IV.26 Poétique de l'ainsité - Les métaphores du Dharma

Retrouvez ici les poétiques de l'ainsité de IV. 43 à IV. 48
8. Les métaphores du Dharma
IV.43 Le monde est un miroir
En sa présence identique à son absence,
Dans ce vide en soi sans contenu propre,
Où toute chose apparaît telle qu'elle est,
Comme un miroir qui se reflète en miroir…
En sa logique identique à son raisonnement,
Dans ce paradoxe sans contradiction apparente,
Où le vrai du faux apparaît tel qu'en son prédicat,
Comme un énoncé qui se reflète en sa
définition…
En sa réfutation identique à son infirmation,
Dans cet accord sans convergence objective,
Où la mesure est un fait tel qu'elle est,
Comme une réalité qui se reflète en sa possibilité…
En son observation identique à sa théorie,
Dans sa corroboration sans preuve absolue,
Où la fidélité est l'orientation à la pertinence,
Comme un fait qui se reflète en son explication…
En sa conclusion identique à sa proposition,
Dans sa négation sans valeur affirmative,
Où la non-existence de l'existence fait sens,
Comme une vue qui se reflète perspective…
Ce qui apparaît depuis un « point de vue situé »,
A la moindre variation, aussitôt, cesse d'exister,
Sa disparition est sa monstration telle quelle,
Son événement se reflète à l'existence !
De la même vision et de la même face,
De la même image et de la même fonte,
De la même pratique et de la même attestation,
Le présent apparaît dès qu'il se reflète au miroir…
Du même regard et du même angle,
Du même objet et de la même représentation,
Du même procédé et de la même orientation,
L'observation apparaît dès qu'elle se reflète observable…
Du même visible et de la même apparence,
De la même clarté et de la même transparence,
De la même méthode et de la même évidence,
L'espace apparaît dès qu'il se reflète miroir…
De la même perception et de la même figure,
De la même interférence et de la même forme,
De la même préhension et du même phénomène,
L'expérience apparaît dès qu'elle se reflète vécue…
De la même vision et de la même réalité,
Du même mirage et de la même présence
De la même émulation et du même événement,
La forme apparaît dès qu'elle se reflète vide…
A l'équinoxe de la révolution du cercle vide,
Où l'apparition coïncide à la vision,
Les pôles s'inversent sans rien inverser,
La monstration demeure identique à elle-même…
De tous mouvements, le miroir suit la direction,
Qu'ils se déplacent à la verticale ou à l'horizontale,
La multitude des existants s'y reflète en cercle,
Sans que le moindre détail de leur vie ne soit voilé…
De toutes les manifestations, le miroir suit l'expression,
Qu'ils apparaissent formes ou couleurs,
La multitude des phénomènes reflète la physique,
Sans que le moindre fait ne soit voilé…
De tous les vecteurs, le miroir suit l'orientation,
Qu'elles apparaissent au zénith ou au nadir,
La multitude des perspectives reflète la physique,
Sans que le moindre point de vue ne soit voilé…
De toutes les relations, le miroir sur l'interdépendance,
Qu'ils apparaissent fugaces ou durables,
La multitude des composés reflète la physique,
Sans que le moindre agrégat ne soit voilé…
De toutes les positions, le miroir suit la relativité,
Qu'ils apparaissent réalité ou illusion,
La multitude des observables reflète la physique,
Sans que le moindre aspect ne soit voilé…
Que l'on en voit une partie seulement ou la totalité,
La physique demeure toujours en son entièreté,
Séparée ou faisant partie de nous-mêmes,
Forme ou vide, elle est toujours monstration…
Inspiré d'après les stances 1 et 4 de Kokyō Le Miroir ancien SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Si j'émets la proposition « tout ce que je dis est vrai », et ensuite la proposition « tout ce que je dis est faux », cela revient à dire que j'ai menti, et donc que la première proposition est contradictoire à son énoncé ! « Si aucune des phrases que je formule n'ait vraie, alors cette phrase elle aussi est fausse ! Et inversement, si aucune des phrases que je formule n'ait fausse alors… elle est vraie ! C'est un paradoxe ! » PM
Si je dis « maintenant, je ne mens plus », c'est toujours vrai et donc… encore faux ! Tout ce que je peux dire n'y changera rien puisque toute nouvelle proposition est de facto placée sous l'égide… de la vérité du mensonge ! Ne pas pouvoir prouver une chose et son contraire garantit à la logique d'être logique, mais c'est aussi un cercle vicieux. Il n'y a pas moyen d'échapper à cette logique circulaire, pas de « porte logique » dissimulée quelque part qui permettrait, par un mouvement « méta-logique » (tel que discourir sur la logique en surplomb de ses énoncés) de pouvoir s'extirper de ce cul-de-sac en faisant un « pas de côté ». Il ne suffit pas de dire « tout cela n'est qu'un jeu » pour faire table rase de la logique !
En utilisant la logique, nous acceptons implicitement ces règles, et nous ne pouvons pas nous en abstraire simplement par le déni. Nous voiler la face ne change rien à la conclusion. Nous devons donc trouver une solution dans les limites de ce que le système nous autorise, ce qui n'exclut pas de modifier le postulat de départ. Si je dis que « tout ce que j'ai dit n'a jamais été vrai », alors la première proposition « tout ce que je dis est vrai » et la seconde « tout ce que je dis est faux » sont alors toutes deux fausses. Il n'y a alors plus de contradiction !
Considérons la proposition suivante : un tireur d'élite tire sur une cible avec une précision extrême, formant des impacts à intervalles réguliers de dix centimètres. Sur la surface bidimensionnelle de la cible vivent des créatures intelligentes qui, à l'observation de cette régularité, émettent l'inférence d'une loi invariante de « leur » univers. Mais imagions que soudain, les trous apparaissent de manière chaotique et imprévisible. Leur réalité en serait totalement bouleversée. Pour autant, devraient-ils en conclure que « la physique n'existe pas » TB ?
De l'observation de la succession du jour et de la nuit, nous déduisons une régularité imputable à un ordre sous-jacent. L'incertitude nous effraie. Présumer du fait que la réalité est régie par des lois qui la gouvernent permet de donner un sens aux choses. Sans loi, comment expliquer le mouvement des étoiles ou la simple trajectoire d'une balle ? Le fait a valeur de preuve. Qu'il nous soit possible d'observer le comportement du monde qui nous entoure induit la force de loi. Sans loi, l'univers n'aurait même pas exister car nous ne pourrions tout simplement pas l'observer ! L'argument à lui seul semble donc contredire l'assertion selon laquelle « la physique n'existe pas ».
« Une affirmation, une hypothèse, est dite réfutable si et seulement si
elle peut être logiquement contredite par un test empirique ou,
plus précisément, si et seulement si un énoncé d'observation (vrai ou faux)
ayant une interprétation empirique (respectant ou non les lois actuelles et à venir)
contredit logiquement la théorie » REF
Le critère de réfutabilité scientifique selon (une vision simple de la conception de) Karl Popper est que si une observation contredit la théorie, celle-ci est fausse. Qu'un livre tombe vers le sol plutôt que de flotter en l'air réfute la proposition « la gravité n'existe pas ». Or, vérifier une théorie implique d'effectuer une mesure, ce qui interroge quant aux conditions de sa faisabilité et à la pertinence de l'obtention de son résultat. Arguer que les faits prouvent la théorie, c'est oublier que la mesure elle-même est un fait dont la possibilité repose… sur des hypothèses !
« Si une prédiction est bien une sorte d'implication,
son antécédent n'est jamais une théorie toute seule,
mais toujours une vaste de conjonction de théories et d'hypothèses auxiliaires,
et c'est prenant tout cela ensemble que l'on peut déduire certaines observations
expérimentales. Et si l'observation n'est pas conforme du point de vue logique,
cela implique seulement la fausseté de la conjonction » CF-TRE
Les faits ne prouvent pas la théorie, ils ne font que la corroborer. Le critère de détermination de la pertinence d'une « théorie scientifique » ne repose donc pas sur sa capacité à ne pas être réfutée par les faits, mais à présenter une meilleure explication qu'une autre théorie en regard de son adéquation aux faits. Ainsi, même si les lois de la physique n'opéraient plus, les phénomènes ne pourraient pas se produire n'importe comment ! Le chaos ne pourrait pas être autre que ce qu'il serait possible d'observer en regard… du dérèglement de lois de la physique ! Cette observation constituerait un argument « méta-élenctique » c.à.d. qui valide la proposition selon laquelle « la physique est vraie » !
« L'argument méta-élenctique consiste à montrer qu'un philosophe
ayant réussi à nier la thèse de quelqu'un en employant l'argument élenctique
contre lui présuppose cette thèse niée dans la mise en œuvre même de cet argument.
Cela le conduit à réfuter la réfutation de la thèse ! » MB-CFC
Sur le plan logique, l'énoncé « la physique n'existe pas » vient après la proposition formulée depuis le début de la science « la physique est vraie ». Elle est donc fausse, comme est vraie la proposition « je mens » énoncée après avoir affirmé que tout ce que je dis est vrai. Même si nous étions nés sur une planète en rotation autour de trois étoiles où il serait impossible de déduire « l'existence » de lois régissant le monde sur la base de la simple observation du cycle du jour et de la nuit, une telle observation n'en constituerait pas moins un argument en faveur de l'existence de la physique eut égard à la possibilité même de leur observation ! « Si les mouvements du soleil semblent si irréguliers, c'est que notre monde possède en fait trois soleils. Sous l'influence de leurs interactions gravitationnelles, ils donnent naissance à ce mouvement imprévisible que nous appelons le problème à trois corps » TB.
Si l'on peut douter que « la physique n'existe pas », c'est parce que sa formulation, laisse ouverte la possibilité d'une explication à l'incohérence de la théorie aux faits, ce qu'Asimov exprimait en arguant que « toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». Qu'il ne soit pas possible de l'expliquer en l'état actuel de notre compréhension du monde ne permet pas d'inférer sa véracité.
« La raison pour laquelle une théorie est rejetée
ne se réduit jamais à ceci que l'expérience l'a réfutée.
L'élément déterminant, c'est toujours qu'on a une meilleure théorie » CF-TRE
Par exemple, dans l'hypothèse du tireur, la question à poser, c'est « où se trouve la limite des trous ? ». Est-elle incluse sur la surface bidimensionnelle ou dans l'espace du plan tridimensionnel ? Si la proposition selon laquelle « la physique n'existe pas » sous-entend « dans l'espace bidimensionnel », elle ne réfute pas pour autant son absence d'existence du tout ! Il serait plus juste alors de dire que la physique de la bidimensionnalité est le reflet d'une véritable physique, tridimensionnelle…
L'hypothèse de l'existence de plusieurs dimensions implique une physique unique qui subsume l'ensemble de l'édifice, s'exprime sur chacun des « plans dimensionnels » d'une manière qui apparaît différente aux êtres intelligents qui y vivent, au point d'y voir comme l'expression d'une nature et de leur faire croire que leur plan d'existence est à lui seul un univers indépendant. La conclusion n'en serait pas moins toujours la même, «il faut bien que la physique existe d'une manière ou d'une autre » !
Adhérer à la proposition revient-il à admettre l'existence de Dieu ? Certes, celui-ci n'a nul besoin d'être physicien ou mathématicien pour « créer » l'univers. Et l'observation semble en effet arguer d'une similarité du résultat avec l'existence de la physique même… en l'absence de physique ! Car si l'univers n'est qu'une pensée dans l'esprit de Dieu, sa « pensée » semble bel et bien… avoir force et valeur de physique !
Autrement dit, il faut que la proposition soit une « négation non affirmative », telle que « la physique n'a jamais existé », pour résoudre toute contradiction logique et ne pas laisser place au doute quant à la crédibilité de l'observation, y compris celui induit par le fait qu'il s'agirait d'une conclusion produite à l'observation des faits, et non d'une assertion qui se pose comme un prédicat logique.
« La théorie me donne des raisons de douter de la crédibilité de l'observation
bien davantage que cette observation ne me donne de raisons de douter
de la crédibilité de la théorie » CF-TRE
Cela permet de ramener le débat du fait à l'expérience. Pour cela, il faut commencer par éclaircir un point important. Qu'il n'y ait personne pour être témoin y compris du fait que la « physique n'existe pas et n'a jamais existé » ne serait pas l'équivalent du fait que l'univers n'existe pas, car les notions même d'existence et de non existence ne feraient tout simplement aucun sens !La proposition ne questionne donc, ni la nature de la réalité, ni le « principe anthropique » au sens fort selon lequel « l'univers doit (obligation, et non supposition) avoir des lois et des paramètres fondamentaux afin que des êtres évolués puissent y apparaître » PA.
La proposition fait écho à l'assertion selon laquelle « la conscience n'est pas quelque chose qui apparaît, elle est ce par quoi toute chose apparaît » MB-CFC. Ainsi, l'apparaître ne se départage-t-il pas de « la monstration, autrement dit de la conscience au sens large d'expérience » Ibid. N'est-ce pas là le sens que recouvre le mot « physique » dans l'acception que lui donne Wittgenstein en tant que « monde comme totalité des faits », c.à.d. qui englobe la totalité de ce qui est, dont les hypothèses quant à la nature de l'être, et les conditions de sa possibilité elle-même ?
La physique expérimentale est une science fondée sur les faits. Les effets des lois physiques s'observent à chaque instant de notre quotidien dans le comportement du monde et dans l'existence même des choses qui nous entourent. Ces lois peuvent être mises en équation dans un formalisme mathématique précis, et à notre échelle macroscopique, il est possible de faire des calculs avec une grande précision de sorte à corroborer leurs conjectures en regard de (l'examen de) l'observation des faits. Mais, peut-on voir la « physique » elle-même hors de toute manifestation physique ?
Depuis les origines de la science, le postulat qui guide les chercheurs est celui de la matérialité du réel, c.à.d. ce qui confère aux choses leur caractère palpable, tangible, mesurable, les rend perceptibles, saisissables, et sur lesquelles il nous est possible d'agir (la concrétude de ses formes, dimensions, couleurs, etc.).
« Au nom de quoi affirme-t-on vivre dans un monde fait d'entités physiques ?
Au nom d'une hypostase tacite des objets de la connaissance scientifique
et de la manipulation technologique. En fait, on accorde toute priorité ontologique
à ce sur quoi on peut agir, à ce que l'on peut manipuler, à ce que l'on peut viser,
dans une désignation de ce qui face à nous » MB-CFC
A chacune de ces révolutions (dans l'infiniment grand et l'infiniment petit), la science a repoussé plus loin les limites de la « matérialité » sans toutefois jamais abandonner le postulat d'une réalité physique objective – une position qui n'est plus tenable en physique quantique au vu des paradoxes que son attachement entraîne –. Le champ de la connaissance scientifique est si vaste et si étendu que la définition de la « physique » en subit des distorsions telles qu'il n'est plus possible de les englober sous une définition unifiée – un désir qui ne cesse toutefois de se traduire par la recherche d'une « théorie du tout » qui unifierait la théorie de la relativité et la mécanique quantique –. Derrière l'assertion « la physique n'a jamais existé », c'est donc la croyance en la réalité objective du réel qui est questionnée !
Une expérience l'illustre tout particulièrement, celle de la « double fente de Young » qui rappelle l'hypothèse du « tireur », remplacé ici par un laser. Les habitants de la surface de la cible en deux dimensions, voyant des points se former, en déduisent que les projectiles tirés sont des corpuscules, et en donnent une définition selon leur critère de la « matérialité ». Or, ils ignorent qu'un détecteur a été placé sur le chemin des électrons (lesquels sont d'abord passés par une première paroi percée de deux fentes), et que c'est la mesure effectuée à ce moment-là qui détermine la forme de la « figure d'interférence » résultante sur la cible, des particules plutôt que des ondes !
Autrement dit, ce qu'ils perçoivent à leur échelle et leur apparaît comme étant d'ordre matériel, dont ils donnent une définition dans des termes relatifs de « physique » et qu'ils considèrent comme la « réalité objective », n'est en rien la manifestation d'un «existant ontologique », mais la perspective de « l'événement qu'il-y-a », dont l'aspect de la phénoménalité est interdépendant de l'action effectuée en amont de leur position… par un expérimentateur hors de leur champ de perception !
Cela ne veut pas dire que la « physique n'existe pas » du tout, mais qu'au sens strict, la définition qu'ils en donnent est uniquement relative (et donc valide) à leur niveau de perception mais pas à un autre niveau auquel il n'est pas possible de l'appliquer. Corrélativement, si l'on définit la « physique » en regard de ce qui se passe en amont de la cible (à l'échelle microscopique ou quantique pour nous), là aussi, la description sera impropre à qualifier ce qui se passe en aval (à l'échelle macroscopique de ce qui nous apparaît comme notre univers quotidien). Selon le point de vue considéré , la physique existe ou… la physique n'existe pas (pour être tout à fait juste, l'on devrait dire « ni l'un, ni l'autre, ni les deux à la fois, ni aucun des deux » !).
Ce qui est important, ce n'est pas tant la réfutation de l'hypostase objectiviste à l'évidement substantialiste du concept d'existence, mais que ne sont là que… des assertions ! Ce que nous voyons comme la réalité « physique », (c.à.d. dont nous faisons l'expérience sous les modalités que nous définissons comme les propriétés ontologiques de la « matérialité »), n'est en définitive qu'une simple désignation «conventionnelle » de ce qui, libre d'assertion par nature, n'est dite « ultime » qu'en tant qu'elle n'est, elle-même, qu'une assertion, la vacuité !
Ce ne sont donc pas seulement les théories mais également ce sur quoi elles portent (la réalité matérielle du monde physique), et donc les faits qu'il est possible de mettre en évidence par l'expérience, qui sont constitutifs du formalisme de cette désignation ! Dans l'exemple, c'est tout ce qui se passe à la surface en deux dimensions de la cible pour les êtres qui y habitent, sous les modalités spatiales et temporelles sous lesquelles ils en font l'expérience. Aussi, rapportée à notre réalité spatio-temporelle, l'assertion «la physique n'a jamais existé » ne se veut pas le constat d'une incohérence entre la théorie et les faits mis pour la réalité, mais entre le formalisme de la théorie et… la nature formelle de la physique !
Les « objets quantiques » n'ont pas d'existence ontologique. Ce sont des formalismes utilisés pour décrire « l'indicible non dicible » ! La « réduction de la fonction d'onde » ne désigne pas un processus qui mêle un existant objectif à une mesure tangible, mais est de l'ordre… d'une opération mathématique ! L'observable ne possède pas une essence transcendante, il coémerge à l'observation. Ce sont deux aspects de « l'événement qu'il-y-a » qui, en tant que monstration, apparaissent comme perspectives corrélées de «l'apparaître » et du « voir ».
Le « point de vue situé » de la conscience n'est donc pas la caractéristique d'une propriété de celle-ci (propre à un existant objectif), mais un « effet de perspective » relativiste. Pas plus que la physique, la conscience ne peut être affirmée « exister, ne pas exister, les deux à la fois ou aucun de deux » ! La monstration (vide de forme) n'est autre que la physique, et la physique (en sa forme-vide) n'est autre que la monstration libre d'assertion (y compris de cette assertion même ) !
« Tous les phénomènes, le monde extérieur et tous ses habitants,
sont des apparences de notre propre esprit.
Les apparences sont l'esprit, apparaissant et pourtant vide,
vide et pourtant apparaissant. Les apparences sont inséparables du vide,
trompeur comme un rêve ou une illusion.
Ils ne sont rien et pourtant ils apparaissent
– Comme la lune sur l'eau » GR-CDC
CF-TRE : La théorie
peut-elle réfuter l'expérience ? https://www.youtube.com/watch?v=SXLHijQeYok
GR-CDC : Gendun Rinpoché, Conseils du cœur d'un Maître Mahamudra https://rinchenshop.com/fr/products/heart-advice-from-a-mahamudra-master?_pos=1&_sid=bc97c0676&_ss=r
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
REF :
carnets2psycho.net/pratique/article313.html
TB : Le problème à trois corps https://www.babelio.com/livres/Cixin-Le-Probleme-a-trois-corps-Tome-1/1459875
IV.44 Nos actes en miroir
Le discours en cercle de la multitude des possédés,
N'a ni brèche ni ombre de leur point de vue aliéné.
Deux personnes n'ont pas la même vue,
Leurs cœurs et leurs yeux se déchirent…
Le raisonnement en cercle de la multitude des dupés,
N'a ni salut ni échappatoire de leur point de vue aveuglé.
Deux personnes n'ont pas la même perception,
Leurs déductions et leurs conclusions s'opposent…
Les actions en cercle de la multitude des fous,
N'ont ni raison ni logique de leur point de vue absurde.
Deux personnes n'ont pas la même conception,
Leurs esprits et leurs mains se combattent…
L'idéologie en cercle de la multitude des fanatiques,
N'a ni espoir ni repentance de leur point de vue halluciné.
Deux personnes n'ont pas les mêmes valeurs,
Leurs paroles et leurs actes s'écorchent vifs…
Les erreurs en cercle de la multitude des ignorants,
N'ont ni répit ni fin de leur point de vue moral,
Deux personnes n'ont pas la même éthique,
Leurs vies et leurs existences s'anéantissent…
Nous pouvons tous le voir de la même manière,
Le mal peut nous apparaître bien de l'intérieur,
Et le bien nous apparaître mal de l'extérieur,
Car nous sommes semblables dans l'esprit et dans l'œil.
La « multitude des fous » va avec le miroir de la folie,
Étant elle-même l'image telle que le miroir la forge.
C'est la « multitude des fous » qui a la folie,
Ce n'est pas la folie qui est la « multitude des fous » !
Les être en faute vont avec le miroir de la méconnaissance,
Étant eux-mêmes l'image que le fait de méconnaître induit.
C'est la multitude des êtres en faute qui a la méconnaissance,
Ce n'est pas méconnaître qui est la multitude des êtres en faute !
La multitude des êtres non vertueux va avec l'oubli de la Loi,
Étant elle-même l'image telle que l'ignorance la forge.
C'est la multitude des êtres non vertueux qui ont le karman,
Ce n'est pas le karman qui est la multitude des êtres non vertueux !
La multitude des êtres en souffrance va avec l'aversion,
Étant elle-même l'image telle que la haine lui instille.
C'est la multitude des êtres en souffrance qui a de la rancœur,
Ce n'est pas la rancœur qui est la multitude des êtres en souffrance !
La multitude des êtres migrateurs va avec l'attachement,
Étant elle-même l'image à laquelle l'attachement l'enchaîne.
C'est la multitude des êtres migrateurs qui a de l'attachement,
Ce n'est pas l'attachement qui est la multitude des êtres migrateurs !
Nous pouvons tous en faire l'expérience de la même manière,
La rancœur peut nous apparaître fondée de l'intérieur,
Et l'attachement nous apparaître mal de l'extérieur,
Car nous sommes semblables dans l'esprit et dans l'œil.
Le grand miroir en cercle de la multitude des éveillés,
N'est ni imparfait à l'intérieur, ni terni à l'extérieur.
Deux personnes obtiennent la même vision,
Leurs cœurs et leurs yeux se joignent…
L'intention en cercle de la multitude des indulgents,
N'est ni flétrie à l'intérieur, ni immature à l'extérieur.
Deux personnes développent la même intention,
Leurs cœurs et leurs esprits s'additionnent…
L'altruisme en cercle de la multitude des bienveillants,
N'est ni incomplète à l'intérieur, ni négligée à l'extérieur.
Deux personnes cultivent la même morale altruiste,
Leurs cœurs et leurs mains se conjuguent…
La compassion en cercle de la multitude des miséricordieux,
N'est ni accomplie à l'intérieur, ni achevée à l'extérieur.
Deux personnes qui entretiennent la même compassion,
Leurs cœurs et leur vie s'unissent…
La sagesse en cercle de la multitude des connaissant,
N'est ni biaisée à l'intérieur, ni spécieuse à l'extérieur.
Deux personnes instruisent la même sagesse,
Leurs cœurs et leur vision se complètent…
Nous pouvons tous en faire l'œuvre de la même manière,
La compassion peut nous apparaître insondable de l'intérieur,
Et son action nous apparaître sans fin de l'extérieur,
Car nous sommes semblables dans l'esprit et dans l'œil.
Inspiré d'après les stances 7 de Kokyō Le Miroir ancien SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Les choses qui se produisent ne sont jamais telles que nous voudrions qu'elles soient. Au monde, à nos proches ou à nous-mêmes, il arrive toujours qqc que nous n'avons pas souhaité, que nous n'aurions pu prévoir, et dont nous n'imaginerons pas qu'elles pourraient se produire ou se reproduiraient encore... Notre regard sur la vie et notre conception de l'existence s'en trouvent d'autant impactés que notre ignorance de l'interdépendance, de l'impermanence, et de la vacuité fausse notre perception et nous fait croire en une image du monde qui n'est pas la réalité.
Dans la nature, les choses sont imprécises, aléatoires et fugaces : les dunes de sable se forment grain par grain et se défont d'une simple bourrasque de vent ; les couleurs de l'arc-en-ciel se superposent sans transition nette, et un simple mouvement des yeux suffit à le faire disparaître ; la limite entre le jour et la nuit, l'atmosphère et l'espace, est floue et indistincte... Et certains de ces intervalles d'indétermination ou leurs croisements sont irréductibles et demeureront à jamais insolubles.
Ainsi, le « principe d'incertitude d'Heisenberg » – c.à.d. l'impossibilité de connaître avec précision la position d'une particule si l'on connaît sa vitesse et inversement – ne provient pas d'un défaut instrumental. Il ne sera jamais possible de résoudre cette incertitude inhérente au caractère fondamentalement « indéterministe » du réel. Croire y parvenir témoigne de notre ignorance de « l'interdépendance » des «phénomènes composés », dont l'existence est rendue possible précisément parce qu'ils sont vides de substance – posséder une réalité ontologique caractérisée par une substantialité les rendraient autrement déterminés – !
Cette méconnaissance de la vue d'ensemble nous fait nous méprendre sur notre situation et nourrit l'espoir dans un changement salutaire, la possibilité de trouver un équilibre harmonieux, de maintenir une paix durable, ou si ce n'est une échappatoire à nos souffrances. En définitive, tout être sensible ne souhaite qu'une chose, être heureux (ce qui va de pair avec cesser de souffrir). Or, non seulement, nous ne savons pas comment nous y prendre, ce qui a conduit l'humanité sur des chemins meurtriers – les idéologies totalitaires du 20ème siècle –, mais notre condition existentielle nous aveugle quant à nos réelles possibilités d'y parvenir !
« L'ignorance, c'est ne pas connaître les faits, les connaître de manière erronée
ou en avoir une connaissance incomplète (…) Toutes les actions qui émergent de cette
ignorance relèvent de la spéculation (…) Si nous sommes confiants,
c'est uniquement parce que nous nous complaisons dans la félicité de l'ignorance.
Mais cette félicité ne dure pas car elle n'est rien d'autre qu'une constante surestimation
de nos chances en termes de probabilité et la sous-estimation des écueils » NPBQV.
Dans le monde des « trois corps », c'est l'absence d'une vue d'ensemble qui mène les acteurs, mus par l'espoir d'échapper aux extinctions de masse, à rechercher une solution au comportement chaotique des soleils, dont les modèles de prévisions parce qu'incomplets se révèlent erronés. C'est aussi une vision incomplète, combinée à leur expérience personnelle, qui conduit les deux principaux leaders du mouvement OTT à abandonner tout espoir dans la nature humaine quant à la capacité de l'homme de se gouverner lui-même, de vivre en paix avec ses semblables, et en harmonie avec la nature (par analogie, le « problème à trois comportements »), et les poussent à adopter des choix radicaux, dont l'un de faire table rase de leur propre espèce…
La solution a tout problème est toujours relative au contexte de son énoncé, lequel se construit en regard de notre condition… karmique actuelle ! Ainsi, les possibilités qui se présentent à nous, et les choix que nous faisons, ne sont pas le fruit du hasard (ni ne répondent à une nécessité qui nous dépasse), mais traduisent les empreintes de nos actes passés et de leurs conditionnements.
S'il est possible de déduire beaucoup choses du fonctionnement de la mécanique de l'œil à partir de ce que nous voyons, toutefois ce qui apparaît dans notre champ visuel n'est qu'un « point de vue » particulier et orienté. La forme sous laquelle les choses nous apparaissent n'est pas propre aux apparences, en réalité, elle traduit notre représentation du monde. Du point de vue du Bouddhisme, la vision que nous avons de nous-mêmes, d'autrui, de nos relations aux autres, et plus globalement de la « nature humaine », reflète notre capacité de discernement, laquelle est relative aux voiles de l'ignorance et des « émotions perturbatrices » qui conditionnent nos actions (en premier lieu desquelles le désir-attachement et l'aversion).
La personne est un « point de vue situé psychologiquement ». La vision de chaque individu est parcellaire et partiale, mais aussi profondément marquée par des biais de croyances. L'individualité n'est pas en cause, c'est méconnaître le point de vue de l'autre qui l'est ! De la simple querelle entre deux personnes aux conflits les plus meurtriers de l'histoire, en passant par toutes les rivalités interpersonnelles, tout différend a pour cause une vue erronée originée par la méconnaissance. Comment peut-on connaître ce que pense véritablement l'autre en son for intérieur à travers le filtre de nos propres conceptions, croyances et émotions perturbatrices ?
« (…) il n'y a pas de mal intrinsèque : il n'y a que de l'ignorance (…)
consistant à créer une étiquette soi, à la coller sur un phénomène composé
dénué de tout fondement, à lui donner de l'importance,
et à ensuite souffrir le martyre pour la protéger.
Cette ignorance conduit directement à la souffrance et à la douleur » NPBQV
La colère, la haine, et y compris l'amour, sont des sentiments purement subjectifs, « qui ne concerne que moi » ! Comment un sentiment qui prend vie dans la sphère la plus privée et incommunicable de deux âmes peut-il leur faire éprouver un sentiment de connexion quasi « télépathique » et « d'unité transcendante », sans qu'il ne soit en réalité un ressenti personnel qui transfigure une simple coïncidence en miracle ?
Malgré ce que nos sentiments peuvent nous faire croire, en tant que « point de vue situé psychologiquement », mais aussi « incarné émotionnellement », nous sommes par définition unique et donc, irréductiblement seuls dans notre position égocentrée. Le « je » est une île, incomplet et incomplétable, qui s'il pouvait se compléter… cesserait d'être lui-même ! Nous sommes ouverts tant que nous ne cessons d'enquêter pour essayer de comprendre les autres et le monde, et nous nous refermons sur nous-mêmes lorsque nous croyons avoir compris…
Si l'astrophysicienne ou l'écologiste avait connu les enseignements du Bouddha, ils auraient pu être en mesure d'avoir la « vision juste » de l'existence d'une solution à la souffrance énoncée dans le sῡtra des « quatre nobles vérités », qui en définit le remède comme les « trois entraînements de l'esprit » : la discipline (l'éthique qui amène à se «gouverner soi-même » et à agir vertueusement sans recourir à une force souveraine extérieure) ; la concentration ; et la sagesse (qui réalise la vacuité). Mais, même ainsi, la solution n'est pas définitive… dans les limites du système…
Lorsqu'il est scientifiquement établi qu'un « système à trois corps » est imprévisible et interdit toute solution universelle – en raison de sa forte sensibilité aux conditions initiales qui, en s'amplifiant sans fin, le rend incohérent –, il apparaît non seulement impossible de prévoir les ères chaotiques, mais aussi à long terme, d'empêcher la destruction… de tous les autres corps gravitant dans ce système ! Il est tout aussi naïf de croire que la décision des habitants de ce monde de « sortir du système » puisse dépendre d'un contact initié par l'homme, comme serait naïve la croyance de dindes de changer la décision du fermier de les sacrifier à l'occasion des fêtes !
Abandonner les actions non vertueuses et cultiver les actions vertueuses permet de changer son karman, mais ce n'est qu'une étape sur la voie. Étant donné le caractère omniscient de la souffrance inhérent à « l'existence conditionnée », il n'y de choix ultime face à la souffrance que… de sortir du samsāra par le nirvāṇa et l'Éveil !
Si problème il y a, son sens n'est pas de trouver comment le résoudre, mais de comprendre que la véritable réponse est qu'il n'y a aucune utilité à le faire ! Il ne s'agit pas d'abandonner tout espoir (attitude d'attachement à l'idée du bonheur, et volonté de vouloir échapper à la souffrance, à l'appui… de ce qui la cause !), mais d'abandonner l'ego ! Le samsāra n'est pas un problème sans solution – les lois du karman sont déterministes –, mais les situations chaotiques (la souffrance) auxquelles nous nous confrontons sont la mesure de notre cécité !
« Vivre en harmonie » avec la nature, c'est vivre en accord avec ce qu'elle nous donne et en déséquilibre avec ce qu'elle nous prend, et pour cela, il nous faut mourir au « je ». Que l'homme soit responsable de la destruction de l'environnement et de sa propre extinction potentielle ne le rend pas différent d'une espèce qui vit en parfaite harmonie avec son biotope. Il peut paraître fondé de croire que l'homme ne puisse s'en sortir seul, mais il est utopique de penser que le comportement écologique le plus vertueux puisse aller ultimement à l'encontre… de l'impermanence !
Comme la dinde qui voit arriver le fermier armé d'un couteau, toute situation qui nous met dos au mur, acculé, impuissant, face à un destin irréductible et inexorable (mais non insoluble), sont autant d'opportunités de nous permettre de voir notre cécité et de dépasser notre ignorance en nous ouvrant à la véritable nature du réel…
Du point de vue des créatures, le fermier apparaît « supérieur » à la dinde si l'on considère comme seul critère le fait qu'il ait droit de vie et de mort sur elle, mais du point de vue du karman, il n'y a aucune différence entre le fermier et la dinde !Le bourreau d'aujourd'hui sera sa victime demain ! Le corps du fermier et celui de la dinde sont des « points de vue incarnés », relatifs et temporaires, façonnés par leur génotype, leur phénotype et déterminés par… leur karmatype, dont la situation, les possibilités et les choix sont relatifs à leur type « d'existence conditionnée ».
L'ignorance de cet enseignement nourrit l'allégorie, plus que les graines les dindes ! Elle entraîne également à croire que la raison pour laquelle l'espèce humaine n'est pas encore entrée en contact avec une civilisation extra-terrestre (paradoxe de Fermi) est que l'univers serait une « forêt sombre ». Or, si du point de vue du prédateur et de la proie, la forêt est un environnement dangereux, il se trouve aussi que du point de vue de l'esthète, c'est un lieu d'enchantement, du point de vue du méditant, c'est un lieu de pratique, et du point de vue des Bouddhas, ce n'est qu'un rêve !
Du point de vue des êtres sensibles, ce serait une grande cause de souffrances qu'une rencontre avec une civilisation extraterrestre se solde par la disparition de l'un ou de l'autre des protagonistes. Du point de vue sotériologique bouddhiste, si une espèce vivante intelligente a des facultés similaires, cela en fait le véhicule propice de la «précieuse vie humaine » pour atteindre l'Éveil des Bouddhas. Il n'y aurait alors… pas de « perdant » ! Abandonner la recherche du « gain » et la peur de la « perte » fait d'ailleurs partie de ce sur quoi il nous faut apprendre à lâcher-prise pour dépasser le «point de vue situé » (et karmiquement incarné) de l'ego.
Il importe également d'aborder la question morale sous le bon angle, en commençant par comprendre que la raison n'est pas proportionnelle à la connaissance. Une civilisation plus avancée scientifiquement et technologiquement ne garantit pas une morale humaniste. Nul besoin d'aller chercher hors des frontières du système solaire, il suffit de considérer l'homme occidental en comparaison des peuplades indigènes reculées. Avec un savoir et des techniques de très loin inférieures aux prouesses de la civilisation moderne, celles-ci vivent en harmonie avec la nature, alors que depuis le début de l'ère industrielle, « l'homme occidental » qui se dit pourtant plus « civilisé » a, de plus en plus rapidement, entrepris de détruire la planète pour le profit…
Selon Kant, l'action morale doit être guidée par « l'impératif catégorique » de répondre au « principe d'humanité » qui consiste dans le devoir ainsi formulé : « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen » IP.
Or, conditionnée à une « fin », la préservation de l'exercice du « devoir d'humanité » l'emporte sur le principe même de l'action juste visée par « l'impératif catégorique » ! Autrement dit, jusqu'où sommes nous prêts à aller pour préserver notre humanité ?
A une morale érigée comme boussole – qui autorise tacitement l'emploi d'une force extérieure pour s'assurer du gouvernement de l'individu sous « l'impératif du devoir » –, Schopenhauer rétorquera que l'action morale authentique est un acte de sympathie spontanée, un mouvement du cœur, désintéressé, mue par la bonté, la bienveillante, l'altruiste et la compassion, pour lequel le rôle de la raison morale n'est pas de nous imposer de faire, mais de nous retenir quant à ce qu'il ne faut pas faire !
NPBQV : N'est pas bouddhiste qui veut, Dzongsar Khyentse Rinpoché www.babelio.com/livres/Norbu-Nest-pas-bouddhiste-qui-veut/82894
IV.45 Des reflets sans miroir
Est-ce le mirage qui apparaît sur l'horizon (vide),
Où le désert qui fait apparaître le mirage ?
C'est comme si avec le désert naissait le mirage.
L'un peut naître avant, mais pas sans l'autre…
Est-ce le vide qui apparaît dans la conscience,
Où la conscience qui s'apparaît vide ?
C'est comme si la conscience matérialisait le rien,
L'un peut visualiser l'autre, mais pas sans l'autre…
Est-ce le printemps qui fleurit en fleur de prunier,
Où le vieux prunier qui fait éclore le printemps ?
C'est comme si avec le prunier se succédaient les saisons,
L'un peut faire éclore l'autre, mais pas sans l'autre…
Est-ce le reflet qui apparaît à la lumière,
Où la lumière qui fait apparaître le reflet ?
C'est comme si avec la lumière apparaissait la vitre,
L'un peut refléter l'autre, mais pas sans l'autre…
Est-ce les nombres qui apparaissent sur la rétine,
Où la rétine qui fait apparaître les nombres ?
C'est comme si avec l'œil apparaissait la vue,
L'un peut simuler l'autre, mais pas sans l'autre…
L'intérieur présuppose l'extérieur,
Et l'extérieur est l'ombre projetée de l'intérieur,
Ils ne sont ni l'avers ni l'envers,
Tous deux sont la vision en cercle du grand miroir…
Ce n'est pas une chose au-delà d'une autre,
Il n'y a jamais eu d'avant et d'arrière,
Les deux peuvent être vus de la même manière,
Le vide de l'objectivité est l'objectivité du vide…
Ce n'est pas un point de vue au-delà d'une position,
Il n'y a jamais eu de mesure ni de mesuré,
Les deux peuvent être vus sans obstruction,
Le vide de la mesure est la mesure du vide…
Ce n'est pas un observable au-delà de l'observation,
Il n'y a jamais eu de connaissable ni de connu,
Les deux peuvent être vus sans discontinuité,
Le vide du connaissant est la connaissance du vide…
Ce n'est pas une perspective au-delà de l'œil,
Il n'y a jamais eu de regardant ni de regardé,
Les deux peuvent être vus sans transition,
Le vide de la vision est la vision du vide…
Ce n'est pas une chose au-delà des mots,
Il n'y a jamais eu de signifiant ni de signifié,
Les deux peuvent être vus sans métaphore,
Le vide du sens et le sens du vide…
Telles qu'elles se présentent devant nos yeux,
Tous deux se ressemblent à l'intérieur et à l'extérieur,
Ni de moi, ni de qui (ou de quoi) que ce soit,
Seulement la vision en cercle du grand miroir…
Leur ressemblance est celle du désert et du vent,
Le mirage apparaît comme un souffle dans l'œil.
Sa manifestation se voile d'illusion,
Sa compréhension libère la vision…
Leur réunion est celle de la terre et du soleil,
L'aube apparaît comme un rayon dans l'œil,
Son étoile aveugle la contemplation,
Son silence parachève la méditation…
Leur convergence est celle de causes et conditions,
La pluie apparaît comme une goutte dans l'œil,
Sa chute clôt la paupière du méditant,
Son écho en ouvre le regard…
Leur union est celle de l'angle et de la perspective,
L'arc-en-ciel apparaît comme une aura dans l'œil,
Ses couleurs ensorcellent l'esprit,
Sa nitescence éclaire la lucidité…
Leur émergence est celle de l'ici et maintenant,
L'évidence apparaît comme un cillement d'œil,
Son expérience masque le rien à cacher,
Son événement le révèle…
Mêmes les formes et les images à l'intérieur,
Ainsi qu'à l'extérieur, ont un esprit et des yeux,
Et peuvent voir de la même manière,
Rien que la vision en cercle du grand miroir…
Inspiré d'après la stance 9 et 10 de SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Les réflexions philosophiques et phénoménologiques relatives à la nature de la conscience ont mis en évidence que ce qui fait la singularité de toutes choses, y compris de la conscience elle-même, par essence vide, n'est pas de l'ordre d'une propriété inhérente, mais relative à la perception que nous en avons, laquelle occulte la monstration elle-même. Nous voyons le monde et nous en faisons l'expérience, mais nous ne voyons pas que nous le voyons, que nous en faisons l'expérience !
« L'expérience est au cœur de toutes ces choses que nous avons tenté de réduire,
et c'est toujours le "résidu non réductible" (…) Nous sommes toujours partis de
l'expérience sensible, mais c'est aussi l'horizon de la recherche
parce que plus on avance dans la recherche, plus en voit que qqc est absent
de la prise en compte objective, et c'est précisément cette origine » MB-PASO
Puisque la conscience est la condition de la possibilité même de l'apparaître –non pas seulement de l'apparition des choses et de leur perception dans le « champ de conscience », mais en tant que perspective de la monstration, c.à.d. du sujet et de l'objet –, toute science est adossée à la cécité du « champ de l'expérience ». Entre le «problème à trois corps » et le « problème difficile de la conscience », il y a le même oubli de la monstration, la même occultation du « point de vue situé », qui ne laisse pas voir ni entrer dans l'équation la perspective de l'observateur…
Avez-vous essayé de « faire le vide » dans votre esprit, de le vider de tout contenu (pensée, image, impression, etc.). Pouvez-vous imaginer ce qui apparaîtrait alors ? « Le premier vide que j'ai créé dans ma conscience a été l'infinité de l'espace sans rien dedans, pas même de la lumière, entièrement vide » TB. Ne manque-t-il pas qqc dans cette description ? Comment le « vide » apparaît-il ? A partir « d'où » et depuis « où » est-il vu ? Si en faisant le « vide » dans son esprit, le méditant s'abstrait de tout « point de vue situé », sinon ce n'est pas le vide, comment peut-il alors en faire l'observation d'une manière… paraît située ?
Maintenant, imaginez un objet dans ce vide mental, un seul, par exemple « une sphère, pas trop grande, possédant une masse en plein milieu du vide ». Que voyez-vous à cet instant ? Que se passe-t-il dès lors ? Étant seul dans le vide, il s'ensuit logiquement que « (…) rien ne pouvait agir sur cette sphère et elle-même ne pouvait agir sur rien. Elle était seulement là, suspendue, sans jamais faire le moindre mouvement, sans jamais connaître le moindre changement » TB.
Si votre esprit est réellement vide (c.à.d. sans rien qui y apparaisse, mais aussi sans aucune activité de représentation, ni de conceptualisation), alors comment une telle observation peut-elle avoir lieu ? Le premier problème est que « vous ne voyez pas que vous ne voyez pas », le second est qu'en « imaginant le vide », ce n'est pas le « vide » qui apparaît, c'est une représentation ! L'absence n'est pas une « présence ». Elle n'a pas d'aspect modal ! Si c'est une présence, fût-ce même un sentiment diffus et impalpable, ce n'est pas le vide – c'est d'ailleurs le fait de confondre le sentiment de cette « présence » avec la monstration elle-même qui induit l'erreur d'identification du « véritable Soi » des traditions non duelles –.
Sur le plan physique maintenant, imaginez les plaines désertiques du monde des « trois corps », dont l'un des soleils est constitué d'une couche externe gazeuse très clairsemée qui contraste avec un noyau dense et très lumineux. Selon la distance au soleil, il se produit un effet d'optique singulier. « (…) au-delà d'une certaine distance, la couche gazeuse du soleil ne nous apparaît pas visible depuis l'atmosphère. Nous ne voyons plus que son noyau brillant. C'est pourquoi le soleil se réduit d'un coup dans notre champ de vision à la taille de son noyau et devient une étoile volante » TB.
Avec toute une partie du « champ de l'expérience » qui disparaît à l'expérimentation – dont les effets gravitationnels et la prise en compte du « champ gravitationnel » formé par les trois soleils en regard de leurs trajectoires –, la compréhension de la mécanique stellaire en est faussée. Les modèles prévisionnistes étant construits sur l'ignorance du « problème des trois corps », les conséquences qui en découlent pour les habitants de la planète sont conséquemment désastreuses.
Que problème soit mal posé n'induit pas que la porte reste ouverte à une hypothétique solution, puisque lorsqu'il finit par être « bien posé », il s'avère définitivement sans solution. Ce n'est donc pas qu'il n'y a jamais eu de « problème à trois corps », c'est que la notion de « problème » relève du même ordre que celle de « paradoxe », c.à.d. d'un présupposé d'objectivité lequel est inféré à partir… de l'omission de la monstration ! Comme il le dit maître Dōgen dans le Shōbōgenzō, « cet univers entier n'est jamais caché » SHGZ. Même si nous ne voyons pas l'œil dans le reflet de la vitre, c'est parce qu'il y a l'œil et le champ de vision, qu'il y a la vue de la vitre…
Dans l'allégorie de la « double fente » comme métaphore sophistiquée de l'hypothèse du tireur, la localisation du « point de vue situé » est sans incidence sur le résultat qui demeure identique quel que soit l'emplacement de l'observateur, en amont comme en aval de la mesure (et y compris lorsque la lecture en est faite ultérieurement !). Il n'est pas possible de dissocier (autrement que comme « isolats conceptuels ») le « point de vue situé » de la mesure en tant que telle d'un existant en tant que tel, laquelle est l'événement de la coémergence de la perspective de l'observable à la perspective de l'observation sur base de l'occultation de la monstration.
Le « point de vue situé » à la surface bidimensionnelle de la plaque montre une figure d'interférence qui présente la forme d'impacts comme si la nature de la lumière était composée de particules. Le « point de vue situé » au niveau du détecteur, après la première plaque, acte de cet aspect par la mesure qu'il effectue de telle sorte que le flux de lumière adopte effectivement un comportement de type corpusculaire. Et si l'on imagine que l'on déplace le « point de vue situé » en amont de la première plaque pour tenter de connaître la nature véritable de la lumière avant la mesure, l'on ne trouvera rien qui corrobore son objectivité, mais bien encore une fois une « mesure avant la mesure » qui fait apparaître la lumière comme… constituée de particules !
Le point commun entre ces trois occurrences est l'occultation du processus qui fait apparaître l'observable (la lumière vue en tant que particules) comme « l'ombre de la mesure » en coémergence à l'observation relative du « point de vue situé », dont la monstration est aveugle. Lorsque nous observons sa trajectoire, du lever au couché en passant par le zénith, le soleil nous apparaît se mouvoir dans le ciel tandis que nous sommes immobiles, alors que la Terre se déplace dans le même temps ! Nous ne voyons pas la monstration ! Ce que nous voyons, ce sont seulement les effets de la relativité entre « l'observable » de la forme telle qu'elle nous apparaît (en l'occurrence ici le soleil) à son « observation » (le mouvement), en sa monstration implicite.
Ainsi, de même que la notion de « paradoxe » en mécanique quantique découle du postulat d'objectivité inférée aux « observables quantiques », la notion de « problème » provient de la dualité inférée à la discrimination de l'observable à l'observation, sur fond d'omission de la monstration, laquelle subsume toutes apparences.
Prenons comme « point de vue situé » la seconde plaque sur laquelle se forme la « figure d'interférence » à partir de laquelle des êtres sensibles vivant à sa surface bidimensionnelle en induisent que la lumière est faite de particules. Nos yeux ne voient pas à la vitesse de la lumière, et ne pas voir la manière dont les apparences se forment a pour effet de biaiser notre perception, de sorte que les phénomènes apparaissent comme s'ils possédaient une réalité objective. Que la lumière se comporte comme si elle avait une nature corpusculaire et que ses grains mettent en évidence leur forme inhérente par « l'agrégation de contacts successifs », ou que la lumière se comporte comme si elle avait une nature ondulatoire et que ses émissions révèlent leur présence par « l'addition de vagues successives », de notre point de vue, les choses ainsi mises en relief semblent exister de leur côté indépendamment.
Mais imaginons que nous enlevions la plaque et attachions à chaque grain de lumière un fil minuscule qui le relie à sa source. Lorsqu'ils sont tirés dans la même direction, et que les fils se tendent, les grains de lumière s'arrêtent dans l'espace et s'empilent les uns aux autres en formant des amas tridimensionnels. La « figure d'interférence » obtenue présente la même apparence à un détail près, plutôt que d'éclairer un objet existant, c'est leur amoncellement qui le fait apparaître ! Cela rappelle la proposition « il n'y a pas d'objets qui se meuvent, seulement du mouvement qui apparaît objet » !
Mais, comment cela peut-il changer le fait de ne plus voir les choses comme si elles semblaient posséder une réalité objective, mais comme des « observables » faisant partie de « l'observation », lesquels seraient deux aspects, facettes ou perspectives de «l'événement qu'il-y-a » dont nous ne voyons pas que nous faisons l'expérience ?
Car en effet, même si l'apparaître de la « forme » est engendré par une combinatoire d'éléments dont l'analyse, par réduction infinitésimale, amène au constat de leur vide de substantialité, pour autant, comment « l'espace », sans obstruction, incomposé et non-né, peut-il entrer dans la constitution de la « phénoménalité de l'apparaître » ?
Imaginons pour l'appréhender, que ces ombres vides qui flottent dans l'espace vide et qui apparaissent sous la perspective de « figures d'interférences » perçues comme formes, dimensions et couleurs, sont en réalité pareilles à un mirage sur l'horizon d'un désert bouillant... Le mirage qui se forme est totalement dépourvu de consistance, et n'a absolument aucune existence objective. Ce n'est qu'un simple effet d'optique, vide de toute existence ontologique. Et pourtant, il nous apparaît tel qu'il nous semble exister de son « propre côté », flottant dans l'espace au-dessus de l'horizon comme si l'espace et l'horizon eux-mêmes possédaient une réalité objective !
Le monde et tout ce qui nous entoure, notre esprit et ses différentes stratifications – la «saisie innée du soi » n'est elle-même qu'un mirage –, sont à l'avenant, c.à.d. sans rien à cacher, totalement transparents à leur propre transparence ! L'apparence composite des « phénomènes composés impermanent » n'est autre que les modalités de leur observation comme « observables », perspective sous laquelle ils nous apparaissent «tels quels » à l'occultation de leur monstration ! Le saisir implique de se départager du dernier résidu de croyance objectiviste quant à la nature phénoménale des « figures d'interférence », de la mécanique de l'interdépendance par conjonction de causes et conditions, jusqu'à ce que tout devienne translucide, évanescent et sans obstruction à la réalisation de la vacuité
MB-PASO : Le point aveugle de la science et son dépassement www.youtube.com/watch?v=EbCdiMy3KCk
TB : Le problème à trois corps https://www.babelio.com/livres/Cixin-Le-Probleme-a-trois-corps-Tome-1/1459875
IV.46 Derrière la vitre
A l'arbre ultime, point de racine,
Au Miroir clair, point de support.
Dès l'origine, point d'existant,
Où serait donc la poussière ?
A la réalisation suprême, point de mot,
Au Miroir clair, point de définition.
Dès l'origine, point de langage,
Où serait donc l'incompréhension ?
Au cercle parfait, point de début,
Au Miroir clair, point de surface,
Dès l'origine, point de centre,
Où serait donc la limite ?
A l'esprit perçant, point de cécité,
Au Miroir clair, point de fausseté,
Dés l'origine, point de magie,
Où serait donc l'illusion ?
A l'expérience pure, point de soi,
Au Miroir clair, point d'agrégat,
Dès l'origine, point de « je »,
Où serait donc la sensation ?
Si vient la clarté, tapez la clarté !
Si vient la poussière, tapez la poussière !
Si vient la question, tapez la question !
Si vient la réponse, tapez la réponse !
Tout ce qui est clair et lumineux,
Toutes les clartés sont le Miroir clair,
Dès l'origine, au-delà de tout lieu.
Où serait donc le lieu où le trouver ?
Tout ce qui est réfléchi et diffusé,
Tous les reflets sont le Miroir clair,
Dès l'origine, au-delà de toute réfraction,
Où serait donc la forme pour le former ?
Tout ce qui est manifesté et exprimé,
Tous les existants sont le Miroir clair,
Dès l'origine, au-delà de toute substance,
Où serait donc l'être de son être ?
Tout ce qui est vu et ce qui voit,
Tous les regards sont le Miroir clair,
Dés l'origine, au-delà de tout apparition,
Où serait donc la vue en dehors de la vision ?
Tout ce qui est causé et conditionné,
Tous les relations sont le Miroir clair,
Dés l'origine, au-delà de toute indépendance,
Où serait donc le désigné hors la désignation ?
Lorsqu'une question naît, une réponse naît,
Lorsqu'une réponse s'élève, une question s'élève,
Lorsqu'un événement se produit, un autre se produit,
Lorsque rien n'apparaît, le rien apparaît !
L'univers est la face de l'Ancien Miroir,
Dès l'origine, point d'amas de terre.
Est-il possible qu'un seul grain de poussière,
Ne soit pas dans ou sur le miroir ?
Le voyant est la face intérieure du voir,
Dès l'origine, point de « point de vue situé ».
Est-il possible qu'une perspective incarnée,
Ne soit pas le fait ou l'effet d'un reflet ?
L'espace est la face extérieure du voir,
Dès l'origine, point d'étendue ni de durée.
Est-il possible qu'une seule seconde,
Ne soit pas le juste moment de la réflexion ?
Le vide est la forme de l'événement qu'il-y-a,
Dès l'origine, point de plan ni de dimensions.
Est-il possible qu'une seule facette,
Ne soit pas l'aspect de l'œil tout entier ?
L'observable est la perspective de l'observation,
Dès l'origine, point de séparation de l'un et de l'autre,
Est-il possible qu'un seul de leurs reflets,
Ne soit pas la monstration en tant que telle ?
Comment la plante qui n'est pas d'abord graine,
Pourrait-elle subsister sans la terre ?
A plus forte raison, le reflet qui n'est pas du Miroir,
Pourrait-il avoir lieu sans le Miroir ?
Inspiré d'après les stances 12 et 14 de Kokyō Le Miroir ancien SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Le vide n'est pas le vide. Cette proposition en apparence absconde exprime l'idée que la vacuité, śūnyatā – l'absence d'existence substantielle, d'essence ontologique, de toutes choses, incluant l'esprit (et y compris de la vacuité elle-même) – n'est pas le vide au sens de « l'espace vide », l'espace étant lui-même vide d'existence propre ! Méditer la vacuité, ce n'est pas « visualiser le vide ». Si la métaphore a son intérêt, c'est dans la prise de conscience de ses limites, en particulier de l'hypothèse qu'il est possible de connaître la nature de la conscience à travers le reflet de l'expérience…
Le recours à des figures de style de rhétorique, telles que l'analogie, la métaphore ou l'allégorie pour décrire la conscience, permet de dépasser les limites du formalisme du langage en nous élevant de l'ordre de la représentation à celui de l'expérience. Ce n'est plus un mot qui est définit par un autre mot (dans une définition qui boucle sur elle-même). Au-delà des signes, c'est la sensation du vécu qui est touchée, éprouvée, incarnée, comme « la caresse du soleil » ou « la morsure du froid ».
D'où la proposition « la métaphore opère par un mouvement qui renvoie à « l'expérience pure », du lointain de la « conscience de soi » où elle se stratifie dans le « je », au retour de la « conscience réflexive » où elle se déplie dans la perception. Je ne peux définir la conscience explicitement, pourtant elle est le vécu implicite de l'instant même ! Par son action performative, la métaphorisation extrait la conscience du point de vue égocentré figé par le langage. Ainsi, ce que le langage nous fait croire indescriptible, il peut également nous le révéler par son expérience qui s'éclaire de la lumière de la monstration sous l'espace métaphorique du sens.
« Qu'est-ce que la conscience ? La réponse la plus plausible à cette question,
c'est probablement celle qu'offrait déjà Saint-Augustin à propos du temps
"si personne ne me le demande, je le sais.
Si je cherche à l'expliquer, je ne le sais plus" » MB-CFC.
Dans les « trois corps », l'un des protagonistes fait l'expérience de la méditation du vide. Si sa description est celle d'un « espace physique vide », la métaphore permet toutefois d'appréhender la vacuité à son analyse. Après avoir peuplé son vacuum mental par la visualisation d'une première sphère, il y ajoute une deuxième en les dotant de propriété réflexive. « Leurs surfaces étaient composées d'une matière miroitante et elles se renvoyaient leurs reflets, seules entités existantes dans tout l'univers » TB. Non seulement les sphères se reflétaient l'une l'autre, mais elles « reflétaient la seule entité de l'univers en dehors d'elles-mêmes » TB.
Lorsque nous regardons le monde autour de nous, nous ne voyons pas les conditions de « l'apparaître », nous voyons seulement des choses qui semblent exister de par elles-mêmes telles qu'apparaissant. Nous ne voyons pas le processus par lequel la lumière nous les rend visibles, ni le moment où nos yeux les perçoivent, ni le procédé par lequel notre cerveau nous en donne une représentation. Nous ne voyons pas qu'il s'agit d'un résultat, et nous ne voyons pas que nous ne voyons pas ! Ce n'est que par l'entremise d'un reflet que nous portons un regard différent sur les choses.
Un reflet n'est pas un objet comme les autres, il est à la « conscience visuelle » ce que la métaphore est au langage, un retour réflexif de l'expérience sur elle-même. Lorsque le reflet de mon visage apparaît spontanément sur la vitre, la focale de l'attention se déplace implicitement de l'événement de « voir sans voir » ce à travers quoi les choses sont vues, à l'expérience explicite de « voir le fait de voir » ce par quoi elles sont vues, dans un mouvement qui s'éclaire de l'acte de connaissance subjective de « se voir se voyant » comme sujet en regard de son objet.
Puis la surprise passée, la vague d'individualisation retombe et à son lâcher-prise, la conscience se fond dans les profondeurs de l'océan jusqu'à s'oublier entièrement à son absorption. Dès l'abstraction du « je », du visage, de la vitre et de la lumière, rien n'existe plus hors « l'expérience pure » du reflet lui-même…
Entre l'espace amodal totalement ouvert de « l'expérience pure », et la vue modale égocentrée de la « conscience de soi », la « conscience réflexive » n'est autre que la perspective de la phénoménalité de l'apparaître à l'occultation de l'interdépendance, qui ne laisse voir que l'exclusivité du reflet à l'exclusion de tout le reste. Ce que nous désignons par le terme de « dimension » ne constitue donc pas une structure interne propre à l'espace-temps, en tant que référentiel existant objectivement, mais un point de vue subjectif de « l'événement qu'il-y-a » de la monstration !
« Bien que les hommes saluent leur terre du nom de réalité
et flétrissent de celui d'irréalité la pensée d'un univers originel aux dimensions multiples,
c'est, en vérité, exactement l'inverse. Ce que nous appelons substance
et réalité est ombre et illusion et ce que nous appelons
ombre et illusion est substance et réalité » HPL-DEM.
S'agissant de la méditation du « vide spatial », son protagoniste est affecté par une forme de synesthésie lui permettant de voir les nombres comme figures géométriques et celles-ci comme des nombres. Pour lui, une seule sphère au sein de l'espace vide apparaît comme un nombre inanimé ! Avec deux, un nombre n'apparaît plus comme un isolat, mais comme un élément de calcul. Avec trois sphères dont le mouvement est, qui plus est, gouverné par le chaos, les possibilités de calcul deviennent infinies. En donnant « vie au vide », le vide devient ainsi un « point de vue incarné ».
La métaphore rejoint ici le sens le plus profond de l'interdépendance pour lequel « les phénomènes n'ont d'existence qu'en tant que simples désignations » de la forme qui n'est que la perspective sous laquelle nous apparaissent les « figures d'interférence » expressives de causes et de conditions… vides de substance et d'essence !
Là sont les limites de la métaphore, car ce serait faire une inférence erronée que de vouloir déduire la nature de la monstration de la perspective sous laquelle elle nous apparaît en tant qu'observable en regard de l'événement de son observation. Car ce qui nous apparaît sous le nom de phénomène (« composés impermanents »), ce n'est pas la monstration « en tant que telle », c'est l'aspect sous lequel « l'événement qu'il-y-a » se présente à notre vue, laquelle « vue » est elle-même l'aspect sous lequel ce même événement se présente comme le voyant. « Tout ce que les hommes voyaient de vaste et d'immense dans le monde tridimensionnel n'était en réalité que la coupe verticale de la véritable vastitude et de la véritable immensité (…) il possédait aussi une profondeur inexprimable [qui] ne pouvait pas être comprise en termes de distance, elle était comme contenue au milieu de chaque point de l'espace » TB.
Dans l'expérience des fentes de Young, les points qui se forment à la surface de la seconde plaque apparaissent en « deux dimensions ». Or, si l'on considère que la lumière ne révèle pas un existant mais donne aux apparences leur forme, ce pourrait être le résultat d'une coupe latérale d'un agrégat… tridimensionnel de photons ! Avec une dimension (spatiale) occultée dans la « figure d'interférence », comment peut-on inférer que les instruments (le détecteur, la première plaque et le laser), métaphores de la monstration, se trouvent dans un espace tridimensionnel ? Si la seconde plaque est la surface d'une sphère, la monstration a-t-elle quatre dimensions d'espace ?
« À leur tour, ces figures à quatre dimensions sont la section de formes à cinq dimensions
et ainsi de suite, en remontant jusqu'aux hauteurs inaccessibles et vertigineuses
de l'infinité archétypique. Le monde des hommes et des dieux des hommes
n'est que la phase infinitésimale d'un phénomène infinitésimal
- la phase tridimensionnelle de ce minuscule univers clos » HPL-DEM
Mais, la raison pour laquelle, il ne fait pas sens d'inférer la nature de la monstration à partir des observables, et y compris de leur coémergence à l'observation, est qu'elle n'est pas fabriquée. La monstration n'est pas la forme mais le « vide », non pas l'apparence mais la « vacuité de l'apparaître ». Aussi, le vide ne subit-il pas de transformation lorsqu'il apparaît forme, c'est son autre aspect ! Comme une manière métaphorique de dire, au-delà de l'emploi du mot être, que la nature non fabriquée de la monstration est une simple désignation « forme-vide et vide-forme ».
HPL-DEM : Démons et merveilles, Howard Philips Lovecraft https://www.babelio.com/livres/Lovecraft-Demons-et-merveilles/3863
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
TB : Le problème à trois corps https://www.babelio.com/livres/Cixin-Le-Probleme-a-trois-corps-Tome-1/1459875
IV.47 L'escalier du réel
Si le Miroir forge l'image,
Pourquoi ne réfléchit-il plus la lumière ?
Bien qu'il ne soit ni d'or, ni de perle, ni de clarté,
Toute forme qui y est coulée est complètement claire !
Si l'esprit forge la métaphore du vécu,
Pourquoi n'en réfléchit-elle pas l'expérience pure ?
Bien qu'elle ne soit, ni réfléchissante, ni transparente,
Toute forme qui apparaît est claire par nature !
Si l'esprit forge l'image du réel,
Pourquoi n'en réfléchit-elle pas la subjectivité ?
Bien qu'elle ne soit, ni objective, ni substantielle,
Toute chose qui se manifeste est une sensation claire !
Si l'esprit forge l'illusion du monde,
Pourquoi n'en réfléchit-elle pas l'objectivité ?
Bien qu'elle ne soit, ni une vision, ni un mirage,
Tout événement qui se produit est une perle claire !
Si l'esprit forge le rêve,
Pourquoi n'en réfléchit-il pas la fiction ?
Bien qu'il ne soit, ni vrai, ni réel,
Tout ce qui y est vécu est un fait en tant que quel !
Même sans clarifier ce qu'elles sont,
Toutes ces figures de rhétoriques,
Sont attestées par la vacuité,
Tels des mots jetés en proposition…
Lorsque la métaphore forge l'image,
C'est comme si elle forgeait sa propre image !
L'image retourne à son événement,
Et la métaphore à son acte…
Lorsque la marche modèle l'escalier,
C'est comme si elle se modelait elle-même !
L'escalier retourne au mouvement,
Et la marche à sa forme…
Lorsque l'eau du lac expose la Lune,
C'est comme si sa surface s'exposait elle-même !
Le reflet de la Lune retourne à son exhibition,
Et l'eau du lac à son cours…
Lorsque le miroir mire le visage,
C'est comme s'il se contemplait lui-même !
Le visage retourne à son origine,
Et le miroir à son éclat…
Lorsque la conscience réfléchit l'observable,
C'est comme si elle se réfléchissait elle-même !
L'observable retourne à la réflexion,
Et la conscience à l'observation…
En observant l'esprit en méditation,
On éclaire son côté face (à soi).
Parmi toutes les apparences qui surgissent,
Laquelle est votre vrai visage ?
Si l'océan était complètement vidé,
Son fond n'apparaîtrait pourtant pas !
Sans fragmenter ni bouger (le Miroir),
C'est en triturant l'image qu'il se forge…
Si le champ visuel était totalement vidé,
L'œil n'apparaîtrait pas pour autant !
Sans aplanir ni étendre les dimensions,
C'est en triturant la perspective qu'il se forme…
Si ses étapes étaient complètement décomposées,
La marche n'apparaîtrait pas pour autant !
Sans diviser ni réduire sa mécanique,
C'est en triturant le mouvement que sa vacuité surgit…
Si l'arc-en-ciel était totalement décoloré,
Son illusion ne se révélerait pas pour autant !
Sans séparer ni mélanger ses couleurs,
C'est en triturant le point de vue situé qu'il se forme…
Si les observables étaient complètement abstraits,
Le montrant ne se montrerait pas pour autant !
Sans objectiver ni subjectiver la monstration,
C'est en triturant que son fait s'établit…
Lorsque le miroir réfléchit la lumière,
Il ne peut duper que son autre !
De tous les faits qui surgissent,
Seule la réflexion est sans autre…
Inspiré d'après les stances 15 à 18 de Kokyō Le Miroir ancien SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Le langage ne peut expliciter la conscience, la capturer avec des mots, enfermer sa connaissance dans une définition ou dans un concept, mais la métaphorisation donne appui à la « réduction phénoménologique » qui permet la pratique implicite de son «expérience pure ». Mais, pourquoi faire un détour par le langage pour, au final, revenir à l'expérience directe ? Ne pouvons-nous pas comprendre l'incapacité du langage à dire la conscience sans devoir faire le constat de l'énoncé de son impuissance, ou le « discours » sur la conscience nous donne-t-il un point de vue essentiel sur son expérience pour en saisir la monstration ?
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la contemplation ne donne pas accès… à la réalité de la contemplation ! Et le réaliser nécessite pour cela de faire un détour, entre autres, par l'acte de la métaphorisation. Lorsque l'astrophysicienne cherche à comprendre comment le rayonnement solaire peut subir de violents pics d'activité sans que sa surface ne montre de quelconques signes de leur origine, une métaphore vient interroger le phénomène sous un autre angle en demandant si « la surface de l'eau peut onduler sans être troublée par le vent ou une pierre ? ».
La surface d'un miroir parfaitement lisse peut donner l'impression d'onduler sous l'effet des ondulations du phénomène qu'elle reflète (laquelle métaphore est utilisée pour exprimer la nature de l'esprit). L'observation nous montre le « reflet de la Lune sur le lac » comme la rencontre entre deux existants (la lumière venant de la Lune et la surface de l'eau), mais la métaphore nous fait voir leur contact de surface comme une « figure d'interférence » qui apparaît comme l'image de la Lune sur le lac…
Imaginez un indigène d'une peuplade reculée d'Amazonie qui n'a jamais vu un miroir et placez-le devant une vitre sous un angle d'éclairage tel que sa transparence la lui rend invisible. Puis, changez l'angle d'incidence de sorte à ce que la vitre lui renvoie son visage. Ignorant du processus, et immergé dans le folklore de ses croyances culturelles, pensez-vous qu'il reconnaîtra son propre visage ou y verra une apparition fantôme, signe d'un présage ou d'un esprit démoniaque venu le tourmenter ?
Lorsque je vois un visage dans le miroir, je ne fais pas l'expérience de « voir mon visage », mais celle de « voir le reflet d'un visage » que j'identifie comme le mien ! Ce n'est pas la même expérience que de voir le visage qu'il y a sur ma tête ! Étant donné qu'il se voit comme étant hors du « champ visuel » dont il est la source, l'œil ne peut faire l'expérience physique directe de « se voir lui-même ». Dans cette occultation de « l'expérience pure », le reflet du visage sur la vitre, la Lune sur le lac, les ondulations à la surface du soleil, nous apparaissent comme la surface de choses existantes en elles-mêmes objectivement, non comme des aspects de la monstration qui demeure « dans l'angle mort de la connaissance » MB-CFC. Ce signifie-t-il l'impossibilité de faire «l'expérience de la monstration » en tant que telle ?
« Ce qui est assez transparent pour demeurer complètement indétectable
lorsqu'une chose ou une qualité se montre,
ce n'est autre que la monstration elle-même,
autrement dit la conscience au sens large d'expérience » MB-CFC.
« Faire l'expérience de l'expérience », ce n'est pas l'expérience elle-même ! Visualiser le vide n'est pas le vide, c'est la « vue du vide » (qu'il s'agisse de l'espace ou de la vacuité). Pas plus que la contemplation (des observables), la métaphorisation ne donne accès à «l'expérience pure », hors de la coémergence de l'observable à l'observation. En tant que « expérience d'une expérience », elle n'est autre que la « conscience réflexive ».
Tel que le monde nous apparaît à l'expérience courante, la structure de l'espace-temps semble posséder quatre dimensions, mais des théories postulent l'existence de dix dimensions spatiales, repliées et imbriquées au niveau quantique, comme un escalier en colimaçon qui rétrécissait à chaque marche, et dont chaque pas de la descente vers l'infinitésimal ouvrirait sur une dimension supplémentaire…
Lorsque nous marchons, le sol ne se forme pas à mesure sous nos pas, apparaissant sous notre pied avant et disparaissant sous notre pied arrière (ou inversement si nous faisons marche arrière ou un pas de côté). Au quotidien, nous marchons sur un sol dont l'existence objective est (nonobstant la mécanique du corps) conditionnelle de la possibilité même de la marche – l'on pourrait dire à l'instar qu'un espace vide est la condition de la flottaison, mais en quoi le vide permettrai-il de « flotter » si, en plus de n'y avoir rien, il n'est rien lui-même en tant que « vide » ? –. S'il en va ainsi du point de vue de l'expérience incarnée, ce n'est pas le cas avec la métaphore…
Du point de vue de la rhétorique, la figure de style de la métaphore consiste dans le «transport du sens propre au sens figuré (…) en vertu d'une analogie entre les deux entités rapprochées et finalement fondues » CNRTL. Le mot entité s'entend comme un terme du langage pris comme recouvrement d'une réalité objective. Du point de vue de la phénoménologie, l'action performative de la métaphore entraîne l'émulation virtuelle (dans la « conscience mentale ») d'un méta-événement, un « événement sur un événement », qui se caractérise par l'apparition coémergente d'un « point de vue incarné » (la figure de comparaison, concrète, explicite) sur un « point de vue situé » (la chose figurée, abstraite, implicite) !
Le sol de la comparaison apparaît avec le pas de l'analogie dans un mouvement d'énaction vide d'essentialité telle que, par la transposition de l'action de la marche sur la réaction du sol en retour à l'action de la marche, surgissent en coémergence la réalité du sol sous la réalité de la marche, sous la forme d'une « expérience située » au regard de laquelle ses modalités d'existence revêtent un aspect de substantialité dans l'ordre de la phénoménologie incarnée du vécu.
Par opposition à la théorie du psychologue américain Julian Jaynes, selon laquelle la conscience réflexive serait un « processus métaphorique enraciné dans la perception visuelle de relations spatiales » CMS (lequel consiste pour simplifier en la transposition sous la forme de la « sphère intérieure » du mental de l'étendue spatiale extérieure du monde), c'est le réel qui apparaît comme métaphorisation de la conscience, à l'action performative du méta-événement de l'émergence énactive d'une expérience sur une expérience en tant que « point de vue situé » sur un « point de vue situé ».
C'est bien ce qui se produit dans l'expérience des fentes de Young où la « figure d'interférence » qui se forme sur la seconde plaque fait apparaître le comportement de la lumière comme de nature corpusculaire… en réaction invisible d'une mesure de type sérielle réalisée en amont. C'est aussi ce qui se passe lorsque le soleil émet de vives émissions de rayonnement par réfraction de certaines fréquences à certaines de ses couches radiatives, tout en conservant une surface visible relativement stable.
Autrement dit, qqc de très profond et de très subtil (la monstration) demeure irréductiblement caché à la connaissance sous la superficialité aveuglante des apparences, alors même que l'observation révèle le fait de son expérience…
La métaphore de l'escalier illustre la différence entre la « conscience réflexive », au sens de la définition de Husserl selon laquelle « toute conscience est conscience de qqc » (c.à.d. un « point de vue situé ») et la monstration ou « l'expérience pure », laquelle est à la fois la condition et l'événement de la coémergence de la perspective de l'observable à celle de l'observation. En mettant en lumière le fait que l'escalier ne prouve pas l'action de monter ou descendre, la métaphore permet de saisir que la monstration n'est pas de l'ordre de la connaissance explicite, mais d'un savoir implicite, voire au-delà de l'intuitif. Elle fait ainsi écho à la pratique de la méditation bouddhiste du Mahāmudrā.
« Si on médite avec une intention trop ferme, trop forte (…)
on va provoquer une orientation de la conscience (…)
L'esprit est à ce moment-là prisonnier, emporté au gré des circonstances (…)
quoi qu'il arrive, il faut se départir de toute attente, de toute volonté de transformer,
de fabriquer une forme de méditation. Il faut demeurer simplement
dans un espace qui soit libre, ouvert, sans limites » NEM.
Lorsque l'astrophysicienne reçoit un message radioastronomique en réponse à sa propre transmission à destination d'une hypothétique civilisation extraterrestre, des éléments factuels lui permettent de prouver qu'il y a bien eu « échange » de signal, mais elle ne peut apporter la preuve que c'est bien avec une civilisation extrasolaire ! Pour en avoir la connaissance formelle, il lui faudrait connaître « ce qu'il y a » à l'autre bout de la ligne. Pour autant, elle sait implicitement qu'elle a établi le « contact », et tout aussi implicitement que, par le fait même, qqc sait également son existence. Ce n'est pas une connaissance par « inférence », c'est un savoir par intuition !
La philosophie bouddhiste distingue trois ordres de cognition : la perception sensible ; les inférences conceptuelles ; et la conscience non-conceptuelle (ou « perception yogique directe »). Savoir « l'événement qu'il-y-a » de la monstration à l'instant de la perception ou de l'inférence d'observables relèverait plutôt de la troisième catégorie.
Chercher à la définir est aussi difficile que de vouloir définir la monstration, nonobstant le fait que chercher à l'objectiver nous distancie de son événementialité sous le mode de la « conscience réflexive ». Au sens propre, nous ne pouvons connaître que les « observables », et encore d'une manière qui n'a rien d'absolue mais qui est elle-même relative à la monstration en tant qu'apparaître phénoménal sous les modalités de l'expérience que nous nommons la « matérialité ».
A contrario, la monstration n'est pas un objet de la connaissance sensible ou conceptuelle. Si comme le conçoit Wittgenstein « le monde est la totalité des faits » (qu'ils soient par ailleurs objectifs ou subjectifs), la monstration est la condition même de la possibilité de tout « fait observable » (à l'exclusion de son propre événement comme fait) et conséquemment de son observation. Entendue comme « acte », en tant que tout observable implique la relativité de son observation, la connaissance d'un fait (outre de n'être qu'une simple proposition vide d'essence) n'est autre que l'expression de la «conscience réflexive ».
« Dans la méditation du Mahāmudrā, quoiqu'il apparaisse, quoiqu'il s'élève dans l'esprit,
on n'orientera pas sa conscience d'une façon conceptuelle
ou en référence à ce qui s'élève. On demeurera sans aucune forme d'attachement,
de désir ou de préhension de l'expérience. De cette manière,
l'esprit restera dans son mode propre, dans son lieu propre,
de façon tout à fait détendue, avec l'ouverture nécessaire
pour ne pas être prisonnier d'une forme,
d'un aspect ou d'une expérience » NEM
L'événement de la monstration ne se laisse pas saisir en tant qu'objet sans devenir à son tour une « vue de l'observable », telle la visualisation du vide comme « point de vue situé». L'escalier ne prouve pas l'action de monter et descendre, mais sa fonction peut être inférée de l'observation (corroborée par une analyse scientifique). L'on ne peut que savoir (de manière extrasensorielle) l'événement de la monstration en regard de la perspective des observables, par une forme « d'intuition » laquelle est extrêmement sensible aux conditions initiales de la « perception », car susceptible de nous faire glisser instantanément dans la « conscience réflexive ».
« Même si on médite de façon non conceptuelle,
on ne va pas transformer cette non-conceptualité en qqc.
Si on médite la clarté de l'esprit, on ne fera pas de cette clarté qqc
de séparé du reste qui existerait de façon substantielle.
De tous les modes de l'esprit, on doit éviter d'en faire un objet
qui les transforme en qqc » NEM
Il est possible de s'entraîner à développer l'attention, la vigilance et la concentration par des techniques de méditation adéquates (samātha ou le « Calme mental »), car ce sont des « facteurs mentaux » qui accompagnent l'esprit, mais il n'est pas possible de développer la monstration en tant que telle, car elle n'est ni fabriquée, ni malléable, ni modelable puisque « vide d'essence ». De fait, tous les termes, images et analogies utilisées pour désigner l'esprit ou la conscience (termes mutuellement inclusifs dans la philosophie bouddhiste), comme la « claire lumière », la « dimension primordiale », ou « l'expression spontanément lumineuse de l'esprit » ne doivent pas être pris pour autre chose que pour ce qu'ils sont, c.à.d. des métaphores !
Autant que des effets captivants ensorcelant de l'agrégat de la forme qui peuvent occuper nos pensées jusqu'à l'obsession, il nous faut prendre garde à ne pas nous laisser subjuguer par les effets performatifs de la méta-phorisation, au ressenti d'un sentiment de réalité transcendante ou de présence immanente, son expérience étant poreuse à la « conscience réflexive » en tant qu'ils sont susceptibles, tant que leur vacuité n'est pas pleinement réalisée, de se commuer instantanément en « points de vue situés » à leur observation contemplative...
« (…) quoi qu'il arrive, que ce soit la pensée primordiale,
que ce soit la pensée qui s'élève en relation avec une expérience
ou une découverte d'un état de l'esprit, il faut prendre toutes ces pensées
au même niveau, les regarder et les connaître dans leur nature propre (…)
pourvu qu'on en soit conscient, on demeure dans cette continuité de l'esprit » NEM
Des termes comme « niveau », « degré » ou « dimension » font écho au sens des étapes de la Voie vers l'Éveil, aux états de la méditation ou aux stratifications de la conscience, mais se font également évocateurs dans leur emploi métaphorique d'un « espace hyperdimensionnel », fait de dimensions imbriquées dans un mouvement ascendant. Cependant, c'est oublier que la monstration est hors de l'ordre de tout « point de vue situé et incarné » relatif aux observables et à l'observation !
Malgré son caractère physique qui s'appuie sur le « point de vue incarné » du corps, la matérialité de l'escalier (les modalités sous laquelle nous en faisons l'expérience) ne permet pas de prouver « l'action de monter et descendre » les marches. Un objet peut exercer une action sur un autre, mais ce n'est pas du fait de son action « en tant que telle », de son « fait propre », mais par l'effet de la force physique induite. Penser que l'on monte ou descend l'escalier ne fait pas monter ou descendre d'un étage !
La métaphore se veut signifiante du fait que l'observable n'est pas la monstration, comme la pensée n'est pas l'esprit auquel elle apparaît. Sous cet angle du moins, car l'observable est une partie de l'observation, coémergentes l'une à l'autre, lesquelles sont des perspectives de la monstration, comme la forme-vide est le vide-forme. Vide d'existence ontologique, tout observable est donc ultimement sans discontinuité d'essence à « l'expérience pure » laquelle est, en termes d'apparence, sans obstruction à « la conscience réflexive » comme l'est le rêve de monter ou de descendre les marches d'un escalier… dans le rêve de rêver de l'escalier…
« Il faut comprendre simplement que tout le champ de la conscience,
l'expérience, le sujet, l'objet, ce qui s'élève, ce qui en est conscient,
c'est l'esprit lui-même et qu'on n'a pas besoin de le diviser
ou de le séparer en plusieurs termes. C'est là le sens de ce qui est appelé
demeurer sans saisies dans l'ouverture » NEM
La monstration est le lieu (nishidéen) de « l'expérience pure », hors de toute perspective, lorsque le montré se montre comme montré, où lorsqu'il apparaît en coémergence comme la vue en perspective relative de l'observable à la vue en perspective de l'observation. L'escalier, l'action de monter et descendre ses marches, en avoir conscience, avoir conscience d'en avoir conscience, ne sont autres que des facettes, angles de vue relatifs de « l'événement qu'il-y-a » que nous nommons esprit ou conscience et dont la nature n'est autre que la vacuité, laquelle ne se conçoit pas autrement que comme « libre de toute assertion ».
« On demeure simplement sans références,
sans conceptualisations et sans partialité,
sans séparer l'esprit de l'expérience,
sans créer un esprit intérieur qui serait simplement
une réduction de la dimension réelle de l'esprit
et sans chercher qqc qui soit situé en dehors, à part de l'esprit » NEM
CMS : la conscience en tant que métaphore spatiale, la théorie de Jaynes https://intellectica.org/SiteArchives/archives/n32/32_03_Stewart.pdf
MB-CFC : Comment fonctionne la conscience - Michel Bitbol www.youtube.com/watch?v=OJyeu07RFFA
NEM : Nature de l'esprit et méditation www.facebook.com/groups/243640070058/user/1594472591/
IV. 48 L'expérience non fabriquée
Tel un espace sans étendue,
Dont le miroir est sans contenu propre,
Vide en soi comme si sa présence,
Était absolument identique à son absence…
Tel un escalier qui n'a pas de fin,
Dont les marches sont sans angle droit,
Planes en soi comme si ses degrés,
Étaient absolument identiques à zéro…
Telle une marche sans mouvement,
Dont chaque foulée est sans enjambée,
Immobile en soi comme si la longueur du pas,
Était absolument identique à zéro…
Tel un objet sans représentation mentale,
Dont la non-pensée est sans pensée,
Vide de substance en soi comme si sa négation,
Était absolument affirmative de zéro…
Tel un point de dimension nulle,
Dont le centre est sans centre propre,
Vide en soi comme si toutes les directions,
Étaient absolument identiques à zéro…
Voilà qu'il fait un pas et voilà qu'il marche,
Voilà qu'il s'élève et voilà qu'il vole,
D'un seul geste, il déplace le ciel,
Ouvrant les bras, il devient nuage…
L'un et l'autre se regardent face-à-face,
Formant un seul miroir sans côté ni dos,
Le regardant et le regardé ne font qu'un,
Chacun reflétant son autre devenant son autre…
L'œil et le champ visuel se regardent face-à-face,
Formant un seul espace sans intérieur ni extérieur,
La vue et la perspective ne font qu'un,
Chacun reflétant son reflet devenant son reflet…
L'œil et l'illusion se regardent face-à-face,
Formant un seul mirage sans horizon ni verticalité,
Le point de vue situé et la vision ne font qu'un,
Chacun reflétant son signe devenant son signe…
L'œil et le flux se regardent face-à-face,
Formant un seul jet sans onde ni parcelle,
La lumière et le visible ne font qu'un,
Chacun reflétant sa clarté devenant sa clarté…
L'œil et le rêve se regardent face-à-face,
Formant un seul songe sans dimension ni étendue,
Le projecteur et la projection ne font qu'un,
Chacun reflétant sa fiction devenant sa fiction…
Voilà qu'il cligne et voilà qu'il se rétrécit,
Voilà qu'il cille et voilà qu'il s'étire,
D'un seul regard, il tord l'horizon,
Fermant les yeux, il devient d'espace…
Absolument identique à lui-même,
Toute chose y apparaît telle qu'elle est,
Ni à côté ni en plus de ce qu'il reflète,
Sans autre demeure que chaque existant…
Absolument identique à l'espace même,
Toute apparence s'y montre telle qu'elle est,
Ni en face ni ailleurs que ce qu'elle reflète,
Sans autre dissimulation que l'évidence…
Absolument identique au vide même,
Toute forme y apparaît comme ce qu'elle est,
Ni dimension ni direction que ce qu'elle reflète,
Sans autre existence que de désignation…
Absolument identique au regard lui-même,
Toute vision y apparaît comme fait tel quel,
Ni absence ni présence que ce qu'elle reflète,
Sans autre réalité que son événement…
Absolument identique au montré lui-même,
Tout « point de vue situé » y apparaît tel quel,
Ni connu ni connaissant que ce qu'il reflète
Sans autre monstration que sa coémergence…
Voilà qu'il inspire et voilà qu'il pense,
Voilà qu'il expire et voilà qu'il s'évide,
D'un seul instant, il dénoue toute réflexion,
Ouvrant les yeux, il devient un astre…
Inspiré d'après Kokyō Le Miroir ancien SHBZ
Lobsang TAMCHEU
Eléments de réflexion
Avant même la constitution de la science en tant que discipline visant à comprendre de quoi est fait le monde (comment il existe, et comment il en est venu à exister), l'expérience ordinaire nous éclaire sur sa nature à travers ce qu'il nous est possible d'y faire matériellement et les limites physiques de notre champ d'action.
Par exemple, la possibilité de nous déplacer selon trois « directions indépendantes » (en ligne droite, perpendiculairement, ou de haut en bas) reflète l'existence de trois dimensions d'ordre spatial, laquelle constitue la limite dimensionnelle du monde macroscopique. A partir de là, les mathématiques d'abord, dans leur exploration des singularités des nombres, les théories scientifiques ensuite, extrapolent l'hypothèse de l'existence de dimensions supplémentaires cachées au niveau microscopique.
Par exemple, un univers à onze dimensions est postulé pour rendre compte d'une théorie de la « gravité quantique ». Imaginez l'univers comme un « escalier » dont chaque marche ne mènerait pas seulement à la suivante mais la contiendrait, elle, et les autres marches également… C'est un univers tout entier qui serait contenu dans chacune de ses marches ! « Une particule subatomique avec une perspective unidimensionnelle, ce n'est qu'un point ; à une perspective bidimensionnelle ou tridimensionnelle, la particule commence à dévoiler sa structure interne ; à une perspective quadridimensionnelle, la particule subatomique est déjà un monde immense » TB. Arrivé à la septième marche, sa surface recouvrirait le volume du système solaire, à la huitième, elle serait aussi vaste que notre galaxie, et en neuf, elle atteindrait quasiment la taille de l'univers…
Si chaque marche est un escalier qui contient autant de marches que l'escalier lui-même qui la contient, chaque marche contenant à son tour un univers tout entier, c'est un enchâssement fractal abyssal qui s'ouvre à l'imagination… Et si chaque univers contient des formes vies intelligentes, alors une simple collision de particules entraîne à chaque instant l'annihilation de civilisations entières ! « Des destructions de civilisations sont des événements somme toute ordinaires ayant lieu à chaque instant de la vie » TB. L'univers n'est qu'un grain de poussière. L'impermanence règne partout et notre vie ne dure pas plus que l'espace d'un souffle…
Sur le plan horizontal, chaque être sensible apparaît tel un « point de vue incarné » distinct de par l'agrégat de son corps de la multitude des êtres sensibles, qui vit, évolue et meurt isolément dans l'entrelacs d'une interdépendance horizontale. La conscience réflexive y est un « point de vue situé » dont le vécu phénoménologique confine à la sphère privée incommunicable. A contrario sur le plan vertical, l'existence de chaque être sensible apparaît comme une « facette incarnée » qui participe d'une entité plus vaste, elle-même interdépendante d'une entité encore plus vaste, telles des poupées gigognes imbriquées qui, à chaque « marche univers », enchâssent d'autres poupées gigognes dans une expérience phénoménologique unifiée...
« Toutes les lignées issues d'êtres appartenant aux dimensions limitées,
toutes les phases de croissance de chacun de ces êtres ne sont que les manifestations
d'un être archétypique et éternel habitant dans un espace extérieur à toute dimension.
Chaque être localisé fils, père, grand-père et ainsi de suite - et chaque phase de
l'existence individuelle : petit enfant, enfant, adolescent, homme -
ne sont que les phases infinies de ce même être archétypique et éternel,
phases causées par une variation dans la position de l'angle du plan de conscience
par rapport à cet être archétypique » HPL-DM
L'œil de la mouche est composé de facettes qui divisent chacune un angle particulier comme autant de « point de vue situé » indépendant, et concourent ensemble à la vision de l'insecte sans voir qu'elle y participe… Si l'on tourne l'escalier à l'horizontal et que l'on déplie chaque marche, l'on obtient une surface plane, bidimensionnelle. La perspective verticale n'est donc qu'un point de vue de la perspective horizontale…
Les dimensions apparaissent inhérentes à la structure de l'univers, c'est ce qui fait que celle-ci nous instille la perspective d'un « point de vue situé » sur la base de « l'agrégat de la forme ». Si l'univers est un escalier, la pensée et donc l'esprit doivent s'y localiser quelque part, sur l'une ou l'autre de ces marches (ou dans tout l'escalier). Or, ce même objet lorsqu'il est visualisé dans la « conscience mentale » ne possède aucune dimension ! Si la monstration est non dimensionnelle, pourquoi faisons-nous l'expérience des observables sous une modalité tridimensionnelle ?
Des « solides platoniciens » constituants fondamentaux des choses aux dimensions «enroulées » des théories de la gravité quantique, en passant par le modèle de l'atome de Rutherford, toutes ses idées ont en commun de concevoir la réalité comme étant constituée de dimensions sur la base des possibilités de mouvement relatives aux directions correspondantes à notre échelle, c.à.d. à la réalité considérée comme les barreaux d'une échelle. A tous ses niveaux, la matière semble en effet présenter un caractère dimensionnel façonnée par les forces fondamentales qui lui confèrent ses propriétés (par exemple, le spin pour l'électron), et régissent son comportement.
De l'atome aux étoiles, tout objet géométrique se conçoit en regard des directions déterminantes de ses possibilités de déplacement. A la surface d'une sphère, un point est bidimensionnel car il peut seulement se déplacer sur la longitude et la latitude, mais s'il est situé dans l'espace au-dessus de la sphère, il peut également se déplacer du haut vers le bas, et acquiert alors un caractère tridimensionnel. Cet « espace vectoriel » n'est pas de nature physique, c'est un « cadre de référence » qui définit les dimensions des objets relativement aux directions du mouvement.
Dans le rêve aussi, il est possible de se déplacer en trois dimensions, et pourtant le rêve n'a ni direction, ni plan horizontal ou vertical ! Le « point de vue situé » que nous instille son expérience ne permet pas d'inférer le caractère effectif de déplacements dans un univers onirique réel ! La question n'est pas de savoir où nous allons lorsque nous rêvons, mais qu'est-ce qui nous fait croire que… nous allons quelque part ? En latin dimensio signifie « l'action de mesurer », c.à.d. l'événement (vide d'essence) de l'apparaître d'un observable que nous interprétons comme… la vue de « l'étendue mesurable d'un corps dans toutes les directions » CNRTL ! Or, en quoi le monde dans lequel nous vivons, qui n'est en définitive que monstration, est-il différent ?
Qu'il soit possible de visualiser mentalement des objets tridimensionnels alors qu'ils ne possèdent aucun caractère de cet ordre (la « sphère mentale » est une simple expression), témoigne du fait que l'existence d'un espace physique réel en trois dimensions n'est pas requise pour en faire l'expérience ! Que la forme d'objets quadridimensionnels comme tel que l'hypercube puisse être extrapolée par analogie à la manière dont des objets tridimensionnels traversent un plan bidimensionnel argue du fait que la perception est une représentation.
Un sentiment d'ambivalence se dégage à la conscience de l'expérience du monde. Alors que celle-ci témoigne de l'existence de dimensions inhérentes à ce qui nous entoure, la conscience que nous en avons en est abstraite ! Le monde expérimenté est un « fait de conscience » dont le contenu est constitutif d'un observable en coémergence à son observation. Dès lors, comment les objets de la conscience peuvent-ils être dimensionnels alors que sa perspective est « non dimensionnelle » ?
Pour visualiser mentalement un objet, il nous faut d'abord le percevoir de manière sensorielle. Pour se représenter un objet en quatre dimensions, il faut d'abord savoir à quoi ressemble cet objet en trois dimensions. L'intérieur est relatif à l'extérieur. Un argument qui a de quoi donner raison au « réalisme » s'agissant de la question de l'existence du monde, et à la théorie de Jaynes de la conscience comme « métaphore spatiale » d'un espace extérieur s'agissant de la nature de la conscience. Cependant, il manque ici… la monstration qui n'est ni d'ordre dimensionnel ni représentationnel, mais la condition même de la possibilité de leur expérience !
Il n'est pas nécessaire que le monde existe réellement – possède les propriétés que nous lui percevons et faisons l'expérience sous les modalités de la matérialité – pour en produire une représentation performative (par une « émulation virtuelle » qui masque sa métaphorisation). Croire le monde réel suffit pour en faire un « point de vue situé » ! Il n'est pas non plus nécessaire de postuler l'existence objective de la « conscience réflexive » pour qu'elle apparaisse en tant que « point de vue situé ».
« L'essence du samsāra et du nirvāṇa est l'esprit éveillé.
Présent spontanément - il ne se produit pas, n'a pas d'origine et n'est pas fini -,
Il ne vient de nulle part et ne va nulle part.
L'étendue de l'esprit éveillé, sans cadre temporel linéaire,
Qui ne vient ni ne part, car il est infiniment répandu » Longchenpa.
C'est parce que la vacuité, « vide d'essence », est non contrainte par les limites de la substance, qu'il lui est possible d'adopter une infinité diversité d'infinies combinaisons de manifestations, comme autant d'assertions ultimement libres de toute assertion (y compris de cette assertion même). C'est parce que la monstration ne procède d'aucune direction (« ne vient de nulle part et ne va nulle part »), que l'observable peut adopter les apparences dimensionnelles que nous lui voyons. Quant à celles que nous ne voyons pas, car recourbées dans l'infiniment petit, leur supputation n'est pas nécessaire pour vivre l'expérience de la monstration.
Les directions sont relatives à la position de l'observateur. Selon le point de vue considéré, les choses peuvent se trouver à ma « droite » (lorsque mon corps est l'axe de référence), où ce « côté-ci » de mon corps peut être désigné comme mon « côté nord » (relativement aux points cardinaux). Parler de direction n'a de sens qu'en regard d'un référentiel. Or, quelle limite devons-nous prendre ? A l'instant où nous fixons les directions cardinales en regard de points sur Terre, du fait de sa rotation, ceux-ci ont déjà changé ! Même chose si nous prenons la galaxie comme référence. Quant à l'univers, nous ne savons pas s'il est fermé ou ouvert, ni même s'il y a qqc au-delà ! Si l'univers est entouré d'un espace non local, que sont les « directions » et les « dimensions » hormis de simples désignations vides de réalité objective ?
L'idée de « dimension » est inférée à partir des possibilités de déplacement d'un objet dans des « directions » (indépendantes) représentées par des coordonnées : un point sans coordonnée est donc dit de « dimension zéro » ; une ligne figurée par une seule coordonnée de « dimension un », et ainsi de suite. Plus le nombre de direction dans lequel un objet est susceptible de se déplacer augmente, plus il a de coordonnées. Or, cet énoncé est purement conventionnel, il ne recouvre pas une réalité physique !
Un point de « dimension zéro » est un objet mathématique. Un objet physique qui n'a ni longueur, ni largueur, ni hauteur, est… de « dimension nulle ». Autrement dit, c'est un espace vide ! Si, mathématiquement un « espace nul » peut être représenté par un «ensemble vide », cela revient à considérer un vide amodal comme une entité modale, l'absence comme présence. Et du point de vue du Mādhyamaka Prāsangika, faire du vide une chose en-soi, c'est substantifier la vacuité !
Dans un système vectoriel, le passage de la « dimension zéro » à la « dimension un » consiste en la projection de ce point dans une direction donnée. Une ligne est donc la représentation mathématique d'une trajectoire entre deux points, lesquels sont figurés (par abstraction d'une abstraction), comme un objet mathématique en tant que tel. Comment un point de « dimension nulle », vide et non local, pourrait-il être projeté de sorte à former une ligne relativement à une direction donnée ?
De plus, où se trouve cet « espace de projection » ? L'espace dit « vectoriel » n'est lui-même qu'une convention. Du fait de sa nature vide, l'espace au sens où le définit Nāgārjuna est incomposé et non-née, et n'a de réalité que purement conventionnelle. Si donc un point de « dimension nulle » ne peut se déplacer dans un « espace nul », les concepts de direction et de dimension n'ont pas de réalité physique. Ce ne sont que des vues de l'esprit ! Il n'est donc pas étonnant que nous visualisions et rêvions « d'espaces tridimensionnels » qui ne sont que de simples désignations et représentations mentales non dimensionnelles et totalement libre d'assertion.
Et pourtant, chacun de nos déplacements, vers l'avant ou les côtés, le haut et le bas, témoigne de ce qui semble bien être des directions réelles dans un espace de nature tridimensionnelle existant objectivement ! C'est ce que signifie les «deux vérités » dans le Bouddhisme, et le sῡtra du cœur, « le vide est forme et la forme vide ».Ce que nous prenons comme réalité n'est qu'un simple mirage de « dimension nulle » que nous habillons des apparences d'une « réalité intrinsèque », du point de vue de l'observable mais aussi du « point de vue situé » de l'observation, comme un rêve dans un rêve, rêvé par un rêveur qui n'est lui-même que le tissu du rêve…
HPL-DEM : Démons et merveilles, Howard Philips Lovecraft https://www.babelio.com/livres/Lovecraft-Demons-et-merveilles/3863