I.35 – Yoga dans l’Himalaya – La dévotion

07/05/2018

Personnaliser le divin pour l'adorer, se prosterner devant ses effigies pour le vénérer, se soumettre devant le maître pour se discipliner, ne sont que des postures. La véritable dévotion vient du cœur. C'est une offrande d'amour inconditionnelle, la résonance en chacun de nos actes de la Joie et de la Félicité de notre essence.

Hanumān le parfait dévôt de Rama - et Sita qu'il porte dans son coeur - Ashram de Parmath Niketan à Rishikesh
Hanumān le parfait dévôt de Rama - et Sita qu'il porte dans son coeur - Ashram de Parmath Niketan à Rishikesh

Construit sur les contreforts des montagnes qui enserrent le cours du Gange, Rishikesh offre de nombreux points d'observation. Certains panoramiques surplombent depuis les hauteurs des deux rives où depuis les temples bâtis en terrasses, d'autres enjambent le fleuve comme le pont Lakshman. Ils sont comme les facettes d'un prisme qui décompose les couleurs du spectre. Il faut les recombiner pour voir la lumière pure, non fragmentée.

Le yoga également s'est démultiplié en Occident, sa dimension spirituelle s'est diluée comme un composé actif dans l'homéopathie. Le courant originel du yoga en Inde a pour fin de préparer (ce n'est qu'un début) à la libération, moska du cycle des réincarnations, samsāra. Plus exactement, de la « transmigration de l'unité infrangible de l'atman en des composés corporels impermanents [i] » , dans lesquels il s'individualise sous la forme du jivatman par identification au moi et à l'ego. Le samsāra est mû par le karma, le poids des actes du jivatman qui l'entraîne dans son cycle et détermine les conditions de chacune de ses incarnations. Ce mécanisme de transmigration a pourtant une finalité, apprendre et comprendre par l'expérience quelle est notre véritable nature afin d'évoluer spirituellement à son éveil et à sa réalisation.

En Occident, le yoga est souvent réduit au seul bien-être du corps et de l'esprit. Dans son approche la plus dépouillée, ce yoga laïque est expurgé de tout caractère philosophique et spirituel. Seules sont retenues l'habileté dans la pratique des asanas, la rigueur des alignements, la quiétude offerte par la méditation. Pourtant, nous sentons intuitivement, et nombre d'enseignants essaient de le transmettre, que le yoga est beaucoup que cela. Mais, nous n'avons qu'une idée vague de son étendue et de sa profondeur réelles.

Parmi les concepts qui ne nous sont pas étrangers, celui de tapas « chaleur ; austérité ; phil. force d'âme acquise par l'ascèse, une des disciplines [niyama] du yoga GHUET ». Premier anga de l'Ashtanga yoga de Patanjali, tapas, c'est le feu intérieur qui brûle nos impuretés psychiques, tout ce qui nous empêche d'agir : résistances, peurs, conditionnements ou samskaras (les empreintes du mental, habitudes ancrées), nos vasanas (les motifs inconscients de ces empreintes), qui sont les expressions du réflexe de crispation de l'ego.

Au fondement de l'hindouisme, il y a le mythe du barattage de la mer de lait. Les dieux et les démons, en cherchant à en extraire le nectar d'immortalité, l'amritâ, firent remonter un poison à sa surface. Brahma et Vishnu ne purent le boire, Shiva le digéra mais en eut la gorge colorée en bleu. La symbolique est celle de la pratique du yoga qui produit des énergies toxiques. « Notre mental est tiraillé entre le bien et le mal [les dieux et les démons], le désir et son dépassement. Quand on s'intériorise, beaucoup de choses remontent, dont certaines ne sont pas positives, il faut avoir la force du yogui pour transformer le poison [de nos pensées] en antidote par la méditation[ii] ».

D'où l'importance de ne pas porter de jugement, d'accepter ce que l'on ne peut pas gérer, de s'abandonner, lâcher-prise, comme sur le pont Lakshman à Rishikesh, pour expurger le poison du doute. « Grâce à la force du yoga, de la focalisation, on peut devenir comme Shiva, ne pas avoir d'angoisse, de serrements de gorge en face de ces remontées désagréables. On se relaxe, on desserre la gorge et on la dilate à la dimension de l'espace infini[iii] ».

Par une pratique consciente, saine et persévérante, il nous est possible de gommer nos mauvaises habitudes et d'en développer de bonnes en créant des empreintes d'énergie positive dans notre mental. Tapas, ce n'est pas une pénitence volontaire, une contrition délibérée, c'est un don de soi, un cadeau fait à soi-même, un bonus karmique, punya, « de bon augure, favorable ; juste ; méritoire GHUET ». Un bonus que l'on peut donner à autrui, comme une offrande, pour sa propre édification spirituelle.

Lorsque nous agissons sans rien attendre en retour, sans attachement aux fruits de nos actes, « après l'effort, vient toujours la grâce[iv] », comme dans un trek vers un temple dans l'Himalaya. L'effort est intrinsèque au don. Il n'y a pas d'ascension, pas d'élévation, de transformation possible, pas de passage à un autre niveau de réalité, à une autre qualité d'existence, sans activation du feu intérieur subtil qui permet de discerner la vérité, d'(a)percevoir le Soi. L'effort physique est facile à initier. L'effort psychique s'invite de lui-même comme le mental dans la méditation. Mais, l'effort spirituel, le don inconditionnel de Soi, qui brûle du karma et consume l'ego, est plus difficile à allumer et à attiser qu'un feu de bois.

Un feu comme celui que nous avons allumé dans la grotte du sādhu Akilesh Swananda qui accepta de nous y accueillir. Une rencontre improbable encore une fois, inspirée par la conjonction d'une pluie soudaine. Pour parvenir jusqu'à lui, nous avons suivis le chemin du pèlerin, nous avons fait corps avec le chemin, nous sommes devenus le chemin et le chemin nous a emmené hors du chemin. Il s'est produit comme un décollement, une fissure dans le tissu de la réalité, comme le gîte de ce Sādhu construit entre deux gigantesques rochers au pied d'une cascade dans un endroit paradisiaque.

Ce nettoyage psychique et spirituel du tapas s'inscrit dans l'idéal de pureté, saucha, visant à permettre à l'énergie de circuler librement, sainement dans les différentes enveloppes, koshas, du corps, sans rencontrer d'obstacles, sans être colorée par le moi ni influencée par le karma. L'ascèse du yoga vise à faire du yogi « un instrument pour aider et inspirer les autres ». La finalité spirituelle est de devenir un transmetteur, un relais, le maillon d'une chaîne de maîtres à disciples qui conduit à la libération, moska.

Outre les niyamas, règles de discipline personnelle, ce processus éclaire l'importance spirituelle des yamas, règles de vie morale comme aparigraha une autre facette du détachement visant à devenir « indifférent aux biens matériels ; renoncement à la fortune, vœu de pauvreté GHUET ». Pour s'inscrire dans cette chaîne de transmission, le yogi doit se préparer de longues années durant en renonçant aux passions, vairagya et en faisant acte de renoncement au monde, sannyas « déposer, abandonner ; renoncer GHUET».

Au terme d'un long chemin ascétique, d'abord en renonçant, samnyasana « sam complet et nyasa renoncement, dévouement[v] », Swami Atma[vi] décrit la cérémonie au cours de laquelle il reçu le vêtement orange - couleur du soleil levant et de la pureté - du sannyasin « ascète renonçant GHUET » comme un rituel de mort symbolique au cours duquel sa famille et relations « deviennent mortes à ses yeux ». Il s'en souvient comme d'une seconde naissance où il entre « au service de toute l'humanité qui devient ses frères et sœurs ».

De notre point de vue d'individu social, le renoncement des Sādhus est un isolement, une coupure radicale, une mise à l'écart volontaire du monde. Devenir Sādhu, c'est vivre dans une grotte, dans l'Himalaya ou ailleurs, mais loin de la civilisation, seul, sans famille ni relation. C'est de prime abord la vie que mène Akilesh Swananda dans sa grotte. Avant de tout quitter, il y a sept ans pour devenir Sādhu par exaspération de la vie mondaine - faite, selon ses propos « de beaucoup d'efforts pour de petits bonheurs » -, il était chirurgien ophtalmologiste. Il aime en plaisanter en disant que « des gens maintenant, il ouvre le troisième œil ».

« La beauté de l'ascèse est dans la solitude ». Mais, malgré son isolement, Akilesh Swananda avoue être bien moins seul qu'auparavant. Comme Swami Atma, sa famille «comprend désormais tous les hommes ». Son univers est bien plus vaste que celui de la société dans lequel nous vivons et son existence possède un sens bien plus riche, car il œuvre comme les rishis ancestraux avant lui pour rééquilibrer les énergies négatives dans le monde par ses méditations et prières quotidiennes pour la paix.

Le renoncement est l'affirmation que nous ne sommes pas le moi. C'est une (re)connexion au Soi qui procède de la désidentification de l'ego. La société masque notre nature profonde comme le discours du mental et la rhétorique de l'ego recouvrent le silence de la conscience. Samnyasana, c'est enlever tout ce qui nous différencie individuellement, tout ce qui nous isole par la mondanité, tout ce qui nous sépare humainement des autres : les vêtements, les biens, les possessions matérielles, le métier, l'identité.

Après avoir longuement médité « et approfondi les lois de la vie au-delà de tous dogmes », après avoir patiemment développé « un profond respect pour l'humain », lorsque « les critères de non jugement, de compassion et de tolérance sont éminemment présents dans sa vie [vii] », le renonçant est susceptible de devenir swami, « celui qui est maître de lui-même[viii] ». S'il l'accepte et s'il est intronisé dans cette charge, il devient un guide spirituel.

La relation de maître à disciple est au cœur du processus de libération qui repose sur une filiation non pas familiale mais énergétique. « Lorsque l'on ressent la présence d'un maître, lorsque l'on s'établit dans sa présence, il s'en dégage une énergie qui émerge du silence », dit Swami Atma. Cette énergie n'est pas comparable à la chaleur d'un feu ou aux rayons du soleil. Elle s'apparente à la résonance interne du corps en harmonique avec une vibration externe, tel un alignement sur une même longueur d'onde, comme lorsque la nature en écho au silence intérieur de la conscience devient silencieuse ou que l'aura de Rishikesh au petit matin se fait présence et nous embrasse avec calme et affection.

Cette relation est plus qu'une force d'attraction qui connecte deux êtres en vertu de leur adéquation, lorsque « la soif profonde de la libération amène à la présence d'un maître libéré ». Le rapport du disciple à son guru est la transposition sur le plan physique du jivatman à l'atman, le lieu d'un face à face de l'ego au Soi, le moment de la mise en lumière de l'illusion qui voile l'être véritable. Le disciple ne se place pas en état de soumission, il entre dans un « état d'esprit, de questionnement qui permet de s'opposer à une vie morcelée AR ». Le maître est un phare dans la nuit, « celui qui chasse l'obscurité spirituelle[ix] », un guide pour l'aider dans sa désidentification à l'ego.

Lorsque la lumière se fait jour dans le cœur et dans l'esprit du disciple, sa relation avec son maître devient le reflet dans le miroir de ce monde du retour à l'unité originelle, non fragmentée, non duelle, de l'atman et du Brahman.

Les opposés disparaissent. La relation de maître à disciple devient le microcosme de la conscience unitaire dans laquelle il n'y a plus aucune distinction entre sujet et objet, observateur et observé. Le swami est celui qui est maître en lui-même, à la fois son propre maître et son propre disciple. Au sein de cette intrication des consciences, maître et disciple s'installent dans la présence silencieuse, au-delà de toute séparation entre l'être et l'êtreté. Le disciple s'établit en silence dans la présence du maître, comme le Soi est présence au cœur du silence de la conscience. De ce lien, de cette union yogique - unité de l'atman et du brahman au-delà de toute dualité - émane une énergie qui est le rayonnement de l'amour inconditionnel du Soi, saccidânanda, l'énergie de la dévotion.

Sur les murs de l'ashram Anand Prakash à Rishikesh est inscrit un mantra, chanté avant chaque repas : Brahmar panam, Brahma havir, Brahma agnao, Brahma nahutam, Brahma tena gantavyam, Brahma karma samadhina ; traduit par « Le Vaste est l'oblation. Le Vaste est l'offrande. Le Vaste est celui qui offre. Le Vaste est le feu sacrificiel. L'immensité sera révélée à celui qui voit que la Conscience Pure est toute chose » et que l'on résumer par Shiva est à la fois celui qui offre, ce qui est offert et le témoin de l'offrande.

L'offrande est consubstantielle à la dévotion. A la fois physique, psychique et spirituelle, fruits, fleurs, encens, punya, prières, chants de mantra ou tout simplement amour inconditionnel. Quand Akilesh Swananda nous a accueilli, il nous a offert un thé, préparé sur un feu de bois, qui mariait dans un juste équilibre le piquant du gingembre et la douceur du sucre, comme une asana à la fois ferme et agréable, sthira et sukham.

Pour les sādhu, la nourriture est un vecteur, un support pour la formulation d'une intention. « Le feu [sacrificiel de Shiva] fixe dans la nourriture cuisinée, les vibrations, les intentions, samkalpa, que l'on veut transmettre[x] ». En nous offrant ce thé, Akilesh Swananda nous a en même temps offert le nectar de sa propre expérience spirituelle, afin de nous en faire bénéficier et nous permettre à notre tour d'avancer sur notre chemin.

La nourriture est une offrande pas seulement aux divinités hindoues, mais également à notre corps. Tout est nourriture selon l'Ayurvéda, perceptions sensorielles, informations, connaissance. Là où le feu digestif, l'agni grossier, digère les aliments, l'agni subtil assimile nos expériences.

La digestion prend du temps et il reste toujours des résidus de nourriture qui ne sont pas assimilés ou qui laissent des traces émotionnelles et psychiques. L'expérience est un « barattage de la mer de lait » de notre esprit, ce qui en ressort de bon et nous permet de nous élever à plus de compréhension et de clarté, résulte de la remise en question de notre représentation du monde. Toute nouvelle connaissance saine crée un tiraillement avec nos modèles conceptuels et notre système de valeurs. Un changement de paradigme produit une transformation intérieure. Nous ne comprenons vraiment que lorsque nous réussissons à surmonter notre peur du changement et à accepter de remettre en cause ce que nous pensions acquis.

Le barattage de la mer de lait - source https://catalogue.bnf.fr
Le barattage de la mer de lait - source https://catalogue.bnf.fr

La dévotion fait partie de ces éléments difficiles à assimiler, qui nous font prendre conscience de l'influence de notre ego (plus importante que ce que nous voudrions croire), nous fait mesurer à quel point l'ego déforme notre vision et déclenche un réflexe de repli sur notre petit soi à la vue de cet amour inconditionnel dont la ferveur fait bénir la nourriture, remercier chaque moment de la vie comme un cadeau, voir le divin en toutes choses, accomplir chaque geste avec révérence et humilité envers le swami, le sādhu ou le modeste étudiant yogi que nous sommes.

Être le « témoin de l'offrande », partager le quotidien d'un être animé par un amour sincère, mu par une énergie pure, l'accompagner dans son pèlerinage dans l'Himalaya sur les terres saintes du yoga, « devenir soi-même une offrande » par nos propres tapas, par l'épuration de notre karma et par la récolte de punya, est une véritable chance sur notre chemin spirituel.

Le fossé qui nous sépare interroge. A la vue de la force d'âme qu'il faut déployer pour suivre une telle discipline, sādhanā, sommes-nous prêts à franchir le pas ? La réponse est plus souvent dans le jugement et la critique, la résistance du moi et le déni de l'ego, comme un réflexe de protection contre la peur du dogmatisme et du sectarisme, en vérité la peur face à ce que nous ne connaissons pas et la méprise due à l'ignorance.

Appréhender la dévotion demande de l'ouverture d'esprit et de la tolérance. « Être témoin de l'offrande » n'implique pas d'accepter, ni de faire sienne des croyances auxquelles nous d'adhérons pas. La dévotion ne s'apprend pas ni ne se cultive, elle se nourrit de l'amour inconditionnel du Soi duquel s'origine le surgissement de la spiritualité. Se prosterner devant un maître spirituel, un swami ou un sādhu n'est pas un signe de soumission, mais de (re)connaissance et de (re)connexion à cette énergie qui émane du cœur de l'être, du rayonnement de la conscience unitaire.

Se prosterner, ce n'est pas, ce ne doit pas être, « faire preuve de servilité ». C'est « offrir avec une très grande humilité, en signe d'hommage, témoigner du fait d'éprouver un profond respect CNRTL ». Nous l'ignorons peut-être ou nous l'avons oublié, la salutation au soleil mime les mouvements du fidèle qui dans le temple s'allonge devant l'autel pour prier son dieu. Expurgé de son caractère dévotionnel, ce n'est plus qu'un exercice d'échauffement avant de pratiquer les asanas. Pourtant en son sens originel, « la Salutation au Soleil est une expression de gratitude : remerciez le soleil extérieur de faire don de la vie à la planète et votre soleil intérieur de vous offrir la conscience[xi] ».

Voir la dévotion comme de la soumission est une déformation du symbole, une interprétation du sens véritable qui naît d'une vision extérieure hâtive, sans considération pour ce qu'éprouve intérieurement une personne qui fait acte de dévotion. Cette impression reflète notre absence de ressenti à cet amour qui rayonne du cœur de notre être profond. « Notre soleil intérieur est la source de lumière et de vérité au long du chemin de la vie. Par Surya Namaskar, nous nous inclinons devant la vérité de qui nous sommes par notre essence ». Sans ce ressenti, se prosterner est vide de sens, nous nous méprenons sur le fait que lorsque « nous plaçons la tête en dessous du cœur, nous entrons [en réalité] en relation avec notre sagesse intérieure[xii] ».

Abandonner le petit soi n'est pas abolir notre liberté, c'est nous libérer de notre soumission à l'ego afin de nous permettre de rejoindre le Soi de la conscience unitaire. « Surya Namaskar représente le cycle de toute vie, depuis le non manifesté s'incarnant dans la matière, jusqu'au retour au non manifesté ayant acquis une conscience supérieure[xiii] ».

Nous ne devons pas nous affliger de ne pas être capable d'éprouver cette dévotion profonde, de ne pas pouvoir exprimer le même amour pur. Ce serait nous isoler nous-mêmes en singularisant l'autre. Forcer les choses ne sert à rien, sinon de contrefaire notre sentiment. Nous devons rester attentifs, à l'écoute. Comme le disciple qui s'établit en silence dans la présence du maître, baigné par son énergie, être témoin de la dévotion, c'est recevoir dans notre cœur une bienveillante offrande à notre édification, comme le nectar de l'expérience spirituelle d'un Sādhu.

Dans ce stage de yoga dans l'Himalaya, la spiritualité ne jaillit pas tant de l'immersion culturelle, du partage des pratiques cultuelles de l'hindouisme, des explications sur notre fonctionnement psychologique subtilement dissimulées derrière le symbolisme de la mythologie, de la pratique d'un yoga intégral et d'une sādhanā quotidienne, mais de notre présence simple et silencieuse au côté d'une personne qui rayonne de l'amour profond du Soi.

Soyons confiants. Nous pouvons saisir intuitivement cette énergie de la dévotion, comprendre ce qu'elle est, l'instrument du retour à l'état unitaire de la conscience par la voie du yoga dans sa forme originelle, dans sa vocation première, spirituelle. Ce qui peut sembler sans lien apparent, comme réciter des mantras, offrir de la nourriture à notre corps, pratiquer des asanas, faire des offrandes dans les temples, suivre l'observance du maître par son disciple, entendre que le divin est partout, ont en commun que tous ne sont que l'expression de cette énergie radiante de la dévotion.

La dévotion est la connexion qui unit tous les êtres, fait de nous les parties d'un ensemble indivis, qui confère une raison d'être à notre présence au monde, dans cette vie, en ce lieu d'expériences où le point de vue de la dualité rend possible l'(a)perception de la conscience par elle-même. Remercier la nature qui nous nourrit, notre corps qui nous porte, nos maîtres qui nous guident, la vie qui nous instruits, l'univers qui nous éclaire, ce n'est pas adopter une attitude d'adoration soumise, de vénération aveugle, c'est reconnaître, accepter et embrasser cette énergie omniprésente de l'amour du Soi qui brûle le voile d'illusion dont nous sommes (re)couverts.

Être le témoin de l'offrande est un rappel permanent de qui nous sommes, de la réalité immanente qui est notre véritable essence. L'effet peut produire une sensation de vertige, mais c'est une peur saine qui aiguise nos sens, attise notre attention, une peur qui nous rends pleinement conscients comme au bord de la falaise de la vie, sur la ligne de crête qui sépare l'ego du Soi.

L'énergie de la dévotion est le rayonnement de l'Amour et de la Félicité émanant de l'état unitaire de la conscience, qui est celui de la présence au cœur du silence. « Tout est divin » est une autre manière d'affirmer que cette présence est partout ou règne le silence : dans la relation de réciprocité de maître à disciple, lorsque celui-ci se fonde dans la présence de son maître qui lui-même s'établit dans le silence de son disciple ; dans la nature, en gravissant une montagne en pleine conscience lorsque sa présence semble émaner de notre silence intérieur à chacun de nos pas.

Nous ne devons pas nous méprendre sur la nature de la dévotion. Emotions et sentiments sont conditionnels. Nous éprouvons une émotion en réaction à une situation ; de la joie pour un événement heureux ; de la tristesse pour un événement malheureux. Nos sentiments ont une direction ; nous ressentons de l'amour « à l'adresse » d'une personne ; à « destination » d'un être. Au contraire, la Félicité, la Joie et l'Amour qui émanent du Soi, de l'unité de la conscience en-Soi, sont autonomes, éternels et inconditionnels. Le Soi est indépendant, non causal. Il n'existe pour personne, y compris lui-même. Il est simplement. L'énergie de la dévotion n'a pas de direction. Non locale, elle rayonne en chacun et en tous sens.

L'unité de la conscience est une. L'atman est identique au Brahman, sans forme, sans nom, indivisible. « Il n'est qu'un Soi pour tous les êtres[xiv] » affirme la Katha Upanishad. Le Soi ne peut pas se diviser, ni s'additionner à lui-même. Il apparaît duel sous la diffraction de l'illusion de la maya. « Là où il existe une dualité, on voit l'autre (...) mais lorsque rien n'est plus que seulement soi-même, qui pourrait être vu, par quoi ?[xv] ». Affirmer que « tout est divin », c'est reconnaître la présence immanente du silence au cœur de tout ce qui est, avec la conscience pour origine et pour essence. La Chāndogya Upanishad l'énonce, « Ce Soi en vérité est l'univers entier »[xvi].

Comment passe-t-on de l'intuition du Soi, de l'intellection de son unité, au ressenti de la Joie et de la Félicité qui insufflent le sentiment de la dévotion ? Comment ressent-on physiquement l'énergie de la dévotion ?

Akilesh Swananda nous l'explique. « Nous n'avons pas besoin de faire le chemin pour retourner à la source, car nous sommes déjà dans le divin. Le chemin, c'est de purifier notre mental jusqu'au niveau qui permette de prendre conscience que nous sommes divins ». Ce repli du jivatman, qui libère la présence au cœur du silence, le yoga vise sa réalisation par des méthodes regroupées dans la sādhanā, la pratique persévérante. C'est une forme de r(e)connexion à l'univers. Au sommet de la montagne, embrassant le panorama de la chaîne de l'Himalaya, le mental subjugué devient inaudible, évanescent. Lorsque la brume se lève au petit matin, chassée par les premiers rayons du soleil, cette forme de lien subtil nous emplis d'une Joie indicible et d'un sentiment d'appartenance profond à la Présence.

Namasté


Lexicographie

GHUET : dictionnaire héritage du sanscrit par Gérard HUET https://sanskrit.inria.fr/Dico.pdf 


Conférence

AR : André RIEHL, Week-end Yoga Nidra à Yogamoves à Strasbourg 17 et 18/02/2018

[i] https://www.malbar.fr/La-Reincarnation-dans-l-hindouisme_a128.html 

[ii] https://jacquesvigne.com/JV/Le_symbolisme_Divali.pdf 

[iii] https://www.yoga-federation.lu/articles/jacques-vigne-la-psychologie-spirituelle-du-yoga/ 

[iv] Maitri

[v] https://www.federationyoga.qc.ca/Qu%27%20est-%20ce%20%20qu%27%20%20un%20swami.pdf 

[vi] Swami Atma , satsang organisé par Maitri dans le cadre du stage yoga dans l'himalaya https://yoga-et-vedas.com/sejour-yoga-himalaya-inde-maitri/ 

[vii] https://www.federationyoga.qc.ca/Qu%27%20est-%20ce%20%20qu%27%20%20un%20swami.pdf 

[viii] Ibid.

[ix] www.babajiskriyayoga.net/french/articles/art_26.htm 

[x] Maitri

[xi] www.naoussa-studio.com/blog/la-salutation-au-soleil 

[xii] L'enseignement du yoga, Mark Stephens page 104

[xiii] www.plkdenoetique.com/surya-namaskar-un-si-beau-et-benefique-rituel/ 

[xiv] https://www.malbar.fr/La-Reincarnation-dans-l-hindouisme_a128.html 

[xv] Brihad-âranyaka Upanishad, 4, 5, 15, Mythes et dieux de l'Inde, Daniélou, page43

[xvi] https://www.malbar.fr/La-Reincarnation-dans-l-hindouisme_a128.html