IV. 19 Poétique de l'ainsité - la respiration du Dharma

Retrouvez ici les poétiques de l'ainsité de IV.1 à IV.6
1. La respiration du Dharma
IV.1 Dans le miroir « à cet instant »
A l'instant présent…
Qu'y a-t-il à cet instant ?
« Ici et maintenant » ?
Seulement l'inspire, seulement l'expire.
Seulement la perception de ce qui apparaît « à cet instant ».
« Ce qui apparaît à cet instant » aussitôt est remplacé.
L'inspire par l'expire, et l'expire par l'inspire…
Pourtant, jamais rien ne disparaît « à cet instant »,
Un autre « à cet instant » le remplace sans le remplacer.
Seulement la conscience de ce qui apparaît est « à cet instant ».
Son contenu s'efface sans même s'effacer comme s'il n'avait jamais existé !
Dans l'espace d'un souffle, déjà il n'y a plus de souffle…
Seulement le contenu de la focale de la conscience est « à cet instant ».
« A cet instant » où est… « à cet instant » ?
Seulement un contenu sans contenant !
Pas de bras, pas de jambe, pas de corps…
A cet instant, l'inspire.
A cet instant, le ventre se gonfle et le diaphragme descend.
A cet instant, les épaules s'écartent légèrement vers l'arrière.
A cet instant, l'expire longuement.
A cet instant, le ventre se creuse et le diaphragme remonte.
A cet instant, les épaules se resserrent légèrement vers l'avant…
Quel est mon objet de méditation « à cet instant » ?
« A cet instant », c'est quoi la méditation ?
Zazen. Ne rien faire ? Pourquoi faire ? Effacez pour révéler ?
« A cet instant » apparaît tout seul, sans volonté ni dessein !
Rien qu'une seule chose à la fois. Seulement ce qui apparaît.
Ce qui apparaît « à cet instant » est cet instant.
Pas de contenant autre que son propre contenu.
Rien que la perception de la sensation.
Rien que la sensation de la perception.
Tout est « conscience de » : le sans-forme est forme, l'absence présence…
La transparence, l'invisible, l'espace, la vision… tout est vue !
Rien qu'une seule chose à la fois.
Seul ce qui est perçu « à cet instant », hormis l'instant…
Seulement « à cet instant », le percevoir seul, est-ce possible ?
Où est « l'ici » ? Où est « maintenant » ?
N'est-ce pas « l'objet » de la méditation ?
L'expérience, point d'exclamation sur le point d'interrogation de la pensée ?
Ni contenant, ni référentiel, ni extérieur, ni intérieur. Seulement « à cet instant ».
Où que je cherche, nulle part « d'ici ». Seul ce qui apparaît !
Où que je cherche, nulle part de « maintenant ». Seul ce qui apparaît !
Sans objet, comment « à cet instant » peut-il apparaître « à cet instant » ?
Hors l'espace et le temps, la conscience est-elle la seule réalité ?
Où que je cherche, nulle part de « cela à qui cela apparaît » !
Simplement un événement.
L'instant présent.
Rien qu'une chose à la fois, qui n'est ni une chose, ni la conscience de celle-ci.
Contenu sans contenant. Si je les distingue, je ne peux pas les trouver !
Contenant sans contenu. Si je les laisse en l'état, ils se confondent, indicibles !
« A cet instant » est tout ce qui est… sans être !
Comment est-ce possible ? Ce ne devrait pas « être » ?
Cela « est » seulement parce que ça ne relève ni de l'être ni du non-être !
Ce qui apparaît à cet instant est « à cet instant » lui-même ce qui apparaît…
« Libre du vide et du non-vide », libre de sa propre apparition elle-même !
Sans début ni fin. Sans cause, sans nature, « vide essence » !
« A cet instant » est irréductible.
L'on ne peut abstraire « à cet instant » de « ce qui apparaît à cet instant ».
Apparition coémergente de l'objet et de la conscience, hors linéarité !
L'instant présent est toujours « présence de » l'instant.
Même lorsque la conscience divague, elle est présente « à cet instant » !
Même lorsque les pensées l'occupent, l'instant présent est l'instant présent.
Même lorsque l'esprit est sans pensée, « à cet instant » est « à cet instant ».
L'instant présent n'est nulle part hors de la conscience.
La conscience n'est nulle part hors de l'instant présent.
« A cet instant », ni être ni non-être ne sont trouvés ni ne se confondent.
Qu'est-ce que méditer « à cet instant » ? Seulement l'instant présent.
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
A cet instant,
« L'univers entier est une perle brillante.
Qu'y a-t-il là à comprendre ? » SHBZ
A priori, rien d'autre que le fait que « l'univers est un joyau étincelant, une perle claire, sans tache, qui réfléchit tout, tel un grand miroir rond, ce grand miroir rond de tous les Bouddhas » PLLN-98. Toutefois, si l'univers possède effectivement la capacité de refléter l'entièreté des phénomènes, cela doit inclure y compris sa propre réflexion, sinon il ne saurait être un miroir en « entier » ! Or, de même que l'œil ne se voit pas lui-même, un reflet ne peut se réfléchir lui-même…
Voyez l'estampe « autoportrait au miroir sphérique » du peintre Escher. L'on y voit la pièce dans laquelle se trouve le sujet, y compris la main qui tient le miroir, se réfléchir dans le miroir en forme de perle tenue par cette même main. Pour que l'univers entier soit « tout ce qui apparaît » dans cette perle, il faudrait que le point de vue du peintre soit extérieur à l'univers, c.à.d. qu'il lui faudrait « sortir au-delà », ce qui voudrait dire qu'il y aurait de facto un autre dehors ! C'est sans fin !
« L'univers n'est ni immense ni minuscule, ni large ni étroit, ni carré ni rond,
ni oblique ni droit. Il ne présente pas de multiples éclats,
comme le poisson sorti de l'eau. Il n'a pas non plus sa brillance.
En outre, puisqu'il ne vit ni ne meurt, qu'il ne va ni ne vient,
il est la vie et la mort, l'aller et la venue.
C'est pourquoi le passé va et le présent vient.
Quant à sa signification ultime, comment pourrait-on la limiter
à ce que nous voyons, au fragmentaire, à l'immobile ? » PLLN-100
Réduisez la focale sur l'image jusqu'à ce que la main et la perle disparaissent, là est «l'univers entier », c.à.d. tout ce qu'il nous est possible d'en voir de l'intérieur. Il n'y a pas d'autre côté du seuil ! Qu'est-ce qui nous permet d'affirmer que ce que nous voyons est « vrai », que ce n'est pas une illusion, nos critères de « vérité » étant relatifs à un référentiel dont nous ignorons s'il existe « réellement » ?
Tout est vrai dans le rêve tout en étant… une illusion ! « L'hallucination réussie » d'une expérience vécue comme réelle, comme la « sortie du rêve », sans que nous puissions avoir la certitude de la « véracité » de ce que nous vivons à l'état de vigilance éveillée ! Le « rêve lucide » serait-il un rêve qui a la particularité de nous faire croire… qu'il ne s'agit pas d'un rêve ? Comment l'infirmer si les critères de référence sur lesquels nous nous appuyons pour baser la validité de nos inférences sont eux aussi… hallucinés ?
Pour établir la « véracité » du rêve, il nous faudrait pouvoir établir la « réalité » de la conscience dans ses différents états modifiés, et y compris dans sa nature, sur une base « objective », extérieure à son expérience phénoménologique, laquelle est constitutive de son référentiel ! Or, nous ne vivons pas dans le monde en tant qu'entités objectives conscientes, en dualité d'un monde lui-même existant objectivement, nous vivons son événement comme monde…
Une stimulation corticale dans une zone bien précise du cerveau provoque une « illusion de sortie du corps », qui se traduit par l'impression de flotter au-dessus de son corps allongé. Bien que son objet ne prouve pas sa véracité, il n'y a pas à douter que l'illusion soit réaliste puisqu'elle est vécue véritablement comme telle en termes d'expérience. Mais, posez-vous plutôt la question : la conscience « d'avoir un corps », la conscience d'occuper un espace délimité par les formes de nos membres, la conscience de faire l'expérience du corps « à la première personne », se pourrait-il que tout cela… soit également une illusion ?
D'une pensée qui exclurait la possibilité même de l'illusion et de l'erreur, nous pourrions avoir de sérieux doute quant à sa pertinence. Dans le Bouddhisme, l'école Vaibhāṣika définit les critères de la perception et de l'inférence « valide » en opposition à leur caractère invalide, sur une base conventionnelle ! Mais, dans le rêve, la notion de « ce qui est réel » et de « ce qui ne l'est pas » est elle-même… rêvée ! Non seulement, la perspective fait paraître l'expérience comme « vraie », mais l'illusion est si bien réussie qu'elle fait également paraître probante la réalité du concept du « faux » !
Réalité, vérité, illusion ne sont que des concepts, de simples désignations ! Sont-elles «vraies » ? L'affirmer ou le réfuter, c'est faire des paris sur des mots, c'est tourner en rond dans la « perle de la raison pure » qui s'illumine de sa propre efficacité… relative ! L'on peut seulement dire de ces mots qu'ils ont une utilité « prédictive », qui nous permettent de discriminer les choses, comme l'est le formalisme de la mécanique quantique, sans pour autant qu'il soit possible d'affirmer ou d'infirmer quoi que ce soit quant à leur nature, y compris de la qualifier « d'indicible » comme si le terme évoquait une réalité objective !
Autrement dit, sans référentiel objectif, sans rien qui relève de « l'être » en tant qu'absolu, sans rien qui puisse lui être opposé comme non-être, alors même s'il s'agit du propos d'un éveillé dire que « l'univers entier est une perle brillante » est… une «proposition indécidable », comme le sont les « deux vérités » du Bouddhisme (conventionnelle et ultime), comme l'est l'assertion du Shivaïsme du Cachemire « tout est vrai, tout est illusoire, tout est réel » !
« Une perle brillante » n'a pas de nom en soi,
c'est nous qui l'appelons ainsi.
Une perle brillante traverse l'éternité
depuis le passé inimaginable jusqu'à maintenant.
À présent, il y a le corps et l'esprit,
mais ce ne sont tous deux que la perle brillante.
Les herbes ici, les arbres là-bas ne sont pas [vraiment]
des herbes et des arbres. Les montagnes sur la terre,
les rivières sous le ciel ne sont pas des montagnes et des rivières,
elles ne sont que la perle brillante » PLLN-100
L'important n'est pas l'assertion « l'univers entier est une perle brillante », mais la question qui suit « Qu'y a-t-il là à comprendre ? ». Comprendre, connaître, mais selon quels critères, dans quelle mesure ? Voilà qui évoque la « connaissance transcendante » qui ne s'entend pas ici au sens du caractère intuitif, subtil, en opposition à la pensée intellectuelle, analytique, mais comme l'impossibilité radicale, dont est porteuse ce kōan, de l'affirmation ou de l'infirmation de sa véracité quant à nature du réel et de l'esprit, relativement à la « liberté d'assertion » de la vacuité de toute chose (elle-même indécidable) !
Cette indécidabilité est traduite par les deux parties de la sentence. Après que le moine ait demandé au maître le sens du kōan, le jour suivant, c'est le maître qui interrogea le moine lequel répondit : « L'univers entier est une perle brillante. Qu'y a-t-il là à comprendre ? » Hsuan-sha répliqua : "Maintenant, je sais que tu vis dans la caverne des démons de la montagne noire" » PLLN-100, sous-entendu tu n'as pas dépassé l'illusion du vrai et du faux, du réel et de l'irréel. A travers ce kōan, c'est l'univers entier comme existence, expérience et pensée, qui se révèle « indécidable » en apparence et en nature, par l'affirmation qu'il n'y a rien à comprendre, et la négation qu'il y a quelque chose à comprendre.
Vouloir appréhender les propriétés et la nature de la perle à travers ses reflets, c'est comme dessiner l'esprit à partir de ce qui apparaît pendant la méditation. « A cet instant », il n'y a rien à dessiner et rien à comprendre : indécidables sont toutes les apparences ; indécidable est leur essence ; ni être ni non-être, tout est et n'est pas indécidable, sans opposé et sans contradiction.
« L'infini de la perle brillante, son commencement et sa fin dépassent toute
compréhension. Votre corps tout entier est l'Œil unique du Dharma.
Votre corps est la mystérieuse clarté
[la vive lumière qui émane du corps des Bouddhas].
Votre corps entier est la parole unique.
Votre corps entier est l'esprit tout entier.
Si vous le comprenez, votre corps entier ne rencontre plus d'opposition » PLLN-101.
PLLN : Polir la Lune et labourer les montagnes, DŌGEN https://www.decitre.fr/ebooks/polir-la-lune-et-labourer-les-nuages-9782226200815_9782226200815_10029.html
SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
IV.2 Dans le miroir « qu'y a-t-il à comprendre ? »
A cet instant ici…
Qu'y a-t-il maintenant,
Hors ce présent ?
A cet instant de la méditation, il n'y a pas même de « à cet instant » !
Il n'y a pas même de « il y a » !
Une pensée ? « D'où » vient-elle ?
Ni du haut ni du bas, ni de droite ni de gauche, ni d'ici ou de là-bas…
Comme les nuages dans le ciel, elle n'est nulle part et ne va nulle part.
Et « à cet instant », il n'y a pas même de « nulle part » !
« Où » est ce « nulle part » ? Qu'est-ce que c'est ?
Une expérience à l'instant ? « A l'instant », il n'y a pas même d'expérience !
Une sensation ? Observer les sensations, c'est leur donner vie :
Avant l'instant d'une sensation, il n'y avait pas « cette sensation »,
Après l'instant d'une sensation, il n'y a plus « cette sensation ».
A cet instant, il n'y a ni « avant », ni « après », ni même « à cet instant » !
Qqc apparaît, mais est-ce que je le vois véritablement « apparaître » ?
« Ce qqc n'était pas là et puis est apparu soudain ! » implique une durée, la saisie et la mémoire d'un moment précédent, du passé.
A cet instant, il n'y a pas de durée. Il n'y a pas même « à cet instant » !
A cet instant, le « passé » n'est plus, et il n'a jamais existé. Comment qqc pourrait-il « avoir été » alors qu'il n'y a pas même « à cet instant seulement » ?
Une « seule seconde » n'est pas le temps, c'est une pensée !
L'instant de la pensée « une seule seconde » est-il dans le temps ?
L'instant de la pensée « à cet instant une pensée », est-il dans la pensée ?
S'il ne l'est pas, comment pouvons-nous avoir la « pensée du temps » ?
S'il l'est, comment la pensée peut-elle penser le temps comme extérieur à elle ?
Ce « qqc est apparu » implique d'en avoir conscience.
Pour avoir conscience du temps, il faut être à la fois « dans le temps » et que le temps ne soit pas « en lui-même ». Un reflet ne peut se voir lui-même !
Voir le temps de l'extérieur tout en ayant conscience de « à cet instant » comme s'il était « hors du temps », c'est toujours être « dans » le temps !
A cet instant, il n'y a pas même de « à cet instant, il n'y a pas même d'instant » !
A cet instant de qqc qui apparaît pendant la méditation, il n'y a pas d'autre ailleurs qu'ici, et en cet « ici », il n'y a pas « d'ailleurs » !
A cet instant de qqc qui apparaît, il y a « la conscience de » ce qqc :
« Je ne suis pas mes pensées car j'ai conscience de mes pensées ! ».
A cet instant où il n'y a pas même de « à cet instant »,
comment peut-il y avoir « qqc qui a conscience de qqc » ?
Il faudrait que la conscience soit « hors de la conscience » (hors d'elle-même !) pour se penser « conscience d'elle-même » !
Comme le temps ne peut être « hors du temps », la conscience ne peut être hors de son propre événement. Il n'y a pas « d'autre côté du seuil » !
Ce « qqc qui pense », ce n'est donc pas une entité (autonome pensante), c'est une pensée, c.à.d. la pensée qu'il y a « qqc qui pense la pensée » tout en se pensant, par le fait, distincte de cette pensée qu'elle pense !
A l'instant de la sensation « il y a une sensation », il y a cette sensation sentie,
A l'instant de la perception « il y a un corps », il y a ce corps perçu,
A l'instant de la pensée « il y a une pensée », il y a une pensée « pensée »,
A l'instant de la pensée « il y a qqc qui pense », il y a la conscience de qqc.
« A cet instant », s'il y a qqc, c'est qu'il y a « conscience de » penser. Le reflet surgit avec le miroir. Comment un reflet pourrait-il exister sans miroir ?
A cet instant, l'univers entier est une perle brillante !
« A cet instant, l'univers entier est une perle brillante » est un reflet qui se reflète… dans son propre miroir, à cet instant où… il n'y a pas de miroir, et où il n'y a pas même de « à cet instant il n'y a pas de miroir » !
A cet instant, « réalité », « vérité », « relatif », « ultime » sont simples reflets sans miroir, désignations sans substance, assertions valides dans leur propre système de référence, en-dehors de toute référence objective et absolue.
« Votre corps est le corps réel » est une proposition indécidable.
« Votre corps entier est la parole unique » est une proposition indécidable.
« Votre corps entier est l'esprit tout entier » est une proposition indécidable.
Les « trois corps » de Bouddha, le « véritable Soi », le divin, sont des propositions indécidables, sans essence, « libres du vide et du non-vide ».
Le réaliser à cet instant, ce n'est pas dépasser la dualité, s'établir en union où il n'y a plus de séparation entre l'esprit et la chose pensée, le sujet et l'objet.
A cet instant, pas même de fragmentation de l'indicible par l'affirmative !
A l'instant de l'indécidable, il n'y a pas même « d'instant indécidable » !
Qu'y a-t-il à
comprendre ?
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
A cet instant,
« Cet univers entier des dix directions n'est autre qu'une perle claire.
Que fais-tu en le comprenant ? » SHGZ-153
A cet instant, l'univers entier est empli de lumière. A cet instant, sa vue m'éblouit. De quelques directions vers laquelle je me tourne, et même si le mot « direction » ne faisait pas sens, flottant dans l'espace sans retenue et le monde tout autour tourbillonnant sans point de repère de l'aller et de la vue, de l'ici et du maintenant, il se trouverait encore que, dans ce « il n'y a même pas d'ici et maintenant », cet univers entier, les parties et le tout, et moi avec, indifféremment, serions baignés d'une clarté étincelante émanant de toutes les directions.
A cet instant, tout n'est que clarté, lumineuse brillance d'une fulgurance intensité, et pourtant l'œil n'en voit pas la radiance, n'en distingue pas la source, « ni le milieu ni le centre, ni le déploiement continu de l'énergie ni le tourbillon d'une clarté sans voile » SHGZ-153. Si l'on découpait l'espace en une infinité de directions, d'ici à aussi loin que l'œil puisse voir, aidé même en cela par le plus puissant des instruments, tout serait instantanément et partout éclairé, comme si cette lumière avait toujours été, sans avant l'instant où le jour succède à la nuit, la lumière aux ténèbres. A cet instant, « cet univers entier n'est jamais caché » SHGZ-153 et en même temps, cette lumière qui l'éclaire tout entier s'éclaire elle-même tout entière sans qu'on ne puisse la voir elle-même s'éclairant !
A cet instant, la transparence de l'eau pure d'un lac de montagne ne serait pas transparente si elle n'était traversée de la transparence de cette lumière. A cet instant, l'air ne serait pas invisible s'il n'était baigné par l'invisibilité de cette clarté. A cet instant, l'espace ne serait pas « sans obstruction » s'il ne reflétait pas l'absence d'obstruction de cet éclat. A cet instant, il n'y a rien de cet univers qui ne serait visible si cet univers n'était l'aspect de cette clarté…
Les phénomènes visibles apparaissent distincts de l'œil qui les voit, les pensées de la conscience qui les différencie, le mental de l'esprit qui se discrimine. Nous reconnaissons toutes choses « comme telles que ce qu'elles sont » comme si elles existaient de par leur nature propre, objectivement, et dont nous pourrions avoir la connaissance vraie. Est-ce véritablement une « reconnaissance » ou une connaissance qui est, à elle-même, son propre objet ? A cet instant, « cet univers à cet instant » serait-il seulement s'il n'était « perspective » de la conscience ?
Du point de vue phénoménal, la lumière éclaire l'univers, mais du point de vue phénoménologique, l'existence de cet univers tout entier est inséparable de la conscience, comme la couleur n'a d'existence qu'en tant que « conscience de la couleur». L'objectif est indivis du subjectif. « Que fais-tu en le comprenant ? », que se passe-t-il au moment où tu le comprends ? La réalisation de la vacuité ne surgit pas du dévoilement de l'ignorance par la sagesse, elle est le produit d'une transformation par énaction de l'intelligence appliquée à la compréhension de la véritable nature des choses, qui révèle que cet univers entier n'est autre que l'aspect de clarté, la vacuité qui revêt l'apparence de la cause et de l'effet.
A cet instant, cet univers tout entier n'est autre que clarté, lumière sans lumière, jeu de reflets sans miroir, apparence sans substance, vacuité sans essence. Sans propriété, sans caractéristique, sans existence objective, ni rien de naturel, ni rien de transcendant, « libre de l'être et du non-être ». Libre de toute proposition décidable, « ni début ni fin » ou « début et fin à la fois » sont de simples assertions sans fondement objectif, sans réalité subjective. Le nommer, c'est le faire exister d'une existence qui n'est ni réelle ni irréelle, ni illusoire ni vraie, d'une manière qui, puisque de « proposition indécidable », n'est rien de tout cela, sans qu'il n'y ait pas même de « qui n'est rien de tout cela » !
Même si nous nommons cette clarté « univers tout entier », ce nom est sans nom, sans substance, sans essence propre, indicible. Même si nous le percevons de manière voilée comme « existant objectivement », l'expérimentons karmiquement comme sensible, le vivons comme « souffrance » par et dans le corps, cette expérience est sans expérience, indécidable. Même si nous le réalisons ultimement comme une «perle brillante » qui illumine les apparences en dévoilant leur aspect de vacuité, le vivons sous la forme du corps, de la parole et de l'esprit éveillés, cette réalisation est sans réalisation !
A cet instant, cet univers entier des dix directions est clair de sa propre clarté, transparent à sa propre transparence, sans obstruction à l'absence d'obstruction, pur sans l'impureté de la pureté, parfait sans l'imperfection de la perfection, être sans réalité de l'être, non-être sans irréalité du non-être, apparence sans aspect d'apparence, vide sans vacuité du vide, illuminé sans réalisation de l'illumination !
IVI.3 Dans le miroir « rien n'est caché »
A l'instant présent…
Qu'y a-t-il à cet instant dans l'univers entier ?
« Ici et maintenant » dans les dix directions ?
« Juste maintenant » SHGZ, l'univers entier, les dix directions, rien de caché !
Les yeux ouverts : couleurs, formes, dimensions, grand et petit, ici et là-bas…
Les yeux fermés : ni dimension, ni forme, ni là-bas ni ici…
A cet instant les yeux ouverts, la lumière pour seule expérience.
A cet instant, les yeux fermés, l'expérience du « noir » pour seule couleur.
J'inspire, j'ouvre les yeux. L'univers entier apparaît à la lumière, la lumière donne son apparence à toutes choses…
A l'instant du « noir intérieur », tout n'est qu'une masse informe, indifférenciée.
Tout sans distinction, contenant sans contenu, contenu sans caractéristique.
Dès la lumière, la perception, dès la perception le monde et moi !
A cet instant, là un livre sur une table, en-dessous le sol, ici mon corps.
Qu'étaient-ils juste avant ? Qu'est-ce qu'une chose avant d'être cette chose ?
Des masses d'atomes ? Qu'est-ce qui les distinguent en livre ou en table ?
Tout s'éclaire à la lumière, mais le monde visible n'est monde que parce qu'étant éclairé, je le fais « monde » en ma représentation !
« Juste maintenant », les yeux ouverts ou les yeux fermés, rien ne distingue un groupe d'atomes d'un autre ! Pas de frontière, pas de séparation, seulement un tourbillon de particules que, les yeux ouverts, percevant, interprétant, je désigne comme « table », « livre », « sol » ou comme « mon corps » !
Tout s'éclaire à la lumière, mais ce que je vois à cet instant apparaître existe seulement à l'instant de son apparition.
Une forme se distingue par contraste et se discrimine en regard d'une autre : le sombre en regard du clair, la couleur en regard de la forme, le premier plan en regard de l'arrière-plan, la forme en regard du temps…
Juste maintenant, la lumière fait le contexte des apparences.
A cet instant, mon vécu perceptif fait le contexte de mon expérience.
A l'événement de cet instant, la phénoménologie du phénomène…
Juste maintenant, d'un clignement d'œil, le monde change par contraste !
A cet instant, d'un cillement, la forme change d'aspect, l'aspect de désignation.
A l'événement de cet instant, la perception fait le monde de la perception.
Tout s'éclaire à la lumière, y compris elle-même sans la voir s'éclairant !
Dans le lac, la Lune est le reflet de l'eau, dans le ciel le reflet du soleil, le soleil l'expérience de la conscience de sa perception.
Ni la Lune, ni le soleil, ni la conscience ne peuvent se percevoir directement.
L'univers entier des dix directions ne peut se percevoir seul, indépendamment de sa perception à cet instant, de la conscience qui se le représente.
Tout s'éclaire à la lumière de l'expérience, à la lumière de la sagesse :
Si la chose éclairée existait indépendamment de la lumière qui l'éclaire et du sujet qui la perçoit, elle aurait toujours la même apparence pour tout le monde ;
Si la lumière existait « telle qu'elle », sa nature serait indépendante du contexte de son observation et du contexte interne de l'observateur ;
Pour connaître le « tel quel en soi », le connaisseur devrait être né « tel quel » !
Éclairée par la sagesse, la « réalité » est le visage de l'expérience :
La lumière n'est ni onde ni particule (le livre, la table, le sol, mon corps ne sont ni des masses d'atomes agrégées, ni des structures énergétiques vibratoires) ;
La nature quantique est indicible, seule est pertinente la proposition de l'existence « d'observables » relatifs au contexte de l'observation ;
Le connaissable est le produit de la « coémergence énactive » (évolution relativiste) de l'observateur, sans que l'un soit antérieur à l'autre…
Boucle de causalité non déterministe en termes d'absolu !
Le postulat de l'existence d'une réalité objective, création d'un Dieu absolu, est en contradiction avec le fait même que l'univers entier dans les dix directions est impermanent, interdépendant et vide d'essence substantielle.
C'est parce qu'il est « vide », que cela est possible !
Ce « possible » n'est pas un réel (ni un potentiel réifié). « Cela » ne relève ni de l'être, ni du non-être (ni des deux à la fois, ni d'aucun des deux).
Le « véritable Soi » est sans objet, présence amodale d'un… sentiment de vide ! Le sentiment de l'absence du moi dont le vide est vécu, en dualité, comme réalité de la « présence » du Soi. Ne le prenez pas au pied de la lettre ! A la réalisation de la vacuité du moi, se libère la dualité de la saisie de soi.
Nonobstant, toute pensée est relative, y compris de l'ultime ! Simple « proposition indécidable », libre de l'assertion du vrai et du faux.
La vacuité est une proposition indécidable, « vide du vide » de toute vue.
« A ce juste moment tel quel » SHGZ, l'ainsité seule, vide-forme et forme-vide.
L'univers entier est une
perle claire. Qu'y a-t-il à comprendre ?
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
A cet instant, dans les « dix directions
», une perle claire. Si l'on pouvait voir aux confins des frontières de cet
univers, dans quelque direction que ce soit dans l'espace et dans le temps,
l'on verrait une seule chose, la même chose, une perle claire. Comme le
franchissement d'un seuil qui, dans toutes les directions, nous ramène du côté
et à l'instant même d'où l'on est parti, cette perle claire est à la fois là-bas
et ici, partout, «omniprésente sans être quelque part » !
A l'instar, dans la « vision sans tête » de Douglas Harding, retourner l'attention du monde vers cela qui perçoit, nous fait prendre conscience d'un espace vide au-dessus de nos épaules, totalement ouvert et continu à l'espace et au temps, de sorte qu'aussi loin que l'on regarde à l'intérieur de ce « centre sans centre », l'on fini par le voir… depuis l'extérieur, du plus loin de l'horizon des dix directions !
Les mots réduisent, enferment et limitent le sens. Au sens littéral, l'expression « dix directions » figure l'espace, mais elle n'est évocatrice que d'une partie seulement du sens qu'il recouvre. Pour les saisir tous, il faudrait employer ensemble tous les mots qui en désigne chacune des significations en un « réseau de relations » sans que cet ensemble n'en réduise à son tour le sens ! Il n'y aurait pas de plus-value à combiner les mots en un méta-langage des mots, si ce n'était pour faire surgir un sens nouveau de par la manière particulière de les combiner, à l'instar de ce que permet la rhétorique, non pas tant pour produire du sens que pour le libérer des mots par la mise en évidence de leur relativité.
Ainsi, le kōan – mais devrait-on dire qu'il s'agit d'un kōan puisqu'il n'y a rien à comprendre, et donc à enseigner ? –, « cet univers entier dans les dix directions est une perle brillante » est un oxymore. Ce face-à-face entre la pluralité et l'unité, l'un et le multiple, le centre et la périphérie, l'intérieur et l'extérieur, évoque une courbure de la topologie de l'espace-temps telle que l'univers tout entier se replie en un seul point qui se déploie simultanément comme univers, et fait également écho à « l'événement de la conscience » sous la perspective phénoménologique de laquelle la subjectivité apparaît en coémergence à l'objectivité comme les deux faces d'un anneau de Moebius qui n'en possède qu'une seule.
« Les dix directions désignent le mouvement sans repos entre le moi et la chose :
c'est en traquant la chose que se fait le moi,
et c'est en traquant le moi que se fait la chose.
Au moment où apparaissent les émotions,
c'est là qu'on change de face en tournant la tête
et qu'on déploie un événement avec la dynamique réflexive » SHGZ-153.
A travers cette torsion métaphorique, le caractère physique du sens donné à « l'univers » se double d'une dimension mentale dont « l'événement » se lit en perspective objectiviste comme une « tempête de pensées apparaissant comme esprit », ou en perspective subjectiviste comme un « esprit traversé par une tempête des pensées ». Les pensées perturbatrices qui constituent le monde des « dix directions » ne sont pas autre chose que le samsāra, ce qui implique que la « perle brillante » n'est pas autre chose… que le nirvāṇa !
Le kōan est volontairement provocateur en arguant que la forme-vide et le vide-forme ne sont ne sont pas opposés mais l'aspect l'un de l'autre, de sorte que les passions sont les sagesses, la souffrance la paix, les pensées la conscience des pensées (laquelle dualité suggère par cécité de la relativité des perspectives que nous ne sommes pas ces pensées dont nous avons conscience). En définitive, les pensées, même perturbatrices, sont la « nature de Bouddha » !
« Du début à la fin, la perle n'est jamais ternie.
C'est le visage originel – la nature de Bouddha –.
Vous et moi, parce que nous ne savions pas ce qu'est,
et n'est pas, la perle, avons eu à son sujet de nombreuses pensées et non-pensées.
Que nous soyons embarrassés ou troublés,
cela n'est encore rien d'autre que la perle brillante.
Aucune action, aucune pensée ne sont séparées d'elle » SHGZ-153.
Lorsque l'orage gronde au loin, nous prions pour qu'il s'éloigne, nous ne voulons pas le voir fondre sur nous, tout détruire, voire nous emporter dans la tourmente. Nous espérons le retour du soleil, mais nous ne pouvons désirer l'un et rejeter l'autre, car les deux sont le climat, sans lui nous n'aurions pas le beau temps ! Ni le soleil ni les nuages ne sont l'espace, mais ce n'est pas l'espace qui est désiré, ce n'est pas le « vide », c'est ce qui satisfait le moi (un désir qu'il traque ou une aversion qu'il chasse, et dont la chose, par énaction, fait le moi qui la fait) !
Lorsque s'arrête le questionnement incessant des pensées, des questions sans réponse, des réponses qui amènent sans fin d'autres questions, pour laisser place seulement « à cet instant », et que le silence s'installe dans l'esprit, c'est simplement le calme mental. Bien que l'esprit non perturbé soit sans obstruction, il n'est pas encore « actualisé » ! Poser que le yoga est « l'arrêt des fluctuations du mental » ou que la conscience hishiryô est « sans pensée », ce sont encore des vues ! Nul besoin d'aller chercher au-delà du par-delà. Réaliser son vide d'existence inhérente, c'est voir à travers la chose sa vacuité, et à travers elle la vacuité de l'esprit qui la désigne…
« Étant donné ce "tel quel déjà là"
– la nature de l'éveillé qui remplit cet univers entier des dix directions,
demeurant au tréfonds de chaque existant, même à l'insu de ce dernier –
chercher (cette perle claire), en douter,
la prendre ou la rejeter par les actes visibles et invisibles,
tout cela n'est qu'une vue. Que la loi de cause à fruit soit éclairée
du début à la fin avec justesse,
tel est le visage originel de la perle claire » SHGZ-153.
C'est là que le kōan est le plus provocateur, et qu'il ne faut pas se méprendre à son sens pour ne pas nier le karman. « L'univers entier des dix directions », ce n'est pas seulement le mental agité de pensées et d'émotions perturbatrices, ce sont toutes nos actions quelle que soit leur « direction » (vertueuses ou non vertueuses). A « ce juste moment tel quel », cet univers entier est la nature de Bouddha, libre du même et du pas-même « tel quel déjà là » !
SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
IVI.4 Dans le miroir « à ce juste moment »
A ce « juste moment tel quel »,
Qu'y a-t-il « tel quel » à ce « juste moment » ?
Tel « qu'ici » et juste « maintenant » ?
Un point unique, unidimensionnel, limité à lui-même,
Tout entier ici, contenu et contenant, début et fin ?
Une ligne sans commencement qui s'expand à l'infini,
Dont l'extrémité apparaît « tel qu'ici et juste maintenant » comme un point ?
Une infinie multitude, éclose d'une multitude qui se ramifie plurielle,
Qui au juste moment de l'intersection dimensionnelle apparaît « tel un point » ?
Un mot simple, recouvrant une désignation unique,
Acception esseulée portée par le signe d'un seul point…
Un symbole recouvrant des signifiants imbriqués,
Lettre de caractère formant un entrelacs de sens…
Une formule élégante qui enchâsse tout l'espace et temps,
Dans un joyau dont chaque facette résonne à l'expansion…
A l'instant du prisme, à ce « juste moment tel quel »,
La vue d'une forme-couleur telle « qu'ici » et juste « maintenant ».
Avec pour seule particularité d'être tel « qu'ici » et juste « maintenant » !
Surface visible d'une profondeur cachée,
Profondeur cristalline d'une surface dérobée,
Le sens transparaît à travers les signes,
Les signes à travers les fenêtres du conscient...
Pour l'un, c'est un diamant que la beauté subjugue et l'avidité convoite,
Pour l'autre, une épée de vajra au tranchant de l'ignorance,
Pour le troisième, le jeu de perspectives d'un kōan,
Pour personne, le souffle indicible de l'impermanence…
Quel mot ne renvoie pas à son auteur ?
Quel instrument à son inventeur ?
Quelle science à son penseur ?
Au télescope, le lointain souvenir d'un ailleurs passé,
A l'écran, le tumultueux présent d'un avenir incertain,
Au microscope, le fugace mouvement d'une immobile transparence,
A l'instant, le silence entre deux battements de cœurs.
Hors la cible, hors la flèche et le tireur, seul à ce « juste moment tel quel »,
Hors le mot, hors le sens et le censeur, pas même de « tel quel ».
Le parfum de la fleur est chassé par le vent, sa force aimée du roseau !
Le mental est perturbé par les pensées, leur vacuité savourée par l'Éveillé !
La terre fait trembler la surface des eaux, les pensées troublent son reflet.
Tel « qu'ici » et juste « maintenant » ne sont que simples fragments,
Même traversé, l'espace reste indivisible, le vide sans obstruction.
Des milliers de facettes sont toujours le visage original,
A ce « juste moment tel quel », un rayon de soleil traverse la fenêtre,
La
tête du moine s'éclaire en sa lumière…
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
A cet instant, le mouvement incessant de l'esprit dans les « dix directions » est une perle claire, « immuable » tel l'espace incomposée et non-né. Un autre aspect de l'oxymore de la « perle claire », c'est la mise en évidence du caractère énacté de l'interdépendance des phénomènes composés. La « coproduction conditionnée » se définit comme un déterminisme, une chaîne de causes et de conditions productrices d'effets à leur tour conditionnant. Il manque toutefois une dimension à ce processus pour le comprendre complètement, « l'énaction », c.à.d. l'influence de l'environnement sur l'agent en réponse à son action sur le milieu, ce qui en fait une « évolution par influence réciproque ».
L'interdépendance est à la fois : causale, la graine produit la pousse, qui donne le riz, qui nourrit l'homme ; circulaire, l'homme se nourrit du riz, le replante à la saison suivante, lequel donne de nouvelles pousses et ainsi de suite – et cela est particulièrement prégnant dans le karman où toute action produit un effet de même nature – ; mais elle est aussi transformatrice de son objet et de son sujet, sur des milliers d'année, l'agriculture a fait évoluer les cultures, qui ont fait évoluer l'homme, qui à mesure de son évolution a fait évoluer les cultures.
Cette énaction s'exerce également au niveau mental, révélatrice du caractère impermanent de l'esprit. La pensée modifie le penseur, l'action l'agent, en un « cercle vicieux » ou vertueux, de pensées et d'actions qui s'influencent mutuellement en transformant leur causalité par retour de ses effets.
L'esprit apprend par la pensée et évolue par son usage. L'énaction permet le développement de l'intelligence, qui n'est pas seulement la « capacité à résoudre des problèmes », mais à s'améliorer par l'apprentissage de leur résolution, sans autre finalité que son énaction. Même si nous sommes la nature de Bouddha, la sagesse n'est pas innée, elle se développe. L'ignorance aussi s'auto-alimente de l'ignorance, ce qui constitue le cycle sans commencement du samsāra.
Fonctionnellement, le cerveau est une « machine prédictive » qui interprète continuellement son environnement afin d'assurer sa survie, laquelle lui permet d'améliorer en retour sa capacité d'interprétation. L'évolution est le produit de l'énaction et le vivant son outil. Pour produire une action efficace (adéquate aux circonstances), le cerveau combine les informations sensorielles – qui ne se limitent pas aux cinq « consciences sensorielles », mais inclus la proprioception (la perception du corps dans l'espace), l'interoception (la sensation des échanges internes), la «conscience de soi » (établie sur la base présumée de la signature du rythme cardiaque) – de manière à interpréter son environnement au mieux des circonstances et de l'action conséquemment la mieux adaptée.
Ce fonctionnement n'est pas prédictif d'une réalité qui existerait objectivement là-dehors et qu'il s'agit de décrypter pour s'y adapter, mais « interprétatif » d'une réalité prédictive dont il est le créateur. Le cerveau ne cherche pas à déterminer la manière la plus probable de « comment est le monde à cet instant », de la manière la plus objective et réaliste possible, mais à prédire la probabilité de l'action la plus efficace sur le monde « tel qu'il le prédit ».
Si j'agis de cette manière, alors je produirai le résultat (« que je juge être, du point de vue de mon interprétation », sans avoir conscience de mon parti-pris), le plus probablement attendu. L'interposition du « je » rend l'action calculée et orientée dans le sens recherché par l'agent (« c'est en traquant la chose que se fait le moi, et c'est en traquant le moi que se fait la chose » SHGZ-153), a contrario du caractère authentique du non-agir dont la représentation interne du « moi » est abstraite.
Cette « action spontanée », vide d'un agent qui l'accompli à sa propre destination, n'est pas pour autant synonyme de « plus probable relativement au contexte ». Elle demeure une interprétation eut égard au fait que le contexte ne possède pas de réalité intrinsèque, indépendante de l'agent. L'interdépendance est énactive, elle évolue de par sa propre dynamique, ce qui confère à l'univers entier sa cohérence prédictive. Quel que soit l'état de l'océan, il ne peut prendre aucun aspect qui ne soit autre que l'expression de l'infinie diversité des formes de l'eau.
Si depuis des temps sans commencement, le principe de « l'interdépendance énactive » – prédictif de sa propre prédictibilité, ce qui confère à la coproduction conditionnée un aspect de « prophétie auto réalisatrice » – est que l'agent modifie son milieu conjointement au milieu qui le change, il se trouve aussi, comme l'eau, la nature du milieu reste inchangée ! Quelle que soit la boucle itérative des pensées (des émotions, et des actes) égocentrés qui exprime « l'univers entier des dix directions », elle est, et demeurera toujours, une perle claire et lumineuse, la « nature de Bouddha », vide d'essence, car libre de toute proposition, y compris de « pas même » cette proposition.
« Tandis que des centaines de pensées et des centaines de non-pensées (…)
ont produit des herbes qui nourrissent et réfléchissent le soleil et la lune,
nous avons entendu, su et clarifié, grâce à la parole de la Loi de Gensha,
la manière d'être de nos corps et de nos cœurs, qui n'est autre qu'une perle claire.
A qui attribuerons-nous le surgir et le disparaître ?
Même ces recherches et ces inquiétudes
ne peuvent pas ne pas être une perle claire !
Puisque la pratique et l'opération de pensée (…)
ne sont autre qu'une perle claire » SHGZ-153.
IVI.5 Dans le miroir « du reflet de l'instant »
A cet instant,
Qu'est-ce que l'univers tout entier ?
A l'instant tout entier de l'univers ?
A cet instant, l'univers tout entier dans les dix directions,
Est tout entier la construction et le résultat de « cet instant ».
A cet instant où se porte mon regard dans les dix directions,
Les « dix directions » prennent forme à la vue de mon regard :
Le « haut » apparaît en regard du « bas » qui s'apparaît « regard vers le haut »,
Le « loin » apparaît en regard du « près » qui s'apparaît « regard au loin »,
La « droite » et la « gauche » apparaissent en regard du « centre » qui s'apparaît « centre » entre « la droite à sa droite » et « la gauche à sa gauche ».
A l'instant où porte mon regard à « l'avant », surgit aussitôt « l'arrière »,
A l'instant où porte mon regard à « l'arrière », surgit aussitôt « l'avant »,
A l'instant du surgissement, surgit aussitôt mon regard à l'instant…
L'univers tout entier apparaît dès mon apparition à l'univers.
Dès la perception posée, la perception s'est « déjà faite » monde.
Dès sa conscience, la conscience s'est faite « avant son apposition ».
La boîte se déploie « espace de la boîte » dans le déploiement de l'espace.
Le monde s'éclaire du reflet de la lumière au passage du temps qui l'éclaire.
La lumière brille à la réflexion de la pierre qui la touche…
A l'instant du reflet de la Lune, le lac reflète le ciel tout entier qui le reflète,
A l'instant de l'étoile filante, le meut le billard du cosmos.
Le passé naît du présent à chaque instant qui naît du présent passant.
Le seuil est franchi à chaque instant où, du franchissement, surgit le seuil !
L'univers tout entier naît « tout entier univers » à l'instant de sa naissance.
A cet instant tout entier, l'univers « à cet instant » :
A cet instant, immobile est le mouvement, mobile l'immobile ;
A cet instant, relative est la position du relatif à sa propre relation ;
En naissant, l'instant nait à sa propre naissance « à cet instant » ;
En disparaissant, l'instant disparaît à sa propre disparition « à cet instant ».
L'effet suit la cause de son propre effet,
La cause précède la cause de son propre effet…
Au sortir d'un « trou de verre » l'entrée, à son entrée sa « sortie »,
Avant d'y entrer, l'on en est déjà sorti, avant d'en sortir, pas même entré !
Naissance et mort simultanées précèdent leur alternance,
Le passage de la mort à la vie succède à son absence de passage.
Ni naissance, ni mort, ni « pas même de non-naissance et de non-mort ».
L'univers tout entier est tout entier avant « tout entier d'être »,
L'existence toute entière est tout entière avant « d'être existence ».
La pensée est « monde » avant même que le monde ne soit pensé,
La pensée (de la pensée) avant même d'être « pensée ».
Avant le « pas même la pensée de la pensée », l'univers tout entier,
Dès « l'univers tout entier », la pensée du « pas même ».
Dès l'instant de la pensée, le penseur de son objet,
Avant même l'instant de son objet, la « pensée du penseur » le pensant.
Dès l'instant de la saisie, le moi se saisissant,
Avant même l'instant de la « saisie du moi », personne pour saisir !
« L'ici » est simple perspective de « là-bas », là-bas d'ici,
Le « je », le reflet d'un reflet, l'ombre d'un bâton, l'onde sur l'eau,
Qui se prend pour « cela qui se reflète » dans le miroir !
A l'instant du reflet, le visage de la perception,
A l'instant de la perception, le « qui » avant même sa prédiction.
« Modèle interne » d'un repli de la pensée se pensant « penseur »,
Habitude innée devenue racine dès l'instant de la graine,
Cause de souffrance dès la floraison de la plante contaminée.
A son affirmation, l'univers entier « tel que pour moi »,
A son empêchement, l'univers entier « tel que contre moi » !
A la cessation de la souffrance, attaché par sa propre causalité,
A la cessation de sa cause, aveuglé de sa propre persistance.
Au « point aveugle » de l'œil, l'axe vide se perçoit comme « percevant »,
A l'angle mort de l'esprit, le vide du « moi » se perçoit comme « présence ».
Donner du sens au « pourquoi », c'est encore le « qui » !
A l'instant de l'effacement du « qui », le visage originel,
Dès l'instant de l'effondrement du « comment », l'inutilité du « pourquoi ».
A l'instant tout entier du « même », brille la perle du « pas même »,
A l'instant du
« pas même de qui », l'univers tout entier…
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Le « juste moment tel quel » est ce moment où l'univers entier des dix directions est une perle brillante. Comment le comprends-tu toi, hors Dōgen et Nāgārjuna ?
Une tradition, c'est une transmission à l'identique d'un enseignement ou d'un message. Comme les religions, le Bouddhisme est un « système de pensée », la différence c'est que sa doctrine consiste en son propre dépassement, sur la foi de la réalisation de son transmetteur initial, le Bouddha Sakyamuni, alors que les religions s'appuient sur l'adhésion à une doctrine qui ne peut pas être dépassée car son objet, l'absolu divin, en est le fondateur. Autrement dit, une religion est un système de croyance fermée, une philosophie un système ouvert.
Dans le Bouddhisme, la transmission du Dharma se réalise « comme présence » par la réalisation de son enseignement, laquelle consiste en la compréhension (c.à.d. faire sienne la logique de son raisonnement en la reproduisant par notre propre raisonnement), l'assimilation (qui entraîne la modification de notre état d'esprit), et l'intégration complète (jusqu'à atteindre la spontanéité d'une action authentiquement vertueuse mue par la sagesse) du sens dont il est porteur.
« Tout ce qui est développé, exposé, au niveau du Dharma mérite d'être établi en nous.
Chacun de nous, à travers zazen, puis à travers l'investigation du Dharma,
est invité à rentrer ce principe de la nature Bouddha au plus profond de nos cellules (…)
Dōgen a intégré ce mouvement c.à.d. qu'il a vraiment senti
depuis l'intérieur que Bussho [la nature Bouddha],
si on ne le pratiquait pas, restait de l'ordre de l'idée,
restait quelque chose extérieur à nous, et par la pratique,
il y a une véritable réalisation, et réalisation va avec intégration » BNB.
La méthode de Dōgen est d'utiliser les mots pour se libérer des mots, de jouer sur la polysémie, afin de ne pas s'enfermer, s'enferrer, au joug d'une réduction littérale, à dépasser le signifié pour se signifier, à ouvrir le sens pour s'ouvrir au sens, en le triturant de toutes les manières, sous toutes les coutures, tous les angles, ce qui inclut y compris la notion de la vacuité.
Classer Dōgen dans une école de pensée bouddhiste serait réducteur. La pensée de Dōgen nous invite à dépasser la position philosophique pour explorer l'angle du point de vue. Ainsi, sur la question de la vacuité, à l'opposé du Mādhyamaka Prāsangika, Dōgen semble revendiquer la posture pan-réalisme Sarvastivadins – « celui qui dit que tout existe » wiki –, qui affirme que, toutes les entités ou phénomènes (dharma), « tout est réel, tout existe véritablement » PQMB2.
Doit-on abandonner l'étude des autres courants bouddhistes sous prétexte que leurs pensées n'épousent pas parfaitement le point de vue du Mādhyamaka Prāsangika, alors que la voie du milieu énonce… la relativité de toutes pensées et le caractère propositionnel de toute définition de la « réalité » ?
L'étude du Bouddhisme zen apporte à l'école de la voie médiane une ouverture à l'exploration du signifiant par sa capacité de « respiration poétique », qui contrebalance le caractère ardu de la logique de Nagarjuna, en lui octroyant un degré de flexibilité à la « trituration » de la sémantique que sa science déductive ne peut tolérer de par sa constitution même. Le fer ne plie pas comme le roseau, mais certains alliages métalliques peuvent être aussi souples sans rompre…
« Comme si l'Éveillé-Sâkyamuni broyait la fleur d'Udumbara,
le pratiquant du zen se dépouille du corps et du cœur
pour qu'apparaisse la graine de l'Éveillé, qui demeure depuis l'origine
dans le Cœur de tous les êtres de l'univers :
"triturer les mots des anciens", "triturer les paroles",
"triturer les commentaires", "triturer et faire sien",
"triturer et faire advenir", "triturer – surtout le kōan – et jouer avec » SHBZ
Pour un esprit qui a « véritablement » réalisé la nature de la « vérité », la notion même de nuance est à nuancer. Les éveillés nous offrent un discours qui, si l'on se donne la peine de creuser sous l'apparente abscondité des mots, des kōans, offre de larges interstices, non pas entre les mots mais en les mots eux-mêmes, pour nous permettre de développer le discernement de notre propre sagesse.
Au vu de l'intelligence de l'homme et de la sagesse de l'éveillé, l'on ne saurait déduire de l'assertion de Dōgen de l'existence comme réalité véritable (« il-y-a »), la proclamation de son adhésion à la pensée Vaibhāṣika de la nature substantielle des existants, dénoncée par Nāgārjuna, même si dans le discours du maître, le terme « uji, «le temps qu'il-y-a », l'un des concepts majeurs de la métaphysique Dōgenienne, remplace pratiquement le terme kû, la Vacuité, tel que l'entend la tradition Mādhyamaka » SHBZ-1762. Mais, n'est-ce pas là justement une rhétorique plutôt qu'une dialectique, un procédé visant à dépasser le signifié plutôt qu'un raisonnement se voulant affirmatif de la démonstration d'une vérité ?
A ce « juste moment tel quel », l'univers entier des dix directions est une perle brillante au sens réaliste du terme, mais aussi… une simple assertion du point de vue du Mādhyamaka Prāsangika ! Pourquoi est-ce sans contradiction ? C'est là tout le jeu de l'exploration prismatique du formalisme logique de Nāgārjuna sous l'éclairage du «langage poétique » du réalisme de Dōgen…
Si l'on dépasse le « il-y-a » comme existant en soi pour s'ouvrir au sens du « il-y-a » comme manifestation ou expression, il est alors possible de le saisir comme l'aspect relatif de la vacuité, la forme du vide, le vide-forme qui apparaît comme forme-vide ! «En tant que négation, « il n'y a pas », mu, ne signifie pas le néant, mais le fondement ou l'état originel indifférencié de « l'il-y-a » ; « ce par quoi » l'il-y-a se manifeste sous l'infinie multitude de ses formes-couleurs. Comme le recto et le verso (mu ne s'oppose pas à l'il-y-a et vice versa) » SHBZ-1742.
Pourquoi, ayant réalisé la vacuité et donc mené à son terme la « réduction analytique des surimpositions conceptuelles » jusqu'à ce que le sens même de réalité ne fasse plus sens, insisterait-on au point d'en faire un credo sur cet aspect de « réalité » de ce qui ultimement est… libre de toute assertion ?
Peut-être parce que le dépassement radical de toute assertion débouche sur une «proposition indécidable », qui n'est pas l'impossibilité de nommer le fondement ultime, indicible, de toutes choses, mais bien l'absence totale de cet indicible sous cela même que l'on nomme « indicible » ! Nonobstant, le risque de tomber dans le nihilisme, et moyennant celui de prendre ce réalisme au sens littéral, la raison de ce choix est simple, c'est vivre ! L'Éveil n'est pas ce qui donne sens à ce rêve, dont en s'éveillant le sens véritable de l'existence émerge authentiquement. C'est vivre qui donne sens à l'Éveil !
Que pour le mahāyāniste la notion « d'indicible » soit une simple assertion qui ne recouvre aucune réalité ontologique, et pour le réaliste un « fait », n'est pas l'objet du débat. C'est comment atteindre le point où il n'y a pas de contradiction, où plus aucun mot, plus aucune question, plus aucune réponse, ne fait obstacle à la compréhension qu'il n'y a… aucune obstruction à vivre autre que celle de croire que la « vérité de la Voie» consiste à s'abstraire de la « Voie de la vie » !
La question n'est pas de « vivre la vie » pleinement avant d'atteindre la libération, mais de comment pleinement « vivre la libération », c.à.d. non pas un « après » transcendant toute hypothèse, mais le « maintenant », il-y-a seulement, réaliste !
« Étant donné ce "tel quel déjà là"
[la nature de l'éveillé qui remplit cet univers entier des dix directions,
demeurant au tréfonds de chaque existant, même à l'insu de ce dernier]
si l'on se dit : "Moi, je ne suis pas une perle claire",
à plus forte raison, il n'y a pas lieu de douter
qu'on est
une perle claire ! » SHBZ-157
BNB : Busshô, la nature de Bouddha https://www.youtube.com/watch?v=0A1OwzCKgns
SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
PQMB2 : Physique quantique avec Michel Bitbol partie 2 https://www.youtube.com/watch?v=9ggzeCEmW1k
IV.6 Dans le miroir « il y a »
A l'instant réellement…
« Qu'y a-t-il » véritablement à cet instant ?
Ni réel ni vrai !
Réellement « à cet instant », ultimement, il n'y a pas de substance,
Réellement « à cet instant », ultimement, il n'y a pas d'essence.
Réellement « à cet instant », ultimement, il n'y a pas même de « pas même » !
Réellement « à cet instant », il n'y a pas même « d'instant réellement » !
Il n'y a pas même le « vide seul ».
Il n'y a pas même le « vide du vide » !
Il n'y pas même le « il-n'y-a-pas » !
« A cet instant réel », il y a seulement la réalité de… « à cet instant » !
« A cet instant réel », il y a seulement la réalité du « il-y-a ».
Cette réalité « ici et maintenant » est sans être et ne pas être réellement !
Ce « ne-pas-être-là » est là sans qu'il n'y ait là « d'ici et maintenant »,
Libre de mots, libre de conception, libre de sa propre absence de conception !
Bien te voilà enfin « telle quelle », ô vérité indicible par-delà tout indicible !
Ô que voilà ce « juste moment tel quel » où tu te manifestes non manifestée !
Ô précieuse révélation de l'irrévélable, dévoilement du dévoilé invoilable !
Et maintenant ? Que faire de ta compréhension impréhensible ?
Que faire de ce qui échappe par définition à toute définition ?
Que faire d'un « rien » dont le néant même ne peut faire quoi que ce soit ?
Plutôt halluciner le réel que d'avoir conscience de l'irréalité du réel !
Plutôt « rêver la réalité » que d'être conscient sans avoir de conscience !
Mais attends, ô toi qui est hors de toute attente !
Ce « il-n'y-a-pas » n'échappe pas au « il-y-a » même s'il n'est pas !
Là ! « Telle quelle » te voilà, ô réalité, réelle par-delà toute réalité !
L'Éveil n'est pas un point immobile, c'est un équilibre,
L'Éveil n'est pas une destination, c'est un chemin !
L'Éveil est un balancement subtil sur la branche invisible du vent…
Le retour à l'équilibre d'un mouvement sans mouvement,
L'équilibre sans déséquilibre de l'espace sans obstruction !
Une vague sans déplacement d'eau dans l'océan du mouvement…
Tantôt le réalisé nous entraîne à toucher l'absolue absence d'absolu,
Entrer dans la flamme de la lampe de Nāgārjuna réduirait au néant !
Tantôt le réalisé nous ramène sur le rivage du réel au pied de la falaise,
A tomber, reflet, dans le miroir de Dōgen, l'on se refléterait à l'infini !
A se tenir sur le seuil du « il-n'y-a-pas » et du « il-y-a » sans jamais le franchir,
Oscillant sans cesse immobile, que peut-on faire d'autre sans se perdre ?
Même si, réalisé on le voulait, nous ne pourrions pas non-faire autrement[CA1] !
Nulle part ailleurs qu'à « cet instant il-y-a », nous ne pouvons nous tenir,
Et « à cet instant réellement », il n'y a que cet instant réel.
Le « temps qu'il-y-a », uji, l'être-temps, est « le mode d'existence du ; il-y-a ; il-n'y-a-pas ; il-y-a et il-n'y-a-pas ; il-y-a ni il-n'y-a-pas » SHBZ.
Que fais-tu quand tu le comprends ?
Seulement « être-il-y-a » ! Qu'y a-t-il à faire[CA2] ?
[CA1]« Non qu'il ne doive pas exister de lieu où se dérober à ceux qui veulent se dérober à cette succession, mais même s'ils peuvent s'y dérober avec résolution pour un temps, il peut y avoir la naissance d'une parole, lorsque le moment favorable dans sa totalité se présente devant leurs yeux » SHBZ-155.
[CA2]« Puisque la pratique et l'opération de pensée se font, non que nous ne soyons pas une perle claire, un pas en avant et un pas en arrière que nous faisons face à la montagne noire et dans la grotte de diables ne sont autre qu'une perle claire, purement et simplement » SHBZ.
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Le point de départ de Dōgen, c'est le paradoxe de notre nature en regard de l'existence conditionnée. Pourquoi, si tous les êtres sensibles sont la « nature de Bouddha » devons-nous entraîner notre esprit à le devenir ? Et l'on peut ajouter en corréla, si notre nature fondamentale, ultime, est une perle brillante, pourquoi se déploie-t-elle comme l'univers entier de la pensée du « moi » ?
« Ce Dharma se trouve en abondance en chacun de nous,
mais si nous ne le pratiquons pas, il ne se manifeste pas de soi-même,
et si nous ne l'expérimentons pas, il ne peut pas être réalisé » SHBZ.
La recherche d'une réponse à cette question philosophique du Bouddhisme a façonné le chemin spirituel de Dōgen en même temps qu'il a façonné son esprit pour, au final, actualiser cette nature de Bouddha en lui. L'on ne s'attendrait pas à ce que, en étudiant le fonctionnement neuronal du cerveau – la dimension phénoménologique étant explorée par la branche cognitive des neurosciences – ses découvertes fassent écho à l'Abhidharma du Bouddha en apportant leur éclairage à la compréhension du fonctionnement de l'esprit.
« Le fonctionnement du cerveau est un fonctionnement inhibiteur.
Pour créer un accès entre deux zones du cerveau (un apprentissage),
le cerveau va "mettre une inhibition sur l'inhibition".
Au niveau chimique, il y a des petites "portes fermées"
(des inhibiteurs des échanges d'électricité entre les synapses)
et des "inhibiteurs d'inhibiteurs" qui viennent empêcher
la porte de se fermer pour qu'elle puisse rester ouverte
(et permettre le "potentiel d'action") » A&R.
L'art de Dōgen pour ne pas s'enfermer dans le sens des mots, c'est de triturer les signifiants, de les combiner, de former de nouveaux mots, de les tourner dans tous les sens, de mettre en évidence toutes les facettes du prisme. Cette double négation «inhibiteur d'inhibiteur » éclaire d'une lumière nouvelle, sans le changer, le paradigme de notre nature, grâce à un simple déplacement de l'angle de la perspective. Il devient dès lors possible de résoudre nombre de paradoxes par un simple glissement (clignement d'œil) du regard, pour peu toutefois que l'on soit ouvert à cette extension du vocabulaire…
Le soleil brille toujours dans le ciel, mais les conditions météorologiques ne permettent pas toujours de le voir. La brillance du soleil peut être « entravée » par la formation d'une « dépression nuageuse ». La première condition à un ciel ensoleillé, c'est l'entrave d'une situation dépressionnaire par des conditions dites « anticycloniques ». L'entrave à l'entrave d'un ciel ensoleillé va donc permettre, par voie de conséquence, un ciel ensoleillé !
La formation de la neige résulte d'un ensemble de causes et de conditions dans un rapport précis (vapeur d'eau, température, présence de particules dans l'air permettant l'agrégation de cristaux), lesquelles vont « s'exprimer », au moment de leur conjonction, sous forme de neige. Mais, il est également nécessaire pour cela qu'il y ait empêchement/entrave des causes et des conditions entravantes des conditions de sa formation (une situation anticyclonique) !
Pour que la probabilité d'un événement ait les chances de se réaliser, il ne faut pas seulement que les conditions favorables soient réunies, mais aussi que les conditions défavorables soient écartées. Par exemple, la « précieuse vie humaine » ne consiste pas seulement en certaines « richesses » (comme d'être né en tant qu'être humain et de posséder toutes ses facultés intellectuelles), elle implique des « libertés » (comme ne pas être né dans un pays en guerre ou avec une déficience intellectuelle), lesquelles impliquent de ne pas avoir un karman non vertueux qui ne permet pas de les réunir (à l'inverse d'un karman vertueux). La possession de « richesses », seule, est insuffisante pour être causale de la « précieuse vie humaine », il faut encore poser des « entraves aux entraves » !
Considérer la causalité exclusivement comme un lien de « cause à l'effet », c'est réduire la perception (aux modalités de sa représentation par le cerveau), d'une «chaîne de coproduction » beaucoup plus complexe, composée non seulement de «conditions conditionnées » mais d'entraves à des entraves, à un moment qui, circonscrit par la focale de l'attention de l'observateur, reflète une « agentivité » (au postulat de l'existence objective d'un agent).
La décision que je prends de manger un désert au chocolat plutôt qu'un désert aux fruits rouges peut être vue comme le résultat d'un choix conditionné par un ensemble de causes (neuronale, mentale, émotionnelle…). Sous cet angle, elle demeure toutefois affirmative de mon « libre arbitre ». Mais, cette décision peut aussi résulter de «l'inhibition de l'inhibition » qui… m'empêche de choisir de manger le désert au chocolat. Dans cas, la proposition apparaît alors comme une « négation non affirmative » de mon libre arbitre !
Ce n'est pas la même chose et c'est important, parce que la manière dont nous nous considérons en tant qu'individu dépend de la manière dont nous posons le postulat de notre identité. Ce qui « fonde l'unité de signification » IPT-209 de qui nous sommes, ce sont nos décisions (conditionnées, puisque rien n'existe qui ne soit le produit de l'interdépendance). Notre existence est le résultat de nos choix (c'est particulièrement patent sous l'angle karmique) qui reflètent un dessin d'ensemble, une certaine conception de soi et de nos relations aux autres, qui nous identifie pour ce que nous sommes « en tant que tel », séparément des autres, sous la vue réductionniste du «principe du tiers exclu ».
« Quel est votre nom de famille ? »
(en chinois "nom" et "nature" sont homonymes).
Yueh-shan répondit : "Juste maintenant".
Li Ao, n'ayant pas compris, alla trouver le chef des moines :
"Cela veut dire que son nom est Han".
(han veut dire "froid" et l'on était en hiver).
Quand on lui rapporta ces propos, Yueh-shan dit :
"Si on avait été en été,
il aurait sûrement répondu que je m'appelais "Chaud" » PLLN.
Du point de vue de la « causalité restreinte », ce « juste maintenant » rejoint la définition du « principe d'identité » selon lequel une chose « est ce qu'elle est et pas autre chose », ce qui implique que son identité ne change pas, qu'elle est invariable et indépendante des circonstances. Pour le chef des moines, « han » veut dire « froid » parce que relativement à son « paradigme d'interprétation » « juste maintenant » son identité se lit comme le moment de sa perception.
Or, ce « juste maintenant » peut aussi se lire tel qu'il « n'est autre que ce temps-ci » SHBZ c.à.d. l'expression de la coproduction conditionnée qui, à cet instant, se manifeste comme « froid » (ou comme neige s'il avait neigé à cet instant de la question), mais qui en d'autres circonstances, à un autre moment, relativement à la conjonction d'autres causes conditionnées, s'exprimerait comme « chaud ».
Plus subtilement, « juste maintenant » a la signification de l'instant présent qui, s'il revêt une « apparence circonstanciée » (relative à la coproduction conditionnée), expression de la cause et de l'effet à cet instant, est d'une nature fondamentale, incolore, non caractérisable, indicible, non nommée, qui est la vacuité de caractéristiques relatives et de propriétés objectives absolues.
« Si on regarde au niveau neuronal, il n'y a pas de sujet !
C'est de l'électricité et de la chimie.
On ne parle absolument pas de "moi",
et il y n'a pas non plus de décision qui "serait prise".
Mais, nos paradigmes d'interprétation vont dire
[relativement aux données neuroscientifiques de l'expérience]
"donc la décision a été prise avant que le sujet ne prenne la décision !".
Mais, en fait, il n'y a pas de sujet et il n'y a pas de décision ! » A&R.
Dire que nous avons en nous « les graines de la Bouddhéité », que devenir un Bouddha implique d'entraîner l'esprit (à l'éthique, la concentration et la sagesse), repose sur l'inférence de la « nature de Bouddha » comme potentiel c.à.d. qui « existe en puissance » CNRTL, conditionné à la réalisation de son devenir possible, et non d'un état déjà existant, « tel quel », mais non manifesté.
Si des fourmis grimpent à un arbre en empruntant toujours le même chemin, par exemple par le côté gauche, cela ne veut pas dire que la partie droite de l'arbre ne s'est pas développée et que, pour que les fourmis l'empruntent, il faut d'abord que l'arbre y produise des bourgeons, puis des branches qui donneront des fruits. Il se trouve seulement que les fourmis ont tracé un chemin qu'elles empruntent par habitude et par conditionnement, et que pour emprunter un autre chemin, il leur faut inhiber les conditions qui les font toujours choisir le même parcours.
Du point de vue cérébral, les voies neuronales qui expriment un comportement compassionnel existent à l'état de « tracé potentiel ». La question est donc la même que pose Dōgen sur le plan spirituel. Puisque ces voies neuronales sont notre « nature cérébrale », pourquoi devenons-nous entraîner notre cerveau à les emprunter ? Et la réponse suit la même logique. Si nous ne le faisons pas, si nous ne pratiquons pas la compassion, ces chemins neuronaux ne s'éclairent pas d'eux-mêmes, et si nous ne l'expérimentons pas, ils ne peuvent pas être réalisés.
Qu'est-ce qui nous en empêche ? Leur inhibition par l'habitude d'un agir tourné vers soi, qui enfonce les sillons d'une activité neuronale inhibitrice de la possibilité d'une autre voie neurale. Au niveau du cerveau, « l'entraînement de l'esprit » ne consiste donc pas seulement à apprendre de nouveaux comportements, par la production de nouvelles voies synaptiques, mais à inhiber des tracés dont l'activité est inhibitrice de l'expression de potentiels inexprimés. L'on ne saurait donc opposer en dualité le principe de l'essence à celui de l'existence en termes de positions philosophiques de la question du « qui sommes-nous ? ».
Nous nous définissons sur le plan mental et psychologique par l'expression de nos actes, et sur le plan cérébral par l'expression de voies neurales synaptiques, dans un rapport d'énaction « tel que » un comportement altruiste va entraîner l'activation de voies neuronales spécifiques, à « l'inhibition de l'inhibition » de voies synaptiques non empruntées, par substitution d'autres (exprimant un comportement égoïste), inhibiteur de ce type d'actes (vertueux), ce qui change ainsi la primauté du comportement par la pratique et l'expérience.
Cette approche par « inhibition de l'inhibition » permet également de neutraliser le paradigme essentialiste de la logique d'Aristote au niveau du signifiant, dans le phénomène qui entraîne à conférer une existence à qqc du seul fait de le nommer. Elle permet une lecture du tétralemme de Nāgārjuna qui neutralise les entraves des propositions du « il-y-a » éternaliste et du « il-n'y-a-pas » nihiliste (et des autres propositions du tétralemme) qui font entraves à la saisie de la vacuité.
Pourquoi le nom confère-t-il l'existence à la chose ?
Parce que la « chose » n'a pas d'existence hors du rapport à la pensée de l'observateur. Ce caractère que le nom emporte n'est pas le reflet d'une nature, mais le « signifié » du concept mis pour la définir. Pour autant, si l'assertion « la chose n'a de réalité qu'en tant que sens donné à l'expérience du sujet par le signifié d'un nom, le nom ne recouvrant pas un existant premier » n'est pas un énoncé solipsiste (vue du Cittamātra), le sujet lui-même ne pouvant se penser indépendamment ! A quoi, il faut ajouter pour être complet que « l'expérience du sujet » est libre d'assertion quant à la question de sa réalité et de son irréalité.
Toutefois, les mots étant le revêtement des concepts, le tétralemme peut se lire comme la traduction d'une réalité « indicible », « ineffable » qui, si elle ne peut être enclose par le signifié, n'en posséderait pas moins une existence objective (postulat éternaliste) ou serait inexistant (postulat nihiliste). Peut-on nommer une chose « indéterminée »ou« inqualifiable » sans la concevoir comme telle ? Tel est en définitive le sens du kōan du questionnement de la « perle brillante ».
Dans le cas de la « vacuité », le mot ne vise pas à définir l'essence, mais à faire prendre conscience de l'absence d'essence. La proposition « ni être, ni non-être, ni les deux, ni aucun des deux », ne se veut pas une assertion visant à définir la nature de toutes choses, à défaut de toute possibilité de la nommer autrement, mais est signifiante du renoncement à la conceptualisation par la « neutralisation » du caractère réificateur des mots.
« Le Mādhyamaka propose un argumentaire pour réfuter absolument tout,
y compris le fait de réfuter absolument tout ! » A&R
Les propositions « ni être », « ni non-être », sont posées pour faire obstruction à l'être et le néant qui, en tant qu'assertions philosophiques de la logique d'Aristote, se veulent affirmatives de l'existence et du néant comme absolus, lesquels… font obstruction à la saisie de la vacuité qui est « libre du vide et du non vide ». Ainsi, la proposition « cet univers tout entier dans les dix directions est une perle brillante » est une invitation à «neutraliser la neutralisation » de l'assertivité, à faire « obstruction à l'obstruction » de la nominalisation, pour pratiquer notre « nature de Bouddha » en tant que voie, expérimenter la voie comme vacuité, plutôt qu'à penser Bouddha « comme notre nature », et y compris pas même à penser à réaliser « l'univers tout entier » comme Bouddha !
A&R : Apparence et réalitéhttps://www.youtube.com/watch?v=KwwsZb-Aiac
PLLN : Polir la Lune et labourer les montagnes, DŌGEN https://www.decitre.fr/ebooks/polir-la-lune-et-labourer-les-nuages-9782226200815_9782226200815_10029.html
SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
Dans le miroir de la perle brillante
A cet instant…
Tout l'univers entier est une perle claire.
Pourquoi devons-nous nous efforcer à la rendre brillante ?
Le diamant ne brillera que si rien ne l'en empêche.
Si nous n'empêchons pas ce qui l'empêche de briller, il ne brillera pas !
Le diamant a tout en sa nature pour briller, il n'y a rien à ajouter de plus.
Mais à l'état brut, il y a à enlever pour qu'il réfléchisse parfaitement la lumière.
C'est seulement une fois taillé que le diamant révèle tout son éclat.
Autrement, ce n'est qu'un potentiel.
Et même une fois taillé, il ne peut briller de mille feux sans lumière !
Le diamant ne brillera pas dans le noir ou derrière un mur.
Si nous n'empêchons pas son obstruction, son éclat ne se révélera pas !
Nous ne pouvons voir si notre perception est voilée,
Nous ne pouvons voir si nous ne désobstruons pas notre perception…
La lumière a tout en sa nature pour éclairer les choses, rien à ajouter de plus.
Mais, sous le mauvais angle, la chose paraît incomplète, tronquée, déformée…
Un diamant est taillé pour refléter la lumière sous le plus grand nombre d'angles possibles de sorte que se brillance puisse toujours pénétrer l'œil.
Mais, même si ces facettes sont aussi nombreuses que les directions de l'espace, placé dans l'axe exact du « point aveugle » de l'œil, là où passe le nerf optique et où il n'y a pas de cellules photoréceptrices, il sera invisible à notre vue !
Nous ne pouvons voir si nous ne sommes pas sous le bon angle,
Nous ne pouvons voir si nous ne neutralisons pas ce qui neutralise notre vue.
La perception est toujours relative,
Rien n'est jamais parfait, ni absolu par lui-même.
C'est le contexte et le contraste qui façonnent la perception,
Ainsi que de nombreux facteurs, optiques, physiques, mentaux…
L'objet-vu est une construction de « cela qui voit ».
Nous l'appelons Lune comme vue « hors de la vue » qui la fait apparaître Lune.
Ce que nous nommons « objet-vu » est un simple reflet, la Lune sur le lac,
Appelé « Lune » à l'instant de la conjonction à la « vue-objet ».
Ce que nous nommons « vue-objet » est l'autre aspect de la vue.
Telle quelle, la « vue-objet » est un reflet dans un reflet.
Objet-vu et vue-objet sont des « effets de perspective » l'un de l'autre.
Le reflet du relatif, dans le reflet de l'œil, dans le reflet de sa représentation,
Soustrait de la soustraction de ce que nous ne pouvons soustraire…
« Ce qui voit » est dans son propre angle mort, aveugle à lui-même !
Tournée vers nos yeux, la lumière des phares nous aveugle.
La chose est vue par « aveuglement de l'aveuglement »,
Abstraite de l'abstraction de ce que l'œil ne peut abstraire…
La couleur bleue de la longueur d'onde que la chose ne peut absorber,
La couleur blanche de l'absorption de toutes les longueurs d'ondes.
A cet instant où la perle claire apparaît comme l'univers entier…
L'agitation, la distraction, la dispersion sont inhibitrices du calme mental,
La concentration obtenue par « inhibition de l'inhibition » du calme mental.
La conscience de la forme est inhibitrice de la « non-pensée »,
La clarté mentale obtenue par « inhibition de l'inhibition » de la non-pensée.
La pensée du « moi » est inhibitrice de l'action spontanée,
L'acte authentique accompli par « inhibition de l'inhibition » du non-faire.
A cet instant où la perle claire apparaît comme l'univers entier…
L'absence de nombre, désignée « zéro », est pensée comme nombre !
La forme se fait objet à l'angle mort de la soustraction des dix directions.
Le creux amodal du puits est vu comme le relief modal du « centre du puits » !
Le vide se fait présence à l'angle mort de l'abstraction du vide.
« Ce qui ne peut être nommé » s'en trouve ainsi désigné comme étant nommé !
Le nom se fait signifiant à l'angle mort de la soustraction du signifié.
L'essence de l'univers tout entier est « vide d'essence »,
Qu'y a-t-il à ajouter de plus pour le comprendre ?
Il y a à enlever toute assertion qui le fait paraître « exister » tel quel, autre que de comprendre l'acception « tel quel » comme libre de toute assertion !
La « révélation » du nom fait obstruction à la vacuité du signifiant.
Réalisé comme nom, le signifiant ne se révélera pas « vacuité de la vacuité ».
Si nous n'empêchons pas sa « réalisation », la vacuité ne se révélera pas !
Abstraite
de la révélation de ce qui ne peut être révélé…
Lobsang TAMCHEU