III.18 Poétique de l'ainsité (volume 2)

05/05/2024

Retrouvez ici les poétiques de l'ainsité de III.100 à III.108

                                                          Le souffle juste  

III.100 Pratiquez


Avant tout, libères-toi de l'abandon,

Avant d'y abandonner ta volition.


Cesse de penser l'action de pratiquer,

Laisse l'expérience t'infuser.


Du doute, dévêts-toi de la certitude,

Sans désir du vide ou de plénitude.


La surface du présent est translucide,

Là, dans cet espace, réside lucide.


Au souffle qui lentement s'évapore,

Repose dans ta nudité incolore.


En aplomb stable

respire profondément

devant l'espace



Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion


« Pratiquez, pratiquez, pratiquez, et tout arrivera » disait Pattabhi Jois. Réaliser notre véritable nature est au-delà de tout concept et de toute conception, mais comme toute pratique la méditation requiert des instructions claires et précises. Mettons de côté la question de la motivation, c.à.d. de toutes les raisons qui nous amènent à méditer, et en particulier celle du moteur de la voie spirituelle, l'arrêt des fluctuations du mental, la libération, l'Éveil. Le lâcher-prise commence ici, par l'abandon au vestiaire de toute volonté d'obtention et de réalisation.

A l'instar de la pratique des asanas du yoga, une recommandation s'impose : ne cherchez pas à imiter ! La méditation est avant tout une posture, mais ce n'est pas un modèle qu'il s'agit de reproduire, c'est un guide pour vous seul. Du point de vue physique, la posture du vajra (lotus) n'est pas à portée de toutes les anatomies, au besoin préférez le seiza pour préserver les genoux. D'ailleurs, si le Bouddha avait eu un banc de méditation, cette posture serait aujourd'hui académique ! Ne forcez pas, la méditation n'est pas de l'endurance à la douleur !

Du point de vue de l'esprit, la posture est celle du « calme mental ». Là aussi, et encore plus, cet état de l'esprit est le résultat d'un long entraînement individuel. Les raisons qui vous animent, abandonnez-les ! Ne méditez pas pour honorer le Bouddha ou pour chercher à devenir quelqu'un, pas même à devenir personne, car la question revient toujours au final à « qui cherche ? » et, au final, dans l'union de l'esprit au tout, il n'y a  personne qui cherche et rien recherché !

L'abandon, un paradoxe ! Tout a une cause, une « raison d'être » : inspirer pour expirer ; expirer pour inspirer ; respirer pour vivre ; se concentrer sur la respiration pour calmer ses pensées. Mais, le vécu de la respiration est d'expérience non de raison, s'il y a une raison d'être, celle-ci n'est pas fonctionnelle. Il faut « s'abandonner à l'abandon » pour se libérer y compris de la pensée de l'abandon, et en même temps « qui » s'abandonne ? Nul besoin donc de s'abandonner pour être libre de la pensée qui se pense comme « je » !

« S'abandonner » veut dire de cesser de penser l'expérience (le pourquoi et le comment), et la vivre. C'est un « saut quantique » entre deux réalités que nous pensons reliées en vertu du principe de prédominance, l'une subsumée par l'autre eut égard à la primauté supposée de l'esprit sur le corps – un postulat commun à toutes les traditions spirituelles, y compris le Bouddhisme qui pose la dualité comme point de départ pédagogique et pratique –. Mais, que tout ce qui peut être expérimenté puisse se dire précisément, et que tout ce qui peut être vécu puisse se décrire exactement, est excessif, et nourrit l'infatuation de l'ego !

Prétendre pouvoir transcrire son expérience avec exactitude (incluant les dhyāna de la méditation, alors même que la conscience grossière s'évapore à ce niveau de profondeur), c'est non seulement arguer de l'ascendance du sujet sur l'objet, mais c'est faire du vécu l'expression de l'esprit. C'est autrement dit, affirmer que la réalité ne serait rien ou que ne serait sans la pensée ! Sous cette perspective, ce n'est pas le monde qui est pensé, c'est la pensée qui est vue comme monde

La méditation du Bouddha, Ānāpānasati, remet les pendules à l'heure ! Se concentrer sur la respiration, c'est revenir à la réalité de l'expérience. Nous croyons en la dualité de la pensée et de son objet, et en la puissance de l'esprit d'englober l'existence dans la pensée. Nous prenons en cela le reflet sur le lac pour la Lune ! Nous voyons le monde comme secondaire, alors que c'est la « pensée qui se pense comme penseur » (par opposition à la « pensée qui se pense elle-même », sans penseur, hishiryô) qui est une dualité illusionnée !

C'est pourquoi méditer vous concerne « vous seul », car même si vous méditez en groupe, dans une pratique yogique ou dans une Sangha bouddhiste, c'est votre chemin à vous. Si méditer, c'est s'asseoir en face de soi-même, cela ne veut pas dire en face du véritable « Soi même » (vue éternaliste), en face de son propre esprit ne veut pas dire non plus « en observateur » de ses pensées (vue dualiste) c'est, sans obstruction émotionnelle ou mentale, sans peur ni espoir et sans doute, plonger sans filet au cœur du « vide du seul et du non seul » ...

Comment dépasser le doute ? Par « ce qui n'est pas de l'ordre du doute » pour paraphraser M° Dōgen. Peut-on véritablement mettre de côté ses interrogations, laisser ses questionnements au vestiaire et débrancher, y compris son esprit critique, au moment de la méditation ? Le Bouddhisme tibétain dit que le doute ne peut être totalement éliminé que dans les dernières des « dix terres » des bodhisattvas. Toutefois, méditer c'est revenir à l'expérience elle-même, à la méditation comme vécu, dans l'abandon de toute pensée quant à la pratique, incluant de facto toute visée d'exutoire au doute !

« Simplement s'asseoir », telle est l'étymologie du mot zazen, la méditation du Bouddhisme Zen. Mais simplement ne veut pas dire naturellement, car si l'on suit naturellement la direction vers laquelle penche le corps, nous glissons de facto tout aussi « naturellement » dans ses travers : ceux anatomiques d'une posture tordue par l'habitude, amplifiée par l'inattention, déformée par la répétition du mouvement ; ceux psychologiques d'une attitude instillée par les émotions perturbatrices, par des schémas de pensées forgés par l'expérience de nos croyances, renforcés par rétroaction des conséquences karmiques de nos actes.

Le corps comme l'esprit ne tient « tout seul », pour ainsi dire, qu'à la condition d'être entraîné. Lorsque le corps respire de lui-même, sans régulation préalable, la respiration n'utilise pas la totalité du « volume résiduel » – environ 25% de la capacité des poumons –. Or, lorsque la respiration se fait plus lente et plus courte, le volume d'air renouvelé diminue, et le corps et le cerveau fonctionnent avec un air vicié, ce qui accroît la torpeur et la somnolence (qui plus est, les yeux fermés), le flux des pensées nous emporte alors vers un état de rêverie onirique...


« Si vous ne faites qu'expirez passivement, 

vous n'allez jamais rentrer dans le volume résiduel 

et vous allez accumuler des toxines dans vos poumons, 

au travers de votre respiration. Et pour rentrer dans le "volume résiduel", 

vous devez faire remonter le diaphragme. 

Pour faire remonter le diaphragme, 

il faut que vous tiriez les organes vers l'intérieur [à l'expiration] » KSER.


Si « un corps droit », c.à.d. bien aligné par le tuteur de l'attention à la posture (jusqu'au moment où il devient son propre tuteur à l'issue d'entraînement), c'est « un esprit droit , lequel ne se laisse pas dévier de sa concentration sur son objet (la respiration en l'occurrence), alors il n'y a pas de raison logico pratique à ne pas exercer un certain effort de régulation sur la respiration afin d'entraîner le corps à respirer de lui-même, d'une manière adéquate à la méditation comme exercice avant de devenir une pratique naturelle.


« Pendant zazen, restez concentré sur votre respiration (…) 

Allez jusqu'au bout de chaque respiration. Ne respirez pas à moitié (…) 

il ne faut pas la laisser se faire négligemment, 

mais au contraire respirer en pleine conscience

Lorsqu'on inspire, on prend une profonde inspiration, 

puis on laisse se faire l'expiration, 

en accompagnant à l'expiration d'une poussée 

sur la masse abdominale vers le bas, 

jusqu'à ce que cela devienne automatique » DZN.

 

Pour être à même de se concentrer pleinement sur sa respiration, il ne suffit pas de poser son attention dessus en croyant que cela soit suffisant pour ne pas en décrocher ! Si vous laissez se faire la respiration sans régulation consciente, celle-ci va avoir tendance – du fait de la relation entre la respiration et les états de l'esprit – à devenir minimale (« microscopique, ça arrive, mais ce n'est pas ce qu'il faut faire » KSER). A mesure que vous descendez dans les profondeurs, vous pensez (votre ego pense) que vous êtes, là, véritablement en train de méditer, que vous avez atteint les dhyāna (degrés « d'absorptions méditatives »), alors qu'il est fort probable que vous ayez glissé subrepticement dans l'inconscience[CA3] ! Développer la concentration requiert de l'entraînement.


« Maintenant, il faut faire attention, 

on ne va pas pratiquer zazen pour s'affaisser 

dans les abîmes de l'oubli de soi et arrêter de respirer (…) 

Assis en zazen, on observe que les phénomènes vont décliner très lentement, 

et si votre acuité mentale n'est pas présente, 

vous allez louper complètement tout le processus 

d'enseignement du zazen lui-même » KSER.


Qu'est-ce que veux dire « régulation consciente » ? C'est donner le « la » à sa respiration (en expires plus long que les inspires) et en suivre le rythme comme si l'on se calquait sur un métronome. C'est vous qui lancer le métronome de la respiration, mais ensuite vous vous contentez de suivre son mouvement en simple témoin, comme un caillou dont l'énergie cinétique s'est épuisée et qui continue sa trajectoire mû par son énergie inertielle (mais qui ne s'arrête jamais !). Arrive un moment où les distinctions disparaissent. Alors, la concentration confine à l'abstraction, l'agent finit par ne faire plus qu'un avec l'action


« Si vous êtes conscient de ce samādhi [cet espace entre vous et les choses], 

cela veut dire que le vous qui est conscient est toujours en dehors de ce samādhi. 

Être conscient de qqc, cela signifie que nous sommes au dehors ce qqc, 

que nous le regardons en en étant détaché. 

Mais lorsqu'il n'y a plus d'espace entre nous et la respiration, 

à ce moment-là, c'est effectivement être un

sans avoir conscience de ce un » AREH.



Ce n'est pas qqc que l'on peut chercher, car ce n'est pas qqc que l'on puisse trouver, c'est qqc qui vous trouve ! Le nommer ou le décrire ne le fait pas se produire, ce n'est pas l'expérience d'une croyance ! L'on peut seulement lancer le métronome et suivre son balancier, le reste vient tout seul, ou ne vient pas…

Pour permettre à la respiration de se faire correctement, c.à.d. d'une manière judicieusement adaptée à la pratique de l'expérience de la méditation, il importe de placer le corps dans la bonne posture, autrement dit le dos droit (sans exagérer le redressement), sans effort et avec souplesse, le menton rentré et la langue collée derrière les incisives ce qui a pour effet d'ouvrir la trachée et de permettre à l'air de circuler vers les voies aériennes supérieures. C'est mécanique, ce n'est pas magique ! Rien là rien de spirituel ou de religieux !


« Le système respiratoire, ce n'est pas que les poumons. 

La respiration, c'est holistique, tout va ensemble

l'état d'esprit, la vitalité physique, le souffle, la digestion (…) 

Le nez, la bouche, les sinus, toutes les voies aériennes 

font partie du système respiratoire.

(…) quand vous mettez la langue [collée à l'arrière des incisives] 

vous devez faire attention de baisser l'arrière de la langue. 

Pour baisser l'arrière de la langue, vous faites descendre la pomme d'Adam (…) 

A ce moment-là vous connectez la cavité nasale, avec la bouche, 

avec le système respiratoire, et vous commencez à avoir 

une forme de liberté dans vos sensations, 

c.à.d. l'air qui vous passe par le nez est libre, 

il remplit toute une grande cavité » KSER


Quelle est l'utilité fonctionnelle de l'immobilité (relative, car dynamique dans sa respiration) de la posture ?

A stabiliser l'énergie de sorte à calmer la dispersion et l'agitation du mental. 

A quoi sert la concentration sur le « souffle régulé » ? 

A calmer les fluctuations émotionnelles et les fluctuations mentales. 

A quoi sert le regard posé sur le sol devant soi ? 

A prévenir la torpeur et enraciner le calme. 

A quoi sert la posture ? 

Au-delà de la posture ! Il n'y a personne qui va au-delà, et personne qui ne se puisse être trouvé par-delà


Autrement dit, la méditation, c'est l'expérience d'un corps, d'un souffle et d'un esprit en parfait alignement (relativement à son anatomie, sa respiration et son courant de conscience). C'est ce que dit le yoga de ce que sont les asanas, non pas des archétypes qu'il s'agit d'imiter de façon à pouvoir faire cesser les fluctuations des pensées, mais l'expérience du calme mental. La posture, la méditation, est une expérience qui se vit comme un stupa s'érige par degré, du plus élémentaire (le corps), en passant par le plus subtil (l'esprit grossier), pour être couronné par le très subtil (l'esprit en sa nature de « Claire lumière »).


« Tantôt, [Uji] se tient sur la cime du plus haut des pics [inspire profond]

Tantôt, [Uji] se déplace tout au fond du plus profond des océans [expire profond]

Tantôt, [Uji] a trois têtes et huit bras [respiration apaisée versus perturbée]

Tantôt, [Uji] a huit ou seize pieds de haut [respiration haute vs abdominale]

Tantôt, [Uji] un shuyô ou un hossu [respiration forte et rapide vs lente et légère]

Tantôt, [Uji] un pilier ou une lanterne [respiration profonde régulée]

Tantôt, [Uji] Taro ou Jiro [respiration automatique non régulée]

Tantôt, [Uji] la terre ou le ciel [souffle conscient unifié] » PLLN-142


AREH : L'attention à la respiration - L'Essence du zen - Harada Roshi https://www.nousasseoirensemble.org/post/l-attention-à-la-respiration-l-essence-du-zen-harada-roshi 

DZN : la respiration https://www.youtube.com/watch?v=rB3GfMu8r-A 

KSER : Kosho Sensei - Enseignement sur la respiration pour pratiquants du zazen https://www.youtube.com/watch?v=V2lFoax0DiA&t=24s 

PLLN : Polir la Lune et labourer les montagnes, DŌGEN https://www.decitre.fr/ebooks/polir-la-lune-et-labourer-les-nuages-9782226200815_9782226200815_10029.html 

III.101 Respirez


Alors, sans le décider, le soleil survol,

Alors, sans volonté propre, suit le tournesol.


Alors, par instinct, l'insecte butine,

Alors, les champs fécondent équanimes.


Alors, les prairies refleurissent au printemps,

Alors, le vivant s'ébat spontanément.


Alors, sans commencement se poursuit son cours,

Alors, le souffle bat le rythme sans retour.


C'est ainsi, l'esprit écoute le cœur,

C'est ainsi, au spectacle sans spectateur.


D'un geste vide

la flèche trace un arc

au cœur de cible



Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


La pratique est sans but ni pratiquant, telle est et n'est pas sa fonction ! Ce pourrait être un koan : le tir à l'arc Zen ne vise pas à atteindre la cible, mais à abstraire l'action de la pensée d'un agent. Qui alors en prendre conscience ? Ce qui n'est pas de l'ordre de la connaissance du connaissable par un connaisseur !


« Si on a appris à "laisser zazen faire zazen", 

l'avidité spirituelle est abandonnée, 

et la pratique peut devenir réellement 

une pratique d'éveil à chaque instant » PSP.


Pour que la pratique de la méditation dissolve les dimensions de la conscience grossière, dualiste, et révèle la conscience subtile, non duelle (hishiryô), il ne suffit pas de mener la réduction phénoménologique des surimpositions (conscientes et subconscientes, conceptions et tendances inconscientes) à son terme radical, lequel ne peut être atteint que par l'abandon de toute attente, de tout désir d'obtention et de réalisation spirituelles, il faut encore abandonner toute idée préconçue. Avant même de prendre son arc, l'archer doit se mettre en retrait de sa pratique, en retrait de lui-même, en retrait… de son propre retrait !


« Alors, l'esprit libéré de cet encombrement des pensées, 

on peut réaliser sa véritable nature, insaisissable car extrêmement vaste, 

qui n'est identifié à aucun objet, englobe toutes choses, 

tout en demeurant sur rien, 

"lorsque l'esprit ne demeure sur rien, le véritable esprit apparaît" » LDSR.

 

Tant que la pratique est orientée, elle est faussée. Dans la pratique mystique, qui procède du vide intérieur (de la « nuit » des tendances, de la nuit des sens, et de la nuit de la foi), l'on se fourvoie en faisant de l'abandon de Dieu une étape de la réduction phénoménologique… sans en abandonner la croyance ! Tant que la pratique nous questionne (le « qui suis-je ? » de Ramana Maharshi), de facto elle est réifiante d'une croyance (le « véritable Soi »). Tant que la pratique exprime une attente, elle induit une réponse phénoménologique (les dhyāna ou les degrés « d'absorptions profondes » de la méditation).


« Doit-on maîtriser les dhyāna pour s'exercer à la Vue profonde ? 

Les dhyāna ne sont qu'une aide qui comporte un danger pour l'ascèse : 

celui de s'y complaire. Or, le premier est nirodha (« annihilation ») 

des plaisirs sensuels ; le deuxième nirodha du premier, 

le troisième nirodha du deuxième, et ainsi de suite. 

Ces dhyāna doivent finalement être abandonnés » VRAIE.


Le Bouddha nous a montré le chemin qui passe par l'évitement de ces écueils. En tant que personne historique, uniquement animé par la compassion de venir en être aux êtres, Siddharta Gautama a cheminé vers l'Éveil sans le savoir ! En tant qu'éveillé résidant sur les « terres pures » qui a pris un « corps d'émanation » (Nirmānakāya), le Bouddha Sakyamuni a délivré une pédagogie théorisée sous la forme de l'Ānāpānasati sutta. Pour le pratiquant lambda donc, Ānāpānasati se présente comme « l'attention portée à la respiration », mais pour le Bouddha incarné à dessein, Ānāpānasati est une méthode de méditation par « la vigilance remémoratrice appliquée à l'inspiration et à l'expiration » VRAIE.

Pourquoi la distinction est-elle importante ? Pour insister sur la nécessité de lâcher-prise à toute intentionnalité conditionnant la pratique, autrement dit laisser le champ libre à la spontanéité pour faire surgir l'authenticité. Méditer pour le commun que nous sommes, c'est simplement s'asseoir et porter attention à sa respiration. « Au-delà des traductions des érudits, Ānāpānasati veut dire "en descendant le fleuve jusqu'à l'océan" » KSER ou comme disait le mystique Henri le Saux « laissez le Gange couler » HLSS. Le sens du sῡtra c'est, à chaque inspiration et à chaque expiration, être vigilant aux trois caractéristiques de la nature des phénomènes « impermanence, insatisfaction, absence d'une essence » VRAIE.

En-deçà des causes physiologiques pour lesquelles le corps respire, la sensation, le ressenti phénoménologie de la respiration, est sans but ! « Le Gange ne coule pas pour irriguer, il ne cherche pas à irriguer, à féconder, il coule » HLSS. Respirer est une expérience, ultimement, sans expérimentateur ni action d'expérimenter.

Tel l'écoulement du Gange, le mouvement de la respiration est l'expérience la plus directe de l'impermanence des phénomènes. L'inspire survient à l'instant, passe, remplacé à l'instant suivant par l'expire qui disparaît à son tour et ainsi de suite. Il n'y a pas deux respirations identiques. Leur parfaite similitude est impossible, car même avec une mesure strictement identique, étant donné que le corps change également d'un micro instant à l'autre, il n'est déjà plus le même à la toute fin d'une expire profonde qu'au tout début de l'inspire qui l'a précédé !

La sensation de respirer est, pour l'ego, source de « souffrance du changement ». Lorsque l'air est trop froid, trop chaud, vient à manquer, il se plaint des excès ou panique. Ce n'est pas le corps qui a froid, chaud, ou suffoque, c'est « moi » ! De fait, l'expérience de la respiration est une opportunité récurrente de s'établir dans l'équanimité par abstraction de l'agent. Au niveau élémentaire, le corps inspire et expire sans apposer d'étiquette « désagréable », « agréable » ou « neutre » à la respiration. Il s'adapte, régule, maintient son homéostasie.


« Lorsque vous respirez plus, le sang qui arrive au cerveau 

est plus pauvre en gaz carbonique, il est également trop peu acide 

par rapport à ce que le corps a besoin, 

et votre cerveau va réagir de manière réflexe et systématique, 

en activant un mécanisme de compensation, qui est la vasoconstriction » APCR


Enfin, le ressenti phénoménologique de la respiration est l'expression la plus immédiate de l'interdépendance, et donc de la vacuité (du vide d'essence intrinsèque), non seulement du « je » (du soi de la personne), mais aussi de la conscience en sa déclinaison superficielle, c.à.d. sous l'aspect de « l'esprit grossier », lequel surgit sous cette manifestation en tant que « conscience de soi », en interdépendance relative au surgissement de la conscience de son objet. Autrement dit, en coémergence, dans la perspective d'une dualité qui les fait tous deux apparaître comme existant substantiellement de leur propre côté.

En tant que méthode pédagogique, Ānāpānasati se décline (ou est découpée) en quatre tétrades de quatre phases, autrement dit seize phases successives qui, pour autant, ne sont pas dépendantes entre elles. « Il ne faudrait pas croire qu'il s'agisse d'une succession, que l'exercice de la deuxième tétrade, nécessite l'exercice de la première. Chacune peut mener à l'Absolu » VRAIE.

En tant qu'expérience toutefois, l'enchaînement de chaque phase se nourrit de la précédente par accumulation, ampliation, du développement de la concentration, de la lucidité et de l'acuité à un niveau toujours plus subtil. Le principe est le même à chaque étape, la concentration attentive à la respiration jusqu'à ce qu'elle devienne automatique et naturelle, jusqu'à disparaître à la conscience à mesure de la contemplation : des « conditionnements du corps » (par la concentration sur les objets corporels) ; suivi des « conditionnements de l'esprit » (sensations et objets mentaux) ; puis sur son impermanence (en se retournant vers soi-même) ; et enfin, au terme d'Ānāpānasati, sur la vacuité de l'esprit.


« Contemplez la finalité des phénomènes psychiques 

et l'ultime contemplation pour pouvoir atteindre 

la phase finale d'Ānāpānasati. Contempler l'arrêt des phénomènes, 

s'est transcender les phénomènes, 

c'est quand il n'y a plus rien que tout commence » ATM.


En tant que mise en pratique de la « vigilance remémoratrice », appliquée aux trois aspects des phénomènes, à l'inspiration et à l'expiration, son principe est tout entier contenu dans la première tétrade :


« 1. Inspirant de façon longue, il connaît profondément : j'inspire de façon longue.

Expirant de façon longue, il connaît profondément : j'expire de façon longue.


2. Inspirant de façon courte, il connaît profondément : j'inspire de façon courte.

Expirant de façon courte, il connaît profondément : j'expire de façon courte » VRAIE.


Le pronom « il » désigne un mendiant au sens brahmanique, c.à.d. un homme au 4ème stade de sa vie, libéré des obligations familiales et sociales qui se livre à l'ascèse spirituelle, un sannyāsin (renonçant), ou encore un moine bouddhiste, et de manière généraliste un méditant engagé dans une voie spirituelle. Mais, l'emploi de la troisième personne pour qualifier la connaissance du fait de respirer se veut aussi dépasser le point de vue subjectif.


« (…) "il rend son mental libéré", de l'observation, 

de l'examen des phénomènes physiologiques 

et psychologiques, sans autre intervention : 

le pratiquant sait qu'il inspire, qu'il expire, 

mais il "voit" aussi que "nul" ne respire (ça inspire, ça expire) » VRAIE.

 

L'usage du pronom « il » a ici pour fonction de neutraliser la « saisie innée » de se dire « je » et de s'affirmer « moi connaissant ». Le filtre de la subjectivité levé, l'expression se lit comme événement, « il y a » inspiration, « il y a » expiration, et « il y a » connaissance de celles-ci comme fait sans l'action d'un agent. Invitation à méditer l'impermanence, l'équanimité et l'interdépendance dans la « vacuité des trois sphères ». « On voit ainsi qu'il est possible, dès la première tétrade, d'exercer vipaśyanā, la vue profonde, et d'accéder à la Bodhi en un éclair » VRAIE.

Il n'est pas question ici d'exercer la moindre forme de « régulation », fût-ce la plus légère, sur la respiration, mais seulement d'observer. Il n'y a pas même à prendre conscience de sa diminution à l'accroissement de la concentration… ce qui serait la fausser ! Ānāpānasati ne se distingue donc pas de zazen en son point de départ, même si la pratique tend, en apparence, à s'en éloigner en mettant l'accent sur l'entraînement de la concentration sur des objets de plus en plus ténus jusqu'à la vacuité de l'esprit très subtil. Même si elle n'est plus au premier plan, la respiration n'en demeure pas moins « le fil conducteur de la Vigilance, de plus en plus ténu à mesure que s'approfondit le samādhi du cœur » VRAIE.

Ānāpānasati est donc une méthode de « réduction phénoménologique » qui consiste à « expérimenter tout le corps de la respiration » VRAIE, jusqu'à l'évidence que la phénoménologie des états émotionnels, mentaux, et y compris de la conscience comme « événement » coémergent à son objet, sont impermanents, interdépendants, vide d'existence objective » et donc non-soi.

Procéder à cette réduction, c'est déconstruire, décomposer, une à une, jusqu'à vacuité, chacune des couches constitutives de la phénoménologie de la « conscience de soi » comme expérience subjective. La tradition la nomme citta (le cœur), décrit de manière pédagogique comme constitué de trois dimensions, bases : des tendances inconscientes, karmiques (āsrava) ou le « subconscient » en termes moderne ; la pensée intentionnelle, l'activité mentale, « connaissance mentale discriminative (vijñāna)» ; et la « Connaissance transcendance Prajñā », laquelle est non duelle, au-delà du sujet et de l'objet. Prajñā qui transparaît au terme de la réduction, non pas comme un existant en soi irréductible (telle la pure qualité de réflexion indépendante du miroir et de ses reflets), mais bien comme l'absence (anātman), « vide du vide » …


« Au niveau surconscient, la Connaissance transcendante fait voir noétiquement

 [comme acte de connaissance de la pensée] 

l'illusion du moi, elle guide l'ascèse ; puis, anoétiquement, 

dans le silence du mental, elle fait connaître la totale vacuité, 

l'Inconditionné, sans naissance, sans devenir, 

sans création, sans conditions. 

Et cette ascèse est menée par la Vigilance » VRAIE.


Ce terme radical, qui n'est pas nihiliste de l'esprit mais la réalisation de l'au-delà de toutes assertions, de tous contraires, de la dualité et de la non-dualité, le Bouddha l'a exposé dans le sῡtra du cœur : « dans la vacuité, il n'y a ni objets tangibles, ni objets de la vue, ni objets de conscience, ni objets de l'esprit, et ainsi de suite jusqu'à ni objets de la conscience (…) ni ignorance, ni cessation de l'ignorance, ni voie, ni sagesse ultime, ni obtention, ni manque d'obtention » EPS.



APCR : Améliorer et protéger votre cerveau grâce à la respiration https://www.youtube.com/watch?v=bmR1Usqs9dw 

ATM : technique méditative pour accéder aux états de conscience modifiés de la mort de l'ego https://www.youtube.com/watch?v=XlWbvmh4BGU 

EPS : L'essence de la perfection de la sagesse (« le sῡtra du cœur ») – Sadhana n°18 https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas 

LDSR : Lorsque l'esprit ne demeure sur rien, le véritable esprit apparaît https://www.youtube.com/watch?v=kiC61HPfzio 

PSP : penser sans penser https://www.youtube.com/watch?v=Go44c87nYfM 

VRAIE : Vigilance remémoratrice appliquée à l'inspiration et à l'expiration  https://www.cedh.info/ManuelAnapanasati.pdf  


III.102 Expérimentez


Au son du bol, l'écho fait résonance,

La fleur n'est pas le corps de la flagrance.


L'acteur vit l'action personnellement,

Le spectateur sa fiction indirectement.


L'oiseau survole le vaste océan,

Le poisson comprend l'eau au cœur du courant.


L'esprit connaît à travers l'œil qui voit,

La vision ignore de la vue l'émoi.


Dans le miroir de sa luminescence,

L'expérience est sa propre présence.


Dès l'arc-en-ciel

formé sur l'horizon

le temps disparaît



Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion


« 3. Ressentant tout le corps, j'inspirerai, ainsi s'entraîne-t-il

Ressentant tout le corps, j'expirerai, ainsi s'entraîne-t-il » VRAIE.

L'esprit ignorant fait l'expérience de la respiration comme celle des phénomènes, sur la base de la croyance en leur réalité objective, et en sa propre existence autonome, comme le fait de les croire exister tels qu'ils sont perçus. Nous avons une expérience phénoménologique du ressenti de la respiration, mais savons-nous ce que cela fait de respirer du point de vue corporel, organique ?

Méditer montre qu'il ne suffit pas d'appliquer la « vigilance remémoratrice » à l'inspiration et à l'expiration pour percevoir comme expérience ce dont d'ordinaire nous ne sommes pas conscients. Si nous pouvions appréhender le processus de la respiration à travers chacun de ses différents aspects sous leurs modalités spécifiques (physiologique, respiratoire, énergétique, métabolique, neurologique, etc.), nous ne nous retrouverions pas mis face à l'évidence de leur caractère impermanent, interdépendant, et de leur vacuité. C'est même tout le contraire !

De quelque point de vue sous lequel on se place (corporel, organique, cérébral) hormis phénoménologique, – c.à.d. non pas « à distance » des influx sensoriels et de leur cartographie neuronale, mais entremêlés, propres à l'expérience organique même comme incarnation –, le processus de la respiration vécu de l'intérieur est un événement holistique (sans distinction de parties), continu (homéostasique, métabolique), et substantiel (organique, dynamique, fluide).


« Chaque fois que vous inspirez, lors de l'inspiration votre cerveau monte 

et lors de chaque expiration il descend. 

Cela part des mouvements du diaphragme, 

en lien de façon mécanique, 

à cause du squelette, avec l'arrière du crâne 

par des muscles respiratoires qui sont capables d'élever le sternum, 

et [via les fascias] avec la dure-mère (…) 

ce "bercement du cerveau", pour bercer au mieux 

en douceur nécessite de respirer profondément » APCR.


Le cerveau a probablement connaissance de ce « bercement » sous la forme d'une représentation interne, mais il le vit surtout par lui-même, comme si en lisant ces lignes, et en vous imaginant ce que cela fait, vous sentiez votre corps s'élever vers le haut à l'inspire et s'abaisser à l'expire. Pour le corps, tout le processus de la respiration est à l'avenant ! Ce peut être le sens du sῡtra, vivre la respiration comme expérience, « un corps dans le corps » VRAIE ! Si tant est que l'on puisse s'imaginer la respiration ainsi, il ne s'agira jamais d'une immersion organique véritable, aussi réalise soit-elle, mais d'une représentation, autrement dit d'une expérience phénoménologique et non pas d'un vécu phénoménal !

L'expérience du corps « du point de vue du corps » n'est pas réalisatrice de son impermanence, de son interdépendance et de sa vacuité, seule peut l'être son expérience du « point de vue de l'esprit ». Cela est important, car ça signifie que l'on peut faire abstraction du corps comme objet de connaissance tierce, « existant premier» intrinsèque et autonome, pour se concentrer sur le « corps comme expérience » sur laquelle Ānāpānasati consiste à appliquer la réduction phénoménologie des surimpositions dont il est constitué, sur la base du « corps comme processus », continu, holistique et substantiel !

Selon la physiopsychologie yogique, celui-ci est composé de cinq enveloppes (de nourriture, de prāṇa, de mental, de connaissance discriminante, de béatitude), et selon le Bouddhisme de cinq agrégats (forme, sensations, formations mentales, perceptions, conscience). Autrement dit, il s'agit du « corps de l'expérience » ou des longueurs d'onde de l'expression de la « saisie innée du soi ».


« La "conscience de soi" définit le fait que votre cerveau 

sait que votre corps est votre corps

Comment est-ce que cet amas de cellules 

peut aboutir à une sorte de conscience 

qui fait qu'il s'incarne dans son corps, 

qu'il n'est pas flottant dans un vide absolu d'influx nerveux, 

qui se relie à un corps qui est son véhicule ? 

Pour savoir que votre corps est son corps, 

votre cerveau utilise la respiration » APCR.


Le corps en expérience n'est pas « l'expérience du corps », continuum impermanent de connaissances en actes qui s'apparaît sous la forme synthétique du « moi », lequel n'a pas d'existence hors de son expression phénoménologique. La preuve étant qu'il est (entre autres) possible de tromper la perception en substituant l'expérience de la respiration par une autre !


« On a placé des personnes avec un casque de réalité virtuelle 

dans lequel a été projeté une image d'un avatar 

dont le thorax gagnait, perdait du volume. 

La personne basculait dans l'illusion que son corps 

n'était plus son corps physique, 

mais le corps en train de voir respirer » APCR.


Qu'un tel subterfuge soit possible démontre que si l'expérience que nous avons du corps a bien pour base son agrégat, elle n'est pas le vécu du corps. C'est encore plus flagrant avec la « thérapie du miroir » mise au point par un médecin indien pour guérir les douleurs des « membres fantômes », dans laquelle les patients témoignent de la sensation de ressentir un membre amputé. Il n'y a rien en face (ni véritable corps qui respire, ni membre, ni couleur noire…), et pourtant il y a perception d'une présence, laquelle n'est pas le ressenti physique d'une manifestation réelle, mais une «expérience phénoménologique » !

Certes, cette expérience n'est pas le fruit de l'imagination pure. Elle s'inspire d'un phénomène qui bien que distinct et distant de la conscience n'est en rien fictif, ce qui ne signifie pas qu'il soit… substantiel ! La situation est exactement la même qu'avec la mécanique quantique, laquelle est constitutive d'un formalisme d'une remarquable efficacité prédictive, mais qui ne décrit pas des objets « réels », lesquels en leur nature quantique sont irréductiblement indicibles. L'agrégat du corps est la base tangible de l'expérience de la respiration, mais si vous cherchez son fondement substantiel en décomposant chacun de ses éléments jusqu'au niveau quantique, vous n'en trouverez aucun !

Ce caractère composite, synthétique, de « l'expérience corporelle », la plupart du temps, nous ne le voyons pas. Nous sommes totalement pris dans l'illusion. Elle n'est détectable pour l'esprit ordinaire, dont le discernement n'est pas aiguisé, qu'à ses frontières intangibles, où dans des situations limites qui révèlent leur nébulosité et leur caractère virtuel, comme le brouillard vu de loin nous apparaît comme un phénomène qui, vu de près, se révèle intangible...

Cette virtualité transperce d'une manière particulièrement symptomatique avec les « fondations du réel » comme conditions a priori de l'existence du monde. Ainsi, le temps. Il nous apparaît exister en propre, indépendamment de notre perception, et faire partie intégrante et constitutive de la structure même de l'univers. Mais, nous voyons bien à l'occasion de situations extrêmes (comme l'apnée sous-marine par exemple), que son existence est… relative à l'esprit !


« La plupart des apnéistes professionnels sont capables de soutenir un rythme

 cardiaque que les médecins estiment ne pas être capables de soutenir 

"l'exercice de la conscience" ! Lorsque vous n'avez plus de référence extérieure, 

la seule chose qui va vous donner la notion du "temps qui passe", 

c'est votre rythme respiratoire et cardiaque. 

Lorsque vous ne respirez plus, 

il n'y a plus rien qui vous fait comprendre que le temps passe ! » DZK. 


Respirez naturellement, de manière régulée, retenir son souffle poumons pleins ou vides sont autant… d'expériences phénoménologiques ! Votre corps s'arrête-t-il vraiment de respirer, votre cœur de battre lorsque la conscience que vous en avez, diminue, s'estompe, jusqu'à vous donnez l'impression de disparaître ? Ne plus en faire l'expérience, est-ce encore une expérience ?

L'impression qui en résulte est-elle blanche ou noire ? Y a-t-il en vous quelque chose que vous appelez « conscience » qui fait l'expérience de l'arrêt du souffle, de l'arrêt des fluctuations du mental, et donc qui existe en propre (le véritable Soi ?), ou est-ce là encore… une expérience phénoménologique ?


« Zazen veut dire voir l'eau dans le vaste océan. 

Mais jusqu'à découvrir le Bouddha inné, 

nous ne pouvons pas comprendre qu'il y a de l'eau dans le vaste océan » 

Le ZEN ou la vie de M° DOGEN     



APCR : Améliorer et protéger votre cerveau grâce à la respiration https://www.youtube.com/watch?v=bmR1Usqs9dw 

DZK : Initiation au souffle et à l'apnée https://www.youtube.com/watch?v=aNih5ddkkzI 

III.103 Naturellement


Disparue, l'accélération est figée,

L'absolu, abstraction du conditionné.


Inconsciente, la pensée devient rêverie,

Réalité, conversion d'une allégorie.


Travestis, les mots apparaissent substance,

La pensée, aphasie de l'expérience.


Pétrifié, l'infini est transcendance,

L'essence, confusion de la mouvance.


Inconnue, la vacuité est vue comme soi,

L'Un unique, ignorance du non-soi.


Une fleur se lève

au parterre des têtes

seul un sourire



Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


« 1. Inspirant de façon longue, il connaît profondément : j'inspire de façon longue.

Expirant de façon longue, il connaît profondément : j'expire de façon longue » VRAIE


Lorsque le tour du potier atteint une certaine vitesse, l'œil ne distingue plus sa rotation qui se confond en immobilité au cœur du mouvement. L'artisan peut alors relâcher son effort de régulation et laisser le tour se mouvoir de sa propre énergie, en ajustant régulièrement sa vitesse avec un minimum d'attention vigilante. Dans la contemplation du mouvement du tour, l'esprit conceptuel et discursif, mental et émotionnel, glisse dans le flow, ni évanescent, ni inconscient, ni rêverie…

L'expérience de la concentration sur l'inspire (Ānā) et l'expire (pāna), et le fait d'en prendre conscience (sati) comme expérience, n'est pas d'ordre conceptuel, ni mental, ni émotionnel – lorsque la pensée est perçue comme telle, elle n'induit plus de perturbations passionnelles –. Cette expérience, lorsqu'elle s'abstrait de la dualité, sans référence subjective, alors il ne vient même plus à l'esprit de la discriminer en termes d'objet, encore moins d'en inférer que la connaissance (donc le connaisseur) relève d'un autre « ordre » d'essence que le connaissable.

La respiration pour le corps n'est pas l'expérience phénoménologique que nous avons de respirer. Le connaître profond de la concentration méditative n'est pas une connaissance « portant sur qqc », mais un « acte de conscience » qui, au vivant de son événement, est sa propre connaissance. Tant que sa perspective s'établit en dualité, la méditation est vue par le méditant comme une expérience de l'esprit. Lorsque le sens d'intérieur et d'extérieur se confondent, la méditation devient « vécu », révélateur de son propre événement de conscience.

En contraste avec la difficulté pour la personne de se libérer de son passé, il est étonnant de voir la facilité avec laquelle la conscience peut faire abstraction de l'instant passé immédiat ! A peine le regard fixé sur le tour du potier que la conscience se perd déjà à elle-même au caractère hypnotique de sa rotation. Dès lors que les fils de la marionnette disparaissent, surgit alors l'impression de la volonté de son mouvoir autonome… Lorsque la connaissance se fait acte, l'esprit perd tout repère à son origine, c'est comme si aussitôt, elle ne relevait plus de la cognition (sensorielle, perceptive, cérébrale, psychique, mentale), mais changeait d'ordre, de nature, devenait transcendante !


« Pour caractériser cette Vigilance, le terme employé est pajānāti, 

"il connaît profondément", et non jānāti, "il connaît". 

Il y a donc, dès le commencement, un indice de transcendance

ce n'est pas une connaissance mentale, discursive, 

mais une "Connaissance transcendante" 

qui peut répondre (non réponse !) à la question : 

"Qui respire ? " » VRAIE.


Il faut se méfier du mot « transcendance » qui évoque un ordre de connaissance objectiviste, indépendant de l'esprit. Que tout lien de causalité entre le sujet et l'objet disparaisse subitement de notre « champ de perception cognitive », rendant impossible de discriminer ce qui en origine la connaissance, ne permet pas d'inférer que ce dont nous avons alors connaissance est d'un ordre différent, « transcendant » la nature phénoménale ! Ce n'est pas un fait d'expérience valide quant à la réalité de son objet sur la base duquel inférer « l'hypothèse dharmique d'un mode d'existence au-delà des phénomènes, Inconditionné, Absolu, au-delà du mode physiologique et du mode psychologique » ESC.

Postuler l'existence d'un « autre côté du seuil », c'est dire que la Prajñā est d'ordre métaphysique, existant par elle-même, en soi ! Or, ce n'est pas parce que la vacuité apparaît comme expérience phénoménale à l'esprit voilé que sa « connaissance directe » (éveillée) est transcendante en essence !


« Être conscient de qqc, cela signifie que nous sommes 

au dehors de ce qqc, que nous le regardons en en étant détaché. 

Mais lorsqu'il n'y a plus d'espace entre nous et la respiration, 

à ce moment-là, c'est effectivement 

être un sans avoir conscience de ce un » AREH.


La réduction phénoménologique de l'expérience constitue également une « réduction épistémique » de la connaissance, par dissolution progressive mais toujours interdépendante, de ses objets, vecteur et percepteur : d'abord conceptuelle, à l'arrêt de la pensée discursive, dialectique ; puis perceptuelle, par la diminution de la cognition sensorielle, sensible, jusqu'à la disparition du monde, l'oubli du corps, l'effacement de la respiration ; et plus « profondément » encore, cognitive à l'abstraction y compris de l'unité du sujet et de l'objet…

Cependant, qu'au cours de ce processus de réduction, il n'y ait finalement « plus d'espace entre » (expression qui objective un vide amodal en réalité modale !) la conscience du méditant et la conscience de la respiration, que la connaissance ne forme plus la « figure d'interférence » d'une expérience cognitive (c.à.d. qu'il ne semble plus y avoir ni connaissance, ni acquisition), pas même une intuition subtile, n'est pas signifiante… de l'essence « transcendante » de la conscience !


« Ces pensées qui surgissent sont bien "moi", 

mais je ne suis pas ces pensées, 

car la conscience qui observe est toujours 

au-delà des objets observés, 

la "conscience hishiryô" au-delà de toute pensée » CDQQC.


Ce qui semble évident à l'expérience est en fait un illogisme ! Si la conscience qui observe est conscience de qqc alors cet « au-delà de toute pensée » est une conscience épistémique… sans objet ! Les objets de la conscience ne lui sont pas extérieurs, mais relatifs à son expérience phénoménologique. Nous voyons la conscience distincte des objets dont elle a connaissance, alors que cette connaissance est propre au contenu de son expérience ! Ce dont nous avons conscience sous la forme de la connaissance d'un « existant premier » (objectif) est un effet de perspective (une « boucle étrange »), qui fait la conscience s'apparaître duelle, à la fois comme sujet et objet !

Nous avons conscience des couleurs, mais les couleurs comme observables n'existent pas hors de la conscience. Encore une fois, cela ne signifie pas qu'il n'y a « rien en face», mais en tant que tel, c'est indicible ! Il n'y a pas de réalité objective extérieure indépendante de l'acte de conscience. Ce dont nous avons conscience à la vue des couleurs, c'est de l'expérience phénoménologique de la couleur, et celle-ci nous apparaît comme si la conscience existait de son propre côté, comme si la réalité de l'objet était distincte de sa connaissance !

La conscience s'aperçoit en différenciation des objets qui semblent lui apparaître comme s'ils étaient le « produit » de l'observation dont elle fait l'expérience (y compris d'elle-même), alors que sujet et objet sont constitutifs de l'événement que nous nommons conscience, lequel est un « acte de connaissance » coémergent incluant la conscience de l'objet en la conscience de soi.

Dans la thérapie utilisée pour soulager la douleur des membres fantômes, un patient amputé de la main gauche place sa main droite dans une boite qui lui renvoie son reflet. En bougeant sa main droite, il a véritablement la sensation de la présence de sa main gauche manquante ! Ce « vécu phénoménologique », en regard duquel les notions de droite et de gauche sont des actes de connaissance, est pour l'esprit parfaitement réel ! La dimension organique est une modalité de l'expérience vécue comme distanciée et indépendante. C'est sur cette base objectiviste que prend appui l'inférence de la perception directe (yogique) de la vacuité en dépendance de l'éveil de la prajnã, sans quoi il serait autrement impossible de saisir la vacuité de toutes choses y compris… de l'absolu !


« Sans la Prajñā, aussi faiblement éveillée soit-elle, 

aucun discours dharmique, aucune proposition du Dharma, 

même les plus élémentaires, ne peuvent être pris en considération, 

ni même entendus (…) Ce n'est que lorsque la Connaissance transcendante, 

cette Intuition métaphysique translogique, 

trans-dialectique, trans-rationnelle, est éveillée 

puis fortifiée par l'entraînement aux techniques de développement 

des facteurs de l'Éveil (bodhi), que s'installe

 et grandit la Vue des choses telles qu'elles sont » ESC.

 

L'argument est dialectique : il nous est impossible de connaître l'absolu par la pensée discursive ; la connaissance des choses telles qu'elles sont ultimement ne peut donc pas être autre que transcendante ; ce n'est pas l'esprit grossier qui accède à la connaissance de l'absolu, c'est l'absolument parfait qui se révèle à notre sapience comme Prajñā ! Cela rappelle l'argumentation de Descartes quant à la preuve de l'existence de Dieu basée sur l'attribut de sa perfection. « Il faut nécessairement conclure que Dieu existe ; car je n'aurais pas l'idée d'une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n'avait été mise en moi par quelque substance qui fût véritablement infinie ».

La métaphysique comme solution pour compenser la limite de la pensée crée une autre limite, celle de l'absolu, achevé, accompli, parfait ! Or, la Prajñāpāramitā, dont le sens est de « passer par-delà la connaissance", ne peut être définitive puisque la vacuité ne l'est pas ! Il n'y a de sens à la « transcendance » que dans le fait de la dépasser sans cesse sans jamais l'atteindre !


« La Connaissance que nous atteindrons sera toujours relative 

et susceptible d'être franchie, dans une marche 

vers une Connaissance s'appliquant à un champ plus étendu, 

même si nous la dénommons transcendante, 

n'a jamais rien de définitif

ce qualificatif n'est que l'expression de notre appréciation » CT-116.


Il n'y a pas plus de transcendance qui soit métaphysique que de nature qui soit réelle. La conscience comme événement manifeste tout le jeu phénoménal, l'être-temps (uji). Ānāpānasati ne vise pas à atteindre la transcendance, c'est un accès direct à la vacuité de la conscience « libre de l'être et du non-être ».

C'est l'ego qui veut toujours plus, et qui nous fait inférer la transcendance comme absolu ! Ne recherchez pas la transcendance, développez l'humilité. Oubliez les grands mots, revenez à l'expérience. Restez ici, il n'y a pas d'autre côté !


« [sati] devrait être compris comme ce qui permet la prise de conscience 

de la gamme complète et de l'étendue des dharmas ; 

sati est une prise de conscience des choses en relation avec les choses, 

et donc une prise de conscience de leur valeur relative » LDSR.



AREH : L'attention à la respiration - L'Essence du zen - Harada Roshi https://www.nousasseoirensemble.org/post/l-attention-à-la-respiration-l-essence-du-zen-harada-roshi 

CDQQC : La conscience est toujours conscience DE quelque chose https://www.youtube.com/watch?v=ByFmlY7F3DA 

LDSR : Lorsque l'esprit ne demeure sur rien, le véritable esprit apparaît https://www.youtube.com/watch?v=kiC61HPfzio 

VRAIE : « vigilance remémoratrice appliquée à l'inspiration et à l'expiration » https://www.cedh.info/ManuelAnapanasati.pdf 

III.104 Ressentez


Le sable s'égraine au sablier du temps,

Au rythme précis dicté par son contenant.


L'eau s'écoule en chute nomade,

Du flanc de montagne en libre cascade.


Le temps naît du regard de l'expérience,

La durée est le fruit de l'audience.


Le reflet se mire dans le ciel de Lune,

La silhouette du vent courre sur les dunes.


A la forme de son pas prend vie le marcheur,

Le ciel constellé dessine l'arpenteur.


Là-bas s'éloigne

d'ici naît le lointain

au gré la voile


Lobsang TAMCHEU

Eléments de réflexion


La magie, c'est lorsque l'on ne voit pas les ficelles du tour. Selon le psychanalyste Paul Claude Racamier, « la perception est une hallucination réussie » ! Réaliser le triangle comme expérience phénoménologique est une chose, mais comment voir que ce qui nous fait en avoir conscience en fait également partie ?

Même si nous savons qu'il n'y a pas de sujet sans objet, la conscience ne s'en distingue pas moins de ce dont elle a conscience par le sentiment de continuité de « soi ». A travers la respiration, le cerveau dispose d'un retour d'informations sur la base duquel reconnaître le corps comme « son » corps. Or, la quantité d'information à gérer et l'énergie nécessaire seraient trop grandes pour l'établir sur la base de la comparaison. Et puisqu'il n'y a pas deux respirations identiques, comment sans mémoire le cerveau reconnaît-il le corps comme « sien » ?


« Ce sentiment fondamental serait lié aux battements du cœur, 

le sentiment de soi résulterait d'une construction complexe du cerveau 

basée sur les pulsations cardiaques (…) 

chez les patients souffrant d'un trouble de dépersonnalisation, 

c'est-à-dire un sentiment étrange d'être détaché de son corps, 

le "label soi" déclenché par le cerveau 

en réponse aux battements du cœur semble inexistant » REF


Le film n'est jamais le même, mais l'écran est immuable. Or l'esprit n'est pas duel ! Comme en physique quantique, l'expérience inclus l'expérimentateur. Ce que l'illusion de la perception a de réussie, c'est de faire croire dans le caractère permanent de la « conscience de soi ». Le cadre n'a nul besoin de posséder un caractère de permanence pour paraître exister en soi ! Un verre peut contenir une infinie diversité de contenus et sembler un contenant immuable. Mais, il est soumis au passage du temps. La matière qui adopte à cet instant la forme du verre, dans le contexte de l'infini, revêtira toutes les formes possibles. L'esprit n'est pas le même à chaque respiration, « ni différent ni identique » !

Le « cadre » n'est pas indépendant du contenu, il en est la forme. Le caractère modal de la « conscience de soi » est le reflet en miroir inversé du contenu amodal de la représentation, qui (par un effet d'inversion phénoménologique) apparaît comme le champ (l'espace de conscience) dans lequel elle se forme. Cet « effet de contraste » phénoménologique de la perception, c'est comme si un reflet originait le miroir qui le reflète ! Or, ce n'est pas l'expérience que nous en faisons. En méditation, le flux des pensées peut être dense ou diffus, chaotique ou ordonné, excitant ou lénifiant, et même disparaître pour laisser place au « vide mental », jusqu'au sentiment même d'en être conscient… comme observateur hors du temps ! Comment pourrait-elle être alors une hallucination ?

Le fait n'est paradoxal que parce que nous considérons le temps comme un « existant premier », ne voyant pas qu'il est seulement une modalité relative de la conscience en tant qu'événement ! C'est l'impermanence du contenu qui émule le sentiment phénoménologique de la continuité du contenant sous la forme de la « conscience de soi » ! La conscience n'est pas « conscience de qqc » (définition substantialiste), la conscience est « l'expérience de qqc », lequel n'est autre que « l'événement de sa propre expérience ».

« Toutes choses sont l'essence d'une seule chose », Sahara. Observez bien ce qui apparaît en méditation : le corps, les sensations, les perceptions, les représentations mentales, ne sont pas discriminés en nature, mais apparaissent sans transition comme une seule et même expérience phénoménologique, où tout est ultimement sans discontinuité et relativement sans obstruction

Et en même temps, cela apparaît distinctement, comme un reflet se détache avec netteté du miroir et semble exister de manière autonome, indépendamment de cela qui s'y reflète, de cela qui le pense, de cela qui en a la conscience… Le monde n'est qu'un «événement de conscience », incluant la conscience comme « événement de son observation » sous la forme d'un observateur distant. C'est l'univers tout entier qui participe de la conscience, non pas comme nature mais comme « fait », puisqu'il est ultimement impossible de dissocier toutes choses en essence de par leur vacuité, ni relativement en apparence car elles sont sans obstruction comme des hologrammes, des reflets ou un rêve...

Laissez-vous imprégner par ce qui apparaît et disparaît en méditation, il n'y a pas de distinction entre la conscience comme contenant et la conscience comme contenu. Tout n'est qu'expérience phénoménologique y compris celui qui en fait l'expérience comme expérimentateur ! La transparence du verre, la transparence de l'eau qu'il contient, la transparence du lac de montagne où ils sont plongés, la transparence de l'espace qui les englobe, la transparence de l'esprit qui en fait la perception, ne sont qu'une seule chose, qu'un seul « événement de conscience » qui est l'essence « vide du vide » de toutes choses…

Respirez ! Non pas en tant que vous éprouvez une fonction spécifique du corps, que vous observez ou régulez judicieusement, mais comme une dimension, une modalité, de cette expérience dont vous-mêmes, en tant qu'observateur, êtes le produit de la coémergence. Méditez ! Non pas en tant que personne, non pas en tant que soi ou non-soi, mais comme expérience heuristique…


« L'activité du cœur est loin d'être le seul paramètre interne enregistré par le cerveau.

Les échelles de temps diverses sur lesquelles varient ces paramètres seraient à 

l'origine de l'impression de continuité dans le sentiment de soi (...) 

les résultats sont une simple corrélation : 

la réponse neurale aux battements de cœur varie en même temps 

que le centrage de nos pensées sur nous-mêmes » REF


III.105 Condensez


La voûte du ciel posée sur l'horizon,

L'univers tout entier surgit d'un son,


L'oiseau porté par le courant ascendant,

Une plume soulevée par le souffle du vent,


Un fil de soie tenant une bulle de rosée,

Le soleil naissant sur toile d'araignée,


Ce corps formé de chaînes de molécules,

La conscience d'un rêve noctambule,


Un point en équilibre sur un nuage,

En aplomb sur la traînée de son sillage,


Sur la fenêtre

le souffle se densifie

vapeur d'esprit


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


Tout l'univers participe de la conscience, car tout est un aspect, une dimension, de son événement. Pour autant, ce n'est pas la conscience comme monde dans sa globalité, du plus près au plus lointain, du plus infime au plus immense, qui constitue le « fait de conscience », cela dont nous sommes conscients d'être conscient « ici et maintenant », mais une portion infinitésimale. Ce n'est pas une réduction, tout l'océan sous un bateau que l'on fait rentrer dans une bouteille, ni même un grain de sable. C'est une facette microscopique de ce grain qui, en occupant toute la focale de l'attention, est l'entière et unique réalité de l'instant !

La « pleine conscience » est une définition par trop incomplète pour qualifier la phénoménologie qu'elle recouvre. Surtout, elle est impropre à être utilisée seule, comme le mot « vacuité » ne saurait être employé autrement que comme adjectif pour qualifier une chose, la vacuité de la tasse, la vacuité du corps, de l'esprit, etc. Qu'est-ce qui structure l'expérience consciente, lui donne sa cohérence, qui fait de la perception phénoménologique une « hallucination réussie » ?

La respiration et le mental sont corrélés. Lorsqu'ils sont alignés, le corps et l'esprit fonctionnent en adéquation. Un souffle harmonieux reflète un esprit calme, une respiration perturbée traduit un esprit agité. Leur influence est mutuelle. L'esprit peut apaiser le corps par la régulation du souffle ou, dans les cas de pathologies anxieuses (crises d'angoisse, attaques de panique), ou entraîner et s'entraîner à l'emballement de la respiration, et causer des arythmies cardiaques…

Le maintien de l'équilibre entre l'esprit et le souffle est aussi précieux que la recherche de réalisation spirituelle ! Surtout lorsque celle-ci prend par trop appui sur les techniques d'hyperventilation – lorsque l'inspire est plus rapide ou plus long que l'expire –, réservées à un cadre yogique ou tantrique, ou encore laïc comme la plongée professionnelle en apnée. Bien encadrer leur utilisation ne suffit pas à assurer leur inocuité. Leur effet euphorisant, induit par la mise en circulation des énergies dans le corps, est trompeur quant à sa capacité de guérison des blessures ou des troubles du mental-ego, car elles n'ont pas été élaborée à des fins de développement personnel ou de dépassement de soi.

Pour autant, la recherche de l'extrême opposé n'est pas non plus l'instrument idoine d'une pratique spirituelle qui consiste à vouloir atteindre la transcendance en s'enfonçant dans les profondeurs de la méditation par la diminution du souffle et des battements cardiaques… La dilution de la perception consciente dans le « sans-forme » n'est pas l'expérience de la dissolution du « conscient » par le « surconscient », lequel serait connaisseur de cet événement du fait du caractère transcendant de la connaissance d'un « soi » entitaire et nouménal !

La « voie du milieu » de la respiration, c'est une régulation judicieuse (sthira et sukham) qui établit la cohérence du souffle à la conscience de respirer. Celle-ci procède de la respiration diaphragmatique, et d'un expire plus long que l'inspire. L'harmonie du souffle, reflet de l'équilibre corps-esprit, n'est toutefois pas ce qui confère à la perception phénoménologique sa cohérence, mais la base sur laquelle s'établit la « pleine conscience » de l'événement qui la traduit.

Accomplir véritablement une action en « pleine conscience » c'est agir à travers la « pleine conscience » de la respiration. Par exemple, manger en « pleine conscience » avec la respiration, c'est inspirer les sensations gustatives, la texture, les saveurs de la nourriture, c'est expirer dans les mouvements de mastication de la mâchoire, sur l'attention à la conscience de la respiration : c'est respirer lentement avec le diaphragme en mastiquant lentement les aliments ; et les ingurgiter dans une longue et lente expiration… Ce massage de l'abdomen assure une bonne digestion. L'on est moins ballonné après le repas car l'on a tout simplement pris le temps… de manger en respirant !

Ainsi, pour être pleinement en conscience de l'action, il faut être pleinement conscient de respirer dans l'action, tant il est vrai qu'une respiration calme et mesurée témoigne de l'équilibre corps-esprit. C'est cette « pleine conscience » de l'acte, intriquée à la « pleine conscience » de respirer pour n'en former qu'une seule, qui définit « l'heuristique de disponibilité » du moment présent, la facette, le focus de tout notre contemplation. Ainsi, c'est la « pleine conscience » de l'action qui structure et confère sa cohérence à la perception consciente.

Cependant, il ne s'agit pas d'une conscience à la « première personne », mais d'une abstraction du sujet, de son action et de l'objet sur laquelle elle porte ! Il n'y a pas d'agent aux commandes ! Cet état de concentration ouvre sur une action spontanée et authentique telle qu'elle émerge de la pratique des arts martiaux Zen. Le samādhi n'est pas à rechercher dans le vide de l'inconscient mental, mais dans le « juste milieu » de l'harmonie du souffle et de l'esprit.

III.106 Densifiez


Lignes fictives, forme imaginaire,

Figure projetée, aspect éphémère.


Couleurs inventées, différences déduites,

Ombres localisées, lumière induite.


Contours simulés, espace extrapolé,

Haut et bas, dedans et dehors, hallucinés.


Conscience de soi, avatar synthétique,

Corps désincarné, vision périphérique.


La réalité est un simple événement,

Un fait sans auteur, charme d'envoûtement.


Chant de sirènes

il m'attache au mât

rêve agité



Lobsang TAMCHEU

Eléments de réflexion


Toute réalité est un événement de conscience. Regardez ce motif de Kanizsa, une illusion d'optique qui, selon la perspective, fait apparaître trois points distants ou un triangle blanc dont les sommets sont des pointes noires. Embrassez-les du regard et le triangle apparaît, fixez le centre de l'image et il disparaît ! Cet étrange ballet est curieusement proche de ce qui se passe dans l'esprit en méditation où, observant sans poser d'attention et sans demeurez « l'esprit fixé quelque part », surgissent des pensées, images et sons qui s'évanouissent aussi subitement…

Vous pensez que voir un triangle parfaitement distinct bien que blanc sur fond blanc, c'est qu'il existe objectivement, et que ne plus le voir est l'illusion, à moins que… ce ne soit le contraire ! En fait, ni l'un ni l'autre ! Comme pour toute illusion d'optique, le cerveau hésite entre deux interprétations qui n'ont de réalité qu'en tant qu'hypothèses prédictives ! Le blanc et le noir également… Là, en face, il y a seulement des longueurs d'ondes. Votre œil en a peut-être une perception plus brute, mais la conscience que vous en avez, elle, est une interprétation ! La vue du triangle blanc et sa disparition sont des « événements de conscience ». Votre expérience phénoménologique est la réalité.

La question n'est pas de savoir s'il existe une connaissance qui « transcende » la cognition naturelle (la Prajñā), mais plutôt qu'est-ce que la connaissance ? Y répondre, c'est se départager de la conception de la connaissance comme l'acte de connaître qqc objectivement… par un connaisseur existant objectivement !


« Le problème est épistémologique. 

Comment conceptualisons-nous 

et comprenons-nous la réalité de façon cohérente ? » TUA-77.


Dès lors que nous comprenons que la connaissance n'est pas l'expression d'une dualité intrinsèque – d'un objet par un sujet existant de leur propre côté d'une manière substantielle autonome, connectés par la perception cognitive –, mais un événement (produit en interdépendance de la convergence de causes et de conditions), dont la phénoménologie se manifeste comme l'expérience de l'apparition d'un connaisseur en coémergence à celle d'un connaissable, il n'y a plus de raison d'inférer son caractère subtil du caractère transcendant de la Prajñā comme (preuve de) l'essentialité d'un mode de réalité métaphysique.

Le comprendre intellectuellement ne suffit pas pour le réaliser, il faut en faire l'expérience directe (c.à.d. établir les bonnes connexions) d'une manière qui, somme toute, est étonnamment simple, comme l'est l'exemple de cette illusion d'optique. Une simplicité qui montre que le discernement est naturel et non le reflet d'une connaissance « transcendante » ! Comme méthode, Ānāpānasati donne un descriptif détaillé des étapes qui amènent à sa réalisation progressive.

Toutefois, si méditer est un véritable laboratoire d'expériences, où chaque sensation, perception, pensée, sont autant d'occasion de mettre en évidence l'impermanence, l'interdépendance et la vacuité de tous les phénomènes, c'est seulement parce que le «chercheur spirituel » aura entrepris d'y réfléchir, de le « méditer analytiquement ». De fait, l'on peut stimuler l'esprit avec autant d'exemples (mirage, arc-en-ciel, reflet de la Lune sur le lac ou dans un miroir, rêve, hologramme, illusion d'optique, etc.), non seulement aucune connexion ne se produira, mais l'expérience demeurera… l'expression de nos croyances !

A contrario de l'inférence selon laquelle « l'appel du dharma » ne peut être entendu, son discours compris, sa loi mise en pratique, et ses effets devenir tangibles, qu'à la condition du développement de la Prajñā – « l'intérêt pour le Dharma, l'engagement dans son ascèse sont des signes certains de l'éveil de la Connaissance transcendante » ESC –, c'est comprendre qui ouvre l'accès à la connaissance naturelle de la conscience comme son expression incarnée !

Ainsi, la pensée discursive, dialectique, la raison pure, tant décriée eut égard à son incapacité à obtenir des réalisations spirituelles, voire à nous en empêcher, s'avère en définitive jouer un rôle précieux dans leur atteinte, à la condition… de ne pas chercher à les obtenir ! Et c'est bien là son utilité pratique que de nous faire prendre conscience de l'importance sur la voie spirituelle de ne pas rechercher la transcendance, de ne pas dénigrer le naturel, de ne pas laisser l'expérience de côté au profit d'une quête métaphysique ! Curieux retour des choses étant donné que le « mental intellectuel » est accusé de nous tenir éloigné du corps, reclus de l'incarnation, par la voie duquel passe la libération !

L'on peut toujours objecter qu'il s'agit là aussi… d'une question de point de vue, et qu'il n'y a pas d'ordre prédéterminé, de « flèche de la sagesse », dont la causalité œuvre dans un seul sens, lequel est irréversible comme la « flèche du temps » postulée dans une conception objectiviste de l'espace et du temps. Autrement dit, qu'il existe effectivement deux « côtés (absolus) du seuil », chacun influençant l'autre, la sagesse se commuant en réalisation aussi bien que la réalisation en acte… Une autre manière de dire que le chemin est propre à chacun.

Nonobstant, mettre en pratique la perspective naturaliste, c'est dans la méditation ne pas chercher à s'éloigner de la surface (par aversion, désir de transcendance), à vouloir vider l'esprit de toute pensée comme l'air des poumons jusqu'à épuiser y compris le « volume inspiratoire de réserve », à plonger dans les profondeurs subconscientes du sans-forme, à creuser jusqu'au seuil subliminal du « sans-conscience », à vouloir « aller au-delà du par-delà » pour y trouver un ordre transcendant la nature, métaphysique, positif de l'existence du Soi ou de Dieu !

Méditer, ce n'est pas chercher un idéal de perfection transcendante, c'est revenir au naturel ! Lorsque le triangle blanc s'évanouit, il ne disparaît pas au-delà de l'horizon psychique, son absence est un « événement de conscience ». Certes, son vide est intangible en réalité ultime du fait de sa vacuité de substance, mais apparaît tangible en tant que « vécu », à la fois… réel, illusoire et vrai ! Rien ne se passe du côté de l'objet – telle la réduction de la « fonction d'onde » qui est de l'ordre du formalisme quantique eut égard à une réalité quantique indicible –. Tout se déroule non pas du côté du sujet (inférence objectiviste), mais comme un « événement » où coémerge connaissant et connaissable…

C'est tout ce qui est perçu comme expérience sensorielle (proprioceptives et perceptives, comme les sensations du corps, de la respiration), tout ce qui vécu comme « expérience phénoménologique » (imagination, rêverie…), tout ce qui est éprouvé comme « expérience de conscience » (apparition, disparition, cinématographique mentale), par le méditant qui constitue le vecteur de la réalisation même de la vacuité du relatif, de « l'être-temps ».


TUA : Tout l'univers dans un atome https://www.decitre.fr/livres/tout-l-univers-dans-un-atome-9782221106518.html  

III.107 Voyez


Figé par le froid, la glace fige le temps,

Redevient liquide lorsque vient le printemps.


Gravé dans la roche, le signe persistant,

Tracé dans l'eau, ne dure qu'un instant.


Mu par la force du vent, l'air est un mur,

Diluée d'espace quitte son armure.


Sous la tempête, les vagues sont des géants,

Redeviennent naines après l'ouragan.


Épais le brouillard est plus dense que la nuit,

Quand l'eau sublime, plus fuyant qu'un bruit.


Le vent se calme

les grenouilles croassent

entre les lotus


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion 


Étymologiquement, un phénomène (Phänomen), c'est « ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre psychique » CNRTL. Une définition objectiviste qui pose l'existence de la chose indépendamment de son observation. La respiration est souvent donnée comme « objet de méditation », en particulier dans la « pleine conscience », où l'instruction est de poser son attention sur le phénomène de la respiration, de l'observer sans rien modifier, sans chercher à le contrôler, simplement d'observer.

Développer la capacité à rester l'esprit fixé sur qqc, c'est la « concentration » (qui est l'objet de la méditation du « Calme mental » dans le Bouddhisme tibétain). La concentration se définit comme l'action de « réduire la focale de » l'attention sur un phénomène qui devient l'exclusivité de la conscience. Et lorsque l'objet est la conscience elle-même, la concentration procède alors d'une « conversion du regard » SCPR. C'est ce retournement sur sa propre intériorité qui est au cœur de la méthode de la « vision sans tête » du mystique Douglas Harding et, du « qui suis-je ? » de Ramana Maharshi, dans le courant de l'advaita vedanta.


« C'est comme si je compare ma conscience à une lampe torche, 

si je réduis le faisceau, petit à petit, il y a des choses qui vont être mises dans l'ombre. 

Si je réduis encore le faisceau et que je le tourne vers moi-même, 

il y a une intériorité qui va apparaître, 

le monde externe va être mis en réduction, mis dans l'ombre » SCPR.


Tout cela est très logique et parfaitement cohérent, et il n'y a pas à douter, dans cette optique et ce contexte de pensée, que l'expérimentation de cette approche puisse être révélatrice du sentiment du « véritable Soi ». La question est de savoir s'il s'agit d'une «réalisation authentique » ou de la simple expression d'une expérience… induite par l'inférence de sa croyance ?

Le fonctionnement du cerveau est global, et à chaque instant, en arrière-plan, il accomplit une multitude de tâches coordonnées dont nous n'avons absolument aucune conscience. A contrario, la conscience est incapable de se concentrer sur plusieurs choses à la fois ! Garder l'attention sur la respiration est déjà chose difficile, alors en rester conscient tout en se concentrant sur l'action de manger peut paraître incompatible. Pourtant, en posant la main sur l'abdomen, il est possible de conserver une certaine conscience de la respiration, en « arrière-plan », tout en se concentrant au « premier plan » sur l'action de manger.

Il est préférable de commencer par s'entraîner à se concentrer sur le diaphragme exclusivement, par un effort de « régulation judicieuse » consistant en de longues expirations, puis d'ajouter une dimension supplémentaire à l'entraînement. Il est alors très intéressant de constater que le point de vue sur la concentration change d'une manière radicale jusqu'à remettre en cause sa définition…

Sur le motif de Kanizsa, l'apparition des côtés du triangle blanc n'est pas une création ex nihilo. De l'eau transparente dans un verre transparent dans l'eau d'un lac de montagne, nous voyons, soit leur ensemble en superposition en focale large mais sans détail précis, soit chacun l'un après l'autre précisément avec une focale courte mais sans vision détaillée. Si le triangle existe réellement où est-il lorsque nous ne le voyons pas ? Comment peut-il disparaître objectivement s'il existe objectivement ? Voilà qui rappelle le questionnement de la mécanique quantique (induit par ses paradoxes objectivistes) quant à savoir ce que sont les « objets quantiques » quand ils ne sont pas observés…

Et si, plutôt que de définir la « concentration » comme la « réduction de la focale » de l'attention sur un existant intrinsèque, nous la considérions comme un processus de «densification » ou « d'agrégation », semblable par analogie à la condensation de la vapeur d'eau, laquelle est invisible à nos yeux, mais présente dans l'air, en arrière-plan de la conscience, et qui, sous certaines conditions, devient manifeste sous forme d'eau liquide… au premier plan !

Mais la densification de « quoi » ? C'est là qu'il faut être prudent afin « d'éviter de substantifier la vacuité » ! Car, cela qui se condense en l'occurrence, ce n'est pas la conscience en tant que constitutive d'un « existant premier » (comme une sorte «d'éther mental » ou un climat susceptible de revêtir différents aspects de manifestation), c'est un événement qui se caractérise comme expérience phénoménologique. Non pas la captation sensorielle, la cognition, d'une réalité extérieur objective, mais un événement objectivé comme expérience intérieure, lequel apparaît en dualité à cela qui le perçoit !

La perception n'est pas une représentation mentale élaborée par le système de représentation cérébral d'une réalité objective connue objectivement, mais un « acte de connaissance mentale ». Ainsi, la « concentration », précédemment définie comme une « conversion » (retournement) de la direction du regard vers l'intérieur, se redéfinit-elle comme la condensation sous la forme d'une « expérience phénoménologique » du sentiment de la « conscience de soi » (ce que cela fait d'être « moi »). Un phénomène est ce qui apparaît par densification comme expérience à la conscience comme événement.

De fait, les côtés du triangle blanc apparaissent non pas « à » mais « comme » perception consciente, non pas « à partir » d'un fond occulté par la concentration sur les points noirs, mais « comme » figure synthétique condensée de ces trois points. Notons que du point de vue phénoménologique, les pointes du triangle blanc sont le reflet en miroir inversé du quart de l'espace manquant de chaque point (vue modale de lignes formant un « contenant » extrapolé à partir de la vue amodale d'un contenu vide !). Alors que du point de vue phénoménal, le blanc est la somme de toutes les longueurs de la lumière et le noir… leur absence !

Aussi loin que l'on descende dans l'analyse des « formes de l'eau » (liquide ou gazeux), de ses molécules et de leurs composants, comme dans la géométrie et les traits du motif de Kanizsa, l'on ne trouvera aucune entité substantielle. « Ce qui apparaît » comme phénomène n'est autre que la vacuité d'une conscience perceptuelle, constitutif d'un « événement de conscience », la « vacuité qui apparaît comme cause et effet » comme le dit Lama Tsongkhapa. Ce qui en conséquence fait de la découverte du « véritable Soi » selon les tenants de son existence nouménale, ainsi que de la «connaissance transcendante » comme essence métaphysique, des « expériences phénoménologiques » dont la caractéristique est d'être vécues… comme réalité objective !

Poser l'attention sur la respiration c'est, en pleine conscience des mouvements du flux de l'inspire et de l'expire, au seul premier plan de l'instant présent, faire l'expérience de la « conscience comme acte de respiration » dans la conscience unifiée et indivise de la « respiration comme acte de conscience ».


SCPR : Sophrologie Caycédienne phénoménologie de la respiration https://www.youtube.com/watch?v=IcWBxu_43Gw  

III.108 Réalisez


Personne pour diviser la respiration,

Seule l'expérience pour proposition.


Ni inspire ni expire ni rétention,

De l'expire profond seule détention.


Ignorant pour chercher au centre du vide,

En quête d'obscur plutôt que lucide.


Ici et maintenant est la condensation,

De clarté, la conscience est l'obtention.


Libre d'assertion du brut et du profond,

Du seuil ouvre la claire lumière sans fond.


Claire surface

transparence lucide

tu vois-tu sans fond ?


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


Un phénomène est ce qui apparaît à la conscience, laquelle « conscience de ce phénomène » s'apparaît à elle-même comme conscience ! Il n'y a pas de reflet sans miroir, d'ombre sans lumière, de sujet sans objet ! Certes, il est possible d'abstraire du «champ de la conscience » tout contenu sensoriel et y compris mental pour atteindre au « sans-forme » et « sans-pensée ». Demeure toutefois le « sentiment de soi », la conscience d'être conscient, simple présence, laquelle apparaît irréductible. Ce qui fait dire à quiconque en a fait l'expérience avoir atteint le fond absolu, le « Soi véritable ».

Un phénomène ce n'est pas seulement « ce qui apparaît » en face de moi qui en suis conscient, tout en étant conscient de moi-même, comme si chaque côté de ce « face-à-face » existait intrinsèquement sous ses propres modalités. Vue, expérimentée, de cette manière objectiviste, la « conscience de soi » perdure naturellement en l'absence de tout autre objet… qu'elle-même ! Cette vision d'un « phénomène » est toutefois incomplète. Un phénomène, c'est un événement dont la conscience perceptive est une partie constituante, coémergente à son objet. Que le côté face de la pièce disparaisse n'entraîne pas la disparition du côté pile. L'œil ne se voit pas lui-même mais pourtant participe de la vision.

L'analogie n'est pas tout à fait exacte. Cet « événement » qu'est un phénomène est comparable à un « anneau de Moebius », où le côté face est le côté pile et le côté pile le côté face, la forme-vide est le vide-forme…

Quand j'expire, mes poumons se vident et le milieu extérieur se remplit de l'air que j'expire, et quand j'inspire, mes poumons se remplissent et le milieu extérieur se vide en parallèle d'une partie de l'air que j'inspire. L'un ne va pas sans l'autre. Considérer l'existence de l'objet perçu indépendamment de la conscience qui le perçoit, ou le résultat d'une expérience de physique quantique indépendamment de l'observateur, ne fait pas sens, comme il ne fait pas sans de demander quel est le bruit que fait un arbre qui tombe en forêt sans aucun témoin !

Ce qui apparaît comme « phénomène » côté face et comme « conscience de ce phénomène » côté pile est un événement unique qui se manifeste de deux manières simultanément, comme un ruban dont la topologie est telle que, selon la position relative de l'observateur, il paraît avoir deux faces. Or, si l'on coupe un « anneau de Moebius » en deux, que l'on enlève le côté face, il ne reste pas le côté pile, ce que l'on obtient c'est encore… un « anneau de Moebius » ! « Tout ce qui est ici est ailleurs, ce qui n'est pas ici n'est nulle part » IDC-31.

Non seulement, les faces du ruban n'ont pas de réalité objective, mais le ruban lui-même est dépourvu de substance ! Sa singularité géométrique, il la doit à un « effet de perspective », comme le produit d'un processus de condensation qui se manifeste à la fois comme « objet de conscience » et « conscience de l'objet ». Or, si le côté face est le côté pile, et inversement, c.à.d. que le phénomène et la conscience du phénomène sont une seule et même chose, si ce qui est vu et cela qui voit sont l'aspect l'un de l'autre, sans être ni l'un ni l'autre, où se trouve le « Soi » censé être la conscience entitaire et nouménale du sujet ?

Si les phénomènes que je perçois explicitement en distinction de la conscience de « moi » sont le même événement, vu sous un autre angle, que le sentiment « d'être conscient » dont j'éprouve l'expérience implicitement, autrement dit si la conscience ne peut se penser indépendamment de son objet, le concept de la conscience comme «conscience de qqc » (à partir de soi-même) tombe ! Et s'il n'y a rien d'autre (pas de choses existants intrinsèquement, objectivement) que des reflets en « miroir inversé », des reflets qui se reflètent l'un l'autre sans miroir, alors… il n'y a pas place pour l'atman, l'âme, le Soi !

L'on oppose l'intelligence et la raison pure à la réalisation spirituelle (en particulier s'agissant de la vacuité) en arguant qu'elles ne permettent pas de l'atteindre. L'on ne voit pas qu'il s'agit là d'un point de vue qui reflète une méthode de pensée inadaptée. La philosophie occidentale, et la science par voie de conséquence, se sont développées sur un « réductionniste », comme s'il suffisait de diviser pour expliquer les choses ! La physique des particules l'a démontré, et la mécanique quantique l'a confirmé, il est impossible de subdiviser à l'infini ce que l'on pense être les composants d'une réalité dicible, car la nature ultime est tout simplement indicible ! Ce que l'on divise en vérité, en science ou en philosophie (et les écoles philosophiques bouddhistes procèdent de cette méthode), ce n'est pas la réalité objective, c'est la pensée conventionnelle de ce présupposé !

Tant que l'on pense le connaissable en distinction de la connaissance que s'en forme un connaisseur dans son système de représentation, l'on crée une dualité qui nous éloigne de la compréhension de ce que sont véritablement les choses.

C'est le cas en neuroscience où, si la compréhension du fonctionnement du cerveau a considérablement progressé depuis Descartes, le corps et l'esprit sont toujours pensés sur le mode réductionniste comme une « unité de traitement de l'information » : en entrée, les données venant du monde extérieur, considérées comme objectives ; en sortie, l'émulation d'une représentation subjective.


« La conscience subjective est le résultat de calculs non conscient [du cerveau].

 N'importe quelle scène que vous voyez, que vous analysez, est le résultat d'un

 traitement non conscient, et donne lieu à des états subjectifs » JSMPC.


Il est ainsi étonnant d'entendre un scientifique comme Stanislas Dehaene décrire le processus neuronal par lequel un mot, auparavant « confiné dans des circuits spécialisés », devient « conscient » dès lors que son traitement produit « tout un surcroît d'activité, ce qu'on a appelé "l'embrasement neuronal » dans un espace cérébral beaucoup plus grand » JSMPC. Mais, en quoi la diffusion et le traitement d'une information à l'échelle du cerveau la fait-elle… « devenir » consciente ? En quoi la conscience peut-elle se définir comme un « espace de travail global » dont le fonctionnement inconscient émulerait une pensée conscience ?


« Chacune de nos pensées est le résultat d'un code neuronal (…) 

chacun de nos états mentaux, même les plus intimes, 

les plus émouvants, sont le résultat de calculs de notre cerveau » JSMPC.


Un calcul, c'est une opération formelle portant sur des unités symboliques. Et un formalisme qui abroge sa propre « loi de composition interne » pour produire autre chose que le résultat attendu par sa fonction serait pour le moins inefficace et… dysfonctionnel ! La mécanique quantique est d'une redoutable efficacité prédictive et pourtant, ce n'est qu'un formalisme qui extrapole sur lui-même, non sur un réel ineffable et indivis. S'il est possible d'établir une correspondance entre l'activité neuronale et le contenu des pensées conscientes, ce parallèle n'est toutefois pas signifiant d'une translation de l'objectivité à la subjectivité, laquelle présente un caractère dualiste et métaphysique au postulat d'une essence !

Dans le domaine spirituel, l'intelligence n'est pas un obstacle à la réalisation, c'est la méthode d'analyse utilisée qui l'est ! La vue dualiste à laquelle l'on aboutit par une démarche réductionniste n'est pas l'expression de la nature de ce que l'on cherche à comprendre, c'est sa conséquence ! Tant que l'on pose cela qui est voit en distinction de ce qui est vu, on crée une dualité. Se demander « qui suis-je ? » comme point de départ à sa recherche spirituelle, c'est partir du postulat d'une séparation objectiviste de la conscience et des phénomènes.

L'assertion « la forme-vide est vide-forme » ne se veut pas tant une définition de la nature ultime du réel qu'une méthode d'analyse non réductionniste. Il n'y a qu'un moyen de dépasser la « pensée dualiste », c'est évacuer la dimension objectiviste du sens que l'on donne à la matière et à l'esprit ! Considérer les phénomènes et la conscience comme un seul et même événement, où chaque côté apparaît en perspective comme « face » ou comme « pile » en relation à la direction de l'attention, offre de dépasser ce réductionnisme. Un changement de paradigme qui ouvre à la liberté totale du non assertif, ni être ni non-être…

« Tout est conscience ! » affirme le dualiste : lorsque je regarde autour de moi, ce que je vois n'est autre que moi-même me regardant, et lorsque je regarde vers moi-même, ce que je vois n'est autre que cet au-delà de moi-même qui me regarde. Mais s'il n'y a personne qui regarde et personne qui n'est regardé, si le « je » n'est ni du côté qui regarde, ni du côté qui est regardé, où est-il ? Il n'y a nulle conscience, nulle part, qui ne soit conscience autrement que comme une simple désignation conventionnelle « vide d'essence » !

Lorsque je retourne l'attention des phénomènes vers la conscience et y demeure unipointé, sa focale n'éclaire pas un existant objectif, elle change simplement la perspective du regard. L'événement reste un événement ! Si l'on regarde la conscience du point de vue de la phénoménologie de son expérience, en tournant le regard vers son « centre sans centre », celui-ci ouvre à travers lui-même sur son propre « horizon phénoménal » sans franchir de seuil !

Ce qui apparaît est comme un rêve : ni réel, ni illusoire, ni irréel ! Et dans ce rêve, il n'y a pas réellement de transition (de « saut quantique ») dans le cerveau entre objectivité et subjectivité, non conscient et conscient ! Dans ce rêve, tout existe en apparence que comme « simple désignation », y compris le rêve lui-même ! Et son essence, laquelle apparaît comme événement (condensé coémergent sous forme de phénomène et de conscience), est « vide d'essence ».

Au-delà de tout concept et de toute conception (de tout opposé et de toute dualité donc), tout n'est ultimement ni de l'ordre de l'être (objectif absolu), ni de l'ordre du non-être (néant), tout est « libre du vide et du non-vide » ! De fait, le « véritable Soi » n'est qu'une désignation, de même que la conscience, la présence, l'unité du Soi, l'union divine. Tous sont simplement comme des rêves !

Ainsi, l'on peut paraphraser Ānāpānasati : 

Regardant clairement ici même, 

il connaît lucidement : l'événement de regarder ! 

Regardant profondément en son centre, 

il connaît parfaitement : sans personne qui regarde !



IDC : L'incendie du Cœur, Daniel Odier https://www.danielodier.com/french/bibliographie.php   

JSMPC : Je suis mon propre cerveau Stanislas Dehaene https://www.youtube.com/watch?v=5oorlZ_PDkA