
IV. 22 Poétique de l'ainsité - La lumière du Dharma
IV. 22 Poétique de l'ainsité - La lumière du Dharma
Retrouvez ici les poétiques de l'ainsité de IV. 19 à IV. 24

4. La lumière du Dharma
IV.19 Soudain une fleur de prunier
Au moment où s’ouvre la prunelle de l’œil,
Au sein de la neige, fleurit une fleur de prunier,
Vraiment, la saillance est sans bout à prendre…
Dès le moment favorable où une fleur éclot,
A la floraison du prunier, fleurit le printemps,
Qui fleurit à son tour du cycle des saisons,
Bientôt l’univers tout entier, à nouveau, aura éclot…
J’inspire et m’assois dans la posture,
J’expire et tourne le regard vers l’intérieur,
A l’inspire, sur l’indifférencié concentré,
A l’expire, la concentration défocalisée…
Soudain, surgit un champ vide de pensée,
Dans la saillance de la conscience de « plus de pensée » !
Soudain, la conscience se vide d’elle-même,
Dans la saillance de « la conscience d’être conscient » de son évidement !
Soudainement, plus rien à évider, seulement le vide,
Dans la saillance de l’inconscience de ne plus même en être conscient !
Au moment où se dispersent les fleurs de prunier,
A la neige disparue, l’espace fleuri en monde,
Vraiment, ses métamorphoses sont sans limite…
Dès le moment favorable où fleurit le vieux prunier,
Le lasso du vent enroule les herbes et les arbres,
Ses rameaux de branches s’étirent en fines ramifications,
Dont l’élan entrelace l’éclosion des lianes avec les lianes…
A la respiration, l’inconscience de respirer,
Dans la saillance de l’inconscience de l’ici et maintenant !
A leur inconscience, la transparence de là-bas à ici,
Dans la saillance sans obstruction du partout ailleurs !
Sans soudaineté, la conscience sans « objet de conscience »,
Dans la saillance sans forme de son abstraction consciente !
Sans soudaineté, la conscience sans son objet propre,
Dans la saillance sans nom de son abstraction inconsciente !
Sans soudaineté, l’inconscience sans vide de forme,
Dans la saillance sans saillance de son abstraction vide !
Au moment de l’envers de la neige profonde,
Le fruit de la sagesse est à maturité,
Vraiment, la vacuité est sans bout à prendre…
Dès le moment favorable où la conscience éclot,
Et où la conscience du monde et de soi se lève,
Voici qu’advient le printemps de son expérience,
Dont la réalité est l’efficience de sa perspective…
A l’inspire, se condense la focale,
A l’expire, s’ouvre la conscience…
J’inspire et me différencie conscient,
J’expire, le regard s’expand en extérieur…
Lentement, la perception se remplit de sensations,
Dans la saillance de l’apparition des phénomènes !
Progressivement, la conscience se remplit d’elle-même,
Dans la saillance de sa propre apparition consciente !
Paisiblement, j’émerge à l’éclosion de moi-même,
Dans la saillance de ma propre « conscience d’être conscient » !
Au moment de l’endroit du fait de conscience,
Le ciel et la terre émergent à sa propre saillance,
Vraiment, l’ainsité est sans bout à prendre…
Inspiré d’après les stances 1, 2, 3 et 4 de Baika, fleurs de prunier SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
La méditation ne consiste pas à arrêter
de penser, mais à observer l'esprit de telle sorte à réaliser son absence de
nature objective. « Ce qu'il y a à réaliser,
ce n'est pas un état sans pensée, mais sans saisie, sans fixation sur ces
pensées » NEM. Pour
autant, il n'est pas impossible de méditer sans avoir de pensées, ce qui
n'est pas signifiant du fait que l'esprit soit une « dimension vide »
NEM. Ne pas
avoir de pensée, c'est en vérité « avoir conscience » qu'il n'y
a pas de pensée !
« Tout ce que nous connaissons, toute notre expérience,
c'est une expérience qui résulte de l'esprit lui-même.
S'il n'y a pas de conscience, il ne peut pas y avoir d'expériences
en relation avec cette conscience » NEM.
Pour méditer, il faut commencer par éliminer tout biais de cognition relatif à la croyance en l'existence ou en la non-existence de l'esprit. Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de pensée pendant la méditation ne signifie aucunement que les pensées et l'esprit sont une réalité distincte. Mais que les pensées soient la « nature de l'esprit » ne veut pas non plus dire que l'esprit se manifeste nécessairement et toujours sous la forme de « la conscience de pensées ».
« Quoiqu'il s'élève dans l'esprit, celui-ci peut connaître différents modes,
différents moments, l'esprit calme, l'esprit agité, l'esprit qui est conscient,
qui connaît cet état ne sont pas trois esprits différents,
mais un seul et même esprit. L'essence de l'esprit est une
et ces différents états ne sont pas des esprits différents,
mais une seule essence non indifférenciée » NEM.
Il s'agit donc de comprendre que le fait d'avoir conscience qu'il-y-a pensée ou d'avoir conscience qu'il-n'y-a pas pensée, ne sont pas signifiant de l'existence de la conscience « en tant que telle ». Cette conception à la Descartes sous-entend que la méditation vise à atteindre le « fond du fond » de l'esprit seul, élimination faite de tout ce qui n'est pas l'esprit (c.à.d. le contenu de la phénoménologique mentale), qui avaliserait le sentiment de la « présence » de la conscience à elle-même comme la preuve de l'existence du « véritable Soi » dissimulé sous le masque de l'identification aux pensées, aliéné au « soi de la personne ».
« (…) ce penseur n'a pas d'essence, de couleurs, n'a pas de formes,
il n'existe pas en tant que tel, il est simplement l'esprit lui-même.
Par le fait que vous n'arriverez pas à voir ce penseur,
vous retrouverez la nature primordiale de l'esprit,
la dimension de vacuité » NEM
Pour définir une chose, il faut en avoir conscience. Du point de vue réaliste, les choses existent indépendamment de la conscience que nous en avons, ce qui inclut l'existence objective des pensées et de l'esprit. Mais, pour le Bouddhisme, et d'ailleurs pour la science (particulièrement en physique quantique), il n'est pas possible de séparer le phénomène observé de l'acte de son observation. Autrement dit, prendre conscience de qqc, c'est le faire « exister » en tant que « conscience de », et le rendre « réel » comme expérience en regard du sujet dont le caractère de la réalité surgit lui-même en coémergence.
« (…) rien ne peut être vu comme étant différent de l'esprit lui-même,
c'est simplement une forme de confusion qui s'est élevée pendant un moment,
c'est une illusion, une projection de l'esprit lui-même
et cette projection tout aussi bien que l'esprit qui l'a produit
n'ont aucune réalité fondamentale » NEM
Je ne peux avoir conscience de pensées qu'en regard de la conscience de moi-même à ses pensées, de sorte que lorsque j'ai conscience de « ne pas avoir de pensée » (fût-ce un bref instant atemporel), c'est encore en regard de cette conscience subjective, non pas comme qualité propre à un esprit entitaire et nouménal mais relativement à l'interdépendance de « l'acte de connaissance » d'en avoir conscience ! Avoir conscience du fait d'avoir ou de ne pas avoir de pensées sont des modalités d'expérience phénoménologique, abstraites de la saisie d'une conscience en « tant que telle ». Avoir conscience de qqc est un événement qui fait exister le sujet relativement à son objet !
« A chaque fois que je parle de "qqc dont je n'ai pas conscience",
qui est étranger à la conscience, et dont je pourrais distinguer la conscience,
qu'est-ce qui se passe en vérité ? En vérité, je suis maintenant conscient
de cette chose dont je prétends ne pas être conscient,
puisque à travers la pensée que je n'en suis pas conscient,
j'en suis conscient ! » MB-CFC
Même si, à un non-instant donné pendant une méditation, il se trouve qu'il n'y a pas de pensée, en prendre conscience est de facto un « acte de conscience » même s'il ne se traduit pas par la pensée « il n'y a pas de pensée » ! Il n'y a certes pas de voix intérieure qui constate « l'absence » de pensée par des mots « il n'y a pas de pensée », mais il y a la conscience de cela ! C'est toujours relatif !
Affirmer avoir trouvé le « véritable Soi », c'est arrêter arbitrairement la méditation et donc la possibilité même de connaître la véritable nature de son esprit, la vacuité de la relativité de la conscience au-delà du non-soi de la personne !Cela ne veut pas dire que la conscience n'existe pas du tout, cela veut simplement dire que la conscience est vide d'une existence objective et autonome. C'est cela qu'il s'agit de réaliser pour se libérer de la souffrance, non pas seulement la désidentification à ces pensées que je crois « miennes », mais la vacuité de l'existence objective de la conscience indépendamment de son objet !
« Tout ce qui s'élève, que ce soit le monde conditionné,
le samsāra ou que ce soit ce qui est au-delà du conditionnement,
le nirvāṇa, tout cela s'élève de l'esprit et dans l'esprit.
Il n'y a rien qui soit au-delà, en dehors de l'esprit.
C'est la raison pour laquelle il est dit :
si on arrive à connaitre l'esprit, tout se libère, tout est connu.
Ou l'expression qui dit : en connaissant l'un, tout est libéré » NEM.
On croit qu'il n'y a pas besoin d'aller plus loin dans le processus, car réduire encore la conscience au-delà de la « conscience d'être conscient » ce serait aboutir au néant. Or, ce n'est qu'une illusion qui surgit elle-même de « l'angle mort » de la conscience, car bien qu'il ne se voie pas lui-même, l'œil participe, de par sa structure et son fonctionnement, de « ce qui est vu » !
Que l'on regarde au loin ou ici, que l'on voit la rive se rapprocher ou la barque qui se déplace, aucun de ces points de vue n'est absolu. L'on peut en saisir la relativité en passant alternativement de l'un à l'autre. Ce n'est pas le cas de la conscience qui ne peut se prendre elle-même comme objet de conscience sans créer d'artefact qui l'aveugle quant à sa véritable nature ! Même si nous avons conscients que le reflet de la Lune sur le lac n'est pas la Lune elle-même, la face cachée de la Lune nous reste à jamais invisible ! Celle-ci n'apparaît ni dans le ciel ni sur l'eau, et les image qu'en rapporte les astronautes ne sont que des représentations et non sa perception directe…
Sa « réalisation » n'en est pas pour autant impossible, elle est seulement inaccessible en l'état à notre esprit voilé. Et ce qui l'occulte ce n'est pas autre chose que la croyance en l'objectivité de la conscience « en tant que telle », existant intrinsèque, dont l'essence est posée en dualité à l'essence des choses et du monde. Mais, si « ne pas avoir de pensée », c'est « ne pas avoir conscience d'être conscient », comment le monde extérieur et la phénoménologie intérieure peuvent-ils ressurgir du « néant radical » d'une méditation aconsciente ?
Il n'y a rien véritablement qui apparaît, puisqu'il n'y a rien véritablement qui disparaît. Ce n'est qu'un effet de perspective relativiste. C'est comme de se déplacer sur un anneau de Moebius en postulant l'existence d'une face externe en regard de l'affirmation du caractère interne de la face sur laquelle l'on affirme se déplacer. Or, puisque l'anneau ne possède en réalité qu'une seule face, cette « autre face » demeure insaisissable tant que nous ne réalisons pas son unité à sa face opposée, lequel caractère « d'unité » n'est lui-même qu'une « proposition indécidable » du fait de la vacuité de son essence ! Ce n'est pas qu'elle soit invisible, c'est qu'elle n'a d'existence qu'en tant qu'observable…
« Pour reconnaître cette dimension spontanée,
il faut en venir à une reconnaissance de cette nature dans l'esprit
et par l'esprit lui-même, jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que l'expression de l'esprit,
l'apparence et l'esprit lui-même n'est pas deux choses distinctes,
que ce qui connaît et ce qui est connu ne sont pas duels » NEM.
Les objets de la conscience et la conscience des objets ont en commun d'être sans discontinuité d'essence et sans obstruction d'apparence. Tant que nous ne réaliserons pas que ni la conscience ni le monde ne relèvent ni de l'être, ni du non-être (ni des deux à la fois, ni d'aucun des deux), nous demeurons dans la croyance erronée et la vue illusionnée de l'existence objective de la « conscience en-soi » duelle à l'existence objective du « monde en-soi ».
« 1. Saillants et tortueux, sont les rameaux d'un vieux prunier.
Soudain, il fleurit ! Une fleur, puis deux, puis trois, quatre, cinq et d'innombrables fleurs !
Elles ne se vantent ni de leur pureté ni de leur parfum.
Dispersées, elles prennent figure du printemps et soufflent sur les herbes et les arbres.
Et voilà le crâne rasé de chacun des moines vêtus de haillons !
Brusquement, elles se métamorphosent en vent fou et en pluie violente !
Vraiment, le vieux prunier est sans bout à prendre.
Le froid glacial me frotte un peu partout ; mes narines sont
piquantes ! » SHBZ
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol https://www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
NEM : Nature de l'esprit et méditation https://www.facebook.com/groups/243640070058/user/1594472591/
SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
IV.20 Lorsque le printemps fleurit
Vraiment, il n'y a pas une seule pensée,
A l'envers de l'esprit qui ne perce son endroit,
A l'éclosion de la fleur de prunier…
Vraiment, il n'y a pas le moindre recoin,
Au moment de la fleuraison de l'esprit,
Qui ne recouvre la terre de pensées !
Lorsque l'œil s'ouvre soudain à la lumière,
L'espace se déploie entre ses pétales,
La conscience aussitôt a dix directions !
Une fleur apparaît et la voilà oraison,
Qui se ramifie d'un trait en prose soudaine,
Comme déjà enracinée d'une rime !
Surgit de nulle part, le vent se lève,
Et projette la saison d'une idée,
Le règne d'un jugement, l'ère d'une opinion !
Vraiment, il n'y a pas un seul instant de répit,
Et pourtant, sous l'explosion du printemps,
Le vieux prunier dort patiemment…
Vraiment, il n'y a pas un seul interstice,
A l'endroit de l'esprit qui ne soit son envers,
Dont le sillon ne s'enfleure sous la neige…
Vraiment, il n'y a pas le moindre frémissement,
A la surface de l'espace immaculé,
Qui ne fasse mirage d'une silhouette !
Lorsque l'air se condense à l'aura de l'aube,
Et que la rosée se fige en lueurs spectrales,
Le ciel se couvre de fils d'étoiles argentées !
Une note fleurie apparaît et la voilà onde,
Qui rayonne en cercles invisibles,
Comme une fréquence accordée d'un silence !
Surgit de nulle part, une mélopée s'élève,
Et psalmodie l'écho d'une illusion,
La vision d'une chimère, la fable d'un rêve !
Vraiment, il n'y a pas la moindre surface sans ride,
Et pourtant, sous la neige foulée de mille pas,
Le vieux prunier n'a pas même un temps…
Vraiment, il n'y a pas un seul endroit,
De cette terre colorée de mille tons,
Qui ne soit l'envers inaltéré de la neige…
Vraiment, il n'y a pas la moindre racine,
Qui s'ancre dans les tréfonds d'un sol,
Forgé d'autre chose que d'un rêve !
Lorsque la corolle se referme au point du jour,
Et forme une sphère d'un cristal parfait,
L'espace est traversé de lui-même !
Le regard et la vue soudain entremêlés,
A nouveau rétablit en son visage originel,
Comme un entrelacs noué de vide !
Surgie de nulle part, sans cessation,
Sans apparaître ni s'apparaître,
Une poussière sur la prunelle de l'œil !
Vraiment, il n'y a pas le moindre mouvement ici,
Et pourtant, sous la claire lumière du vide,
Le vieux prunier est enneigé de fleurs…
Inspiré d'après les stances 11 de Baika, fleurs de prunier SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Que se passe-t-il si l'on observe seulement ce qui se passe pendant la méditation, sans chercher à intervenir ? Tantôt, on observe que la méditation est pleine de pensées et d'agitation (chacune se nourrissant de l'autre), tantôt l'espace mental est moins encombré et la méditation plus calme. Parfois, il arrive qu'il n'y ait pas de pensée du tout, pas de penseur, et sans point de référence ni de contraste, pas-même de conscience ! A ce moment là (insituable dans le temps), aucun qualificatif ne vient pour définir ce « non-état », pas-même le besoin d'exprimer un quelconque sentiment. Qu'est-ce qui fait de telles différences ?
« La nature a horreur du vide » selon Aristote, qui exprimait par cette formule sa propre aversion à l'égard de ce qu'il ne comprenait pas, ne réalisant pas que la nature n'était que… l'expression de sa propre conscience ! Pour autant, le réaliser véritablement implique de réaliser la vacuité d'existence objective et autonome de son propre esprit. Reconnaître le caractère « indifférencié » de l'esprit peut toutefois faire peur lorsque l'on ne saisit pas son caractère « libre d'assertion » !
La question n'est pas que l'absence de pensée pendant la méditation soit un indicateur du degré de réalisation de l'esprit. Ce qu'il importe de comprendre, c'est que, de par sa nature indifférenciée, « l'esprit n'est pas un objet pour lui-même » NEM, il ne peut s'appréhender conceptuellement, mais aussi que l'esprit n'est pas non plus un « fait d'expérience », ou un fait de conscience, qui puisse se réaliser comme « sentiment de présence » pour lui-même.
La conscience ne peut pas être son propre objet d'étude, car elle ne peut analyser une chose qu'en la posant extérieurement à elle-même. Le reflet de mon visage dans le miroir n'est pas mon véritable visage. Si tant est que je puisse situer mon corps dans l'espace et dans le temps, il ne se trouve pas là-bas du côté de son reflet, et comme ni l'espace ni le temps n'ont de réalité en eux-mêmes, mon corps ne se trouve pas non plus de ce côté-ci, en face du miroir !
Pour autant, l'impossibilité pour l'esprit de se connaître lui-même directement, nous apprends que sa connaissance n'est pas question de nature, mais d'épistémologie.
Qu'est-ce que connaître ?
Si le Bouddhisme nous enjoint à étudier l'esprit par l'analyse et par l'expérience de son observation ce n'est pas pour atteindre à sa connaissance comme objet, mais pour réaliser qu'il n'est pas de l'ordre du connaissable, car il n'a pas ultimement d'existence objective « en tant que telle ». C'est par la reconnaissance de l'impossibilité d'être son objet d'étude « pour soi-même » que l'esprit parvient à saisir sa vacuité.
En nommant une chose, en cherchant à la définir, nous la faisons advenir comme réalité à la vue de l'esprit par « l'acte de connaissance » de sa désignation qui se confond à son expérience consciente. L'évocation de la fleur du prunier qui éclot, évoque dans notre conscience mentale l'émulation d'une fleur de prunier en train d'éclore. Cette évocation virtuelle se traduit du point de vue de notre conscience, «pour nous-mêmes », par une expérience réelle à l'instant même de son imagination, cela même si celle-ci nous projette dans le printemps à venir ou nous ramène dans le souvenir d'un printemps passé.
« La signification, c'est le renvoi loin du présent
(vers qqc qui est lointain, passé, futur…).
Or, si vous voulez vous rendre compte de la conscience,
la meilleure chose que vous puissiez faire,
c'est justement d'éviter tout éloignement vis-à-vis du présent,
parce que la conscience est là, maintenant, à cet instant, en chacun d'entre nous.
Donc les mots nous divisent et nous éloignent.
La définition de la conscience est une sorte contradiction dans les termes » MB-CFC.
Pour autant, inférer que l'expérience de « définir la conscience » nous éloigne du vécu de la conscience « ici et maintenant », c'est considérer la conscience et sa représentation comme distincts. Cela revient à dire que nous avons conscience de la pensée (de la définition de la conscience) car nous ne sommes pas cette pensée, alors que la « conscience d'avoir conscience » d'une pensée et cette pensée ne sont que des modes d'expression de l'esprit, sans qu'il n'y ait d'esprit en lui-même. Il n'y a que l'illusion de croire réelle sa perspective.
« Les pensées ne sont pas autres choses que l'esprit lui-même.
Donc, si on n'a pas besoin de créer les pensées ou de créer qqc
par rapport aux pensées parce qu'elles sont non nées,
elles ne sont pas qqc qui est produit, elles sont simplement
l'expression naturelle et instantanée de l'esprit non né.
Si on est capable de voir cela, on verra simplement
le mouvement de l'esprit à travers le mouvement conceptuel » NEM.
Poser que la perception de l'image de la fleur de prunier qui éclot dans le champ de ma conscience mentale est distant, en son propre mouvement et en sa propre temporalité, du moment et du temps inhérents de la conscience « en tant que telle », c'est inférer une distinction identitaire… de la relativité de son événement ! A l'instant de la vue de la fleur de prunier comme ce dont j'ai conscience à cet instant, cet instant n'est pas autre part que la conscience de « l'ici même » ! La conscience est toujours « maintenant », y compris lorsque la vue de son objet la fait paraître ailleurs ! A quel autre endroit qu'ici peut-être cet « ailleurs » ?
« Si on ne s'attache pas aux pensées, elles n'ont nulle part où aller,
et elles disparaissent tout simplement. Si on n'arrive pas à cette stabilité mentale,
c'est parce qu'on regarde les pensées toujours "par rapport à qqc",
à des références conceptuelles, on est toujours pris entre le passé,
le présent et le futur. Tant que l'on suit les pensées dans leurs processus
à travers les trois temps, on est sous leurs dominations,
complètement contrôlé par elles » NEM.
Le problème vient de considérer la conscience, son objet, le fait d'en avoir conscience, « en tant que tels ». Les mots nous éloignent, alors séparons-nous des mots ! Le « lieu » d'où vient la réponse est celui d'où vient la question, sont le lieu même de la conscience, au-delà de tout concept de lieu ! Quel autre moment y a-t-il que le moment de l'événement de se « dire » conscient du fait de s'éprouver tel, dont ne peut être distingué en tant que tel le sentiment d'avoir conscience... du fait de se définir tel quel ?
L'esprit ne peut pas être un objet pour lui-même pas non plus qu'un sentiment ! Au dernier degré, ultimement, tout phénomène n'a d'existence qu'en tant que « simple désignation ». Or désigner, c'est exprimer dans le langage la grammaire des « trois sphères de l'action » (sujet, verbe, complément). Outre, l'acte de nommer, l'expérience vécue est un acte de réification phénoménologique !
Nommer la conscience, l'observer s'observant, c'est la faire exister objectivement dans l'incarnation de manifestations subjectives. Or, le sujet « objectivé » n'est pas le sujet subjectif. Le sentiment d'être conscient induit une confusion qui nous fait croire en l'existence inhérente de la conscience, à la cécité de sa vacuité d'essence autonome, que traduit un type de proposition telle que « tout être qui se sent situé est conscient » MB-CFC. Ce n'est pas parce que « je pense que je suis », et ce n'est pas parce que je me sens situé que je suis conscient. C'est une « perspective située », simple point de vue relatif vide de réalité objective qui, à l'observation de son propre événement, s'apparaît comme un esprit qui s'éprouve « tel quel » à l'aveuglement de sa vacuité !
L'identification au « moi » par la saisie des pensées, l'identification au « Soi » par le sentiment du « témoin », de la conscience comme « présence », l'identification à la vacuité par la vacuité comme vue, sont des manifestations de l'esprit qui, dès lors qu'il perd de vue la vacuité de la vacuité, cherche à se raccrocher à qqc pour se « sentir situé » face à la peur de sa spontanéité qui lui apparaît comme un vide radical plutôt que simple assertion libre du vide et du non-vide. Lorsque l'esprit spontané n'est pas-même conscience spontanée, il n'y a rien qui apparaît.
« 11. Vraiment, il ne doit pas y avoir une seule poussière
de I'Aspect réel de la multitude des entités
au fond de laquelle ne pénètre pas la claire Lumière
du corps et du cœur du vieux Gautama.
Même si la vue diffère entre les humains et les divinités et qu'il y ait écart
de sentiments et d'émotions entre le commun des mortels et les saints,
la neige profonde est la grande terre,
et la grande terre est la neige profonde.
Si elle n'était pas de la neige profonde,
il n'y aurait pas la grande terre dans cet univers entier.
L'endroit et l'envers de cette neige profonde
intimement rassemblée en cercle,
voilà la prunelle de I'Œil du vieux
Gautama ! » SHBZ
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol https://www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
NEM : Nature de l'esprit et méditation https://www.facebook.com/groups/243640070058/user/1594472591/
SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
IV.21 De rameau en rameau
Si l'on appelle cela encore « l'esprit »,
C'est parce que tout l'endroit et tout l'envers,
Sont recouverts de « conscience » …
Là-dedans cette terre entière est terre de pensées,
Là-dehors l'univers entier est une pensée !
L'esprit est sans fondement propre,
Et pourtant, il est expérimenté « tel quel » !
L'esprit est sans épiderme tactile,
Et pourtant, il frissonne d'émotions et de sentiments !
Puisqu'il s'éprouve les éprouvant,
L'esprit est « fleurs de prunier » !
Puisque tout ce qui est éprouvé est l'esprit,
L'univers entier est la prunelle de l'œil de l'éveillé !
Au moment où advient le « présent de l'esprit »,
Est le grand fleuve de la conscience !
Le présent où advient cet événement,
Se réalise comme présence en son lieu même !
Dès l'origine de la pensée,
La conscience éclot spontanément !
Bien que ses états se modifient graduellement,
L'esprit est là où advient ce Présent !
Si l'on appelle cela encore la « vacuité »,
C'est parce que tout l'endroit et tout l'envers,
Sont recouverts de « phénomènes » …
Là-dedans, cet espace entier est sans limite,
Là-dehors, les limites entières sont vécues !
La vacuité est sans substance propre,
Et pourtant, cause et effet « tels quels » !
La vacuité est sans objet de conscience,
Et pourtant, consciemment objectivée !
Puisqu'elle est le sῡtra du cœur,
La vacuité est la « fleur d'Udumbara » !
Puisque tout ce qui apparaît est vacuité,
L'univers entier est la vision de l'œil de l'éveillé !
Au moment où advient le « présent de l'ainsité »,
Est la grande terre de l'éveillé !
L'événement de son advenue comme présent,
Se réalise comme présence en son vide de vide !
Dès l'origine de la vue,
Le phénomène éclot vide spontanément !
Bien que les composés changent continuellement,
La vacuité est là où se manifeste ce Présent !
Si l'on appelle cela encore des « mots »,
C'est parce que tout l'endroit et tout l'envers,
Sont recouverts de « signifiants » …
Là-dedans, cette assertion veut dire quelque chose,
Là-dehors, sa proposition est libre d'assertion !
Le sens est vide de tout sens absolu,
Et pourtant, tout fait sens dès le premier mot !
Le mot sentiment est vide de sentiment,
Et pourtant, le prononcer est émotion !
Puisqu'il est plus qu'un simple mot,
Chaque mot est une « fleur de prunier » !
Puisque tout ce qui est énoncé est senti,
L'univers entier est « l'œil de l'éveillé » !
Au moment où advient le « présent du sens »,
Est la grande poésie du cosmos !
L'événement qui le fait advenir comme lieu,
Se réalise comme présence dans le mot !
Dès l'origine du sens,
Le mot éclot spontanément !
Bien que les mots viennent de la vacuité,
L'esprit est là où advient ce Présent !
Inspiré d'après les stances 13 de Baika, fleurs de prunier SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Lorsqu'en science ou en mathématique, l'expérience ou la démonstration abouti au constat du caractère erroné d'un postulat, cela entraîne sa reformulation et peut aller jusqu'à un changement de paradigme qui se traduit par une redéfinition de la manière de penser la réalité et de la dire, comme en physique quantique la mise en évidence du caractère indissociable de l'observable à l'observation. Or, si en analysant l'esprit, cela aboutit à déclarer la « vacuité indifférenciée » de son existence, ne devrait-on pas également revoir, non seulement sa définition et la manière de le penser, mais également la façon même de le nommer ?
« L'esprit, si on y pense, c'est qqc qui ne peut pas être pensé.
Si on essaie de le concevoir, il est inconcevable.
Si on essaie de l'établir, on n'y parvient pas.
Si on le cherche, rien n'est trouvé, si on le voit, rien n'est vu.
Si on essaie de rendre compte de l'esprit par une analyse,
on ne parviendra pas à le connaître.
On dit même que si l'esprit est connu, il n'est pas réalisé » NEM.
Si au terme d'une introspection analytique de l'esprit, il s'avère que l'on ne puisse pas trouver quoi que ce soit qui corresponde au sens que nous donnons à ce mot, alors pourquoi continuer de parler « d'esprit » pour désigner qqc qui n'a pas d'existence sous l'acception de ce terme ? Si une chose ne possède aucun des caractères, aspects ou propriétés qu'on lui prête, l'on ne saurait alors la désigner comme telle ! Si une « fleur de prunier » n'est ni une fleur au sens biologique, ni issue d'un prunier, ni même de type végétal, ce n'est pas une fleur de prunier ! Si donc, il est impossible de lui trouver des attributs qui lui soient propres pourquoi continuer alors de la nommer, par défaut, une «fleur de prunier » ?
Le raisonnement est valable pour toutes choses à l'exception d'une seule, celle-là même qui nous permet précisément de nommer et, de facto, d'être conscient du fait même… d'en être conscient hors de toute définition possible, l'esprit !
L'esprit diffère de tout ce dont nous n'avons aucune preuve de l'existence, et dont pour certaine la proposition est indécidable. Conserver le terme « esprit » ou « conscience » pour désigner ce qqc dont l'existence ne peut être trouvée, mais sans laquelle nous ne saurions apposer de mots sur l'expérience que chacun a de soi-même, maintient le statu quo d'une désignation qui reflète un caractère objectiviste sur un point de vue subjectif vide de substrat. L'éternalisme et le nihilisme ne sont pas tant des conceptions philosophiques de la nature de l'être, que l'expression de points de vue qui se reflètent sous la forme de qqc qui ne peut être à lui-même son propre objet de pensée !
Mais aussi de qqc qui, et c'est là le voile qu'il s'agit de lever, ne peut pas non plus être l'objet de sa propre expérience alors même qu'elle s'exprime comme expérience de lui-même, cela précisément parce qu'elle s'exprime telle ! En effet, comment qqc qui ne peut pas être trouvé de manière intrinsèque, et dont l'existence ne peut être prouvée «en tant que telle » (entitaire et autonome), peut-il faire l'expérience... d'être «conscient de sa propre conscience » ?
« Ce qui donne au rêve ce caractère de réalité,
c'est simplement la saisie de l'esprit qui le fixe ainsi.
Au moment où l'on se réveille du rêve,
on prend conscience que c'était simplement quelque chose
qui est apparu en rêve et qui n'avait donc aucune réalité,
et on reconnaît que cette manifestation à laquelle on a cru,
à laquelle on s'est attaché comme étant réelle,
n'était rien d'autre qu'une projection illusoire de l'esprit
et qu'en essence, elle est vide » NEM.
C'est là qu'il faut inverser le paradigme en cessant de postuler que la conscience est première dans l'ordre des existants, aussi bien comme « expérience pure » (c.à.d. en qualité de « "conscience phénoménale", la conscience (en tant que) "pur apparaître", sans apparaître de l'apparaître » MB-CFC), que comme « conscience de soi ». Sous cet angle, la conscience se révèle un « événement » qui apparaît, selon la perspective, comme phénoménal ou subjectif, et dans ce cas, intentionnel, c.à.d. en tant que «conscience de qqc ».
En tant qu'ils apparaissent à la conscience, chacun est un « événement », l'aspect, la conscience phénoménale de cet aspect, le fait d'avoir conscience d'en avoir conscience, tous sont eux-mêmes des événements caractéristiques de perspectives relativistes. Entre « l'événement de la rive » qui se rapproche et « l'événement du bateau qui se meut », il n'y a nul absolu, seulement des effets de perspectives qui apparaissent, pour chacun, comme autant « d'événement » à l'instant de leur événement comme instant !
A l'instant où fleurit la fleur de prunier, l'événement de sa floraison, l'événement de la «conscience phénoménale » de sa floraison, l'événement de l'événement de sa conscience subjective… L'illusion du monde qui semble exister « en tant que tel » est un effet de perspective dont l'événement le fait apparaître tel. L'instant où il-y-a «conscience de qqc », l'instant où il-y-a « conscience de la conscience » de qqc, l'instant où il-n'y-a plus de séparation entre soi et le monde, le sujet et l'objet, l'instant où il-y-a le sentiment de l'unité au tout, sont autant « d'événements » où la conscience apparaît comme un fait propre, autonome, à l'instant de son événement en tant qu'«événement de conscience » !
Nous les voyons comme autant de choses distinctes existant de manière autonome, alors que ce ne sont que des instants figés d'un mouvement vide. Le vent produit par l'éventail, la floraison du printemps, ne sont pour l'un que la constance du vent qui souffle toujours et partout, en tous lieux, et pour l'autre l'éclosion soudaine de la fleur du vieux prunier, vu comme des événements en eux-mêmes, « en tant que tels » ...
Se « sentir situé » est un événement qui se donne à saisir comme conscience et non la qualité propre d'une conscience entitaire. A l'instar des pensées et de la conscience mentale, du monde et de l'esprit, du rêveur et du rêve, les différentes modalités de «l'expérience consciente » (de l'état de veille ordinaire aux états modifiés de conscience les plus subtils), plutôt que de constituer des formes de l'esprit, expriment sous des états de « conscience » plus ou moins subjectifs différentes perspectives d'un événement à multiples facettes.
Tous les paradoxes qui surgissent à la définition de la conscience proviennent de l'angle objectiviste sous lequel la question est posée. Et bien que l'assertion « la nature du monde est un senti sentant, une réalité qui se coupe en deux pour se donner comme objet et de l'autre comme sujet » MB-CFC évoque Shiva Shakti, cette dualité est un effet miroir ! Que la perspective apparaisse comme un objet qui se meut (sous le point de vue subjectif de la « saisie innée du soi »), ou comme un mouvement qui apparaît sans objet (le sentiment « d'unité au tout »), ou encore comme la vue modale d'un vide amodal (la présence du « Soi »), ce que l'on nomme conscience n'est que la perspective de la cécité de la vacuité (cette assertion y comprise) d'un événement expérimenté tel quel !
Polymorphisme en constante fluctuation qui, dès qu'il s'interrompt, ralenti ou se fixe un tant soi peu à sa focalisation, s'agrège en une forme et un nom. Tel le vent qui se pose sur une branche et se change en oiseau qui, dès qu'il s'envole à la reconnaissance de sa liberté spatiale redevient, sans jamais avoir cessé de l'être, indéfini et indicible… «Vraiment le vieux prunier est sans bout à prendre » !
« 13. Si l'on appelle cela encore « la neige profonde »,
c'est parce que tout l'endroit et tout l'envers sont recouverts de la neige profonde.
L'univers entier est la terre du cœur,
l'univers entier est sentiments et émotions des fleurs !
Puisqu'il est sentiments et émotions des fleurs, l'univers entier est fleurs de prunier.
Puisqu'il est fleurs de prunier, l'univers entier est prunelle de l'Œil de Gautama.
« Là où advient ce Présent » sont les montagnes, les fleuves et la grande terre.
Là où adviennent ce temps et cet événement,
se réalise toujours comme présence le lieu où (…)
Une fleur à cinq pétales éclot, Et le fruit mûrit spontanément » SHBZ.
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol https://www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
NEM : Nature de l'esprit et méditation https://www.facebook.com/groups/243640070058/user/1594472591/
SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
IV.22 A la pointe de l'épine, la fleur
Tel est le vide qui se réalise comme forme,
Là où il advient prolifèrent le sensible,
L'espace rie-t-il de se colorier à son contact ?
Sur la grande branche du « vide »,
Il y a ce possible qui se déploie comme causes et conditions.
Sur une petite conjonction, il y a le juste moment,
Où adviennent le « sentant senti » et le « senti sentant ».
Ce moment est à incarner auprès du connu connaissant,
Le connu connaissant auprès du connaissant connu.
La forme n'est autre que l'envers du vide,
L'envers du vide est muni des attributs du sentant.
La forme et le vide ne sont autres que le déploiement,
De l'être d'une même expérience.
Puisqu'il n'y a qu'une seule branche,
Il n'y a pas d'effets ni de causes différentes.
Le moment où advient une seule forme,
C'est ce qu'on appelle « l'espace du vide »,
Qui n'est autre que le visible de l'invisible !
Tel est cet instant qui se réalise comme conscience,
Là où il advient prolifèrent les pensées,
Le vent rie-t-il de se mouvoir à leur élan ?
Sur la grande branche de l'ici et maintenant,
Il y a ce point qui se déploie comme passé et futur.
Sous une petite excroissance, il y a l'instant présent,
Où fluctuent « l'apparent disparaître » et le « disparaître apparent ».
Ce présent est à observer auprès de l'advenir,
L'advenir est à observer auprès du présent.
La pensée n'est autre que l'envers de l'esprit,
L'envers de l'esprit est muni des aspects de l'apparaître.
La pensée et l'esprit ne sont autres que le déploiement,
De l'expression d'un même élan.
Puisqu'il n'y a qu'une seule branche,
Il n'y a pas de temporalité ni d'atemporalité différentes.
Le moment où advient une seule pensée,
C'est ce qu'on appelle la « transparence de l'esprit »,
Qui n'est autre que la lumière de la clarté !
Tel est son fait qui se réalise comme réalité,
Là où il advient prolifèrent les certitudes,
La rivière rie-t-elle de s'écouler à leur conviction ?
Sur la grande branche de ses perspectives,
Il y a cette vue qui se déploie comme intention et acte.
Sous son événement, il y a le fait « en tant que tel »,
Où adviennent le « fait de vérité » et la « vérité du fait ».
Sa manifestation est à analyser auprès de la vérité,
La vérité est à analyser auprès du fait.
La certitude n'est autre que l'envers de la croyance,
L'envers de la croyance est muni des aspects de la vérité.
La réalité et le fait ne sont autres que le déploiement,
De la perspective d'un même événement.
Puisqu'il n'y a qu'une seule branche,
Il n'y a pas d'internalité ni d'externalité différentes.
Le moment où advient l'événement du fait,
C'est ce qu'on appelle la réalité du fait,
Qui n'est autre que le « fait de tous les faits » !
Inspiré
d'après les stances 4 et 14 de Baika, fleurs de prunier SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
La conscience se caractérise par le sentiment irréductible et indubitable de réalité. Toute forme de conscience est un fait, et il n'y a pas un seul de ces états qui n'ait cette caractéristique d'apparaître « réel » à celui qui le vit, car « celui-là même » qui en fait l'expérience n'est autre… que le fait même de cette expérience. La subjectivité est objective pour elle-même !
« En soi et au moment où il a lieu,
un état de conscience, n'est ni vrai, ni faux :
il est purement et simplement,
et porte l'évidence immédiate de sa réalité » PWJ-84.
Même lorsque font défaut les moyens cognitifs de différencier le réel de l'irréel (le rêve de la réalité), de discriminer le vrai du faux (les hallucinations psychédéliques ou pathologiques), de juger de la véracité du vécu (les expériences de « mort imminente »), de se reconnaître soi-même (comme conscience isolée après la fulgurance d'un sentiment océanique d'unité au tout), toujours la conscience est vécue comme le fait même d'être vécue. Y compris le sentiment « d'irréalité » implique pour s'éprouver en tant que tel… le ressenti de sa réalité !
La conscience ne peut être à elle-même son propre « objet », car elle ne peut s'abstraire de son propre fait pour devenir le fait de « se penser comme fait ». La conscience est une tautologie. La caractéristique d'un être conscient, c'est de ne pouvoir échapper au fait d'être un « fait de conscience » ! La conscience est son propre point de départ et d'arrivée. Même lorsque sa focale n'est pas pointée sur elle-même, qu'elle est simplement « phénoménale » et non réflexive, la conscience ne peut sortir de son propre fait, et ne peut donc ni se penser ni s'éprouver autrement que comme irréductible à son fait !
« La conscience est "le fait de tous les faits",
elle est le fait qui présuppose tous les faits qui se manifestent,
puisque c'est en elle que chaque fait se manifeste.
Il n'y aurait pas de fait,
s'il n'y avait pas de conscience pour les constater » MB-COF.
Descartes en est ainsi venu à conclure qu'il lui était possible de « douter de tout, sauf du fait même de douter », cela parce qu'il s'agit d'un fait non pas dont nous avons conscience (en regard de nous-mêmes), mais parce que la conscience du fait de douter est indubitable… du fait même « de s'apparaître comme fait » ! Autrement dit, la conscience est intrinsèquement réflexive (avant même le fait d'être « conscience de soi-même »), en ce qu'elle est « le fait de son fait » ce qui, par là-même, l'autojustifie comme réalité à l'événement de son fait.
Or, c'est précisément le fait de se saisir « en tant que tel », c.à.d. en tant qu'existant objectivement et non en tant qu'événement constitutif d'un effet de perspective, qui ancre l'affirmation de la conscience comme réalité indépendante de tout fait ! Le seul «fait de la conscience » suffit donc, aux yeux d'un être conscient, à ne pas avoir à prouver la réalité de sa conscience, alors même qu'elle n'est qu'un simple fait qui ne s'éprouve conscience « en tant que telle » que du fait de l'événement de sa propre perspective qui le fait s'apparaître comme fait !
La conscience ne peut échapper à son fait ! Elle est le fait qui rend possible tous les faits, qui en elle se manifestent comme faits extérieurs à son propre fait. Le fait même de constater qu'il « ne pourrait y avoir aucun fait s'il n'y avait pas de conscience pour le constater » occulte, en même temps qu'il avalise, de facto la conscience comme fait, ce qui fait de facto de la conscience une « réalité de fait » ! Lequel fait de réalité n'a nul besoin de se prouver à lui-même la réalité de son ontologie (physique ou métaphysique), puisque s'éprouvant en tant que tel, il transcende son propre fait...
« Afin que la conscience éclate comme "l'éclat même de tout ce qui est",
il faut que le sujet subisse une "conversion".
Aux yeux d'un sujet converti, le rapport entre la conscience
et les choses dont il a conscience se redresse.
Ce sujet met en cause une cosmologie objectiviste,
qui n'inclut la phénoménologie que comme
un envers caché des processus matériels,
et la remplace par une cosmologie
dans laquelle la conscience est le véritable "endroit"
de la substance du monde » MB-COF.
Pas un seul mot de cette proposition ne remet en cause la conscience comme fait relatif à et, bien au contraire, avalise le « fait de conscience » comme une réalité objective en « tant que telle » qui, non seulement, n'a nul besoin pour exister et pour reposer d'un substrat autre que son propre fait et, qui plus est, fait du monde phénoménal, de l'univers tout entier, l'expression de son fait. Puisque je suis conscient du monde, c'est que le monde « comme fait » n'est pas autre chose que l'aspect… du fait de ma conscience ! La réalité n'a donc besoin de rien de plus pour être « réelle » (sans même avoir besoin donc de le démontrer) que le seul fait d'en avoir conscience, du seul fait du « fait de la conscience » !
Et si tant est que je m'attache à essayer de le démontrer, je ne ferai jamais rien d'autre que de faire la démonstration… de son fait ! Tout ce à quoi Descartes parvient au terme de ses méditations (de l'épochè analytique de la conscience), ce n'est rien d'autre qu'à prouver la conscience « en regard de » ! La réalité du fait de conscience ne peut échapper à la réalité de son fait ! La démonstration valide le postulat, lequel reste une déclinaison formelle du formalisme employé. La proposition n'est décidable que dans son référentiel, contextuellement à sa propre contextualité ! En quoi ce raisonnement apporte-t-il la moindre preuve de l'existence de la conscience « en tant que telle » hors de son fait ?
Pour autant, cela prouve la « réalité conventionnelle » et donc la « réalité ultime », la vacuité de la conscience, assertive en l'expérience de son fait, qui confère à la subjectivité le caractère d'objectivité en tant que réalité de son fait ! « La vacuité de l'objectivité de l'objet est l'objectivité de l'objet » PQIV.
« 14. Tel est ce Présent qui se réalise comme présence,
ce qui est exprimé par : "prolifèrent les épines".
Sur une grande branche, il y a ce Présent portant de vielles et de nouvelles branches.
Sur une petite ramification, il y a le lieu où adviennent de vieilles
et de nouvelles ramifications. Le lieu est à étudier auprès de I'advenir ;
l'advenir auprès du présent. L'envers de trois, quatre, cinq ou six fleurs
n'est autre que l'envers d'innombrables fleurs (…)
Cet endroit et envers ne sont autres que le déploiement d'une seule fleur !
Puisqu'il s'agit d'une seule branche,
il n'y a pas de branches différentes, ni de semences différentes.
Le lieu où advient
seule branche, c'est ce qu'on appelle ce Présent (…) » SHBZ.
MB-COF : la conscience comme origine et comme fin https://www.youtube.com/watch?v=00JmBxZyWfE
PQIV : Physique quantique, interdépendance et vacuité https://www.youtube.com/watch?v=Q95O328OAv8
SHBZ :
Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
IV.23 De la fleur au printemps
Lorsque le vrai et le réel mis en acte
Fleurissent en seule branche que tout signifie,
Les mots sont la Lune et les nuages,
Les noms sont les montagnes et les vallée…
Qu'est-ce que le vrai hors de l'acte de le dire « vrai » ?
Qu'est-ce que le réel hors de l'acte qui le rend « réel » ?
Qu'est-ce que la « réalité » hors de la vérité de son acte ?
Qu'est-ce la « vérité » hors l'acte de sa réalité ?
A l'éclosion du bouton s'ouvre une fleur,
Où était la fleur dans la graine ?
Le « je » fleurit à son énoncé,
Était-il présent dans les mots avant son dire ?
Lorsque la Lune éclaire le prunier,
La nuit s'habille du printemps !
L'expérience du mot « je », c'est moi !
L'expérience du « moi », qui la fait ?
Avant que la Lune ne reçoive son nom,
Qui éclairait celui qui le lui a donné ?
En-deçà de la pensée du « je »,
Y a-t-il un « je » qui se pense « je » ?
Lors du calme méditant,
Même dépouillé de toutes pensées,
Si le fait est dépouillé de son fait,
Ne reste-t-il plus rien de fait ?
Qu'est-ce que le faux hors de l'acte de le dire « vrai » ?
Qu'est-ce que l'erreur hors de la réalité de « l'erreur » ?
Qu'est-ce que le « rêve » hors de la réalité du rêve ?
Qu'est-ce que la « réalité » hors du rêve ?
Même s'il n'y a pas un souffle de vent,
Le vieux prunier couvre l'espace de fleurs.
Au moment où le « je » n'est pas dit,
Qui dirait qu'il ne reste pas l'envie de dire « je » ?
Même au milieu de la percée des corolles,
Le vieux prunier demeure immobile.
Au moment où rien ne se dit « je »,
Qui dirait qu'il ne reste pas la trace du dire ?
Même totalement dépouillé venu l'hiver,
Le vieux prunier reste le vieux prunier.
Au moment où il ne reste plus rien à dire,
Qu'il dirait que tout a été dit ?
Dans l'infinité inépuisable de ses noms,
L'Éveil est dépouillé de tout temps,
Du commencement au terme,
Aucun mot ne correspond à son fait…
Qu'est-ce qu'ici hors de « maintenant » ?
Qu'est-ce que « maintenant » ailleurs qu'ici ?
Qu'est-ce qu'un « fait » hors de l'événement qui le fait ?
Qu'est-ce qu'un « événement » hors de son fait ?
La fleur est à l'endroit du prunier,
Le prunier est sans endroit.
La chose est à l'endroit du nom,
Son fait est sans endroit.
Les pétales sont à l'envers de la fleur,
La fleur est sans envers.
L'être est à l'envers du nom,
Son fait est sans envers.
Le prunier est à l'endroit du printemps,
Le printemps est sans endroit.
Le vide est l'endroit du fait,
Son fait est sans envers ni endroit.
Inspiré
d'après les stances 15, 18, 19 et 20 de Baika, fleurs de prunier SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
La réalité est contextuelle à la conscience en tant qu'elle est la « réalité de l'expérience» du fait de conscience. L'objet de l'expérience consciente, qu'il soit pensé, dit ou agit, ne possède pas d'existence en tant que telle, hors du caractère de réalité que lui confère le contexte de son acte, c.à.d. hors de son « assertion » en tant qu'elle donne précisément corps à sa réalité. En ligne de mire, le non-soi par le cogito cartésien du « je pense donc je suis », issu des méditations analytico-phénoménologiques de Descartes.
« Parce que je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu'il fallait que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute. Afin de voir s'il ne resterait point après cela qqc en ma créance qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fut telle qu'ils nous la font imaginer. Et puisqu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstration. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il n'y en ait aucune qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient pas plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse qqc. Et remarquant que cette vérité « je pense donc, je suis » était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeais que je pouvais la recevoir sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. Puis, examinant avec attention ce que j'étais et voyant que je pouvais feindre que je n'avais aucun corps et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse, mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n'étais point, je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser. Et qui, pour être, n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle, en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui et qu'encore qu'il ne fût point, elle ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est », Descartes.
La méthode de Descartes est la version scientifique déployée par les mystiques, à travers le « dépouillement » de tout ce qui obstrue l'esprit voilé pour parvenir au « vide » intérieur qui ouvre sur le « mystère de l'être » dont il est en quête du fondement, à la différence que Descartes s'appuie sur le doute critique. « Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse qqc » COG.
Descartes affirme ainsi la relativité de l'objet au sujet, la possibilité même du « faux » étant relative à la discrimination du « vrai ». Cependant, il n'admet pas la relativité du sujet à l'objet, c.à.d. la coémergence du connaissant à l'acte de connaissance parce que, selon lui, s'il nous est possible de feindre d'être qui que ce soit d'autre que ce que nous croyons être, il nous est impossible de… « feindre de n'être point », tant est indubitable le fait que l'expérience d'être conscient exclu la possibilité même de son inexistence !
« Descartes découvre que même si ce que je pense est douteux, faux, ou un rêve,
même ordonné, même mathématique, même si le contenu est faux,
l'acte de pensée est requis pour que le faux lui-même soit pensé,
donc l'acte de penser est, en tant qu'acte, une réalité indépassable.
Plus "je" me trompe, plus "on" me trompe, plus il faut que "je sois".
Donc, je suis en tant, non pas que je pense le vrai,
mais que je suis le penseur en acte du faux » COG.
Mais, alors même que Descartes tient pour scientifique sa méthode de rejeter « comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstration » COG, et qu'il définit comme critère de validité de n'admettre au terme de sa réduction analytico-phénoménologique – discours préparatoire de la méthode et « méditations métaphysiques » –, rien d'autre que ce qui restera « en ma créance qui fût entièrement indubitable » COG, il n'abandonne pas tout modèle d'inférence et conclut, sur la base de la véracité de l'existence de sa conscience comme « affirmative du faux », l'inéluctabilité de son être « je connu de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser » COG,
Outre l'incompatibilité qu'il y a de pouvoir affirmer « se connaître » en son vécu par le biais d'une connaissance discursive (« je connus de là »), Descartes ne met pas en doute le fondement objectif de la réalité du sens des mots, oubliant la précaution de considérer comme « absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute » COG ! Quel sens donne-t-il au mot « substance » ?
La réponse dépend en définitive de ce dont il parle lorsqu'il dit « je pense donc je suis » ! S'il parle de son être au sens métaphysique d'une essence immatérielle, transcendante à la nature, alors son existence, puisqu'elle est indépendante de l'ordre naturel, se conçoit en regard du « principe d'identité » aristotélicien qui fait d'une chose qu'elle est ce qu'elle est, « pour être, n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle, en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps » COG.
Mais, Descartes est-il substantialiste au sens fort de l'affirmation d'un absolu métaphysique objectivé ? Qu'est-ce qui, pour Descartes, est une réalité « objective » : une réalité supportée par une substance d'un ordre transcendant la nature ; ou un simple fait dont l'existence est objective « à son propre fait », indépendamment de toute considération de nature ou d'essence ?
Pour Descartes, l'action divine transcende la physique, ce qui ne veut pas dire que Dieu possède une essence propre dans un ordre se classant en catégorie et pouvant se comparer à l'ordre de la nature. « Dieu est totalement indifférent aux contraintes de la rationalité mathématique, et a créé même les vérités éternelles de la logique et des mathématiques » COG. Dieu est au-delà même de toute définition et définissable, et par là-même de ce que nous entendons par le sens du mot « acte ». Dieu agit en tant et puisqu'il est créateur du monde, mais si tant est que son « agentivité » puisse être classifiée ce serait plutôt dans le sens platonicien du terme, c.à.d. en tant que son action serait « archétypale » de l'action contextualisée dans le cadre de la physique du monde qu'il crée.
Comment opère une action qui ne peut se dire « action » ? L'on retrouverait là le problème de l'interaction d'opposés radicaux, si cette « action » n'était pensée par Descartes à l'abstraction de toute assertion relative au sens même du mot action. En tant qu'il est « l'au-delà absolu de tout absolu » c.à.d. hors de toute contextualité, Dieu ne peut être pensé en terme « d'être ». Dieu est non pas parce que son existence est déterminante de toute existence relative, et se justifie de sa seule perfection ! Il est simplement hors de toute pensée de l'être.
La conception de Descartes de la notion d'acte était celle « d'Aristote, selon qui l'un des plus hauts achèvements de l'être, c'est le passage de la potentialité à l'accomplissement » CNRTL. L'acte opère la transfiguration de la puissance en essence à la nature en manifestation. Chaque être se manifeste dans l'ordre naturel en vertu de sa « potentialité » à advenir, mais celle-ci ne relève d'aucune contextualité, comme Dieu crée un univers mathématique sans être lui-même contrait avec pour cela des mathématiques. C'est par l'acte de se dire « je pense donc je suis » que l'homme réalise en nature le potentiel d'une essence non naturante, c.à.d. hors de toute objectivité objectivée, « le seul potentiel qui me permette d'accomplir ma substance, mon essence, c'est le fait que je pense » COG.
Cet accomplissement n'est pas donc pas constitutif d'un advenir du « je » en tant que réalité sensible, et n'infère pas du caractère substantiel du moi ou de l'ego. Dire que « je pense » ne fait pas advenir physiquement l'énoncé de cette pensée ou la pensée de son énoncé comme une chose sensible ! La personne est imputée sur la base des agrégats, mais elle n'est pas de la nature d'un composé agrégé. Le « je » n'est pas de l'ordre de l'existence d'une «substance pensante », mais l'expression du caractère performatif de l'acte de dire « je ».
« Je pense n'est pas une connaissance, c'est un acte (...)
c'est un performatif, un énoncé qui, simplement, en disant fait ce qu'il dit.
On ne peut pas dire "je pense" sans penser.
Donc, cet énoncé est un acte et en tant que c'est un acte, c'est indiscutablement réel
(…) "cette énonciation, cette profération, "je suis, j'existe"
est nécessairement vraie chaque fois que je la pense ou que je la dis » COG.
Autrement dit, selon Descartes, l'être en son fondement est au-delà de tout fondement, au-delà même de la notion d'existence à laquelle il donne fait en se disant ! C'est dans l'expérience de son énoncé performatif que le « je » advient à exister d'une manière non incarnée, en tant que cet acte lui confère le caractère de réalité du «fait de conscience » dans lequel il s'inscrit !
Le « je » n'a de réalité qu'à travers l'acte de se dire « je suis, j'existe », autrement dit… de la « saisie du soi » de la personne non pas comme une substance se saisissant en vertu de sa propriété inhérente de « se saisir », mais comme saisie en acte de soi ! L'on rejoint ici la conception bouddhiste selon laquelle « je » est un « phénomène composé non associé » imputé sur la base des « cinq agrégats », lesquels sont constitutifs de l'appareil mental qui permet l'acte de son énoncé performatif.
« Est-ce qu'il reste qqc du "moi" quand je ne dis pas "je" ?
Rien ! Ou alors ce sont les contenus empiriques
et psychologiques de mon "moi" qui ne sont pas "moi".
Pour être soi, pour savoir où est le "moi", il faut formuler sa pensée.
Il faut dire "je" en acte. Descartes dit :
ça n'est que quand je suis vraiment en première personne que "je suis" » COG.
Si donc Descartes pense notre « essence » comme indifférente de toute ontologie, comme « l'être de Dieu » de toute assertion, c.à.d. de tout contexte de définition – mais qui pourtant donne forme et vie à « l'être incarné » de par son acte créateur, lequel ne peut se penser comme création que relativement au contexte que nous donnons à ce mot en regard des lois déterminantes du réel physique –, alors ce que nous sommes au plus profond, et qui transparaît comme réalité dans le fait de l'expérience de la conscience, est par essence... « libre de toute assertion » tel que l'entend le Mādhyamaka Prāsangika !
Mais Descartes franchit-il le pas de l'épochè radicale, si ce n'est par peur du néant (qui ne saurait être absolu hors de tout contexte où l'absolu fait sens), mais par impermanence de l'ego ? A-t-il vu en Dieu « en tant que tel » une ontologie de la transcendance de l'existence de ce qui dit le « je » ? Si tel est le cas, alors Descartes, face à ce « je » rendu soudain réel à l'existence au moment de son énoncé performatif, évoquant Dieu comme ultime réalité de son propre fait de conscience qui « ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est » COG, sera tombé dans le piège contre lequel Nāgārjuna met en garde… substantifier la vacuité !
« Le problème de l'ego, c'est qu'il n'est qu'aussi longtemps
et qu'à chaque fois qu'il pense, donc le temps, la permanence lui échappe.
La question de Dieu naît de la permanence.
"Être" vraiment, absolument, ce serait être permanent.
Et l'ego est certainement, mais pas de manière permanente.
Et on ne peut pas dire que c'est une invention,
parce que le fait que j'éprouve que je
sois fini m'ouvre sur l'infini » COG.
COG : Je pense donc je suis https://www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
SHBZ :
Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html
IV. 24 Du printemps au tableau
Peindre la réalité n'est pas peindre son fait,
Peindre est un fait qui n'est pas à peindre !
Seul l'Éveil est le moment du fait,
Où se saisit la vacuité de son moment…
Bien que la chose soit peinte telle que vue,
La vue ainsi dépeinte n'est pas la chose !
La sinueuse forme n'est pas le vieux prunier,
La rouge couleur n'est pas ses fleurs !
Bien que la chose soit peinte telle que son impression,
L'impression ainsi dépeinte n'est pas la chose !
Les pétales de neige ne sont pas des fleurs,
Les carillons incarnats ne sont pas le printemps !
Bien que la chose soit imaginée telle que rêvée,
Le rêve ainsi dépeint n'est pas la chose !
L'étoffe du songe n'est pas le printemps,
La toile du zéphir n'est pas le vent !
Peignez juste le printemps,
A l'instant même de la venue du jour,
L'évidence de son fait juste est le printemps,
Au juste moment de son éclosion…
Ce qui est appelé la « peinture » maintenant,
Est le « maintenant » entré dans un tableau.
Puisque l'on fait le tableau sans le printemps,
On ne fait pas entrer les fleurs dans les couleurs…
Bien que maintenant soit juste maintenant,
Dès qu'il est dit ce « maintenant » en tant que tel,
Il n'est plus maintenant mais son tableau,
Au juste moment… du maintenant in-saisit !
Bien qu'ici soit juste ici à cet endroit,
Dès qu'il est dit « ici » en tant que tel,
Il n'est plus ici mais son tableau,
Au juste ici… de son endroit introuvé !
Bien que le fait soit juste le fait,
Dès qu'il est dit un « fait » en tant que tel,
Il plus un fait mais son tableau,
Au juste événement… de son fait indubitable !
Peignez juste le printemps,
A l'instant même de la floraison du voir,
Sa corolle est le champ tout entier,
Au juste moment de son émergence…
Si à ce moment-là encore vous recherchez,
Vous continuez à vous trouver !
Vous reconnaissez vous connaître,
Car la vue n'est pas la prunelle de l'œil…
Bien que vous grattiez la surface du tableau,
Jusqu'à enlever les couches d'apprêt,
Vous trouvez encore la patte du peintre,
Dans le signifié des coups de pinceaux !
Bien que vous trituriez la profondeur de la toile,
Jusqu'à effacer l'essence de la peinture,
Vous trouvez encore le sceau de l'âme,
Dans l'indifférence des signes !
Bien que vous releviez l'au-delà du fond,
Jusqu'à traverser le tissu de l'espace,
Vous trouvez encore l'intention visée,
Dans le fait même de l'art !
Arrêtez de chercher ailleurs,
A l'instant même de l'ouverture de l'œil,
La clarté du voir juste est la prunelle,
Au juste fait de son moment…
Inspiré
d'après les stances 28, 29 et 31 de Baika, fleurs de prunier SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
D'où vient le fait que le « je » qui n'a d'existence, à la toute base, que comme simple nom, simple proposition (« je pense donc je suis »), au moment de l'acte de son « énoncé performatif » sous une forme d'existence purement virtuelle (non physique et non sensible) bien qu'empirique, soudain se découvre à travers son expérience phénoménologique comme… « existant intrinsèquement » ?
« Celui qui comprendra le problème, c'est Kant qui voit toute de suite l'ambiguïté de
l'ego. Il y a d'une part "l'ego empirique" (qui pense ce qu'il pense),
et puis au moment où cet ego découvre qu'il existe en tant qu'il pense,
il prend un autre rôle, ce que Kant appelle "l'ego transcendantal",
à la fois abstrait et au-delà de toute substance,
qui n'a pas besoin d'une substance pour opérer » COG.
Il se trouve que le même processus est à l'œuvre en physique quantique ! Ses paradoxes, en particulier celui de la « réduction de la fonction d'onde » – qui fait passer l'électron d'un état statistique à un état « réifié » caractérisé par des propriétés définies –, s'explique par la vue objectiviste de la réalité quantique, et disparaît lorsque le phénomène est pensé en tant que « simple désignation ».
L'électron-mesuré est un « électron empirique » qui n'a d'existence que celle du formalisme quantique « du moment de la mesure », elle-même partie intégrante de son contexte. Puis, au moment où l'observateur découvre soudain l'existence de « l'électron empirique » à l'immédiateté de son fait de conscience, l'électron acquiert un caractère transcendantal, comme s'il possédait une ontologie qui le ferait exister avant la «réduction de la fonction d'onde » ! Or, si l'on abandonne l'idée d'une existence objective de l'électron, qu'il soit ou non mesuré, pour le considérer comme le pur produit du formalisme mathématique de la mécanique quantique, il n'y a plus alors d'incompatibilité, ni de mystère, au passage d'un état à l'autre, puisque ces derniers ne sont que… des formes du calcul !
Dans l'ordre du processus cognitif, l'apparition de « l'ego transcendantal » vient après l'énoncé performatif du « je pense donc je suis » qui fait apparaître « l'ego empirique » en tant que fruit de son acte. Mais, lorsque celui-ci surgit, il en vient à se sentir exister indépendamment, non par abstraction à l'énoncé performatif du « cogito ergo sum », mais à la réalité de son fait de conscience ! Car, si l'ego, qu'il soit empirique ou transcendantal, est produit d'une chaîne de causalité, la conscience est un donné immédiat qui se donne immédiatement à elle-même par une réflexivité qui n'est pas de l'ordre d'un acte « performatif », fusse-t-elle caractérisée par un changement de focale de l'attention consciente.
« Le terme de vérité n'exprime point un rapport transcendant
et indéfinissable avec quelque sphère indépendante de nous,
mais des relations, toujours particulières et concrètement vécues,
entre différentes portions de notre expérience même.
En soi et au moment où il a lieu, un état de conscience n'est ni vrai, ni faux :
il est purement et simplement, et porte l'évidence immédiate de sa réalité » PWJ.
Même découpée en autant d'instants relatifs à chaque élément de sa perception, tous constitutifs d'un « acte de connaissance » qui, à l'instant même est « tout ce qu'il-y-a » étant donné que seul existe l'instant présent, la conscience se vit comme réalité transcendantale à l'empirisme de son fait, lequel emporte par son « abstraction performative » toute assertion à la vérité transcendantale du réel, et à la réalité transcendantale de la vérité.
Pour l'expérience phénoménologique, les idées de « vérité » et de « réalité » ne sont pas des idéaux platoniciens métaphysiques qui englobent la conscience en tant qu'ils en définiraient la qualité de la nature, mais sont relatives au contenu du « fait de conscience », lequel les définit contextuellement en son référentiel. Dit autrement, la conscience en tant qu'elle se vit comme événement est au-delà de toute définition du vrai et du faux, de l'illusoire et du réel. La conscience est un fait hors de toute contextualisation de son propre événement.
Tel un miroir, la conscience se renvoie à elle-même l'indubitabilité de son propre fait, mais comme son miroir est aussi celui de toutes choses, s'ensuit que les phénomènes acquièrent de facto le statut de « réalité propre » par assimilation au caractère transcendantal du fait de conscience ! Tant que la nature des phénomènes n'est pas perçue indistinctement du fait de conscience qui les manifestent (et leur confère les modalités de leur expérience empirique), une nature qui n'est pas de fait mais performée de l'événement de leur réflexion, ils apparaissent comme la connaissance «d'existants premiers », puisant leurs racines du principe identité qui fait qu'une chose «est ce qu'elle est » !
L'observation méditative de l'esprit révèle un fourmillement d'apparitions et de disparitions d'événements phénoménologiques qui couvrent une large palette d'expressions (discours formel, pensées informelles, visions, illusions auditives, projections mnésiques, extrapolations imaginaires, hallucinations, rêveries…), et aussi parfois un espace sans forme, vide et silencieux... Aucun n'a d'existence objective mais, de par leur expérience subjective, tous présentent un caractère « réel » du fait qu'ils se confondent, en leur fait, au fait de conscience lui-même !
Croyez-vous que le « vrai » tire son caractère de sa seule puissance, laquelle transcende tout jugement, et vous confère le sens de sa définition qui, par là-même emporte la révélation du « faux » ? Reconnaître que qqc n'est pas vrai, c'est poser la véracité de sa fausseté ! Le « faux » doit être qualifié de vrai pour être reconnu faux, sinon il ne peut être dit « faux » ! De même qu'une chose ne peut être dite « irréelle » si son irréalité n'est pas affirmée comme étant vraie... sur la base de la réalité du vrai !
« C'est peut-être une pensée fausse, une pensée illusoire,
mais en fait, c'est un acte ! Descartes dans les méditations, ne met pas "pensé"
dans le contenu de ce qu'il pense, parce que "penser est un acte"
qui n'est pas dans l'énoncé ! Au point que si Descartes avait dit
[je pense donc] "je ne suis pas",
la conclusion aurait été "j'existe" !
Parce que le contenu est indifférent » COG.
Mais s'il est indubitable que « l'acte de se penser » est vrai de son seul fait, pouvons-nous pour autant inférer qu'il est réel hors de son contexte ? « Descartes sait que nous ne sommes pas ce que nous savons. Ce que nous savons, c'est la connaissance (…) Descartes découvre que le sujet est différent de ce qu'il sait (…) "qui suis-je en deçà ou au-delà de ce que je sais ?" » COG.
La seule « réalité » qu'il est possible d'inférer est relative aux phénomènes, qui se conçoit comme le fait d'apparaître en tant que fait à la conscience, c.à.d. sans autre objectivité que le miroir de la subjectivité. Quant à la question de savoir si le « fait de conscience » possède une existence objective (et quelle est sa nature « telle quelle » hors du contexte de son événement ?), c'est qqc qui ne peut pas être déterminé. C'est une proposition indécidable ! Pourquoi ? Parce qu'elle échappe à son propre fait, et donc à sa propre connaissance !
Tant que l'on croit qu'il y a qqc qui, du fait de son essence insubstantialisée, existe objectivement « en-deçà ou au-delà de ce que je sais » en tant qu'il est cela même qui me permet de connaître « ce que je peux savoir » (et qui définit par là-même l'ordre de sa nature), alors même que cet « hors de » est transcendantal à tout contexte assertif (donc à tout acte performatif du fait empirique) cela revient à substantifier la vacuité ! Demander « qui suis-je ? » revient à performer l'énoncé « je suis » ! Or, le caractère transcendant du fait de conscience n'est pas d'immanence. Son essence, c'est la vacuité d'existence autonome. Son ontologique est vide d'ontologie, au-delà de toute conception, libre de toutes assertions quant à « l'être », au « vide », à « l'essence », à « l'ontologie » !
C'est parce que nous faisons de la vacuité une vue, en voyant une essence dans le caractère transcendantal que nous attribuons à l'empirisme de la conscience à l'abstraction de son fait, que nous croyons objective la réalité des phénomènes qui apparaissent comme fait à l'événement de la conscience. Nous croyons en la réalité des choses parce que nous croyons en notre propre réalité !
C'est le fait de la croyance en l'objectivité du sujet que le monde tire la possibilité de sa propre existence objective. Puisque c'est bien la faculté de discriminer le vrai et le faux (à l'affirmation du « cogito ergo sum » validée par le raisonnement du doute méthodique), sur la base de la conscience elle-même postulée comme une « réalité première » (en regard du caractère transcendantal de son essence à la performation de son fait), qui rend le connaisseur indubitable en sa réalité, qui avalise l'existence réelle du vrai et du faux.
L'expérience phénoménologique est un mur infranchissable d'objectivité qui, en nous séparant de l'ultime vacuité, origine toutes souffrances, pour qui ne perçoit pas la conscience en la transparence directe de son événement. L'existence du monde apparaît à la conscience comme réalité de fait à l'apparition de la conscience à elle-même comme telle. Ce qui fait cette vue objectiviste, c'est affirmer qu'il ne saurait y avoir de fait de conscience si son expérience empirique n'était performative de sa réalité. Or, c'est parce que la conscience est ultimement vide qu'elle se donne comme une réalité transcendantale à l'immédiateté de son fait. La réalisation de l'ainsité admet ainsi la liberté d'assertion de la validité transcendantale de cette proposition à… sa vacuité empirique !
COG : Je pense donc je suis https://www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
PWJ : La philosophie de William James https://www.archive.org/details/laphilosophiedew00flou