I.33 – Tat tvam Asi – l’unité de la conscience en-soi

04/04/2018

« Tu es Cela » affirme le Vedanta. Ton être véritable est l'Absolu. Le Soi est intérieur et universel, présent en chacun et actuel en tous, ici et maintenant, partout et de toute éternité. Sa révélation est réalisée par la méditation sur la signification de «Tat Tvam Asi», dans l'expérience spirituelle de l'unité de la conscience non-manifestée.

La connaissance du Soi est le produit de l'(en)quête spirituelle du yoga. Elle est le résultat d'une introspection qui procède non pas de la destruction mais de l'épure de l'ego, de la clarification de notre identité réelle. Son intuition se forme par l'abstraction de la subjectivité qui (dé)couvre une conscience non limitée. L'identification au moi est un voile qui limite le conscient. Le discernement de notre véritable nature dissipe l'illusion et libère la perception d'une conscience directe et sans limite.

Le désir de comprendre, le réel, l'univers, nous-mêmes, est inhérent à notre essence. La connaissance est un attribut de notre nature profonde[i], mais elle s'exprime par l'intermédiaire d'un intellect forgé par la nature, structuré par l'univers, qui en réduit la portée de la cognition et la clarté de la perception. Comme le corps, le langage est une enveloppe du sens, les mots en sont l'incarnation. Il y a plusieurs millénaires, les grands rishis hindous se sont éveillés à une conscience pure qui leur a permis de percer la nature du réel. Le sanskrit a été inventé pour en effectuer la (re)transcription, mais le sens incarné de cette connaissance est (re)couverte du voile de l'entendement humain. Les Védas sont un véhicule qu'il nous faut interpréter.

L'essence du Vedanta est que le soi individuel, l'âme incarnée, le Jiva, est identique au Suprême, l'Absolu, le Brahman, ce qu'entend le grand énoncé de la révélation des Upanishads, « Tat Tvam Asi » : la nature de l'essence intérieure de vous-même et de la nature de Brahman est une seule et même chose, conscience impersonnelle et omniprésente. Tu n'es autre que le Brahman Lui-même et Lui seul tu es[ii].

Le postulat de cette philosophie est que l'essence de notre « être véritable » est individuelle et universelle, différenciée et entrelacée, multiple et unique. Une différence qui n'est qu'un paradoxe apparent. Swami Sivananda a une très belle métaphore pour exprimer l'identité de la nature du Soi et de l'Un. « ...de même que l'eau du Gange dans un vase de cuivre et l'eau du Gange dans un pot sont les mêmes, bien que les véhicules soient différents ; tout comme un homme qui s'appelle un fils en référence à son père, un petit-fils en référence à son grand-père est la même personne ; de même la conscience pure est la même dans Isvara et Jiva, identique à Brahman[iii] ».

Le corps physique, le moi, sont des véhicules, des enveloppes, organiques et psychiques, qui nous distinguent les uns des autres. Au niveau le plus fondamental, le plus profond, de nous-mêmes, réside une essence unique.Son identité n'est pas fonctionnelle. Ce n'est pas la faculté cognitive que les êtres humains ont en commun - de par les caractéristiques propres au fonctionnement cérébral de notre espèce - d'être « conscients de quelque chose ». C'est, au-delà de toute subjectivité qui la différencie, une unité « en soi » hors de toute forme, de toute perception, de toute identité.

Le Vedanta postule l'existence d'un Être universel, métaphysique, dont le Soi partage l'essence sous une forme « individualisée ». Cette opposition du multiple à un Être Suprême souligne l'illusion qui voile l'unicité de « Cela » par l'identification du Soi sous la perspective individualisante de l'ego. Toutes les religions confèrent au divin un support identitaire : les monothéismes affirment l'Absolu à travers la sacralisation d'une figure unique dotée des attributs de la perfection ; l'hindouisme le vénère à travers une multitude de visages aux caractéristiques identitaires. Le panthéon Hindou représente l'Un à travers une infinité d'avatars - qui font sens selon chacun - dont chaque incarnation est un symbole des attributs et des qualités de l'Absolu.

Le Védanta pose le Tout dans le rapport au multiple, mais ne différencie pas le pendant individuel de la conscience universelle, la partie de l'ensemble, comme les vagues de l'océan. Avec la perspective, l'océan apparaît bien plus grand que la somme de toutes les vagues et l'ensemble de toutes les gouttes d'eau qui le constituent. Dès lors que l'on voit une chose dans sa globalité, ses parties s'estompent et ses particularités avec elles - l'éloignement révèle le Brahman, la proximité le jivatman[iv] -. Avec la perspective de l'Un, des propriétés en apparence nouvelles sembler émerger. Elles ne sont que le reflet de qualités vues sous un angle différent, celui de l'ensemble plutôt que de ses éléments. L'occultation de ses composants fait que cet ensemble nous apparaît sous la forme d'une identité propre. L'effigie Suprême du Soi s'esquisse avec l'ouverture de la focale de la conscience et s'estompe avec sa fermeture qui dessine à l'opposé l'image individuelle du Soi.

L'état unitaire qui s'installe au cœur du silence de la conscience ne distingue plus ni forme, ni limite et s'expand hors de tout englobement. La conscience s'extrait de la perspective subjective du moi. Ce qui perçoit n'a alors plus rien d'individuel, ne se discrimine plus en tant que sujet, dépasse la perception de toute forme d'individualisation jusqu'à perdre le sens du mot. La conscience se désincarne du langage qui l'enchâsse. Son discernement est alors dissipé du voile identitaire qui la (re)couvre à sa propre connaissance.

Dans cet état non-manifesté où toute discrimination et tout opposé est aboli, pas plus qu'elle ne s'affirme « Soi » la conscience ne s'énonce « Absolu ». Elle est, simplement, sans forme ni déterminant, sans étendue ni durée. Les notions identitaires d'atman ou de jivatman ne font plus sens à une intuition pure sise au-delà de tout entendement. Les contraires ne sont plus un obstacle, la dualité n'est plus un paradoxe, l'inconcevable n'est plus une énigme lorsque la connaissance ne transite plus par l'intellect.

La méditation expérientielle sur « Tat tvam asi » entraîne à la prise de conscience que le caractère unitaire de la conscience repose, au sein de la cognition pure, sur l'abolition de la segmentation entre pensée rationnelle et perception intuitive. C'est voir l'union sans la désunion, l'harmonie sans la dissymétrie. C'est réaliser une connaissance sans objet, non discriminante. L'état unitaire de la conscience est l'intellection de soi « hors du Soi », la perception de l'unité « hors de la dualité », l'impression de l'absolu « hors du Suprême », l'expression de l'êtreté « hors de l'Être », l'éveil du principe de conscience « hors du conscient ».

La conscience (im)personnelle, au-delà de la personne psychologique, au-delà de l'individualité, au-delà de la connaissance subjective, est non différenciable. Hors de toutes limites, l'Absolu ne peut être disjoint de lui-même. Poser le Soi « individuel » - dont l'étymologie est « indivisible » -comme partie de l'Absolu par définition non divisible est paradoxal. Un paradoxe qui donne son pouvoir à la méditation sur « Tat tvam asi ».

Méditer sur « Tu es Cela », c'est au-delà du corps, au-delà du langage, étreindre le sens par-delà les voiles de l'illusion. La démarche du yoga qui cherche à joindre, à (ré)unir, ce qui de toute éternité n'a jamais été désunis hormis par l'égarement est l'exégèse de cette méprise, l'examen critique de l'intention - le samkalpa métaphysique - qui amena la conscience pure à s'extraire d'elle-même, à s'établir dans un état de décohérence à sa propre connaissance en s'incarnant dans la perspective du sujet.

La métaphore, qui fait du Gange le signifiant du Brahman et de l'eau dans des récipients le signifiant du jivatman, a pour sens d'illustrer l'idée que la « division » de l'unitaire n'est autre que le résultat du jeu des apparences, la maya, inhérent à l'ordre de la nature phénoménale. C'est par la logique de l'identité, dans le feu de la confrontation des opposés qui permet de brûler les signifiants erronés, que le Vedanta donne à l'intellect humain les moyens de dépasser l'illusion de la dualité et de réaliser le sens de « Tu es Cela ». Par le dépassement des antithèses, l'opposition rhétorique entre l'individuel et le Suprême permet de relâcher l'intellect, d'étirer la compréhension et d'ouvrir à l'intuition de l'unité « en soi » de la conscience.

La vraie essence de « l'unité » est la liberté d'un horizon sans limite, infini dans l'espace, sans durée dans le temps, un ensemble sans ensemble, dont le caractère total ne provient pas de la possession de tous les attributs de l'Absolu mais parce que son essence, non-locale, est au-delà de toutes qualités. « Cela » est sans forme, ineffable, indescriptible, incomparable hormis avec lui-même dans la distinction dialectique que le Vedanta établi à dessein entre l'identité du Soi individuel et du Soi Suprême. Au-delà de l'intellection du sens de «Tat tvam asi», l'intuition s'ouvre sur l'expérience d'une conscience non-manifestée et unitaire.

La véritable nature de « Cela » est l'unité de la conscience en-soi, hors de toute forme individualisée, de toute perspective subjectiviste, de toute notion identitaire, entitaire ou élémentaire. « Tu » ne désignes pas une partie qui serait à mettre en rapport avec le « Tout ». Hors de la localité de la nature, son essence est purement unitaire. Lorsque nous réalisons que nous sommes « Cela », il n'y a aucun pas supplémentaire à faire, aucun seuil à franchir, aucun Absolu avec lequel fusionner ou nous (ré)intégrer.

La conscience unitaire, c'est la conscience en tant que principe. La non-localité de son en-soi est un état dans lequel il n'y a plus de différence entre l'objet, la connaissance et le connaissant - le Samâdhi (permanent) de Patanjali-. Il n'y a plus rien qui soit « conscient de quelque chose », il y a seulement une conscience en lien direct à elle-même, hors de tout rapport de sujet à objet. La conscience pure est « une en soi », absolument, indépendamment, irréductiblement unitive dans son essence.

Ce qui fait apparaître désuni et différencié ce qui est uni et indivis, ce sont : la maya, le pouvoir de projection et d'illusion qui (re)couvre la conscience pure par l'incarnation physique, l'actualisation dans le corps du monde matériel de la Prakriti ; et Avidya, le pouvoir d'enveloppement et de dissimulation qui la fait se méprendre sur sa véritable nature par l'identification au moi.

Maya est « la cause matérielle du monde... ». C'est également une illusion. « ...On ne peut pas dire que cette Maya impénétrable et indescriptible existe ou n'existe pas (...) elle est incapable d'être décrite[v] ». Autrement dit, la causalité, la matière et la réalité physique sont illusoires. Il n'y a pas de véritable « création » de quoi que ce soit dans l'univers. Cette définition fait écho à la mécanique quantique où l'électron n'a d'existence que purement statistique, l'observation (la mesure) le rendant actuel, local et temporaire.

La logique de la libération du Soi individuel découle du discernement de l'illusion de la maya et de la dissipation de l'ignorance d'Avidya par la réalisation de notre identité au Soi Suprême, « Tu es Cela ». Le Vedanta assoit ainsi l'affirmation de l'Être, en opposition au caractère illusoire de tout ce qui ne relève pas de lui, comme unique et seule vraie réalité.

Tout est Brahman. Il n'y a pas de diversité (...) l'émancipation est atteinte par la connaissance de la vraie nature de l'Esprit et par la discrimination de l'esprit par rapport à la matière (...) Le monde des noms et des formes disparaît entièrement de la vision d'un sage. Ce n'est qu'une illusion qui peut être enlevée par la simple connaissance (...) l'univers qui est enlevé par la connaissance du Soi est aussi une illusion[vi].

La maya est une illusion, ni créatrice de la dualité, ni origine causale de la scission de l'unité et de son déploiement dans la diversité. Elle opère par un changement de « point de vue ». Les mécanismes de l'illusion et de l'enveloppement, de la projection et de la dissimulation, mettent en perspective la conscience pure dans ses formes d'expression sans en changer l'essence qui demeure identique et immuable.

Cette perspective exclu tout caractère causal. Le titre familial que l'on donne à un homme, fils ou petit-fils, s'inscrit dans la causalité. Un homme ne peut être père avant d'être fils, comme des récipients ne peuvent contenir de l'eau du Gange si elle n'y est pas prélevée. Or, « tu » ne peut avoir de début, car « Cela » n'a pas de commencement. Le changement de point de vue de la conscience pure sur elle-même se produit dans le cadre de la causalité, mais son état unitaire est non causal, hors de l'horizon de la maya.

La maya est circonscrite au domaine du réel physique ou plus exactement la réalité matérielle est le résultat du jeu de son expression. L'Absolu et l'infini sont au-delà de sa sphère d'influence et de manifestation, comme les lois physiques qui régentent l'univers à notre échelle n'ont plus cours au-delà de l'horizon des événements d'un trou noir. «L'Éternel demeure toujours dans sa propre nature[vii] ». La réflexion philosophique se doit d'expurger totalement la question de la subordination de l'Absolu à l'illusoire. Si la maya est un jeu de perspective, comment démontrer que le Soi individuel et le Soi Suprême - pour dire les choses clairement l'âme et Dieu - ne sont pas des points de vue sur une réalité dont la véritable essence est hors de toute (dé)limitation ?

Ce n'est pas que pour des raisons rhétoriques que le Vedanta extrapole les qualités du Soi des attributs du Suprême : connaissance et action limitées par opposition à l'omniscience et à l'omnipotence. Nous ne sommes pas seulement limités par l'intellect et le langage, produits de la maya, dans notre capacité à saisir la nature véritable de « Cela ». Que la scission opérée par la maya sur la conscience pure - par la disjonction du relatif à l'absolu, de l'observé à l'observateur, du connu au connaissant - soit une illusion n'a que peu d'importance, car du point de vue de l'incarnation, elle est réelle. L'existence est réelle, la vie est réelle, la souffrance est réelle, peu importe qu'elles résultent d'un mécanisme de superposition ou d'attribution.

La superposition, Adhyasa, c'est voir les propriétés de l'être comme nouménales, intrinsèques, alors qu'elles sont phénoménales, relatives à sa manifestation. Le Soi intérieur n'est pas un objet, il est « auto lumineux, facteur (...) subjectif dont la présence est intuitive... ». L'intuition de la présence du Soi émane de l'impression du Soi à son aperception. Le Soi devient un objet par projection (superposition) des attributs du Soi Suprême (l'Intelligence, la Connaissance absolues...) sur ce qui relève de la non intelligence : « ...le sens du corps, l'esprit, le prana et les objets des sens, c'est-à-dire l'univers phénoménal manifesté... ». Projection créatrice d'un objet mental, d'une représentation idéelle, le non-soi en opposition au Soi, le moi « ...limité ou conditionné par ses adjonctions qui sont le produit de la nescience[viii] » (de l'ignorance), le produit d'une perception et d'une intellection relatives au point de vue subjectif et identitaire de l'ego.

La superposition est au cœur du mécanisme d'identification au moi. Le rapport entre le Soi individuel et le Soi Suprême n'est pas du même ordre car selon le Védanta, « Cela » n'est pas subordonné à la maya. Il faut donc que « tu » aies eu l'intention de se placer sous son égide pour être affecté par son voile et s'apparaître disjoint, dupliqué en son reflet. « La superposition connote l'existence de deux sujets distincts en même temps [ix] ». La mise en perspective de la conscience pure par la projection de la maya est, sous l'angle de l'illusion, créateur à la fois de la réalité du « point de vue » de l'atman et du « point de vue » du Brahman.

L'existence de la « perspective du Soi Suprême » est consubstantielle et simultanée à l'apparition de « l'angle de vue du Soi individuel ». Dieu naît en même temps que l'homme. Une « naissance », non une essence, qui ne s'inscrit pas dans une philosophie nietzschéenne où l'homme est pensé en regard de lui-même, mais rétablit l'atman et le brahman dans l'acception de « Cela » qui les fait se (re)joindre, se fondre, dans une réalité indicible et indescriptible pour laquelle « Tat Tvam asi » est l'affirmation du caractère absolument, indépendamment, irréductiblement unitaire et cohérent de la conscience pure sous quelque projection, illusion ou définition que ce soit. C'est ainsi que le jeu d'illusion de maya et d'avidya, qui (dé)forme et rend duelle l'(a)perception, devient un prisme révélateur de « Cela ».

La maya n'est pas seulement le voile de l'illusion naturelle qui cache notre vraie nature, mais le pouvoir de la conscience de se manifester et de prendre conscience de soi, comme le vide qui soutient le monde de la forme[x].

La maya est à la fois un reflet du miroir de l'Absolu, « le reflet de l'intelligence (...) qui n'est relié qu'à l'intelligence appelée Isa ou l'Être Suprême[xi] », et un miroitement sans réfraction. De ce «côté-ci » du miroir prismatique - « l'horizon des événements » de la conscience unitaire - les formes individuelles et Suprême du Soi sont des perspectives, des angles de vue discriminants, disjonctifs en leur dualité, différentiels en leur diversité, comme la partie et le tout, l'élément et l'ensemble.

A l'échelle relativiste, la maya réfléchit à la fois les objets et l'espace, le plein et le vide. A l'échelle microscopique, les atomes sont séparés par un vide immense. Le plein n'est plus différenciable de l'espace. La position des objets ne peut plus être déterminée. La présence à une extrémité de l'échelle s'estompe et s'évanouit à l'autre extrémité. La maya reflète la forme et le sans-forme. La longueur de sa focale détermine ce qui est réel.

Un objet n'est différencié qu'en regard des conditions relatives à la forme de la manifestation phénoménale sous l'angle duquel il est observé. La réalité n'est qu'apparence et illusion. Le vide n'a pas de dimension, ni de durée, il ne s'additionne pas à lui-même. Ajouter du vide au vide n'augmente pas la quantité du vide, mais ajouter de l'espace à l'espace accroît son volume et son étendue. La perspective confère à la forme une dimension, des qualités et des propriétés distinctes. L'espace se comporte tel le plein, la diversité tel l'un, le tout paraît disposer d'attributs qui subsument ceux de ces éléments constitutifs. Hors de tout rapport d'échelle, l'un s'affirme propre et indépendant en sa réalité.

La diversité naît de la proximité, l'unité de l'éloignement. De ce côté-ci de l'horizon - de la nature ou Prakriti - être réel, c'est être actuel. Les objets n'ont de réalité que du point de vue local. Sous l'éclairage le plus fin, il n'y a plus rien que le reflet d'un espace continu et sans limite. La forme est vide, le vide est plein. A une échelle encore plus petite, quantique, là où rien n'est visible, où tout paraît immobile, l'espace est remplit d'une effervescence continuelle, l'énergie du vide - bouillement permanent produit par la création et la destruction (l'actualisation) incessante de particules -. La réalité évolue à l'état de non-localité. L'électron n'est pas manifesté, purement probabiliste. C'est le plan indéterminé, Shiva, animé par l'activité continue de la Shakti.

Dans ce maelstrom énergétique, deux particules peuvent (co)exister en état «d'intrication quantique» duquel rien ne permet de les distinguer en tant qu'entités autonomes. Transposé à l'échelle relativiste, c'est comme si une goutte d'eau occupait simultanément la même place qu'une autre goutte d'eau, que l'océan n'était pas constitué d'un ensemble distinct de particules d'eau mais formait un tout indifférencié, oscillant dans un état non identitaire.

Le reflet de la forme dans la maya, la localité des phénomènes à travers le prisme de l'illusion, est l'autre extrémité de la réfraction du sans-forme, l'écho de la non-localité. L'espace quantique est la frontière indicible du miroir prismatique de la maya, «l'horizon des événements» intangible - au-delà duquel « tu es Cela » - qui sépare sans les désunir, distinct sans les disjoindre, la conscience avec sujet de la conscience sans objet, dans l'enveloppement de la dualité de l'atman et du Brahman.

Cet horizon des événements existe de toute éternité, si tant est que le concept « d'éternité » (et celui d'existence) fasse sens de cet autre côté du miroir où ne règne nulle localité et nulle causalité. De ce côté-ci du miroir, la maya n'a pas de commencement. « Brahman est sans commencement et sans fin. Maya est sans commencement, mais elle a une fin. Elle disparaît dès que l'on obtient la Connaissance du Soi[xii] ».

Lorsque l'unité se révèle et qu'Avidya s'évanouit, la dualité de l'(a)perception du « Soi individuel», élémentaire et identitaire, au « Soi Suprême », entitaire et tutélaire, est abolie. Ne reste que « Cela ». Pour autant, la connaissance expérientielle de l'état non-manifesté de la conscience n'est pas la libération, moska, le franchissement de l'horizon de la maya qui marque l'achèvement véritable de la segmentation prismatique de la conscience pure, sans objet.

La perspective demeure tant que la conscience se tient de ce côté, tant que son intention l'y maintient dans sa clairvoyance. La révélation est la libération du regard. C'est l'(a)perception lucide du spectre de la maya. Nous savons au plus profond de nous-mêmes ce qu'être une « conscience sujet » signifie, même si notre enveloppement dans le « je » et l'identification au moi tendent à détourner ce sentiment implicite vers la perspective du « sujet conscient ». Par la méditation, le yoga nous permet de modifier l'orientation de l'axe de la perspective que nous avons sur notre véritable nature, de nous apprendre à comment passer d'une vision autocentrée, où le conscient s'expérimente par l'entremise du « je », l'écran du moi et le filtre de l'ego, à une qualité de conscience hors de toute subjectivité.

Le Samâdhi de la conscience pure est la concorde du principe de connaissance et de la cause efficiente du connu hors de l'illusion de la perspective du sujet. La réfraction macroscopique de la forme pleine dans un miroir ne comble pas le vide microscopique, ni ne fige l'agitation quantique dans un repos absolu. Le plein cache le vide, le calme masque le mouvement, le moi occulte l'unité de la conscience, comme le sommet d'une montagne se dérobe au regard. A mesure que l'horizon s'éloigne, la rotondité de la Terre se révèle. La maya est le jeu d'un caléidoscope de facettes qui s'occultent mutuellement sans s'exclurent.

L'abolition de l'illusion au-delà de « l'horizon des événements » n'est pas synonyme de la désintégration des points de vue de la conscience aux antipodes du spectre de la maya. Adopter la perspective où la connaissance s'établit sans objet n'obère pas la perspective où elle s'opère en sujet, elle les lient dans leurs principes. La conscience pure est l'entase du sujet à l'objet de la connaissance par l'extase de leur indiscernabilité. C'est l'éclat d'une lumière éblouissante diluée dans un rayonnement aveuglant.

L'Absolu est la contraction du prisme de la maya, la concentration de toutes ses longueurs d'ondes qui déploient les angles de son illusion en-deçà de l'horizon de la conscience pure :

- « Tu es Cela » : superposition des points de vue de l'individuel et du Suprême ; coïncidence des points de fuite de la perspective du Soi et de l'Être ;

- « Tu es Cela » : parité de l'élémentaire et de l'entitaire ; harmonie plurielle de l'unité ;

- « Tu es Cela » : forme vide et vide sans-forme ; le Soi dans l'Un et « un en soi ».

Namasté


[i] « ...la connaissance, mais pas l'ignorance, est la vraie nature ou l'attribut inhérent de l'âme ou Atman », Les cinq caractéristiques d'Atman www.sivanandaonline.org/public_html/?cmd=displaysection&section_id=750&format=html 

[ii] Tat Tvam Asi Mahavakya www.sivanandaonline.org/public_html/?cmd=displaysection&section_id=785&format=html 

[iii] Ibid.

[iv] « ... dans la phrase « Tu es Celui-là », le mot « Celui » indique la conscience caractérisée par l'éloignement, et le mot « Tu » désigne la conscience caractérisée par la proximité. Les deux se réfèrent à une seule et même conscience à savoir, le Brahman», Ibid.

[v] Doctrine de Maya par Swami Sivananda https://www.sivanandaonline.org/public_html/?cmd=displaysection&section_id=807&format=html 

[vi] Ibid.

[vii] Ibid.

[viii] Adhyasa ou superposition par Swami Sivananda www.sivanandaonline.org/public_html/?cmd=displaysection&section_id=794&format=html 

[ix] Ibid.

[x] The Illusion of Social Media, Ty Landrum https://www.tylandrum.com/the-illusion-of-social-media/ 

[xi] Maya et Avidya par Swami Sivananda www.sivanandaonline.org/public_html/?cmd=displaysection&section_id=805&format=html 

[xii] Ibid.