IV. 20 Poétique de l'ainsité -  le souffle du Dharma

07/07/2024

Retrouvez ici les poétiques de l'ainsité de IV.7 à IV.12 

                                     2. Le souffle du Dharma  

IV.7 Le koan qui se réalise ainsi


A cet instant,

Dans la constance du « juste maintenant »

Le vent souffle sur l'univers entier


A cet instant, simplement la caresse d'une brise,

A cet instant, seulement un léger chuchotement à l'oreille,

A cet instant, juste les senteurs fraîches du printemps portées par le vent...

« Juste maintenant », l'œil suit l'oiseau, l'attention la respiration :

De branche en branche, l'oiseau sautille,

D'inspires en expires, la respiration voltige.

Le regard suit le lever et le coucher du soleil,

Lentement sur la rétine glissent les nuages,

A la courbure de l'œil s'évapore leur blanc panache,

L'horizon s'enfuit sans limite dans l'espace…

A la constance du mouvement, « juste maintenant », le ressentir,

A la constance du vent, « juste maintenant », la respiration,

A la constance de l'espace, « juste maintenant », l'attention…

Suivre les mouvements du vent sans chercher à les interpréter,

Suivre ses arabesques sans intention de les comprendre,

Suivre l'esprit sans volonté de fixer l'esprit…

L'œil ne guide pas le vol de l'oiseau ni la course du soleil,

Le regard ne porte pas les nuages sur son dos !

Pour s'élever, l'oiseau bat fortement des ailes,

Pour plonger, le poisson meut fermement ses nageoires,

Pour s'immobiliser, le moine agite vertueusement son éventail.

Une fois dans le ciel, l'oiseau se laisse porter par les courants ascendants,

Le poisson, entraîné par les courants marins.

Le moine, par la posture de zazen.

Dans le silence du dojo, un bras agite un éventail,

Lorsque l'éventail cesse de battre, le corps se mêle au vent,

L'attention à la posture, la respiration au souffle.

C'est ainsi que chacun, en parcourant l'espace de l'univers,

En le traversant de part en part librement dans les dix directions,

Se laisse librement traverser, de part en part, par l'univers,

Devient l'espace des dix directions qu'il traverse et qui le traversent.

Dans le mental du novice, une question agite l'esprit,

Lorsque la pensée cesse d'agiter son éventail, l'esprit se mêle à l'espace,

La concentration à l'entraînement, la sagesse à la concentration.

C'est ainsi que le pratiquant, en dépassant l'intellect confus,

En traversant de part en part librement la raison pure dans les dix directions,

Se laisse librement traverser, de part en part, par le samsāra,

Devient le nirvāṇa sans direction qu'il traverse et qui le traverse.

A ce « juste maintenant »,

La nature de la voie demeure constante,

Pourquoi agiter l'éventail de la pratique ?


Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion


A cet instant où le vent souffle avec constance, où je sens son toucher sur ma peau, son frisson dans mon dos, sa douche sur mon corps, à cet instant même, mon corps respire. Je sens l'air qui entre par les narines, gonfle les poumons, le diaphragme qui remonte, puis à l'expire, l'air qui sort des poumons, le ventre qui se rentre, le diaphragme qui descend. A quoi sert-il d'ajouter l'attention à la respiration, le vent au vent ? Cela ne changera pas leur permanence. Là, sans rien faire, je réalise le souffle de la respiration «comme présence » en présence du souffle du vent. Le vent emplit tous lieux jusqu'au plus petit recoin. A quoi servirait un éventail pour emplir l'espace de ce vent qui, déjà, le remplit ?

Dans le Bouddhisme Zen, la pratique principale, c'est Zazen, « simplement s'asseoir », qui va à l'opposé des autres techniques de méditation Bouddhistes : quiétude (Samatha) ; analytique (Vipasyanā) ; directe (Mahāmudrā)… Autrement dit, Zazen, c'est « agiter l'éventail » sans agiter l'éventail !


« Dire qu'il ne faut pas se servir d'éventail 

puisque la nature du vent demeure constante 

et qu'il faut aussi écouter le vent lorsqu'on ne s'évente pas, 

c'est ne connaître ni la constance ni la nature du vent » GJ-SHEU


Le paradoxe de la voie, c'est de parcourir la voie pour, par la pratique du « non faire», réaliser que la voie est « non-voie » ! Il n'y a rien à ajouter à la perle claire pour qu'elle brille, au vent pour qu'il souffle, au mouvement pour qu'il s'anime, à l'immobilité pour qu'elle ne bouge pas, mais… il faut entrer dans le courant pour se fondre au courant et devenir le courant ! Pour « connaître » la voie (en pratique et non en théorie), il faut «devenir soi-même » la voie, réaliser sa vacuité à travers la réalisation de sa propre vacuité !

Pour atteindre le calme de l'œil du cyclone, il faut pénétrer ses turbulences, plonger au cœur des ténèbres de l'ignorance, subir le tumulte des vents violents des émotions perturbatrices, de nos conditionnements et empreintes karmiques. Mais, encore faut-il s'entendre sur le sens de « se fondre dans le courant » …

Il y a confusion entre la paix mentale qu'il est possible d'obtenir par l'état de Flow, qui métaphoriquement peut se lire comme le fait de « surfer sur le courant » de la vie à l'acceptation et à l'accueil de l'impermanence, tant le fait d'aller à contre-courant de «l'existence conditionnée » (expression karmique de la « souffrance omniprésente »), à seule fin égotiste de rechercher la satisfaction de ses désirs et fuir ce qui nous fait aversion, est source d'innombrables souffrances.

Il y a également confusion avec les voies de la « non-dualité » comme l'Advaïta Vedanta, qui peut se libre métaphoriquement comme « s'unir avec le courant » sans perdre son identité propre, sur la base de la réalité objective du Soi qui se désidentifie des pensées, et de l'existence du courant lui-même dont l'objectivité n'est pas remise en question. « Il n'y a plus de sensation de séparation entre ce qui est observé et ce qui est observe, plus de sensations du temps (…) Même si la notion du "je" n'est pas présente, ça ne résout rien du tout ! » A&R.

La finalité de la voie bouddhique, c'est la libération définitive de la cause de toutes souffrances par la réalisation du « non-soi » de la personne. C'est « devenir le courant » à la réalisation du fait qu'il n'y a personne qui entre réellement dans le courant et «pas même » de courant existant véritablement !

Le vent souffle en permanence même lorsqu'il ne prend pas la forme d'ouragan ! L'univers des dix directions est une perle brillante. Que nous réalisions ou non la nature de Bouddha, ne change rien à la vacuité de notre nature, inaltérable, indicible, libre de toutes assertions relatives à l'être ou au non-être. Que l'on agite l'éventail ou pas, la nature du vent demeure vide de nature inhérente, vide d'une « réalité » objective, absolue, simplement désignée « existence ».


« (…) la permanence telle qu'elle est conçue 

dans la pensée de Dôgen n'est autre que le mouvement

si paradoxal que cela plus paraître, 

mais il ne s'agit pas de n'importe quel mouvement… » GJ-SHEU


« Agiter l'éventail » c'est, au sens où le « non faire » est une pratique, s'ajouter soi-même (corps, cœur, esprit) en tant que pratique à la pratique, mouvement au mouvement, à la permanence de l'ainsité (vide-forme et forme-vide). Ultimement, il n'y a « personne » qui devient ou atteint l'état d'un Bouddha, personne donc qui pratique la voie pour devenir un « éveillé ». Cela qui observe et ce qui est observé sont des «effets de perspective » l'un de l'autre, vides de substance, désignés « existants intrinsèques ». Conventionnement, le non-soi réalise le non-soi sous le masque de la «saisie du soi » par « inhibition de l'inhibition » !


« (…) l'homme qui pratique atteste la Voie de l'Éveillé : 

aussitôt qu'il rencontre une pratique, il met en œuvre une pratique (…) 

nos connaissances naissent ensemble 

et vont ensemble avec la Voie de l'Éveillé 

qui pénètre aux tréfonds de nous-mêmes » GJ-SHEU.


Ainsi, c'est seulement lorsque le moine agite l'éventail, qu'il peut connaître la constance et la nature du vent. C'est seulement dans le mouvement que la permanence du mouvement apparaît à l'impermanence du mouvement ! C'est en pratiquant la voie du Bouddha sans pratiquer la « voie comme Éveil » que le pratiquant devient la «pratique comme Éveil ». L'univers entier des dix directions est une perle brillante. A l'instant de la permanence du vent, le vent produit par la constance du mouvement de l'éventail se mêle à la constance de l'impermanence de toutes choses. Pourquoi ne pas agiter l'éventail ?


GJ-SHEU : 4ème atelier d'étude du Shôbôgenzô au Dojo Zen de Paris www.shobogenzo.eu/archives/2012/11/30/25709574.html  

IV.8 Un jeu de projection


Au noble instant,

Où se meut l'éventail

Le souffle du vent


Cela qui se forme à l'instant, ici et partout ailleurs,

N'est rien d'autre que le « juste instant » se révélant forme :

La surface du lait se mue en une fine couche de peau crémeuse,

La pointe du petit matin se tisse en un drapé de givre blanc,

De la distillation de la fleur s'évapore l'essence de l'instant,

L'espace coagule en nuages de possibles,

Le temps s'épaissit en flocons de brume,

Maintenant est ici...


D'un geste juste,

Le silence du moine,

Déplace le vent.


A l'instant du direct, les sens sont submergées de détails,

D'une goutte de pluie jaillit tout un océan,

Le tranchant d'un sabre entonne une symphonie,

Le champ du printemps vibre de mille frémissements,

A l'instant du mental, la conscience est minimaliste,

Réduit l'étendue du désert à un grain de sable,

Compresse des éons en une seconde,

Enferme l'univers dans un signe.


Au-delà des faits,

Seule la perspective,

Eclaire l'instant.


Vu de loin, un tronc d'arbre forme un simple trait sur l'horizon,

De près, un monde s'anime en surface et vit en profondeur !

Depuis le ciel, la Terre est un point minuscule dans l'espace,

A son plancher, un univers au cœur de l'univers !

Une pierre recouverte de signes kabbalistiques,

L'histoire d'une civilisation racontée ses auteurs !

Pourquoi distinguer les consciences en type et fonction ?

Peut-on séparer les facettes d'un kaléidoscope ?


A l'instant de la vue,

L'éventail de l'être,

Te souffle la vue.


Une goutte de rosée sur une feuille reflète la Lune,

Dix mille feuilles reflètent dix milles Lune !

Un prisme décompose le spectre de la lumière,

Dans un diamant réside un astre solaire !

Le vent déplace la dune grain après grain,

Le mouvement emporte tout sans mouvement !

Un seul regard enchâsse tout l'univers,

Dès la conscience posée sur la perle


Au juste souffle,

La précision du geste,

Tranche l'espace.


L'arc-en-ciel ne peut être séparé de ses couleurs,

Le miroir de sa capacité de réflexion, le feu de la chaleur.

Lire, visualiser, rêver, autant de rayons d'une roue,

Qui se précèdent et se suivre sous une perspective linéaire.

La conscience peut être pensée dans la nudité de son concept,

Mais elle ne peut être expérimentée dans la nudité de son événement.

A cet instant où elle s'apparaît « telle quelle » à elle-même,

La conscience est conscience de son apparition.


Vent dans les arbres,

Arbres mouvant dans le vent,

Tout se continue.


Au printemps où les fleurs éclosent multicolores,

Fleurit le printemps sous la robe des fleurs.

Dans l'espace du mental, réside l'espace de l'univers tout entier,

Dans la durée d'un seul moment de conscience, la totalité du temps.

Dans le non-espace de la conscience, ni espace ni temps, ni conscience,

En son événement, ni étendue ni durée, ni connaissance.

A l'agitation de l'éventail, le vent remplit l'espace remplit de mouvement,

Dans la présence de la présence du vent…



Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


La voie bouddhique, c'est une transformation, non pas un changement de « forme », mais une permutation de perspective. Le vent souffle à quoi bon agiter l'éventail ? C'est parce que l'on agite l'éventail que le vent souffle ! Si l'on ne pratique pas la voie du Bouddha, il n'y a pas de voie et pas de Bouddha ! Ce vent qui souffle en permanence, c'est le souffle de la pratique de tous les Bouddhas et bodhisattva, passés, présents et à venir. Ce « vent », c'est celui des enseignements, la « roue du dharma » qui fait tourner l'esprit des pratiquants, les amène à permuter leur point de vue, des ténèbres vers la lumière, de l'ignorance vers la sagesse, des « dix directions » vers la perle brillante.


« Puisque la nature du vent demeure constante, 

"le vent qui souffle depuis la maison" des éveillés 

fait se réaliser la grande terre d'or comme présence, 

et il fait fermenter le lait et la crème des longs fleuves » GJ-SHEU.


De la source au confluent, le fleuve des enseignements coule en permanence : judicieusement entendu, il est du « lait » pour les auditeurs ; savamment étudié, il devient du « lait caillé » ; intellectuellement affiné, du « fromage » ; patiemment pratiqué, du « beurre » ; parfaitement réalisé, de la « crème » pour les éveillés.


« La crème de beurre clarifié (ghee), 

qui représente dans la mentalité indienne l'aliment le plus raffiné 

qui puisse se trouver dans le monde. 

C'est (…) la suprême saveur (…) le goût de la réalité ultime » GJ-SHEU.


La voie bouddhique, c'est une réalisation, non pas le changement de la nature d'une chose, comme le lent processus de maturation du lait en crème (l'univers entier est déjà une perle claire !), mais un « effet relativiste » qui fait paraître la chose différente selon le point de vue. A référentiels constants le mouvement est immobile, mais à référentiels variables apparaît une légère fluctuation à la confluence du battement de l'éventail à la source du vent. Sa nature ne change pas, seulement son « moment relatif » …

Ce qui fait qu'une chose apparaisse comme « chose », ce ne sont pas ses propriétés intrinsèques, indépendantes des circonstances et de toute relation à son observation, c'est en regard de l'observateur, une « conjonction de causes conditionnées » qui reflètent sous la forme du « tel quel », le « juste maintenant » de son expression relative. A l'instant de la vision, le contexte spatial et temporel constitue le contexte unique et impermanent de « ce qui est vu », ce qui fait de la perception une interprétation relative à la position de l'observateur, à ses « modèles d'inférences » internes, à son état d'esprit, etc.

Les caractéristiques de la crème, ses qualités nutritives, les particularités de sa saveur, se différencient du caractère, de la qualité et du goût du lait. Sont-elles à ce point distinctes qu'elles reflètent des « existants » différents ? Qu'est-ce que la chose en dehors de l'interaction et de l'expérience que nous en avons ? A notre échelle, la crème nous apparaît comme une substance onctueuse et veloutée, mais à l'échelle des atomes, ce n'est déjà plus que des particules isolées au sein d'un vide immense ! Vu de très haut dans le ciel, un fleuve est une simple ligne qui serpente sur la terre, mais vu de près, au sein même de ses eaux, son cours peut devenir subitement agité, tumultueux, tel un torrent de montagne…

Selon l'angle de notre position relative, un phénomène apparaîtra comme un objet en mouvement ou un mouvement qui apparaît comme objet : une myriade de gouttes d'eau qui chutent d'une falaise ou une cascade ; des cristaux de neige qui dévalent une pente ou une avalanche ; une torche enflammée que l'on fait tourner rapidement ou un cercle de feu ; un long fleuve de lait ou de la crème…

Les choses paraissent exister « telles qu'elles » seulement parce que le réductionnisme de notre vue (comme phénomène global incluant la vision, la représentation, et la conscience de la « chose vue ») occulte leur dépendance à l'abstraction du « juste moment » relatif de notre expérience qui la définit.

La phénoménologie bouddhiste distingue les « consciences » selon leur faculté ou leur fonction. L'Abhidharma distingue les « consciences sensorielles » (les cinq sens) de la «conscience mentale » (intérieure) – « la "conscience cognitive mentale" (manovijñāṇa) est considérée comme le fonctionnement cognitif central dans le processus de perception sensorielle » EPS-ABD –. Nonobstant son caractère pédagogique, ce découpage arbitraire de ce que le Bouddhisme définit comme le « cinquième agrégat », ne rend pas compte du caractère kaléidoscopique de ce que nous appelons «l'expérience consciente ».


« La quintessence de l'opération de la conscience est citta considéré comme 

le paradigme de la conscience expérience. Citta ne peut jamais être vécue comme nue

 conscience dans son propre moment d'origine, car la conscience est toujours 

intentionnelle, dirigée vers un objet particulier, connu par le biais de certains facteurs

 mentaux associés, qui remplissent des fonctions diverses, émergent, 

et cessent avec elle. Citta, n'importe quel moment de conscience donné 

constitue donc un assemblage unique » EPS-ABD.


Lorsque nous lisons un livre, il se produit une chose étonnante. A la lecture de signes inscrits sur ces pages blanches, des images animées apparaissent dans le mental qui les mettent en scène et, pour peu que la lecture précède le coucher, nous pouvons faire l'expérience de rêver cette histoire à la première personne ! Les modalités de ses différents « moments de conscience » sont très nettement distinctes. Perception, imagination et rêverie, présentes des caractéristiques qui permettent de les catégoriser sur la base de la distinction fonctionnelle entre les « consciences sensorielles » et la «conscience mentale », et dont le processus implique des fonctions ou « facteurs mentaux » annexes et complémentaires tels que l'attention, la discrimination, la conceptualisation, etc.


« Selon la voie bouddhique, la nature de l'expérience vécue en fonction de l'appareil

 cognitif d'une personne doit être contemplé en étudiant la nature de son esprit 

par la pratique de la méditation. Les dharmas sont des "moments de conscience" 

dont l'analyse catégorielle a "un but sotériologique" (…) "descriptif", 

[qui] révèle la nature fluide de l'expérience sensible et valide l'enseignement 

bouddhique fondamental de non-soi » EPS-ABD.

 

Toutefois, que nous lisions le « kōan qui se réalise comme présence », que nous imaginions la scène s'animer virtuellement dans notre « conscience mentale », ou encore la rêvions à la première personne, qu'elle différence cela fait-il ?

Décomposer, ce peut être utile dans le cadre d'une démarche scientifique visant à comprendre le fonctionnement de la conscience, et pour réfuter la « saisie du soi » en analysant méthodiquement comment le « soi » ne peut être trouvé dans aucun agrégat, ni sous-processus de la « conscience mentale ». Cependant, le réductionnisme (s'il ne s'inscrit pas dans une optique radicale « d'inhibition de l'inhibition » des surimpositions) demeure objectiviste dans sa recherche d'un fondement ultime de l'esprit qui ne s'accorde pas avec la réalisation du non-soi.

Il n'y a pas de « saut quantique » entre la compréhension intellectuelle de la vacuité et sa réalisation, et conséquemment sa « vision directe » – qui ne relève pas de la conscience visuelle, mais de la conscience mentale, sans pour autant être phénoménologique en tant qu'elle n'est pas déformée par l'ignorance, et les « modèles d'inférence » conditionnés relatifs –. Entre un phénomène « vu comme un objet en mouvement » ou « un mouvement vu comme objet », il n'y a de différence qu'en termes de perspective spatiale


« Ne considérez pas que ce que vous avez obtenu devienne toujours le savoir 

et la vision (…) et que ce soit connu par la pensée et l'entendement. 

Quoique l'Éveil attesté se réalise immédiatement comme présence, 

ce qui demeure en secret ne se réalise pas toujours comme vision » GJ-SHEU.


Telle une anamorphose, cette déformation de la perspective qui fait apparaître les objets, tordus et étalés sur un plan linéaire, et « droits » dans le miroir, la conscience se lit en vue modale de la réalisation du non-soi amodal, comme une phénoménologie de l'anamorphose en perspective temporelle


EPS-ABD : Encyclopédie de philosophie de Stanford, l'Abhidharma https://plato.stanford.edu/entries/abhidharma/index.html  

GJ-SHEU : 4ème atelier d'étude du Shôbôgenzô au Dojo Zen de Paris www.shobogenzo.eu/archives/2012/11/30/25709574.html   

IV.9 Les anamorphoses de la conscience


A cet instant,

Aux mouvements de l'éventail,

L'événement du vent


A cet instant, aux mouvements de l'œil sur cette page, l'événement de la lecture,

A cet instant, au mouvement de l'intellect sur les mots, l'événement du sens,

A cet instant, au mouvement de l'imaginaire, l'événement de son expérience…

Le « comment » cela se produit-il importe peu en regard de le vivre,

Le magicien a ses secrets, celui du spectateur est d'y croire.

Au lever du soleil sur la plage devant l'océan, l'esprit s'émerveille,

C'est « ici et maintenant » que s'opère l'enchantement :

Lorsque le mot « océan » se mue en étendue liquide, couronnée de crêtes 

irisées de la lumière dorée du jour naissant, respirant le flux et le reflux des 

vagues, exhalant les emprunts marins qui emplissent nos narines…

Lorsque le mot « plage » se transforme en une étendue de sable dont les grains 

jaillissent de toutes parts et recouvrent tout autour de nous…

Lorsque le mot « soleil » devient une lumière éclatante qui change la nuit en 

jour, et dont émane une douche chaleur qui nous enveloppe amicalement…

A cet instant, où le mot « éventail » prend son envol imaginaire, le souffle du 

vent se lève et vient caresser ma peau dans un murmure invisible…

Le « comment » la magie opère n'a pas d'importance, elle opère !

Il n'y a « rien à faire » que de « se laisser agir » par l'événement,

Rien à réaliser que de laisser l'événement se réaliser comme présence

Tous les mots ne déclenchent pas le même phénomène :

La raison pure n'emporte pas les sens, les mathématiques ne font pas goûter 

la saveur de la vie, la physique sentir les replis d'espace-temps entre nos doigts.

Même les sῡtra du Bouddha peuvent ne pas émuler l'expérience du Dharma !

Le magicien n'est pas sur la scène, mais dans la salle.

Qu'attendez-vous de la posture ?

Qu'attendez-vous d'un kōan du maître ?

Qu'attendez-vous de la parole des éveillés ?

« Le bienheureux Victorieux résidait au pic du Vautour près de Rajagriha » …

Voyez-vous le pic du Vautour à l'énoncé de ces mots ? Voyez-vous l'escalier qui

 mène à son promontoire ? Voyez-vous le carré de briques qui délimitent l'aire 

où le Bouddha donna son enseignement sur la vacuité, il y a 2500 ans ?

« Il était accompagné d'une grande assemblée de moines et d'une grande

 assemblée de bodhisattvas » …

La voyez-vous ? Voyez-vous ce parterre de robes couleur vermeil et safran ? 

Entendez-vous le silence attentif des moines qui guettent la parole du sage ?

Entendez-vous, le grand bodhisattva arya Avalokiteshvara déclarer au vénérable

 Shariputra comment « tout fils ou fille de la lignée devrait considérer toutes 

choses comme vide de nature inhérente » ?

Un mot peut prendre vie d'un seul coup, sans prévenir, ou rester lettre morte, 

simple agencement de traits figés sur le papier ou dans la roche.

« La forme est vacuité. La vacuité est forme. La vacuité n'est autre que forme. 

La forme aussi n'est autre que vacuité ».

Voyez-vous la « vacuité » ? Se met-elle soudain à prendre vie devant vous ?

Exprimer la vacuité en licence poétique, en faire l'expérience directe, là serait la 

véritable magie de ce qu'on appelle la réalisation de la vacuité. Croyez-vous ?

Quel fossé à franchir ! Quel bond prodigieux est-ce là entre le concept et l'être !

Il n'en est rien ! Il n'y a pas de gouffre entre la forme et le vide.

Pas de « saut quantique », inattendu, imprévisible, insaisissable, indéfinissable…

Voyez-vous le « rien » ? Comment le pouvez-vous, puisqu'il n'est « rien » !

Voyez-vous le gouffre ? Voyez les bords et par contraste apparaît le centre !

Voyez-vous le « saut » ? Comment, puisque vous ne voyez pas l'être du concept!

Et pourtant, à l'instant rhétorique, la « pensée du concept » est un événement,

Et pourtant, à l'instant, poétique la « forme-vide est vide-forme »,

Et pourtant, à l'instant noétique, la posture se réalise comme pratique !

Pour l'aveugle, la chose est un son, pour le voyant, un mot. Qui voit le mieux ?

La vacuité est « libre d'assertion ». Vois-tu une assertion ou un événement ?

La magie n'est pas dans la projection d'un aplat en volume, d'images qui

 prennent vie lorsqu'elles se meuvent à une certaine vitesse sur un écran,

La magie est dans le mot « magie », dans le dessin du mot, dans la présence au

 mot sur cette page, dans la présence à soi-même en regard du mot.

L'événement commence bien avant le temps de son apparition,

Sans commencement, sans pensée du commencement, sans penser la pensée.

A cet instant, libre d'assertion, le vent souffle partout et rempli tout,

A cet instant, libre de mots, la vacuité est l'expérience de tous les mots,

A cet instant, libre de réalisation, l'événement de la réalisation...



Lobsang TAMCHEU  

Eléments de réflexion

 

De simples traits sur une feuille ; un idéogramme sino-japonais porteur de sens ; une forme mentale au sein de la conscience ; un « kōan qui se réalise comme présence ». Genjō kōan, « GEN c'est l'apparence au niveau de la surface, JÔ la réalisation intérieure» SHOEU. Comment l'esprit passe-t-il du figuratif au figuré, du signifiant au signifié, de la perception à l'expérience poétique ?

Pour se repérer dans le monde, s'y déplacer, y agir, interagir avec les autres, le cerveau a besoin d'une représentation de son environnement et de lui-même. Le cerveau est un organe prédictif qui, sous la pression de l'évolution, s'est formé par énaction de manière à produire la solution la mieux adaptée, la saisie de soi ! Nous sommes probablement bien plus qu'une machine, aussi complexe soit-elle, mais nous ne pouvons isoler la conscience de la « réalité conventionnelle », celle-ci ne fut-elle pas autre chose que l'expression de notre karman ! Sous cet angle, comment la nature aurait-elle pu produire une conscience qui soit à la fois conscience du monde et conscience d'elle-même dans ce monde ?

D'abord, à partir des organes sensoriels, en récoltant des données, puis en les agrégeant de manière à constituer une carte du territoire, a minima en « deux dimensions ». Ce que nous appelons « dimension » ici, pour le cerveau, a très certainement beaucoup plus à voir avec un « système de représentation » tel qu'il lui donne la possibilité de se repérer dans un « paysage sensoriel », que pour un randonneur ou un piéton lire une carte pour trouver son chemin.

La signification que ce « modèle de représentation » a pour le cerveau serait totalement incompréhensible si nous le voyions, mais nous n'avons pas à le faire, car l'évolution va dans le sens de la facilité pour nous rendre capable de le lire, ou devrait-on plutôt dire d'une manière plus neutre (moins affirmative du postulat d'une existence objectiviste), qu'elle a façonné par énaction un « système de prédiction » tel que nous en faisons «l'expérience phénoménologique » comme la « conscience de soi » en regard de la conscience du monde et des autres.

Une carte, c'est bien, mais à mesure que les détails s'additionnent, il importe non seulement de sélectionner les informations les plus pertinentes, mais également de disposer d'un « système de codification », et corrélativement d'un langage symbolique, pour en accélérer et en simplifier la lecture interne, mais aussi pour communiquer avec les autres. C'est encore mieux de pouvoir anticiper des détails cachés en passant d'un plan à deux à trois « dimensions ». Là encore, c'est une manière de nommer dans notre système de compréhension des mécanismes neuronaux qui utilisent de la chimie, de l'électricité, des neurotransmetteurs, etc.

Comment l'on passe de l'un à l'autre (de l'échanges d'influx nerveux entre synapses et à travers l'ensemble du cortex neuronal) est certainement très intéressant mais secondaire pour notre propos. Ce qui importe, c'est l'expérience de l'apparition dans notre « conscience mentale » de scènes décrites par des mots ou figurées par des idéogrammes, totalement incompréhensibles sans la « clé de déchiffrage » du langage, qui semblent littéralement prendre vie au sein de notre esprit comme s'il contenait l'univers tout entier des dix directions…

Ce basculement de ce que nous décrivons comme une transcription d'un modèle de représentation de la 2D à la 3D, permet de voir (par construction prédictive) ce qui se cache à l'arrière-plan. Au niveau du cerveau, la différence se mesure en termes de plus d'échanges électrochimiques, de plus de zones cérébrales interconnectées, de plus d'opération de calculs, sans changer de « plan » ou de « dimension ». De notre point de vue, c.à.d. de l'expérience phénoménologique que nous avons, la différence est notable, le saut patent, au point de distinguer la « conscience mentale » des «consciences sensorielle ».

Pour le cerveau, l'avantage est conséquent, mais il est encore possible de faire mieux en ajoutant la « dimension temporelle », de notre point de vue cela grâce à quoi nous pouvons animer un objet ou une scène visualisée mentalement, en les faisant tourner sous tous les angles dans notre « sphère mentale ». Mais aussi, cela grâce à quoi nous pouvons imaginer de multiples scénarios, différents futurs possibles, mais aussi, en remontant l'antériorité d'une séquence causale, faire varier leur combinatoire, ce qui se traduit par les ratiocinations du mental qui ne cessent jamais de nous attirer dans l'imaginaire loin de « l'instant présent ».

Cette expérience subjective de la « quatrième dimension » se double également de l'apparition de la relativité qui distingue la « scène mentale » en 3D de la position de la caméra par rapport à la scène. Ce qui pour le cerveau constitue une « métacognition » de sa modélisation, pour la conscience émulée se traduit par la relativité du point de vue entre « cela qui est vu » et « cela qui la voit », qui exprime l'émergence du sujet en regard de l'objet !

Cet « effet de perspective » relativiste apparaît à qui en fait l'expérience à la « première personne » comme l'expression d'une conscience propre, distincte –correspondant à la « septième conscience » dans les écoles bouddhistes du Cittrāmatrā, du Yogācāra Mādhyamaka et du Dzogchen, mais aussi au « Soi » dans la non-dualité de l'Advaïta Vedanta –. Le « Soi » se vit comme présence à l'abolition du temps d'abord, puis de l'espace. Or, la « dimension temporelle » est émulée en surplomb de la « conscience mentale » par la relativité de la scène à la caméra. De sorte que lorsque la position et le mouvement s'alignent (terme à traduire dans le fonctionnement cérébral), le temps s'abstrait conséquemment !

Reste un élément pour couronner cette théorie de la conscience comme un «événement subjectif émulé par un processus relativiste interne », qui met en relief le «non-soi » de la personne. En termes d'évolution, le meilleur système de prédiction ne sera jamais aussi efficace s'il ne se sent pas personnellement impliqué, menacé, et qu'il ne doute de ses capacités. Plutôt que la conscience, le « sentiment du moi » serait l'aboutissement de l'évolution, à l'émergence duquel converge tout le processus d'édification de la conscience !

Mais, ce qui assure la survie de l'espèce, du fait de sa capacité à s'abstraire de sa propre causalité, la menace tout entière lorsque ce fonctionnalisme se saisit « moi » à son émulation subjective, s'affirme « je » à son aperception identitaire, se revendique en tant que « personne » à sa déclinaison individuelle, et s'attache à rechercher son bonheur personnel, pour l'atteinte duquel, il produit du karman qui le conditionne en retour par désir-attachement dans un cycle sans fin…

Que la conscience soit vue comme un agrégat composé de différentes « sous consciences » déterminées relativement à la spécificité de leur fonction selon le modèle de la philosophie bouddhiste, ou qu'il s'agisse de la conscience conçue sous une approche évolutionniste comme un événement abstrait subjectivement du processus dont il est le produit de « l'émulation virtuelle », à aucun moment de sa « réduction analytico-phénoménologique » (jusqu'à son terme radical), l'on ne peut trouver la réalité objective du « moi » ou du « Soi » !

Que se passe-t-il au sein du cerveau si ce n'est un événement qui n'est autre que le fait que la vacuité « libre d'assertion » revêt la forme de « la cause et de l'effet infaillibles des phénomènes interdépendants » ! La « conscience mentale » ? L'anamorphose d'une activité de représentation fonctionnelle (en « 2D ») émulée sous la forme d'une expérience phénoménologique (en « 3D ») ! La « septième conscience » ? Un effet de perspective relativiste du temps sous laquelle apparaît ce qui est vu à l'illusion de cela qui voit ! Le « Soi » ? Un jeu de reflet sans miroir ! La « saisie du soi » ? Le non-soi voilé par l'illusion du soi !

Nonobstant la nature du « phénomène de conscience », réaliser le non-soi participe tout autant qu'il se heurte à l'expérience phénoménologique de l'illusion du « moi », l'éveil à l'illusion du « Soi ». Voir le tour de magie sans être l'objet de son illusion, c'est faire de la réfutation « logico déductive » du soi l'événement de la pratique du non-soi. L'Éveil c'est de vivre cette pratique, de vivre le mouvement de l'éventail comme le souffle du vent, de vivre le kōan comme la présence-événement de la vacuité…

IV.10 Une fenêtre miroir


A cet instant,

Le vent de l'éventail,

Expire le mouvement


A l'instant où le ciel s'effondre, dans chaque goutte d'eau la pluie,

A l'instant où une crête sur l'horizon, dans chaque vague l'océan,

A l'instant où la lumière brille, dans chaque rayon le soleil,

A l'instant où l'inspire, dans chaque respiration le souffle,

A l'instant de cet univers, dans chacune des dix directions la perle brillante,

A l'instant où bat l'éventail, dans chaque battement la constante du vent…

La crème est présente dans les profondeurs du lait,

Le vent contenu dans les replis de l'éventail,

Le Dharma encadré par les murs de la maison des éveillés,

Le visage originel caché sous les rictus de la persona,

La nature de Bouddha sertie dans « le corps que l'on a » ….

Le lait se réalise comme crème à la surface du pot,

L'éventail se réalise comme vent par la grâce du geste,

Les sῡtra se réalisent comme voie à la pratique de la voie,

Le kōan se réalise comme présence au kōan de la vie,

L'homme se réalise Bouddha à l'expérience « que l'on est » …


A cet instant,

Du souffle du vent

Se déploie l'espace


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


Le vent produit par l'agitation de l'éventail peut bien diminuer et ne plus occuper aucun lieu, le vent lui-même demeure constant sans qu'il n'y ait aucun lieu qui n'en soit remplit. Lorsque cesse son événement, à la désagrégation des agrégats, l'arrêt des processus qui produisent « l'émulation virtuelle » de la conscience, se traduit de facto par la disparition radicale de l'esprit. Pour expliquer le karman, dans son aspect rétributif de nos actes, la conscience doit « continuer » au-delà de la mort. Là où la pensée du Vedanta, du yoga, de l'Hindouisme, du mysticisme chrétien, postule l'existence d'un noyau infrangible, entité nouménale (ātman ou âme individuelle), le Bouddhisme voit un « continuum », un événement dont le « fonctionnalisme » est traduit par le terme «esprit de claire Lumière ».

Ce « continuum de conscience » implique que le processus d'émulation de la conscience de soi s'appuie sur qqc qui n'est pas de nature matérielle, ce qui remet en cause son caractère fonctionnaliste. Une contradiction résolue à l'abandon de l'assertivité d'une « nature objectiviste », duelle du corps et de l'esprit, à la compréhension du fait qu'ils sont sans discontinuité d'essence de par leur vacuité. Cette même matière qui, vue au microscope contient plus d'espace que d'atomes, au final se révèle « vide de réalité objective », apparaît à notre échelle sous forme d'objets tangibles ! Le lait peut ainsi apparaître crème, la torche enflammée un cercle de feu, le vide forme, par un simple changement de perspective relativiste. Cependant, pour être radicale, la réduction analytique de la conscience doit faire fi, y compris, de toute idée d'individuation

Inversons la proposition du Genjō kōan : si l'on peut faire du vent avec un éventail et remplir une partie de l'espace de ce vent, c'est parce que le mouvement de l'éventail, pour faire du vent et remplir une partie de l'espace, est l'expression même de la constance du vent dont aucun lieu ne saurait ne pas être remplit. L'un n'est pas une partie, ni l'opposé du tout, il en est l'expression.

Chantez avec d'autres personnes, et il arrive un moment où vous ne savez plus d'où provient le son. Est-ce votre propre voix que vous entendez ou celles des autres chanteurs qui passent à travers votre voix ? Lorsque le moine fait du vent avec son éventail, ce n'est un vent différent, qui s'ajoute au vent déjà existant, en formant une «figure d'interférence » avec la permanence du vent, ce n'est pas autre chose que le «mouvement constant » lui-même !

Comprenez-le bien, ce n'est pas une question de dépendance causale. Le vent de l'éventail n'accède pas à l'ordre d'un effet possible en relation causale à la constance du vent, comme si le petit découlait du grand. Ce n'est pas non plus une question de principe. Une chose matérielle n'existe pas en tant que simple reflet en vertu d'une Idée transcendante d'un « monde platonicien des Idées » qui serait sa véritable réalité. Le vent de l'éventail n'est pas du vent parce que le mouvement est un principe, il est le mouvement même ! Il ne peut y avoir fût-ce le plus petit déplacement de vent qui ne soit la permanence du vent lui-même. La pratique est l'Éveil parce que la voie n'est pas autre chose que l'Éveil. A travers le vent produit par le mouvement de l'éventail exhale la constance du mouvement, à travers la pratique de la voie, l'Éveil.

L'abeille qui butine un champ de fleurs peut suive un parcours optimal (en termes de temps, d'efficacité, etc.), son vol n'en a pas moins un caractère poétique. Telle l'abeille qui vient triturer une fleur, puis une autre sans s'attacher à un chemin prédéfini, la pensée de Dōgen s'appréhende dans la dynamique de la voie. Au final, la récolte d'une seule abeille est la récolte de la ruche tout entière…


« Un jour, monté en chaire, Unmon dit : 

"Chez chacun et chez toutes les personnes,

 demeure la claire Lumière. 

Quand on l'observe, on ne la voit pas par les ténèbres profondes. 

Que veut donc dire que chez la multitude des personnes, demeure la claire Lumière ?"

 A cette question, l'assemblée resta muette. 

Et Unmon de répondre lui-même à sa place : 

"La salle des moines, l'autel de l'Éveillé, la cuisine et la porte du temple » SHBZ-265.


Comment comprends-tu la « Claire lumière » à l'aulne des paroles des Unmon ?

La « porte du temple » est une ouverture sur l'intérieur corrélée au postulat de l'existence d'un extérieur, et réciproquement ! La « salle des moines » est un espace délimité en regard du caractère sans obstruction de l'espace, absence totale de limite à l'absence de toute obstruction ! « L'autel de l'éveillé » est une fenêtre sur l'horizon en perspective conjointe de l'horizon, une interface à l'Éveil qui n'est que l'expérience de sa pratique !

La « claire Lumière » est une fenêtre sur l'univers qui, sous le filtre de la conscience de soi, reflète en miroir une forme individuelle, ombre des voiles de l'ignorance, des émotions perturbatrices, des conditionnements karmiques, qui dessinent le « masque de la persona », saisie du soi au cœur du non-soi, sensation du vent fait par l'éventail au sein du courant de l'impermanence du vent.

Derrière la vue focale égocentrée, sous l'angle d'une apparition identitaire, état subtil ultime de la conscience, la « claire Lumière » transcende toute individualisation, ni singulière ni plurielle, ni totalité ni unitaire, ni êtreté ni essence, libre de toute assertion y compris de cette assertion même !


SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html  

IV.11 Dans le palais des glaces


A cet instant,

Où le kōan se réalise comme présence,

La présence se réalise comme kōan


Au juste moment où Alice touche le miroir et où le miroir est touché par Alice,

Disparaissent et le miroir et Alice !

Au juste moment où ma voix se mêle à la chorale et la chorale à ma voix,

Disparaissent et la chorale et ma voix !

Au juste moment où l'eurêka est traversé par l'eurêka,

Disparaissent et la pensée et l'eurêka !

« Dépouilles-toi de tout ! » clame le mystique, y compris de ton abandon !

Réalise la voie par l'abandon de la voie, Dieu par l'abandon de l'idée de Dieu !

Fait tomber le masque du « moi », du « ça », de « l'inconscient », etc.

Dépasse tout concept, toute conception, tout schéma, tout modèle,

Toute croyance et tout fondement à ces croyances qui ne sont qu'idéaux,

Toute adhésion à ces illusions de « qui » tu crois être, là, à cet instant.

A ce juste moment, qu'y a-t-il hors le masque du « je » ?

A ce juste moment, qu'y a-t-il hors l'affirmation du « moi » ?

A ce juste moment, qu'y a-t-il hors l'inférence du « je suis » ?

Lorsque le moi regarde le reflet de la Lune sur le lac, il y voit le visage du moi  

qui regarde le visage de la Lune se refléter sur les eaux du lac…

Dès l'instant où le regard est « sans personne » derrière son masque, où tout 

« modèle d'inférences », tombe le masque, la vue se libère de la vue.


Au « juste moment »,

Où le rideau se lève,

La scène disparaît


Si lumineuse est la lumière qu'elle aveugle la lumière,

Si pure est la pureté qu'elle occulte la pureté,

Si profondes sont les ténèbres qu'elles noient les ténèbres !

Face à la brillance du soleil, l'aveuglement s'aveugle de sa cécité,

Face à la transparence de l'eau, l'aura diaphane s'admire translucide,

Face au « tel quel », la clarté s'admire clarté de l'esprit !

« Il lui semblait que son cerveau s'embrasait, que ses forces vitales prenaient un

prodigieux élan… Son esprit et son cœur s'illuminaient d'une clarté intense »

Affirmations subjectives, exclamations d'un témoin, assertions personnelles,

L'expérience ne peut-elle se saisir sans expérimentateur ?

Le reflet dans le miroir ne peut-il se voir sans visage ?

Le corps réchauffé par le feu se sentir sans propriétaire ?

Même au comble de la joie, il se trouve encore un « joyeux » !

Même au faîte de la quiétude, se déclame la sérénité d'un « souverain » !

Même au paroxysme de l'accord parfait, réside toujours un « accordé » !

Preuve du « Soi véritable » sous le masque du « moi » illusoire ?

Où d'un arrêt face à l'évidence, subjugué par sa propre clarté ?


Au « juste moment »,

Où rien n'apparaît caché,

Tout est révélé


Lobsang TAMCHEU

Eléments de réflexion


Rien dans cet univers entier, et l'univers entier lui-même, n'est jamais caché, et pourtant rien ne se révèle autrement que dans l'éclatant miroir du mystère. Le Bouddha a délivré des enseignements relativement aux facultés de chacun, non que (la vacuité de) la « vérité » ne puisse se concevoir sans y être préparé (à la faire sienne, l'intégrer, la réaliser), ou que la « saisie du soi » nous ancre à l'illusion de l'identité substantielle du moi comme un coquillage à son rocher, mais parce que nous-mêmes, notre existence, notre esprit, sommes un kōan !


« Pour maître Dôgen chaque phénomène est un kōan 

et le cosmos entier est également un kōan 

et notre vie elle-même est un kōan » GEN1.


Le kōan est un oxymore. Alliance des termes ko public et an privé qui évoque à la fois un mouvement « vers les autres » comme communication, transmission, et « pour soi-même » comme pensée réflexive cf. GEN1. Or, ce qui différencie chacun de nous des autres chacun et nous rend unique, ce n'est pas tant le fait que ce qui se passe au sein de notre « sphère mentale » est, en son événement incommunicable et inconnaissable, mais que cet événement phénoménologique soit uniquement connu… de soi-même !

Antidote et poison sont vus comme des opposés, le premier neutralisant les effets du second. Mais, pour neutraliser un poison « innervant », c.à.d. qui a pour effet de bloquer la transmission de l'influx nerveux, l'on utilise un inhibiteur à son effet inhibiteur, en vertu du mécanisme « d'inhibition de l'inhibition ». La pratique des sῡtra consiste à mettre en œuvre les antidotes aux émotions perturbatrices, mais dans les tantrā, la transmutation des passions révèlent leur nature de sagesse !


« En relevant le corps et le cœur, on perçoit les formes-couleurs, 

et écoute les sons. Quoiqu'on les appréhende intimement, 

ce n'est pas comme le miroir qui loge une 

image, ce n'est pas comme la lune et l'eau. 

Où un côté s'éclaire, l'autre reste sombre » SHBZ-19.


Poser le « public » comme l'opposé du « privé », c'est prendre une base objective pour référentiel, à l'instar du reflet en regard du miroir, de l'objet du sujet, de l'extérieur de l'intérieur, du vent fait par l'éventail du « mouvement permanent », de l'esprit individuel de la « claire Lumière », en définissant l'un comme premier, l'autre second. Ce point de vue objectiviste est créateur d'incompréhension du fait même de la nature de cet univers, où rien n'est caché car tout entier interdépendant et vide de substantialité objective et absolue.

Une énigme trop simple à résoudre ne fait que mettre en évidence une tentative de dissimulation imparfaite qui nous faire croire en l'existence de la « vérité » comme proposition décidable, alors qu'un mystère insoluble est en lui-même la vérité éclatante du caractère indécidable de son assertion ! Le kōan n'est pas une énigme. Sa mystériosité ne dissimule rien, elle se montre à tous en son éclatante brillance ! Son apparence ésotérique n'est pas symbolique d'un sens caché, d'une « réalité » au-delà des apparences, il est signifiant de sa propre signifiance, du « il-n'y-a » rien d'autre que cet « il-y-a ».

Tant que nous n'adoptons pas le point de vue de l'interdépendance, qui réfute l'existence d'un « référentiel objectiviste » et considérons tous les phénomènes comme équivalent en termes de perspective relativiste (aucune position n'est absolue), et donc que nous ne sortons pas du rapport de prédominance du miroir sur le reflet pour nous ouvrir à leur coémergence, nous ne pouvons comprendre le sens du kōan « où un côté s'éclaire et l'autre reste sombre » – ou inactif, ce qui exprime étonnement le processus… « d'inhibition de l'inhibition » ! –.

Le kōan se réalise comme présence lorsque la présence se réalise comme kōan (la présence se concevant comme l'univers entier des dix directions). Ce n'est pas une inversion de la proposition en miroir, qui fait apparaître deux aspects distincts selon la perspective adoptée, c'est la « forme-vide du vide-forme » ! De quelque côté que l'on se place en regard de cette assertion, elle ne se révèle pas comme les deux faces d'une même chose, qui « restent deux tout en étant une » GEN1. Elle est la perle brillante elle-même de l'univers tout entier, l'évidence du mystère, si clair et transparent, que sa clarté n'a jamais été cachée !

Ainsi, la méditation sur le kōan nous fait utiliser le miroir des mots comme « point de vue » (objectiviste) de façon à nous permettre, par le « triturage » poétique du signifiant, de dépasser toute assertion et, par l'ouverture à un propositionnalisme non assertif, à réaliser l'évidence du « il-n'y-a » rien de caché, pas-même « il-y-a » la réalisation que rien n'est caché !

Dans ce mouvement, la relativité de « l'aspect public » du kōan à son « aspect privé », qui apparaît d'abord comme en miroir d'un mystère qui reflète la clarté énigmatique de l'évidence, fait se retourner la pensée qui peut alors se révéler, dans la profondeur de son retour poétique sur elle-même (par-delà toute réflexion en miroir d'une analyse conceptuelle), comme « clarté de sa propre Lumière » à la non-pensée de la révélation du « vide de sa propre vacuité ». Alors, l'aspect « individuel » et l'aspect totalité, côté éclairé et côté sombre, kōan et présence, « salle des moines » et « claire Lumière », se fondent sans obstruction dans les formes-couleurs et les sons…


SHBZ : Shōbōgenzō, La vraie Loi, Trésor de l'Œil, https://www.editions-sully.com/l-247-shobogenzo.html  

IV.12 Dynamique des fluides


A cet instant,

Où le kōan se réalise,

Sa non réalisation


Submergé dans l'univers des sensations, « à cet instant » les perceptions,

Enfouit dans le monde des signes, « à cet instant » les signifiants,

Immergé dans les océans de l'imaginaire, « à cet instant » les pensées,

Plongé dans l'antre des rêves, « à cet instant » le rêveur,

Absorbé dans la saisie de soi, « à cet instant » dans le miroir…

Et maintenant, qu'est-ce qui est vu maintenant ?

Isolé du dehors, à ce « juste moment » plus de dedans,

Abstrait du signifié, à ce « juste moment » plus de nom,

Détrompé des chimères, à ce « juste moment » plus de réalité,

Décorporé du songe, à ce « juste moment » plus de limites,

Dépouillé du moi, à ce « juste moment » plus de reflet…

Et maintenant, tout est vu sans personne qui voit !


A l'instant,

Ou s'éteint la présence,

La non présence


Ce n'est pas une isolation (sensorielle), c'est une fusion et plus encore…

Fusion au-delà de la forme, des sens et du nom,

Fusion par-delà le réel, l'irréel et de la désignation,

Fusion par-delà la fusion où tout se fond sans distinction :

Le corps à la posture de l'espace,

Le mouvement à l'immobilité,

La pensée à son entendement,

L'image à la vue, la vue au voyant…

Les paupières se ferment, la vue demeure,

La pensée se tait, demeure l'écoute,

La buée disparaît, demeure le miroir,

Le reflet s'évanouit, demeure la lumière…


A cet instant,

Où disparaît la dualité,

Disparaît l'unité


La nature de l'éventail est la nature du vent,

Avant même d'agiter l'éventail, le vent,

Avant même le vent, l'espace…

La nature du vent est la nature du vide,

Avant même le « vide », la forme-vide,

Avant même le « non-vide », le vide-forme.

Aucun lieu qui ne soit rempli de la nature du vent,

Aucun lieu qui ne soit « rempli » de la nature du vide,

Aucun lieu qui ne « soit » la nature du vide,

Aucune nature qui ne « soit » le vide !

A l'instant où le « vide » se fait nom, le vent,

A l'instant du vent, l'éventail vide…


A cet instant,

De l'évidence du kōan,

Tout est Kōan !


La non-pensée n'est pas l'arrêt de la pensée,

Entre deux pensées, comment qualifier cette « pensée » ?

Une boite. Qu'y avait-il à l'intérieur avant de l'ouvrir ?

Quelle forme la pensée avait-elle avant d'apparaître « boîte » ?

La pensée se referme. Qu'y a-t-il dans la boîte ?

Seulement la pensée de « moi dans la boîte ».

Fusion de l'instant à la fusion de la pensée,

S'évanouit l'instant, la boîte et « moi »,

Demeure… l'instant, la boîte et « moi » !

Nulle part ailleurs que nulle part, il n'y a d'ailleurs,

« Juste ici » est partout, maintenant, « juste ici » !

La buée est le miroir, la Lune le reflet, le vent l'espace, la forme le vide…

Sans continuité sans séparation, sans union sans obstruction,

Seuil sans seuil, porte sans côté, vide du nom « vide ».

Dès le « juste moment » où le discontinu se saisit continu,

Le continué non-continué, le limité non-limité,

A ce « juste moment » où les frontières fondent, les contraires s'annulent,

Où toutes choses confondues se réalisent sans réalité propre,

Y compris la réalisation de la vue sans vue propre,

Se distingue la totalité de l'indicible en son indicible totalité.


Lobsang TAMCHEU 

Eléments de réflexion


De l'apparition d'une forme, de la perception d'un idéogramme, de la traduction de son symbolisme, de son interprétation conceptuelle, de sa compréhension intellectuelle, de son émulation virtuelle, de son expérience phénoménologique, de sa réalisation, chaque étape du processus, chaque phase de l'événement, chaque facette du prisme, qui s'apparaît comme conscience et se réalise comme vacuité, sont sans discontinuité d'essence, et sans obstruction d'apparence.

Nulle part, en aucun lieu, à aucun niveau, à aucun moment, pas même en dehors du temps, il n'y a de « soi » : ni dans toute l'étendue des phénomènes extérieurs, ni dans les plus profonds recoins intérieurs. Pas de personne dotée d'une identité propre, pas de « moi » autonome doué de libre-arbitre, pas de Soi nouménal : ni dans les objets perçus, ni dans les organes sensoriels percepteurs, ni dans les consciences sensorielles, ni dans la conscience mentale, ailleurs...


« La nature de tous les phénomènes est la vacuité : 

ils n'ont pas de caractéristiques, ne sont pas créés, ne cessent pas, 

n'ont pas d'impuretés, ne sont pas sans impuretés, ne diminuent pas,

 n'augmentent pas, à cause de cela, dans la vacuité, 

il n'y a ni forme, ni sensation, ni discrimination, ni formation, ni conscience, 

ni yeux, ni oreilles, ni nez, ni langue, ni corps, ni esprit, ni forme, ni son, ni odeur, 

ni goût, ni objets tangibles, ni objets de la vue, ni objets de conscience, ni objets 

de l'esprit, et ainsi de suite jusqu'à ni objets de la conscience » EPS.

 

Qu'il n'y ait pas de « chose en soi » ne signifie pas qu'il n'y ait rien ! Le sῡtra du cœur n'affirme pas la radicalité de l'inexistence de toutes choses. Il ne dit pas qu'il n'y a pas de réalité physique, pas de vue, pas de conscience, pas d'esprit du tout, seulement qu'ils ne peuvent exister sans leur « objet » correspondant. Pour le bouddhisme, l'agrégat des consciences est formé de six ou de huit consciences selon les écoles de pensées. Et si chacune peut se concevoir isolément à l'étude de leur fonctionnalité, en termes d'interdépendance, elles constituent le prisme d'un événement aussi intangible qu'un rêve…

Au sein de ce « palais des glaces » qu'est l'univers tout entier des dix directions, où toute chose ultimement n'a d'existence qu'en tant que simple désignation, il n'y a rien, du fait même de sa liberté d'assertion qui le rend libre de tout concept d'être et de non-être, qui n'ait de « réalité » autre que celle d'un reflet (simple désignation vide d'essence), et en même temps qui ne puisse pas ne pas apparaître comme un « objet » doté d'une existence véritable !

Selon le point de vue à ce « juste moment » là, quand le signe se réalise comme sens, l'idéogramme comme expérience, le kōan comme « présence », l'univers tout entier se réalise comme kōan, l'événement comme idéogramme, le signifié comme signifiant, et se réalise également comme étant… « sans réalisation » ! La nature du vent demeure constante, mais il est nécessaire d'agiter l'éventail de sorte à ce que la permanence du mouvement s'exprime à travers cette action. Il n'est aucun lieu que la voie ne remplisse et qui ne soit la voie, mais « pour que cela soit », la voie doit être pratiquée de sorte à être la voie ! A l'instar du « paradoxe de l'écrivain » qui remonte le temps pour se donner à lui-même le livre qu'il vient d'écrire de sorte… qu'il l'ait déjà écrit avant même de l'écrire !

Sous la perspective du « temps linéaire » (où l'événementialité de l'existence est expérimentée comme un référentiel conditionnel de sa causalité), le kōan se réalise comme présence, le vent de l'éventail est vécu comme l'expression de la constance du mouvement. L'écrivain a beau ne pas avoir écrit son livre, il a bien fallu qu'il remonte le temps pour se le transmettre à lui-même, et dès lors, il avait déjà le livre en sa possession avant même de se le donner !

La conditionnalité séquentielle s'effondre à l'inversion de la perspective. Le fait de considérer la présence qui se réalise comme kōan, c.à.d. de faire l'expérience phénoménologique (dans la conscience mentale) de l'univers des dix directions qui se condense, se réduit, se résume sous la forme d'un idéogramme, induit une perspective non linéaire, « circulaire », du temps. Dès lors, sous la perspective de l'inversion inversée, apparaît l'évidence que le kōan est présence et la présence kōan sans qu'il soit besoin de le réaliser !

Le kōan n'est ni la chose perçue, ni son idéogramme, ni sa symbolique, ni son concept, ni sa compréhension, ni sa réalisation, ni sa « perception yogique directe », et n'est pas non plus (au-delà de toute désignation) … autre que « il-y-a » tout cela ! Tel le non-soi de la personne, le kōan ne se trouve nulle part, et ne se réalise pas ailleurs, ni autrement, que dans le non-soi de sa réalisation. Ainsi, le retournement (repliement) de la conscience sur elle-même est constitutif, non pas de la préhension phénoménologique de l'ipséité du « Soi » mais, de la réalisation du non-soi à l'événement (du non-événement) de la révélation de la vacuité de sa « perspective subjectiviste » !

Tout paradoxe induit par l'illusion du « réalisme de l'être » disparaît de facto à la dissolution simultanée du kōan qui se réalise comme présence et de la présence qui se réalise comme kōan, à l'annihilation mutuelle de la perspective relativiste de l'objectivité et de la subjectivité (comme objectivité), à l'abrogation de l'assertivité de toute proposition, y compris de l'assertion du pas-même à réaliser le kōan qui se réalise comme présence du kōan…


EPS : L'essence de la perfection de la sagesse (« le sῡtra du cœur ») – Sadhana n°18 https://www.centreparamita.org/?navig=/Boutique/Sadhanas