais une surcouche, comme le reflet de votre corps dans le miroir, comme la pensée du « reflet mental » de la scène dans votre esprit… Voyez son caractère, voyez ses qualités, des tendances, ces défauts, ses pensées, voyez sa personne comme vous voyez l'identité personnelle chez les autres…

Qui regarde le caillou ? Est-ce la « présence », est-ce la « personne » ? Voyez le regard de la seconde à travers les yeux de la première. Voyez ! Le « soi de la personne » est une surimposition, existentielle, expérientielle, émotionnelle. Vous regardez la personne, celle-là même à laquelle vous vous identifiez, et vous voyez qu'elle n'est qu'un rôle qui n'a de réalisme qu'en regard du jeu de l'acteur, vous, qui lui donnez vie et qui croyez en son existence !

Vous n'avez pas besoin de croire en la présence pour qu'elle existe. La présence est toujours là même lorsque le personnage la recouvre et l'occulte à sa propre vue comme un nuage obscurcit le soleil. Moins vous croyez au personnage, au « soi de la personne», et moins ce rôle à d'emprise sur vous. Comme les choses qui vous entourent, le caillou dans votre main, la chaise sur laquelle vous êtes assis, la scène toute entière visualisée mentalement, la « personne » est comme un tableau accroché au mur sensoriel du paysage virtuel là devant vous, devant la présence. Vous voyez tout cela, mais vous ne pouvez vous voir vous, comme l'œil ne se voit pas lui-même, alors qu'est-ce qui vous faire dire qu'il « existe » ?

Vous discriminez les choses et vous différenciez chacune tant de manière cognitive (sensorielle, perceptuelle) que psychologique, phénoménologique et transcendantale, par opposition modale et par contraste amodal. Voyez le caillou dans votre main. Vous avez « conscience » des deux, de leurs différences et de leurs particularités, vous savez les nommer. Mais considérez les mots, que sont-ils sans le sens que vous leur apposez ?

Si vous entendez les mots « caillou » et « main » dans une langue que vous ne connaissez pas et qui n'a absolument aucune similitude avec votre langue natale, quel est le sens des mots ? Imaginez que ces mots apparaissent sur le miroir comme des traces de buées. Sans la surimposition des idées, des concepts, des conceptions que vous leur apposez, ce ne sont que des traits. Maintenant, faite un pas plus profondément encore en arrière. Qu'est-ce que sont ces traits au niveau atomique et qu'est-ce qui les distinguent du miroir ?

Nous avons une expérience sensorielle caractéristique de notre main droite. Nous savons la distinguer du reste de notre corps même les yeux fermés. Toutefois, ce n'est pas son ressenti sensoriel direct qui nous confère sa cognition. Ceux qui ont été amputé d'un membre témoignent en ressentir toujours la… présence ! Ils ne peuvent plus le voir, ni le toucher, et pourtant ce « membre fantôme » semble pour eux aussi réel que le reste de leur corps ! Réduisons encore. Quelque part dans notre cerveau se trouve une sorte de « carte neuronale », un « schéma corporel », agrégat de surimpositions sensorielles et expérientielles, qui constitue le signifiant que nous avons de notre main droite (et de la totalité de notre corps).

C'est si habituel, si ordinaire, que nous n'avons absolument pas conscience que la sensation de notre corps est une construction, une « carte mentale » qui couvre le territoire apparent de ses limites physiques… lesquelles ne sont elles-mêmes qu'un agrégat de surimpositions ! Il y a quelque chose en nous en regard de quoi il fait sens de dire, « c'est mon corps », comme il fait sens de dire « cela est un caillou ». S'agissant d'une représentation, bien que constante, elle n'en est pas moins un « phénomène impermanent », qui de fait peut s'altérer. Que se passe-t-il si la « carte » ne superpose plus au « territoire » ?

Réduisez, enlevez la carte, retirez les sensations externes et proprioceptives, jusqu'à vous abstraire totalement ce qui fait que vous ressentez, expérimentez, pensez « j'ai un corps », comme dans la méditation du « sans-forme » où vous arrivez à cet état où il n'y a plus que la présence. Mais ici, vous n'inhibez pas vos sensations, vous vous soustrayez de la phénoménologie de la surimposition de la catégorie sensorielle. Sans cette carte, où se trouvent maintenant les frontières entre votre main et le caillou ? Où commence le caillou et où finit votre main ?

Qu'est-ce qu'une main ? Qu'est-ce qu'un caillou ? Qu'est-ce dire « ma » main ? Quel est le sens, vécu, expérientiel, existentiel, de dire « mon » corps ? Englobez la chaise, le coussin, le miroir, le reflet de la scène dans le miroir. Où commence la chaise et où finit votre corps ? Où s'arrête la pièce et où commence le reflet ? De quel côté êtes-vous ? Englobez la visualisation mentale de la scène. Quelle différence faites-vous entre l'extérieur et l'intérieur, entre réel et imaginaire, entre vrai et non-vrai ? Ces mots ont-ils seulement encore un sens, une expérience ?

Là, « ici et maintenant » (sans que ces notions même aient un sens) de quoi avez-vous conscience ? Avez-vous conscience du monde, du reflet, de votre pensée, de votre personne, comme des surimpositions, en regard desquelles vous avez « conscience d'en avoir conscience » ? Pouvez-vous, en ce non-instant, dans cet espace d'indétermination totale, affirmez « être conscient d'être conscient » alors même qu'au-delà du sens et des mots, rien dans cette non-expérience ne permet de discriminer quoi que ce soit de manière, distincte, claire et stable ?

L'œil ne se voit pas lui-même et il ne peut donc pas non plus voir que, c'est en interdépendance à ce qui est vu que, l'angle mort qui l'occulte à son aperception lui apparaît comme un ressenti modal de son imperceptibilité ! Le connaisseur émerge comme « évènement de conscience », en coémergence de « l'acte de connaissance » de son objet, de l'absence de sa propre aperception. Il n'y a pas d'éléphant dans la pièce, concentrez-vous sur cette idée « d'absence », représentez cette absence… Pouvez-vous vous départagez de la conscience indescriptible et inexprimable de cette absence comme… d'une présence ?

Il n'y a pas d'éléphant dans la pièce où vous vous trouvez est une « cognition valide » du fait de la possibilité de la vérifier empiriquement (elle est fausse s'il y a un éléphant !). Mais, cette capacité de vérifier la réalité de ce qui est vu dépend de la capacité de discriminer de cela qui voit, laquelle dépend fonctionnellement de la discrimination de la « conscience de soi » à la conscience de son objet. De votre point de vue, il vous apparaît que sans connaisseur (transcendant), il n'y a pas de connaissable possible, y compris la connaissance du connaisseur !

C'est parce que nous arrivons à la limite expérientielle (et conceptualisable) de ce que nous permet la « réduction phénoménologique » par un observateur… qui ne se réduit pas lui-même ! Toutefois, bien qu'elle soit incomplète, et que le reste de la démonstration doive être faite par « réduction analytique », ce que cette opération nous révèle ici, c'est que lorsque le connaisseur atteint le stade où il ne lui est plus possible de se distinguer cognitivement, le processus de réduction des surimpositions s'ouvre alors sur un « vide catégoriel » tel que « l'événement de conscience », sous lequel le connaisseur s'apparaît dans la méditation du « sans-forme » (vision sans tête, etc.) comme présence, entraîne sa disparition sous le sentiment d'une connaissance transcendantale !

Dit plus simplement, il n'y a rien là d'extra-relationnel, mais pour mener à bien cette démonstration, il nous faut concevoir un observateur hors champ. Et là où s'est arrêté Descartes, où s'arrêtent les non dualités de l'Inde, et les approches contemporaines suggestives de « l'éveil », la réduction continue en englobant l'observateur (connaisseur, conscience, présence) en faisant comme si celui-ci devait se dédoubler pour être témoin de sa propre dé-surimposition !

La phénoménologie cherche l'essence ultime de la conscience par la réduction de toutes les surimpositions aux phénomènes, par une épochè radicale qui aboutit au donné pur de la perception, dont la connaissance renverrait comme un miroir parfait la connaissance pure du connaisseur, transcendante car elle ne procéderait pas de l'ordre de la forme, mais serait cela qui, ultimement, rend possible la connaissance déterminée, sans que sa propre présence ne le soit.

Sous cette discrimination, l'espace et le temps sont posés comme le cadre référentiel à l'acte de connaissance de l'observable par une transcendance dont la « conscience de la présence » traduit de manière modale l'inobservabilité de l'essence. Cela vous apparaîtra paradoxal… si vous essayez de le comprendre sur la base de la croyance en l'existence de la présence comme absolu !

A partir de maintenant, la « réduction des surimpositions » entre dans le champ de la philosophie du Mādhyamaka Prāsangika en procédant à la réduction de la connaissance transcendantale de la présence. Il s'agit ici, à l'aulne de Nagarjuna, de « penser l'interdépendance sans essences autonomes qui entreraient ensuite en relation » PQMB. Sans concevoir non seulement l'essence autonome du caillou, de la chaise, du miroir, du reflet, de la pensée de tout cela, mais y compris l'essence de l'observateur, de la «présence à sa conscience ».

Retirez du caillou ce qui vous le fait voir (sentir, expérimenter, vivre) comme un caillou dans votre main. Réduisez la distance cognitive et la perspective de la conscience entre l'observateur et l'observé, en réduction de l'espace et du temps comme référentiel de la connaissance. Retirez la conscience du caillou et la conscience « d'être conscient » comme indépendant en eux-mêmes. Réduisez la discrimination de leur conscience séparée jusqu'à les voir comme des relations, et réduisez le réseau de leurs relations interdépendantes jusqu'à cesser de les voir elles-mêmes comme essences interreliées ! « Les structures relationnelles aussi sont vides (…) elles ne sont ni précédentes aux objets ni non-précédente aux objets, ni les deux à la fois, ni, finalement ni l'un ni l'autre » PQMB. « Les relations sont aussi relatives, que le vide (d'être-propre) est vide (d'être-propre) », Nagarjuna.

Réduisez encore ! Jusqu'à emporter totalement l'interrelation du connaissable, de la connaissance et du connaisseur dans l'indéterminé, indescriptible et inexprimable, au-delà de tout observable phénoménal, par-delà la « vacuité des trois sphères ». Réduisez encore !! Jusqu'à ce que disparaisse l'espace entre les coutures et le tissu, entre l'eau et l'océan, entre la « conscience d'être conscient » et l'angle mort de la perspective de la présence. Réduisez encore !!! Jusqu'à atteindre la stabilité claire de l'évidence qu'aucun n'existe de manière inhérente, autonome, transcendantale ! Réduisez jusqu'à ce qu'il n'y ait plus ce qui en rien n'est pas, dans la vacuité de la vacuité !

Au point zéro, il n'y a pas rien, et pas plus de passage par-delà ! Tout est et n'est pas ici, de ce côté du « seuil sans côté » de la conscience-horizon, inobservable et… pourtant fonctionnelle ! Le processus phénoménologique et analytique de « réduction des surimpositions » n'est pas un effacement. Le caillou, votre main, votre corps, la chaise, le reflet, l'image mentale, ne s'évanouissent pas dans un néant invisible. Il n'y a rien qui atteigne, obtienne, ou réalise le point où la forme est vide et où, simultanément, le vide est forme. Tout est et n'est pas déjà là !

Les mots sont vides de sens. « Ici » et « vide » sont vides de sens ! « Sens » est vide de sens ! La vacuité est « libre de toute assertion ». Elle n'est pas le néant, ni même la « négation non affirmative » de l'existence et de la non-existence, des deux à la fois, ni d'aucun des deux ! Qu'est-ce qui me distingue du caillou, qui fait de « moi » quelqu'un de spécial ? Rien, y compris si je réalise la vacuité. Rien n'atteint le tout absolu ! Et rien… n'est rien qu'un mot !

III.79 Simplifier


La bougie, le regard et l'étincelle,

Brillent à l'unisson relationnelle !


A travers la fente de l'instant présent,

L'œil ne voit ni l'anté ni le subséquent !


Le pas en avant prend appui sur le passé,

A l'instant même, qu'est-ce que marcher ?


Le présent naît en mutuelle dépendance,

Du non-existant et de l'existence !


Le connaissable est un fait simultané,

A l'événement du connaisseur, non né !


Efface tes pas

à l'absence du son

vient le silence


Lobsang TAMCHEU
 

Eléments de réflexion


Imaginez une tasse devant vous. Vous tendez la main pour la saisir et soudain… elle passe à travers ! Vous en inférez aussitôt que la tasse est un mirage. Mais, pourquoi la tasse plutôt que votre main ? Parce que l'expérience empirique vous dit par ailleurs que vous existez (peu importe comment, mais vous existez), vous êtes réels, et tous les objets qui vous entourent hormis « saisir cette tasse » sont tangibles et concrets, donc c'est la tasse qui est en cause. Votre perception, elle, est valide, et donc votre inférence correcte.


« Ce qui est considéré comme existant au niveau conventionnel 

dans [la logique de l'école bouddhiste] Prāsangika, 

c'est quelque chose qui apparaît, mais qui ne doit être pas contredit 

par une "perception valide conventionnelle" (…) 

si je m'approche d'un mirage, ça ne va pas fonctionner 

parce que ça va être invalidé par ma conscience tactile. 

Par contre, si je m'approche d'un lac [le fait qu'il ne soit pas un mirage] 

ça va être confirmé par un perception tactile » MBPQ.

Maintenant, imaginez qu'il s'agit d'un rêve. Dès lors, non seulement la tasse est une illusion rêvée, mais vous aussi en tant que rêveur êtes une illusion ! Rien de tout cela n'est réel. Le caractère de réalité de ce que vous vivez vient uniquement de l'ignorance du fait que vous rêvez, et de l'imputation du fonctionnement du rêve sur la base de l'imputation du fonctionnement du monde dit « réel ». Donc, si vous vous basez sur votre expérience onirique, votre perception tactile rêvée vous dira que la tasse est une illusion, et validera votre inférence.

Il est bien utile de posséder une définition de ce qui est « réel » et « vrai » de sorte à nous permette de discriminer l'illusion et le faux, mais cela n'implique pas qu'il doive pour cela exister une « réalité vraie » ! Le contexte nous fournit tout ce dont nous avons besoin sans avoir à l'interroger ni à en douter, et s'avère de ce fait très efficace pour répondre à nos besoins. Même si la vérité ultime est vide d'objectivité, la réalité conventionnelle est fonctionnelle.


« Vous remontez à partir de phénomènes vers ce que vous pensez 

en être la cause par votre raison, et donc il vous faut interroger votre raison, 

ce que Kant appelle une « Critique de la raison pure ». 

Quel instrument utilisez-vous pour prétendre 

que le monde est fait de ceci ou de cela ? 

Quelle est la condition en nous qui a besoin de postuler 

l'existence de cette chose dans le monde ? » MBPQ.


Si je crois que la causalité est vraie, quel que soit le contexte, alors traverser un mirage prouve qu'il s'agit d'une illusion et démontre la fonctionnalité du réel. Je n'ai même pas besoin d'être assuré que j'existe réellement ! Ça fonctionne dans le rêve, et ça fonctionnerait aussi bien si tout n'était qu'un mirage ou de nature holographique. Nous réveiller en sursaut d'un mauvais rêve montre que la causalité n'a pas besoin de reposer sur un fond d'objectivité. Nous n'avons pas besoin que la causalité soit réelle, seulement qu'elle relie et explique !

Pour que la « réalité conventionnelle » soit opérante, il faut qu'une chose soit produite en dépendance d'une autre selon le « principe de causalité » d'après lequel rien n'existe sans cause. Une graine donnera une fleur, une pousse de riz du riz, un œuf une poule, etc. L'important n'est pas de savoir qui précède l'autre, ni s'il y a une cause première – pour le Bouddhisme, les phénomènes sont sans commencement –, mais comment est leur rapport qui, selon le Bouddhisme, postule que « la cause doit toujours être de même nature que l'effet ». Une pousse de riz ne n'engendre pas une poule !


« Où que ce soit, quels qu'ils soient,

Les phénomènes ne se produisent pas

Par eux-mêmes, par autre chose,

Par les deux à la fois ou sans cause » MMK


Bien que toutes choses soient vides de réalité objective, et donc que ce que nous appelons le « monde réel » soit semblable à un rêve, pour autant ces apparences sont régies par un ordre d'une logique quasi implacable, et pourrait-on dire qui n'est jamais remise en cause. Il faudrait un temps considérable pour qu'un œuf ne donne plus une poule après d'innombrables mutations génétiques sur des millions d'années, mais même ainsi, il ne donnera jamais autre chose qu'un organisme vivant. Mais, si la durée du processus est infinie, ça change…

Le nombre d'atomes qui composent une chose (où son potentiel quantique à les manifesté) est déterminant du nombre de combinaisons qu'ils peuvent former, sous le comportement desquels ils peuvent se manifester. En un temps infini, toutes les combinaisons possibles se manifesteront un nombre infini de fois. De cette combinatoire ou ce potentiel, surgiront aussi bien une poule, un parapluie, un cactus ou un tas de sable ! Même si ce processus est régi par le hasard, et que pour un nombre infini de combinaison la nature de la cause et de l'effet sera totalement différente, il existera néanmoins un nombre infini de combinaisons pour lesquelles la cause est de même nature que l'effet. L'on ne peut pas parler ici de causalité, c'est le hasard et l'infini qui produisent quelque chose dont il est possible de dire rétrospectivement, « ceci étant cela est ».


« Les événements n'ont pas de cause en mécanique quantique 

puisqu'ils se déroulent aléatoirement. 

En vérité, les événements ont une cause relative à l'acte de les observer, 

et donc tant que l'observation n'est pas faite on ne peut pas prévoir, 

mais quand l'observation est faite on peut dire a posteriori 

que cet événement qui a eu lieu est la cause relative à cet acte d'observation. 

C'est une "causalité non prédictive", mais une causalité quand même, 

parce qu'après coup on peut dire que 

ça ne pouvait pas se passer autrement » PQMB.


La question n'est pas de savoir ce qui fait qu'en réduisant (en passant de l'infini au fini), il se produit comme une sélection naturelle qui entraîne la disparition des relations de nature différente pour ne conserver que les relations de même nature, car ce serait postuler une causalité « extra-relationnelle » à ce processus (inférer « l'influence de l'observateur », comme en mécanique quantique, est exclu pour la même raison, ce serait postuler la transcendance de la conscience).

Dès lors que l'on exclut la causalité comme « principe déterminant », pourquoi le monde tel que nous le connaissons apparaît-il régi par une causalité a priori ? Cette constatation empirique de la causalité qui, non pas semble mais, confère à la « réalité conventionnelle » son caractère fonctionnel en opérant comme une loi, ne serait-elle en vérité qu'une inférence, et donc une surimposition mentale ?


« Qu'est-ce que le monde physique ? 

C'est nous qui le prenons dans les filets de nos dispositifs expérimentaux, 

de nos concepts et de nos procédés d'inférences et à partir de là 

inférons quelque chose sur ce que sont les choses (…) 

quand on dit l'observateur "influence" l'expérience, 

c'est presque comme la "causalité productive", 

il n'y en a pas un qui démarre et l'autre qui est influencé. 

C'est vraiment que ça cosurgit » PQMB.


Les « objets quantiques » étant par nature inobservable, car vides de réalité objective, ne sont pas pris dans les « filets des dispositifs expérimentaux », ils en sont tissés ! C'est de l'inférence que surgit l'observable. La perception directe est invalide, car c'est déjà une interprétation du point de vue de la réalité ultime. Lorsque l'on infère sur cela que nous croyons être l'essence des choses, nous ne faisons qu'émettre des inférences sur des surimpositions ! Le physicien quantique n'accède pas à la connaissance propre de ce qui est, mais à une projection de l'instrument de sa raison comme l'ombre de la mesure.


« Il n'y a pas que les Chittamātra qui diraient ça, 

les Mādhyamaka Svatantrika Yogācāra 

disent que "tous les phénomènes manquent d'existence véritable" [autonome]. 

Ils font une nuance, ils ne parlent pas "d'existence véritable", 

ils disent que les phénomènes physiques et mentaux sont simultanés » PQMB 


La causalité se caractérise par la « relation sérielle » entre la cause et l'effet en tant que choses distinctes. Concevoir leur simultanéité abroge cette distinction et il n'est plus possible, au sens strict, d'assimiler la simultanéité à la causalité – quoique pour penser la synchronicité, il faille poser la possibilité d'une causalité extra-relationnelle –. Or d'une part, en physique quantique, la « causalité non-prédictive » ne signifie pas l'absence de causalité, et d'autre part, cela pose surtout problème non pas tant en regard du temps comme contexte de référence que de la séquentialité comme « caractère inhérent » de la causalité.

Le sens de coémergence, c'est la dépendance mutuelle des « trois sphères », le connaissable, la connaissance et le connaisseur, qui ne peuvent exister l'un sans l'autre. En physique quantique (au plus près de ce qu'il est possible de dire quant à ce que n'est pas une réalité ultimement objective), la simultanéité ne contredit pas la causalité, elle interroge la raison qui cherche à penser l'influence de l'observateur en séparation de l'acte d'observation de l'observable.

La causalité peut-elle être extra-relationnelle ? Dès lors que l'on en arrive à la constatation qu'une réalité extérieure objective n'est qu'une inférence, comme le montre empiriquement la physique quantique, comment la causalité peut-elle encore être considérée comme un principe déterministe de son propre côté ? S'il n'existe pas d'éléments entitaires possédant une réalité propre, qu'est-ce qui les met en relation qui serait de l'ordre d'un principe objectif ?


« On parle de conditions

Lorsque quelque chose se produit en dépendance d'elles.

Aussi longtemps que rien n'est engendré par elles,

Pourquoi ne sont-elles pas des non-conditions ?

Et si les conditions ont produit un effet,

Alors les conditions n'existent plus,

Puisqu'elles ont fait place à l'effet.

Comment parler alors de conditions ?

Les conditions sont donc toujours soit anticipatrices,

Soit rétrospectives, et n'ont aucune existence réelle » MMK.


Le « réalisme des absolus » pose l'objectivité intrinsèque des éléments mis en relation et de la cause qui les relie en tant que principe a priori, ce que la « voie du milieu » critique sur la base de leur vacuité. Le Mādhyamaka Prāsangika n'est pas non plus d'accord avec le Chittamātra sur la simultanéité de la forme et de la conscience sur le plan ultime qui serait de nature idéel, ni avec le Mādhyamaka Svatantrika Yogācāra quant au co-surgissement des phénomènes physiques et mentaux sur le plan relatif. Mais, tous se rejoignent quant à la conception de la causalité comme l'existence d'isolats conventionnels en dépendance mutuelle.

La coémergence ne dit pas que la cause et l'effet n'existent pas, elle montre seulement que la « dépendance relationnelle » est, ultimement, sans relation ultime entre des éléments (vides) qui n'acquièrent un caractère distinct d'apparence que par l'entremise de leur relationalité (vide). La relation linéaire n'est pas signifiante d'une causalité qui viendrait avant et connecterait des entités intrinsèques en regard du principe de « nature correspondante », elle exprime comme perception, sous la forme vérifiable d'une relation de « même nature », la conception d'éléments distincts qui semblent exister en propre !

Est-ce vraiment problématique de penser la causalité sans isolats conceptuels ? Ne serait-ce pas plutôt faire de la relationalité une vue qui est préoccupant ? Nagarjuna met en garde de ne pas faire de la vacuité une vue en la concevant comme une essence objective comme substitut à la substance ! Or, puisque l'interdépendance est l'autre aspect de la vacuité, nous ne devons pas non plus faire de la causalité un principe de détermination en soi !


« Peut-être que la théorie quantique nous révèle que 

la nature n'a aucune nature propre à révéler ! 

C'est un renseignement négatif. 

Ce n'est pas comme Carlo Rovelli qui dit 

"la nature est faite d'un réseau d'interdépendance", 

là je dis la nature est telle 

qu'il n'y a pas de nature propre possible à révéler » PQMB2.


Que la forme soit vide et le vide forme, implique que l'interdépendance est aussi vide de relation propre que « le vide (d'être-propre) est vide (d'être-propre) » ! Les deux vérités du Bouddhisme sont vides, ce que lama Tsongkhapa exprime par la formule «les phénomènes sont des productions interdépendantes infaillibles et la vacuité est libre d'assertion ». L'existence de la causalité est a posteriori indéniable sur le plan conventionnel, mais elle n'est pas une loi inhérente, un principe a priori, déterminant extra-relationnel des phénomènes !

La cause et l'effet ne sont pas réels sur le plan ultime. Sur le plan conventionnel, la causalité est un « effet de perspective » qui émerge comme observable modal et fonctionnel en tant qu'expression du cadre de la « raison pure ». Les éléments mis en relation et les conditions de leur relationalité ne sont pas seulement vides au plan conventionnel, c'est le plan lui-même dans sa manifestation phénoménale comme espace-temps relationnel qui est une surimposition, laquelle rend compte efficacement de la manière dont les choses apparaissent, fonctionnent et disparaissent en regard de la causalité.


« La théorie quantique est d'autant plus facile à comprendre 

qu'on accepte qu'elle ne révèle rien d'une supposée nature propre de la réalité, 

rien du tout ! (…) La mécanique quantique est parfaitement efficace 

non pas parce qu'elle a capturer l'essence du monde, 

mais parce qu'elle a réussi à cueillir la forme de toutes les interventions 

que nous pouvons faire dans le monde, et de calculer la probabilité 

des réactions de ce monde que nous explorons 

face aux actions qu'on exerce » PQMB2.


MMK : Mūla Madhyamaka Kārikā, Les versets du milieu, Nāgārjuna https://btr2010.files.wordpress.com/2014/04/versets-du-milieu-nagarjuna.pdf  

PQMB1 : Physique quantique avec Michel Bitbol partie 1 https://www.youtube.com/watch?v=jbbSglE33ZU 

PQMB2 : Physique quantique avec Michel Bitbol partie 2 https://www.youtube.com/watch?v=9ggzeCEmW1k  

III.80 Karman


L'indicible rend le fini possible,

Tel en sa nature est indescriptible !


De l'illimité, le mot est la limite,

Sans le dire est dépassement tacite.


Sans connaître de la pensée la sapience,

Nul effet à l'acte sans co-naissance !


Des vagues du désir surgit la personne,

Tel du vent dans l'espace tourbillonne !


De l'être non discontinu en essence,

Nulle réelle obstruction aux apparences !

Un verre vide

dans un océan d'eau

rien n'est caché !


Lobsang TAMCHEU

Eléments de réflexion


Quelle différence y a-t-il entre un physicien quantique et un moine zen ? Outre que l'un cherche à comprendre la réalité extérieure et l'autre sa réalité intérieure, le physicien procède à des expériences sur le monde pour mettre à l'épreuve ses théories du monde, et c'est en analysant le résultat obtenu qu'il progresse dans sa compréhension. C'est aussi ce à quoi nous engage le Bouddha, en « parfait physicien spirituel » mettre sa doctrine à l'épreuve des faits.

Là où le pratiquant bouddhiste commence par questionner l'instrument de sa connaissance, c.à.d. son propre esprit, de sorte à le dévoiler de l'ignorance par le développement de sa sagesse en lien avec son action dans le monde, le physicien quantique suit le cheminement inverse, il commence par chercher à dévoiler le réel et en vient progressivement (parfois avec une certaine résistance mentale) à redéfinir radicalement son point de vue sur la réalité à travers une remise en cause tout aussi radicale de l'instrument de sa connaissance.


« La physique quantique nous oblige à faire une révolution.

C'est un préjugé de croire que la théorie physique

doit être une représentation du monde.

Quand on abandonne ça, tout devient clair, limpide » PQMB2.


Mais, là où le questionnement du physicien quantique procède du résultat de ses expériences à l'appui de ses prévisions, en filigrane de ce que cela lui enseigne sur l'interrelation de la connaissance à son objet, c'est dans l'abandon de tout désir d'obtention et de toute intention prédictive que le pratiquant d'un art martial zen réalise l'êtreté. Et le physicien quantique fait écho à cette clarté en comprenant que sa science est en fait une « théorie des limites de l'information expérimentale disponible » PQMB2, comme l'a définie le physicien Anton Zeilinger.


« Selon Bohr, la physique la mécanique quantique,

c'est un symbolisme mathématique capable de prédire

en termes de probabilité les résultats expérimentaux.

Non seulement vous n'expliquez plus rien au sens des causes premières,

ou des essences, ou des collisions, mais vous ne décrivez plus rien !

Vous ne décrivez même pas les phénomènes,

vous décrivez les probabilités que vous utilisez

pour prévoir à peu près les phénomènes ! » PQMB2.


Quel que soit le domaine, ces limites définissent ce qu'il nous est possible de faire et leurs résultats. En termes de connaissance, la mécanique quantique se heurte à de nombreuses limites, comme l'impossibilité de trouver un fondement objectif aux phénomènes, et le caractère restreint des prédictions en regard du « champ des possibles », lequel est d'autant plus infini qu'inobservable et indescriptible autrement qu'en termes d'observables qui sont des inférences de l'indicible.

Imaginez au niveau quantique le jeu du bonneteau où il s'agit de deviner sous quel gobelet se trouve une bille. Même si le principe d'incertitude d'Heisenberg ne permet pas de connaître avec précision la vitesse d'une particule lorsque sa position est connue, il rend aussi possible de connaître celle-ci. Que l'observable qui apparaît lorsqu'un gobelet est soulevé revête le comportement d'une onde ou d'une particule est calculable. Une seule chose n'a pas besoin d'être prédite, c'est que ces limites maintiennent l'impossible au-dehors ! L'objet quantique ne pourra être ailleurs que sous l'un des trois gobelets lorsqu'ils seront soulevés. Et à notre échelle, si on y cache un œuf, il n'en sortira pas une poule, un chapeau ou un avion en papier ! Mais, si l'on considère un cadre de temps infini et conséquemment l'infini des possibilités, le résultat sera imprédictible.

Nous n'avons pas besoin de connaître de quoi le monde est fait, ni s'il y a une réalité objective derrière tout ça, nous avons seulement besoin de savoir que « cet univers entier n'a jamais rien de caché derrière phénomènes » PQMB2 comme le disait Dōgen, comme condition de l'agir, laquelle est déterminée par le milieu, lequel est codéterminé par notre action !


« On n'a pas besoin d'avoir une représentation exacte

du monde tel qu'il est en lui-même pour avoir du succès,

il suffit d'avoir une représentation correcte,

non pas du monde extérieur mais, du type de d'action

qu'il faut accomplir pour ne pas se heurter à des déboires » PQMB2.


Même pour un moine zen habile au non-agir, le tir à l'arc est un cadre déterminé dans lequel une action produit une réaction, même s'il n'y a personne qui désire toucher la cible ! « Déterminé » ne signifie toutefois pas déterministeIl n'y a pas de causalité prédictive, de principe de causalité extra-relationnelle, mais là encore une coproduction qui lie le caractère du résultat à celui de l'action, en coémergence de l'observable à son observation, sans que l'un ne précède et conséquemment ne détermine ni ne conditionne l'autre.


« Ce simple fait de la contextualité des réponses

suffit à rendre valide le formalisme de la théorie quantique (…)

ce qui compte c'est que justement, elle n'ait pas

de réponse prédéterminée à nos questions,

mais seulement une réponse relative à un contexte » PQMB2.


C'est à la fois très étonnant et logique, en regard du vide d'existence objective des phénomènes et du principe de causalité a priori, qu'il n'y ait pas « de réalité indépendante de ce que nous faisons pour la faire coémerger » PQMB2. Vu sous l'angle linéaire cela peut laisser penser à un problème d'itération à l'infinie, mais à l'instar des paradoxes qui disparaissent en mécanique quantique à l'abandon du réalisme des absolus, lorsque l'on songe à l'Ouroboros (symbole d'un cycle d'évolution sur lui-même), toute contradiction s'efface en perspective cyclique.

S'il s'avère donc que « ce qui semble limiter votre connaissance est en réalité votre connaissance » PQMB2, ce qui limite notre capacité de choisir est ce qui rend le choix possible, pas seulement en mécanique quantique mais aussi dans la vie, et le bouddhisme nomme cela, le karman ! Et à l'instar de la mécanique quantique où « les probabilités d'un agent ne sont rien d'autre que ses tendances à faire des paris sur ce qui va susciter par ses actions » PQMB2, la « loi de causalité » du karman s'avère en fait être « un guide pour vous orienter, non pas dans le réel mais, dans ce que vous vous faites émerger en agissant » PQMB2.


« La théorie quantique s'applique non seulement aux électrons,

mais aussi aux sciences humaines ! Ça paraît complètement invraisemblable,

mais ça ne l'est pas quand vous admettez qu'elle n'est pas

une révélation de la nature des électrons, encore moins

une régulation de la nature des êtres humains,

mais simplement une "expression de la limite

de ce qu'on peut connaître" sur les deux » PQMB2.


Et ce guide est d'une simplicité extrême dans la déclinaison de ses règles : l'infaillibilité ; l'accroissement ; l'expérimentation ; l'absence d'épuisement. Autrement dit, l'effet d'une action est de même nature que la cause, il s'amplifie avec le temps jusqu'à sa concrétisation, il n'y a pas d'effet sans cause, et l'action ne diminue pas. Alors, un problème surgit immédiatement ! Car la coproduction de la réaction à l'action implique un cadre circonscrit à l'événement, c.à.d. que la coémergence induit la proximité temporelle (l'immédiateté) du résultat à sa probabilité, de sorte qu'il est contradictoire que la « rétribution karmique » puisse arriver bien longtemps après que le moment du karman ait cessé d'exister !


« La mécanique quantique doit sa puissance

à l'absence de représentation qu'elle fait des choses

(comme existant par elles-mêmes). Il ne faut pas regretter

qu'elle ne donne pas de représentation.

Abandonnez toutes ces catégorisations, ces projections, ces surimpositions

et voyez les choses telles qu'elles sont avant toutes surimpositions » PQMB2


Encore une fois, ce paradoxe résulte de la conception et de la croyance dans l'existence d'une réalité et d'une causalité objectives. Bohr répondait au problème de «l'intrication quantique », que Einstein considérait comme une impossibilité du fait du caractère instantané d'une influence à distance relativiste, que « la comparaison entre les positions de A et de B ne vaut que relativement à un observateur capable d'accéder aux résultats de mesure » PQMB1. Elle n'est pas signifiante du caractère « non-local » de la causalité déterministe !

Faites abstraction du référentiel espace-temps comme absolu, et de la causalité comme principe a priori, abandonner y compris l'idée absolutiste (!) que seul l'instant présent existe. Il n'y a ni transcendance ni extra relationalité. Le karman est le cadre fonctionnel de la coproduction de la cause à l'effet, sans obstruction de l'espace et du temps, qui sont une vue corrélative à la pensée de la causalité et ne participent donc pas de sa coémergence.


« C'est apprendre à ne plus utiliser des mises en forme imagées

et conceptuelles du monde, et laisser se déployer

les choses telles qu'elles apparaissent. On peut très bien utiliser

la théorie quantique dans cet esprit, en restant neutre

sur ce qu'elle nous dit ou ce qu'elle ne nous dit pas

du monde, mais en acceptant qu'elle nous permet d'anticiper

ce qui va se présenter tel que c'est » PQMB2.


PQMB1 : Physique quantique avec Michel Bitbol partie 1 https://www.youtube.com/watch?v=jbbSglE33ZU 

PQMB2 : Physique quantique avec Michel Bitbol partie 2 https://www.youtube.com/watch?v=9ggzeCEmW1k 

III.81 Fleur

Maintenant lâchez toutes vos opérations,

Abandonnez ici toutes vos prédictions.


De vos surimpositions déliez la toile,

Découvrez de là le vide de vos voiles.


Réduisez au-delà de l'essentiel,

Voyez l'introuvable devenir réel.


La fleur n'est pas faite d'inférences,

Ni atome où onde dans la présence !


D'un simple geste par l'observable,

Sans mot, le sage fait voir l'inexprimable.


Tel un sourire

où habite le Dharma

dans le silence


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


S'il n'y a qu'une seule chose à comprendre de tout cela, de la quête spirituelle, de la quête de la sagesse du Dharma, de l'expérience de la vie, c'est abandonner toute notion, toute conception, toute croyance en l'existence réelle, objective, de l'objectivité, en la « réalité objective » de la subjectivité, et naturellement en « l'objectivité de la réfutation » de l'objectivité qui serait affirmative de l'existence absolue du rien ! Abandonner toutes vues (éternalisme comme nihilisme), dont la vacuité comme vue, et y compris abandonner la « vue médiane » !

La quête de la vérité implique y compris d'abandonner l'idée de vérité, et pour cela de « réaliser la vérité » qu'il n'y a pas de vérité, ni objective, ni subjective, ni affirmative, ni non-affirmative. C'est une progression à la fois en sagesse et en expérience qui s'éclairent mutuellement. C'est comme voir une chose au loin et s'en rapprocher pour savoir ce qu'est c'est. Mais, pour la connaître véritablement, il faut s'en approcher véritablement, jusqu'à ce que le sujet et l'objet disparaissent dans leur relativité relationnelle, jusqu'à ce que disparaisse leur intrarelationalité même, à l'évidence de l'efficience de la « vacuité de leur vacuité », d'existence objective, subjective et interdépendante, c.à.d. jusqu'au terme d'une « réduction phénoménologique et analytique » qui se réduit elle-même en tant que vue.


« Le terme de vérité n'exprime point un rapport 

transcendant et indéfinissable avec quelque sphère 

indépendante de nous, mais il désigne des relations, 

toujours particulières et concrètement vécues

entre différentes portions de notre expérience même. 

En soi et au moment où il a lieu, un état de conscience, 

un fragment de vie n'est ni vrai, ni faux : 

il est purement et simplement, 

et porte l'évidence immédiate de sa réalité » PWJ-84


Lorsque l'attention se pose sur l'attention, que la conscience se retourne sur elle-même, et se découvre à sa propre présence, elle s'établit alors dans l'évidence immédiate de sa propre réalité qui s'impose à elle… comme objectivité !

La sagesse démontre la réfutabilité de la distinction de la conscience à son objet, et conséquemment la réfutabilité de l'existence objective de la conscience comme présence à elle-même, mais contre le fait d'expérience de la phénoménologie. L'introspection méditative nous le montre, certes, mais par comparaison avec l'état de méditation du sans-forme, que l'on devrait d'ailleurs plutôt qualifier de sans-durée, et plus profondément encore de sans-conscience …

« Méditer le sans-forme » (expression objectiviste !), c'est plonger dans « l'angle mort » de l'œil (de la conscience) qui ne se voit pas elle-même. Comment ? En coupant le flux des pensées, en déconnectant l'avant de l'après, en décorrélant le maintenant du suivant, c.à.d. en interrompant le flux des pensées. Lorsque dans l'immobilité de la posture, le ralentissement du souffle et le silence du mental – préférez une pièce sombre, ayez les yeux fermés, et retournés sur eux-mêmes –, l'esprit se retire alors de toute cognition, le connaisseur s'abstrait à lui-même, et la disparition de toute forme, de tout « observable » phénoménologique, entraîne, avec la disparition de toute forme de connaissance, la disparition conséquente de l'observateur ! La présence elle-même disparaît !

Au sortir de ce non-état du « sans-forme », où l'expérience de la localité ne fait plus sens, où l'expérience phénoménologique de la durée disparaît – le temps étant une modalité coémergente de « l'événement de conscience » –, où toute conscience s'évanouit dans son angle mort amodal, se révèle alors l'évidence du caractère interdépendant de la présence comme objet épistémologique (mental) de la connaissance à « l'évidence immédiate de sa réalité » !


« Selon sa lecture interne, phénoménologique, 

la connaissance est un processus de création de sens, 

qui associe à chaque classe de perceptions 

des procédures d'anticipation adaptative » PQE 


La « présence » n'est donc pas affirmative de l'objectivité intrinsèque d'un soi immanent qui s'apparaît à lui-même en sa véritable nature et qui, sur la base de son caractère transcendant et la primauté de son antériorité sur les phénomènes, ferait leur expérience sensible comme agent connaissant. La présence est un événement sous lequel il fait sens à un processus relationnel coémergeant de se reconnaître connaissant comme connaisseur et connaissable.

Posée comme nature, la présence est la définition d'une réalité postulée comme extérieure à ce qui est perçu. Toute « science » (les sciences de la nature, la physique quantique, et y compris la connaissance de soi), en tant que théorie et méthode de la connaissance de l'être, pose comme condition de sa possibilité un « point de vue excentré », exotérique, extra-relationnel, à son objet expérimental.


« Il n'y a pas de phénomène s'il n'y a pas d'expérience 

de l'être qui parle de ce phénomène

La physique a pour objet une expérience humaine, 

elle n'a pas "pour objet des objets". 

Chaque expérience du physicien constitue 

la totalité du matériau à partir duquel 

il construit son monde » PQE

 

La présence est le pendant phénoménologique du cogito de Descartes. Ce n'est pas le fond objectif, absolu, de toutes choses, lesquelles sont vides d'existence intrinsèque ! Dire « je suis la présence, donc je suis » est une affirmation objectiviste, tout comme affirmer la « présence est la nature véritable de l'esprit » est une déclaration absolutiste, comme « tout est conscience » (« tout est énergie » ou « tout est vibration») est une assertion éternaliste !

Ce sont des vues (l'expérience de nos croyances), or l'indicible n'est ni observable ni exprimable ! Qu'est-ce que la présence ? Un signifiant apposé par simple désignation sur un événement tel que cela qui voit coémerge phénoménologiquement à l'acte de la connaissance de ce qui est vu.

Ce n'est pas un événement de la conscience (ce qui sous-entendrait l'existence objective de l'esprit comme condition antérieure et déterminante des modalités sous lesquelles se présentent « l'expérience de la présence »), c'est le sentiment que nous en avons qui nous en fait désigner le sens comme tel.

Il est difficile de décrire avec des mots un événement en totale interdépendance de l'apparition du sujet à l'apparition de l'objet, relativement à la connaissance qui les détermine, une connaissance qui n'est pas elle-même un acte de pensée intentionnelle d'un sujet autonome sur un objet indépendant. Il faudrait pour cela « sortir » de l'expérience de soi-même qui est… inséparable de sa cognition (même les expériences de « sorties astrales » ne sont que des événements de conscience sur fond de l'absence de discontinuité de la vacuité du corps et de l'esprit !). Que nous disent les sciences naturelles de la connaissance à ce sujet ?


« Selon la "théorie de l'énaction", la cognition est une sorte 

de voie moyenne entre la conception selon laquelle 

la connaissance serait une représentation de quelque chose 

qui lui serait totalement extérieur, et une conception 

qui considérait la connaissance comme une projection 

des concepts de l'être connaissant. Donc une "voie moyenne" 

entre une théorie totalement réaliste d'un côté, 

totalement idéaliste de l'autre.

L'esprit et le monde se situent en relation 

l'un avec l'autre par le biais d'une spécification mutuelle 

ou d'une co-origination dépendante » PQE.


Le Mādhyamaka Prāsangika nous dit que l'objet est vide d'existence objective, mais le sujet aussi et que, malgré tout, tous deux existent (et se comportent même comme s'ils existaient de manière distincte et différenciée), puisqu'il est possible de vivre leur interdépendance comme expérience fonctionnelle. La physique quantique est plus explicite dans les termes (et dans ses expériences instrumentales), en mettant en évidence – à travers ce qui nous apparaît comme des paradoxes eut égard à nos préconceptions objectivistes et nos croyances absolutistes –, la dimension expérimentale d'une intrication, indissociation (non duelle) du connaisseur et du connaissable à sa connaissance au niveau le plus subtil qui révèle que la connaissance est… un simple processus de désignation !


« La mécanique quantique n'est pas d'une représentation du monde. 

Elle est un schéma symbolique prédictif, rien d'autre !

La cognition quantique n'est pas la représentation théorique 

d'une réalité extérieure préformée. 

Elle est plutôt l'énaction d'un domaine de phénomènes 

et un schéma anticipatif orientant des pratiques d'un expérimentateur.

Ce que nous voyons n'est pas la réalité extérieure, 

mais le produit d'une transaction entre nous 

et ce qu'il y a, et ce produit émergeant 

est une interface utilisateur » PQE

 

En d'autres termes, « l'événement de conscience » comme acte de connaissance inclut l'objet et le sujet, le connaissable et le connaisseur comme faisant partie intégrante de la « connaissance énactée », au sens où l'objet est coengendré en interaction à la coémergence du sujet, en regard de l'acte interrelationnel de leur cognition. « Une expérience contient dans sa structure fondamentale interne, une relation entre un sujet qui vit une expérience et un objet d'expérience. De telles expériences globales sont appelés événement » PQE.

Ce n'est pas qu'elle les contient comme préexistants (potentialité), c'est qu'elle les codéfinit, les coproduit, simultanément ! Le sujet, l'objet et sa cognition sont des éléments de l'équation, et il n'y a rien en dehors de cette équation. Cette conception circulaire de l'interaction trouve sa limite avec ma capacité d'expérimentation. Or, si je ne peux en vivre la phénoménologie, comment puis-je réaliser la vacuité ? Comment considérer la possibilité pour la conscience de témoigner de l'apparition d'un phénomène si elle n'est pas présente (existant antérieur excentré) pour en saisir le moment, mais coémergente à lui ?


« Même la relation entre "sujet d'expérience" 

et "objet d'expérience" est une relation interne 

à l'expérience du sujet ! Dans le QBbism, 

l'élément de réalité s'identifie à une expérience vécue. 

C'est quelque chose qui correspond parfaitement 

non seulement à la phénologie, même pourrait-on dire à 

une forme d'ontologie phénoménologique

La phénoménologie affirme simplement que 

l'être est identique au phénomène » PQE.


De même que nous devons abandonner la croyance dans l'existence des absolus pour faire disparaître tous les paradoxes de la physique quantique, nous devons abandonner la conception objectiviste (absolutiste) dont notre vocabulaire est tissé : « co-émergence », « co-création », « co-production » ! Tous impliquent de poser le postulat de la causalité comme un principe extra-relationnel, ce que réfute Nagarjuna. Comment quelque chose pourrait-elle venir à exister du fait d'une cause qui pour que son effet puisse se manifester… doit cesser !

Ces paradoxes témoignent de l'illogisme de la conception d'une causalité a priori comme « potentiel causal », existant sans objectivité et pourtant objectivant ! Les paradoxes n'ont de sens que pour nous dire une seule chose : abandonnez vos conceptions objectivistes et absolutistes !

Il n'y a rien qui soit réellement coproduit, ni événement, ni objet, ni sujet qui viendrait à exister en coémergence d'une cognition énactée ! Il n'y a pas de potentiel indicible à la source des observables, pas de non-manifesté originant le manifesté. Il n'y a rien au-delà du seuil de la conscience-horizon. Abandonnez donc toute conception du possible, du vrai, de l'être, tout ce qui vous emprisonne dans la logique aristotélicienne des absolus. « Nous créons des représentations intérieures, symboles des objets extérieurs, et nous les façonnons de façon à ce que les conséquences intellectuellement nécessaires des images, soient toujours les images des conséquences naturellement nécessaires des objets représentés » PQE. La cause est de même nature que l'effet !


« Quand on connecte un phénomène antécédent 

à un phénomène postérieur à travers un processus 

qu'on ne connaît pas, qui est intermédiaire, c'est tout à fait correct, 

mais là où c'est un peu inquiétant, c'est si vous dites 

qu'il n'y avait rien avant, juste de la "potentialité d'être", 

et vous expliquez l'être par la "potentialité d'être" ! 

Ça s'appelle de la métaphysique, on essaye d'imaginer 

un "être de pensée" qui peut être la cause d'un être physique ! » PQMB1 


Le résultat d'un calcul est un calcul, pas une chose réelle ! Qu'est-ce alors que la phénoménologie de la présence ? L'identité de l'être et du phénomène est de pure apparence, non de nature. Tous les paradoxes disparaissent à l'abandon de l'idée d'objectivation. L'essence de toutes choses est « libre d'assertion ». Le connaissable est un « objet probabiliste » dont les caractéristiques sont définies en « interrelation probabiliste » à un connaisseur, dont le caractère probabiliste établit leur correspondance à sa connaissance, laquelle est simplement probable. Une description qui est elle-même… à abandonner !


PQE : Physique quantique Enactive : https://www.youtube.com/watch?v=XVPPRLNrNjQ&t=15s

PQMB1 : Physique quantique avec Michel Bitbol partie 1 https://www.youtube.com/watch?v=jbbSglE33ZU  

PWJ : La philosophie de William James https://www.archive.org/details/laphilosophiedew00flou  

III.82 Non-soi


Rien à méditer qui ne soit réalisé,

Simplement, l'évidence à constater.


Un guide ne change pas le territoire,

Mais une carte nous montre la trajectoire.


Trouver une boussole est très difficile,

Apprendre à l'utiliser plus subtil.


Le nord magnétique n'est pas la présence,

L'angle de ta position est la science.


Carte et chemin forment l'efficience,

La raison instrument d'expérience.


Aligne ta vue

vise la concordance

en point de mire


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


Nous pouvons étudier la question sous tous les angles, multiplier à l'infini les comparaisons, nous rapprocher toujours un peu plus du sens de « la vacuité d'existence objective » de la phénoménologique de l'être et des phénomènes, tant que nous n'aurons pas réalisé le non-soi, pas seulement de la personne mais de la conscience, de la présence elle-même, nous ne pourrons saisir directement l'existence interrelationnelle, la vacuité, de tout « événement de conscience » !

L'obstacle ne consiste pas dans le fait que « l'œil ne se voit pas lui-même », et que par conséquent le « vide amodal » de son angle mort lui apparaît sous les traits d'un caractère modal, mais que la vision ne se voit pas comme un processus mais comme «un œil qui voit » (existant de par lui-même).Elle ne se voit pas comme un résultat émergeant de l'interrelation (probabiliste) qui la codéfinit, comme cela qui voit en codéfinition de ce qui est vu, à l'abstraction de son caractère synthétique. C'est comme une ombre projetée sur un mur, de l'aspect homogène duquel l'on infère l'existence d'un objet tel que son ombre le reflète, alors qu'elle résulte d'un jeu d'éclairage d'un bric-à-brac hétérogène…

La forme la plus singulière de l'occultation de ce « jeu de perspective » de la vision qui ne se voit pas elle-même comme processus est la forme homogène d'un événement sous lequel l'absence de discrimination entre le reflet, la réflexion et le miroir, la fait s'apercevoir comme un « sentiment océanique », un tout indivis, vécu comme une réalité objective à l'affirmation de sa « présence » !

Mais il s'agit là encore d'une démonstration pédagogique. Pour être probante, elle doit pouvoir être réalisée de manière empirique, phénoménologiquement. Or, surgit immédiatement une limite. Si je veux connaître l'heure, je peux utiliser une montre, mais si je veux connaître la façon dont la montre donne l'heure, je dois la démonter pour déduire son fonctionnement de l'articulation de ses rouages. Une fois réduite à un ensemble de pièces disparates, la montre ne donne plus l'heure. Donc, je ne peux pas avoir simultanément connaissance de la mesure du temps et de la manière dont fonctionne la montre pour me donner cette connaissance !

Qu'en est-il de la conscience ? Reprenons l'exemple de la « caverne de Platon ». Imaginez que vous êtes assis au fond d'une grotte face à un mur sur lequel se reflètent l'ombre d'objets dont vous inférez la forme objective sur la base de leurs reflets. Pour vous assurer de la validité de cette inférence, vous devez pouvoir vous retourner pour voir d'où provient la lumière et ce qu'elle éclaire, ou alors vous pouvez considérer le phénomène à l'instar de l'expérience des « fentes de Young » : au début, des points apparaissent dont vous inférez qu'il s'agit de particules ; puis elles se complètent jusqu'à former des figures d'interférences telles que vous en inférez alors qu'elles sont constituées… par des ondes !

Quoi qu'il en soit, vous détenez la preuve du caractère composite de l'illusion. Qu'en est-il de l'œil qui les voit ? Si vous retournez le regard intérieurement dans la direction de cela qui voit, la « conscience d'être conscient » qui apparaît semble exister telle qu'elle se présente, c.à.d. comme présence irréductible et indivise. Mais comment savoir qu'il ne s'agit pas également d'une illusion ?

Il m'est possible de différencier l'heure affichée sur la montre en tant que « facteur composé non associé », imputé sur la base du phénomène (physique) « composé impermanent » de la montre, mais il m'est plus difficile de différencier sur le plan phénoménologique la « pensée de la mesure du temps » de la « conscience d'être conscient » de cette pensée. Et pourtant, nul besoin ici de rétroingénierie, car c'est bien ainsi que j'en fais l'expérience mentale ! « Ce qui semble limiter votre connaissance est en réalité votre connaissance » PQMB1.

Avec simplement un peu d'attention, je distingue spontanément les pensées qui apparaissent et disparaissent dans mon esprit de l'écran ou de « l'arrière-plan » sur lequel elles forment des ombres. Les formes apparaissent et disparaissent simultanément à leur observation corrélativement au connaisseur, dont je ne peux inférer l'existence objective indépendante du fait même que mon expérience m'apparaisse différenciée ! La forme, la conscience de la forme, la conscience d'être conscient, ne sont pas des événements phénoménologiques distincts, ce sont les propres rouages de leur « coproduction conditionnée » ! La conscience est l'expérience de « la connaissance du connaissable à la connaissance du connaisseur ». Sa phénoménologie est son ingénierie !

Et le meilleur moyen de le réaliser, c'est donc bien l'effet de seuil entre présence et « sans-forme ». Ne pas fixer l'esprit sur la présence ni dans le « sans-forme », mais glisser alternativement de l'un à l'autre, ou par un choc soudain, jusqu'à ce que l'œil non pas se perçoive vision, mais que ce qui est vu et cela qui voit se révèlent la (non-)vue de leur vacuité interrelationnelle.

III.83 Repliement  


Nulle porte n'ouvre sur l'espace,

Sans obstruction point de face-à-face.


Sans étendue rien ne peut être enfermé,

Comment sur lui-même peut-il se retourner ?


Pénétré d'une lumière translucide,

Invisible superposé sur le vide.


Le cristal de l'eau sur le cristal de l'œil,

Et disparaît la surface de la feuille.


L'immensité s'absorbe dans la vue,

Dans la présence à soi ininterrompue.


L'éclat du jour

illumine le diamant

à sa traversée


Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion


La représentation imagée de sῡnyatā, un seul trait au pinceau effectué d'un seul geste dans un mouvement circulaire, évoque un anneau de Moebius, non pas graphiquement mais symboliquement en tant qu'unité qui se perçoit dualité, singulier qui se lit pluriel, perspective qui se lit aspect. Vu de l'extérieur (en dirigeant le regard vers le centre), ce trait qui apparaît cercle semble enclore un espace vide, mais vu depuis l'intérieur (en dirigeant le regard vers l'extérieur), c'est le vide qui semble alors borné par le cercle !

Considéré en tant que tel, le cercle n'est pas vide, il est empli de son propre tracé mis en relief comme cercle par le vide qui l'entoure de chaque côté. En tant que tel, le centre n'est pas vide puisqu'il est… délimité par le cercle ! L'un ne peut se saisir sans l'autre. Ce qui nous les fait voir comme dualité, comme cercle et comme espace vide, c'est… leur interdépendance ! La représentation de sῡnyatā est ainsi graphiquement l'expression de la forme-vide du vide-forme !


« Le cercle enclot un "centre vide" et ce vide symbolise 

le centre mystérieux qui anime chaque homme (…) 

Le Mystère, le Vide, la Vacuité, c'est cet immense 

fonds du silence sur lequel apparaissent les phénomènes 

et les événements. C'est cet illimité insondable 

d'où jaillissent la vie et le mouvement » DRGD.

 

Voilà une déclaration qui rappelle la « vision sans tête » du mystique Douglas Harding qui s'inscrit dans le même principe du « retournement » de la conscience sur elle-même, une conscience ordinaire, superficielle, pétrifiée sous la forme du « moi existentiel » selon Dürckheim, vers la conscience de « l'Être essentiel », du Mystère, toujours selon Dürckheim, le centre de l'homme. « Ce centre est vide, ou plutôt c'est le vide qui est le centre. C'est la circonférence autour de ce vide qui représente la situation humaine. Mais cette circonférence aura beau s'enfler, jamais elle ne parviendra à prendre la place du vide central, de l'Être Essentiel, du Mystère » DRGD.

Si l'interprétation de Dürckheim voit dans sῡnyatā la symbolique de la reliance de l'homme « unifié par l'infini qui est son centre et qui ne l'enferme pas » DRGD, la formule reste toutefois dualiste, le cercle versus le vide, la superficie vs le centre, le profane vs le Mystère, sont vus comme des opposés naturels, objectivés, existant de leur propre côté, sans pour autant que leur extrémisation les érige en absolus. « Nous vivons entre le ciel et la terre, nous appartenons à ces deux mondes, mais il nous est impossible d'être enfermé dans aucun des deux » DRGD.

La dynamique du retournement, qui vise la reconnexion de l'unité en sa pluralité, prend toutefois une autre dimension chez Dürckheim (du moins dans sa lecture) en ce qu'elle établit une différence significative (pédagogique) avec la conception de Harding même si leurs approches phénoménologiques se rejoignent. Au final, il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, car la chose ne se pose pas en termes de « question ». Ce qui compte c'est le chemin, l'expérience, mais tous les points de vue ne laissent pas pour autant voir le sommet de la même manière.


« Le ciel s'écroule sur la terre, 

et si l'homme alors peut mourir sa mort, 

toutes choses alors recouvrent leur splendeur originelle » DRGD 


Chez Harding, la dynamique du retournement procède de l'attention sur elle-même – de l'attention comme « facteur mental » qui accompagne l'esprit dirait le bouddhisme dans une optique pédagogique qui s'appuie sur la dualité aux fins de compréhension –, de l'attention seule, comme un mouvement à 180° de ce qui est vu dans la direction de cela qui voit. Ce qui apparaît alors, c'est le vide au centre du cercle. Un vide qui s'ouvre sur la totalité, la contient et l'origine même et qui, si l'on poursuit la dynamique du mouvement, achève la quadrature du cercle… en ouvrant le centre à l'infini après ce 360° sur elle-même !

Par ce retournement, l'esprit se détache du « monde de la forme » et ne s'identifie plus à lui pour se concentrer en lui-même, en sa propre présence, mais parce que cette dynamique procède de l'attention seule, elle objectivise la vue en tant que telle de cela qui est vu, et se faisant objective corrélativement l'espace vide en son centre comme seule objectivité naturelle, le « véritable Soi ». Autrement dit, elle fait ressentir la phénoménologique du vide comme non-vide !


« Vous savez, pour ouvrir cette porte, 

il ne faut pas la pousser 

mais la tirer vers vous-même. 

Car elle n'est pas fermée du tout » DRGD


Le « ciel qui s'écroule sur la terre », la « porte qui s'ouvre vers soi-même », ce à quoi nous invite la vision de Dürckheim et Freud sous ces signifiants, c'est au repli de l'attention fixée sur les choses qui les emporte avec elle (comme accrochées à elle) dans un mouvement de repliement phénoménologique de la topologie du monde (le ciel) sur la terre (événement de conscience) !

« Ouvrir la porte », ce n'est donc pas seulement faire s'effondrer l'illusion du réel (des formes comme monde) vers le centre vide de la conscience, c'est réaliser que les observables font partie intégrante de l'acte d'observation qui, en se repliant sur lui-même (sur ce point de dimension physique nulle), au cœur de l'interdépendance de leur « centre sans centre », révèle ainsi la vacuité de l'observateur ! 

Autrement dit, cette dynamique met en évidence la coémergence du connaisseur à la connaissance du connaissable en leur vacuité d'existence objective intrinsèque et autonome. La présence ne disparaît pas, toutefois son expérience n'est plus vécue (car interprétée) comme un fait objectif mais un événement interactif, interrelationnel. Ce qui est vu, la vision et cela qui voit s'éveillent ensemble dans l'unité plurielle interreliée du centre vide de vide.


DRGD : La dynamique du retournement https://www.voiesdassise.eu/archives/2020/01/11/37905588.html