
IV. 25 Poétique de l'ainsité - Les facettes du Dharma
Retrouvez ici les poétiques de l'ainsité de IV. 37 à IV. 42
7. Les facettes du Dharma
IV.37 Le prisme de l'espace
L'ici est la demeure de l'ainsi « tel quel »
Où l'ainsi se réalise comme présence incarnée,
En son point de vue situé tel qu'en lui-même,
Suspendu en-deçà de toutes catégories…
Ici l'ainsité demeure ainsité, « vide du vide »,
Où le vide se réalise comme « observable »,
En présence de l'apparaître de « l'observation »,
Suspendu entre dualité et non-dualité…
Ici le vide-forme demeure forme-vide,
Où l'ainsi se réalise comme expérience,
A l'apparaître de la présence pure de l'ici,
Suspendu entre être et non-être…
Ici est la demeure de la plénitude nue,
Où l'indicible se montre en sa certitude,
Sous le vêtement du doute critique,
Suspendu entre vrai et faux…
Ici est la demeure de la clarté lumineuse,
Où l'espace se réalise comme transparence,
En présence de la lumière de l'apparaître,
Suspendu entre rêve et réalité…
Le méta-espace ne constitue pas un vide pur,
Impulsion du vide à exprimer la forme,
Élan de la forme à traduire le vide,
Transmission de l'éternité suspendue…
Comment attrapes-tu le méta-espace ?
En refermant les doigts sur le vide !
Claquement de doigts sur le front,
La douleur rayonne du méta-espace…
Comment saisis-tu encore le méta-espace ?
En enfermant le vide au cœur des mots !
Hurlement assourdissant à l'oreille,
Aux échos sourds du méta-espace…
Autrement, comment saisis-tu le méta-espace ?
En plongeant au fond de la pensée !
Douche froide d'un baquet d'eau glacée,
Aux frissonnements du méta-espace…
Encore autrement, comment le saisis-tu ?
En diluant l'encre des sῡtra !
Éclat aveuglante d'une bougie dans l'œil,
A l'obscure clarté du méta-espace…
Et toi, comment le saisis-tu ?
En tendant la main aux êtres sensibles !
Brûlure au feu de leurs souffrances,
Incendie du cœur du méta-espace…
Le kōan n'est pas la réponse,
C'est la surprise et l'étonnement,
Non pas la théorie mais la vie,
Non pas le connu, mais l'expérience !
Non pas en entourant, ni en détourant,
Non pas en ajoutant, ni en retirant,
Non pas en retournant, ni en dévoilant,
C'est ainsi qu'on arrive à « attraper » le méta-espace !
Non pas en prévenant la confrontation et les coups,
Non pas en empêchant la collision et les dommages,
Non pas en évitant la vie et ses incidents,
Si tu avais pu le saisir comme ça, tu l'aurais fait dès le début !
Non pas te gardant d'agir contre tes instincts,
Non pas en faisant l'économie de la purification,
Non pas en évitant la pratique et la Voie,
Si tu avais pu le saisir comme ça, tu l'aurais fait dès le début !
Non pas en laissant de côté la réflexion,
Non pas en t'abstenant d'utiliser ton esprit,
Non pas en t'en remettant à la logique du sens commun,
Si tu avais pu le saisir comme ça, tu l'aurais fait dès le début !
Non pas en méditant seul au désert,
Non pas en t'en remettant à la nature comme guide,
Non pas en voyageant sans avoir de maître,
Si tu avais pu le saisir comme ça, tu l'aurais fait dès le début !
L'inspiration saccadée vient du souffle retenu,
La bonne inspiration du souffle contenu,
La juste inspiration du souffle délié,
C'est ainsi que tu respires le méta-espace !
Inspiré d'après la stance 1 et 2 de Kokû méta espace SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Imaginez un coup de tonnerre ! Foudroyant, sidérant ! La force de sa détonation vous vous fige sur place, incapable de bouger, de penser, totalement prostré, interdit ! L'espace d'un instant, vous n'êtes plus vous-mêmes ! Vous n'êtes plus que le son qui perce vos tympans. La force de la déflagration a soufflé votre présence à vous-mêmes, vous dépouillant à l'instant de toute conscience de soi, et vous laissant dans l'expérience brute de ce foudroiement littéral, intégral…
Michel Bitbol utilise cette évocation aux fins de discriminer les différentes strates de la conscience : « expérience pure, indifférenciée au début [on ne distingue pas entre ce qui nous arrive et ce qui arrive dans le monde] ; conscience réflexive dans un deuxième temps [le bruit passé, nous nous apercevons de cet état] ; conscience de soi dans un troisième temps [on se rend compte que nous ne sommes pas identiques à ce qui vient d'arriver] ; et enfin conscience morale [cela nous est arrivé] » MB-CNC.
A l'appui de la proposition de Wittgenstein, le « monde est la totalité des faits », nous pouvons déterminer le caractère de ce moment, sur la base de la définition de la vérité comme « l'accord du dire aux faits ». De ce point de vue, ce coup de tonnerre est un fait. Nous pouvons décrire la physique du phénomène et puisqu'elle correspond à ce qui a eu lieu effectivement, c'est donc une « perception cognitive valide ». Elle eut été invalide s'il s'était agit d'un coup violent sur une tôle de métal, et si nous avions cru qu'il s'agissait d'un orage, nous aurions alors formulé une « inférence invalide ». Toutefois, cela s'arrête-là, car même si nous pouvons dire avec des mots ce qui est arrivé, décrire notre impression, le vécu de notre expérience est incommunicable.
Il n'en apparaît pas moins « vrai » pour autant de ce point de vue ! Sa « véracité » n'est pas établie en regard de l'adéquation du langage à une réalité extérieure, mais sur la base de sa « réalité intérieure ». Deux choses se distinguent donc ici, chacune pouvant être considérée comme un fait propre : le coup de tonnerre ; et « l'expérience pure » du coup de tonnerre, leur registre respectif recouvrant des existants objectifs et autonomes mis en relation par les circonstances. Soit un objet et un sujet, même si au stade premier, les frontières de la perception phénoménologique se confondent avec la phénoménalité de l'événement en un sentiment d'unité indifférenciée.
Tel que décrit ici, cet événement apparaît comme le lieu de la rencontre entre d'un côté un « observable », le phénomène physique du coup de tonnerre, de l'autre son «observation » comme expérience pure. Sous ce rapport, le « sentiment de non-dualité » est la caractéristique propre de l'événement phénoménologique, c.à.d. qu'il n'y a pas de relation concrète, d'intrication physique entre le sujet et l'objet. « Tout se passe dans la tête », comme l'instant plus tard, la prise de conscience réflexive de l'événement, puis, ensuite, la « saisie de soi » au retour de la conscience à soi-même.
Il y a cependant bien ici un lien de causalité effective à l'œuvre en tant que le « fait objectif » du coup de tonnerre est la condition de sa perception sensorielle et, y compris, de son ressenti phénoménologique (fusse-t-il indirect et dans son ordre propre). Bien que le fait soit public en tant qu'il est communicable car descriptible par le langage, et que « l'expérience pure » soit privée puisque le sentiment de « ce que cela fait » est incommunicable, tous les deux n'en apparaissent pas moins comme des «phénomènes composés impermanent » interreliés et donc interdépendants.
Mas, que se passe-t-il maintenant si nous considérons cette proposition comme une simple proposition ? Car, c'est bien ce qui nous est suggéré, non pas de nous mettre à la recherche d'un orage pour y entendre un coup de tonnerre mais « imaginer » ! Étant donné qu'il ne nous est rien possible de dire concrètement sur la « physique » de la pensée du coup de tonnerre, pas plus qu'il ne nous est possible de dire quoi que ce soit sur la nature de son « expérience pure », cela revient à rêver… de la gradation des strates de la conscience ! Dans le rêve, la logique de Wittgenstein, qui s'appuie sur l'objectivité du fait pour déterminer la véracité de l'observation, n'a pas cours, sans pour autant que l'expérience de rêver soit une illusion !
Qui peut dire que le rêve d'un coup de tonnerre n'est pas une expérience aussi forte que d'entendre la déflagration du tonnerre ? Le rêve n'étant pas le lieu du doute, qui pourrait affirmer le contraire… au sein même du rêve ! Le rêve n'a besoin d'aucun critère pour être considéré comme vrai. La notion « d'objectivité » n'y fait d'ailleurs pas même sens ! En l'absence d'esprit critique (à l'inhibition des facultés cognitives supérieures de l'entendement et de la raison), il n'y a rien même à démontrer ! Plus globalement, c'est « l'expérience pure » qui est à elle-même son propre fait, réel sans pour autant être objectif, vrai sans qu'il n'y ait besoin de le prouver. Ni questionnement, ni doute, seul son propre fait qui n'est pas-même son « fait propre » !
« La réduction phénoménologique, et la réflexion en quoi elle consiste,
n'a pas à proprement parler "d'objet", mais nous invite à revenir au champ entier
de "l'expérience, pure", dont tout objet, tout morceau de nature est
le "corrélat intentionnel", c.à.d. ce qui est visé (…) Il n'y a rien pour le délimiter,
rien pour permettre de l'identifier à un objet de connaissance particulier » MB-CNC.
La méditation également (hormis lorsqu'elle est analytique au sens bouddhique), n'a rien à prouver en son expérience, pas même à être. « Vouloir être » est un concept ! Dans « l'expérience pure » de la méditation (sans pensée, sans forme, sans même de contenu phénoménologique), il-y-a seulement sans avoir à justifier de cela.
En définitive, pourquoi a-t-on besoin de preuves ? Ou plutôt pourquoi avons-nous besoin de « prouver » (de se prouver à soi-même), la réalité des choses et du monde ? Ais-je besoin de « me » prouver à moi-même que je suis en vie ? Et cela est-il seulement possible ? Il faudrait pouvoir faire appel à une définition… qui ne se définit pas elle-même ! Dire que « je suis vivant » pour démontrer que « je suis en vie » est une tautologie ! Mais, comment prouver l'existence de la vie sans parler du vivant ? Lorsque l'on cherche en amont, dans la chimie, rien (hormis de la qualifier à son tour «d'organique »), ne permet d'inférer le passage de l'inanimé à l'animé !
Ce n'est pas comme s'il nous fallait écarter le risque d'erreur, la possibilité de l'illusion ou nous prémunir contre toute tentative de mystification d'un tiers. Là où le faux et le vrai ne font pas-même sens, pourquoi rechercher la vérité ? A l'abandon de la conception objectiviste et duelle du corps et de l'esprit, nul besoin de l'antidote de la vacuité ! Or, «l'expérience pure » est hors du champ du vrai et du faux, du réel et de l'illusion, de l'être et du non-être ! Pourquoi avons-nous donc besoin de preuves ? « (…) "l'attitude naturelle" est l'expulsion de l'attention hors du champ de "l'expérience pure" vers les objets que l'expérience [subjective] délimite et vise » MB-CNC.
Descartes se fourvoie bien avant même de formuler son cogito. En faisant du doute le critère de son investigation, il sort d'emblée de l'expérience, brute, directe, pure, pour se placer sur le plan réflexif de la raison. Interrogeant le caractère du « dire », il questionne le reflet plutôt que le miroir ! Nonobstant le fait qu'il ne voit pas les limites du langage et son incapacité à énoncer la conscience par nature indicible et ineffable, en définitive, Descartes ne fait que justifier le « doute » par le doute, alors que «l'expérience pure » est hors du champ du langage et de la dialectique, et n'a aucun besoin du doute, ni de prouver quoi que ce soit, pour être vécue !
Face au dualisme cartésien (et globalement à toute proposition qui se veut affirmative du réalisme de son objectivité) plusieurs attitudes sont possibles : la croyance, le défi ou la libération. La première attitude consiste, en substance, à tenir le raisonnement suivant lequel bien que le dualisme prétende concilier deux essences incompatibles (le corps matériel et l'esprit immatériel) que nous ne pouvons comprendre, Dieu le peut, sans quoi… il ne saurait être Dieu ! La seconde attitude est de considérer cet antagonisme comme un défi intellectuel de par ses contradictions et paradoxes. Peu importe que les questions métaphysiques soient un « non-sens » du point de vue de la logique de Wittgenstein ou un simple jeu (au moins permet-il de s'amuser à les résoudre), car peut-être même que les opposés ne le sont-ils pas véritablement…
« Donc, il va falloir adopter une bonne stratégie de débat
qui évite de nous faire tomber dans les raisonnements, sur les abstractions,
et qui nous fasse revenir à "l'être situé", incarné,
qui est celui de nous-mêmes, en ce moment même » MB-CNC.
La troisième attitude (la « voie du milieu ») consiste à abandonner ce qui est à l'origine même de la contradiction et du paradoxe, la croyance en l'objectivité des absolus. Plutôt que de voir « observable » et « observation » comme des faits propres, il s'agit, dans cette approche médiane qui écarte les extrêmes, de les considérer, au « sens faible » comme coémergents, ou au « sens fort » comme des aspects du lieu nishidien d'un événement par ailleurs « indécidable », car hors du champ du tétralemme (ni être, ni non-être, ni les deux à la fois, ni aucun des deux).
Le sens faible est celui de la relativité de l'existence, de « l'observable » à «l'observation ». La couleur, par exemple. Rien ne permet d'inférer que, hors de son «expérience phénoménologique », il y a qqc qui puisse être déclaré posséder la réalité objective d'être « rouge ». Un daltonien ne voit pas le rouge comme du bleu, il voit d'une autre manière ce que les autres voient comme « rouge » !
La position moniste matérialiste rétorquera que sans le « fait propre » de la longueur d'onde de la lumière comme « existant premier » (intrinsèque et autonome), il ne saurait y avoir de stimulus sensoriel causal et donc d'expérience phénoménologique possible de la « couleur ». Ce à quoi la position médiane peut répondre au sens « fort », à l'appui d'une mécanique quantique débarrassée de ses paradoxes par l'abandon de la conception de la réalité objective des « faits quantiques », que les « observables » sont des aspects ou des modalités de « l'observation » !
Même si ce « dépouillement conceptuel » libère l'esprit de toutes les contradictions (et au terme de son épochê radicale le libère même de la pensée à la réalisation de sa vacuité), pour convaincre les partisans de l'objectivisme du « fait propre » attachés à la logique de leur système de croyance dualiste ou moniste, ce qui importe, c'est de les amener à admettre par eux-mêmes la réfutabilité de l'objectivité !
« Se prouver à soi-même », tel est le cœur du problème. Car, dès que l'on sort de «l'expérience pure » et que l'on s'éloigne de l'observation en devenant « observateur de l'observation », et plus encore « observateur de soi-même », ce mouvement se traduit par un sentiment de dépossession de ce qui n'était paradoxalement ni de l'ordre de l'avoir ni de l'ordre de l'être. L'idée du non-être surgit de l'idée de l'être !
« Au nom de quoi affirme-t-on vivre dans un monde fait d'entités physiques ?
Au nom d'une hypostase tacite des objets de la connaissance (…)
on accorde toute priorité ontologique à ce sur quoi on peut agir,
à ce que l'on peut manipuler, à ce que l'on peut viser,
dans une désignation de ce qui face à nous » MB-CNC.
La nécessité d'affirmer le vrai nait du sentiment du faux au sortir de « l'expérience pure». C'est comme si, hors de cela qui ne nécessite ni affirmation ni réfutation, il n'était pas possible de soutenir ce mode d'existence sans l'y rattacher… par la preuve de sa décohérence ! La rationalité intellectuelle n'a en ce sens de finalité que de combler ce manque perdu de la plénitude de « l'expérience pure ».
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
IV.38 Expérience prismatique
Le corps tout entier n'est-il autre,
Que les mains dotées de I'œil ?
Tout votre être est-il, de part en part,
Des mains et des yeux ?
La main qui saisit le méta-espace est-elle autre,
Que le mouvement doté de l'œil ?
Tout le geste de votre être est-il, de part en part,
La présence et la vision ?
La langue qui énonce le méta-espace est-elle autre,
Que le discours doté de l'écoute ?
Tout le dialogue de votre être est-il, de part en part,
La dialectique du vide ?
La pensée qui exhale le méta-espace est-elle autre,
Que l'émetteur doté du récepteur ?
Tout l'énoncé de votre être est-il, de part en part,
Une négation non affirmative ?
L'esprit qui connaît le méta-espace est-il autre,
Que la pratique dotée de la Voie ?
Toute l'expérience de votre être est-elle, de part en part,
La méditation de l'œil ?
Voici le sens de la question :
Chez toi aussi, la main et l'œil ne sont-ils autres,
Tous deux traversés l'un par l'autre,
Que l'espace tout entier de l'arc-en-ciel ?
Dès qu'il est ainsi nommé,
« Mirage » par le nom qui le touche,
L'espace s'alourdit à la vue,
Et l'arc-en-ciel s'enfonce dans la terre…
Dès qu'il est ainsi invoqué,
« Rêve » par la tension qui le frôle,
Le sommeil s'alourdit à la présence,
Et l'aurore s'enfonce dans la nuit…
Dès qu'il est ainsi éprouvé,
« Utopie » par la pensée qui l'effleure,
Le jugement s'alourdit à sa sentence,
Et les étoiles s'enfoncent dans l'obscurité…
Dès qu'il est ainsi fidélisé,
« Croyance » par l'idée qui le frise,
Le discernement se voile à son assertion,
Et les silhouettes s'enfoncent dans l'ombre…
Dès qu'il est ainsi adoré,
« Espoir » par l'émotion qui le caresse,
L'esprit se brûle à son contact,
Et les visages s'enfoncent dans l'oubli…
Une fois qu'il est compris de ces manières,
Et de tache en tache ainsi dégradé,
Jusqu'à se diluer en lui-même,
Alors, à ce moment-là, le jour se lève !
Dès que vous appelez cela la Réalité,
Elle a déjà complètement changé !
Mais, même ainsi, en accompagnant le changement,
Vous allez vers la Réalité !
Dès que vous nommez cela conscience,
Elle a déjà complètement changé de point de vue situé !
Mais, même ainsi, en accompagnant la perspective,
Vous allez vers la conscience !
Dès que vous énoncez cela réflexion,
Elle a déjà complètement changé d'angle !
Mais, même ainsi, en accompagnant l'orientation,
Vous allez vers la réflexivité !
Dès que vous affirmez cela expérience,
Elle a déjà complètement changé de modalité !
Mais, même ainsi, en accompagnement l'incarnation,
Vous allez vers l'expérience !
Dès que vous voyez cela événement,
Il a déjà complètement changé d'expression,
Mais, même ainsi, en accompagnement son contexte,
Vous allez vers l'événement !
Et bien que ce soit ainsi,
Sous toutes les formes où on le voit,
C'est suivant ces métamorphoses,
Que le comme est le méta-espace !
Inspiré d'après la stance 3, 4 et 5 de Kokû méta espace SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Dire que « l'observable est un aspect de l'observation » revient à la proposition selon laquelle le champ visuel fait partie de l'œil. Pas plus qu'il n'y a de discrimination dans l'agrégat de la sensation, il n'y a de catégorisation de jugement dans « l'expérience pure ». La détermination du caractère du vécu (vrai ou faux, réel ou imaginaire) apparaît au niveau suivant de la « conscience réflexive » et se cristallise dans la conscience de soi. Ce n'est pas un « potentiel » (cela sous-entendrait une dualité et un paradoxe au passage entre non-manifesté et manifesté), ces catégories n'existent simplement pas dans « l'expérience pure » !
Considérons le kōan : « un coup de tonnerre qui éclate | sans aucun témoin pour l'entendre | fait-il du bruit ? » à la lecture de la conception de la stratification des niveaux de conscience. Le premier tiers de la proposition équivaut à « l'expérience pure» causée par le choc du tonnerre qui, à l'instant même de son impact, paralyse l'esprit et souffle littéralement toute « réflexivité » et « saisie de soi », comme à marée basse pour laisser place au seul vécu, hors de toute discrimination et catégorisation.
Le troisième tiers, la conscience du bruit, représente la « réflexivité » cognitive, qui s'accompagne d'une caractérisation de l'événement (« c'est réel ! »). Et lorsque le tiers relatif au « témoin » surgit, le passage à la strate de la « conscience de soi » est acté. Dès lors, l'expérience n'est plus « pure », non seulement parce que désormais catégorisée comme fait propre (« c'est vrai ! ») mais, qui plus est, relative à un sujet («ça m'est arrivé à moi ! J'ai failli être frappé par la foudre ! »).
« Si on adopte une attitude qui consiste à "s'extravertir en direction des objets",
on ne remarquera plus que des objets et on oubliera complètement
l'acte de conscience par lequel on vise des objets.
Dans cet état de conscience de "l'attitude naturelle",
l'attention se précipite vers l'avant, vers sa propre représentation,
au lieu d'être retenu en sa source » MB-CFC.
Selon cette lecture, le sens du kōan n'est pas de nous faire interroger le phénomène dans la perception de son vécu (le « ce que cela fait » d'être saisit par le bruit de sa déflagration), mais vise à provoquer le « retournement » de la conscience sur sa propre prise de conscience, non pas toutefois en tant que « sujet », non pas en tant que « réflexivité » en miroir, mais comme « expérience pure », en laquelle il n'y a de facto aucun témoin… pour entendre le tonnerre frapper !
« Lorsque la suspension du jugement (l'épochè en phénoménologie)
est accomplie, l'attention bascule de l'objet vers "l'acte de viser l'objet",
de la teneur de la représentation vers le "fait présent de représenter" » MB-CFC.
Sous cet angle, l'observable physique qu'est l'onde sonore de la foudre apparaît ici comme un aspect de l'observation, c.à.d. de « expérience pure » (sans discontinuité d'essence et sans obstruction d'apparence), laquelle « observation sans réflexion ni observateur » est l'autre aspect de l'observable. Il n'y a donc ici nul « fait propre » (objectif) caractérisée par des « niveaux », des « strates » ou des « stades » (sous-entendu d'une conscience intrinsèque, à l'instar de l'âme ou de ātman). Il y a ici seulement le lieu (nishidien) d'un événement qui n'est constitutif ni d'une nature phénoménale ni d'un caractère phénoménologique distincts !
Le sens du kōan, c'est donc que « l'expérience pure », bien qu'apparaissant en tant que vécu comme le fait propre d'un « acte de connaissance » n'est pas affirmative de l'existence objective de la conscience. Elle n'est pas affirmative de « l'objectivité de la subjectivité », mais révélatrice de « la vacuité de l'objectivité de son objet » par la mise en évidence de la vacuité de ses deux versants. Ce n'est pas une question de nature, qui renvoie aux contradictions et paradoxes de la dualité, mais d'angles de vue ou de perspectives, en cela que les adjectifs « phénoménal » et « phénoménologique » s'entendent relativement hors de toute essentialité.
« Ni phénomènes ni sujet, ni bouddhas ni êtres sensibles,
dans la liberté de cette double négation, de ce double dépassement,
on trouve les fleurs au printemps et la neige en hiver.
La fleur rouge et l'eau qui s'écoulent expriment une conscience
totalement désencombrée, libérée. Les notions de vrai et de faux,
de bien et de mal ont été évacuées sur le champ
et avec elles la somme de tous les jugements sur soi et les autres » APE.
Qualifier ce moment par le mot « expérience » s'avère doublement impropre, d'une part car il est vide d'expérimentateur, d'autre part parce que parler de « stratification de la conscience », c'est aborder la question de la conscience dans une approche réductionniste et atomiste qui contribue à faire de celle-ci un « problème difficile ».
Si la notion d'expérience peut se définir comme « connaissance », c'est en tant qu'elle est « acquise » par ou en relation avec un connaisseur, et donc qu'elle établit un rapport de termes « mutuellement inclusifs » avec la notion de conscience. Aussi, est-il difficile de concevoir l'idée d'une expérience dont l'épithète de « pureté » puisse qualifier un « fait » qui serait à la fois expurgé de tout subjectivisme, épuré de toute réflexivité, tout en étant à lui-même… sa « propre donation de sens » !
Sans témoin, le tonnerre est « l'événement qu'il-y-a ». Mais, dire qu'à l'instant même, quelque part dans le monde, la foudre tombe et le tonnerre gronde « hors du champ de perception d'un observateur » n'est-ce pas d'une certaine manière en faire… l'observation et donc « l'expérience » ? Ce n'est pas pareil que d'être physiquement présent là où le fait survient, mais ici la perspective est inversée. La localité n'est pas physique, elle consiste dans l'acte de subsumer tous les points de vue en un seul moment, la conscience étant le « lieu » même de cet événement.
« A chaque fois que je parle de "qqc dont je n'ai pas conscience"
(qqc qui est étranger à la conscience et dont je pourrais distinguer la conscience),
"je suis maintenant conscient de ces choses dont je prétends ne pas être conscient",
puisque à travers la pensée que je n'en suis pas conscient, j'en suis conscient !
Est-il vraiment possible de séparer la conscience d'autres choses,
puisqu'à l'heure actuelle, en un certain sens, la conscience est tout ? » MB-CFC.
Cela donc qui fait sens dans le fait de « l'expérience pure », ce n'est pas que toute conscience en ait été distillée de sorte à rendre à « l'événement qu'il-y-a » son essence brute, mais qu'il apparaisse « objet d'expérience », c.à.d. que les faits ne se conçoivent pas comme des « existants objectifs » face à la conscience, susceptibles d'être encapsulés dans l'observation, mais coémergents à elle !
« Quel est ce lieu où le son de la pluie, la cascade et le bois se rencontrent ?
demanda le moine. Le maître répondit : La véritable éternité s'écoule toujours
comme un miroir lumineux et clair, toujours parfaitement doux et lisse » APE.
Or, là encore, c'est être trop essentialiste en s'arrêtant à une définition qui résonne d'idéalisme. Il faut aller plus loin dans l'épochè conceptuelle et pour cela inverser le «point de vue atomiste » qui considère la conscience comme le « point de départ » duquel serait d'abord abstraite la dimension « subjectiviste » de la conscience de soi, puis sa dimension « réflexive », pour aboutir enfin au substrat d'une « expérience pure». C'est là feuilleter une marguerite en s'arrêtant à la tige sans la réduire à son terme ultime, ni réduire « l'expérience de sa réduction » à sa vacuité ! Mais, peut-on atteindre le « lieu » ultime de l'épochè où son propre sens ne soit d'aucun lieu ?
Lorsque l'on touche le fond marin, ce n'est pas le « fond du fond », c'est seulement ce côté-ci de la limite intérieure de l'océan ! Laquelle « limite » est irréductible en cela que pour que la conscience puisse se retirer des choses, il lui faudrait « sortir d'elle-même » ! La surface intérieure d'un anneau de Moebius peut-elle toucher sa surface extérieure hors de sa torsion ? Envisager l'existence du réel (qui n'est qu'une simple catégorie conceptuelle) hors de l'expérience qu'il-y-a, laquelle se confond en coémergence à l'événement de son observation, reviendrait à affirmer que le « fond du fond » n'est rien, ni apparence, ni vacuité (de la vacuité) !
L'apparition d'un arc-en-ciel dépend d'un « point de vue situé » dont l'apparition est elle-même coémergente et constitutive de « l'événement qu'il-y-a ». Les degrés de stratification de la conscience sont relatifs à des angles de vue situés comme autant «d'effet de perspective », sans qu'aucun, dans « l'événement de leur expérience », soit de nature objective, essentielle ou ontologique, et sans pour autant que le reflet dans son miroir ne cesse d'être un reflet...
APE : Apprivoiser l'éveil https://www.decitre.fr/livres/apprivoiser-l-eveil-9782226400512.html
IV.39 Vision spectrale
Si tu sais écrire sur l'eau,
En connais-tu le sens des mots ?
En pinçant la surface de l'eau,
Soulèves-tu le reflet de la Lune ?
Si tu écris sur l'eau le mot « eau »,
Est-ce un mot ou rien que de l'eau ?
En pinçant les lettres du mot bougie,
En éteins-tu la flamme ?
Si tu écris dans l'air le mot « espace »,
Est-ce un mot ou rien que l'espace ?
En pinçant la voûte du ciel étoilé,
Arrêtes-tu la course d'une comète ?
Si tu écris avec les yeux un mot,
Est-ce un mot ou ton champ visuel ?
En plissant les yeux au levé de l'aube,
Courbes-tu la ligne de l'horizon ?
Si tu écris dans ton esprit le mot « pensée »,
Est-ce une pensée ou ton esprit ?
En jetant mentalement des pierres,
Troubles-tu la surface de l'eau ?
Fixer le puits ne remplit pas le seau,
Mais rêver du désert assèche le corps !
Pour saisir le méta-espace,
Il faut faire un bon usage de l'œil…
Avant même de pouvoir saisir le méta-espace,
Il faut le comprendre, et avant cela le rêver,
Et bien avant encore, dépasser ses limites,
Et encore bien avant, rencontrer l'illimité…
Avant même de pouvoir faire un pas en avant,
Il faut comprendre « c'est mon pied qui s'avance »,
Et bien avant encore, positionner le « je »,
Et encore bien avant, rencontrer le corps…
Avant même de pouvoir prononcer un mot,
Il faut comprendre « c'est le mot que je dis »,
Et bien avant encore, positionner le locuteur
Et encore bien avant, rencontrer la pensée…
Avant même de voir l'horizon se lever,
Il faut comprendre « c'est la limite du ciel que je vois »,
Et bien avant encore, incarner la position,
Et encore bien avant, poser le point de vue…
Avant même de penser l'existence,
Il faut comprendre « c'est la pensée qui se performe »,
Et bien avant encore, dépasser le soi,
Et encore bien avant, rencontrer la non-pensée…
Même s'il en est ainsi, sans profondeur ni distance,
« De soi-même à soi-même » dans le méta-espace,
Étant donné mon éloignement dans le « moi-même »,
Voudrais-tu seulement me le faire comprendre ?
Même si à l'instant, le puits demeure immobile,
Ses pierres s'entrechoquent avec le temps…
Même s'il est la totalité continue qu'il-y-a,
Le non-limité n'est pas permanent…
Même si à l'instant, l'œil demeure invisible (à l'œil),
Les paupières s'entrouvrent avec le temps…
Même si la vue est la totalité des mouvements qu'il-y-a,
Le champ visuel n'est pas constant…
Même si à l'instant, l'esprit demeure intangible,
La pensée dialogue intérieurement…
Même si le sens est la totalité des signifiants qu'il-y-a,
La connaissance n'est pas invariante…
Même si à l'instant, la perspective demeure indéfinie,
L'espace apparaît avec la profondeur de champ…
Même si l'horizon est la totalité du point du vue qu'il-y-a,
L'expérience n'est pas immuable…
Même si à l'instant, le reflet de la Lune demeure flou,
La lumière éclaire la surface de l'eau…
Même si l'onde est la totalité de l'espace qu'il-y-a,
L'illimité n'est pas statique…
Bien que les choses apparaissent ainsi à l'instant,
Comment à cet instant « s'emparer de l'espace »,
Ne serait-ce que pour un seul instant,
Sans le saisir à chaque nouvel instant ?
Inspiré d'après les stances 6, 7 et 8 de Kokû méta espace SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Dire que nous sommes des êtres « situés » dans le monde, et que « nous y sommes situés parce que nous sommes incarnés » MB-CFC, est une description relative au troisième niveau de stratification de la conscience, la « conscience de soi-même » commun à la « conscience morale » mais abstrait de la « conscience réflexive » et totalement absent de « l'expérience pure », laquelle est en-deçà de toute dualité sujet-objet. La question n'est pas tant de comprendre « en quoi le simple fait d'adopter une position aboutit à se vivre comme un être situé et incarné ? » IBID, mais en quoi cela nous permet-il d'inférer de la réalité objective de la conscience au-delà du simple « effet de perspective » de l'aspect phénoménologique de l'événement qu'il-y-a ?
Un arc-en-ciel est un événement qui présente un caractère phénoménal, car son apparition dépend de la position relative d'un observateur dans un référentiel espace-temps, et également un aspect phénoménologique, en tant que « ce que cela fait » de voir un arc-en-ciel est l'aspect caractéristique de la subjectivité d'un être « situé » (ou d'un point de vue subjectif caractérisé par le fait « d'apparaître » comme un fait objectif). Un arc-en-ciel n'apparaît pas seul mais conjointement à l'observateur dont le «point de vue situé » de la perception est coémergent à son événement.
Or, dire que « se vivre comme un être situé » est le résultat de l'acte « d'adopter une position » présuppose un existant susceptible de (faire le choix délibéré de) se situer dans un référentiel local (indépendant), alors que le lieu d'où « procède » cet acte (indicible puisque s'agissant de la conscience), pour être causal et conditionnel de ce positionnement, devrait lui-même se situer… hors de tout « point de vue situé » !
Cette contradiction est inhérente au postulat objectiviste de la conscience et disparaît dès lors que la phénoménologie du « point de vue situé » est envisagée non plus comme un fait propre, mais comme perspective de « l'événement qu'il-y-a ». Lequel apparaître (dont « l'expérience pure » est une facette relative) ne consiste pas dans l'apparition de qqc « en face de », mais le lieu où la perspective phénoménale et la perspective phénoménologique « s'interpénètrent sans s'interpénétrer ».
Sa position locale, l'observateur la définit sur la base de « l'agrégat » du corps comme l'axe physique naturel de son observation du monde et des phénomènes. Cette « vue à la première personne » constitue de facto la base égocentrée à partir de laquelle sont définies les directions de l'espace (droite et gauche, avant et arrière, haut et bas, etc.), relativement à ce « point de vue (phénoménalement) situé » qui en constitue le point cardinal. Le bouddhisme le désigne comme la « saisie (innée) du soi » de la personne – qui caractérise la réaction paroxysmique du « point de vue situé » du sujet psychologique au vécu de l'expérience –, où la direction des événements s'inscrit en regard de l'axe cardinal du « moi », autour duquel tourne le discours des ratiocinations de la pensée torturée par l'attachement et l'aversion.
Le niveau de stratification dit de la « conscience morale » – que l'on peut subdiviser en distinguant entre l'éthique personnelle (qui est l'objet d'un des trois entraînements de l'esprit dans le bouddhisme) et la morale sociale –, est également constitutif d'un point de vue situé à la « première personne » qui s'inscrit dans le prolongement de la «conscience de soi ». A contrario, la strate de la « conscience réflexive » est, en comparaison, celui d'une perspective située à la « troisième personne ».
L'acte de « se situer » dans le monde s'inscrit dans un processus d'énaction, pour lequel le langage exprime la pensée qui façonne en retour la manière d'exprimer ses pensées, relativement au milieu culturel, social, historique, où nous vivons –. Or, nous n'utilisons pas tous le même système de référence. En Australie, la peuplade aborigène des Kuuk-thaayore définissent les directions… en regard des points cardinaux, ce qui leur confère la capacité d'utiliser une « orientation absolue » WIKI.
Si je définis les directions sur la base de l'agrégat de mon corps, quelle que soit la direction vers laquelle je me tourne, ma main droite reste toujours ma « main droite », mon corps est invariant, c'est la direction du monde qui change. Mais, si je définis les directions en regard des points cardinaux comme invariants absolus, alors en fonction de la direction de mon corps, ma main droite est soit ma « main nord », soit ma « main sud » ! Je ne fais plus l'expérience d'un point de vue situé à la « première personne », autour duquel le monde gravite, mais celui-ci étant pris comme référentiel invariant, mon vécu devient l'expérience d'un point de vue situé à la « troisième personne » !
Le « point de vue situé » de la conscience n'est pas absolu. Rien ne permet d'inférer une définition de la conscience comme un existant inhérent, caractérisé (en tant que propriété de sa nature) par la capacité (en tant que possibilité de sa nature) à adopter un point de vue… « situé par rapport à lui » ! Nous ne sommes pas situés parce que nous sommes incarnés. « Être situé » n'est pas le produit de l'acte d'un existant, c'est la forme même de l'apparaître… qui ne se voit pas apparaissant en tant que son propre système de référence. Tout état de conscience est un état « in situ » qui se définit comme référentiel en regard de sa perspective.
« Ce qui est assez transparent pour demeurer complètement indétectable
lorsqu'une chose ou une qualité se montre, ce n'est autre que la monstration
elle-même, autrement dit la conscience au sens large "d'expérience".
La conscience est ce qui est commun à la sensation du bleu et du vert.
On voit le bleu et le vert, mais on ne voit pas
qu'il y a expérience du bleu et du vert » MB-CFC.
Je vois ma main droite, mais je ne vois pas l'expérience de voir ma main droite, parce que cette « expérience qu'il-y-a » est l'expression d'un point de vue relatif qui, puisque vide de substrat (la relativité étant un événement), ne s'apparaît pas lui-même en tant que « point de vue », mais à travers (le reflet de) la forme sous laquelle l'événement de sa relativité s'apparaît… non relatif !
Dans le cas de l'expérience de « voir ma main droite », ce sont toutes les choses qui apparaissent à ma « droite », sur la base relative de l'agrégat du corps comme axe de référence absolu, caractéristique du « point de vue à la première personne ». A l'opposé, dans le point de vue à la « troisième personne », ce sont les directions cardinales qui constituent l'axe invariant du référentiel au sein duquel toutes choses apparaissent, et où ce qui apparaît est l'expérience de voir ma main nord !
En définitive, ce n'est pas une question « d'objectivité », sous-entendu d'existant intrinsèque, mais bien une question de perspective. La « réalité objective » n'est autre que la manière d'exprimer, par le langage, la phénoménologie de l'apparaître telle qu'elle se montre en son expérience comme si elle était l'expression phénoménale du « fait propre » d'un existant autonome, par l'effet d'occultation de sa propre relativité à l'événement qu'il-y-a (ni phénomène ni conscience, c.à.d. en-deçà de toute conception et de toute catégorisation).
Il n'y a donc pas de contradiction dans l'apparaître du « lieu de la relativité » comme «conscience de soi », « conscience réflexive » ou « expérience pure », pas plus que d'antagonisme entre notre système de représentation égocentré des directions et celui excentré des Kuuk-thaayore, ou de paradoxe en mécanique quantique.
Toute opposition cesse non pas à l'abandon du postulat de la « réalité objective » de la dualité sujet-objet, mais à la réalisation que ce dont nous avons conscience à cet instant (qui nous apparaît réflexivement comme un « point de vue situé » dans la forme même de son expérience) est relatif à un « cadre de référence » invisible à notre cognition, lequel cadre se définit en regard de l'inclusion ou de l'exclusion de limites… elles-mêmes relatives à la forme de son vécu !
Si je considère mon corps comme l'axe de référence, alors ma main droite apparaîtra toujours comme ma « main droite » quelle que soit ma position autour d'un rond-point. Mais, si je considère les directions cardinales comme axe de référence, alors ma main droite deviendra ma « main Nord », puis ma « main Est », puis ma « main Sud » et enfin ma « main Ouest » ! Or, les deux ne sont pas incompatibles. A l'abandon de l'idée d'absolu y compris les directions cardinales apparaissent relatives !
Si je suis en orbite géostationnaire dans un vaisseau dont les parois sont percées de hublot, la vue de la Terre me servira de référentiel immobile. Mais, si les parois sont opaques, les directions cardinales deviennent interchangeables ! Dans l'expérience de «l'ascenseur d'Einstein », l'accélération ne se distingue pas de la chute libre alors que l'une est impulsée de l'intérieur, l'autre de l'extérieur, discriminant leur référentiel.
Le meilleur moyen de se repérer dans l'espace et de se situer dans le monde est de se prendre « soi-même » comme référentiel absolu ! Or, si le langage naît de la pensée en tant qu'il en est l'expression, de par sa grammaire, il structure en retour la pensée. Une lettre tracée sur l'eau s'efface aussitôt, mais l'eau peut être canalisée dans un moule et suivre les courbes de son empreinte pour dessiner des mots.
C'est par la « force de l'habituation », sous l'effet culturel du langage qui a pour effet de cristalliser comme « axe de référence absolu » l'agrégat du corps, que l'on en vient implicitement à « se vivre comme un être situé et pas seulement à se concevoir comme tel », sans même voir, et donc prendre conscience, que la phénoménologie de ce «point de vue situé » est, elle-même, l'apparaître de « l'événement qu'il-y-a » de… s'apparaître comme un « point de vue situé » !
L'acte implicite de ce « non choix » conditionné (par la culture et le karman) cristallise par là-même la phénoménologie du « moi » et des émotions perturbatrices qu'elle induit, et nous replace sans cesse dans la même opposition égotiste. Face à face avec l'autre, avec pour référence les dix directions (incluant le ciel pour le haut et la terre pour le bas) plutôt que chacun son propre corps, nous redevenons la « vue en miroir » l'un de l'autre ! Alignés dans la même direction, lorsqu'il ne fait plus sens de parler de «moi », ni de voir l'autre comme différent ! Différent de « qui » ?
Si « l'expérience pure » est le lieu nishidien où plus aucun axe (ni le corps ni les points cardinaux) n'est pris comme référentiel absolu – correspondant au « juste moment » de l'épochè phénoménale et phénoménologique radicale où la notion d'identité personnelle et celle de monde autonome sont abolies – qui s'accompagne du sentiment « d'unité au tout », il ne faut pas voir là un état « en tant que tel » de non-dualité, ce qui serait... en substantifier la vacuité ! Si totalité il-y-a, elle ne saurait constituer le «tout de l'être absolu » MB-CNC compris comme essentialité ontologique, mais plutôt comme un « vide amodal », libre de toute assertion positive quant à un « au-delà de l'être et du non-être », y compris libre de cette assertion même...
« Il n'y a rien pour le délimiter, rien pour permettre de l'identifier
à un objet de connaissance particulier (…)
C'est l'expression authentique d'une posture
de recueillement dans les eaux de l'expérience pure » MB-CFC.
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
IV.40 Le juste événement du "ce qu'il y a"
Le méta-espace rassemblé en cercle,
Se heurte à lui-même avec fracas.
L'ici ne résonne de nul autre son,
Que l'écho de sa propre déflagration…
Un point de vue centré sur son enclos,
Comment se saurait-il en rotation ?
L'ici ne gravite sur nulle autre orbite,
Que l'axe de sa propre direction…
Un point de vue ouvert sur l'espace,
Comment se saurait-il excentré ?
L'ici ne règne en son trône cardinal,
Que cerné par la mire des dix directions…
Un point de vue réfléchit sur lui-même,
Comment se saurait-il simple reflet ?
L'ici ne se définit en sa relativité,
Qu'en la réflexion de son miroir…
Un point de vue sans aucun cadre,
Comment se saurait-il sans référence ?
L'ici ne se définit hors de tout,
Qu'en l'expérience de sa totalité…
Les formes-couleurs ne font aucun bruit,
L'espace retentit du fracas du silence,
Dans l'immensité de l'étendue sans substance,
Rugit le souffle de la vastitude…
Bien que cet univers entier soit sans obstruction,
Les relations circonstancielles de cette séquence,
Font agripper le bout des doigts avec le bout des doigts,
Et ressentir les coups de tonnerre du méta-espace…
Bien que l'espace soit sans surface de contact,
Les relations contextualisées de ce moment,
Font se toucher le bout des doigts des deux côtés du miroir,
Et ressentir la chaleur pulsante de son reflet…
Bien que le champ visuel soit sans dimension,
Les relations contingentes de cet instant,
Font se palper le bout des doigts au bout de la vue,
Et ressentir le toucher pointu des angles de vue…
Bien que l'expérience pure soit sans cadre,
Les relations causales de cet événement,
Font saisir du bout des doigts la présence du bout des doigts,
Et ressentir l'intime conviction de son objet…
Bien que la vacuité soit sans substance,
Les relations interdépendantes de ce lieu,
Font étreindre la proposition avec la proposition,
Et ressentir l'affirmative de la négation…
Lorsque la clarté brise la transparence de l'eau,
Et fait éclater la glace qui recouvre l'horizon,
Apparaît le méta-espace tel quel,
A la surface du comme du comme sans surface…
Même si vous êtes doué pour saisir l'espace,
Explorez tenants et aboutissants, disparition et reviviscence,
Connaissez son importance relative, lourd ou léger,
Pour réaliser l'identité de la pratique et de la Voie…
Même si vous êtes doué pour circonscrire l'instant,
Explorez l'avant et l'après, l'intervalle et l'écart,
Connaissez le battement de l'horloge, ralenti et accéléré,
Pour réaliser l'identité du temps et du lieu…
Même si vous êtes doué pour discerner le subtil,
Explorez loin et près, immensité et infinitésimal,
Connaissez la distance entre l'ici et là-bas,
Pour réaliser l'identité du lieu et de l'événement…
Même si vous êtes doué pour discriminer la vérité,
Explorez le bon et le mauvais rêve, endormi et éveillé,
Connaissez la saveur du goût de chaque sensation,
Pour réaliser l'identité du vécu et de l'expérience…
Même si vous êtes doué pour voir la réalité,
Explorez le prisme des états de conscience,
Connaissez la relativité de chaque point de vue,
Pour réaliser l'identité de l'intuition à l'espace…
La monstration ne fait aucune vague,
Les ailes de l'eau s'ébattent dans le tonnerre,
Sous le ciel nocturne zébré d'éclairs,
Sur les ondes de l'océan du vide…
Inspiré d'après les 9, 10 et 12 stances de Kokû méta espace SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Quelles que soient les formes ou les états de l'eau, c'est toujours de l'eau. L'eau peut être concentrée dans un réseau de canaux ; orientée dans toutes les directions ; adopter la forme de n'importe quel contenant ; se colorer de toutes les couleurs du spectre de la lumière visible ; accélérer pour servir à produire de l'énergie en activant les pales d'une turbine, etc. Toutefois, ce n'est que lorsque l'on retire tout « cadre de référence » et que l'on cesse d'exercer la moindre « action » sur l'eau, que l'on prend conscience de son « mode naturel » toujours identique à lui-même…
« (…) la conscience est absente de tout artifice, de toute fabrication,
est une ouverture sans limites, dépourvue de toute forme,
comme suspendue, sans aucune orientation, sans aucune direction,
comme l'espace tout entier, sans aucune forme de saisie,
de fixation mentale et complètement sans références » NEM.
Hors du cadre de référence qui instille un « point de vue situé » relativement à un axe déterminé, à la première aussi bien qu'à la troisième personne, des notions relatives aux directions comme « droite » et « gauche », « nord » et « sud », à la durée comme « avant » et « après », « est » et « ouest », indicatives de la localité comme « ici » et « là-bas », de la temporalité comme « hier » ou « maintenant », désignant des objets comme « ceci » ou « cela », ou pointant le locuteur ou le sujet de l'action comme « moi », « toi », toutes ses notions ne font plus sens hors de toutes modalités, hors de toutes perspectives hormis… d'être sans perspective ni modalité !
Ce n'est pas que ces caractérisations, à la fois conceptuellement explicites et sensoriellement implicites, n'aient plus cours dans « l'expérience pure » car non différenciée, mais qu'ayant lieu partout, tout le temps, et simultanément, cela en fait par neutralisation mutuelle la « totalité de ce qu'il-y-a », rendant caduque toutes possibilités de discrimination, de sorte que « l'événement qu'il-y-a » est hors de toute assertion, y compris d'être « libre d'assertion » !
Toutefois, l'on ne peut véritablement appréhender ce « mode naturel », au-delà de toute connotation idéaliste et de tout caractère évoquant une ontologie positive, comme une vision totalement abstraite de la conception d'une existence « par soi-même », qu'au terme de l'épochè radicale (conceptuelle et phénoménologique) qui ne laissera plus voir l'expression de conscience « en tant que telle » comme sens d'une réalité objective (intrinsèque et autonome), mais comme le sens d'ainsité, c.à.d. comme « l'événement d'être ainsi » (le comme du comme).
Pour le Bouddhisme Mādhyamaka Prāsangika, la réalisation de la vacuité n'est pas de l'ordre de la raison car ce n'est pas un objet de la pensée qui peut se concevoir par l'intellect. La « vérité ultime » se réalise à l'appui de la « vérité conventionnelle », directement par l'expérience vécue. Pour autant, il ne s'agit pas seulement de mener la « réduction phénoménologique » à son terme radical, dont l'épochè n'est pas l'aboutissement si l'on ne se libère pas également du piège (d'une certaine forme d'expression) du langage qui substantifie la chose nommée…
Si le dépouillement de toute conception, par son action de désencombrement de nos croyances et la désensibilisation sémantique du sens qui, à la cécité du point de vue situé à la première personne, masque son « mode naturel », est le moyen d'ouvrir le champ de la conscience à la « perception yogique directe » et ainsi d'atteindre à son «expérience spirituelle mystique », il est essentiel toutefois de redéfinir notre manière de nous exprimer de sorte à dépasser la tendance à voir y compris « l'expérience pure» comme une vue, c.à.d. comme étant elle-même une forme de perspective d'un « cadre de référence non référentiel » !
Bien que cette définition se récuse elle-même en réfutant son propre sens, en tant que la seconde partie de la proposition annule la première (ce qui en fait « l'affirmation d'une négation »), elle laisse toutefois suggérer que l'absence de tout « cadre de référence » puisse, lui-même, constituer un référentiel ! C'est comme l'aspect modal d'une vue amodale, où un point de vue en creux apparaît comme un point de vue en relief, tel le vide « en tant que tel » d'une pièce manquante d'un puzzle qui apparaît comme la présence « en tant que telle » du vide !
Inversons la proposition en inversant le sens du vécu phénoménologique. Plutôt que d'énoncer « l'expérience pure » comme cela qui apparaît au sortir d'une position située, disons que c'est le fait d'adopter un « point de vue situé » qui apparaît comme une expérience phénoménologique à la première personne au sortir… de l'absence de tout cadre de référence. Ainsi formulé, cela suggère une inhibition de l'inhibition de tout point de vue situé dans ce « cadre de référence non référentiel », ce qui revient à affirmer la vacuité… comme ayant force d'existence !
L'absence n'est pas une « chose en soi », et l'on ne peut « sortir » de ce qui n'a pas de limite ! Le « non-soi » de la personne (non substantialité, non idéalité, non dualité du « moi ») n'exprime pas une négation ouverte. Le vide n'est pas une présence, c'est la non présence d'une non-présence. La vacuité n'est pas une assertion, c'est la «négation non affirmative » de toute proposition alternative. Au-delà du non-soi de la personne, il n'y a pas de « véritable Soi ». « Après avoir nié l'existence absolue d'une individualité, aucun autre sens n'émerge. Si tel était le cas, la réfutation mènerait à la saisie d'une nouvelle existence réelle » FRS.
Le « non-soi » ne signifie pas seulement l'idée du caractère illusoire du « soi de la personne » (le caractère fabriqué de la saisie innée du soi par rapport au « mode naturel », non fabriqué, de la conscience hors de tout cadre de référence), mais exclut également toute définition qui suggère l'ontologie positive d'un tiers alternatif. C'est substantifier la vacuité (antidote à la croyance en l'essentialité des choses et de l'esprit) que d'interpréter le non-soi comme une « négation affirmative » !
Le silence de Nagarjuna après l'énoncé que la vacuité ne relève ni de l'ordre de l'être, ni de l'ordre du non-être, ni des deux à la fois, ni d'aucun des deux, signifie que l'absence de « cadre de référence » exclut toute définition positive. Les mots tels que « indicible », « ineffable », « inexprimable » recouvrent le sens de « qqc d'impossible à dire » ou à exprimer. Mais, ce n'est pas parce qu'une pensée ne peut pas être exprimée en mot qu'elle est impensable ! A l'opposé de la « négation affirmative » qui argue de l'existence d'une chose à l'impossibilité de la dire, une « négation non affirmative » réfute l'existence de ce qui ne peut pas être dit, ce que traduit la formule « libre d'assertion y compris de cette assertion elle-même ».
Le cogito de Descartes est une proposition affirmative, mais la méthode par laquelle il y aboutit, s'appuyant sur le doute en fait une « négation affirmative », sur la base du raisonnement suivant lequel s'il lui est possible de douter de tout, c'est parce qu'il existe. Le cogito argue implicitement de la nature de la conscience, et l'affirme explicitement par le caractère performatif de son énoncé. Il n'est donc pas l'expression du « mode naturel » de la conscience que Descartes cherche à exprimer, mais l'expérience de la « monstration » qui se vit sous un « mode réflexif » !
Mais pourquoi l'adoption d'un cadre de référence confère-t-il un caractère de réalité à l'expérience du « point de vue situé » ? Le caractère de « réalité » d'une chose ne dépend pas de son « fait propre », dont elle n'est pas le reflet de l'existence. Hors de tout cadre de référence, dans « l'expérience pure », les notions de réel et d'irréel, de vrai et de faux, ne font pas sens. La catégorisation de l'expérience comme « réalité » est relative au fait d'en faire l'expérience sous un « point de vue situé », non pas parce que son événement est vécu sous les modalités d'une phénoménalité qui serait synonyme de concrétude et de tangibilité, ni parce que le « cadre de référence » serait spécifiquement celui de la « subjectivité du sujet ».
La vue est notre sens principal de sorte que nous sommes tout particulièrement sensibles au réalisme de l'image. La forme a son importance, non pas qu'elle soit un gage de la véracité de son objet, mais parce qu'elle ne déclenche pas un sentiment de dissonance au regard de ce dont nous avons l'habitude de vivre au quotidien. Une simulation informatique apparaîtra d'autant plus « réelle » que l'impression de son vécu ne se distinguera pas de « l'expérience vécue » du point de vue situé du monde, y compris les interactions avec des personnages virtuels.
Ce n'est pas réel parce que c'est vécu, c'est « réel » parce que l'expérience est vécue d'un point de vue dont le positionnement situé est masqué à son propre fait, de sorte que son expérience ne se vit pas comme sa propre expérience ! Alors même que lorsqu'elle se vit en conscience de sa propre réflexivité surgit le sentiment de son irréalité ! Tout simplement parce que « tel n'est pas » le mode habituel de l'expérience située où la « monstration » ne se montre pas à elle-même !
NEM : Nature de l'esprit et méditation https://www.facebook.com/groups/243640070058/user/1594472591/
IV.41 La totalité de "ce qu'il y a"
Immobile sous l'effet de surprise,
Telle la bouche d'une cloche dans l'espace vide,
Tout le corps suspendu dans l'Espace,
A l'énoncé du sῡtra du vide…
Immobile après le dernier acte du son,
Tel le battant d'une cloche dans l'espace vide,
Sans axe d'orientation dans l'Espace,
A l'écoute du silence vide…
Invisible après le dernier tour du brandon,
Telle la course d'une étoile dans l'espace vide,
Sans point de vue situé dans l'Espace,
A la vue de l'absence vide…
Immuable après la dernière phase du cycle,
Telle la croissance de la Lune dans l'espace vide,
Sans reflet dans le miroir de l'Espace,
Au contact de sa surface du vide…
Insondable après le dernier cillement de l'œil,
Tel un mirage dans l'espace vide,
Sans point de vue incarné dans l'Espace,
Au vécu du rêve du vide…
Vous devez reconnaître que tout le corps de l'espace,
Vide de corps et suspendu dans l'Espace,
Sans forme n'est pourtant pas sans vie,
Sans intérieur n'est pourtant pas sans extérieur…
C'est le méta-espace qui prêche le sῡtra,
L'écriture est son avers, l'espace son revers,
La pensée invisible devient forme visible,
Tout, de la naissance à la mort, est l'ainsi !
C'est le méta-espace qui fait entendre le kōan,
L'oiseau est sa lyre, le langage son chant,
Le silence de l'hiver devient l'écho du printemps,
Tout, de la mélodie au silence, est l'ainsi !
C'est le méta-espace qui fait voir le kōan,
L'encre est sa forme, le papier son étude,
La plume vide devient sa généalogie,
Tout, du parent à sa filiation, est l'ainsi !
C'est le méta-espace qui fait toucher le kōan,
La main est sa sensation, le frisson son étreinte,
La caresse de l'air devient le contact des doigts,
Tout, du toucher à la sensation, est l'ainsi !
C'est le méta-espace qui fait vivre le kōan,
L'air est son moteur, le souffle son véhicule,
L'expérience est le lieu de son événement,
Tout, de l'apparaître à la cessation, est l'ainsi !
C'est sur l'espace que sont posés les sῡtras,
C'est dans l'espace que sont exposés les kōans,
Au moyen de l'espace, ils manifestent la pensée éveillée,
Ainsi que ce qui va au-delà de la pensée délibérée…
Dans l'Espace, au-delà de tout plan de l'espace,
Il n'y a point de basses ni de hautes dimensions,
La surface est identique à l'acte, les existants à l'espace,
Il n'y a ni ce qui est, ni ce qui n'est pas !
Dans l'Espace, au-delà de toutes probabilités,
Il n'y a ni champ des possibles ni potentiels actualisés,
La surface est identique à la Lune, la forme de l'eau à l'espace,
Il n'y a ni ce qui se reflète, ni ce qui est reflété !
Dans l'Espace, au-delà de tout point de vue situé,
Il n'y a ni objectivité du sujet ni subjectivité de l'objet,
La surface est identique à la pensée, la monstration à l'espace,
Il n'y a ni ce qui est vu, ni cela qui voit !
Dans l'Espace, au-delà de toutes les directions,
Il n'y a ni « centre sans centre » ni cadre de référence,
La surface est identique à l'infini, le fini à l'espace,
Il n'y a ni ce qui délimite, ni ce qui est hors de toute limite !
Dans l'Espace, au-delà de toutes assertions,
Il n'y a ni propositions négatives ni propositions affirmatives,
La surface est identique à l'ignorance, la sagesse au non-soi,
Il n'y a ni (non-être de l') être ni (être du) non-être !
Notre être physique est égal à l'Espace,
Non physique, sans étendue, sans obstruction.
La capacité à s'éveiller à notre véritable nature,
N'a pas de voie absolument bonne ou absolument mauvaise.
Inspiré d'après les stances 13 à 17 de Kokû méta espace SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Les analogies utilisées pour définir la conscience reflètent soit ses propriétés telle que la réflexivité (« écran » ou « miroir », qui servent de support aux pensées, lesquelles présentent un caractère de projection), soit décrivent son aspect spatial (« champ », «espace » qui constituent le lieu d'accueil des « contenus mentaux »), soit évoque la nature éclairante de la conscience (« claire et lumineuse »), soit encore suggère le «point de vue situé » depuis lequel le monde est vu.
Toutes traduisent l'idée d'une dualité de l'existence d'un sujet en regard de son objet de cognition, « l'observable » étant est ce qui apparaît en face de « l'observateur ». Toutes ces analogies font l'impasse sur l'expérience de la « monstration », sous la perspective de laquelle l'apparition de « l'observable » est conjointe à l'acte de son observation, en tant que tous deux sont coémergents de l'événement de (ce qui apparaît comme) la « conscience » sous l'apparence d'un fait propre.
« On voit le bleu et le vert, mais on ne voit pas qu'il y a expérience du bleu et du vert.
Cette expérience, nous l'ignorons, comme si elle était la vitre transparente
à travers laquelle passe la couleur même du bleu et du vert.
Ou encore (…) le bleu et le vert sont éprouvés comme autant
de qualités des surfaces de l'objet,
et non pas comme des aspects de l'expérience consciente » MB-CFC
Ces métaphores ne sont pas inadaptées, mais empreintes d'une connotation dualiste. Leur choix reflète un point de vue substantialiste dont il faut nous départager de sorte que la comparaison soit objective et non plus partisane en tant que projective de nos croyances ! Sous la perspective phénoménologique, l'analogie du « miroir » (ou du principe de « surface réfléchissante ») se lit ainsi de manière rectifiée comme un apparaître qui ne se différencie pas de « l'expérience de son apparition », en tant qu'ils sont tous deux constitutifs de l'événement de la phénoménalité de « l'acte de connaissance » de sa monstration, tel le reflet qui apparaît en perspective comme la surface de l'eau et non comme sa « réflexion » !
Lorsque notre visage apparaît sur la vitre à travers laquelle nous regardons, c'est la vitre elle-même qui, en fonction d'une conjonction de conditions particulières, apparaît à travers cette apparition, et lorsque l'angle d'incidence de la lumière change, la vision du reflet de notre visage disparaît en même temps que la vision de la vitre. C'est la même chose avec l'ombre et la lumière qui, bien qu'elles soient vues et pensées en opposition l'une par rapport à l'autre, n'existent pas l'une sans l'autre.
Donc, si nous voulons faire un juste emploi de ces métaphores, c.à.d. véritablement éclairantes car libérées de toute connotation essentialiste, il nous faut voir l'écran et le film, le miroir et le reflet, le champ et son contenu, l'espace et son étendue, la « clarté et la luminosité » et la transparence de l'espace, le « point de vue situé » et la perspective linéaire, comme une seule et même chose laquelle, elle-même, n'est pas affirmative de la nature objective d'un existant indicible et ineffable, mais au contraire pose sa négation non affirmative, « vide du vide ».
Les faits et l'expérience phénoménologique arguent du contraire ? Le film terminé, l'écran est toujours là, et à l'évanouissement des pensées, « l'espace mental » bien que vide de contenu est lui-même… le contenu de l'expérience consciente ? L'ombre disparaît à la disparition de la lumière, mais pas la conscience de leur disparition conjointe ? Pour autant, la « présence » est l'aspect de la monstration et non pas l'en tant que tel de la monstration ! La disparition de « ce qui apparaît comme étant montré par la monstration » (le bleu ou le vert à la surface de l'eau) est révélatrice de son événement (la couleur comme surface de l'eau, c.à.d. l'observable comme partie de l'observation), comme si un hologramme était lui-même son propre support !
« L'existence est semblable au tison brandi en cercle,
à la création, au rêve, à la magie, à la lune réfléchie dans l'eau,
au brouillard, à l'écho dans l'intérieur (des montagnes),
au mirage, au nuage » Catuhsataka.
Lorsque la Lune apparaît sur le lac, c'est en tant que vision distincte de la surface de l'eau qui en renvoie la lumière. De plus, nous avons conscience de voir le reflet de la Lune sur le lac, mais nous ne voyons pas la monstration elle-même qui nous fait en avoir l'expérience ! Nous voyons des phénomènes apparaître sans voir le « champ visuel » de l'œil dans lequel ils apparaissent, c.à.d. sans voir leur perception.
Or, en regardant de très près, à la « zone de contact » entre ce qui apparaît d'un côté comme la « surface de l'eau » et de l'autre la « lumière » à leur point de « rencontre », rien de tel n'existe objectivement ! Il y a seulement là un événement ! Ce qui nous apparaît comme le reflet de la Lune à la surface de l'eau n'est autre qu'une « figure d'interférence », dont la phénoménalité de ce qui semble être le croisement entre des ondes de lumière et des ondes de matière n'est elle-même… qu'une apparence !
En effet, les notions « d'onde » et « d'interférence » ne sont pas synonymes de la réalité d'un contact effectif entre des existant intrinsèques. Ce que nous voyons sous les modalités de la perception comme « ce qui nous apparaît comme » l'interaction entre la lumière et l'eau, ce n'est pas la combinaison de phénomènes physiques ayant des caractéristiques communes leur permettant d'interagir (en l'occurrence l'échelle des molécules en regard de la longueur d'onde de la lumière), c'est une description dans le formalisme du langage d'une relation formalisée dans ce langage !
La nature de cet « événement » n'est d'ordre ni ondulatoire, ni corpusculaire. A tout le moins, son expression formelle peut-elle être dite une « figure d'interférence » en tant que sa conditionnalité est l'expression de l'interdépendance des phénomènes. Ce qui est essentiel ici, c'est que la forme n'existe pas réellement (ultimement) !
Ce n'est pas seulement la conception métaphysique de la forme qui est réfutée – c.à.d. l'idée platonicienne de la forme comme le « modèle idéal » dont les choses sensibles sont le reflet, ou le principe aristotélicien qui fait d'une chose ce qu'elle est –, c'est la perception sensible du monde comme « dimension » des choses ! Il n'y a pas de forme qui existe en tant que fait propre, il y a simplement des « apparences » qui ne sont que des aspects de « l'événement qu'il-y-a ».
« La matière est semblable à une bulle d'écume,
la sensation à une bulle d'eau, la conscience à un mirage,
les voûtions au tronc du bananier, la connaissance à une magie :
voilà ce qu'a montré le Buddha, parent du soleil » Samyutta.
Tout événement est une « figure d'interférence » laquelle est vide en son événementialité. Non pas forme, mais acte ! Voilà ce qu'il y a seulement : des « aspects de l'apparaître » ! Toute forme est une « figure d'interférence », expression de l'interdépendance de conditions vides de substance, ce qui résonne de la formule du sῡtra du cœur « Le vide-forme est la forme-vide » ! A cause de cela dans la vacuité, il n'y a ni surface de l'eau, ni reflet de la Lune à la surface de l'eau, ni même l'expérience de la Lune qui se reflète à l'expérience de la surface de l'eau…
Si nous ne voyons pas la « monstration », c'est parce que l'apparaître et l'expérience de l'apparaître, l'observable et l'observation, ce qui est vu et « le voir », ultimement sans discontinuité d'essence et relativement sans obstruction d'apparence, ne sont pas de l'ordre de l'essentialité mais de l'existentialité ! L'expérience du « montré » n'a pas plus de limite en regard de l'expérience du « montrant », que l'eau n'a de surface susceptible de refléter la lumière de la Lune. Comme la surface de l'eau est le reflet de la Lune et le reflet de la Lune la surface de l'eau, la « monstration » de l'apparaître est l'apparaître de la « monstration », à elle-même son propre fait, sans voir la vue de son événement ni la saisir comme telle !
A cause de cela dans la vacuité, il n'y a ni (événement d'un) « point de vue situé » à la première personne sous lequel « je suis conscient » de l'expérience de voir la Lune se refléter à la surface de l'eau, ni (événement d'une) « conscience réflexive » du fait «d'être conscient » du reflet de la Lune sur le lac, ni même (l'événement de) «l'expérience pure » comme monstration hors de tout référentiel de monstration…
Il n'y a pas de forme qui soit de nature (existant objectivement), il y a l'événement de l'apparaître dont la monstration est vue comme forme (par un effet de perspective qui fait apparaître la monstration en dualité comme « le vu par le voir ») ou comme expérience pure, hors de tout cadre de référence ! L'événement de l'apparaître d'un cercle de feu dans l'air résulte de la monstration de l'action d'un tison enflammé brandi en cercle à une vitesse constante ; l'apparaître de l'écume à la surface de l'océan résulte de la monstration de l'événement de l'écume se formant sous l'action combinée du vent et de la force des vagues. Il en va ainsi de l'apparaître de tous les phénomènes composés impermanent, coémergent en leur monstration à un « point de vue situé » relatif ou à un « non point de vue non situé » en son événement…
Il n'y a pas d'espace qui soit par essence, il y a la seulement la monstration qui est l'événement de l'apparaître. Il n'y a pas d'espace qui soit le « contenant » de la totalité de l'apparaître, ni d'espace sans obstruction à tout événement de l'apparaître. Il y a seulement l'espace de la monstration libre de toutes assertions, commun à cet événement qui se lit « conscience », unique en son apparaître, multiple en l'infinie diversité de l'infinie variété de ses points de vue, relatifs à la perspective de chaque être sensible, dont la vacuité n'est autre que la nature de Bouddha.
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
IV. 42 Voir entre les lignes
Maintenant, l'homme en face du mur,
Et le mur en face de l'homme,
Dans cet esprit de « clôture et de mur »,
Se reconnaissent comme le plan du méta-espace…
Maintenant, tout ce qui est montré,
Et ce qui est saisit comme le voir « en face »,
Dans la perspective d'une « conscience située »,
Se reconnaît comme dimension de l'Espace…
Maintenant, tout ce qui apparaît dans cette clôture,
Et détermine la forme de ce qui est vu et de ce qui voit,
Sous l'angle d'une « conscience incarnée »,
Se reconnaît comme espace de l'Espace…
Maintenant, tout ce qui l'enclos entre ses murs,
Et circonscrit la perception comme sensible,
Sous la vue d'une « totalité de conscience »,
Se reconnaît comme l'intuition de l'Espace…
Maintenant, tout ce qui transparaît à son endroit,
Et se retourne sur lui-même à son envers,
Sous la monstration de « l'expérience qu'il-y-a »,
Se reconnaît comme plénitude de l'Espace…
Pour celui dont la vision suit les directions,
En regard de l'axe d'un point de vue situé,
L'Espace apparaîtra comme un monticule,
Entre les interstices des pierres…
Maintenant, le non-agir en face de l'espace,
Et l'espace en face du non-agir,
Dans cet esprit de « méthode et de Voie »,
Se complètent comme Espace…
Maintenant, le sans-obtention en face du possible,
Et le possible en face du sans-obtention,
Dans cette méthode de « non but »,
Se conjuguent entièrement comme Espace…
Maintenant, la non-pensée en face de la réflexion,
Et la réflexion en face de la non-pensée,
Dans cet esprit de « non forme »,
Se réfléchissent entièrement comme Espace…
Maintenant, le non-dicible en face du dire,
Et le dire en face du non-dicible,
Dans cet esprit de « négation non affirmative »,
Se neutralisent complètement comme Espace…
Maintenant, le non-fabriqué en face de la monstration,
Et la monstration en face du non-fabriqué,
Dans cet esprit de « non fabrication »,
S'éclairent mutuellement comme Espace…
Pour celui dont la vision s'abstrait de tout cadre,
Au-delà de tout point de vue incarné,
Chacune des douze heures devient le moment,
Où s'obtient et atteste le méta-espace…
Maintenant, l'espace en face du vide,
Et le vide en face de l'espace,
Dans cet esprit « d'ouverture sans obstruction »,
Se donne entièrement comme vide…
Maintenant, la clarté de la vision en face de la luminosité du voir,
Et la luminosité du voir en face de la clarté de la vision,
Dans cet esprit de « lumineuse clarté »,
S'interpénètrent sans s'interpénétrer comme l'Espace…
Maintenant, la transparence de la forme en face de l'espace,
Et l'espace sans forme en face de la transparence,
Dans cet esprit de « transparente spatialité »,
Se superposent sans surface comme l'Espace…
Maintenant, l'authenticité du non-agir en face de la spontanéité,
Et la spontanéité du non-agir en face de l'authenticité,
Dans cet esprit « d'authentique spontanéité »,
S'originent en causalité comme l'Espace…
Maintenant, la monstration en face de la conscientisation,
Et la conscientisation en face de la monstration
Dans cet esprit sans esprit de « non-dualité non affirmative »,
Se continuent dans la complétude de l'Espace…
Pour celui dont la vision s'abstrait de la vision,
Au-delà de la réalisation comme présence,
En ce moment même, l'exploration de l'illimité,
Est l'espace entre les pierres du mur en face…
Inspiré d'après la stance 18 de Kokû méta espace SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Que la « monstration » se donne pour l'apparaître (en sa distinction « d'observable ») à l'occultation de son expérience rend impropre de la qualifier de « totalité qu'il y a ». Ce qui apparaît comme « champ de l'expérience pure » ne saurait recouvrir le « tout de l'être absolu » MB-CFC comme le propose Husserl, n'étant pas autre que le « champ de perception » de l'observation relative. La monstration est une « heuristique de disponibilité » en tant que l'apparaître est « tout ce à quoi nous avons accès » MB-CFC, tout ce dont il est possible de faire l'expérience d'un « point de vue situé », relativement aux capacités de notre instrument de cognition (comme représentation et non comme « perception directe ») par effet d'énaction…
Comprenez bien, il ne s'agit pas de supputer l'existence propre d'un observateur doté d'un champ de perception déterminé qui limite (et définit) l'aspect de ce dont il est susceptible d'avoir conscience, comme la forme et les capacités du « champ visuel » de l'œil dépend des possibilités de son optique. C'est l'inverse ! Le champ visuel ne commence pas à la limite extérieure de la surface de l'œil, mais inclut l'œil lui-même !
Il suffit de considérer le phénomène des « corps flottants » dans le champ de vision, pareils à des poussières sur l'objectif d'un appareil photo qui, bien qu'ils semblent se trouver à la surface de l'œil, se situent en fait… à l'intérieur du globe oculaire ! Nous avons l'impression que le problème se trouve en face de nous, dans le « monde », ou à tout le moins à la surface de l'œil, alors qu'il se situe dans l'œil ! Avec les aberrations optiques, les illusions et les hallucinations, également, nous remettons en question la réalité du monde plutôt que d'interroger notre accès à sa connaissance…
Le « champ visuel » est à la fois le produit de l'œil en tant qu'il émane de son optique et s'en distingue, et la projection de sa mécanique dans la phénoménalité du « voir » en tant qu'elle participe, d'une manière pour ainsi dire « consubstantielle », de la construction de ce que l'œil donne à voir ! L'on ne peut séparer la phénoménologie de «l'expérience de voir » des modalités de l'acte de sa connaissance phénoménale, comme l'on ne peut séparer en nature la « surface de l'eau » du « reflet de la Lune », et de la « monstration du reflet de la Lune sur le lac », lesquels forment une « figure d'interférence » en tant qu'expression d'une conjonction de causes conditionnées, qui sont elles-mêmes la manifestation phénoménale de l'expérience de la monstration…
S'il s'agissait du « champ de conscience » d'un observateur, l'on pourrait présumer du caractère extensif de ses capacités et donc de l'évolution de sa connaissance et corrélativement de sa compréhension du monde. En présumant également que l'ouverture de sa focale à la totalité exhaustive du spectre de la lumière, en amenant à la complétude de la vision dans toutes ses longueurs d'onde, lui donnerait accès à la connaissance complète et donc véritable de la réalité, l'on pourrait en déduire la possibilité pour l'observateur d'accéder (pour ce qui concerne la vue) à l'omniscience.
De ce point de vue, prétendre qu'en l'état actuel de notre cognition, la « monstration » est la totalité de ce qu'il-y-a est donc pour le moins présomptueux ! Mais, supposer possible d'atteindre sa complétude, le point de son apogée où la connaissance que nous avons du réel coïncide totalement et parfaitement avec le réel, est une inférence erronée en tant qu'elle postule la dualité de l'observable à l'observation, et confond la monstration comme apparaître de « l'expérience de la monstration » …
Son « heuristique » se définirait ainsi comme le résultat d'un processus d'évolution impliquant le développement combiné des organes sensoriels (le toucher confirmant la vue, laquelle confirme l'ouïe), par énaction à l'ampliation des facultés sensorielles, en réciprocité à la formation d'une représentation mentale. Ce qui voudrait dire que la conscience que nous avons du monde, outre d'être une construction, ne serait pas mue par la pression sélective de « chercher à correspondre » à la réalité de ce qu'il-y-a véritablement, là-dehors, que nous appelons le « monde », mais à une nécessité de cohérence interne de son modèle. Une perfection de la cartographie qui entraîne le territoire à être subsumé par la carte, plutôt que la carte à épouser le territoire…
Un processus qui se décline à l'échelle collective, comme si un nombre indéterminé d'individus, à l'origine aveugles, sourds et privés de toutes facultés sensorielles, et donc ignorant mutuellement leur existence, développaient de manière conjointe par tâtonnement et feedback progressifs une perception combinée, agrégée autour de l'axe moteur d'une représentation commune. Selon ce modèle évolutionniste, ce ne serait pas seulement le cerveau qui est logé dans une « boite noire » (isolé du monde dont les informations lui parviennent par l'intermédiaire des organes sensoriels), c'est la conscience elle-même qui se vit dans une simulation en tant que la « monstration » serait alors constitutive de la « totalité qu'il-y-a » de la représentation !
Quelle que soit sa forme, quelles que soient ses modalités, quel que soit l'angle ou la perspective adoptée, quelle que soit sa précision, quel que soit son degré de détail, qu'elle atteigne ou non à l'exhaustivité, cette « heuristique de la monstration » relève d'une conception idéaliste de l'esprit comme « seule réalité ».
Qui plus est, le raisonnement qui y amène est pour le moins paradoxal puisqu'il part d'une « monstration » posée (en dualisme) comme le tout présumé de l'apparaître d'une réalité postulée, pour aboutir (en passant par la « négation affirmative » du monde extérieur) à une « monstration » définie comme l'apparaître de l'esprit lui-même comme « totalité de ce qui est » ! Que signifie donc la proposition husserlienne selon laquelle « le champ de l'expérience pure est le tout de l'être absolu » ?
Un bol en laiton fondu dans un four à bois ressortira aussi noir que la suie à la fin de sa cuisson. Il faudra le frotter méticuleusement pour enlever la couche de suie qui le recouvre, et encore plus pour le faire briller et révéler son aspect véritable. Or, même si une infime portion du bol en laiton était nettoyée, même si celle-ci était terne et ne brillait pas encore, même si la nuit tombait et la pénombre rendait plus difficile d'en soupçonner le résultat final, et donc bien que la « monstration » soit très loin d'atteindre à la « totalité de ce qu'il-y-a » s'agissant de la nature du bol lui-même, « l'expérience de la monstration » ne s'en donnerait pas moins entièrement !
« L'expérience de la monstration » se donne entièrement et sans restriction, en toutes circonstances, alors même que « l'apparaître » qu'elle donne à voir est toujours et entièrement relatif d'une « heuristique de la monstration » ! Alors que les aspects de la monstration, qui se déclinent comme « d'infinies variations d'infinies combinaisons » de perspectives, sont par l'effet de leurs « points de vue situés » dépendants de causes, contingents de conditions, et extrêmement sensibles aux variations initiales, «l'expérience de la monstration », non fabriquée, hors de tout cadre de référence spatial et temporel, est libre d'assertion en sa vacuité telle quelle !
En ce sens, « tout ce à quoi nous avons accès », tout de ce qui est donné, ne se lit pas comme la totalité exhaustive d'un « apparaître de la monstration », entièrement achevé dans la complétude de sa forme manifestée en regard de ses infinies possibilités de manifestation (par définition impossible à embrasser !), mais comme la clarté, la luminosité, la transparence, la spatialité, la spontanéité de « l'expérience de sa monstration » à l'acte non fabriqué de sa donation.
« Le méta-espace – ko, « (le) rien » et kû « (le) vide » [non vide] –
est un espace de la Réflexion [de soi en soi-même]
où se réalise l'unité dialectique de la Vacuité et des formes-couleurs
[dont] l'essence est comme la lune au milieu de l'eau » YO-VID.
Cette « unité dialectique » est en-deçà de toute dualité, au-delà de tout dire, par-delà toute perception. Originelle sans origine, singulière car tel un anneau de Moebius, elle n'a de face qu'en son propre opposé, lesquelles faces, puisque originées par l'interdépendance des phénomènes, sont vides des deux côtés (du phénomène et de la phénoménologie), lesquelles apparaissent en perspective l'une de l'autre sans dialogue puisque sans opposition ni dualité, sans obstruction, ni discontinuité…
Ainsi, « l'heuristique de la monstration » n'est pas un hypothétique contenu dont l'hypostase de l'absolu serait « à découvrir », à démontrer, à affirmer en sa positivité ontologique, au terme de l'achèvement de sa vision (autrement dit ce n'est pas une réalité objective). Mais, c'est « cela qui est propre à [le] découvrir » CNRTL. Non pas le but à atteindre, mais la méthode à employer, laquelle vise à permettre la mise en évidence de l'ainsité de la découverte elle-même dans l'espace de la réflexivité « de soi en soi-même ». La réalisation de la vacuité n'est pas un état qui correspond à un aboutissement (dont la Bouddhéité serait le parachèvement et l'omniscience la nature de Bouddha), c'est l'acte de la donation claire, lumineuse, transparente, spatiale, spontanée de l'expérience pure de sa monstration.
YO-VID : Le voyage intérieur de Dôgen https://www.shobogenzo.eu/archives/2012/11/04/25499301.html